Le, il s'est rendu en France alors qu'aucun patriarche orthodoxe russe ne s'était rendu dans un pays de tradition catholique depuis que la hiérarchie orientale avait rompu avec Rome en1054[3].
Alexeï Mikhaïlovitch Ridiger est né àTallinn, enEstonie. Son père, Mikhaïl von Ridiger (1902-1962), né àSaint-Pétersbourg était un descendant d'une famille de la noblessegermano-balte de Courlande dont un ancêtre le capitaine Heinrich Nicolaus (Nils) Rüdiger, commandant de la forteresse de Dünamünde (rebaptisée aujourd'huiDaugavgrīva) enLivonie suédoise avait été anobli parCharles XI de Suède en 1695. Après que l'Estonie suédoise et la Livonie suédoise furent incorporées à l'Empire russe au lendemain de lagrande guerre du Nord au début duXVIIIe siècle, un autre ancêtre d'Alexis II, le baron Friedrich Wilhelm von Rüdiger (1780-1840) se convertit à la religion orthodoxe sous le règne deCatherine II de Russie. De son mariage avec Daria Fiodorovna Yerjemskaïa naquit le futur arrière-grand-père du patriarche, Yegor (Georges) von Rüdiger (1811-1848)[4].
Après larévolution d'Octobre russe en 1917, Alexandre et Aglaë von Ridiger (née von Baltz), les parents de Mikhaïl von Ridiger, se sont exilés avec leur famille en Estonie. Mikhaïl von Ridiger s'est installé àHaapsalu où un logement lui a été fourni par le prêtre Ralph von zur Mühlen[5]. Plus tard, le père du patriarche a déménagé à Tallinn, la capitale de l'Estonie, où il a rencontré et épousé en 1926 la mère d'Alexis II, Hélène Yossifovna Pissareva (1902-1959)[4] qui est née et morte à Tallinn, en Estonie[6].
Le père d'Alexis Ridiger, après avoir été diplômé de théologie de l'université de Tallinn en 1940, est devenu diacre, puis prêtre et recteur de l’église de la Nativité-de-la-Mère-de-Dieu, à Tallinn, plus tard il sera membre et président du conseil diocésain de l'Estonie.
Dès sa petite enfance, Alexis Ridiger a servi dans l'Église orthodoxe sous la direction de son père spirituel, l'archiprêtre Ioann Bogoyavlensky, mentor russophile ami de ses parents.
Alexis Ridiger fait ses études secondaires à Tallinn, en Estonie. En 1944, l'Estonie est occupée par l'armée soviétique et intégrée à l'URSS. Bien que son père ait été déporté enSibérie, Alexis est proche des ecclésiastiques qui liquident l'Église orthodoxe autonome d'Estonie[7] par l'oukase patriarcal de dissolution en date du ; cette Église était placée depuis 1923 sous la juridiction du patriarcat de Constantinople[8].
Entre et, Alexis Ridiger est servant d'autel à lacathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de Tallinn, puis à partir de 1946, lecteur de psaume à l'église Saint-Siméon et à partir de 1947 à l'église de l'Icône-de-Kazan-de-la-Mère-de-Dieu de Tallinn[6].
Il entre auséminaire deLeningrad en 1947 et obtient son diplôme en 1949. Il suit ensuite les cours de l'Académie théologique de Leningrad (aujourd'hui le séminaire deSaint-Pétersbourg) et obtient son diplôme en 1953[9],[10].
Le, il est ordonné diacre par lemétropolite Grégoire (Tchoukov) de Léningrad et le, il est ordonné prêtre et nommé recteur de l'église de l'Épiphanie dans la ville deJõhvi, dans le diocèse de Tallinn en Estonie. Le, il est nommé recteur de la cathédrale de la Dormition (Assomption) à Tallinn et doyen de la faculté du district deTartu. Commence alors sa rapide ascension au sein de l'Église orthodoxe de l'URSS, totalement contrôlée par le pouvoir soviétique. Oubliant les purges, déportations etpersécutions staliniennes, Alexis II décide, sans doute vers 1958, de collaborer avec leKGB, car la police politique a besoin de correspondants pour la renseigner sur l’Église orthodoxe[11]. Il est élevé au rang d'archiprêtre le et le, il est nommé doyen des décanats unis de Tartu-Viljandi dans le diocèse de Tallinn.
La religion orthodoxe autorise le mariage avant l'ordination, mais le code dedroit canon orthodoxe interdit formellement à un prêtre marié d'accéder à l'épiscopat ; le divorce est également interdit aux clercs ; pour Alexis Ridiger, la parade est trouvée sous la forme d'une séparation ecclésiastique de son couple avec l'accord de son épouse ; il est alors officiellementconsacrémoine le dans la cathédrale de laLaure de la Trinité-Saint-Serge[9] et peu après, sacré évêque de Tallinn le[12]. Il n'a que trente-deux ans. Sa proximité avec leParti communiste de l'Union soviétique est patente : lui-même reconnaît que l'aval de ce Parti est indispensable à toute promotion dans la hiérarchie ecclésiastique du patriarcat de Russie[13].Le, il est élevé au rang d'archevêque et en décembre, cumule sa charge avec celle d'Intendant dupatriarcat de Moscou et de Secrétaire exécutif duSaint-Synode ; le, à l'âge de 39 ans, il est promumétropolite deTallinn[10], et en 1970, métropolite deLeningrad etNovgorod.
Il conserve l'administration de son diocèse commelocum tenens jusqu'à son élection au siègepatriarcal, en. Après la mort du patriarchePimèneIer en 1990, Alexis a été choisi pour devenir le nouveau patriarche de l'Église orthodoxe russe. À partir de 1985, Alexis II, par amitié pourMikhaïl Gorbatchev, milite auFonds de charité et de santé, puis est élu député au Congrès du Peuple de l'URSS en 1988 et soutient la politique de laperestroïka. En retour, Gorbatchev lui confère leCertificat d’honneur pour mérites spéciaux dans le travail opérationnel, la plus haute distinction attribuée à un dignitaire religieux[14]. Il a été choisi comme patriarche sur la base de son expérience administrative, et a été considéré comme « intelligent, énergique, travailleur, systématique, perspicace, et pratique »[15]. Il avait également « une réputation de conciliateur, une personne qui pourrait trouver un terrain d'entente entre divers groupes dans l'épiscopat »[16]. L'archevêque Chrysostome (Martychkine) fit observer : « Avec son tempérament pacifique et sa tendance à la tolérance, le patriarche Alexis sera en mesure de nous unir tous »[17]. Cependant, un autre archevêque orthodoxe le décrit comme « un défenseur zélé du système soviétique, qui, sous couvert de propagande pacifiste, s'épanouit dans des missions internationales, durant lesquelles il préfère traiter globalement de la liberté religieuse au nom de l'Union soviétique plutôt que de vivre la caricature de cette liberté en Union soviétique[14]. »
Le patriarche Alexis II a été « le premier patriarche de l'histoire soviétique à avoir été choisi sans la pression du gouvernement ; les candidats ont été désignés par proposition orale et l'élection a eu lieu au scrutin secret »[10].
Dès son entrée en fonction, le patriarche Alexis est devenu un ardent défenseur des droits de l'Église, interpelant le gouvernement soviétique afin de permettre l'enseignement religieux dans les écoles et de faire voter une loi sur la « liberté de conscience ». Au cours de la tentative decoup d'État d'août 1991, il a dénoncé l'arrestation deMikhaïl Gorbatchev et lancé l'anathème contre les auteurs du coup d'État[10]. Il a publiquement remis en question la légitimité de la junte, appelé les militaires à la retenue et a exigé que Gorbatchev soit autorisé à s'adresser à la population[18]. Il a lancé un deuxième appel contre la violence et la guerre fratricide, qui a été, grâce à des haut-parleurs, entendu par les troupes à l'extérieur de laMaison blanche de Russie, le parlement russe, une demi-heure avant l'attaque[16]. En fin de compte, le coup d'État a échoué et la situation a finalement abouti à l'éclatement de l'Union soviétique[19].
Sous sa direction, des victimes de la répression religieuse du régime soviétique ont étéglorifiées (l'équivalent de lacanonisation catholique), à commencer par lagrande-duchesse Élisabeth, le métropolite Vladimir de Kiev, et le métropolite Benjamin dePétrograd en 1992[20]. En 2000, ce fut au tour du TsarNicolas II et de sa famille, ainsi que de nombreuses autres victimes d'être canonisées[21]. De nouveaux noms continuent d'être ajoutés à la liste des Martyrs, après étude de chaque cas auprès de la Commission synodale de Canonisation[22].
Le patriarche Alexis a également publié des déclarations condamnant l'antisémitisme[10].
Il a été en 2005, le premier lauréat du prix d'État de la fédération de Russie pour son travail humanitaire[23].
Le, certains médias russes ont fait part d'un état grave et même de la mort du patriarche[24],[25] ; l'on a démontré plus tard qu'il s'agissait bien d'un canular. Le patriarche Alexis a déclaré alors que la motivation de ces rumeurs avait été de faire échouer la réconciliation à venir entre l'Église Orthodoxe russe fidèle au patriarcat de Moscou et l'Église orthodoxe russe hors Russie[26]. « Comme vous pouvez le voir, je suis en bonne santé, je suis actif, je suis vivant », aurait-il déclaré[26]. Malgré son âge, il semblait en bonne santé et il continuait à mener une vie pastorale active. On le voyait fréquemment à la télévision russe, célébrant des offices et rencontrant divers représentants du gouvernement.
Funérailles du patriarche Alexis II
En, il a prononcé un discours devantl'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à l'occasion de sa visite en France[27]. Lors de son séjour à Paris, le patriarche, sur invitation de l'archevêque de Paris, s'est rendu à la cathédrale Notre-Dame pour y prier, au cours d’une célébration solennelle, devant les reliques de laPassion.
Une commission médicale chargé d'établir les causes de son décès s’est réunie[28]. Toutefois, selon l'agence russe d'information internationaleRIA Novosti, sa mort a été causée par un arrêt cardiaque.
L'utilisation de l'Église orthodoxe de Russie par les services secrets, soviétiques hier et russes aujourd'hui, à des fins d'information, est une pratique reconnue[29],[30] et les autorités estoniennes en ont été conscientes. En 2005, les archives nationales de lafédération de Russie ont publié les rapports des deuxième et quatrième départements duKGB[31], dans lequel se trouve un rapport rédigé par « l'agent Drozdov », pseudonyme d'Alexis Ridiger jusqu'à preuve du contraire[7],[32],[33]. Le quatrième département du KGB concernait la résistance nationale, la contre-propagande et la surveillance des églises et des intellectuels. L'agent Drozdov y est décrit comme l'un des plus éminents du KGB[34]. Le rapport indique que l'agentDrozdov est né en 1929, que c'est un religieux de l’Église orthodoxe de Russie, diplômé de l'enseignement supérieur, doctorant en théologie, parlant couramment le russe, l’estonien et un peu l'allemand. Il a été engagé le afin d'identifier les clercs anti-soviétiques. C'est un agent assidu qui remplit les objectifs fixés et qu'il convient d'inclure dans les délégations du clergé et des organes de sécurité de l’État soviétique dans les pays capitalistes[35]. Il est certain qu'enEstonie, Alexis Ridiger a combattu les paroisses orthodoxes de langue estonienne, les a persécutées et a profondément contribué à les liquider : 75 paroisses sur 158 ont été supprimées entre 1945 et 1991, au profit des paroisses russophones, tandis que le gouvernement soviétique les dépouillait de leur patrimoine paroissial (terres, lieux de culte et bâtiments de service).
↑Voir Simon Araloff,Le renseignement russe utilise l'Église orthodoxe d'Estonie, article cité par Martin Kala dansL’Église orthodoxe d'Estonie, approche canonique et du droit civil et ecclésiastique européen de 1923 à 2005, Université de Paris XI, 2007.
↑Article du journal estonienEesti Päevaleht du 6 octobre 2005, d'Ammas Anneli Jürjo, sous le titre « Poliitikud ei soovinud Alexis II minevikust teada. »
↑Ce rapport est le seul document rendu public à ce jour, et prouvant qu'Alexis Ridiger travaillait pour le KGB.