Son règne de 37 ans est l'un des plus longs de l'Empire byzantin et aussi l'un des plus agités. Son arrivée au pouvoir marque la fin d'une période de guerres civiles qui ont mis à bas les structures impériales solides de l'ère macédonienne tandis que les menaces extérieures s'amoncellent, conduisant à des pertes territoriales importantes, allant jusqu'à menacer la survie même de l'Empire. De ce fait, les premières années du règne d'Alexis sont toutes entières consacrées à la lutte d'abord contre lesNormands puis contre lesPetchénègues et lesSeldjoukides. Il parvient dans un premier temps à défendre efficacement les frontières de l'Empire avant de reconquérir une partie de l'Asie mineure dans le sillage de lapremière croisade, même si ses relations avec les Croisés sont ambivalentes. En parallèle de cette intense politique étrangère, il procède à des réformes de grande ampleur de toute l'administration de l'Empire, fondant la légitimité de sa famille sur un réseau d'alliances matrimoniales particulièrement dense. La famille impériale devient le cœur du pouvoir. Enfin, il est également très impliqué dans les affaires religieuses de son époque.
Son premier contact avec l'armée remonte aux mois qui précèdent ladéfaite de Manzikert (1071) quand sa mère envoie Alexis, alors âgé de treize ans, rejoindre l'empereurRomain IV Diogène pour remplacer son frère aînéManuel Comnène, mort de maladie au cours de la campagne. L'empereur lui ordonne cependant de retourner immédiatement à Constantinople en raison de son jeune âge[8].
Au cours de la décennie de chaos qui suit ladéfaite de Manzikert, Alexis se montre un général capable. Vers1073, alors âgé de 15 ans, il dirige sous les ordres de son frère Isaac une petite armée, qui affronte lesSeldjoukides avec le mercenaire normandRoussel de Bailleul[9]. Cependant, la trahison du Normand entraîne la défaite d'Isaac, capturé par ses adversaires[10]. Alexis poursuit la lutte contre les Seldjoukides avec une armée inférieure en nombre, bat en retraite avec courage et regagneConstantinople à l'automne 1073. LecésarJean Doukas, oncle de l'empereur, battu, est fait prisonnier par Roussel aupont du Sangarius (près d'Ancyre), ainsi que son fils Andronic[N 3]. Roussel proclame son illustre prisonnier empereur[11].
Le chef normand représente une menace telle pour l'Empire queMichel VII Doukas s'entend avec les Seldjoukides pour s'en débarrasser. Battu enCappadoce par l'émir turc Artouch, Roussel est fait prisonnier. Rapidement libéré contre rançon, il se réfugie enArménie, àAmasya, et se rend maître des principales villes duPont. Alexis[N 4], qui a juste 17 ans, est alors nomméstratopédarque en1075 et envoyé pour s'emparer du Normand. Il ne dispose guère de plus d'un millier d'hommes et pratique une campagne de harcèlement. Alexis utilise aussi la diplomatie (constante que l'on retrouve plus tard tout au long de son règne) et prend contact avec un chef turc nommé Toutach, sans doute envoyé parMalik Chah Ier. Celui-ci s'empare de Roussel et le livre à Alexis, qui se trouve alors confronté au mécontentement des habitants d'Amasya, sur qui il compte pour payer la somme promise aux Seldjoukides[N 5]. Il rentre alors sur Constantinople par mer, car la route terrestre est bloquée par des bandes turques, ce qui illustre l'affaiblissement de l'Empire[12].
L'Empire byzantin en 1076.En vert, les territoires contrôlés par les Seldjoukides au tournant de l'année 1080. Seules quelques zones éparses, dont la région d'Antioche, sont encore détenues par des représentants de l'Empire byzantin.
En novembre1077,Nicéphore Bryenne, général issu d'une famille illustre[N 6], se révolte et s'empare de la Macédoine, tandis que son frère Jean Bryenne tente d'assiéger la capitale. Alexis en commande la défense avec l'aide deRoussel de Bailleul, sorti de sa prison sur ordre de l'empereurMichel VII Doukas. Les deux anciens adversaires remportent la victoire sur l'armée de Jean Bryenne en janvier1078[13]. Cet exploit lève l'opposition de Michel VII au mariage d'Alexis avecIrène Doukas, petite-fille ducésar Jean Doukas, oncle de l'empereur et véritable chef de la familleDoukas. Le fils unique de celui-ci, Andronic, est mourant et il paraît important à Jean Doukas et à sa bru,Marie de Bulgarie, d'assurer l'avenir de la famille à un protecteur à l'étoile montante d'autant que l'horizon politique dubasileus semble incertain.
En effet, à peine cette victoire est-elle obtenue qu'une seconde révolte éclate, menée par le duc desAnatoliques,Nicéphore Botaniatès, enAsie mineure. Le, une émeute de ses partisans éclate dansConstantinople. Alexis, qui dirige les troupes de la capitale, est persuadé qu'il est possible de tenir tête aux insurgés, maisMichel VII Doukas préfère abdiquer ([14]). Alexis tente alors vainement de convaincre Constantin Doukas, le frère de Michel, de monter sur le trône ; devant le refus de ce dernier, il se rallie à Nicéphore Botaniatès. Celui-ci, trop heureux de ce soutien qui lui livre la capitale, accepte avec empressement et monte sur le trône sous le nom deNicéphore III Botaniatès, épousant la femme de Michel VII Doukas, l'impératriceMarie d'Alanie[15]. Celle-ci espère cependant préserver les droits au trône de son filsConstantin Doukas et cherche un protecteur en la personne d'Alexis faisant de lui, en l'adoptant de façon officielle au printemps 1078, le frère de son fils âgé de 4 ans. Il est plus que probable qu'une liaison entre Alexis et Marie d'Alanie, réputée pour sa beauté, intervient vers1078, d'autant que la femme d'Alexis n'a à l'époque qu'une douzaine d'années[16].
Dans la nuit du, Alexis prend contact avec les générauxGrégoire Pakourianos etConstantin Humbertopoulos et reçoit leur soutien, puis il quitte la capitale et se rend àSchiza. Il reçoit alors l'appui, décisif sur le plan financier, ducésar Jean Doukas, chef de cette famille. Pendant ce temps, à Constantinople, les femmes de la famille Comnène sont enfermées dans un monastère. À Schiza, Alexis est alors proclamé Empereur, après l'effacement de son frère aîné, Isaac, à son profit; cet effacement traduit aussi la volonté du clan Doukas dont est issue la femme d'Alexis. Finalement, Isaac lui-même chausse son frère des bottes pourpres, insigne impérial par excellence. Il le seconde avec efficacité jusqu'à sa mort[22] (vers1104).
Alexis marche ensuite sur la capitale, dont il fait le siège. Cependant,Nicéphore III Botaniatès dispose de troupes non négligeables, en particulier les corps d'élite de mercenaires que sont lesVaranges[N 7] et lesChomatènoi[N 8]. De plus, le Sénat et le peuple de Constantinople sont hostiles à Alexis. Enfin, la majeure partie des troupes d'Asie mineure soutient un autre prétendant au trône,Nicéphore Mélissène[N 9] ; celui-ci s'empare de Damalis[23], en face de la capitale. C'est surtout avec le soutien des troupes « européennes », ainsi que des auxiliairesturcs, qu'Alexis assiège la capitale. Quelques attaques infructueuses lui font prendre conscience que le plus simple est de circonvenir une partie des défenseurs, souvent des mercenaires étrangers. Alexis rallie à sa cause le chef desNémitzoi (mercenaires allemands), à la tête de la garde de laporte d'Andrinople[24], et pénètre leJeudi saint () dans Constantinople. Une partie de la ville est alors livrée au pillage par les mercenaires d'Alexis[25] avant que ce dernier ne reprenne le contrôle de ses troupes. Nicéphore propose à Alexis un partage du pouvoir mais, sous l'influence du patriarche de ConstantinopleCosmas Ier[N 10], il finit par abdiquer et se retire dans un monastère[26]. Alexis écarte rapidement le dernier prétendant,Nicéphore Mélissène, qui proposait un partage de l'Empire, en lui octroyant la dignité decésar et la ville deThessalonique[27],[28].
C'est un homme jeune qui accède au pouvoir. En dépit de cette jeunesse, le nouveaubasileus a déjà derrière lui une longue expérience militaire dont les succès ont dépendu pour l'essentiel de son habileté diplomatique plus que de ses qualités militaires. De petite taille, il possède un charisme certain (que notent plus tard les chroniqueurs de lapremière croisade) et un parfait contrôle de soi. Peu cruel de nature, il laisse ses deux prédécesseurs terminer leur vie l'un sur un trône épiscopal (Michel VII Doukas), l'autre dans un monastère (Nicéphore III Botaniatès[N 11]), il est capable cependant d'utiliser la ruse et même la terreur quand la situation l'exige.
Son mariage avecIrène Doukas conforte son trône, en recevant le soutien de l'une des plus grandes familles de l'empire. Jusque sur son lit de mort, il est cependant contraint de déjouer les intrigues et complots de l'aristocratie byzantine et de son entourage familial. Ainsi sa mère, décrite comme dominatrice et possessive, éprouve une haine féroce envers la nouvelle impératrice et son clan, haine partagée parMarie d'Alanie, femme deMichel VII Doukas, deNicéphore III Botaniatès et probable maîtresse d'Alexis avant son accession au trône[10]. Pour limiter les risques d'usurpation, Alexis pratique une habile politique d'alliances matrimoniales. Sa fille aînée,Anne Comnène, épouse ainsiConstantin Doukas (fils deMichel VII Doukas et deMarie d'Alanie), puis, après le décès de celui-ci,Nicéphore Bryenne, le fils du révolté deDyrrachium.
Dans le même temps, il dévalue la monnaie impériale (lenomisma) qui, durant sept siècles avait été la seule monnaie stable du bassin méditerranéen. En fait, Alexis légalise la chute de la valeur de la monnaie byzantine de dix-sept carats à deux carats entre 1071 et 1092[32]. Les monnaies d'or des premiers temps du règne d'Alexis sont composées presque exclusivement d'argent. Face à ce phénomène, l'empereur entreprend une importante réforme monétaire après savictoire contre les Pétchénègues. Il rétablit une monnaie d'or de valeur importante, l'hyperpérion, stable durant les deux siècles suivants[33]. Cette politique permet à Alexis de remettre sur pied une administration efficace, dereconstituer l'armée, laflotte impériale ainsi que d'entretenir une cour fastueuse[34].
Détail de l'offensive normande en Grèce en 1081-1085.
En politique étrangère, Alexis Ier Comnène doit choisir contre quel adversaire lutter en premier. La lutte contre lesSeldjoukides suppose un effort à long terme qu'il n'est pas encore capable d'effectuer. De plus, les querelles internes affaiblissent provisoirement les Seldjoukides. Aussi choisit-il dans un premier temps de repousser l'attaque normande.Robert Guiscard et ses troupes viennent de s'emparer d'Avlóna etassiègent Dyrrachium depuis l'été1081. En outre, de manière plus inquiétante pour Alexis, Robert justifie son intervention par sa volonté de rétablir sur le trône l'ex-empereurMichel VII Doukas avec lequel il avait signé une alliance en1074[N 13], ce qui menace directement la légitimité d'Alexis comme empereur[35]. Ses effectifs sont compris entre 10 000 et 15 000 hommes[N 14]. Alexis, lors de sa prise du pouvoir, a immédiatement remplacé le duc de Dyrrachium,Georges Monomachos, jugé peu fiable, par son beau-frèreGeorges Paléologue qui en organise immédiatement la défense. La flotte vénitienne, alliée aux Byzantins, inflige une grave défaite aux Normands en les forçant à lever le siège maritime mais pas le siège terrestre[36],[37].
En octobre de la même année, Alexis intervient avec une armée dont le corps principal est lagarde varangienne composée, pour l'essentiel, d'Anglo-Saxons mais recrute aussi de nombreux mercenaires turcs. Alexis repousse l'avis de ses généraux expérimentés qui conseillent une guerre de harcèlement et attaque immédiatement Robert Guiscard. La bataille est longtemps incertaine ; Alexis est finalement sévèrement battu et doit fuir le champ de bataille en abandonnant la tente impériale[N 15]. Dyrrachium tombe en février1082, après avoir ouvert ses portes aux Normands. Robert Guiscard contrôle ainsi laVia Egnatia qui lui ouvre la route deThessalonique et surtout deConstantinople[38].
Dans ces circonstances dramatiques se mesure l'habileté d'Alexis lequel a toujours plusieurs fers au feu. Ce désastre militaire est effectivement rapidement compensé par une habile politique diplomatique. Anne Comnène indique qu'Alexis avait fortifié« les endroits situés en face de Robert et devant lui ; mais il n'avait pas négligé non plus d'intervenir derrière lui. » Un rapprochement est mené avec l'empereur du Saint-EmpireHenri IV en lutte avec le papeGrégoire VII et ses alliés normands[N 16]. L'empereur germanique intervient militairement devantRome en mai1081 puis de nouveau au printemps1082. Alexis soutient aussi les revendications des neveux de Robert,Abagelard de Hauteville etHerman de Hauteville, qui lui disputent l'héritage d'Onfroi de Hauteville, son frère aîné. Une partie desPouilles se soulève contre Robert au début de 1082. Enfin, Alexis renforce son alliance avecVenise. C'est dans ce contexte difficile pour l'Empire qu'il faut comprendre les privilèges commerciaux considérables obtenus par les Vénitiens avec la bulle d'or de mai1082. Venise, aidée d'une flotte byzantine, remporte au printemps 1082 un second succès naval sur les Normands[39].
Ces événements obligent Robert Guiscard à repartir enItalie en avec une partie de ses troupes. Il laisse son filsBohémond de Tarente en Grèce. Celui-ci s'enfonce en territoire byzantin et Alexis se précipite pour essayer d'arrêter la marche de l'envahisseur. Il est battu àIoannina () puis de nouveau àArta () et retourne () à Constantinople reconstituer une armée. Bohémond assiègeLarissa pendant six mois ce qui laisse à Alexis le temps de recruter de nombreux mercenaires dont plus de 7 000 Turcs. Il réussit aussi à débaucher une partie des officiers de Bohémond. À la fin de l'été 1083 il entame une campagne d'embuscades. Il parvient par un stratagème à faire sortir la cavalerie de Bohémond du siège de Larissa et massacre les fantassins de son adversaire. Les soldats normands sont découragés et ne sont plus payés. Il est ainsi aisé à Alexis de leur faire changer d'allégeance. Bohémond retourne alors à Avlóna puis en Italie afin de trouver de quoi payer ses troupes[40].
Pièce de monnaie à l'effigie de Robert Guiscard.
Robert Guiscard, cependant, ne renonce pas. Il débarque en Grèce de nouveau en1084 avec une flotte importante et une armée bien équipée. Après un premier échec face aux Vénitiens, Robert remporte un large succès en face deCorfou et s'empare de l'île. La mort de Guiscard en juillet1085, et les luttes de succession entre ses héritiers, libèrent l'Empire d'un grand danger. Les troupes normandes retournent en Italie, permettant le rétablissement de l'autorité impériale dans les provinces occidentales de l'Empire[37].
La politique d’Alexis face aux Seldjoukides (1085-1092)
EnAsie mineure la situation de l'Empire byzantin s'est terriblement dégradée depuis ladéfaite de Manzikert face aux Seldjoukides en 1071. Le principal chef des Seldjoukides,Suleiman Ier, chargé par le sultanMalik Chah Ier de poursuivre la guerre contre les Byzantins, s'acquitte de sa tâche avec une telle vigueur que la quasi-totalité de l'Anatolie est perdue pour Constantinople.
Cette situation est rendue possible pour plusieurs raisons. Depuis le règne deBasile II, les grandes familles résident le plus souvent à Constantinople, privant de ses chefs le système local de défense, sur le modèle du château fort d'Europe occidentale, contre les Seldjoukides. Contrairement auxArabes, les Seldjoukides souhaitent s'établir en Anatolie[41]. La défense de ces terres est laissée à l'empereur.
De plus, les rébellions incessantes contre les Empereurs après la fin de ladynastie macédonienne, et le recours à des mercenaires Seldjoukides, favorisent l'avance de ces derniers[42]. Suleiman soutient ainsi en 1082 la tentative deNicéphore Mélissène. Quand ce dernier se soumet à Alexis, Suleiman s'est emparé deNicée, d'une partie de laBithynie et de quelques cités de laPhrygie. Nicée devient même la capitale officielle du sultanat seldjoukide d'Anatolie.
À partir de1084-1085 les anciens territoires byzantins enAsie mineure, à l'exception des rivages lamer de Marmara et de certaines régions côtières, sont contrôlés par les Seldjoukides. Ainsi, ces derniers s'emparent de la grande cité d'Antioche () ainsi que, peu après, des villes deMélitène etÉdesse, peuplées d'Arméniens pour la plupart. SeuleTrébizonde, sur la côte nord de lamer Noire, reste byzantine[43].
Alexis Ier Comnène doit choisir l'ennemi à combattre en premier, lesNormands ou lesSeldjoukides. Contrairement à Robert Guiscard, dont l'objectif est clairement Constantinople, les Seldjoukides ne semblent pas avoir encore de dessein impérial et représentent aux yeux d'Alexis un danger moins pressant. Aussi fait-il le choix de défendre la partie occidentale de l'Empire[35]. Pour cela, il mène une intense activité diplomatique pour acheter la paix aux Seldjoukides afin de se consacrer à la guerre contre les Normands et n'hésite pas à recruter des mercenaires turcs dans ses propres troupes[44]. Il parvient cependant à reprendre le point d'appui de Damalis, promontoire situé en face de Constantinople, juste de l'autre côté du Bosphore.
Face aux Seldjoukides, la politique d'Alexis est d'une grande constance, « diviser pour régner ». La mort en1086 du principal chef turc,Suleiman Ier, qui venait de prendre Antioche et qui marchait surAlep, tué par un de ses rivaux, jette la confusion chez les Seldjoukides d'Anatolie et vient en aide aubasileus. Les différents subordonnés de Suleiman se rendent indépendants etNicée ainsi reste six ans entre les mains d'un rebelle,Ebul Kasim Saltuk, et ce n'est qu'en1092, peu avant sa mort, queMalik Chah Ier parvient à rétablir le fils de Suleiman,Kılıç Arslan Ier. Alexis profite de cette situation confuse pour reconquérirCyzique et signe un traité d'assistance avec Ebul Kasim Saltuk (vers1086[N 17]). Alexis reçoit des propositions d'alliances deMalik Chah Ier lui-même (à l'époque le plus grand souverain du monde musulman) à au moins deux reprises. En 1086, au moment où il négocie avec Ebul Kasim Saltuk (qui craint l'intervention du Sultan et se rapproche de Constantinople pour cette raison) vers 1091-1092. À cette époque Malik Chah cherche à se débarrasser de son frèreTutuş, qui gouverne Antioche, et à rétablir le fils deSüleyman Ier à Nicée. Il propose à Alexis la restitution des villes deBithynie et duPont et un mariage entre Anne Comnène et son fils aîné[45].
L'empire Seldjoukide à la mort de Malik Chah Ier, 1092.
L'assassinat de Malik Chah en 1092 entraîne l'abandon du projet. Cependant Alexis est confronté à un nouvel adversaire potentiellement plus dangereux, l'émir turc deSmyrne,Zachas.
En effet l'émir turc deSmyrne,Zachas, tente à la fois de fédérer les roitelets turcs dans le cadre d'une alliance et se rend maître, entre1080 et1090, de la côte égéenne et des îles deLesbos,Chios,Samos etRhodes, avec la complicité de nombreux Grecs constituant l'armature de sa puissance navale. Alexis lui inflige une défaite en mer de Marmara, avec la flotte impériale reconstituée[46] mais il n'est débarrassé du danger qu'en suggérant à Kılıç Arslan, qui avait épousé vers 1092, la fille de Zachas, l'assassinat de ce dernier. En1093 lors d'un banquet àNicée, son gendre le fait assassiner[47],[46]. Alexis ne récupère pas pour autant les possessions de Zachas : en effet, seules labataille de Dorylée et l'aide desCroisés chassent le fils de Zachas des derniers territoires en sa possession[46].
L'un des facteurs qui expliquent la relative passivité d'Alexis dans les années 1086-1092 face aux Turcs est la menace immédiate et réelle que représentent lesPetchénègues sur la frontière danubienne[48]. Ce peuple d'origine turque est repoussé vers le sud par lesRusses. Quand en1083 Alexis décide d'exiler les chefsPauliciens, une secte dualiste implantée enThrace et considérée comme hérétique, certains traitent avec les Petchénègues, qui vivent à l'époque au nord-est de l'actuelleBulgarie, et qui commencent une série d'incursions. Une expédition armée dirigée par ledomestique d'OccidentGrégoire Pakourianos est vaincue à la bataille de Béliatova[N 18] en janvier1086[N 19] et les Petchénègues s'emparent de laThrace en1086 ou1087 avec l'aide desHongrois. LesByzantins sont battus àSilistra en1087 par des adversaires plus nombreux et mieux organisés[N 20],[49].
Cependant la discorde s'installe entrePetchénègues etCoumans à propos du butin important de la bataille et Alexis en profite pour négocier une paix avec les premiers. Il redoute une alliance des deux peuples. Cette paix n'est qu'une fiction et les Petchénègues recommencent rapidement leurs incursions enThrace. Au printemps1089 ils massacrent à Charioupolis environ 300archontopouloi[N 21] Ce massacre est ressenti à Constantinople comme une catastrophe majeure[50].
En 1091, les Petchénègues occupent la région deGallipoli et s'allient auxSeldjoukides et en particulierZachas en février[51]. Cette alliance, potentiellement mortelle pour l'Empire, échoue en raison des divisions internes aux Turcs et grâce à l'habileté diplomatique d'Alexis qui s'allie auxCoumans dont près de 40 000 viennent d'arriver sur les pas des Petchénègues[52]. C'est à ce moment qu'Alexis utilise avec habileté son arme favorite, la diplomatie. Il détache les Coumans de l'alliance petchénègue par une habile politique de cadeaux et un banquet mémorable. Les Coumans s'allient alors aux troupes byzantines et écrasent les Petchénègues le[53] à labataille de la colline de Lebounion[N 22]. Le nombre de prisonniers est tel que les Byzantins craignent une révolte de ceux-ci. Un grand nombre est alors massacré probablement avec l'accord tacite d'Alexis bien qu'Anne Comnène tente de dégager sa responsabilité[54],[55],[56].
La situation pour Alexis Ier au milieu des années 1090 est paradoxale. Le pouvoir seldjoukide semble décliner. Le sultanMalik Chah Ier est mort en novembre1092 et sa disparition entraîne une guerre de succession qui divise profondément lesSeldjoukides. Le successeur de Malik Chah Ier, son frèreTutuş, meurt à son tour en1095 laissant deux fils, frères ennemis, régner l'un surAlep (Ridwan d'Alep) et l'autre surDamas (Duqâq de Damas). Des chefs turcs etkurdes s'établissent enIrak et enSyrie.Kerbogha, l'atabeg de Mossoul, grignote progressivement le territoire de Ridwan. LesFatimides s'implantent progressivement dans le sud de laPalestine et se rapprochent deJérusalem où gouvernent lesArtukides. Enfin un clan chiite, lesBanû ’Ammâr s'implante àTripoli. Pour Alexis, il existe donc une occasion réelle de reprendre pied enAnatolie et enSyrie d'autant qu'il a rétabli la domination byzantine sur lesBalkans et la côte ionienne. Mais le point faible des Byzantins demeure l'armée, dont les effectifs, trop faibles, se montrent peu expérimentés, à l'exception des mercenaires[N 25] à la fiabilité parfois douteuse. Alexis, qui doit garder des effectifs importants dans les Balkans et sur sa frontière danubienne, doit donc recruter des effectifs supplémentaires pour passer à l'offensive contre lesSeldjoukides. Sa politique de rapprochement avec le pape se révèle utile si elle permet d'user de l'influence de celui-ci pour enrôler de nouvelles recrues. D'autant que par le passé des seigneurs occidentaux sont déjà venus combattre aux côtés des Byzantins[N 26]. C’est ainsi que des plénipotentiaires byzantins sont amenés à prendre la parole lors duconcile de Plaisance réuni parUrbain II en, peu avant son départ pour laFrance etClermont[63]. Nous ignorons le détail de leurs discours mais ils semblent insister sur les épreuves subies par les chrétiens orientaux et sur la nécessité de s'enrôler sous la bannière impériale afin de chasser les « Infidèles ». Cette intervention marque fortement Urbain II qui invite les chrétiens qui l'écoutent à s'engager par serment à aller secourir l'empire de Constantinople[64]. De plus, dans un contexte général de recul de l'Islam enEurope (Espagne,Sicile), le pape envisage un dessein plus vaste que le simple envoi de mercenaires à Alexis Ier, il songe désormais à une « guerre sainte »[65].
Lors duconcile de Clermont, convoqué pour le, Urbain II invite ses auditeurs[N 27] à employer leurs forces pour la défense de leurs frères d'Orient victimes des sévices que leur infligent lesmusulmans. Ce n'est pas d'ailleurs un projet nouveau.Grégoire VII en avait formulé un similaire au moment de ladéfaite de Manzikert mais qui avait été abandonné après la déposition deMichel VII Doukas[66]. Lorsque le pape quitte Clermont le, il ignore encore le succès que va avoir son appel dans toute l'Europe et qu'il a déclenché un mouvement dont les conséquences pour la Chrétienté et Constantinople sont incalculables[67].
En1096, Alexis est dans une période de calme assez inédite dans l'histoire complexe de l'Empire byzantin. Il vient d'infliger une cuisante défaite auxCoumans et a ainsi stabilisé sa frontière danubienne pour longtemps. Les renseignements qui lui parviennent d'Europe sont cependant inquiétants. Ce ne sont pas des troupes réduites, incorporables sans grandes difficultés dans son armée, qui proviennent de l'Occident mais de véritables armées susceptibles d'agir pour leur propre compte[68],[69]. Si l’on en croitAnne Comnène, l'empereur et la cour apprirent que « Tout l'Occident et toutes les tribus barbares d'au-delà de lamer Adriatique, jusqu'auxColonnes d'Hercule faisaient mouvement vers l'Asie à travers l'Europe amenant des familles entières avec eux. » Ce que semble craindre Alexis c'est une attaque sur sa capitale dont les richesses peuvent exciter les convoitises des Occidentaux[70]. De plus il apparaît clairement qu'une première expédition composée de bandes désorganisées (lacroisade populaire) précède la croisade seigneuriale. L'idée d'une attaque sur Constantinople paraît avoir été retenue par l'entourage impérial[71] qui n'oublie pas les tentatives, quelques années plus tôt, deBohémond de Tarente, qui participe lui-même à la croisade[72].
Alexis ne perd cependant pas son sang-froid. Afin d'empêcher les pillages il est nécessaire de nourrir les armées croisées, aussi fait-il aménager des dépôts de provisions dans les grands centres urbains de l'Empire. Il organise aussi des unités afin d'encadrer les déplacements des troupes occidentales pour éviter tout débordement[73]. Le gouverneur deDyrrachium,Jean Comnène, un neveu d'Alexis, reçoit l'ordre d'accueillir les chefs de la croisade cordialement mais de veiller à contrôler leur moindre déplacement. L'amiral NicolasMaurokatakalon est envoyé dans l'Adriatique afin de signaler l'arrivée des premiers navires francs.
Les premières bandes de lacroisade populaire, celles « dirigées » parGautier Sans-Avoir, arrivent dans l'Empire fin mai1096 dans la région deBelgrade et après quelques incidents, sont sévèrement encadrées jusqu'à Constantinople où elles arrivent en août. Le26 juin lescroisés, également de la croisade populaire, dirigés parPierre l'Ermite pillent la ville deBelgrade[N 28]. En juillet, Nicétas, le gouverneur d'Alexis, qui vient d'envoyer des renforts, massacre une partie des croisés devantNiš. Finalement le reste du voyage se déroule sans encombre mais les troupes d'Alexis encadrent fortement les croisés. Habilement, Alexis reçoit Pierre l'Ermite et assure le ravitaillement de ses troupes indisciplinées. Il ne se fait visiblement aucune illusion sur la valeur militaire de cette croisade populaire mais cherche, afin de limiter les risques de pillages, à s'en débarrasser le plus vite possible. Arrivée le àConstantinople, la croisade populaire est transportée par la flotte impériale en Asie le6 août. Elle est anéantie par les Turcs le21 octobre, près deNicée[N 29],[73].
Pour Alexis il est temps car le,Bohémond de Tarente arrive àConstantinople. Ce dernier désire se constituer une principauté auLevant car enSicile ses ambitions sont contrecarrées par son oncleRoger Ier de Sicile. Son armée est moins nombreuse que celle de Godefroy mais est bien équipée et d'une valeur militaire de premier ordre. Alexis le sait parfaitement, lui qui a déjà combattu les Normands au début de son règne. La traversée de la Grèce de cette troupe se déroule correctement, Bohémond maintenant une discipline de fer. Pour Alexis, Bohémond est le croisé le plus dangereux. Homme de guerre médiocre[N 34], c'est néanmoins un redoutable diplomate et un politique avisé[N 35]. Il a pris conscience, bien mieux que Godefroy et Baudouin, du redressement byzantin, et qu'un affrontement direct conduirait la croisade au désastre. Il estime préférable de s'entendre avec Alexis (lequel le rencontre seul à seul) et prête sans hésitation le serment d'allégeance aubasileus[N 36] le jour de son arrivée. Les troupes de Bohémond sont transportées par la marine d'Alexis en Asie le26 avril. Le lendemain arrive une nouvelle armée croisée dirigée par lecomte de ToulouseRaymond de Saint-Gilles[77].
Le comte de Toulouse estime qu'il est le seul à pouvoir diriger la croisade. Il a déjà lutté contre lesmusulmans (enEspagne), est le seul à avoir rencontréUrbain II et il est accompagné du légat du pape,Adhémar de Monteil, évêque duPuy. Raymond offre aux yeux d'Alexis un contraste frappant par rapport aux autres chefs croisés. Plus civilisé, plus courtois il est considéré comme un homme fiable et honnête par lesByzantins. Cela n'empêche pas les troupes d'Alexis d'infliger une défaite cuisante aux troupes de Raymond[78] qui pillaient lesBalkans en avril1097. Raymond refuse de prêter serment à l'empereur[N 37] et n'accepte qu'un serment modifié dans lequel il s'engage à respecter la vie et l'honneur dubasileus et ne rien tenter contre lui[79]. Alexis se contente de cet accord. Les relations entre Raymond de Saint-Gilles et Alexis se réchauffent rapidement car l'empereur comprend vite qu'il dispose, avec le comte de Toulouse, d'un allié contre Bohémond à l'intérieur même de la croisade[80].
Godefroy de Bouillon et les barons reçus par l'empereur Alexis Ier Comnène.
Finalement la gestion par Alexis de cette arrivée massive de seigneurs occidentaux (entre 60 000 et 100 000 hommes, chiffres considérables pour l'époque) se révèle particulièrement habile. Entre1096 et le printemps1097 il a réussi à accueillir l'ensemble des forces croisées, à les ravitailler sans que les inévitables débordements et maraudes prennent une ampleur démesurée. De plus, à l'exception notable de Raymond de Saint-Gilles avec lequel il conclut un arrangement particulier, l'empereur obtient un serment d'allégeance des chefs de la croisade. Toutefois, la solidité de ces serments est encore à démontrer, en raison, notamment, de leur imprécision. Les chefs croisés sont tenus de remettre à l'empereur toutes les terres ayant appartenu à l'Empire byzantin qu'ils parviendront à conquérir. Or, la définition des territoires anciennement byzantins n'est pas claire. Il peut tout aussi bien s'agir des territoires détenus par l'Empire jusqu'à l'invasion turque de l'Anatolie dans les années 1070 et 1080 (ce qui englobe notamment Antioche et sa région) mais aussi des territoires commeJérusalem et l'ensemble de laPalestine, perdus par Constantinople sousHéraclius et qu'Alexis n'entend pas particulièrement récupérer. Quoi qu'il en soit, ces engagements sont de nature à frustrer certainscroisés qui souhaitent se tailler des fiefs enTerre sainte[82].
Cependant, les croisés constatent que la ville est bien protégée et que le siège risque de s'éterniser d'autant que le blocus est incomplet la ville étant ravitaillée par le lacAskanios. Les croisés demandent alors l'intervention d'Alexis. Celui-ci attend probablement ce moment pour montrer que sa coopération est indispensable. Il envoie des troupes terrestres dirigées par les générauxTatikios et Tzitas[85], et fournit une flotte pour bloquer le lac, dirigée parManuel Boutoumitès. La garnison comprend alors que la situation est désespérée et entre en négociations avec l'empereur, par l'intermédiaire de Boutoumitès[86]. Le au matin les croisés ont par conséquent la surprise de voir l'étendard impérial flotter sur la ville. Alexis récupère ainsi habilement Nicée sans que la ville subisse les conséquences brutales d'une mise à sac, d'autant que la majorité des habitants sont des chrétiens. Si les chefs croisés se satisfont de la situation[N 38] ce n'est pas le cas des hommes de troupe frustrés du pillage. Alexis anticipe tout mouvement de colère en ravitaillant largement la croisade et en distribuant une partie du trésor de Kılıç Arslan Ier. Alexis en profite alors pour demander l'allégeance des seigneurs de second rang, qu'il obtient, ainsi que celle deTancrède de Hauteville. Celui-ci accepte après une violente algarade avec son oncleBohémond[87].
Le traitement généreux des Turcs prisonniers par Alexis surprend et choque beaucoup les croisés. Le basileus autorise les officiers et fonctionnaires à racheter leur liberté et reçoit à Constantinople la famille de Kılıç Arslan avec des honneurs royaux avant de la renvoyer au Sultan[88],[89].
Le, soit une semaine après la chute de Nicée, la croisade reprend sa route. Alexis prend la précaution de lui adjoindre un contingent byzantin dirigé parTatikios. Kılıç Arslan s'est allié avec ses adversairesDanichmendides et tente une embuscade près deDorylée le sur l'avant-garde croisée dirigée parBohémond. L'arrivée dans la journée du reste de l'armée transforme la bataille en déroute pour lesSeldjoukides qui abandonnent leur campement[90].
Tatikios conseille alors d'emprunter la route sud de l'Anatolie moins dangereuse. Cependant les relations entre les Byzantins, qui reprochent aux croisés leur indiscipline et leur ingratitude, et les « Francs », qui craignent une traîtrise des Byzantins, restent tendues[N 39].
Alexis profite de la victoire de Dorylée et de la marche de la croisade versAntioche pour consolider la présence byzantine dans l'ouest de l'Asie mineure[91]. Il constate, non sans crainte, que la défaite vient de réconcilier les Seldjoukides et les Danichmendides créant de fait une puissance considérable. S'appuyant sur sa marine il expédie lecésarJean Doukas, son beau-frère, reconquérir l'Ionie et laPhrygie[92]. Une simple démonstration de force a raison de l'Émirat deSmyrne où le fils deZachas se rend à condition d'avoir la vie sauve. L'amiral byzantinKaspax réoccupe toutes les îles de lamer Égée de l'Émirat tandis que Jean Doukas s'empare des grandes cités lydiennes (Sardes,Philadelphie,Laodicée). À la fin de1097 le contrôle byzantin sur laLydie est total et Jean Doukas se prépare à entrer enPhrygie afin de rétablir le contrôle de l'Empire sur la route sud (versAttalie) puis jusqu'aux principautés arméniennes desmonts Taurus c'est-à-dire la route d'Antioche[93],[94].
Les croisés arrivent devant Antioche le[N 40].Bohémond, impressionné par la taille et la puissance des murailles décide d'en faire son fief. Il a l'exemple d'Alexis à Nicée et décide que la ville doit se rendre à lui seul afin que ses prétentions soient difficiles à contester. Mais le siège dure longtemps et la famine s'installe. Le départ pour Chypre[N 41] deTatikios (), représentant d'Alexis, départ qu'il justifie en annonçant qu'il doit retourner en territoire impérial afin d'organiser un meilleur ravitaillement, est exploité immédiatement par Bohémond. Puisque le représentant de l'empereur quitte l'armée, la croisade s'estime libérée de toute obligation envers Alexis[95]. Ce qui en clair signifie qu'il ne faut pas lui remettre la ville d'Antioche. L'arrivée le de matériel de siège envoyé par Alexis ne change pas l'état d'esprit des occidentaux. Finalement Bohémond parvient à se faire livrer la ville par trahison le. Mais le7 juin une armée musulmane dirigée parKerbogha assiège à son tour les croisés dans Antioche[96],[97].
La seule chance de salut pour les croisés est donc l'arrivée de l'empereur Alexis. Celui-ci, après la reconquête du sud de l'Asie mineure parJean Doukas (fin1097-début1098), prend la tête de son armée et progresse vers Antioche. Il rencontre en chemin, àPhilomélion près d'Attaleia,Étienne II de Blois, l'un des chefs croisés qui s'est enfui du siège d'Antioche le2 juin peu avant la prise de la ville, et qui lui indique que lesSeldjoukides ont certainement anéanti la croisade[98]. Alexis n'a aucune raison de mettre en doute le récit d'Étienne II de Blois[N 42] et poursuivre son offensive lui apparaît dangereux face à desSeldjoukides qu'il imagine grisés par la victoire. Il apprend de plus que lesSeldjoukides concentrent des troupes dans la région du hautEuphrate. Le risque d'être pris en tenaille par deux arméesSeldjoukides lui semble important. Alexis réunit ses officiers et son conseil et annonce qu'il fait retraite et se contente des gains territoriaux non négligeables obtenus jusqu'alors. Un demi-frère deBohémond, au service de l'empereur depuis des années, Guy, demande à Alexis de continuer, persuadé qu'il est encore temps de sauver la croisade mais Alexis demeure intraitable et l'armée byzantine remonte vers le nord[99],[100].
Cette décision a, pour la suite des croisades, un impact considérable. À court terme elle arrange les ambitions de Bohémond qui en tire parti pour revendiquer avec plus de force la possession d'Antioche. À long terme cette décision d'Alexis renforce la méfiance des croisés envers lesByzantins orthodoxes. La victoire des croisés sur Kerbogha, le28 juin, pose immédiatement le problème de la dévolution de la ville. Dans un premier temps des ambassadeurs sont envoyés prévenir Alexis et lui demander de prendre le contrôle de la ville. Mais la nouvelle du départ d'Alexis parvient peu après aux croisés, d'autant qu'Alexis tarde à répondre aux ambassades envoyées. À leurs yeux cela équivaut à un suzerain qui manque à ses obligations d'assistance. Ils avaient espéré qu'une fois arrivé à Antioche, l'empereur les soutiendrait dans leur conquête du reste de laTerre sainte. L'opinion qui prévaut alors chez les croisés c'est que l'empereur est déchu de ses droits sur la ville et qu'eux-mêmes sont libérés de leur serment envers Alexis[101],[102],[103].
Alexis envoie en vain en mars1099 une ambassade pour réclamer la restitution de la ville. Il offre de venir en personne participer à la reconquête deJérusalem mais les croisés refusent (à l'exception notable deRaymond de Saint-Gilles). Le comte de Toulouse est le seul chef croisé à maintenir de bonnes relations et des rapports privilégiés avec Alexis[N 43]. Il rend ainsi aux Byzantins la ville deLaodicée () dont il était le protecteur depuis l'été 1098[N 44]. Alexis cherche en effet à reprendre le contrôle des ports de laCilicie et de laSyrie du nord. Pour cela il envoie des troupes venues deChypre. Une flotte venue dePise pille en 1099 lesîles Ioniennes puis tente de s'emparer de Laodicée avec l'aide deBohémond. Raymond de Saint-Gilles revient rapidement de Jérusalem et force Bohémond à lever le siège[104].
En ce début d'année1100 deux seigneurs occidentaux se partagent donc la Syrie du Nord :Bohémond à Antioche etRaymond de Saint-Gilles qui contrôle Laodicée « au nom de l'empereur »[105]. Il est certain qu'Alexis compte sur Raymond pour reprendre Antioche à Bohémond. Une occasion se présente avec l'arrivée à Constantinople d'une nouvelle croisade. Raymond se rend en toute hâte () à Constantinople où il est investi du commandement des croisés[N 45]. Il prête une seconde fois serment à Alexis mais un serment différent de celui de 1097. Il ne s'agit plus de restituer à l'Empire les anciennes terres byzantines reconquises (à l'exception d'Antioche) mais plutôt de constituer un État indépendant, dirigé par Raymond, sous suzeraineté byzantine. Cette nouvelle croisade, composée pour l'essentiel deLombards, deNormands et deFrancs (on y retrouveÉtienne II de Blois) emprunte, contre l'avis d'Alexis, la route au nord-est de l'Anatolie. Il semble que l'objectif affiché par certains de ses chefs soit la libération de Bohémond fait prisonnier peu de temps auparavant par lesSeldjoukides () et lesDanichmendides et retenu enCappadoce àSivas. Les croisés sont vaincus par les divers émirs turcs de la région. Raymond de Saint-Gilles et Étienne II de Blois parviennent cependant à s'enfuir et à rejoindre la capitale de l'Empire (septembre1101). Alexis est de prime abord furieux contre Raymond qui s'est enfui en pleine bataille mais très vite se réconcilie avec lui. Lecomte de Toulouse demeure quelque temps à Constantinople avant de repartir en Syrie[106].
En effet le neveu de Bohémond,Tancrède de Hauteville, reprendLaodicée aux Byzantins (1102) et s'empare de quelques bourgades deCilicie. Raymond de Saint-Gilles tente en vain de s'emparer à nouveau de la ville puis signe un traité avecTancrède de Hauteville qui reconnaît aux Normands la possession d'Antioche et Laodicée[107]. Le comte de Toulouse s'empare alors deTortose avant de descendre plus au sud afin d'assiégerTripoli dont il souhaite faire sa capitale. Cependant son échec, ainsi que celui d'Alexis, face à Bohémond et Tancrède est patent. Antioche reste aux Normands et Raymond n'est plus en mesure de disputer la Syrie du nord à son concurrent. Alexis toutefois dissocie ses mauvaises relations avec Bohémond de ses relations avec les autres croisés. Ainsi il obtient, contre rançon, la libération des Francs qui avaient été faits prisonniers à labataille de Ramla en[108].
Alexis cependant tente une nouvelle intervention en1103.Laodicée est reprise par un corps expéditionnaire byzantin tandis que les villes de Cilicie se révoltent contre les Normands. Bohémond (libéré par les Seldjoukides en) et Tancrède ne possèdent pas les effectifs nécessaires pour tenir la principauté et Alexis a la maîtrise de la mer. Bohémond se décide alors à partir pour l'Italie () où il lève une armée de Normands. Il se rend ensuite en France et cherche à mettre sur pied une croisade contre Alexis. Il affirme que l'empereur a trahi les croisés à Antioche ainsi que la croisade de 1101. Ces mensonges rencontrent un large écho en Occident. Les lettres diplomatiques d'Alexis, trouvées en 1099 dans les bagages du Sultan fatimide d'Égypte, avec lequel il a d'excellentes relations, après labataille d'Ascalon prouvent aux yeux des croisés la collusion entre Alexis et les princes musulmans. C'est pourquoi les captifs de Ramla, libérés par Alexis, sont comblés de cadeaux par lebasileus avant d'être renvoyés en Europe afin de réfuter les calomnies deBohémond[109].
Ce dernier reçoit la bénédiction du papePascal II pour une croisade contre Constantinople.Bohémond de Tarente épouseConstance de France, la fille du roi des FrancsPhilippe Ier et obtient la main deCécile de France, une autre fille de Philippe Ier, pourTancrède de Hauteville resté à Antioche. Le Bohémond débarque àAvlóna enÉpire avec une importante armée puis le 13 il met le siège devantDyrrachium. Rapidement l'expédition se transforme en désastre[110]. Alexis, s'appuyant sur l'alliance avecVenise parvient à couper les communications de son adversaire avec l'Italie. Puis il bloque les cols des montagnes isolant l'armée de Bohémond de tout ravitaillement. La famine guette rapidement les troupes normandes. Alexis en profite alors pour acheter de nombreux barons normands à qui il distribue honneurs et largesses. À partir de septembre1108 des négociations s'ouvrent et une rencontre directe entre Alexis et Bohémond a lieu[111],[N 46],[112],[113].
Letraité de Déabolis () spécifie que Bohémond se reconnaît l'homme-lige dubasileus pour Antioche[114],[115]. Bohémond ne peut contracter de nouvelles alliances qu'avec l'accord de l'empereur[N 47]. Bohémond promet son appui militaire contre tout ennemi d'Alexis en Europe et en Asie. Il promet aussi de traiterTancrède en ennemi si celui-ci refuse le traité. Bohémond reçoit en échange un fief constitué d'Antioche et du port de Saint-Syméonmais. C'est un fief en viager qui doit retourner à Alexis après la mort de Bohémond. Ce dernier est donc, selon les clauses de ce traité inspiré directement des pratiques occidentales et non byzantines, à la fois lelieutenant de l'empereur et sonvassal. Le littoral deCilicie revient à l'Empire. En théorie à la conclusion de ce traité l'Empire retrouve la suzeraineté de toute la Syrie du nord et sur l'ensemble des États croisés à l'exception duroyaume de Jérusalem[116]. Parmi les signataires du traité figurent les représentants du roi deHongrie,Coloman, beau-père du fils d'AlexisJean II Comnène[N 48] ainsi que de nombreux conseillers d'Alexis,tous occidentaux telMarinos Néapolitès (originaire deNaples),Pierre d'Alipha etRoger le Franc. Ce phénomène témoigne de l'occidentalisation de la cour d'Alexis où vivent et travaillent pour l'empereur desLombards etItaliens du sud ainsi que de nombreuxNormands y compris de la famille de Bohémond[N 49],[117].
Carte desÉtats latins d'Orient. En jaune clair, le royaume de Jérusalem vers 1100 ; en orange la principauté d'Antioche et entre les deux le comté de Tripoli.
Par letraité de Déabolis, Alexis espère avoir mis fin à la question d'Antioche, par la soumission de Bohémond, d'autant qu'il estime avoir fait preuve de modération. MaisTancrède de Hauteville qui gouverne en réalité la ville depuis près de dix ans au nom de son oncle ne l'entend guère ainsi[118],[119]. Son objectif n'est pas, comme Bohémond, de s'emparer du trône byzantin mais bien d'imposer la domination normande en Syrie du nord. Le départ de Bohémond pour l'Europe, après la signature du traité[N 50] lui laisse les mains libres car lui ne l'a pas ratifié. Ainsi, en1108, il reprend, avec l'aide d'une escadre pisane, la ville deLaodicée, puis s'empare (en1109) des villes deCilicie, en particulierMopsueste, aidé il est vrai par l'incapacité du général en chef de l'armée d'Orient, l'ArménienAspiétès. Alexis envoie une ambassade et propose une négociation, en vain[120].
À la fin de1108 le bilan de l'intervention des croisés est, pour l'Empire, plutôt positif[121]. Grâce à l'action des armées occidentales, Alexis a pu repousser les Seldjoukides et reprendre l'Asie mineure occidentale (Nicée etSmyrne en particulier) mais la Syrie du nord reste indépendante et toute idée de suzeraineté byzantine sur lesÉtats latins d'Orient reste chimérique. Alexis se révèle ainsi incapable d'aiderBertrand de Toulouse, le fils deRaymond de Saint-Gilles contre les visées deTancrède de Hauteville et deGuillaume II de Cerdagne. C'est leroi de JérusalemBaudouin Ier de Jérusalem qui à Tripoli, après la prise de la ville, en 1109 convoque un plaid solennel qui règle la question du partage des terres croisées. C'est donc le roi de Jérusalem qui possède le rôle de suzerain et d'arbitre sur l'ensemble des États latins d'Orient et non lebasileus[122].
Alexis ne se décourage pas cependant, mais il dispose d'une faible marge de manœuvre. Il tente de nouer des alliances contre Tancrède, y compris auprès des chefs musulmans[123]. Il envisage vers1111 une expédition militaire mais en est dissuadé par son conseil. Il tente alors d'isoler le Normand par une intense activité diplomatique[119]. À l'automne 1111, une ambassade conduite parManuel Boutoumitès est envoyée auprès deBertrand de Toulouse, avec de fortes sommes d'argent. L'objectif est de persuader les autres chefs croisés du bien-fondé d'une attaque contre Tancrède[N 51]. Mais le comte de Toulouse est devenu l'homme-lige du roi de JérusalemBaudouin Ier et celui-ci, bien que désireux de garder des relations cordiales avec Constantinople, ne veut pas d'une restauration de l'autorité impériale à Antioche, à proximité de son royaume. L'ambassade rejoint Constantinople (été 1112) sans avoir rien obtenu[124]. Cet échec explique sans doute l'intense activité diplomatique d'Alexis auprès des républiques italiennes afin de trouver de nouveaux alliés et surtout empêcher une nouvelle croisade comme celle que Bohémond avait mis en place en 1107-1108[125]. Quoi qu'il en soit,Warren Treadgold estime qu'Alexis a eu tort de dépenser autant d'énergie dans la reprise d'Antioche, au détriment tant de ses relations avec lescroisés que du renforcement de la position byzantine en Anatolie face aux Seldjoukides[126].
Le recours aux républiques italiennes et à la papauté
Les relations entrePise et l'Empire au cours de cette période sont conflictuelles. Depuis1099, la cité italienne, ainsi que celle deGênes, pille régulièrement les côtes de l'Empire et à au moins deux reprises, les Pisans ont soutenu les Normands lors des sièges de Laodicée (1099 et 1108). C'est pourquoi Alexis tente d'obtenir un accord diplomatique et entame des négociations vers1109-1110[127].
En octobre1111, Alexis publie unebulle d'or qui accorde aux Pisans des privilèges commerciaux et une position qui n'est surpassée que par Venise[128]. LaSérénissime république reste un allié du basileus mais ce dernier cherche visiblement par cet accord à rééquilibrer ses relations avec les républiques italiennes. Constantinople s'engage à ne pas entraver la marche des pèlerins se rendant en Terre sainte sur les bateaux pisans tandis que la cité reconnaît la suzeraineté d'Alexis «depuis laDalmatie jusqu'à Alexandrie» et prête un serment de fidélité qui fait de la commune un vassal de l'Empire. C'est un énorme succès pour Alexis car vis-à-vis de Venise le message est clair, la Dalmatie fait partie intégrante de l'Empire (autorité toute virtuelle à l'époque). Comprendre Alexandrie dans l'accord est certes une fiction (la ville appartient au monde musulman) mais illustre la volonté du basileus de ne pas renoncer à ses prétentions sur la Syrie, la Palestine et l'Égypte. Pour Pise l'accord est avant tout économique mais les relations avec le roi de JérusalemBaudouin Ier sont fraîches depuis le conflit entre ce dernier et le patriarcheDaimbert de Pise ce qui est un probable facteur du rapprochement avec Constantinople[129].
Il est plausible que cette alliance entre Pise et Constantinople n'ait pas été bien vue par Venise. Toujours est-il qu'en1112 une ambassade vénitienne, conduite par le patriarche de Venise lui-même, est reçue à Constantinople afin de persuader lebasileus de laisser laSérénissime république étendre son emprise sur la Dalmatie[130]. Bien qu'Alexis revendique aussi cette région il ne peut se permettre de se fâcher avec son puissant allié et donne un accord de principe en laissant en suspens la question de la suzeraineté finale sur cette province[N 52],[131].
Au même moment Alexis négocie avec le papePascal II. Il espère se concilier celui-ci et les barons dusud de l'Italie dans ses projets contre Tancrède et Antioche. Mais la condition posée par lepape, la reconnaissance par Constantinople de la primauté papale, est excessive, et Alexis le sait bien, aux yeux du clergé byzantin et de la population de l'Empire. Une nouvelle ambassade est envoyée auprès de Pascal II en1117, sans que l'on sache son contenu exact ni ses résultats, mais il est probable que cela concerne encore les revendications d'Alexis sur les États croisés et la question de l'union des Églises[132].
En1113, il semble qu'Alexis, malgré l'échec de son ambassade auprès du Roi de Jérusalem et du Pape, mais avec la neutralité des Républiques italiennes dePise etVenise, souhaite tenter une action contreAntioche. Il doit cependant se retourner à nouveau contre lesSeldjoukides. En effet, la période qui suit la première croisade permet à Alexis de consolider ses positions enAsie mineure occidentale ainsi que sur ses côtes nord et sud. Toutefois, l'espoir d'une reconquête de l'Anatolie centrale apparaît improbable et Alexis se consacre surtout à renforcer les nouvelles frontières[121]. Il est confronté en permanence à des infiltrations de Seldjoukides, souvent nomades avec des troupeaux d'ovins et de caprins, dont la présence ruine progressivement l'agriculture sédentaire de ces régions. En1115, Alexisremporte une victoire contreMalik Chah Ierseldjoukide dusultanat de Roum àPhilomélion[N 53] mais qui reste sans lendemain. Les Seldjoukides reprennent rapidement Laodicée de Phrygie (Denizli (ville)) et pénètrent dans lavallée du Méandre. Ils coupent ainsi la piste d'Attalie. Alexis se prépare à une nouvelle expédition militaire lorsqu'il est atteint par la maladie (en1118)[133].
Il ne renonce cependant pas à Antioche mais tente une nouvelle approche. Une ambassade est envoyée dans la capitale de la principauté afin de négocier un mariage entre son petit-fils[N 54] et l'héritière d'Antioche. La tentative échoue mais elle est le signe qu'Alexis accepte la réalité des faits et de la présence permanente des croisés à Antioche et en Syrie du nord.
Dans les Balkans la situation reste instable. Des infiltrations deCoumans nécessitent une intervention personnelle d'Alexis dans la région dePhilippopolis en1114[134].
Alexis Ier Comnène souffre depuis de nombreuses années de lagoutte mais les premiers symptômes de la maladie qui va l'emporter apparaissent en 1112[135]. En effet, il se prépare à se rendre à Dyrrachium pour rencontrer des émissaires normands (desPouilles) lorsqu'il tombe brutalement malade. La gravité de son état fait craindre son décès aux habitants de Constantinople et l'empereur à peine remis doit se montrer à cheval sur l'agora. À partir de ce moment, la lutte pour la succession semble ouverte. SelonZonaras[136], Alexis« aurait donné » à son épouse Irène des assurances en vue d'une éventuelle régence au nom de son fils. Aucun acte officiel après le rétablissement rapide d'Alexis ne vient confirmer ceci, mais il est vrai qu'Irène semble jouer un rôle plus important et qu'elle accompagne son époux dans plusieurs voyages. En 1115,Nicéphore Bryenne, le gendre d'Alexis (le mari d'Anne Comnène[N 55]) prend en charge le gouvernement avec le soutien d'Irène tandis qu'Alexis guerroie contre les Seldjoukides. De retour en 1116 de ce qui est sa dernière campagne, lebasileus s'alite et s'en remet à son épouse. Celle-ci tente alors de faire déshériter son filsJean au profit de son gendre[137]. Jean essaye de se créer un réseau et reçoit le soutien de son frère, nommé Isaac, et de son ami d'enfance, d'origine turque,Jean Axouch[N 56]. Il possède cependant un avantage considérable car il a été couronné du vivant de son père en1092 et celui-ci jusqu'à la fin ne remet pas en cause ce choix.
Mosaïque de l'église Sainte-Sophie représentantJean II Comnène, dont l'arrivée sur le trône symbolise la légitimité acquise par les Comnène à la tête de l'Empire.
Au début de l'année 1118 Alexis tombe de nouveau malade. Son médecin,Nicolas Kalliklès[N 57], s'inquiète de la douleur persistante de l'empereur à l'épaule. Au cours de l'été, l'empereur se plaint de ne pouvoir respirer[N 58]. Il s'agit très vraisemblablement d'angine de poitrine. L'étouffement est sans doute dû à un œdème pulmonaire aigu qui témoigne d'une grave insuffisance cardiaque[138]. L'alerte de 1112 était probablement un premier infarctus. Au mois d'août, son état s'aggrave et Alexis est incapable d'avaler autre chose que de la bouillie. Il reste cependant conscient jusqu'au avant de décéder dans la nuit du 15 au 16 entouré de sa femme et de ses trois filles[139].
Alors que son père est à l'article de la mort,Anne Comnène tente, avec l'aide de sa mère, de faire déshériter Jean au profit de son mari. En pure perte car Alexis ne revient pas sur son choix de 1092 et confirme Jean en lui donnant l'anneau impérial peu avant de mourir[N 59]. La tentative échoue aussi en grande partie à cause de la pusillanimité de Nicéphore. En effet, alors qu'Alexis n'est pas encore mort, Jean, avec l'aide de son frère Alexis, se fait proclamer empereur par la foule de ses partisans tandis que la garde du palais etNicéphore Bryenne hésitent. Cette hésitation est favorable à Jean II qui consolide sa position en nommant ses proches et ses principaux soutiens aux postes-clés[N 60]. Le rôle principal est confié à un ami d'enfance, d'origine turque, Jean Axouch qui devientgrand domestique et commandant de l'armée. Quelques jours plus tard Anne ourdit un nouveau complot contre son frère qui se repose dans sa résidence de Philopation mais celui-ci est prévenu à temps par Nicéphore Bryenne lui-même qui n'a guère envie de devenir empereur[140].
Alexis comme nombre de ses prédécesseurs a des relations tendues avec l'Église orthodoxe, surtout au début de son règne. Pourtant il est un empereur profondément croyant qui se veut le champion de l'orthodoxie religieuse. Il aime les discussions théologiques et n'hésite pas à argumenter et discuter des heures durant avec tous ceux que l'Église orthodoxe considère comme hérétiques, y compris lesmusulmans. Il n'hésite pas en 1114 àPhilippopolis, alors qu'il lutte contre une invasion desCoumans, à palabrer de longues heures avec lesPauliciens, nombreux dans cette région. Selon Anne Comnène, il mène une lutte apostolique qui lui fait mériter le surnom de « treizième apôtre », titre que seulConstantin Ier avait obtenu avant lui[142].
Le règne d'Alexis correspond à une période où les débordements hérétiques atteignent un point qui semble culminant aux yeux de l'Église mais aussi de l'empereur[143]. Le nombre de procès pour hérésie atteint un niveau inconnu depuis longtemps. Il est donc nécessaire pour Alexis de redonner à l'Église un lustre dans un domaine auquel elle se consacre traditionnellement, lathéologie et d'être celui qui se consacre au salut de son peuple en étant présent sur les fronts missionnaires et répressifs. Un témoignage important de cette action est laPanoplie dogmatique d'Euthyme Zigabène, une œuvre commandée par Alexis lui-même et qui compile l'ensemble des hérésies connues à l'époque[144].
Les relations entre la hiérarchie orthodoxe et le nouvel empereur commencent mal. À peine au pouvoir Alexis, avec le soutien de sa mère, songe à divorcer d'Irène Doukas sans doute au profit deMarie d'Alanie. Le patriarcheCosmas Ier refuse et fait pression pour qu'Irène soit couronnée avec son mari.Anne Dalassène, la mère d'Alexis ne lui pardonne pas et obtient son renvoi et son remplacement parEustratios Garidas[145].
Une crise beaucoup plus grave éclate cependant quelques mois à peine après son accession au trône. Pour trouver les ressources nécessaires afin d'affronter les Normands de Robert Guiscard (fin 1081), Alexis lance un appel urgent à sa mère et son frère Isaac qui gouverne Constantinople en son absence. Isaac réunit un synode, explique l'urgence de la situation et se référant à une loi qui remonte àJustinien[N 61] ordonne la saisie de certains biens ecclésiastiques. Isaac rencontre une faible opposition, et reçoit même l'accord du nouveau patriarche. Les premiers échecs militaires, et la vue des ouvriers arrachant l'or et l'argent aux portes des églises, font monter l'hostilité à ces mesures. Un évêque,Léon de Chalcédoine[N 62] prend la tête de la contestation. Pour désamorcer la fronde Alexis promulgue unebulle d'or (août1082) dans lequel il promet de ne plus jamais toucher aux trésors de l'Église. Puis il réunit une assemblée composée des sénateurs, des principaux dignitaires religieux (hiver 1083/1084) et donne un compte-rendu précis des prélèvements qui ont été effectués. Il ordonne de plus le dédommagement de certains monastères et certaines églises qui avaient été davantage spoliés, par exemple l'église du Christ Antiphonètès[146].
Cela n'empêche pas Léon de Chalcédoine de poursuivre sa campagne en ciblant surtout le patriarche, favori d'Anne Dalassène. Il accuse ce dernier demessalianisme ce qui oblige Alexis à nommer une commission d'enquête.Eustratios Garidas est innocenté mais il préfère abdiquer en1084. Un nouveau patriarche,Nicolas III Grammatikos est alors élu et reste à la tête du patriarcat jusqu'en1111. Avec ce dernier l'entente semble totale, du moins les premières années, et Alexis peut étendre son interventionnisme dans les affaires de l'Église à un niveau rarement atteint sous ses prédécesseurs. C'est ainsi qu'Alexis intervient dans une querelle qui oppose le clergé de la capitale aux métropolites et évêques orientaux de plus en plus nombreux à Constantinople du fait de l'avance turque en Asie Mineure. Le synode est ainsi divisé entre ces deux groupes. En1094, à la suite d'une nomination contestée, le patriarche qui n'arrive pas à un accord avec les membres du synode transmet l'affaire à l'empereur. Alexis tranche et appuie la nomination. Le métropolite d'Ancyre, Nicétas proteste et affirme (s'appuyant sur leDe fide orthodoxa deJean Damascène) que« ce n'était pas l'affaire des Empereurs de légiférer pour l'Église ». La réponse d'Alexis est cinglante« quiconque s'oppose au décret impérial doit être puni de sacrilège »[147]. Dorénavant, lebasileus s'octroie le pouvoir d'intervenir et d'avoir le dernier mot en cas d'élection contestée. Pour Alexis ce retour ducésaropapisme est une revanche sur l'époque où le patriarcheMichel Ier Cérulaire tentait de se débarrasser de son oncle Isaac Ier[148].
Jean Italos est un philosophe d'origine normande et né probablement en Italie. Il entame de brillantes études à Constantinople et devient un proche deMichel Psellos auquel il succède comme « consul des philosophes » sous le règne deMichel VII Doukas. Si le règne de ce dernier se révèle particulièrement calamiteux sur le plan politique, la cour du souverain est largement ouverte aux intellectuels et aux controverses philosophiques et religieuses. Cependant déjà à cette époque Italos est mis en difficulté pour les thèses qu'il professe et les rumeurs d'hérésie le concernant se font persistantes. Ses théories sont réunies par l'empereur en neuf propositions (sans que l'auteur soit mentionné) et soumises au synode qui les estiment contraires aux dogmes fondamentaux de l'Église[151].
L'arrivée au pouvoir d'Alexis en 1081 fait perdre au philosophe la protection impériale. Jean Italos demande au nouveau patriarche,Eustratios Garidas, une enquête sur son orthodoxie[N 63] Un nouveau synode se réunit.Isaac Comnène, le frère du basileus, y joue un rôle majeur. La brillante défense d'Italos semble emporter l'adhésion du patriarche mais l'intervention d'une foule hostile au philosophe contraint Garidas à remettre l'affaire entre les mains de l'empereur[N 64]. C'est pourquoi Alexis préside en une cour qui accuse Italos et ses disciples d'arianisme et demodalisme. Les propositions sont desanathèmes et, bien que ces accusations soient réfutées par Italos, il lui est interdit, ainsi qu'à ses disciples, d'enseigner et de prendre part au moindre débat théologique[152]. L'introduction d'un mémoire qui contient neuf propositions païennes attribuées à Italos ainsi qu'une dixième qui l'accuse d'iconoclasme renforce l'accusation d'autant qu'Italos maintient les neuf premières. Un synode est alors convoqué afin de faire appliquer les décisions prises et Italos, sur qui les pressions sont énormes, doit rendre un anathème, le (dimanche de l'orthodoxie qui commémore la victoire sur l'Iconoclasme) sur ses propositions. Il est ensuite définitivement exilé[153].
Ce qui est finalement reproché à Italos c'est d'avoir voulu intégrer la pensée philosophique de l'Antiquité (Aristote en particulier) dans son enseignement et dans ses réflexions théologiques[154]. Le courant intellectuel incarné auXIe siècle parMichel Psellos, Nicétas Byzantios,Jean Mavropous,Jean Xiphilin, et, dans une moindre mesure par Italos, et qui se caractérise par une redécouverte des œuvres de l'Antiquité bénéficie de l'impulsion donnée par l'empereurConstantin IX (1042-1055) et l'aristocratie civile qui contrôle le pouvoir à cette époque dans une phase de paix relative et de prospérité (la dynastieDoukas en est la représentante la plus emblématique). De nombreux clercs, surtout le clergé de Sainte-Sophie, sont en relations étroites avec Italos. Les hésitations du patriarche au début du procès sont révélatrices[155]. L'arrivée d'Alexis au pouvoir renverse la situation. Il est le représentant de cette aristocratie militaire d'Asie, qui privilégie l'action[156] et prône des valeurs plus réalistes, adaptées aux difficultés du temps. Dans le domaine religieux Alexis est le défenseur d'une stricte orthodoxie. Chrétien sincère il subit de plus l'influence de sa mère,Anne Dalassène, une femme dévote et constamment entourée de moines, lesquels sont généralement hostiles au courant intellectuel incarné par Italos, ainsi qu'aux clercs de Sainte-Sophie. La prophétie de l'un d'eux, Cyrille le Philéote[N 65], sur le destin impérial de son fils influence probablement le comportement d'Anne. C'est ainsi qu'Alexis, depuis l'enfance, est accompagné d'un moine en toutes circonstances y compris sur les champs de bataille[157].
Par conséquent, l'affaire Italos dépasse la personnalité et les idées du philosophe. Elle a été instrumentalisée par Alexis qui proclame sa volonté de restaurer l'Empire ainsi qu'une stricte orthodoxie religieuse. Les poursuites contre les disciples d'Italos touchent surtout les membres de l'aristocratie civile, souvent membres du Sénat, qu'Alexis soupçonne de comploter contre lui ainsi que les membres du clergé de Sainte-Sophie. Cependant Alexis sait aussi transiger. Devant la montée du mécontentement chez les clercs de la capitale il autorise cinq anciens élèves d'Italos, diacres de Sainte-Sophie, à poursuivre leur enseignement une fois que la preuve de leur refus des optionshérétiques du philosophe ait été apportée. L'un d'eux, nomméEustrate de Nicée, devient même, plus tard, un proche conseiller spirituel de l'empereur. Globalement, l'action d'Alexis s'est traduit par la disparition complète de ce mouvement de renaissance intellectuelle et cela pour au moins trois siècles[158].
Le règne d'Alexis correspond à une phase de lutte contre les diverses hérésies christologiques et dualistes, en particulier lebogomilisme et lepaulicianisme, qui connaissent un regain de vigueur en ces temps troublés. Le fondement spirituel de ces mouvements religieux est simple. Pour eux le mal ne vient pas de la désobéissance de l'homme vis-à-vis deDieu mais d'un principe extérieur appeléSatan au pouvoir équivalent au bien. Ces hérésies adoptent rapidement un comportement sectaire et refusent parfois de reconnaître les autorités religieuses et laïques[159].
Le paulicianisme est rapidement remarqué par Alexis quand un contingent de 3 000 d'entre eux, venant dePhilippopolis, participe en1081 à labataille de Dyrrachium contre les Normands. Après la défaite ils refusent de se rendre aux convocations de l'empereur et celui-ci, une fois le danger passé à la fin de1083, fait exiler leurs chefs. Ces derniers s'allient aux Petchénègues et participent à la bataille de Bélatiova (), où les Byzantins sont écrasés. Plus tard, dans les années 1114-1115, alors que le danger petchénègue semble passé, Alexis tente d'utiliser la persuasion envers le paulicianisme allant, personnellement, discuter théologie avec les chefs de la secte[160].
La réaction contre l'hérésiebogomile d'Alexis est beaucoup plus violente. Cela s'explique probablement par le fait que cette dernière a déjà profondément pénétré dans la capitale. Dès leXe siècle les bogomiles sont présents enBulgarie, puis jusqu'enAsie mineure au milieu du siècle suivant. Dans saPanoplie dogmatique,Euthyme Zigabène fait un exposé complet de la doctrine bogomile. Ce qui inquiète l'empereur c'est l'habileté des bogomiles à passer inaperçus et l'aura dont ils bénéficient dans le peuple et certains cercles des élites de la capitale[161]. Alexis fait arrêter le chef de la secte à Constantinople, un certainBasile le Médecin[162]. Selon sa fille, Alexis agit avec ruse et prudence et approche Basile en lui faisant miroiter une certaine attirance de sa part vis-à-vis de la doctrine bogomile. Basile est convié à l'exposer, en1104, devant l'empereur mais derrière un rideau, caché, se trouvent réunis le Sénat et leSaint-Synode. À la fin de l'exposé, le rideau est levé et Basile condamné comme hérétique. Tandis qu'Alexis le presse d'abjurer, il fait arrêter les principaux dirigeants de la secte. Finalement, Basile est mis à mort dans l'hippodrome afin que son châtiment soit visible de tous. Il est brûlé vif[163],[164].
L'empereur cependant est inquiet. Le procès de Jean Italos, la multiplication des hérétiques jusque dans la capitale et dans le clergé montrent qu'une réforme de l'Église parait indispensable. Alexis accuse le clergé de négligence, en particulier dans l'enseignement de la foi et de la prédication, et de s'être tourné vers des intérêts essentiellement matériels. En se détournant de la prédication, le clergé, et en particulier les moines, a permis à l'ignorance de se développer et à l'hérésie de prospérer. Cette rhétorique permet à Alexis de proposer la création d'un ordre de prêcheurs rattaché à l'Église patriarcale[165].
Ces prêcheurs appelésdidascales, sont recrutés au sein du clergé patriarcal et perçoivent, pour les clercs titulaires, une rémunération. C'est aussi pour Alexis un moyen de renforcer le contrôle impérial sur l'Église et en particulier sur le clergé deSainte-Sophie dans la capitale. Lesdidascales ont un rôle d'enseignement mais aussi de surveillance morale[166]. Une mesure prise par Alexis prouve d'ailleurs qu'il existe à l'époque une relative crise de recrutement dans l'Église. En effet, Alexis autorise lesdidascales à rester diacres s'ils le souhaitent mais offre de grands avantages (salaires élevés et pensions) pour ceux qui embrassent la prêtrise.
Parallèlement Alexis encourage les évêques à exercer les tâches d'enseignement eux-mêmes,« parce que ce n'est pas un déshonneur pour un évêque, mais un très grand honneur, que d'entrer même dans la demeure d'un pauvre… »[167].
Ce qui apparaît clairement à travers cet édit c'est que la position d'Alexis, très favorable aux moines durant sa jeunesse, sous l'influence probable de sa mèreAnne Dalassène, a évolué vers la méfiance. La réflexion d'Anne Comnène dans sonAlexiade :« On ne verra pas en effet une chevelure mondaine chez les bogomiles ; leur perversité se cache sous le manteau et le capuchon »[168] illustre le fait qu'un grand nombre d'hérétiques sont des moines à commencer par Basile le chef de la secte dans la capitale. Ces moines dits « gyrovagues » ne travaillent pas et ne vivent que de la charité. Déjà lors duconcile de Chalcédoine, en451 les autorités ecclésiastiques tentent de contrôler ces moines errants qui entrent souvent en conflit avec les évêques. Cet édit de 1107, ajouté à la compilation de toutes les hérésies, écrite sous le nom dePanoplie dogmatique parEuthyme Zigabène sur ordre du basileus vers 1104, démontre cette volonté de réforme et de reprise en main de l'Église. À l'image de ses deux successeurs, Alexis est porteur d'une vision d'un empereurépistèmonaque, faisant référence au moine censé rappeler ses frères négligents à leurs devoirs dans un monastère, ce qui implique qu'il se donne le pouvoir de rétablir l'Église dans le droit chemin[169]. La création des Didascales choisis au sein du clergé patriarcal est à l'origine de ce que l'on nomme « l'École patriarcale ».
Il semble que lesdidascales dans la capitale aient été douze. Les trois principaux dépendent de Sainte-Sophie et les neuf autres dirigent les écoles d'enseignement rattachées aux principales églises deConstantinople. Les liens entre ces écoles et l'Église existent déjà et de nombreux directeurs et professeurs de ces établissements étaient déjà désignés par le patriarche. L'enseignement dispensés dans ces écoles est de nature profane et a comme objectif de préparer aux matières théologiques enseignées par les trois didascales de Sainte-Sophie. L'édit pris par Alexis renforce la mainmise du clergé patriarcal qui dirige dorénavant la totalité des écoles de la capitale[149]. L'effacement des laïcs dans l'enseignement semble progressif mais réel et contraste avec la période précédente où des laïcs commeMichel Psellos et, à un moindre degré,Jean Italos avaient eu une influence déterminante. Le rôle des didascales est plus ample que celui d'enseignant puisqu'Alexis souhaite qu'ils puissent interpréter les écritures[170] (dans un sens évidemment favorable à l'orthodoxie). Cette réforme aboutit par conséquent à une reprise en main de l'Église par le pouvoir impérial et par le renforcement du rôle du patriarcat et du clergé de Sainte-Sophie qui devient pour les derniers siècles de l'Empire le lieu de formation et de recrutement des principaux ecclésiastiques[171].
L'intérêt d'Alexis pour les questions religieuses est en partie lié à l'importance et au rôle des moines dans son entourage. Anne Dalassène avait veillé à l'instruction de ses fils par des moines. Alexis est systématiquement accompagné d'un moine lors de chaque campagne militaire. Certes l'empereur semble vers la fin de son règne se méfier des déviances hérétiques de quelques moines, surtout des itinérants, et confie la mise en place de sa réforme religieuse au clergé de Sainte-Sophie mais il n'en reste pas moins que les questions liées aumonachisme prennent dans son esprit une grande importance. Les relations entre lebasileus et les moines sont fondées sur l'intercession de ces derniers, par leurs prières, afin de donner la victoire à Alexis sur les ennemis de l'Empire et de l'autre sur le devoir de l'empereur de sauvegarder les monastères. De plus, le règne d'Alexis se caractérise par d'importants transferts de richesses vers l'entourage familial des Comnène. Une part non négligeable est utilisée à la fondation de monastères[172]. C'est ainsi le cas du monastère duChrist Pantépoptès, fondé parAnne Dalassène où elle est ensevelie.Grégoire Pakourianos fonde le monastère de laThéodokos Pétritziôtissa[173] (près dePhilippopolis) etManuel Boutoumitès celui de la Théotokos de Kykko (sur l'île deChypre). En avril1088 Alexis promulgue unebulle d'or accordant à l'île « désertique » dePatmos, celle où est mortSaint Jean, au moineChristodoulos de Patmos afin d'y fonder le monastère deSaint-Jean-le-Théologien[174].
Une réforme semble nécessaire en particulier de lacharistikè. En effet, si l'on excepte les nouvelles fondations, la quasi-totalité des monastères appartient aux mains de riches administrateurs, souvent laïcs, que l'on nomme les charisticaires. Lacharistikè consiste en l'attribution d'un monastère, souvent en mauvais état voire en ruine, afin de le restaurer mais sans en donner la propriété. Rapidement les charisticaires en profitent pour aliéner de façon illégale de nombreuses propriétés ecclésiastiques. Ils n'hésitent pas parfois à choisir eux-mêmes les moines et à persuader les novices de céder tout ou partie de leurs biens. Certains n'hésitent pas à inscrire des laïcs, membres de leur famille, sur les listes du personnel du monastère afin de bénéficier de prébendes ecclésiastiques (adelphata). Alexis lui-même au début de son règne, alors que son pouvoir est chancelant, utilise ce système pour récompenser ses fidèles[175]. Certains religieux considèrent aussi que la nomination d'administrateurs laïcs au sein d'une communauté de moines est une perversion de la vie monastique.
Ce n'est qu'en1094, après le synode desBlachernes, qu'Alexis commence à s'attaquer au problème. Le patriarcheNicolas III Grammatikos tente un inventaire des monastères appartenant au patriarcat. L'obstruction est telle qu'elle contraint l'empereur à intervenir en par unenovelleSur le droit du patriarche concernant les monastères. Il y rappelle le pouvoir absolu du patriarche de contrôler et de corriger tout dysfonctionnement et surtout il lui redonne toute latitude dans les nominations desesômonitai (laïcs résidant à l'intérieur d'un monastère et destinés à embrasser la vie monastique). Il interdit aussi d'inscrire des laïcs sur la liste du personnel et donc ainsi d'avoir accès auxadelphata[176].
Les droits[177] du fondateur d'un monastère, l'une des caractéristiques du monachisme byzantin sont en revanche préservés. Ce patronage laïc (appelééphoreia) est différent du système des charisticaires en ceci que le fondateur, l’éphoros, doit préserver sa fondation afin qu'elle ne tombe en de mauvaises mains et il ne doit pas exploiter à son profit personnel les revenus du monastère. Ainsi le monastère de Notre-Dame-Pleine-de-Grâce a pour premièreéphorosEudocie Comnène, une fille d'Alexis, qui y réside comme nonne après son veuvage. Après sa mort en1118 lui succède sa propre mèreIrène Doukas, puis sa fille Anne, la sœur de cette dernière Marie, la fille de celle-ci Irène et ainsi de suite dans la branche féminine de la famille. Alexis lui-même est le patron dans sa capitale du monastère du Christ Philanthrôpos, de celui de Saint-Môkios et d'une autre fondation enThrace[178].
Ce type de patronage n'est pas un phénomène marginal et se poursuit bien après le règne d'Alexis. Il existe un double intérêt à ce système. Pour le monastère qui en théorie est séparé du monde extérieur mais dépend de la société alentour pour ses ressources. Un patronage, surtout impérial, est l'assurance de ne manquer d'aucun soutien. Pour le patron, c'est l'assurance d'un coûteux investissement dont l'objectif est d'assurer le souvenir (et la pérennité) de sa personne et de sa famille dans le temps. Alexis attend donc de ses dotations que les moines intercèdent, par leurs prières, pour sa sauvegarde personnelle mais aussi pour celle de l'Empire. Il y a cependant une réelle volonté de faire de la réforme monastique l'un des points d'appui de la rénovation religieuse qu'il appelle de ses vœux[179].
Le règne d'Alexis correspond à un renforcement de l'autocratie impériale. L'exemple le plus frappant vient des réformes religieuses décidées par l'empereur et non le patriarche. La multiplicité des compétences impériales renforce ce phénomène d'autant qu'Alexis, dont le modèle estBasile II[180], est un desbasileus les plus actifs. Il met sur pied un gouvernement centralisé qui repose essentiellement sur lui et ses fidèles. Surtout, il place les membres de sa famille à de nombreux postes mettant ainsi en place un gouvernement qui est entièrement entre les mains de ses parents.
Les liens familiaux : le nouveau cœur du pouvoir impérial
Alexis a une tendance très nette à confondre l'Empire avec lamaison Comnène[181]. S'il ne prend soin de couronner qu'un seul de ses fils, contrairement à certains usages des dynasties précédentes, il donne à ses autres enfants, à ses gendres, à ses frères et neveux les plus hautes dignités. L'exemple deNicéphore Bryenne, son gendre, véritable bras droit d'Alexis dans ses dernières années de règne en est l'illustration. À la mort de son frèreIsaac, Alexis prend en charge tous ses enfants et les élève sans faire de distinction avec les siens[182]. Poursuivant l'œuvre de sa mère[183], il accorde une grande importance à ce que les membres de sa famille soient mariés à des membres des puissantes familles aristocratiques de manière à s'assurer de leur fidélité. Il parvient notamment à s'allier avec la familleDoukas qui avait pourtant été la grande rivale de sa mère, grâce à son mariage avec Irène Doukas[183]. De même, il marie sa filleThéodora avecConstantin Ange, ce qui marque le début de l'ascension desAnge quisuccèdent aux Comnène en1185. C'est la conception même de la personne impériale qui se modifie car l'empereur n'apparaît plus hors d'atteinte comme dans la conception romaine classique. La parenté avec l'empereur devient un élément primordial tandis que la méthode desapanages se développe, ce qui témoigne de l'absence de distinction entre l'Empire et la famille. Ce phénomène illustre aussi l'acceptation par Alexis de la montée en puissance de la grande aristocratie aux dépens des petits et moyens propriétaires, un processus que ses prédécesseurs ont souvent essayé d'enrayer[184]. Parmi les exemples de donations de terres impériales figure l'obtention parNicéphore Mélissène de la région deThessalonique en échange de son renoncement au trône[185]. Cette évolution n'est pas sans conséquence puisqu'elle prive l'Empire d'une partie des recettes fiscales dès lors que ces concessions s'accompagnent de l'attribution des revenus fiscaux afférents[186]. Pour autant, il convient de relativiser l'idée d'uneféodalisation de l'Empire qui a parfois été défendue[N 66], le pouvoir central conserve ses prérogatives[187].
Cette assimilation entre l'Empire et la famille Comnène est illustrée par l'importance prise par les membres de la famille d'Alexis dans la direction de l'Empire. Son frère aîné, Isaac, apparaît comme un véritable co-Empereur même s'il n'en détient pas le titre. Il est nommé au titre nouvellement créé desébastokrator, qui arrive désormais en deuxième dans la hiérarchie des titres impériaux, juste après celui debasileus. Jusqu'à sa mort au début duXIIe siècle, Isaac joue un rôle majeur, bien que discret, dans la conduite des affaires de l'Empire. De même, son frèreAdrien jouit de la dignité deprotosébaste illustrissime[188]. Sa propre mère est longtemps associée au gouvernement de l'Empire, d'autant qu'Alexis est confronté dans ses premières années à de multiples menaces extérieures qui le contraignent à se tenir loin de Constantinople. Elle dispose alors de l'ensemble des prérogatives en matière de politique intérieure sans pour autant disposer de pouvoirs égaux à celui de l'empereur, qui reste le maître de la politique extérieure. Toutefois, avec le retour durable d'Alexis dans la capitale, des divergences de vue apparaissent, qui conduisent à sa mise de côté progressive dans les années 1090[189],[190]. Dans le même temps, l'ancienne aristocratie, liée notamment auSénat, est particulièrement rabaissée[191]. Au-delà, ce nouveau système qui repose sur la donation de titres et de revenus importants à la parentèle, entraîne une élévation sensible de la fiscalité au détriment de la population[192]. Globalement, ce nouveau système a fait l'objet de certaines critiques, en ce qu'il entraîne une fermeture de la société byzantine avec la constitution d'une petite élite, alors même que la société byzantine se caractérisait par les possibilités, même marginales, de promotion au mérite[193].Michel Kaplan etAlain Ducellier voient dans cette évolution l'affaiblissement d'une administration autrefois portée par le bien commun et désormais dominée par une aristocratie reposant sur des fidélités personnelles[194]. Enfin, si l'historiographie a souvent considéré que l'arrivée au pouvoir d'Alexis avait entraîné le triomphe de l'aristocratie militaire face à l'aristocratie civile[195], jugée responsable des difficultés de l'Empire au milieu duXIe siècle, les recherches récentes nuancent cette dichotomie, mettant en avant les liens entre les différentes familles[196].
En lien avec les évolutions du pouvoir impérial, l'administration de l'Empire se transforme, sans pour autant que cela réponde à un plan d'ensemble[203]. Tout d'abord, dès le début de son règne, il crée la fonction delogothète dessekrèta qui doit assister sa mère alors qu'elle occupe une place importante dans le gouvernement de l'Empire[204]. Peu à peu, ce poste gagne en influence, combinant d'importantes compétences administratives et fiscales avec pour objet de faciliter la coordination entre les différents départements de l'administration[205]. Dans le domaine des finances, c'est un mouvement de réduction et de concentration des structures administratives qui est à l'œuvre, ce qui conduit à la rationalisation de la gestion. Des postes aussi importants que lesacellaire (contrôleur des finances de l'État), l'eidikos (chargé du paiement des salaires appelé laroga) des sénateurs) ou lelogothète dugénikon (chef du service fiscal) déclinent ou disparaissent[206]. À la place, deux grandes divisions sont créées avec legrandlogariastès dessekrèta (l'administration fiscale) et le grandlogariastès deseuagè sékréta, chef comptable des biens de la couronne. En dépit de la confusion croissante entre les biens de l'Empire et les biens de l'Empereur, la distinction entre biens du fisc et biens de la couronne subsiste. Dans le même temps, l'administration judiciaire est aussi réformée et son champ de compétence étendue avec la création d'un tribunal spécialisé dans les affaires fiscales[207].
Si le règne d'Alexis Ier Comnène a permis de raffermir l'autorité impériale après les troubles qui ont précédé son arrivée sur le trône et s'il a marqué le début d'une période de relative stabilité jusqu'à la mort deManuel Ier Comnène, il a aussi connu diverses oppositions au sein de l'aristocratie byzantine, notamment dans les provinces. Lors de son arrivée sur le trône, Alexis doit asseoir sa légitimité alors même qu'il est souvent loin de Constantinople, lieu privilégié des intrigues de cour. De ce fait, dans les premiers temps de son règne, il se fait souvent accompagner des personnages qui pourraient autrement profiter de son absence pour tenter de prendre le pouvoir. Ainsi, Nicéphore Synadénos, neveu de l'Empereur déchu, est présent aux côtés d'Alexis lors de la première campagne impériale contre Robert Guiscard[208]. En dépit de cette prudence et de la solidité des alliances matrimoniales, des révoltes ont périodiquement ébranlé l'Empire. Une première vague de protestations vient des rangs de l'armée en 1083 mais elle est rapidement découverte et éteinte[209]. En 1091, c'est une alliance entre Constantin Humbertopoulos et Ariébès, un chef militaire qui avait défenduOchrid contre les Normands, qui est à l'origine d'une nouvelle révolte facilement réprimée. Les causes de ces deux soulèvements sont assez difficiles à évaluer mais il est probable que les conjurés s'estiment soit mal payés, soit mal récompensés de leurs succès ou de leurs efforts[210].
La révolte la plus dangereuse a lieu en 1094. Elle émane des frères Diogène qui disposent d'une légitimité pour réclamer le trône impérial. En effet,Nicéphore Diogène est le fils deRomain IV Diogène et il a disposé de faveurs importantes au début du règne d'Alexis. Toutefois, avec son frère Léon, il décide de conspirer contre le trône en s'appuyant sur la solidité de leurs réseaux d'alliances. C'est lors d'une campagne militaire que le plan est découvert. Les deux frères installent leur tente à proximité directe de celle de l'empereur, ce qui suscite des soupçons. Une première tentative d'assassinat échoue quand Nicéphore est surpris par l'arrivée d'une servante. Quelques jours plus tard, c'estTatikios qui l'arrête alors qu'il se dirige vers la chambre de l'empereur armé d'une épée. Face à cette menace, Alexis finit par faire prisonnier Nicéphore, lui fait avouer le nom de ses partisans avant de le faire secrètement aveugler, de manière à ne pas susciter de trop vives réactions parmi les nombreux soutiens de la famille Diogène[211],[212]. Plus tard, c'est au sein même de sa famille que la contestation apparaît.Jean Comnène, le fils d'Isaac, le frère aîné et fidèle soutien d'Alexis, se révolte sans que les causes ne soient clairement établies. Il est finalement rappelé à l'ordre et l'empereur lui pardonne par égard pour son frère. Toutefois, ce complot préfigure des tensions récurrentes au sein même de lafamille Comnène[213],[N 67],[214].
Un autre aspect important du règne d'Alexis est l'apparition de mouvements de dissidence régionaux qui illustrent la perte d'autorité de l'Empire sur ses provinces périphériques. La première de ces révoltes est celle deGeorges Monomachos, le duc deDyrrachium. Face à la menace des Normands, il tergiverse et répond de façon évasive aux demandes de fidélité d'Alexis. Finalement, il décide de négocier avecRobert Guiscard. Si Alexis parvient à le remplacer assez rapidement, cet esprit de révolte s'est assez largement diffusé dans la cité de Dyrrachium qui tombe aux mains des Normands en 1082, menaçant directement le reste de l'Empire d'une invasion normande[215]. Les deux îles de Chypre et de la Crète ont aussi connu des mouvements de révolte en 1091, dirigés respectivement parKarykès etRhapsomatès[216]. Ces mouvements sont probablement causés par l'accroissement de la pression fiscale liée aux activités militaires intenses d'Alexis ainsi que par un sentiment d'abandon lié au déclin de lamarine byzantine (plusieurs îles de la mer Égée tombent alors aux mains des Seldjoukides). Toutefois, ces soulèvements sont rapidement réprimés et semblent avoir manqué de soutien populaire[217]. Alexis réagit aussi en réaffirmant l'autorité impériale sur ces îles, avec la nomination d'Eumathios Philokalès comme gouverneur de Chypre, qui dispose d'une flotte de guerre et d'une force de cavalerie[218],[219]. La dernière révolte provinciale touche la région deTrébizonde, dans la région duPont. Déjà, dans les années 1090, cette province particulièrement isolée du fait des conquêtes turques s'était constituée en principauté quasi-indépendante sous la direction deThéodore Gabras[220]. Plus tard, c'est le ducGrégoire Taronitès qui se révolte en 1103 avec l'intention de se détacher du giron de l'Empire mais il est finalement vaincu[221]. Toutefois, il n'est pas anodin que cette contestation du pouvoir central émane de cette région qui se détache définitivement du reste de l'Empire byzantin en1204 avec la fondation de l'empire de Trébizonde[222].
Au cours du règne d'Alexis, l'armée byzantine est profondément réformée. En effet, au moment de son accession au trône, les guerres civiles ont considérablement affaibli l'Empire byzantin sur le plan militaire, d'autant qu'elles succèdent à une période de relative négligence de l'outil militaire depuis la mort deBasile II en1025. L'ancien régime de l'armée, qui repose sur les contingents provinciaux dépendant desthèmes[N 68], a quasiment disparu. Les thèmes eux-mêmes ont profondément souffert, notamment du fait des invasions Seldjoukides enAsie mineure. Ils évoluent progressivement pour prendre parfois la forme de duchés avec la reconquête d'une partie de la péninsule. Dans le même temps, l'armée permanente et centrale de l'Empire, constituée destagmata (régiments) est, elle aussi, profondément désorganisée. Peu de ces unités survivent à l'exception desImmortels (qui disparaissent dans les années 1090[223]), de l'hétairie ou encore de lagarde varangienne qui reste une composante primordiale de l'armée byzantine. Déjà désorganisée par les guerres civiles, l'armée byzantine souffre beaucoup lors des premières campagnes d'Alexis Ier et la petite armée centrale qui subsiste disparaît presque complètement : en1090, seuls cinq cents soldats peuvent être levés[224].
L'empereur, qui est lui-même issu du milieu militaire, accorde une grande importance à la restauration de la puissance militaire byzantine[225]. Il s'applique à rétablir un recrutement de troupes issues de la population byzantine avec la mise en place detagmata composés, par exemple, de soldats macédoniens[226]. Il est notamment à l'origine de la création du régiment desarchontopouloi qui recrute parmi les fils de soldats morts au combat, ce qui est une manière de s'assurer de la subsistance de ces orphelins[227]. Toutefois, il est loin d'abandonner le recours aux troupes étrangères et, notamment aux mercenaires. Il accorde une place de plus en plus importante aux troupes originaires d'Europe occidentale, lui-même s'entourant de militaires occidentaux. Les chevaliers d'origine européenne constituent le cœur de la cavalerie lourde tandis qu'après leur écrasement à la bataille de la colline de Lebounion, les Petchénègues survivants sont incorporés comme archers à cheval[226]. C'est ce besoin de faire appel à des forces étrangères qui conduit, parmi d'autres raisons, à la mise en place de lapremière croisade dont l'importance dépasse grandement les attentes des Byzantins, pour qui le concept de croisade n'a pas de sens[228]. Enfin, l'armée est un domaine dans lequel l'octroi de postes importants aux membres de la famille élargie de l'empereur trouve particulièrement à s'appliquer même si Alexis s'entoure de compagnons d'armes d'origines diverses (Tatikios est Seldjoukides etConstantin Humbertopoulos vient d'Europe occidentale). En définitive, si Alexis mène surtout les réformes pour parvenir à restaurer une force armée susceptible de combattre les nombreuses menaces extérieures sans avoir de plan véritablement cohérent[229], il est en mesure de refonder une armée solide, capable d'aligner autour de 20 000 hommes en campagne et que ses successeurs vont renforcer[230]. En revanche, ses choix stratégiques sont plus discutables, suivant parfois l'avis de très jeunes généraux sans expériences, avec des résultats qui peuvent être catastrophiques comme en témoigne la défaite à la bataille de Dristra en 1087[231].
Si, au moment de l'arrivée au pouvoir d'Alexis, l'état général de l'Empire est déplorable, la situation de la marine est désastreuse[232]. Les années de guerre civile ont conduit à accroître son délabrement entamé à partir du milieu duXIe siècle. Ainsi, au moment oùRobert Guiscard débarque sur la côte albanaise, lamarine byzantine n'est absolument pas en état de s'opposer à lui, ce qui oblige l'empereur à se reposer sur les flottes des républiques italiennes qui lui font payer cher leur assistance[233]. Pourtant, il tente tout au long de son règne de réaffirmer la puissance de la marine byzantine, primordiale pour la survie de l'Empire, tant celui-ci est susceptible d'être exposé à des menaces maritimes, à l'image des velléités deZachas d'assaillir Constantinople[234]. Ainsi, il parvient à repousser la menace de cet émir turc et à reprendre progressivement le contrôle du littoral occidental de la mer Égée grâce à l'action deJean Doukas. De même, il réaffirme la souveraineté byzantine sur la Crète et Chypre. Parallèlement à cette refondation d'une flotte de guerre, les structures de celles-ci sont modifiées. Alors que la marine byzantine était divisée en flottesthématiques, elle est désormais regroupée en une flotte unifiée, dirigée par unmégaduc[235]. Celui-ci remplace legrand drongaire, réduit au statut de commandant en second[236].
Surtout, Alexis va associer étroitement sa famille, enfants, neveux, nièces dans un réseau complexe d'alliances matrimoniales qui lient les Comnène à toutes les grandes familles de l'aristocratie byzantine.
↑Il n'est pas certain que le refus de Jean Comnène soit véridique. Konstantinos Varzos estime qu'il s'agit d'une invention d'Anne Comnène dans son ouvrage l’Alexiade pour mieux légitimer l'arrivée au trône d'Alexis (Varzos 1984,p. 49-50).
↑Son frère Isaac, nommé en1074 duc d'Antioche, se trouve confronté à la révolte de la ville qu'il écrase dans le sang. Il est de nouveau fait prisonnier par les Turcs peu après avant d'être de nouveau libéré sans doute contre une rançon. Cet éloignement d'Isaac pendant 4 ans, il ne rentre à Constantinople qu'en 1078, favorise sans aucun doute la carrière militaire d'Alexis devenu l'aîné des Comnène dans la capitale.
↑Les habitants d’Amasia estiment le gouvernement de Roussel si efficace qu’ils tentent de le sauver et ne renoncent qu’à la nouvelle (fausse) de son énucléation.
↑Ces troupes d'élite sont chargées de la sécurité personnelle de l'Empereur. Créé parBasile II ce corps est composé à l'origine deRusses puis plus tard d'Anglais et deDanois.
↑« …en même temps qu'il montait sur le char impérial, aussitôt affluèrent à la fois de partout tous les dangers : le Celte s'était ébranlé et montrait la pointe de sa lance, l'Ismaélite tendait l'arc, l'ensemble de la population nomade et tous les Scythes se précipitèrent sur nous avec d'innombrables chariots. »,Anne Comnène,L'Alexiade,XIV, 7, 1.
↑Le fils de ce dernier,Constantin Doukas, avait été fiancé à Hélène la fille de Robert Guiscard en1076 et cette dernière était venue vivre à la cour de Constantinople en attendant que le mariage soit consommé. Alexis parvenu au pouvoir la traite d'ailleurs fort bien.
↑Le chiffre de 30 000 donné par Anne Comnène est très exagéré.
↑Malgré ses difficultés financières Alexis envoieConstantin Choirosphaktès avec 144 000 pièces d'or pour Henri, soit2 000 livres, et une alliance matrimoniale entre Jean Comnène, le neveu d'Alexis, et une princesse germanique est envisagée.
↑À l'occasion de ce traité Abul Qasim est reçu en grande pompe à Constantinople et l'hippodrome est rouvert. Ce traité rend la cité deNicomédie et les rives anatoliennes de lamer de Marmara à l’Empire.
↑Les Petchénègues ont des troupes en lignes protégées par des chariots couverts et Alexis opte imprudemment pour une bataille en terrain ouvert face à un adversaire aux effectifs supérieurs.
↑Corps de troupe créé par Alexis à son avènement et constitué de soldats recrutés parmi les fils de soldats tués à la guerre.
↑En réalité le danger petchenègue n'est définitivement éliminé que par son fils Jean II Comnène.
↑L’archevêque deBulgarie,Théophylacte, écrit un traité où il demande à ses lecteurs de ne pas attacher une importance démesurée aux divergences et explique certains malentendus entre les Églises orientales et occidentales par la pauvreté du latin pour les termes théologiques. Le patriarche deJérusalemSiméon II critique à la même époque l’usage latin du pain azyme dans la communion mais en des termes très modérés (Bernard Leib,Deux Inédits byzantins sur les azymites, éditions A.Picard,1924,p. 85-107).
↑Les mercenaires sont pour l’essentiel desAnglo-Saxons, membres de la Garde varègue, laquelle cependant ne comporte plus de Normands, et des Petchénègues dont les survivants ont été en partie recrutés par Alexis.
↑Pour la grande majorité des seigneurs régionaux impliqués dans la gestion des diocèses mais aucun grand baron.
↑Le gouverneur byzantin, Nicétas, avait tenté d'imposer un seul point de passage de laSave puis comprenant que ses troupes étaient insuffisantes pour contenir une telle horde il s'était réfugié àNish et les habitants de Belgrade avaient abandonné la ville.
↑Alexis envoie sa flotte chercher les survivants réfugiés à Kibotos mais prend la précaution de les faire désarmer.
↑Chypre est l'île par laquelle transite le ravitaillement et l'assistance byzantine en argent, armes et chevaux.
↑Étienne de Blois selon laChronique anonyme (115) dit à l'Empereur :« Sache bien qu'Antioche est prise (…) et que tous les nôtres subissent un siège accablant, et sont, je le présume, à l'heure où je parle, exterminés par les Turcs. Tourne les talons au plus vite, pour ne pas tomber à ton tour entre leurs mains, toi et l'armée, que tu mènes avec toi ».
↑Les rapports entre Raymond et Bohémond sont exécrables.
↑Laodicée, reprise aux Turcs par le corsaire Guynemer de Boulogne vers août 1097, est arrachée à ce dernier par des marins anglais et cédée au duc de NormandieRobert Courteheuse. Finalement lors de l'été 1098 c'estRaymond de Saint-Gilles qui en devient le protecteur.
↑Sans que l'on sache si c'est de sa propre initiative ou de celle de l'Empereur.
↑Bohémond demande à être dispensé de laproskynèse au cours de l'entrevue ce que refuse Alexis qui accepte cependant de se lever de son trône et de prendre Bohémond par la main. L'époque où l'Empereur communique par un intermédiaire, y compris avec ses hôtes dans son palais, est bien révolue.
↑« Car l'unique suzeraineté à laquelle j'ai promis obéissance est celle de votre Majesté et celle de votre fils très cher ».Anne Comnène,L'Alexiade,XIII, 12, 9.
↑Le demi-frère de Bohémond,Guy de Hauteville, fils deRobert Guiscard passe au service d'Alexis en1084 et y reste jusqu'en1097 où il s'insurge contre la décision du basileus de ne pas porter secours aux croisés à Antioche.
↑Alexis écrit à Bertrand la lettre suivante :Tu ne dois pas te montrer inférieur à ton père dont tu dois aussi scrupuleusement la fidélité envers nous. Apprends que je pars en personne à Antioche pour châtier celui qui n'a pas tenu les serments redoutables qu'il avait fait à Dieu et à moi-même. Quant à toi, aie soin de ne lui prêter nulle assistance, et de pousser les comtes à nous rester fidèles, de telle sorte que d'aucune manière Tancrède ne soit soutenu.Anne Comnène,L'Alexiade,XIV, 2, 6.
↑Les Vénitiens ne s'attaquent à cette dernière qu'en1116.
↑L'héritier désigné est le fils d'Alexis,Jean. Mais sa sœur aînée,Anne Comnène ne l'entend pas ainsi. Enfant elle est fiancée àConstantin Doukas à qui Alexis promet l'accès au trône impérial à sa mort. Mais Constantin meurt assez jeune (en1087) et la naissance de Jean Comnène (en1088) donne un héritier à Alexis. Anne épouse alorsNicéphore Bryenne.
↑De la même manière que son père s'était appuyé sur son frère aîné Isaac et surTatikios.
↑Il est aussi un poète de la cour d'Alexis. Il compose après le décès du basileus sa lamentation funèbre.
↑Jean réussit à voir son père subrepticement, tant la garde d'Irène et d'Anne autour du mourant est forte, profitant de son transfert au cinquième étage du monastère des Manganes.
↑Il n'assiste toutefois pas aux funérailles d'Alexis persuadé que son assassinat est prévu ce jour.
↑En réalité il s'agit d'une loi qui autorisait ce type de saisie pour le rachat de prisonniers.
↑Décrit par Anne Comnène comme « ni très savant ni très cultivé » mais menant « une vie vertueuse, bien que ses manières fussent grossières et désagréables ».
↑Sans doute pour faire taire les rumeurs. Il n'est pas impossible que l'Empereur ait fait pression sur Italos.
↑Italos échappe à la foule et se réfugie dans les combles de Sainte-Sophie.
↑Choisi par les Comnène pour être le guide spirituel de la famille.
↑Un thème est une province civile et militaire dirigée par unstratège qui comprend un contingent armé chargé de sa défense. Il faut préciser que le déclin des armées provinciales date d'avant la crise des années 1070.
↑Cet ouvrage, s'il reste intéressant par la description des événements ayant marqué le règne d'Alexis, est aujourd'hui daté (Malamut 2007,p. 18).
↑Sur les remous provoqués au sein de l'Église par les saisies de biens, voirPaulGautier, « Diatribes de Jean l'Oxite contre Alexis Ier Comnène »,Revue des études byzantines,vol. 28,,p. 5-55(lire en ligne).
↑« Nous ordonnons que quiconque, à compter de ce jour, quelle que soit sa condition, accueillera chez lui pour instruire des élèves, l'Italien ou ceux que le saint et grand Synode aura convaincus d'être de l'élite de ses disciples et des plus intimes ; ou encore se rendra chez eux pour cause d'instruction, sera sur-le-champ exilé à perpétuité de cette reine des villes »,Procès 154.
↑Les conseils d'Alexis à son filsJean à la fin de sa vie sont révélateurs :Laisse un homme délicat parler en public. Mais considère l'action plus honorable que le discours. Mousai 351.
↑Ce double rôle est ainsi défini par Nicolas Mouzalôn, futur archevêque deChypre :Car mon service alors consistait à être présent dans l'église aux temps fixés, à exhorter les enfants de l'église, à nourrir des écritures les petits de ma nourrice (l'Église), extrait deDémission 152-162. Cité par J. Darrouzès,L'éloge de Nicolas III par Nicolas Mouzalôn, REB 46, 1988.
↑Jean l'Oxite,Diatribes, 30 :« Qui pourrait énumérer les îles et les continents dont on ramasse l'or et les nouveaux types d'impôts et noms d'impôts et collecteurs : les trittotes, les dékatistes, les répartiteurs, les géopoles et encore leurs comptables, les commerçants impériaux du blé et des autres produits de la terre, et outre ceux-là, les praktores grappilleurs, les percepteurs qui raclent avec l'ongle ». VoirPaulGautier, « Diatribes de Jean l'Oxite contre Alexis Ier Comnène »,Revue des études byzantines,vol. 28,(lire en ligne),p. 30.
↑Pour plus de précisions à propos de la construction et la structuration de ces nouveaux titres, voirLucienStiernon, « Notes de titulature et de prosopographie byzantines. Sébaste et Gambros »,Revue des études byzantines,vol. 23,,p. 222-243(lire en ligne).
↑Sur ce poste nouvellement créé, voirRodolphe Guilland, « Les Logothètes : Études sur l'histoire administrative de l'Empire byzantin »,Revue des études byzantines,vol. 29,,p. 75-84(lire en ligne).
↑VoirPaulGautier, « Défection et soumission de la Crète sous Alexis Ier Comnène »,Revue des études byzantines,vol. 35,,p. 215-227(lire en ligne) pour des détails supplémentaires sur la révolte crétoise.
↑« L'approche de l'organisation militaire par Alexis est typique de sa manière d'aborder les questions administratives en général. Il procède d'expédients en expédients, jusqu'à ce qu'il parvienne à des solutions satisfaisantes aux problèmes existants. Le résultat en est souvent un changement radical par rapport aux époques passées, sans que ce ne soit le but recherché ».Angold 1984,p. 128.
↑« As a result of Alexio’s perseverance, Byzantine prestige and power were restored. Byzantium was once again the dominant power in the Near East and the Balkans, but there is no disguising that the foundations of this power were very different from those of the Empire of Basil II ».Angold 1984,p. 148.
HélèneAhrweiler,Byzance et la mer : La marine de guerre, la politique et les institutions maritimes de Byzance auxVIIe et XVe siècles, Paris, Bibliothèque byzantine, Etudes,.
La version du 27 décembre 2015 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.