Né dans une famille à vocation artistique — son père, musicien, jouait du hautbois et du cor anglais alors que son grand-père était sculpteur —, Alessandro Blasetti suivit sa scolarité dans un institut religieux tenu par les pèresSomasques. Après un passage à l'école militaire deRome, il fit, selon les vœux de sa mère, héritière d'une vieille famille d'avocats de laCurie, son Droit à l'université de Rome. Mais, il travaillera d'abord comme employé de banque, avant de se lancer, avec beaucoup plus de passion et de conviction, dans le journalisme. Il devint collaborateur du quotidienL'Impero pour lequel il inaugura, en 1925, la première rubrique cinématographique d'un journal italien. Comme critique, Blasetti se bat pour assurer la "renaissance du cinéma italien". À cet effet, il fonde, en 1926,Lo Schermo, revue de cinéma qui deviendra, deux ans plus tard,Cinematografo. Il crée égalementLo Spettacolo d'Italia, autre hebdomadaire cinématographique à plus large diffusion. Avec le soutien financier des lecteurs deCinematografo, il fonde une coopérative de production, l'Augustus, grâce à laquelle il va pouvoir réaliser des films, et notammentSole (1929) qui aborde un des thèmes principaux dufascisme : l'assainissement des zones marécageuses. Le militantisme aux côtés du régime mussolinien caractérisera la première période de l'activité d'Alessandro Blasetti. Des productions, commeVieille garde (Vecchia guardia) (1934),Le Rappel de la terre (Terra madre) (1930) et1860 (1933), illustrent cet engagement. Dans ces deux derniers films, Blasetti continuera pourtant d'employer le dialecte, alors qu'au nom de l'unité nationale lefascisme le prohibait.Vecchia guardia, consacré aux circonstances de la venue au pouvoir des fascistes, constitue le sommet de l'engagement de Blasetti aux côtés deMussolini. Toutefois, le film reçut un accueil mitigé de la part des officiels. Déçu, sans doute, mais aussi sujet à une crise de conscience, Blasetti s'éloignera alors de l'actualité et de la politique. Il préférera s'atteler, dans une relative liberté, à la reconstruction du passé historique avec des films commeEttore Fieramosca (1938),Une aventure de Salvator Rosa (Un'Avventura di Salvator Rosa) (1939) etLa Couronne de fer (1941).
Apte à anticiper l'esprit des temps, toujours soucieux d'être en intelligence avec le public, Blasetti s'orientera, à la fin de sa vie, vers la télévision. Ces préoccupations sont à rapprocher de celles d'unRoberto Rossellini. Toutefois, alors que Rossellini persévérera dans la voie d'un cinéma de fiction, Blasetti choisira, pour sa part, ledocumentaire.
« Réalisateur-artisan » plutôt que « réalisateur-artiste », Alessandro Blasetti était souvent comparé aux grands cinéasteshollywoodiens. Innovateur, expérimentateur de métiers et de genres, éclectique en un mot, Alessandro Blasetti ne dédaignait aucun moyen d'expression. Il se décrivait ainsi : " Je suis un professionnel de même qu'un avocat est un avocat, un médecin est un médecin. À un certain moment, le médecin peut faire une grande découverte ou un miracle, mais d'habitude, il soigne une grippe, un typhus, un rhume."[1]
Les critiques de cinéma considèrent qu'Alessandro Blasetti fut, avecMario Camerini, le seul grand cinéaste de la dure périodemussolinienne[2].
Mario Monicelli, cinéaste italien : « C'est Blasetti qui a inventé la comédie à l'italienne, la vraie, avec les films Loren-Mastroianni. »
Sophia Loren : « Je dois à Blasetti mon premier "vrai" film, mon personnage numéro un (...) Il a falluDommage que tu sois une canaille (1954) pour me révéler un "caractère complet"... »
Le critiqueTullio Kezich écrit : " Qui eut le premier l'idée de les mettre en couple ? Le mérite revient au cinéaste Blasetti, qui les réunit pourPeccato che sia una canaglia, tiré d'une nouvelle d'Alberto Moravia,Il fanatico. (...) Les témoignages sur le film, remontant à et figurant dans le volumeAlessandro Blasetti deLuca Verdone (Éditions Gremese), ne laissent planer aucun doute."
Le critique François Truffaut écrit :"Dommage que tu sois une canaille est un film qui s’est fait tout seul. Parti de rien, Blasetti n’est arrivé nulle part (...). Voilà du néoréalisme d’exportation ; on peut s’endormir dix minutes sans perdre le fil de l’histoire puisqu’il n’y en a pas ; c’est bien commode, et s’il se trouve quelques spectateurs pour rire, c’est que – mettez-vous à leur place – il est dur de payer quatre cents francs son fauteuil pour ne pas s’amuser à un film prétendu drôle sur les affiches ! (Arts n°523, 6-).
Dans son ouvrage consacré àLuchino Visconti, publié auxÉditions Gallimard,Laurence Schifano écrit : "(...) un cinéaste comme Alessandro Blasetti, tout fasciste qu'il ait été, avait dès 1928, par ses films majeurs (Sole,1860), et par son enseignement à l'École de la cinématographie, suivi lui aussi "la voie de la vérité et de la réalité". Convaincu que les acteurs doivent se frotter à la réalité au lieu de s'enfermer entre les rayonnages des bibliothèques, il emmenait ses élèves en expédition dans les asiles d'aliénés, dans les prisons, dans les morgues pour leur montrer ce que sont de "vrais" fous, de "vrais" détenus, de "vrais" morts. Le tournage en décor réel - les marais pontins deSole ou laSicile de1860 -, le choix d'interprètes et de figurants pris dans la vie réelle, pour exceptionnels qu'ils aient pu être à l'époque destéléphones blancs, n'étaient pas des conceptions complètement absentes du panorama cinématographique italien."
Dans un ouvrage consacré parJean A. Gili au cinéma italien sousMussolini, Alessandro Blasetti s'explique : "J'ai été fasciste jusqu'en 1936, c'est-à-dire jusqu'à la conquête de l'Éthiopie. J'avais cru aufascisme jusque-là et je partageais complètement les paroles deMussolini : "Nous préférons la guerre chez les autres, nous bonifions lesmarais pontins et les autres marais, mais si vraiment on veut nous chercher querelle, nous avons aussi les fusils et les canons." Ensuite, je n'ai plus été d'accord quand il a parlé de l'Éthiopie. (...) Mussolini voulait conquérir l'Éthiopie, et c'est tout. (...) tout en me détachant du fascisme, je n'ai jamais joué à l'antifasciste ni ne l'ai professé, je suis devenu afasciste. (...)" (in:Le cinéma italien à l'ombre des faisceaux - (1922-1945),Jean A. Gili,Institut Jean-Vigo)
↑Jean A. Gili :Le cinéma italien à l'ombre des faisceaux,Perpignan, Institut Jean-Vigo, 1990.
↑Dans son ouvrage consacré aucinéma italien de1945 à1990 (Éditions L'Âge d'Homme),Freddy Buache, après avoir brossé une description fort peu flatteuse du cinéma italien sousMussolini, écrit de façon paradoxale :« On a coutume de signaler dans ce vaste désert de l'histoire du cinémafasciste, deux oasis auxquelles les observateurs accordent une importance exagérée : Alessandro Blasetti etMario Camerini. (...) Blasetti et Camerini, simplement, se distinguent de la médiocrité ambiante qui exaspèrent jusqu'aux principaux responsables du régime. » De son côté,Jean A. Gili, historien du cinéma italien, nous rappelle« qu'il n'est pas indifférent de constater que les deux meilleurs cinéastes italiens desannées 1930, A. Blasetti et M. Camerini, tournent en1928 et1929, deux œuvres-clefs du cinéma italien :Sole etRails (Rotaie). » (in :Dictionnaire du Cinéma mondial sous la direction deJean-Loup Passek,p. 342,Éditions Larousse). Quelques lignes plus bas, il confirme :« Parmi les cinéastes les plus représentatifs de la période émergent la figure deMario Camerini, auteur de comédies douces-amères posant un regard critique sur la société italienne, et celle d'Alessandro Blasetti, très à l'aise dans les reconstitutions historiques ». Il cite, toutefois, un autre réalisateur,Goffredo Alessandrini,« cinéaste des évocations nostalgiques et des entreprises héroïques ».