Dans ce cadre chronologique (1589-1789), le terme « Ancien Régime » désigne à la fois l'ordre juridique (système généralisé desprivilèges) et social (société destrois ordres,clergé,noblesse,tiers état) du royaume de France, et son système politique (lamonarchie absolue), monarchie administrative dans laquelle les pouvoirs féodaux sont réduits (il n'existe plus de grands fiefs souverains, comme leduché de Bretagne ou leduché d'Aquitaine, et la noblesse est assez bien contrôlée).
Malgré la notion de « monarchie absolue », illustrée par le droit du roi de délivrer des ordres parlettres patentes, et les efforts visant à créer un État centralisé (création desgénéralités), la France des années 1780 reste un pays marqué par des irrégularités systémiques : les divisions et prérogatives administratives, judiciaires et ecclésiastiques se chevauchent fréquemment, tandis que la noblesse lutte pour conserver son influence dans l'armée et dans les institutions judiciaires et administratives locales.
La volonté de centralisation était directement liée aux questions financières de la couronne et à la capacité de mener des guerres. Laguerre de Cent Ans, les conflits avec lesducs de Bourgogne, puis avec lesHabsbourg (Charles Quint etPhilippe II), mais aussi avec l'Angleterre, ont nécessité des sommes considérables, qui ont dû être levées par des impôts, tels que lataille et lagabelle, ainsi que par des contributions en hommes et en services de la part de la noblesse.
Portrait d'Alexis de Tocqueville, auteur deL'Ancien Régime et la Révolution (1856), ouvrage dans lequel il cherche à comprendre l'origine et l'enchaînement des événements qui conduisirent à la Révolution, qu'il voit comme l'accélération d'une évolution ancienne et qui se poursuit.
Bien que son utilisation soit contemporaine de la Révolution, c'estAlexis de Tocqueville, auteur de l'essaiL'Ancien Régime et la Révolution (1856), qui est le principal responsable de son ancrage dans le domaine littéraire. Dans ce texte, il indique précisément que« la Révolution française a baptisé ce qu'elle a aboli » ; Il y tente une description de lamonarchie absolue, qu'il oppose notamment à lasociété médiévale, opposition qui est devenue courante dans l'historiographie au cours duXIXe siècle et de la première moitié duXXe siècle, mais que des historiens ultérieurs ont contestée, en particulierFrançois Furet. Ce dernier souligne le fait que l'expression porte en elle une vision rétrospective de la période qu'elle nomme. Cette vision structurera durablement la manière d'envisager l'absolutisme français auXIXe siècle et auXXe siècle[5].
L'expression est en réalité inventée par le marquisCésar Henri de La Luzerne en 1787 pour lesÉtats-Unis. Elle fut ensuite utilisée pour la France d'après 1789[7]. Le terme « régime » fait ici allusion aurégime politique, c'est-à-dire aux institutions de l'État, au type degouvernement (dans ce cas, à lamonarchie). D'une certaine manière, c'est également de monarchie qu'il s'agira quand, après la Révolution et l'Empire, interviendra laRestauration. L'expression « Ancien Régime » peut toutefois s'élargir à de nombreux aspects sans se limiter à la sphère politique. Elle fait ainsi référence aux dimensions sociale, économique et religieuse du royaume de France dans toutes ses facettes avant la Révolution française, entre leXVIe et XVIIIe siècles[8]. L'application du terme aux structures économiques et sociales est attribuée àErnest Labrousse et a été diffusée par l'École des Annales, où il sera question d'un« Ancien Régime économique » pour désigner les structures économiques qui prévalaient en France sous la monarchie absolue.
Les règnes des trois fils d'Henri II,FrançoisII (r. 1559-1560),CharlesIX (r. 1560-1574) etHenriIII (r. 1574-1589) sont marqués par lesguerres de Religion entrecatholiques etprotestants. LaRéforme s'est progressivement répandue en France à partir de 1520, au point qu'en 1562, date du début des huit guerres de Religion, un dixième de la population était devenue protestante[9]. Cette guerre civile est marquée par lemassacre de la Saint-Barthélemy, le et les jours suivants, où les protestants sont attaqués dans leurs propres maisons, faisant plusieurs milliers de victimes à Paris et en province[10]. La guerre civile est aussi une grande menace pour l'unité territoriale. Les protestants et lesligueurs font des promesses aux souverains étrangers pour obtenir leur aide. Par exemple, les réformés promettent àÉlisabethIre de lui restituer leCalaisis en échange de son intervention. De plus les troubles permettent à chacun des partis en présence de s'arroger des parcelles du pouvoir régalien. Les princes catholiques sont tout puissants dans les régions dont ils ont obtenu le gouvernement comme lesGuise enBourgogne, lesMontmorency enLanguedoc[11]. L'édit de Beaulieu de 1576 permet aux protestants de célébrer leur culte publiquement partout sauf à Paris. Ils peuvent occuper huit places fortes et bénéficient de chambres mi-partie dans lesparlements. Les catholiques trouvent les dispositions excessives et forment des ligues qui mènent des opérations militaires[12]
La mort du dernier prince Valois (Francois) en 1584 provoque une situation critique : au cas probable où Henri III n'aurait pas de fils, le trône reviendrait àHenri de Navarre, issu d'une branche cadette desCapétiens, lamaison de Bourbon,roi de Navarre depuis 1572, qui est depuis 1576 le chef des armées protestantes. Cette situation entraîne lahuitième guerre de religion, dans laquelle les catholiques radicaux de laLigue, dirigés par le ducHenri de Guise, sont alliés à l'Espagne dePhilippe II.
Il installe desintendants de justice, police et finance dans les provinces. Contrairement aux officiers ceux-ci sont des commissaires révocables. Ils sont indispensables dans les régions frontières ou occupées par les Français. Ils y assurent l'ordre en luttant contre les pillages des soldats français et en s'assurant de la fidélité des sujets, particulièrement des nobles et des villes. Le roi accentue la centralisation en favorisant l'atelier de frappe monétaire deParis aux dépens de ceux de provinces. Dès 1635, Louis XIII et le cardinal de Richelieu s'engagent dans laguerre de Trente Ans (1618-1648) auprès des princes allemands protestants pour réduire la puissance de la dynastie desHabsbourg, tant ceux d'Espagne, la première puissance européenne à cette époque, que ceux d'Autriche qui sont à la tête duSaint-Empire romain germanique. Pour affaiblir la Monarchie de Habsbourg, les Français occupent des places-fortes et s'assurent des passages qui les relient à leurs alliés, enAlsace, enLorraine et dans lePiémont[18]. L'augmentation considérable de la pression fiscale, nécessitée par la guerre, provoque de nombreux soulèvements populaires : en 1636-1637 celui descroquants deSaintonge-Périgord, en 1639 celui desva-nu-pieds deNormandie, sévèrement réprimés.
LouisXIV a quatre ans et demi quand son père meurt en 1643. Sa mèreAnne d'Autriche assure la régence avec lecardinal Mazarin. Jusqu'en 1661, date de sa mort, c'est ce dernier qui gouverne effectivement, même après la majorité de Louis XIV[19]. Il poursuit l'effort de guerre entamé par Richelieu. Les troupes françaises remportent des victoires décisives qui permettent de mettre fin à laguerre de Trente Ans (1618-1648). Letraité de Münster d'octobre 1648 accorde à la France presque toute l'Alsace, confirme la possession des trois évêchés et donne trois forteresses à la France sur la rive droite duRhin,Landau,Philippsbourg etBrisach. Mazarin poursuit ainsi la politique d'expansion vers le Saint-Empire romain germanique entreprise par le cardinal de Richelieu. Le conflit se poursuit cependantavec l'Espagne jusqu'en 1659. Avec lapaix de Pyrénées, le domaine royal s'agrandit duRoussillon, de l'Artois et de certaines places du Hainaut comme Thionville et Montmédy. Louis XIV épouse l'infante d'Espagne,Marie-Thérèse d'Autriche. Pour la première fois, dans un traité signé par la France, la frontière entre la France et l'Espagne est définie par la nature :« les crêtes des montagnes qui forment les versants des eaux »[20].
C'est auXVIIIe siècle que se forge la théorie desfrontières naturelles de la France. Un mémoire adressé au roi précise :« La France effectivement doit se tenir bornée par le Rhin et ne songer jamais à faire aucune conquête en Allemagne. Si elle se faisait une loi de ne point passer cette barrière et les autres que la nature lui a prescrites du côte de l'occident et du midi : mer océane, Pyrénées, mer Méditerranée, Alpes, Meuse et Rhin, elle deviendrait alors l'arbitre de l'Europe et serait en état de maintenir la paix au lieu de la troubler »[35]. Pendant son règne, Louis XV refuse plusieurs fois les propositions qui lui sont faites d'annexer lesPays-Bas autrichiens en échange de son alliance ou de sa neutralité, sans que les historiens en comprennent bien la raison. Son refus montre que cette idée n'est pas, à ce moment, la doctrine officielle de l'État[34].
Le petit-fils de Louis XV,LouisXVI, arrive au pouvoir en 1774. Timide, il vit dans une cour traversée par les intrigues et les coteries. Son règne est marqué par une politique velléitaire. Face aux pressions de la cour, des parlements et de la noblesse, il est incapable de prendre les mesures nécessaires pour combler une dette publique et un déficit budgétaire démesurés. Rapidement, il rompt avec la politique de son prédécesseur. Il nommeTurgot ministre avec pour mission de réformer l'État. Ce dernier commence parlibéraliser la vente des grains, ce qui mène à laguerre des farines et rompt la confiance du peuple envers le roi qui, jusqu'ici, était vu comme le père nourricier[37]. Pour venger la perte de ses territoires américains, la France soutient lesrebelles dans laguerre d'indépendance des États-Unis (1775-1783), mais les frais engagés font replonger le royaume dans les difficultés financières[38].
Malgré les tentatives de centralisation administrative, le pays est loin d'être unifié. Il existe des douanes intérieures entre les provinces, il n'y a pas d'unité des poids et mesures. Tout ceci entrave le développement économique de la France à un moment où l'Angleterre est en pleindécollage industriel. Les impôts ne sont pas perçus de la même manière dans tout le pays, même si les intendants en supervisent la répartition et la levée. Malgré les efforts entrepris depuisFrançoisIer avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts, les lois ne sont pas les mêmes dans tout le royaume. Le nord est encore soumis audroit coutumier, à peu près 300 coutumes, alors que le Sud est régi par un droit écrit, inspiré dudroit romain[39].
Le siècle s'achève avec une évolution significative des mentalités. La théorie de la gravité universelle formulée parIsaac Newton en 1687 et promue en France notamment en 1734 par lesLettres philosophiques deVoltaire met à mal l'idée d'une quelconque transcendance divine dont découlerait unemonarchie de droit divin en France. Par ailleurs, la publication en 1748 deDe l'esprit des lois deMontesquieu et à partir de 1751 de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers deDiderot etD'Alembert ouvrent la voie à une vision plus raisonnée et scientifique du monde, dans laquelle la prétendue omnipotence du pouvoir royal est remise en question. La diffusion des nouvelles idées est facilitée par les progrès de l'alphabétisation et le développement de la pratique de la lecture.
L'année 1789 est riche en événements historiques. Rencontrant des difficultés à établir un impôt universel, Louis XVI a convoqué lesÉtats généraux pour le à Versailles. Les députés duTiers-État parviennent en deux mois et sans violence à mettre fin à la monarchie absolue avec l'aide d'une partie duClergé et de laNoblesse, en se faisant reconnaître commeassemblée nationale à la suite duserment du Jeu de paume, prêté le. Le, les Parisiens, exaspérés par la crise économique, l'instabilité gouvernementale et redoutant l'arrivée de troupes autour de Paris,prennent d'assaut la Bastille, accélérant ainsi le processus révolutionnaire initié par les députés, en faisant plier un symbole de l'absolutisme royal[41]. En effet, le, le roi, venu à l'hôtel de ville de Paris entériner les nouvelles institutions parisiennes nées de la prise de la Bastille, accepte de porter lacocarde tricolore : le blanc, la couleur royale, entouré des deux couleurs de la garde municipale de Paris, le bleu et le rouge.
À la fin du mois de, les campagnes sont agitées par laGrande Peur, une révolte contre lesdroits féodaux. Pour mettre fin à l'agitation, les députés votent, dans lanuit du, l'abolition desprivilèges et des droits féodaux. Même si ces derniers sont déclarés rachetables lors de la rédaction desdécrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, cette date marque la fin de l'Ancien Régime et le début d'une nouvelle société[42]. LaDéclaration des droits de l'homme et du citoyen votée le en est l'acte de baptême. Ce texte reconnaît l'égalité des citoyens devant la loi, consacre lasouveraineté nationale et légitime le droit à larésistance à l'oppression. S'ensuit l'adoption de plusieursArticles constitutionnels le, entérinant une première forme deconstitution pour la France. Avec le retour forcé du roi à Paris les5 et, la Révolution semble avoir atteint ses buts : faire naître une monarchie parlementaire en rabaissant le prestige du roi et en restreignant ses pouvoirs[43].
L'Assemblée nationale prend une série de mesures pour consolider l'unité nationale, dont l'égalité des droits, l'unification du droit au niveau national, ou encore la création desdépartements pour rationaliser le découpage administratif, le[44]. Puis, le, la loi sur laConstitution civile du clergé réorganise l'Église française en faisant des membres du clergé des fonctionnaires[45]. Le, un an après la prise de la Bastille, laFête de la Fédération célèbre, sur leChamp-de-Mars à Paris, la réconciliation nationale et l'unité de tous les Français.
Bien que la France ait connu en 1785 des difficultés économiques liées principalement à l'équité fiscale, elle était l'une des nations les plus riches et les plus puissantes d'Europe[46]. Le peuple français jouissait également d'une plus grande liberté politique et d'un taux de punitions arbitraires moins élevé que beaucoup de ses compatriotes européens. Cependant,LouisXVI, ses ministres et lanoblesse française dans son ensemble étaient devenus extrêmement impopulaires, car lespaysans et, dans une moindre mesure, labourgeoisie étaient accablés par des impôts ruineux, prélevés pour soutenir les aristocrates fortunés et leur train de vie somptueux.
Les historiens expliquent l'effondrement soudain de l'Ancien Régime par sa rigidité. Lesaristocrates ont été confrontés aux ambitions croissantes des marchands, des commerçants et des agriculteurs prospères, alliés aux paysans mécontents, aux salariés et aux intellectuels influencés par les idées desphilosophes des Lumières. Au fur et à mesure que la Révolution progressait, le pouvoir a été transféré de la monarchie et des privilégiés de naissance à des organes politiques plus représentatifs, tels que les assemblées législatives, mais les conflits entre les groupes républicains autrefois alliés ont provoqué des discordes et des effusions de sang considérables.
Un nombre croissant de Français avaient assimilé les idées d'« égalité » et de « liberté individuelle » présentées parVoltaire,Diderot,Turgot et d'autres philosophes et théoriciens sociaux dusiècle des Lumières. Larévolution américaine avait démontré que les idées des Lumières sur l'organisation du gouvernement pouvaient effectivement être mises en pratique. Certains diplomates américains, commeBenjamin Franklin etThomas Jefferson, avaient vécu à Paris et fréquenté librement les membres de la classe intellectuelle française. De plus, les contacts entre les révolutionnaires américains et les soldats français, qui avaient apporté leur aide à l'armée continentale en Amérique du Nord pendant laguerre d'indépendance des États-Unis, contribuèrent à diffuser les idéaux révolutionnaires en France.
Au bout d'un certain temps, de nombreux Français ont commencé à dénoncer le déficit démocratique de leur propre gouvernement, à revendiquer laliberté d'expression, à contester l'Église catholique romaine et à critiquer les prérogatives de la noblesse. LaRévolution n'a pas été provoquée par un événement unique, mais par une série d'événements qui, ensemble, ont irréversiblement modifié l'organisation du pouvoir politique, la nature de la société et l'exercice des libertés individuelles.
Carte des provinces de France et des pays adjacents en 1789, à la veille de laRévolution française.
Malgré les efforts de centralisation des rois, la France restait un patchwork de privilèges locaux et de différences historiques. Le pouvoir arbitraire de la monarchie absolue était fortement limité par les particularités historiques et régionales[48]. Les divisions et prérogatives administratives (y compris fiscales), juridiques (comme leparlement), judiciaires et ecclésiastiques se chevauchaient fréquemment (par exemple, lesévêchés et diocèses français coïncidaient rarement avec les divisions administratives). Certaines provinces et villes avaient obtenu des privilèges spéciaux, tels que des taux réduits pour lagabelle. Lesud de la France était régi par un droit écrit adapté dusystème juridique romain, mais le nord de la France utilisait ledroit coutumier, codifié en 1453 sous forme écrite.
Les circonscriptions administratives sont nombreuses et ne se confondent ni avec les provinces, ni avec les limites desparlements, ni encore avec la géographie féodale[49]. Lesbailliages et sénéchaussées sont des circonscriptions anciennes avec des compétences différentes selon leur nature. À l'origine, il s'agit d'un représentant du roi qui a comme mission de rendre la justice, contrôler lesprévôts, gérer le domaine, protéger les églises royales ou encore surveiller et transmettre les ordres royaux aux vassaux. Avec le temps, la compétence du bailli se restreint au domaine judiciaire, mais des anciennes compétences subsistent comme la levée duban[50]. Lesgouvernements sont des circonscriptions contrôlées par un gouverneur qui représente la personne du roi[51]. Lagénéralité est une circonscription financière administrée par unbureau des finances et par unintendant dans lespays d'élections[51]. Elle est homogène et formée à partir desparoisses avec des contours linéaires[50]. L'intendance est une circonscription administrée par un intendant. Elle se confond avec la généralité dans les pays d'élections et avec la province dans lesPays d'états[51]. LaRévolution rationalise le découpage administratif en divisant le royaume en83 départements[44].
Le représentant du roi dans ses provinces et ses villes était legouverneur. Les officiers royaux choisis parmi la plus haute noblesse, les gouverneurs provinciaux et municipaux (la supervision des provinces et des villes était souvent combinée) occupaient principalement des postes militaires chargés de la défense et du maintien de l'ordre. Les gouverneurs provinciaux, également appeléslieutenants généraux, avaient également le pouvoir de convoquer les parlements provinciaux, les états provinciaux et les organes municipaux. Le titre de gouverneur est apparu pour la première fois sousCharlesVI. L'ordonnance de Blois de 1579 réduisit leur nombre à douze, et une ordonnance de 1779 l'augmenta à trente-neuf (18 gouverneurs de première classe et 21 gouverneurs de deuxième classe). Bien qu'en principe, ils fussent les représentants du roi et que leurs fonctions pouvaient être révoquées à la volonté du roi, certains gouverneurs s'étaient installés, eux et leurs héritiers, comme une dynastie provinciale. La charge de gouverneur n'est pas un office, le roi peut révoquer son titulaire selon son gré. Elle peut en outre être conférée à des femmes[52]. Les gouverneurs des colonies avaient des pouvoirs plus étendus que ceux de la métropole et avaient l'obligation de résider sur place[53]. Les gouverneurs ont atteint l'apogée de leur pouvoir entre le milieu duXVIe siècle et le milieu duXVIIe siècle. Leur rôle dans les troubles provinciaux pendant les guerres civiles a conduit lecardinal Richelieu à créer des postes plus faciles à contrôler, ceux d'intendants des finances, de la police et de la justice.
Les intendants trouvent leurs origines dans les réformes administratives deHenriII pour renforcer le pouvoir royal. Il place alors des superintendants auprès desgouverneurs dans les provinces conquises ou annexées. L'institution évolue au fil des réformes.HenriIV envoie des intendants pour s'occuper des tâches financières indépendamment des gouverneurs et nomme des commissaires pour surveiller de l'application desédits dans les provinces, une pratique apparue sous les derniersValois. Les commissaires récupèrent le pouvoir de justice sous le règne deLouisXIII. L'épisode de lajournée des Dupes entraîne une multiplication des intendants dans les provinces pour maintenir l'ordre. Puis en 1633, le ministrePierre Séguier se sert des intendants pour réformer l'administration fiscale. À partir des années 1680, l'intentant devient l'intermédiaire du gouvernement pour contrôler les villes. Au contraire des gouverneurs qui représentent le roi, les intendants représentent l'État indépendamment de la personne placée à sa tête[55].
Dans le domaine de la justice, les intendants peuvent entrer dans les cours supérieures, présider les tribunaux inférieurs et possèdent leur propre tribunal pour juger en dernier ressort les affaires renvoyées par leConseil. Ils reçoivent aussi les doléances de la population pour s'informer des abus de l'administration judiciaire. Ils exercent la tutelle des villes et des communautés, notamment en matière de gestion financière et d'urbanisme, mais gèrent aussi les forêts, les voies de communication et tout ce qui relève du bien commun. Leurs prérogatives fiscales varient en fonction des pays. Dans lespays d'élections, ils veillent à la perception de lataille ; dans lespays d'états, ils se contentent de communiquer la somme que le roi attend de la province ; alors que dans lespays d'imposition, ils gèrent entièrement l'administration. Ils ont sous leur autorité, le personnel des bureaux répartis en trois catégories : les secrétaires, les commis et lessubdélégués[56].
Au vu de l'étendue de la circonscription qu'ils gèrent et avec la multiplication de leurs tâches, les intendants prirent l'habitude de déléguer des missions à des subdélégués personnels. Le pouvoir central d'abord hostile à la pratique, l'officialise en l'érigeant enoffice en1704, tout en gardant le subdélégué sous la dépendance de l'intendant, qui doit présenter des candidats au roi. Son ressort géographique est fixé à l'élection dans les pays taillables et à l'évêché ou lebailliage et la sénéchaussée dans les pays d'états. Dans les pays d'imposition, une nouvelle circonscription, lasubdélégation, est créée autour des villes. Les subdélégués sont répartis en deux catégories : les subdélégués particuliers et les subdélégués généraux. Les premiers fournissent des informations à l'intendant, mais ne possèdent pas de pouvoirs décisionnels. Les seconds coordonnent l'action des bureaux, voire suppléent l'intendant en cas de vacance légitime[56].
La seigneurie connaît son apogée entre leXe et leXIIIe siècle. Il s'agit d'un territoire plus ou moins vaste organisé autour d'unchâteau, où le seigneur commande l'ensemble des hommes qui vivent sur les terres. Jusqu'à laRévolution, le royaume est morcelé de seigneuries, aussi bien les campagnes que les villes et elles restent la principale communauté territoriale d'encadrement des hommes et de possessions des terres. Le chef y exerce alors les pouvoirs politique, administratif, judiciaire et militaire. Les hommes vivent sous la protection militaire du seigneur. Ils payent cette protection sous diverses formes d'impôts en fonction de la catégorie sociale, dont leservage est la forme la plus servile[57]. Durant la période de l'Ancien Régime, la seigneurie devient une délégation de la puissance publique judiciaire ou le seigneur exerce le pouvoir de police sous contrôle royal. Elle se transforme aussi en une source de profits, voire de commerce[58].
Dans le royaume de France, uneville est d'abord unemuraille avec à l'intérieur des groupements d'habitations. Elle est aussi une zone privilégiée honorifique ou fiscale. Elles existent juridiquement sous trois formes différentes : lesvilles seigneuriales, lesvilles de bourgeoisie et lesvilles de communes. Les premières sont administrées directement par le seigneur avec ses officiers. C'est le cas deParis qui est administrée directement par le roi. Les villes de bourgeoisie sont administrées par lesbourgeois par l'intermédiaire d'un groupe de magistrats et d'officiers municipaux. Des villes commeBordeaux,Toulouse,Marseille ouLyon sont dirigées de cette façon. Les villes de communes sont administrées par l'ensemble des habitants liés entre eux par un serment autorisé par le roi. C'est le cas de villes commeBeauvais,Bayonne,Angoulême,La Rochelle ou encoreArras. Les statuts des villes sont abolis le[59].
Les villages du royaume de France sont des communautés d'habitants qui s'administrent eux-mêmes, sans avoir besoin de l'autorisation du roi pour être reconnu légalement contrairement aux villes. Les villageois s'organisent en assemblée qui a lieu plusieurs fois par an. Pour prendre des décisions, au moins dix habitants doivent être présents, mais pour décider d'un emprunt ou aliéner un bien commun la présence de tout le monde est nécessaire. L'organisation de l'assemblée dépend des provinces etcoutumes, mais très souvent le vote a lieu à haute voix et est présidé par un syndic élu pour un an par acclamation. Les communautés villageoises ont le pouvoir de police local (rédaction des règlements de la police rurale) et économique (comme l'entretien et la construction des biens communs). Elles s'occupent en grande partie de l'administration royale locale[60].
Laparoisse est la subdivision de base d'undiocèse de l'Église catholique. Le réseau paroissial de la France se forme auxXIIe siècle etXIIIe siècle lié à la forte augmentation démographique qui peuple les campagnes et les villes. La carte des paroisses n'évolue presque pas jusqu'à laRévolution qui les transforme en communes[61]. La paroisse est dirigée par une assemblée paroissiale, qui comprend souvent les mêmes personnes que celle des communautés villageoises et urbaines. Le chef de la paroisse est lecuré, parfois élu par les paroissiens, qui lui doivent le logis et ladîme. L'assemblée administre les biens et revenus de la paroisse à travers leconseil de fabrique. Pour cela, elle élit un ou plusieursmarguilliers pour la durée d'un an. L'assemblée paroissiale est souvent propriétaire des biens affectés aux pauvres et contrôle l'administration du bureau de charité chargé de la distribution[62].
SousCharlesVIII etLouisXII, leConseil du Roi était dominé par les membres d'une vingtaine defamilles nobles ou riches. SousFrançoisIer, le nombre de conseillers passa à environ soixante-dix, même si l'ancienne noblesse était alors proportionnellement plus importante qu'au siècle précédent. Les postes les plus importants à la cour étaient ceux desgrands officiers de la couronne de France, dirigés par leconnétable (chef militaire du royaume jusqu'à sa suppression en 1627) puis lechancelier.
Le conseil se réunit selon les besoins du roi. Le souverain peut y appeler qui il veut selon l'ordre du jour et les circonstances politiques, mais lesgrands officiers etprinces du sang siègent naturellement au conseil. À leur côté, siègent des hommes que le roi choisit pour leurs compétences, qui à partir duXIVe siècle prennent le titre de conseillers du roi. Le conseil n'a qu'un rôle consultatif, puisque la décision finale dépend uniquement du roi, mais le conseil peut siéger en son absence pour délibérer des affaires courantes. C'est lors des conseils que le roi exerce sa justice retenue qui lui permet d'interrompre la justice ordinaire pour s'emparer d'une affaire[63]. En1497, legrand conseil se détache du reste du conseil et siège pour s'occuper des affaires judiciaires que le roi souhaite soustraire de la juridiction des parlements[64].
À partir d'HenriII, le conseil commence à se réglementer et se divise en plusieurs formations spécialisées[65]. Le conseil des affaires est un groupe restreint de conseillers intimes du roi qui gèrent les affaires importantes et secrètes de l'État. Le roi y appelle les personnes qu'il souhaite en fonction des circonstances politiques. Ce conseil secret n'a pas d'existence officielle et dépend seulement de la volonté royale. AvecLouisXIII, il s'organise, devient officiel et prend le nom deconseil d'en haut. C'est à ce moment qu'il devient l'organe suprême pour les décisions sur la politique étrangère, la guerre, l'intérieur et les plus importantes affaires financières[66]. Sa composition devient de plus en plus fixe et certains y siègent de droit comme le premier ministre, lechancelier, lesurintendant des finances ou encore le secrétaire d'État des affaires étrangères. Les autres membres sont nommés par le roi. À la même période, le conseil des dépêches s'en détache pour s'occuper des affaires intérieures. Le conseil pour les finances est institué en1563, il existe de façon intermittente en fonction des réorganisations des institutions financières[67]. En plus des affaires financières, il est le dernier ressort qui traite les affaires générales (il est supérieur hiérarchiquement au conseil d'en haut). Le conseil privé (ou conseil des parties) est le conseil qui siège comme cour suprême de justice pour les procès des particuliers[68].
SousLouisXIV, deux sortes de conseils se distinguent et demeurent jusqu'en 1791 : les conseils de gouvernement et les conseils de justice et d'administration. Leconseil d'en haut est un conseil très restreint (de trois à sept membres), qui ne comprend que des personnes nommées par le roi et aucune de droit[69]. Si le conseil est compétent pour statuer sur tous les sujets politiques, ses compétences se restreignent petit à petit à la politique étrangère et militaire[70]. Leconseil des dépêches s'occupe des affaires intérieures du royaume, en lisant et en répondant aux dépêches venant des provinces, mais aussi en examinant les contentieux politiques. Les principaux membres du gouvernement y siègent. Leconseil royal des finances assiste le roi dans l'exercice de sa fonction d'ordonnateur et détermine la politique économique de l'État[71]. Le conseil royal de commerce a une existence épisodique et gère la politique commerciale et économique[72]. Lors de situations bien particulières, des conseils spécialisés sont créés pour traiter des dossiers liés à l'actualité, comme le Conseil de santé pour gérer lapeste de Marseille[73]. Le, ils sont fusionnés en un conseil unique qui prend le nom de conseil d'état[72].
Les conseils de justice et d'administration comprennent le conseil privé qui est toujours la cour suprême de justice, mais est réformé entre 1673 et 1738. Il comprend de nombreuses personnes (jusqu'à cinquante) et son action prend trois formes différentes : l'évocation, qui est une intervention dans un procès en cours d'une juridiction supérieure ou différente ; la cassation, qui permet de ne pas juger l'affaire, mais vérifier si la loi a été bien appliquée ; et lerèglement de juges qui est un arbitrage dans un conflit entre deux cours supérieures[74]. Le conseil d'État et des finances disparaît à la fin duXVIIe siècle, divisé en deux commissions : la grande et petite direction des finances qui ont comme mission de juger les contentieux en matière financière[75].
Au fil du temps, l'appareil décisionnel du conseil s'est divisé en plusieurs conseils royaux. Ses sous-conseils peuvent être regroupés de manière générale en « conseils gouvernementaux », « conseils financiers » et « conseils judiciaires et administratifs ». Avec les noms et subdivisions desXVIIe et XVIIIe siècles, les sous-conseils étaient les suivants :
Conseils gouvernementaux :
Conseil d'en haut (« Haut Conseil », chargé des affaires les plus importantes de l'État) – composé du roi, du prince héritier (le « dauphin »), du chancelier, du contrôleur général des finances et du secrétaire d'État chargé des affaires étrangères.
Conseil des dépêches (concernant les avis et les rapports administratifs provenant des provinces) – composé du roi, du chancelier, des secrétaires d'État, du contrôleur général des finances et d'autres conseillers selon les questions discutées.
Conseil royal des finances – composé du roi, du chef du conseil des finances (poste honorifique), du chancelier, du contrôleur général des finances et de deux de ses conseillers, ainsi que des intendants des finances.
Conseil privé ouConseil des parties ou Conseil d'État (concernant le système judiciaire, officiellement institué en 1557) – le plus grand des conseils royaux, composé du chancelier, des ducs avecpairie, des ministres et secrétaires d'État, du contrôleur général des finances, des 30conseillers d'État, des 80maîtres des requêtes et desintendants des finances.
Grande et Petite Direction des Finance.
Outre les institutions administratives susmentionnées, le roi était également entouré d'une importante suite personnelle et courtoise (famille royale,valets de chambres, gardes, officiers d'honneur), regroupée sous le nom de « Maison du Roi ». À la mort deLouisXIV, leRégent abandonna plusieurs des structures administratives susmentionnées, notamment les secrétaires d'État, qui furent remplacés par des conseils. Ce système de gouvernement, appelé laPolysynodie, dura de 1715 à 1718.
Chancelier de France : en cas d'incapacité ou de disgrâce, le chancelier était généralement autorisé à conserver son titre, mais les sceaux royaux étaient confiés à un adjoint, appelé « garde des sceaux »[76]) ;
Les autres organes représentatifs traditionnels du royaume étaient lesÉtats généraux, créés en 1302, qui réunissaient lestrois ordres du royaume (Clergé,Noblesse etTiers-État), et lesÉtats provinciaux. Les États généraux avaient été réunis lors de crises fiscales ou convoqués par des partis mécontents des prérogatives royales (telles lesHuguenots en1588 ou laLigue catholique en1593), mais ils n'avaient aucun pouvoir réel car les dissensions entre les trois ordres les affaiblissaient et ils étaient dissous avant d'avoir achevé leur travail. Signe de l'absolutisme français, elles cessèrent d'être convoquées de 1614 à 1789. Les États provinciaux se révélèrent plus efficaces et furent convoqués par le roi pour répondre aux politiques fiscales et budgétaires.
Avec la hiérarchisation des grands officiers sousHenriIII, le chancelier est le deuxième en dignité, puis le premier après la suppression de la charge deconnétable en 1627. Il a plusieurs attributions ; le contrôle et le scellage des actes royaux lors de cérémonie de l'audience du sceau. Il doit aussi vérifier si les décisions royales sont conformes à la justice et aux intérêts du royaume, dans le cas contraire il peut refuser le scellage ; il est le premier magistrat du royaume et le porte-parole du roi lors des cours souveraines ; il est le chef du Conseil qu'il préside lors de l'absence du souverain. Ses compétences politiques déclinent au gré des réformes. En 1661, il est écarté du Conseil d'En Haut et perd le statut de ministre d'État ; il s'occupe de la vie intellectuelle du royaume : à partir de 1566, il contrôle lalibrairie, ce qui lui permet théoriquement de contrôler et de censurer tous les livres qui paraissent[81].
Parmi les autres officiers de la Grande chancellerie, on trouve le grand audiencier qui est l'ordonnateur de l'audience du sceau et compte les droits perçus sur le scellage des lettres, le contrôleur général qui hérite des attributions financières du grand audiencier, le garde des rôles des offices de France, qui tient à jour la liste des offices disponible, le chauffe-cire qui procède à l'opération de scellage. AuXVe siècle, les Petites Chancelleries sont créées en Province pour rapprocher les administrés du service des sceaux. Les lettres qu'elles délivrent ne s'appliquent que dans la juridiction où est établie la Petite Chancellerie. Les effectifs sont plus réduits que ceux de la Grande Chancellerie, mais les charges sont les mêmes[84].
La fonction de secrétaire d'État apparaît auXVIe siècle d'abord au sein de la chancellerie, avant de s'en détacher pour devenir pleinement autonome. Les secrétaires d'État ont pour origine les notaires du roi, chargés de mettre en forme les actes personnels du souverain. Leurs attributions évoluent dans le temps et certains récupèrent des tâches politiques et diplomatiques importantes. En1547, les quatre secrétaires sont répartis avec pour chacun des pays étrangers et provinces du royaume où il est chargé d'expédier les affaires de l'État, puis plus tard certains départements comme la guerre où la religion. Ils deviennent alors les exécuteurs de la volonté royale et les chefs de l'administration centrale de l'État. Ils deviennent si puissants que le souverain prend une série de mesures pour définir leurs pouvoirs qui vont varier jusqu'en1791[85].
Pour gouverner le royaume, le roi doit s'appuyer sur de nombreux agents qui possèdent différents statuts. Ils se répartissent en trois grandes catégories : lesofficiers, les commissaires et les fonctionnaires[86]. Les officiers ne sont pas qu'au service de l'administration royale, il existe des officiers seigneuriaux, municipaux ou encore provinciaux. Deux types d'offices se distinguent : les offices casuels qui reviennent au roi à la mort du titulaire (ou pour non-exercice de son office) et les offices domaniaux qui sontvénaux ethéréditaires. Le titulaire peut payer une personne pour exercer les tâches de l'office à sa place, ainsi qu'en faire commerce en le vendant à un tiers. La vénalité se met en place dès leXIIe siècle et devient officiel à la fin duXVe siècle. Les officiers sont un avantage pour la monarchie, car leurs ventes (même si théoriquement l'office est un don du roi) permet de remplir les caisses, mais aussi un désavantage puisque le roi ne peut pas choisir ses officiers au risque d'avoir une personne incompétente qui occupe un poste[87].
Les commissaires sont créés pour que le roi ait à sa disposition des agents révocables, dont les pouvoirs sont limités par les tâches que leur confère lalettre de commission que reçoit chacun d'entre eux[88]. Si le terme de fonctionnaire n'apparaît que dans les années 1770, il recouvre alors une catégorie d'agents plus anciens : les ingénieurs du roi, les commis (des employés en écritures qui travaillent dans les ministères, les intendances et laFerme générale) et les inspecteurs (qui ont pour mission de veiller au bon fonctionnement des institutions économiques de l'État). Les fonctionnaires sont révocables et rémunérés en fonction d'un grade, ainsi que par leur ancienneté. Ce mode de rémunération préfigure le statut de la fonction publique moderne[89].
Le désir d'une perception fiscale plus efficace fut l'une des principales causes de la centralisation administrative et royale française au début de l'époque moderne. Lataille devint une source majeure de revenus pour la couronne. En étaient exemptés leclergé et lesnobles, les officiers de la couronne, le personnel militaire, les magistrats, les professeurs d'université et les étudiants, ainsi que certaines villes franches telles que Paris. Il existait trois types de provinces : lespays d'élection, lespays d'états et lespays d'imposition.
Dans les pays d'élection (les possessions les plus anciennes de la couronne française ; certaines provinces avaient joui d'une autonomie équivalente à celle des pays d'états, mais l'avaient perdue à la suite des réformes royales), l'évaluation et la perception des impôts étaient confiées à des fonctionnaires élus (du moins à l'origine, car plus tard, ces postes ont été achetés), et l'impôt était généralement « personnel » et donc lié aux personnes non nobles.
Dans les pays d'état, laBretagne, leLanguedoc, laBourgogne, l'Auvergne, leBéarn, leDauphiné, laProvence et certaines parties de laGascogne, telles que laBigorre, leComminges et lesQuatre-Vallées, provinces récemment acquises qui avaient pu conserver une certaine autonomie locale en matière fiscale, l'évaluation de l'impôt était établie par les conseils locaux et l'impôt était généralement « réel » et donc lié aux terres non nobles (les nobles possédant de telles terres étaient tenus de payer des impôts sur celles-ci).
Les pays d'imposition étaient des terres récemment conquises qui avaient leurs propres institutions historiques locales (elles étaient similaires aux pays d'état sous lesquels elles sont parfois regroupées), mais la fiscalité était supervisée par l'intendant royal.
C'est sousFrançoisIer que l'administration financière héritée du Moyen Âge connaît d'importantes réformes. En 1523, il crée une caisse centrale appeléetrésor de l'Épargne. Gérée par un comptable de haut rang, elle finance les dépenses de la cour et du gouvernement. Les pouvoirs des trésoriers et généraux des finances sont réduits et fusionnés quelque temps plus tard sous le titre detrésorier général. Le royaume est divisé en seizegénéralités chacune dirigées par un trésorier général. Les finances ordinaires et extraordinaires sont ensuite réunies sous la même administration, puis le nombre de trésoriers généraux est ensuite augmenté pour chaque généralité[90]. L'administration centrale des finances est désormais dirigée par le roi assisté de sonconseil, où émergent par la suite quelques spécialistes choisis par le roi, qui supervise et coordonne l'administration financière. Ainsi apparaissent les titres decontrôleur général des finances,intendants et surintendant des finances[91].
Les intendants des finances apparaissent en 1552 pour gérer les fonds duvoyage d'Allemagne et rendre compte au conseil. Au départ au nombre de quatre, leur nombre varie selon les époques. Ils siègent en ministère qui remplace celui formé par les trésoriers de France et les généraux des finances[91]. Parmi eux, un des membres émerge et est à l'origine du titre desurintendant des finances, mais selon les réformes, sa fonction est intermittente avec le conseil des finances, avant d'être supprimée en 1661[92]. C'est un titre prestigieux qui donne à son possesseur la possibilité d'exercer par délégation la fonction royale d'ordonnateur des dépenses de l'État[93].
En 1661,LouisXIV remplace le surintendant des finances par unconseil royal des finances qu'il préside. En 1665, le roi ne garde qu'un contrôleur général des finances et supprime les autres charges[94]. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, le contrôleur général est le membre du gouvernement qui a le plus d'attributions, c'est aussi le poste qui change le plus souvent de titulaire[95]. Le titre n'est pas toujours constant, par moments il est remplacé par un conseil ou porte un nom différent comme directeur général des finances[96]. Il dirige l'administration financière qui comprend : la gestion du trésor royal, l'établissement du budget, la gestion des impôts, dudomaine royal et de la monnaie. Il a la tutelle de laFerme générale et contrôle l'ensemble des activités économiques[97]. Il s'agissait d'un système de franchise douanière et fiscale dans lequel des particuliers achetaient le droit de percevoir lataille au nom du roi, par le biais d'adjudications de six ans (certaines taxes comme les aides et la gabelle étaient déjà exploitées de cette manière dès 1604). Les principaux percepteurs d'impôts de ce système étaient connus sous le nom de « fermiers généraux ».
Le contrôleur général est aidé par l'administration centrale des finances qui comprend plusieurs départements. Le premier commis des finances gère, avec le contrôleur général, le trésor royal. Les intendants des finances dirigent les départements comme un ministère avec une large autonomie[98]. Lesintendants du commerce sont les rapporteurs et les animateurs du bureau du commerce[99]. En 1791, le contrôle général des finances est remplacé par leministère des contributions et revenus publics et par leministère de l'intérieur pour ses tâches non financières[100].
Rémunération des fonctions publiques et vénalité des charges
Dans le but d'augmenter ses revenus, l'État recourait souvent à la création de nouvelles charges. Avant que cela ne soit rendu illégal en 1521, il était possible de laisser ouverte la date à laquelle le transfert du titre devait prendre effet. En 1534, une règle adaptée de la pratique ecclésiastique rendait nul le droit du successeur si le titulaire précédent décédait dans les quarante jours suivant le transfert, et la charge revenait à l'État. Cependant, une nouvelle taxe, la survivance jouissante, protégeait contre cette règle[101]. En 1604,Sully créa une nouvelle taxe, lapaulette ou « taxe annuelle » correspondant à un soixantième de la charge officielle, qui permettait au titulaire du titre d'être exempté de la règle des quarante jours. La paulette et la vénalité des charges devinrent des préoccupations majeures lors des révoltes parlementaires des années 1640, appelées laFronde.
L'État exigeait également un « don gratuit », que l'Église percevait auprès des titulaires de fonctions ecclésiastiques sous forme d'impôts appelés ladîme (environ un vingtième de la charge officielle, créée sousFrançoisIer). Les finances de l'État dépendaient également fortement des emprunts, tant privés (auprès des grandes familles bancaires européennes) que publics. La principale source publique d'emprunt était le système des rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris, une sorte de système d'obligations d'État offrant aux investisseurs un intérêt annuel. Ce système a été mis en place pour la première fois en 1522 sous François Ier. Jusqu'en 1661, le chef du système financier en France était généralement lesurintendant des finances. Cette année-là, le surintendantNicolas Fouquet perdit le pouvoir et son poste fut remplacé par celui, moins puissant, decontrôleur général des finances.
Le premier impôt direct qui se généralise est lefouage, qui a l'inconvénient de ne pas être précis dans ses prévisions. Lataille le remplace progressivement dans le royaume et devient monopole royal en1439 puisque les seigneurs ont interdiction de la lever[102]. Les nobles (qui versent l'impôt du sang) et les clercs en sont exempts, mais l'Église paie ladécime[103]. Parmi les impôts indirects, lagabelle du sel tient une place à part. Elle est gérée par les grenetiers, des agents royaux qui vendent le sel. La gabelle est différente selon les pays de« petite » et« grande » gabelle et exempt dans certains autres. Les marchandises sont taxées à l'exportation, car il est considéré que cela diminue la richesse du royaume[104].
Pour percevoir les impôts indirects sont créées les fermes. À l'origine, chaque impôt possède plusieurs fermes distinctes qui ont des pouvoirs comme la commercialisation ou la fiscalité et qui collaborent avec les agents royaux qui possèdent les pouvoirs de justice et de police. À partir d'HenriIII, l'État entame un processus pour centraliser les fermes avec lescinq Grosses fermes. Les fermiers doivent s'engager à verser une somme globale chaque année. En1726 est créée laFerme générale qui devient une administration qui ne relève pas juridiquement de l'État[100], mais qui comprend des dizaines de milliers de personnes qui ont un statut semblable aux fonctionnaires[100].
Jusqu'à la fin duXVIIe siècle, les percepteurs d'impôts étaient appelésreceveurs. Parmi les formes d'imposition, il existait letaillon (un impôt à des fins militaires), lagabelle (une taxe nationale sur le sel), lesaides sur divers produits (vin, bière, huile et autres marchandises), des droits de douane locaux sur des produits spécialisés (ladouane) ou prélevés sur les produits entrant dans la ville (l'octroi) ou vendus dans les foires, ainsi que des impôts locaux. Enfin, l'Église bénéficiait d'un impôt obligatoire oudîme.
Louis XIV créa plusieurs systèmes fiscaux supplémentaires, notamment lacapitation, qui débuta en 1695 et concernait toutes les personnes, y compris les nobles et le clergé, bien qu'il fût possible d'acheter une exemption moyennant une somme forfaitaire importante, et la « dixième » (1710-1717, reprise en 1733), qui fut instaurée pour soutenir l'armée et constituait un véritable impôt sur le revenu et la valeur des biens immobiliers. En 1749, sousLouisXV, un nouvel impôt basé sur la dixième, levingtième, fut instauré pour réduire le déficit royal et fut maintenu pendant le reste de l'Ancien Régime.
Les administrations financières commencent à s'étendre dans les provinces aux environs duXVe siècle. Elles sont issues d'institutions uniques situées au début àParis. Au sommet de la hiérarchie se trouvent plusieurs cours souveraines comme leschambres des comptes, qui ont comme mission de contrôler la comptabilité publique et la conservation dudomaine royal, lescours des aides, compétentes en matière de finances extraordinaires et lescours des monnaies (émissions des monnaies et conservation des poids-étalons). En dessous, lesbureaux des finances sont créés en1577 pour faire le lien avec les cours supérieures et l'administration fiscale locale[105]. En dessous, certains impôts possèdent leurs institutions propres et forment cet échelon local. Ils sont au nombre de trois : lesélections qui relèvent les impôts d'anciennes créations que sont lataille et lesaides, lesgreniers à sel qui perçoivent lagabelle et lestraites qui représentent les droits de douane à l'entrée et à la sortie du royaume où de certaines provinces à d'autres[106].
La fonction la plus importante du roi est de rendre la justice à ses sujets. Cette tâche lui vient dusacre lors duquel il est admis que la justice est alors déléguée parDieu aux monarques. Le roi ne peut pas exercer personnellement la justice ; il doit donc la déléguer à un personnel qualifié. La justice est considérée comme déléguée lorsqu'elle est exercée par des magistrats au nom du roi et retenue lorsque le roi et sonconseil interviennent directement dans une affaire. La justice royale déléguée comprend les juridictions de droit commun et les juridictions d'exception. Les premières forment une hiérarchie pyramidale comprenant quatre degrés. En bas, lesprévôtés,vicomtés etchâtellenies datent duXIe siècle, viennent ensuite lesbailliages et sénéchaussées qui apparaissent auXIIe siècle, puis lesprésidiaux créés en1552 et enfin lesparlements etconseils souverains. Le conseil du roi, cour suprême de justice est tout en haut de l'édifice. Les juridictions d'exception sont habilitées à juger certaines catégories d'affaires ou de personnes. Des tribunaux supérieurs peuvent intervenir dans une affaire en cours devant un tribunal inférieur et s'en saisir par une procédure d'évocation[107].
Laprévôté (appelée aussi : châtellenie, vicomté, viguerie, bailie ou jugerie selon les provinces) est la plus petite et la plus ancienne des juridictions royales locales. Elle reçoit principalement les affaires civiles et criminelles desroturiers en première instance. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, son personnel est composé d'un juge et d'un greffier, puis s'accroît et se spécialise avec des lieutenants, conseillers et procureurs du roi[108]. Lebailliage et sénéchaussée est créé par lesducs de Normandie et repris par les rois de France à la fin duXIIe siècle avec pour mission principale de contrôler le travail desprévôts. Au fil des siècles, ils perdent leurs compétences administratives et militaires, pour ne garder que leurs pouvoirs judiciaires[109]. Ils jugent en appel les affaires des tribunaux royaux inférieurs, seigneuriaux et municipaux. En première instance, ils jugent les affaires concernant les nobles et le roi. Sous l'Ancien Régime, le bailli ne réside pas dans sa circonscription et laisse des magistrats exercer ses attributions[108].
Leprésidial est créé en1552 pour rapprocher la justice des justiciables. Il peut juger les délits et crimes des gens de guerre, ainsi que des affaires civiles en première ou dernière instance en fonction des sommes en jeu. L'institution décline au fil des années, victime de l'hostilité des parlements. La composition des tribunaux varie et neuf juges sont nécessaires pour rendre une sentence. Le présidial deParis, leChâtelet, occupe une place spéciale dans l'organisation judiciaire puisque son chef est le roi, représenté par le garde de la prévôté de Paris et que sa compétence s'étend à l'ensemble du royaume pour certaines affaires. C'est aussi un tribunal d'exception qui donne le droit à certaines communautés religieuses et à l'université de Paris de n'être jugées qu'au Châtelet[108].
Leparlement et lesconseils souverains sont créés entre leXIIIe siècle et leXVIIIe siècle par, selon les provinces, démembrement d'un ressort existant, transformation d'une cour seigneuriale ou simple création. Ils ont des attributions judiciaires de dernière instance, ils sont cour d'appel pour l'ensemble des juridictions inférieures de droit commun, ainsi que les juridictions seigneuriales, municipales, spécialisées et certaines affaires ecclésiastiques. Ils jugent aussi des affaires d'exception comme celle touchant la couronne. Leparlement de Paris a des compétences spécialisées comme celle de juger les princes etpairs de France. Un parlement est composé de plusieurs chambres permanentes et temporaires ; la Grand-Chambre, est la plus importante, le roi y tientlit de justice et les décisions les plus importantes y sont prises ; la chambre des requêtes a pour mission de recevoir les particuliers et de les envoyer devant la juridiction compétente, puis à l'époque moderne de juger en première instance ; la chambre des enquêtes instruit les affaires pour le compte de la Grand-Chambre. Un parlement est dirigé par le premier président, puis chaque chambre a son propre président. Le gros de l'effectif est composé des conseillers qui ont voix délibérative, des magistrats et auxiliaires de justice[110].
La justice retenue est exercée par le roi en personne. Elle devient très rare sous l'Ancien Régime et s'exerce de différentes manières. Le lit de justice est une séance solennelle du parlement en présence du roi. Le pouvoir de délégation des magistrats est alors suspendu et le parlement devient un simple organe de conseil. Le roi exerce aussi la justice à l'aide deslettres de cachet. Il s'agit de priver des personnes de liberté pour empêcher la justice ordinaire de tenir son rôle. Elles sont utilisées pour empêcher des procès qui nuiraient aux intérêts du royaume ou de la famille royale. Elles doivent être vérifiées par lelieutenant-général de police pour valider le bien-fondé et éviter les abus de pouvoir. Le roi dispose aussi dudroit de grâce qui lui permet d'annuler une peine[111].
À côté de la justice royale, il existe des dizaines de milliers de tribunaux seigneuriaux chacun avec des compétences diverses, mais aussi des tribunaux municipaux dont les compétences sont réduites à partir duXVIe siècle. À la fin du Moyen Âge, les juristes développent la théorie selon laquelle le roi étant le seigneur des seigneurs, ceux-ci rendraient alors la justice en son nom. L'État royal réduit au fil des siècles les compétences de la justice non royale en théorisant la notion de« cas royal » qui réserve au roi les affaires considérées comme importantes ou engageant sa souveraineté. De plus, elles sont limitées, puisqu'il est possible de faire appel d'une décision d'un tribunal non royal auprès d'un tribunal royal[107].
Avec la dislocation de l'État royal vers leXe siècle, les seigneurs récupèrent une partie du pouvoir judiciaire. Selon les régions, le seigneur exerce la basse (notamment la justice foncière) ou la haute justice (justice de sang qui permet notamment de prononcer lapeine de mort). Le fonctionnement des tribunaux seigneuriaux n'obéit à aucune règle, seulement à la volonté du seigneur. La majorité descoutumes reconnaissent que la cour doit être composée de quatre vassaux au minimum. Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que les cours seigneuriales se professionnalisent[112]. À partir duXIIe siècle, une lutte commence avec le pouvoir royal, pour contrôler et abaisser la puissance de cette justice, avec l'introduction de trois recours : l'appel, la prévention et les cas réservés au roi[113]. La justice seigneuriale fonctionne encore à la veille de laRévolution, mais les jugements importants doivent être confirmés par unparlement et elle règle surtout les conflits de proximité[114].
La justice ecclésiastique a pour mission de juger les affaires internes de l'Église et les fidèles en matière de foi et de morale. Un processus est entamé pour un contrôle royal des tribunaux d'Église, notamment avec la notion d'abus auXVe siècle qui permet de faire appel devant les tribunaux royaux si un juge d'Église dépasse les bornes de sa compétence[115]. Cet ordre judiciaire est aboli en août1790[116].
La juridiction principale est celle desévêques dans le cadre de leurdiocèse. Accaparés par leurs nombreuses tâches, ils délèguent dès leXIIe siècle leurs fonctions judiciaires à un juge appelé l'official qui est aidé par une administration. Des juridictions d'exception, appeléesInquisitions, sont mises en place entre leXIIe et leXIVe siècle pour juger leshérétiques selon une procédure spéciale[117]. À partir duXIIIe siècle, le pouvoir royal s'emploie à réduire les compétences de la justice d'Église dans de nombreux domaines qui relèvent aussi bien de la foi que du maintien de l'ordre. La royauté introduit les concepts des cas privilégiés et d'abus. LaPragmatique Sanction de Bourges, promulguée en1438, permet au roi de contrôler la justice ecclésiastique[118].
La justice municipale s'étend à l'ensemble des habitants d'une ville. Leur compétence varie d'une commune à l'autre et rares sont celles qui ont pleine justice, elles sont le plus souvent partagées avec le seigneur. Les institutions et le droit appliqué varient selon les régions et les chartes délivrées. La justice peut être rendue par un agent du seigneur, un tribunal de police composé des habitants, les maires ou encore les échevins[119]. La justice municipale décline à partir duXVIe siècle, sous l'effet des mesures législatives du pouvoir royal et des dispositions particulières appliquées aux villes rebelles. AuXVIIIe siècle, la majorité des villes ne conservent plus que les attributions de police, hormis certaines villes très fidèles à la couronne commeToulouse[114].
Le personnel judiciaire se fixe au cours duXVIe siècle. Il est divisé en deux catégories d'officiers : les magistrats et les auxiliaires de justice. Les magistrats du siège sont ceux qui jugent les affaires, ils sont divisés en trois catégories : les magistrats principaux qui dirigent le tribunal (appelés président dans lescours souveraines etprésidiaux et lieutenant dans les juridictions inférieures) ; les conseillers qui étudient et jugent les procès ; et les magistrats spécialisés qui occupent des fonctions particulières. Le parquet, dont les origines remontent auXIIIe siècle, est chargé de défendre les intérêts du roi et de la société pour assurer le bien commun. Il est composé du procureur du roi qui dirige le parquet dans la juridiction et des avocats du roi qui portent la parole du roi dans les procès. Les magistrats sont aidés dans leurs tâches par des auxiliaires de justice : les greffiers qui consignent par écrit les décisions du tribunal ; les huissiers et sergents qui assurent le déroulement de l'audience et signifient les sentences ; les procureurs qui rédigent et suivent la procédure ; les comptables qui encaissent les frais de justice et le produit des amendes[120].
Lescours souveraines suivantes étaient des tribunaux supérieurs dont les décisions ne pouvaient être révoquées que par « le roi en conseil ». Le chef du système judiciaire en France était lechancelier.
Parlements – au nombre de 14 au total :Paris,Toulouse,Aix,Besançon,Bordeaux,Dijon,Douai,Grenoble,Metz,Nancy,Pau,Rennes,Rouen etTrévoux (de 1523 à 1771). Il y eut également un parlement en Savoie (Chambéry) de 1537 à 1559. À l'origine, les parlements n'avaient qu'une fonction judiciaire (cours d'appel pour les tribunaux civils et ecclésiastiques inférieurs), mais ils commencèrent à assumer des fonctions législatives limitées. Le parlement le plus important, tant sur le plan administratif (couvrant la majeure partie du nord et du centre de la France) que sur le plan du prestige, était le parlement de Paris, qui était également la cour de première instance pour lespairs du royaume et pour les affaires régaliennes.
Conseils souverains –Colmar,Perpignan,Arras et¨Bastia (de 1553 à 1559). Un conseil souverain siégeait anciennement en Flandre, Navarre et Lorraine, et par la suite transformé en parlements. Les conseils souverains étaient des parlements régionaux dans les terres récemment conquises.
Chambre des comptes –Paris,Dijon,Blois,Grenoble,Nantes. La chambre des comptes supervisait les dépenses des fonds publics, la protection des terres du domaine royal et les questions juridiques relatives à ces domaines.
Cours des aides – Paris, Clermont, Bordeaux, Montauban. Le cours des aides supervisait les affaires dans les pays d'élections, souvent liées aux taxes sur le vin, la bière, le savon, l'huile, les métaux, etc.
Cours des monnaies – Paris, égalementLyon (de 1704 à 1771) et Bar-le-Duc et Nancy après 1776. La cour des monnaies supervisait la monnaie, les pièces et les métaux précieux.
Grand Conseil – créé en 1497 pour superviser les affaires concernant les bénéfices ecclésiastiques. Parfois, le roi sollicitait l'intervention du Grand Conseil dans des affaires jugées trop controversées pour le parlement.
Les tribunaux et le droit dans les terres seigneuriales, y compris celles détenues par l'Église ou situées dans les villes, étaient généralement supervisés par leseigneur ou ses représentants. AuXVe siècle, une grande partie des compétences juridiques du seigneur fut transférée auxbailliages ou sénéchaussées et auxprésidiaux, ne laissant au seigneur que les affaires concernant lesredevances et les droits seigneuriaux, ainsi que les petites affaires de justice locale. Seuls certains seigneurs, ceux qui détenaient le pouvoir de haute justice (la justice seigneuriale était divisée en « haute », « moyenne » et « basse » justice), pouvaient prononcer lapeine de mort, et uniquement avec le consentement des présidiaux.
Afin de réduire la charge de travail des parlements, certains bailliages se virent attribuer des pouvoirs étendus parHenriII, appelés présidiaux. Les prévôts ou leurs équivalents étaient les juges de première instance pour les non-nobles et les ecclésiastiques. Dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, ils siégeaient seuls, mais devaient consulter certains avocats ou procureurs, qu'ils choisissaient eux-mêmes. Pour employer le terme technique, ces avocats étaient « convoqués à leur conseil ». Les appels de leurs sentences étaient portés devant les bailliages, qui avaient également compétence enpremière instance pour les actions intentées contre les nobles. Les bailliages et les présidiaux étaient également les premières instances pour certains crimes appelés « cas royaux », qui relevaient auparavant de la compétence des seigneurs locaux :sacrilège,lèse-majesté,enlèvement,viol,hérésie,falsification de monnaie,sédition,insurrection etport d'armes illégal. Les appels des décisions d'un bailliage étaient portés devant les parlements régionaux. Le plus important des tribunaux royaux était la prévôté et le présidial de Paris, leChâtelet, qui était supervisé par leprévôt de Paris, des lieutenants civils et criminels, et un officier royal chargé de maintenir l'ordre public dans la capitale, lelieutenant général de police de Paris.
Le gouverneur de province est généralement choisi dans la haute noblesse ou parmi les maréchaux de France. SousHenriIV etLouisXIII, il jouit d'une grande indépendance et il lui arrive de se révolter, comme lemaréchal de Biron enBresse, lemaréchal de La Force enBéarn ou leduc de Montmorency enLanguedoc[126]. Lecardinal de Richelieu procède à une purge sévère : de dix-neuf gouverneurs en place en 1624 au début de son ministère, il n'en reste que quatre à sa mort en 1642[127]. Le pouvoir royal peut également laisser vacant un gouvernement comme entre 1661 et 1671, pour la Guyenne[128]. Le gouverneur est assisté par un ou plusieurslieutenants de roi selon la taille de la province, généralement des militaires aguerris ; en 1776, le nombre des lieutenants généraux de ville,place forte ou château est réduit à cent-soixante-seize[129]. Ces lieutenants généraux prennent le véritable commandement de l'armée[124].
Il faut attendre l'ordonnance du pour que le statut des gouverneurs soit uniformisé comme équivalent aux grades militaires. On compte alors trente-neuf gouvernements généraux dont dix-huit de première classe, fonctions réservées auxprinces du sang etmaréchaux de France avec un traitement de 18 000 à 60 000livres, et vingt-et-un de seconde classe, correspondant au grade delieutenant général des armées, avec un traitement de 21 000 à 30 000 livres. Enfin, sont compris cent-quatorze gouvernements particuliers dont vingt-cinq de1re classe (12 000 livres), vingt-cinq de2e classe (10 000 livres) et soixante-quatre de3e classe (8 000 livres)[121]. Avec lacréation des départements en1790, les charges de gouverneur, lieutenant général et lieutenant de roi sont abolies par décret de l'Assemblée constituante. Les titulaires continuent de toucher leurs appointements jusqu'au. Ceux qui avaient reçu leur charge en récompense de leurs services voient leur revenu converti en pension[130].
C'est à partir duXVIe siècle, que des ambassadeurs permanents font leur apparition[131]. Le département des affaires étrangères est créé en1589 (supprimé de1624 à1626), il est responsable de la correspondance avec les chefs d'État et avec les agents diplomatiques accrédités par la France. Il a aussi comme compétence de s'occuper du commerce extérieur, en concurrence avec d'autres bureaux. Lesecrétaire d'État est membre duconseil d'en haut qui délibère principalement sur la politique étrangère. AuXVIIIe siècle, les compétences sont scindées entre le département politique, les services spécialisés et les agents rattachés à aucun service[132].
Les bureaux du département politique sont dirigés par un premier commis ayant sous ses ordres trois à six commis. Les attributions sont, selon les époques, divisées en secteurs géographiques ou simplement en deux bureaux, un du Nord et un du Midi. Les services spécialisés apparaissent au fur et à mesure, d'abord avec le dépôt des archives, puis le bureau des fonds chargé de gestion financière, mais aussi de tâches administratives comme la délivrance de passeport, le bureau des interprètes, le bureau topographique et un bureau géographique pour conserver les cartes. Le secrétaire d'État peut faire appel à des conseils ou des experts pour résoudre des problèmes de droit international comme le service d'unjurisconsulte pour le droit germanique. SousLouisXV, une diplomatie occulte est mise en place à côté de la diplomatie officielle[133].
L'ambassadeur représente la personne du roi. Lors de son départ de France, il reçoit des instructions qui définissent les lignes directrices de sa mission. Le roi n'envoie pas des ambassadeurs partout. Dans certains pays, il entretient des légations et des résidences, voire des envoyés occasionnels pour les souverains lointains. La hiérarchie est la suivante : ambassadeurs, ministre plénipotentiaire et les résidents. Tous sont secondés par des secrétaires qui peuvent s'occuper des affaires en cas d'indisponibilité de leur supérieur. Durant sa mission, l'ambassadeur entretient une correspondance avec le Secrétaire d'État pour l'informer de la situation politique, mais aussi pour conclure des traités[134].
L'armée est réformée en profondeur auXVIIe siècle. L'administration civile est développée pour gérer l'armée et la hiérarchie militaire est réorganisée pour favoriser l'avancement au mérite à la petite noblesse et à la bourgeoisie. Une ébauche deconscription est mise en place avec lamilice provinciale, une armée de réserve composée d'hommes tirés au sort. Le service d'ost est convoqué pour la dernière fois en1703[135]. Le secrétariat d'État à la Guerre est créé en1472. Ses attributions augmentent au fil des années jusqu'à posséder l'ensemble des attributions militaires au milieu duXVIIIe siècle, surtout après la disparition de la charge connétable en1627[136]. L'administration centrale du département de la guerre commence à se développer en1635. Au fil des guerres, elle s'organise et se structure en bureaux spécialisés[137]. En1791, le secrétariat d'État à la Guerre est remplacé par leministère de la guerre, sans continuité avec l'ancienne administration[138].
C'est sousRichelieu qu'est créée une véritable administration pour la Marine royale, en unissant et centralisant les charges liées au pouvoir maritime, avec la création du titre degrand-maître de la navigation et sa nomination à ce poste en 1626. L'année suivante, la charge d'amiral est supprimée, car dotée d'un trop grand pouvoir autonome. Jusqu'en 1635, il achète ou fait disparaître les charges concurrentes, à cette date il possède la totalité du pouvoir maritime[139]. La charge de grand-maître de la navigation est supprimée et celle d'amiral rétablie en 1669, mais elle devient essentiellement honorifique et souvent exercée par des enfants pour ne pas gêner le secrétaire d'État de la marine qui exerce la réalité du pouvoir maritime, malgré des tensions lorsque le titulaire de la charge d'amiral devient majeur. Le secrétariat d'État de la marine est à la tête des administrations militaires et commerciales et possède le pouvoir sur les flottes, les ports et arsenaux, les consulats, les colonies, ainsi que la tutelle des compagnies de commerce[140].
L'Espagne disposait d'un certain nombre d'atouts majeurs en dehors de son territoire national. Elle contrôlait d'importants territoires en Europe et dans leNouveau Monde. Lescolonies américaines espagnoles produisaient d'énormes quantités d'argent, qui étaient acheminées vers l'Espagne tous les deux ou trois ans par convois. L'Espagne présentait toutefois de nombreuses faiblesses. Son économie nationale était pauvre, avec peu d'activités commerciales, industrielles ou artisanales avancées. Elle devait importer la quasi-totalité de ses armes et sa grande armée était mal entraînée et mal équipée. Elle disposait d'une petite marine, car la navigation n'était pas une priorité pour les élites. Les gouvernements locaux et régionaux ainsi que la noblesse locale contrôlaient la plupart des décisions. Le gouvernement central était assez faible, avec une bureaucratie médiocre et peu de dirigeants compétents. Le roiCharlesII régna de 1665 à 1700, mais était en très mauvaise santé physique et mentale[142].
Cependant, une coalition d'ennemis opposés à cette expansion rapide de la puissance française se forma rapidement, et une grande guerre éclata de 1701 à 1714[146]. Pour les ennemis de la France, l'idée que celle-ci puisse acquérir une puissance considérable en s'emparant de l'Espagne et de toutes ses possessions européennes et d'outre-mer était inacceptable. Les ennemis de la France formèrent uneGrande Alliance, menée parLéopoldIer qui comprenait laPrusse et la plupart des autres États allemands, les Provinces-Unies, lePortugal, la Savoie et l'Angleterre. L'alliance adverse était principalement composée de la France et de l'Espagne, mais comprenait également quelques petits princes et ducs allemands enItalie. De nombreux combats ont eu lieu aux Pays-Bas, mais l'ampleur de la guerre a de nouveau changé lorsque l'empereur Léopold Ier et son fils et successeur,JosephIer, sont morts. Cela a laissé l'archiducCharles, deuxième fils de Léopold et frère cadet de Joseph, comme candidat de l'Alliance à la fois au trône d'Espagne et au Saint-Empire[147].
Le quart de siècle qui a suivi le traité d'Utrecht fut paisible, sans guerre majeure. Les principales puissances se sont épuisées dans les conflits armés et ont subi de nombreuses pertes humaines, des vétérans invalides, des marines ruinées, des coûts de retraite élevés, des emprunts lourds et des impôts élevés. En 1683, les impôts indirects rapportaient118 000 000livres, mais en 1714, ces recettes avaient chuté à46 000 000 livres[149].
Cette mort risquait de plonger la France dans une nouvelle guerre. Le principal responsable de la politique étrangère française est alors lecardinal de Fleury, qui reconnaissait la nécessité pour la France de se reconstruire et menait donc une politique pacifique[150],[151].
La monarchie française était irrévocablement liée à l'Église catholique (les rois étaient ainsi connus commefils aînés de l'Église) et les théoriciens français dudroit divin des rois et dupouvoir sacerdotal à la Renaissance avaient explicité ces liens.HenriIV ne put accéder au trône qu'après avoir abjuré le protestantisme. Le pouvoir symbolique du monarque catholique était manifeste lors de soncouronnement (le roi était oint d'huile bénite àReims) et la population croyait qu'il pouvait guérir lascrofule en imposant les mains.
Lafaculté de théologie de Paris (laSorbonne) disposait d'uncomité de censure qui examinait les publications afin de s'assurer de leur orthodoxie religieuse. Les guerres de Religion ont toutefois vu leur contrôle sur la censure passer au parlement, puis, auXVIIe siècle, auxcenseurs royaux, bien que l'Église ait conservé undroit de pétition. L'Église était le principal fournisseur d'écoles (écoles primaires et « collèges ») et d'hôpitaux (« hôtel-Dieu », lesSœurs de la Charité) et le distributeur de secours aux pauvres dans la France pré-révolutionnaire.
Bien qu'exemptée de lataille, l'Église était tenue de verser à la couronne un impôt appelé « don gratuit », qu'elle percevait auprès de ses titulaires de fonctions, à hauteur d'environ un vingtième du prix de la fonction (c'était la « décime », réévaluée tous les cinq ans). À son tour, l'Église exigeait de ses paroissiens une taxe obligatoire, appelée « dîme ».
Bien que l'Église ait été attaquée auXVIIIe siècle par lesphilosophes des Lumières et que le recrutement de clercs et de moines ait diminué après 1750, les chiffres montrent que dans l'ensemble, la population est restée profondément catholique (l'absentéisme aux offices religieux ne dépassait pas 1 % au milieu du siècle)[152]. À la veille de la Révolution, l'Église possédait plus de 7 % des terres du pays (les chiffres varient) et générait des revenus annuels de 150 millions de livres.
LaPragmatique Sanction de Bourges (1438), abrogée parLouisXI mais rétablie par lesÉtats généraux de Tours en 1484, confiait l'élection des évêques et des abbés auxchapitres cathédraux et auxabbayes de France, privant ainsi le pape du contrôle effectif de l'Église française et permettant la naissance d'une Église gallicane. Cependant, en 1515,FrançoisIer signa un nouvel accord avec le papeLéonX, leConcordat de Bologne, qui donnait au roi le droit de nommer les candidats et au pape le droit d'investiture. Cet accord provoqua la colère des gallicans, mais donna au roi le contrôle des fonctions ecclésiastiques importantes, dont il pouvait faire bénéficier les nobles.
AuXVIe siècle, leclergé régulier (les membres des ordres religieux catholiques) comptait plusieurs dizaines de milliers de personnes en France. Certains ordres, comme lesBénédictins, étaient principalement ruraux ; d'autres, comme lesDominicains (également appelés « Jacobins ») et lesFranciscains (également appelés « Cordeliers ») opéraient dans les villes[47].
Jusqu'à la Révolution française, la communauté monastique constituait un élément central de la vie économique, sociale et religieuse de nombreuses localités sous l'Ancien Régime. De la fin des guerres de Religion à la Révolution française,Menat, une abbaye cluniale fondée en 1107, régnait sur lavallée de la Sioule, dans la région nord-ouest dudiocèse de Clermont. Les moines étaient de grands propriétaires terriens et avaient développé un ensemble diversifié et complexe de liens avec leurs voisins. Ils bénéficiaient de droits seigneuriaux, fournissaient du travail aux pauvres des campagnes et étaient en contact quotidien avec les notaires, les marchands et les chirurgiens. Bien qu'ils ne géraient pas directement la vie religieuse des fidèles, qui était assurée par les curés, les moines en étaient une force motrice en mettant en place un clergé paroissial, en fournissant des aumônes et des services sociaux et en jouant le rôle d'intercesseurs.
À la veille de la Révolution, les communautés de religieuses en France comptaient en moyenne 25 membres et leur âge médian était de 48 ans. Les religieuses entraient plus tardivement dans les ordres et vivaient plus longtemps que jamais. En général, elles possédaient peu de richesses. Le recrutement variait d'une région à l'autre et selon le mode de vie du couvent (actif ou contemplatif, austère ou opulent, classe inférieure ou classe moyenne). La nature du monachisme masculin et féminin différait considérablement en France avant et pendant la Révolution. Lescouvents avaient tendance à être plus isolés et moins contrôlés par le pouvoir central, ce qui les rendait plus diversifiés que les monastères masculins[154].
Leprotestantisme français, largementcalviniste, trouvait son soutien auprès de la petite noblesse et des classes commerçantes. Ses deux principaux bastions étaient lesud-ouest de la France et laNormandie, mais même là, les catholiques étaient majoritaires. Le protestantisme en France était considéré comme une grave menace pour l'unité nationale, car la minorité huguenote se sentait plus proche des calvinistes allemands et néerlandais que de ses compatriotes français. Afin de consolider leur position, les Huguenots s'alliaient souvent aux ennemis de la France. L'animosité entre les deux camps conduisit auxguerres de Religion françaises et au tragiquemassacre de la Saint-Barthélemy. Les guerres de Religion prirent fin en 1593, lorsque le huguenotHenriIII de Navarre, qui était déjà de fait roi de France, se convertit au catholicisme et fut reconnu par les catholiques et les protestants comme le roiHenriIV de France (r. 1589-1610).
De l'édit de Nantes à l'édit de Fontainebleau (1598-1685)
Une série de guerres civiles appeléesrébellions huguenotes, qui éclatèrent dans lesud de la France dans les années 1620, furent longtemps considérées par les historiens comme des querelles régionales entre familles nobles rivales. De nouvelles analyses montrent que ces guerres civiles étaient en fait de nature religieuse et constituaient les vestiges des guerres de Religion françaises, qui avaient largement pris fin avec l'édit de Nantes. Les conflits dans les provinces du Languedoc et de Guyenne ont vu les catholiques et les calvinistes recourir à la destruction d'églises, à l'iconoclasme, aux conversions forcées et à l'exécution des hérétiques comme armes de prédilection.
Montpellier figurait parmi les plus importantes des soixante-sixvilles de sûreté que l'édit de 1598 avait accordées aux Huguenots. Les institutions politiques et l'université de la ville furent confiées aux huguenots. Les tensions avec Paris conduisirent à unsiège par l'armée royale en 1622. Les conditions de paix exigeaient le démantèlement des fortifications de la ville. Une citadelle royale fut construite, et l'université et le consulat furent repris par les catholiques. En 1628, le cardinal de Richelieu s'empara deLa Rochelle après unlong siège. L'année suivante, letraité d'Alès laissa aux Huguenots leur liberté religieuse, mais révoqua leurs libertés militaires.Montauban, qui avaitrésistée au cours d'un siège en 1621, est la dernière ville àremettre sa reddition en, peu après la signature de la paix d'Alès.
Litographie de Gottfried Engelmann d'après un dessin original réalisé en 1686 par un auteur inconnu. Le« dragon missionnaire » menace un« hérétique signant la conversion » (protestant) avec un fusil en lui déclarant :« Qui peut me résister est bien fort », auquel le second répond :« La force passe la raison ».
La révocation interdisait les services protestants, exigeait que les enfants soient éduqués dans la religion catholique et interdisait la plupart des émigrations huguenotes. Cela s'est avéré désastreux pour les Huguenots et coûteux pour la France, car cela a précipité les effusions de sang civiles, ruiné le commerce et entraîné la fuite illégale du pays d'environ 180 000 protestants, dont beaucoup sont devenus des intellectuels, des médecins et des chefs d'entreprise enAngleterre, enÉcosse, auxPays-Bas, enPrusse et en Afrique du Sud ; 4 000 d'entre eux se sont également rendus dans les colonies américaines[155],[156].
Les Huguenots qui restèrent en France se convertirent au catholicisme et furent appelés « nouveaux convertis ». Seuls quelques villages protestants subsistèrent dans des régions isolées[155],[156].
Dans les années 1780, les protestants représentaient environ700 000 personnes, soit 2 % de la population. Ce n'était plus la religion préférée de l'élite, car la plupart des protestants étaient des paysans, le protestantisme étant toujours illégal. La loi était rarement appliquée, mais elle pouvait constituer une menace ou une nuisance pour les protestants. Les calvinistes vivaient principalement dans le sud de la France, et environ200 000luthériens vivaient en Alsace, où letraité de Westphalie de 1648 les protégeait encore[157].
Il y avait aussi environ40 000 à50 000 Juifs en France, principalement concentrés à Bordeaux, Metz et dans quelques autres villes. Ils avaient des droits et des opportunités très limités, à l'exception du prêt d'argent, mais leur statut était légal[158].
Le pouvoir politique était largement dispersé parmi les élites. Les cours de justice appeléesparlements étaient puissantes, en particulier celle de France. Cependant, le roi ne disposait que d'environ 10 000 fonctionnaires au service de la couronne, ce qui était très peu pour un grand pays où les communications internes étaient très lentes en raison d'un réseau routier inadéquat. Les déplacements étaient généralement plus rapides par bateau océanique ou fluvial[159]. Les différentsordres du royaume (le clergé, la noblesse et les roturiers) se réunissaient parfois au sein desÉtats généraux, mais dans la pratique, ceux-ci n'avaient aucun pouvoir puisqu'ils pouvaient adresser des pétitions au roi, mais ne pouvaient pas adopter eux-mêmes des lois.
L'Église catholique contrôlait environ 40 % des richesses du pays, qui étaient immobilisées dans des dotations à long terme pouvant être augmentées mais non réduites. C'était le roi, et non le pape, qui nommait les évêques, mais il devait généralement négocier avec les familles nobles qui entretenaient des liens étroits avec les monastères et les institutions ecclésiastiques locaux. Lanoblesse venait en deuxième position en termes de richesse, mais elle n'était pas unie. Chaque noble possédait ses propres terres, son propre réseau de relations régionales et sa propre force militaire[159].
Les villes jouissaient d'un statut quasi indépendant et étaient largement contrôlées par les principaux marchands et corporations.Paris était de loin la plus grande ville, avec220 000 habitants en 1547 et une croissance régulière au fil des ans.Lyon etRouen comptaient chacune environ 40 000 habitants, mais Lyon disposait d'une puissante communauté bancaire et d'une culture dynamique.Bordeaux venait ensuite, avec seulement 20 000 habitants en 1500[159]. Le rôle des femmes a récemment fait l'objet d'une attention particulière, notamment en ce qui concerne leur religiosité[160],[161].
« La fermière en corvée » : caricature dépeignant lestrois ordres et commentée :« Il faut espérer que ce jeu là finira bientôt ».
Lespaysans constituaient la grande majorité de la population et, dans de nombreux cas, jouissaient de droits bien établis que les autorités devaient respecter. En 1484, environ 97 % des 13 millions d'habitants de la France vivaient dans des villages ruraux. En 1700, au moins 80 % des 20 millions d'habitants étaient des paysans. AuXVIIe siècle, les paysans étaient liés à l'économie de marché, fournissaient une grande partie des investissements nécessaires à la croissance agricole et changeaient fréquemment de village ou de ville. Lamobilité géographique, directement liée au marché et au besoin decapitaux d'investissement, était la principale voie d'accès à lamobilité sociale. Le noyau stable de la société française, composé desartisans des villes et desouvriers agricoles des villages, comprenait des cas de continuité sociale et géographique stupéfiante, mais même ce noyau avait besoin d'un renouvellement régulier[162].
L'acceptation de l'existence de ces deux sociétés, la tension constante entre elles et la grande mobilité géographique et sociale liée à l'économie de marché ont été les éléments clés de l'évolution de lastructure sociale, de l'économie et même du système politique de la France moderne. Le paradigme de l'École des Annales a sous-estimé le rôle de l'économie de marché, n'a pas su expliquer la nature des investissements en capital dans l'économie rurale et a largement exagéré la stabilité sociale[163]. Les revendications des paysans ont joué un rôle majeur dans les prémices de la Révolution française de 1789[164].
Les historiens ont exploré de nombreux aspects de la vie paysanne en France, tels que : la lutte contre la nature et la société, la vie et la mort dans un village de campagne, la pénurie et l'insécurité dans la vie agricole, une source de force paysanne via la communauté villageoise, les protestations paysannes et les soulèvements populaires ainsi que la révolution paysanne de 1789[165].
Pour certains observateurs, ce terme en est venu à désigner une certaine nostalgie.Talleyrand, par exemple, a lancé cette célèbre raillerie :
« Celui qui n'a pas vécu au dix-huitième siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu'il peut y avoir de bonheur dans la vie. C'est le siècle qui a forgé toutes les armes victorieuses contre cet insaisissable adversaire qu'on appelle l'ennui. L'Amour, la Poésie, la Musique, le Théâtre, la Peinture, l'Architecture, la Cour, les Salons, les Parcs et les Jardins, la Gastronomie, les Lettres, les Arts, les Sciences, tout concourait à la satisfaction des appétits physiques, intellectuels et même moraux, au raffinement de toutes les voluptés, de toutes les élégances et de tous les plaisirs. L'existence était si bien remplie qui si le dix-septième siècle a été le Grand Siècle des gloires, le dix-huitième a été celui des indigestions. »[166],[167]
— Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Mémoires du prince de Talleyrand : La Confession de Talleyrand (V. 1-5, Chapitre : La jeunesse (1754-1791) – Le cercle de Madame du Barry)
Cette affection était due au déclin perçu de la culture et des valeurs après la Révolution, au cours de laquelle l'aristocratie avait perdu une grande partie de son pouvoir économique et politique au profit d'une bourgeoisie considérée comme riche, grossière et matérialiste. Ce thème revient tout au long de la littérature française duXIXe siècle,Honoré de Balzac etGustave Flaubert s'attaquant tous deux aux mœurs des nouvelles classes supérieures. Dans cet état d'esprit, l'Ancien Régime incarnerait une époque révolue de raffinement et de grâce avant que la Révolution et les changements qui l'accompagnèrent n'instaurent une modernité grossière et incertaine. L'historienAlexis de Tocqueville s'est opposé à cette interprétation dans son ouvrageL'Ancien Régime et la Révolution, qui mettait en évidence la continuité des institutions françaises avant et après la Révolution.
Tentatives de rétablissement de l'Ancien Régime sous la Restauration (1815-1830)
Entre 1814 et 1848, la monarchie est rétablie sous une forme constitutionnelle : le roi exerce son autorité à travers un accord, connu sous le nom decharte (1814,1830). Cette charte détermine la distribution des pouvoirs entre le roi et les citoyens français, tout en reconnaissant et validant les réalisations de la Révolution française. Entre 1814 et 1848, trois rois se succèdent : Louis XVIII, Charles X, ainsi queLouis-PhilippeIer.
LaRestauration, qui peut être conçue dans un sens étroit (restauration des Bourbons sur le trône de France), peut aussi évoquer le retour au structures d'avant la Révolution française.Joseph de Maistre (1753-1821) etLouis de Bonald (1754-1840) ont théorisé leur attitude, qui a été ensuite adoptée par une petite noblesse provinciale favorable àLouisXVIII. LesChevaliers de la Foi, une organisation secrète, royaliste et catholique créée à Bordeaux en mars 1814, ambitionnaient déjà un retour à l'Ancien Régime.
Entrée de Charles X à Paris, par la barrière de la Villette, après son sacre. 6 juin 1825 (Louis-François Lejeune, 1825). Lesacre de Charles X est le dernier couronnement royal à avoir lieu en France, reliquat de la pratique d'Ancien Régime.
En même temps, l'échec desCent-Jours deNapoléonIer a engendré une série de persécutions contre les opposants à Louis XVIII, connues sous le nom de « Terreur Blanche », particulièrement sévères dans lesud de la France. Enfin, les triomphes électoraux des ultras sont attribués à un taux d'abstention élevé lors des élections de 1815, l'idéologie des ultras reposant sur un rejet profond de la Révolution française, ce qui les pousse à rejeter les principes de laCharte constitutionnelle.
Pendant leur mandat, les ultras adoptent des lois qui signalent un retour à l'Ancien Régime : une loi de sûreté générale autorise les arrestations sans motif, une autre d'amnistie est instaurée pour favoriser les partisans du Roi, l'épuration administrative est mise en place et un jour de commémoration nationale est établi le, date de l'exécution de Louis XVI en 1793. L'étranglement législatif se renforce à la suite de l'assassinat du duc de Berry, neveu du roi, seulhéritier présomptif après son pèreCharles d'Artois, par un ouvrier bonapartisteLouvel, le.
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