Alexandre Jean Cuza appartient à la classe noble traditionnelle desboyards, majoritaire dans les gouvernements locaux deValachie et deMoldavie, gardant le contrôle de la terre (systèmelatifundiaire), clé de la fortune et du pouvoir dans l'ère pré-industrielle[N 1]. La famille Cuza appartient à la mouvance libérale, et Alexandre, parfaitement francophone, est éduqué dans cet esprit. CitantMavrocordato, il dit de lui-même :« Je ne suis pas un homme du peuple, mais je suis un homme pour le peuple. »
Alexandre Jean (Alexandru Ioan) Cuza est né le (le selon lecalendrier julien) àBârlad en Moldavie. Il est le fils de Ioan Cuza (1783-1848) et de Sultana Cozadini (vers 1795-1865), née àConstantinople dans une famille roumaine d'origine gréco-italienne[2]. Ses parents, mariés en 1812, ont deux autres enfants : Dumitru, mort d'un accident d'équitation et une sœur, Sultana, mariée à un préfet nommé Mihai Jora, devenu ministre des affaires étrangères de Moldavie en 1860-1861[3]. Son père, boyard et propriétaire terrien est originaire duJudeț de Vaslui où sa famille a occupé durant plusieurs générations des postes dans la haute administration moldave[4].
Sa famille paternelle participe à larévolution roumaine de 1821 alors qu'il est encore un nourrisson. En 1831, il commence ses études dans un pensionnat à Iași dirigé par un Français : Victor Cuenin. Il y côtoieMihail Kogălniceanu etVasile Alecsandri. En 1835, il obtient son baccalauréat à Paris, puis poursuit des études en droit et en médecine qu'il n'achève pas. Il est membre de la Société des économistes dont il démissionne en 1840. De retour en Moldavie, il intègre l'armée moldave, puis devient président du tribunal de Covurlui en mars 1842. Le 30 avril 1844, il épouseElena Rosetti, fille dupostelnic Iordache Rosetti, boyard de haut rang issu de lafamille Rosetti, avec laquelle il n'a pas de postérité. Cependant, son épouse élève les deux fils qu'Alexandre a eus de sa maîtresseElena Maria (Marija) Obrenović, Alexandru (né en 1862 ou 1864) et Dimitrie (né en 1865)[4].
Alexandre Jean participe à laRévolution roumaine de 1848, connue comme le « Printemps des peuples européens », mais il y joue un rôle secondaire[4]. En Moldavie le calme est rapidement rétabli, mais en Valachie, les révolutionnaires prennent le pouvoir, proclament laRépublique et gouvernent pendant tout l'été 1848.Mihail Sturdza, dirigeant de Moldavie, met immédiatement fin à toute tentative de mouvement révolutionnaire en arrêtant la plupart des conspirateurs. Bien qu'il ait été prévu que certains d'entre eux, dont Cuza, soient envoyés dans l'Empire ottoman, avec l'aide du consul britannique àBrăila, ils réussissent à atteindre laTransylvanie, puis laBucovine, où Alexandre est témoin des événements révolutionnaires. Cuza passe un an en exil, àVienne,Paris etConstantinople, rentrant au pays lors de la nomination deGrigore V Ghica, nouveausouverain en Moldavie en octobre 1849[4].
Il est reconduit dans ses fonctions de président du tribunal de Covorlui à deux reprises (1849-1851 et 1855-1856), puis devient directeur du ministère de l'Intérieur (1851), recevant pendant cette période le grade de vornic. Le 6 juin 1856, il est nommé pârcălab (burgrave) deGalaţi, mais immédiatement après la fin de mandat de Grigore V Ghica en juillet 1856, il est renvoyé par lecaïmacanTeodor Balș qui meurt subitement en mars 1857. Cuza est directement réintégré dans l'armée par le nouveau caïmacan,Nicolas Vogoridès en 1857[4].
Après une carrière militaire dans l'armée moldave où il obtient le grade de colonel et pendant laquelle il rejoint laFranc-maçonnerie, il devient ministre de la guerre en 1858, et représente lejudeț deGalați à l'Assemblée deIași. À ce titre, il œuvre, sous la garantie des puissances européennes instaurée à l'issue de laguerre de Crimée, à élire un souverain progressiste au trône de Moldavie (dans lesPrincipautés roumaines, la monarchie était élective, les nobles désignant leur souverain). Cuza, brillant orateur dans les débats et défendant fermement l'union des principautés, est élu lui-même prince deMoldavie le (le ducalendrier julien) et prince deValachie le (le julien) suivant.
C'est ainsi que le colonel Alexandre Jean Cuza réalisede facto l'union (personnelle) des deux principautés. Les puissances européennes, initialement réticentes, finissent par la valider.NapoléonIII étant son ardent défenseur[5], alors que les ministresautrichien etrusse désapprouvent cette union au congrès de Paris () ; en partie parce que l'autorité de Cuza n'était pas reconnue par le sultanottoman, suzerain en titre des principautés roumaines, qui finit cependant par céder le.
L'Union est formellement déclarée trois ans plus tard, le (le julien), et le nouveau pays reçoit le nom deRoumanie, avecBucarest comme capitale.
Alexandre ne se révèle pas un bon diplomate politiquement et manque d'ascendant, préférant consulter qu'imposer et évitant les confrontations, mais il sait choisir des ministres progressistes commeVasile Alecsandri,Carol Davila ouMihail Kogălniceanu et obtient facilement l'accord du sultan pour l'unification du parlement, duquel il reçoit le trône à vie, en reconnaissance de la complexité de la tâche. Il devient dès lors la représentation politique d'uneRoumanie désormais unie et décidée à sortir des cadres hérités du Moyen Âge pour entrer dans la modernité.
Assisté par son Premier ministreMihail Kogălniceanu, un chef intellectuel de larévolution de 1848, Cuza entreprend une série de réformes qui contribuent à la modernisation de la société et des structures de l'État roumain :
lasécularisation des immenses domaines ecclésiastiques en 1863 (près d'un quart de la superficie agricole utile appartenait aux orthodoxes non imposables, qui dépendaient de laRépublique monastique du Mont-Athos à laquelle ils envoyaient une quantité substantielle de leurs énormes revenus fonciers[6]). Alexandre reçoit l'accord du Parlement pour exproprier ces terres et les distribuer aux paysans. Il offre une compensation financière à l'Église orthodoxe, mais le patriarche Nifon Rusailă refuse de négocier. C'est une erreur, car après quelques années, le gouvernement roumain retire son offre, et la somme n'est jamais payée. L'État récolte de nouveaux revenus fonciers sans augmenter ni ajouter d'impôts.
laréforme agraire, qui libère les paysans des dernières corvées féodales, et leur accorde la liberté de mouvement, en plus de la redistribution des terres sécularisées (1864). Mais, si Cuza espère ainsi s'assurer un soutien solide parmi la paysannerie, il exaspère ainsi l'opposition desboyards conservateurs qui rallient à eux une partie des « centristes ». Une loi libérale, qui garantit aux paysans la propriété de la terre sur laquelle ils travaillent, ne passa pas au Parlement. En revanche, les conservateurs réagissent par une nouvelle loi qui avalise la fin aux corvées et aux dîmes des paysans, mais donne aux boyards l'exclusivité du droit de propriété foncière dans tout le pays. Alexandre y met son veto et organise un plébiscite pour changer la Constitution, à la manière deNapoléon III. Son plan pour établir le suffrage universel pour les hommes, doublé du pouvoir pour le prince de gouverner par décret, est approuvé par 682 621 voix contre 1307. Muni de ses nouveaux pleins pouvoirs, Alexandre promulgue alors la loi agraire de 1863 : les paysans reçoivent la pleine propriété des deux tiers des terres qu'ils exploitent, tandis que les boyards en conservent le tiers restant. Les terres confisquées aux monastères et non encore distribuées aux paysans doivent être utilisées comme compensation pour les boyards. Les paysans ne sont pas satisfaits de cette répartition et les boyards manœuvrent pour garder les meilleures terres. Ils utilisent les fonds compensatoires comme capital pour investir et la classe desboyards retrouve du pouvoir dans les débuts de la société capitaliste, avec le commerce, le développement de la flotte et les premiers chemins de fer.
l'instauration en 1864 d'un nouveau code civil et d'un code pénal dans lequel lapeine de mort est abolie.
l'instauration la même année d'un enseignement public primaire gratuit et obligatoire[6].
la fondation de nouvelles universités publiques, celles deIași en 1860 et deBucarest en 1864.
le développement d'unearmée roumaine moderne et européenne, en relation opérationnelle avec laFrance.
l'émancipation desRoms, délivrés de la servitude appelée « robie » (qui n'était pas un esclavage, comme ce terme est souvent traduit par erreur, mais plutôt un servage qui liait les Roms à une famille de boyards ou à un monastère).
Alexandre échoue dans ses efforts pour créer une alliance entre des paysans prospères et un prince fort et libéral, qui gouvernerait comme un despote bienveillant à la manière de Napoléon III. Une dépression financière due à la spéculation sur les blés, un scandale monté en épingle par le clergé au sujet de sa maîtresse, et le mécontentement populaire dû à l'insuffisance, mais aussi à l'incompréhension de ses réformes, aboutit à ce que les humanistes roumains ont appeléla « Monstrueuse Coalition » entre conservateurs et libéraux radicaux. Le à quatre heures du matin, une bande de conspirateurs entre dans le palais, et enjoint au prince de signer son abdication. Ils le conduisent le lendemain directement à la frontière du pays.
Le premier successeur de Cuza est leprince Philippe, frère deLéopold II, roi des Belges, nommé par le parlement prince régnant le lendemain de sa déposition (le 23 février), mais il décline cette offre dans les jours qui suivent[7]. C'est le prince Charles deHohenzollern-Sigmaringen, proclamé prince de Roumanie sous le nom deCarolIer le qui accepte de régner sur les principautés roumaines où il arrive le 22 mai suivant[N 2]. Ironiquement, un prince étranger non lié à la classe des boyards roumains, garant de l'indépendance du gouvernement, constituait l'objectif des libéraux de larévolution de 1848.
Le prince Alexandre Cuza passe le reste de sa vie en exil àParis[8],Vienne etWiesbaden. Il meurt à 53 ans, le àHeidelberg, enAllemagne, d'une fluxion de poitrine, alors qu'il s'était rendu dans cette ville pour y inscrire ses deux fils dans un pensionnat[9].
Il est inhumé dans la résidence de sa famille àRuginoasa. Après laSeconde Guerre mondiale, ses restes sont transférés au monastère des Trois Hiérarques à Iași.