Le plus important changement qu'apporte ce nouvel alphabet par rapport à l'ancien système vient du fait qu'il adapte l'alphabet phénicien : il introduit l'écriture desvoyelles, sans lesquelles le grec serait illisible[1]. Les voyelles n'étaient pas transcrites à l'origine dans lesalphabets sémitiques : dans les premières familles d'écriture sémitiques occidentales (phénicien,hébreu,moabite, etc.), ungraphème représente toujours uneconsonne, en association avec une voyelle non spécifiée ou aucune voyelle : leslangues sémitiques fonctionnent principalement avec des racines de trois consonnes, les voyelles se déduisent sans difficulté du contexte. Le grec, en revanche, est unelangue indo-européenne et donc, lesvoyelles peuvent permettre de différencier deux mots.
L'alphabet grec a donc adapté l'alphabet phénicien et divisé ses lettres en deux catégories, les consonnes et les voyelles, et les consonnes doivent toujours être accompagnées d'une voyelle pour rendre possible la prononciation des syllabes.
Lesvoyelles d'origine sont « Α » (alpha), « Ε » (epsilon), « Ι » (iota), « Ο » (omicron) et « Υ » (upsilon). Puisque l'écriture phénicienne ne notait pas les voyelles, celles-ci sont adaptées deconsonnes phéniciennes qui étaient superflues engrec :
« » (aleph), qui en phénicien représentait le phonème [ʔ] (lecoup de glotte), a donné « Α » (alpha) qui représente [a] ;
« » (he), qui représentait [h], est devenu « E » (epsilon) qui en grec ancien représente [e] ;
« » (yod), qui représentait le son [j], est devenu « Ι » (iota) qui représente [i] ;
« » (ayin), qui représentait le son [ʕ], est devenu « Ο » (omicron) qui représente [o] ;
« » (waw), qui représentait [w], est devenu « Υ » (upsilon) qui représente [y].
Dans lesdialectes grecs du groupe oriental, qui n'utilisent pas l'aspiration, la lettre « Η » (êta), empruntée à laconsonnesémitique « ח » (het), a été utilisée pour noter la voyelle longue [ɛ] ; plus tard, la lettre « Ω » (oméga) a été introduite pour le son [ɔ].
Le grec a également introduit trois nouvelles consonnes : « Φ » (phi), « Χ » (chi) et « Ψ » (psi), ajoutées à la fin de l'alphabet à mesure de leur développement. Ces consonnes ont compensé l'absence d'uneaspiration comparable enphénicien. Dans le groupe occidental, lechi a été utilisé pour le son[ks][N 1], et lepsi pour le son [kʰ]. L'origine de ces lettres est discutée.
La lettresan (Ϻ) a été utilisée en concurrence avec lesigma pour le son [s], et à l'époque classique le sigma a été préféré au san, qui a disparu. Ledigamma (Ϝ), appelé à l'origineϝαῦ /waũ, et lekoppa (Ϙ) ont été également abandonnés par la suite. Le digamma en effet ne servait que pour les dialectes du groupe occidental, et le koppa n'avait pas une grande utilité. Ces caractères ont toutefois survécu ennumération ionienne, chaque lettre correspondant à une valeur numérique. De la même manière, lesampi (Ϡ), qui est apparemment unglyphe rare d'Ionie, a été introduit dans la numération, avec pour valeur 900.
Au départ, il existe plusieurs variantes de « l'alphabet grec », les plus importantes étant l'alphabet grec occidental et l'alphabet orientalionien. Ce dernier finira par s'imposer. L'alphabet occidental a donné naissance à l'ancien alphabet italique et donc à l'alphabet latin alors que l'oriental a donné l'alphabet grec actuel.Athènes a utilisé d'abord un alphabet attique dans ses documents officiels, qui comporte toutes les lettres d'alpha àupsilon, et qui utilise l'êta pour marquer l'aspiration plutôt que pour donner le [ɛ]. En 403, Athènes a adopté l'alphabet ionien, et peu après les différentes variantes ont disparu.
À l'époque, legrec est écrit de gauche à droite, mais, à l'origine, il a été écrit de droite à gauche[N 2] ou même dans les deux sens alternativement, ce que l'on appelle un « boustrophédon » enfrançais, avec une alternance de direction à chaque nouvelle ligne.
Dans lapériode hellénistique,Aristophane de Byzance a commencé àaccentuer les lettres grecques, pour en faciliter la prononciation. Durant leMoyen Âge, l'écriture de l'alphabet grec connaît des changements analogues à ceux qui affectent l'alphabet latin à la même époque : les anciens dessins sont conservés comme écriture monumentale, et l'onciale et laminuscule finissent par s'imposer. La lettresigma (σ) est écrite « ς » à la fin des mots, de la même manière que l'alphabet latin utilise le « S long » (dessiné « ſ ») en début ou milieu de mot, et un S final (dessiné « s ») en fin de mot.
Chaque lettre de l'alphabet phénicien est nommée par un mot débutant par le son représenté par cette lettre. Ainsi,ʾaleph, qui signifie « taureau », donne son nom à la première lettre de l'alphabet, « 𐤀 »,bet (« maison »), qui commence par𐤁, donne son nom à cette lettre, et ainsi de suite. Les Grecs, en adoptant ces lettres, ont maintenu le nom phénicien des lettres, ou l'ont un peu modifié :ʾaleph est devenuálpha,bet,bễta,gimel,gámma, etc. Ces noms empruntés n'ont aucun sens en grec. En revanche, certains signes ajoutés ou modifiés par les Grecs ont un nom qui a du sens :ò mikrón veut dire « petit O », etỗ méga veut dire « grand O ». De la même manière,è psilón veut dire « e pincé ».
Ci-dessous se trouve un tableau donnant une liste des principales lettres grecques, augmentée de leurromanisation, des lettresphéniciennes dont les grecques sont dérivées. La transcription phonétique utilise l'alphabet phonétique international. La prononciation indiquée pour legrec ancien est une prononciation restituée, dite « érasmienne »[N 3]. Elle est partiellement fautive, et son usage est surtout scolaire. Elle s'efforce d'indiquer la prononciation de la lettre enattique à la fin duVe et au début duIVe siècle av. J.-C.
Écriture actuelle imprimée et manuscrite et prononciation moderne des noms des lettres enallemand.
Certaines lettres possèdent plusieurs graphies, la plupart héritées de l'écritureminuscule duMoyen Âge. Si leur utilisation est une question de goût, certaines de ces variantes ont toutefois reçu un codage séparé dans la normeUnicode.
L'epsilon peut être dessiné ‹ ϵ › (« epsilon lunaire »,Unicode :03F5) ou ‹ ε ›.
Lethêta possède deux dessins : ‹ θ › ou ‹ ϑ ›, le deuxième étant fréquent dans l'écriture manuscrite (Unicode :03D1).
Lekappa ‹ ϰ › est une variante manuscrite du ‹ κ › (Unicode :03F0).
Lepi peut être écrit ‹ ϖ ›, forme archaïque de la lettre actuelle (‹ π ›) (Unicode :03D6).
Lerhô possède deux graphies : ‹ ρ › et ‹ ϱ › (Unicode :03F1).
Lesigma, dans latypographie standard du grec, possède deux variantes : ‹ σ › et ‹ ς ›. La première sert au début et au milieu des mots, la deuxième à la fin des mots. Une autre variante existe, le « sigma lunaire » (‹ ϲ ›), issue de l'écriture médiévale (Unicode :03F2).
Leupsilon majuscule (Υ) possède une variante graphique, ‹ ϒ › (Unicode :03D2).
La lettrephi peut apparaître sous deux formes différentes, ‹ φ › ou ‹ ϕ › (Unicode :03D5).
À l'instar de ce qui s'est produit avec les caractères latins, une nouvelleécriture manuscrite a fait son apparition à côté des caractères imprimés. Certaines lettres y revêtent une forme sensiblement différente de la minuscule médiévale et donc de l'écriture typographique.
Les lettres suivantes ne font pas partie de l'alphabet grec standard. Toutefois, elles ont été utilisées durant l'époque archaïque ou dans certains dialectes grecs. Une partie de ces lettres a survécu dans lanumération grecque.
Lesampi a noté uneconsonne affriquéegéminée, qui a ensuite évolué vers un doublesigma (-σσ-), dont le son est [sː] dans la plupart des dialectes, et, enattique, [tː] (-ττ-). Sa valeur exacte est âprement discutée (on propose parfois [ts]). Son nom moderne vient probablement du grecσαν πι /san pi, « commepi », à cause de sa ressemblance graphique avec la lettrepi (π). L'ordre des lettres entreΑ etΤ suit celui de l'alphabet phénicien.
Desligatures se rencontrent déjà à une date ancienne dans les inscriptions, joignant les lignes verticales de deux lettres successives (comme Η et Ν), afin de gagner de la place et de réduire le temps nécessaire à la gravure. D'autres, comme la ligature d'un omicron et d'un upsilon, Ȣ, ou l'abréviation en ϗ du mot καὶ (« et »), sont présentes dans les manuscrits médiévaux et continuent parfois à être utilisées dans les premiers textes imprimés, mais leur usage décroît auxXVIIe et XVIIIe siècles avant de devenir obsolète dans la typographie moderne.
Dans la typographie polytonique utilisée traditionnellement pour legrec ancien, les voyelles peuvent être accompagnées dediacritiques, qui indiquent l'accentuation et l'aspiration.
À l’initiale, accent et esprit peuvent donc se combiner sur la même voyelle :ἔστιν,ἅπαντας.
En1982, le système d'accentuation dit « polytonique » a étésimplifié, et remplacé[réf. souhaitée] par le système « monotonique », où un seul accent, droit ou aigu suivant les polices, marque la voyelle accentuée (΄) :είναι. La notation des esprits a aussi étéabandonnée[réf. souhaitée] à cette date.
Undigramme est une paire de lettres utilisées pour écrire un seul son ou une combinaison de sons qui ne correspondent pas à chacune des lettres de la séquence. L'orthographe du grec possède plusieurs digrammes, notamment plusieurs paires devoyelles, autrefois prononcées endiphtongues, qui aujourd'hui sont prononcées comme une seule lettre. Durant lapériode byzantine, l'usage a été pris d'écrire certainsiota qu'on ne prononce pas sous la lettre précédente :ᾳ, ῃ, ῳ ; on parle « d'iota souscrit ».
Plusieurs alphabets sont à la base des alphabets grecs auxquels des lettres supplémentaires ont été ajoutées :
L'alphabet bactrien possède une lettre supplémentaire : lecho : il a servi à écrire lebactrien sous l'Empire kouchan (65-250).
Dans les États indo-grecs et suivant la mode bactrienne, des intellectuels bouddhistes ou proches du bouddhisme mais de culture grecque[4], ont écrit des textes ensanskrit avec l'alphabet grec hérité des Bactriens.
L'alphabet copte utilise huit lettres en plus, dérivées dudémotique égyptien. Il est toujours en usage enÉgypte, pour écrire lecopte, mais les lettres sont la plupart du temps écrites enonciale, ce qui les rend différentes des lettres grecques habituelles.
Les caractères grecs sont souvent utilisés ensciences, tant enmathématiques, enlogique, enphysique et dans d'autres domaines : lesigma majuscule () sert par exemple à indiquer la somme en mathématiques et en physique.
Pour l'utilisation sur des ordinateurs, plusieurs codages des caractères grecs ont été créés. Les deux principaux actuels sontISO/CEI 8859-7 etUnicode. Le codage ISO prend uniquement en compte l'orthographe monotonique, alors qu'Unicode gère l'orthographe polytonique et monotonique.
Le codage d'Unicode gère l'orthographe polytonique, la monotonique, et même plusieurs graphèmes archaïques, surtout trouvés dans l'épigraphie, voire des lettres archaïques. Grâce à l'utilisation de caractères combinés, Unicode peut également rendre les signesphilologiques etdialectologiques du grec. Toutefois, le rendu graphique ne supporte pas toujours bien ces caractères combinés ; ainsi, si unalpha avec unmacron et unaccent aigu peut être représenté avec le codageU+03B1 U+0304 U+0301, cela ne rend pas très bien à l'écran :ᾱ́[N 7].
Il existe deux principaux blocs de caractères grecs dansUnicode : le premier est « grec et copte » (U+0370 àU+03FF) — il est basé surISO/CEI 8859-7, et il est suffisant pour écrire legrec moderne, et certaines lettres archaïques et symboles techniques[N 8] ; le deuxième est le grec étendu, permettant d'écrire les diacritiques polytoniques (U+1F00 àU+1FFF).
↑En typographie française du grec, cette variante s'utilise pour un bêta intérieur dans un mot ; la lettre « normale » ne servant alors que pour les bêta initiaux.
↑R. Elsie, « Albanian Literature in Greek Script: the Eighteenth and Early Nineteenth-Century Orthodox Tradition in Albanian Writing », dansByzantine and Modern Greek Studies, vol. 15, n° 20, 1991.