Victoria dépend de plus en plus du soutien et des conseils d'Albert. Il contribue ainsi au développement de lamonarchie constitutionnelle britannique en persuadant sa femme d'être moins partisane dans ses relations avec leParlement, bien qu'il soit activement en désaccord avec la politique étrangère interventionniste menée pendant le mandat deLord Palmerston en tant queministre des Affaires étrangères.
La mort du prince consort en 1861, à l'âge de 42 ans, affecte profondément la reine qui sombre dans un état de deuil profond et porte du noir pour le reste de sa vie. Trente-neuf ans plus tard, en 1901, la mort de la reine porte sur le trône leur fils aîné qui prend le nom d'ÉdouardVII, devenant le premiermonarque du Royaume-Uni issu de lamaison de Saxe-Cobourg et Gotha.
Albert et son frère aînéErnest sont très proches pendant leur enfance, cependant leur relation est gâchée par le mariage tumultueux de leurs parents qui s'achève par une séparation et un divorce[9]. En 1824, alors qu'il a à peine 5 ans,sa mère est exilée de la cour puis épouse son amant,Alexander von Hanstein. Elle ne reverra plus ses enfants et meurt d'un cancer à l'âge de 30 ans en 1831[9],[10]. L'année suivante, son père se remarie avec sa propre nièce, la duchesseMarie de Wurtemberg. Elle ne prend néanmoins pas part à l'éducation de ses beaux-fils[11].
L'idée d'un mariage entre le prince Albert et sacousine germaine, la princesseAlexandrina Victoria de Kent, est pour la première fois évoquée dans une lettre de 1821 de sa grand-mère paternelle, laduchesse douairière de Saxe-Cobourg-Saalfeld, dans laquelle elle le qualifie de« prétendant de la belle cousine »[17]. En 1836, l'idée émerge dans l'esprit de leur ambitieux oncleLéopoldIer,roi des Belges depuis 1831[18],[19]. À ce moment-là, Victoria est l'héritière du trône britannique. Son père, le princeÉdouard-Auguste de Kent, le quatrième fils du roiGeorgeIII, est mort lorsqu'elle était enfant, et son oncle, le roiGuillaumeIV n'a pas d'enfants légitimes survivants. Sa mère, laduchesse de Kent, est à la fois la sœur du père d'Albert, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, et du roi Léopold[19]. Pour le roi des Belges, un mariage entre son neveu et sa nièce signifierait la présence d'un Cobourg à Londres et renforcerait les bonnes relations entre la Belgique,royaume récent, et la séculaire monarchie britannique[20].
En, Léopold prend ses dispositions pour que sa sœur, la mère de Victoria, invite le duc de Saxe-Cobourg-Gotha et ses deux fils à lui rendre visite, dans le but de rencontrer Victoria[19],[21]. Si laduchesse de Kent est favorable au projet de mariage de sa fille avec un membre de sa maison,GuillaumeIV est réticent vis-à-vis d'une union avec les Cobourg, une famille qu'il déteste, et préfère le parti d'Alexandre des Pays-Bas, le second fils duprince d'Orange[22],[23],[19],[24],[25]. Victoria est consciente des divers projets matrimoniaux la concernant, et elle évalue de manière critique les différents candidats[19]. Selon son journal, elle apprécie la compagnie d'Albert dès leur première rencontre. Après sa visite, elle écrit :« [Albert] est extrêmement beau ; ses cheveux sont de même couleur que les miens ; ses yeux sont grands et bleus et il a un beau nez et une bouche très douce avec de belles dents ; mais le charme de sacontenance est son atout le plus délicieux[26],[27]. » À l'inverse, le prince Alexandre est jugé« très quelconque »[26],[28],[23],[29].
Victoria écrit alors à son oncle Léopold, qu'elle considère comme son« meilleur et plus gentil conseiller[30],[31] », pour le remercier« de la perspective de l'immense bonheur que vous avez contribué à me donner en la personne de ce cher Albert… Il possède toutes les qualités qui pourraient être désirées pour me rendre parfaitement heureuse. Il est si raisonnable, si gentil et si bon et si aimable aussi. Il a en plus l'apparence et l'extérieur les plus plaisants et les plus délicieux qu'il vous est possible de voir »[32],[33],[34],[35],[36]. À 17 ans, Victoria, bien qu'intéressée par Albert, n'est cependant pas prête à se marier. Les deux parties ne s'accordent pas sur un engagement formel mais supposent que l'union se ferait en temps et en heure[37],[38].
Dès le début de leur relation, Albert et Victoria se découvrent une passion commune pour lepatin à glace, le futur prince aimant jouer au hockey et conduire la future reine en traîneau :« Nous sommes descendus àFrogmore et Albert m'a poussée dans un fauteuil sur la glace, ce qui était délicieux et allait avec une telle rapidité. Ensuite, j'ai marché pendant qu'Albert et les autres faisaient du patin à glace, et je les ai regardés jouer au hockey »[39]. Quelques années plus tard, en février 1841, cette passion a failli coûter la vie à Albert. Lors d'une promenade à patins sur le lac gelé du Buckingham Palace, la glace se fissure et Albert tombe dans l'eau gelée, mais Victoria parvient à le sauver :« Le lac se fissura et Albert était dans l'eau jusqu'à la tête, même pour un instant en dessous. […] Jamais je n'ai ressenti quelque chose d'aussi affreux que de voir mon bien-aimé dans l'eau, pensant, comme je le faisais, que je le perdrais devant mes yeux, incapable de le secourir ![40] »
Le roiGuillaume IV du Royaume-Uni s'éteint le. Victoria lui succède. Elle n'a que 18 ans. Les lettres de cette époque montrent l'intérêt que porte la jeune souveraine à la préparation de son cousin germain à ses futures fonctions, mais prenant goût à sa liberté, elle n'est pas encore prête à l'épouser[35],[41]. Durant l'hiver 1838-1839, le prince visite l'Italie accompagné du baronChristian Friedrich von Stockmar, conseiller et confident de la famille Cobourg. Au retour de son périple italien, en, Albert semble avoir mûri : grâce au baron Stockmar, l'esprit du jeune homme s'est développé[42],[43],[44]. Le roi Léopold décide d'envoyer le prince Albert à Londres, toutefois, la reine Victoria émet des réserves au sujet du mariage. Elle se confie à son mentor,Lord Melbourne, qui déclare qu'aucune urgence n'existe en matière matrimoniale. En revanche, Stockmar argumente en faveur du mariage qui résoudrait la difficile cohabitation de la reine avec sa mère, en obligeant cette dernière à déménager,[45]. Le roi Léopold craint qu'en laissant passer trop de temps l'union n'ait pas lieu ; il insiste dans de nombreuses lettres adressées à sa nièce pour la convaincre de revoir le prince Albert. En, Léopold et son épouse la reineLouise se rendent à Londres et réussissent à persuader Victoria de revoir son cousin[46].
Mariage de Victoria et d'Albert, peinture deGeorge Hayter, 1840.
Albert retourne auRoyaume-Uni avec son frèreErnest en pour rendre visite à la reine, dans l'intention de conclure le mariage[47],[48]. Albert et Victoria éprouvent une réelle affection l'un pour l'autre et la reine le demande en mariage le[49],[50],[48]. La reine tient cependant à conserver son pouvoir et, lors des tractations, elle se montre intransigeante sur plusieurs points. Elle impose à Albert les membres de sa future maison et refuse de lui accorder quelque titre britannique que ce soit[51]. Victoria informe officiellement leConseil privé de ses projets matrimoniaux le et les noces ont lieu le, en la chapelle royale (« Chapel Royal ») dupalais Saint James[52],[53],[54],[55],[56]. Peu avant le mariage, le prince Albert est naturalisé britannique et est titréaltesse royale par undécret en Conseil[57],[58].
Dans un premier temps, les Britanniques n'apprécient pas le prince Albert, qui vient d'un petit État allemand, largement inférieur au Royaume-Uni[52]. LePremier ministre,Lord Melbourne, déconseille à la reine d'accorder à son mari le titre de« roi consort » et le Parlement s'oppose à la création d'unepairie pour Albert, notamment à cause du ressentiment envers les Allemands et du désir d'exclure Albert de tout rôle politique[59]. Les opinions religieuses d'Albert suscitent également une petite controverse lorsque le mariage est évoqué au Parlement : Albert étant deconfession luthérienne, la nature non-épiscopale de son église est considérée comme inquiétante[60]. Cependant, le plus préoccupant est que quelques membres de la famille d'Albert, comme son cousinFerdinandII,roi consort de Portugal, et son épouse la reineMarie, sontcatholiques romains, tandis que son oncle le roi Léopold règne en Belgique, pays dont la population est majoritairement catholique[61]. Lord Melbourne dirige ungouvernement minoritaire et ses opposants profitent du mariage pour affaiblir davantage sa position. Ils s'opposent à une pairie britannique pour Albert et lui accordent une rente plus petite que pour les épouses précédentes : 30 000 £ au lieu des 50 000 £ habituelles[62],[63],[64]. Albert affirme qu'il n'a pas besoin d'une pairie britannique, écrivant :« Ce serait presque une régression, car en tant que duc de Saxe, je me sens beaucoup plus élevé qu'un duc d'York ou de Kent »[65]. Pendant les dix-sept années suivantes, Albert est donc connu sous le titre de« Son Altesse Royale le prince Albert », jusqu'au, date à laquelle il est officiellement titré« prince consort » par Victoria en reconnaissance de son soutien dans ses fonctions royales[66].
La position dans laquelle Albert est placé par son mariage, bien que distinguée, offre également des difficultés considérables. Selon ses propres mots :« Je suis très heureux et comblé, mais la difficulté pour remplir ma place avec la dignité qui convient est que je ne suis que le mari, pas le maître de la maison[67]. » La maison de la reine est dirigée par son ancienne gouvernante, labaronne Lehzen[68]. Albert la surnomme le« dragon de la maison » et manœuvre pour déloger la baronne de sa position[68]. En 1850, le prince tient un rôle dont l'importance s'est accrue, ainsi qu'il l'écrit auduc de Wellington :« Une reine a de nombreux et grands désavantages par rapport à un roi. Cependant, si elle est mariée, et que son mari comprend et fait son devoir, sa position peut bénéficier de bien des compensations et à la longue devenir plus forte encore que celle d'un roi […] Chef naturel de sa famille, superintendant de la Maison, directeur de ses affaires privées, seul conseiller confidentiel, il est en outre le mari de la reine, le tuteur des enfants royaux, le secrétaire de la souveraine et son ministre permanent[69] ».
Après les deux premiers mois de leur mariage, Victoria tombe enceinte. Albert commence alors à tenir des rôles publics, devenant notamment le président de laSociété pour l'abolition de l'esclavage et aidant son épouse en privé à traiter ses dossiers gouvernementaux[70].
En, lors d'une balade en calèche, Albert et la reine enceinte se font tirer dessus parEdward Oxford, qui est ensuite jugé fou[71]. Aucun des deux n'est blessé et Albert est félicité dans les journaux pour le courage et le sang-froid dont il a fait preuve pendant l'attaque[71]. Il commence alors à gagner le soutien du public et de l'influence politique, laquelle se manifeste en pratique lorsqu'en, le Parlement adopte leRegency Act(en) qui le désignerégent en cas de décès de Victoria avant la majorité de leur enfant[72]. Leur premier enfant,Victoria, nommée d'après sa mère, naît en novembre de la même année[73]. Huit autres enfants naissent pendant les dix-sept années suivantes[73]. Tous atteignent l'âge adulte, ce qui est remarquable pour l'époque, la biographeHermione Hobhouse attribuant cette réussite au bon fonctionnement de la nurserie grâce à« l'influence éclairée » d'Albert[73]. Au début de l'année 1841, ce dernier réussit à retirer la nurserie du contrôle omniprésent de Lehzen et, en, celle-ci quitte définitivement la Grande-Bretagne, au grand soulagement d'Albert[74].
Après lesélections générales de 1841,Lord Melbourne est remplacé au poste de Premier ministre parRobert Peel, qui nomme Albert à la présidence de laCommission royale chargée de redécorer le nouveaupalais de Westminster. Le palais avaitbrûlé sept ans plus tôt et avait été reconstruit. En tant que mécène et acheteur de tableaux et de sculptures, il crée la Commission pour promouvoir lesbeaux-arts en Grande-Bretagne. Le travail de la commission est lent et l'architecte du palais,Charles Barry, prend de nombreuses décisions sans l'aval de cette dernière en décorant les chambres avec des meubles ornés traités comme s'ils faisaient partie de l'architecture[75],[76],[77]. Albert rencontre davantage de succès en tant que mécène et collectionneur privé. Parmi ses achats notables figurent des peintures allemandes et italiennes anciennes, commeApollon et Diane deLucas Cranach l'Ancien ouLe Martyre de Saint-Pierre deFra Angelico, ou des pièces contemporaines deFranz Xaver Winterhalter etEdwin Landseer[78],[79],[80]. Albert est assisté dans ses achats d'œuvres de haute qualité parLudwig Gruner deDresde[81].
Son œuvre maîtresse officielle et point culminant de sa carrière de prince consort est l'organisation et la direction de la première grandeExposition universelle, en 1851. Cette dernière est née des expositions annuelles de laSociété royale des arts, dont Albert est président depuis 1843 et dont elle doit l'essentiel de son succès à ses efforts pour la promouvoir[82],[83]. Albert prend la présidence de la Commission royale pour l'exposition de 1851 et doit se battre à chaque étape du projet[84]. À laChambre des lords,Lord Brougham fulmine à l'idée de tenir l'exposition àHyde Park[83]. Les opposants à l'exposition prophétisent que les voyous et les révolutionnaires étrangers vont envahir l'Angleterre et vont corrompre la morale du peuple et détruire sa foi[85]. Albert trouve de tels discours absurdes et persévère tranquillement, toujours confiant que l'industrie britannique bénéficierait d'une exposition aux meilleurs produits de pays étrangers[82].
La reine Victoria et le prince Albert en 1854 photographiés parRoger Fenton.
En 1852,John Camden Neild, un avare excentrique, laisse à Victoria un héritage inattendu, qu'Albert utilise pour obtenir la pleine propriété duchâteau de Balmoral. Comme à son habitude, il se lance dans un vaste programme d'améliorations[91]. La même année, il est nommé à plusieurs postes laissés vacants par la mort duduc de Wellington, notamment la gouvernance de laTrinity House et le titre de colonel desGrenadier Guards[92]. Avec la mort de Wellington, Albert a la possibilité de proposer et de faire campagne pour la modernisation de l'armée, attendue depuis longtemps[93],[94]. Pensant que l'armée n'est pas prête pour la guerre et que le régime chrétien est préférable au régime islamique, Albert conseille une solution diplomatique au conflit entre les empiresrusse etottoman.Lord Palmerston,secrétaire d'État à l'Intérieur, estplus belliqueux et favorise une politique qui empêcherait une nouvelle expansion russe[95]. Palmerston est expulsé du cabinet en décembre 1853, mais à peu près au même moment, une flotte russeattaque la marine ottomane ancrée à Sinope. La presse londonienne décrit l'attaque comme un massacre criminel, et la popularité de Palmerston croît aussi bien que celle d'Albert s'écroule[96]. En deux semaines, Palmerston est reconduit dans ses fonctions de ministre. Alors que l'indignation du public face à l'action russe se poursuit, de fausses rumeurs circulent selon lesquelles Albert a été arrêté pour trahison et est retenu prisonnier dans latour de Londres[97],[98].
En, l'Empire britannique et la Russie sont impliqués dans laguerre de Crimée. Albert conçoit un plan directeur pour gagner la guerre enassiégeant Sébastopol tout en affamant économiquement la Russie. Cette stratégie devient celle des alliés après que le tsar décide de mener une guerre purement défensive[99]. L'optimisme britannique des débuts s'estompe rapidement lorsque la presse rapporte que les troupes anglaises sont mal équipées et mal gérées par des généraux âgés qui utilisent des tactiques et des stratégies désuètes. Le conflit s'éternise car les Russes sont aussi mal préparés que leurs adversaires. Le Premier ministre,Lord Aberdeen, démissionne et Lord Palmerston lui succède le[100],[101]. Un accord met fin à la guerre avec letraité de Paris signé en mars 1856[101]. Pendant la guerre, Albert arrange le mariage de sa fille de quatorze ans, la princesseVictoria avec le princeFrédéric Guillaume de Prusse, mais Albert retarde le mariage jusqu'aux 17 ans de sa fille qu'il a personnellement instruite et de manière très libérale. Au fil des ans, la princesse est devenue une compagne précieuse pour son père, lui servant même de secrétaire particulière[102],[103]. Il espère que le couple exercera une influence libérale dans l'État prussien en pleine expansion mais très conservateur[104].
Albert promeut de nombreux établissements d'enseignement public. C'est principalement lors de réunions à leur sujet qu'il évoque la nécessité d'une meilleure éducation[106]. Un recueil de ses discours est publié en 1857. Reconnu comme partisan de l'éducation et du progrès technologique, il est régulièrement invité à prendre la parole lors de réunions scientifiques, prononçant certains discours mémorables comme celui àAberdeen en 1859, en tant que président de laBritish Association for the Advancement of Science[107],[108],[109]. Son amour pour la science rencontre une forte opposition cléricale.Lord Palmerston et lui recommandent sans succès l'anoblissement deCharles Darwin après sa publicationL'Origine des espèces, à laquelle l'évêque d'Oxford s'oppose[109].
Albert continue à se consacrer à l'éducation de sa famille et à la gestion de la maison royale[110],[111]. La gouvernante de ses enfants,Lady Lyttelton, le trouve particulièrement gentil et patient et le décrit comme enthousiaste à l'idée de se joindre aux jeux familiaux[112],[113]. Il est très peiné par le départ de sa fille aînée pour la Prusse, lorsqu'elle épouse son fiancé au début de l'année 1858, et il est très déçu par son fils aîné, le prince de Galles, lorsque ce dernier ne réagit pas bien au programme éducatif intense qu'Albert a conçu pour lui[114],[115]. À l'âge de 7 ans, le prince de Galles doit suivre six heures d'enseignement, dont une heure d'allemand et une heure de français, chaque jour[116]. Lorsque le prince ne réussit pas dans ses cours, Albert le frappe[117]. Les châtiments corporels sont courants à l'époque et ne sont pas mal considérés[118]. Le biographe d'Albert,Roger Fulford, écrit que les relations entre les membres de la famille sont« amicales, affectueuses et normales […] il n'y a aucune preuve dans les Archives royales ni dans les autorités imprimées permettant de justifier la croyance que les relations entre le prince et son fils aîné étaient autres que profondément affectueuses »[119].Philip Magnus écrit dans sa biographie du fils aîné d'Albert que son père« essaye de traiter ses enfants sur un pied d'égalité ; et ils étaient capables de pénétrer sa raideur et sa réserve parce qu'ils réalisaient instinctivement non seulement qu'il les aimait mais qu'il appréciait et avait besoin de leur compagnie »[120].
Albert est un musicien et compositeur amateur talentueux. Pour son mariage, il compose unduo,Die Liebe hat uns nun vereint (L'amour nous a désormais unis)[121].Felix Mendelssohn décrit Albert jouant de l'orgue du palais de Buckingham« avec tant de charme, de clarté et de justesse que cela aurait fait honneur à n'importe quel professionnel »[121]. Après les cours deGeorge Elvey, l'organiste de lachapelle Saint-Georges de Windsor, Albert compose plusieurs pièces chorales pour le culte anglican, notamment des arrangements deTe Deum et duJubilate, ainsi qu'unhymne,Out of the Deep[121]. Ses compositions profanes comprennent unecantate,L'Invocazione all'armonia, etMelody for the Violin, queYehudi Menuhin, décrira plus tard comme« une musique agréable sans présomption »[121].
En, le prince tombe gravement malade en raison de crampes à l'estomac[122]. Son état de santé qui ne cesse de s'aggraver le désespère : le biographeRobert Rhodes James le décrit comme ayant perdu« la volonté de vivre »[123]. En, lors d'un voyage àCobourg, Albert frôle accidentellement la mort alors qu'il conduit seul une calèche tirée par quatre chevaux qui se sont soudainement emballés[124]. Comme les chevaux galopent en direction d'un wagon qui attend à un passage à niveau, Albert saute de calèche pour sauver sa vie[124]. L'un des chevaux est tué dans la collision et Albert est gravement secoué, même si ses blessures physiques ne sont que des coupures et contusions[124]. Il confie àson frère et à sa fille aînée qu'il sent son heure venue[124].
La mère de Victoria et tante d'Albert, laduchesse de Kent, meurt en et Victoria est bouleversée par le deuil. Albert assume alors la plupart des fonctions de la reine, malgré ses problèmes chroniques d'estomac persistants. Il n'a plus l'énergie dont il a si souvent fait preuve, ses forces physiques ont diminué et son caractère s'est assombri[125],[126],[127]. Le dernier événement public qu'il préside est l'ouverture desjardins horticoles royaux le[128]. En août, Victoria et Albert visitent lecamp de Curragh enIrlande, où leprince de Galles assiste à des manœuvres militaires. Là-bas, le prince de Galles est présenté par ses collègues officiers à Nellie Clifden, une actrice irlandaise[129].
En novembre, Victoria et Albert retournent à Windsor et le prince de Galles rentre à Cambridge, où il est étudiant. Deux jeunes cousins d'Albert, le roiPierreV de Portugal et son frère le princeFerdinand, meurent à cinq jours d'écart de lafièvre typhoïde le même mois[130]. En plus de ces deuils qui le dépriment profondément, Albert est informé que des rumeurs se répandent dans lesgentlemen's clubs et dans la presse étrangère selon lesquelles le prince de Galles aurait une relation amoureuse avec Nellie Clifden[131],[132],[133]. Albert et Victoria sont horrifiés par l'indiscrétion de leur fils et craignent un chantage, un scandale ou une grossesse[132]. Le, le prince se rend àSandhurst afin d'y effectuer une inspections des nouvelles installations militaires, remplissant sa mission sous une pluie continue et glaciale. Lorsqu'il revient à Windsor, à la fin de la journée, il est harassé et faible. Le lendemain pourtant, il se rend à la chasse[133]. Albert, malade et au plus bas, se rend àCambridge pour voir le prince de Galles le et discuter de l'affaire indiscrète[134],[135],[82]. Au cours de ses dernières semaines, Albert souffre de douleurs au dos et aux jambes, mais continue à vaquer à ses occupations[136],[137].
Le prince Albert dans sa chambre mortuaire en décembre 1861.
Également en, l'affaire duTrent, le retrait forcé par les représentantsconfédérés d'un navire britannique, leRMS Trent, arraisonné par les forces de l'Union lors de laguerre de Sécession, représente une menace de guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique prépare un ultimatum et une réponse militaire. Albert est gravement malade mais intervient pour désamorcer la crise[138],[139],[140]. En quelques heures, il révise les demandes britanniques de manière à permettre à l'administration Lincoln de rendre les commissaires confédérés qui avaient été saisis sur leTrent et de présenter des excuses publiques àLondres sans perdre la face[141]. L'idée-clé, basée sur une suggestion duTimes, est de donner à Washington la possibilité de nier avoir officiellement autorisé la saisie et ainsi de s'excuser pour l'erreur du capitaine[141].
Le, un des médecins d'Albert,William Jenner, lui diagnostique unefièvre typhoïde. Il meurt à22 h 50, le dans la chambre bleue duchâteau de Windsor, en présence de la reine et de cinq de leurs neuf enfants[142]. Il est âgé de 42 ans[143],[142],[144]. Le diagnostic de l'époque est la fièvre typhoïde, mais les auteurs modernes soulignent que les douleurs persistantes à l'estomac durant les deux années précédant sa mort pourraient indiquer qu'une maladie chronique, telle lamaladie de Crohn, uneinsuffisance rénale ou uncancer de l'estomac, en serait la cause[125].
Les funérailles d'Albert se tiennent le à lachapelle Saint-Georges auchâteau de Windsor[145]. Son corps est temporairement entreposé dans le caveau royal de la chapelle[146],[147],[148]. Un an après sa mort, ses restes sont transférés aumausolée royal de Frogmore, qui n'est terminé qu'en 1871[149],[150]. Le sarcophage, dans lequel lui et la reine sont finalement déposés, est sculpté dans le plus grand bloc de granit jamais extrait au Royaume-Uni[151]. Malgré son souhait qu'aucune effigie de lui ne soit érigée, de nombreux monuments publics en l'honneur d'Albert sont construits dans tout le pays et dans tout l'Empire britannique[152]. Les plus remarquables sont leRoyal Albert Hall et l'Albert Memorial àLondres. La pléthore de monuments commémoratifs érigés en l'honneur d'Albert devient si grande queCharles Dickens déclare à un ami qu'il cherche certainement« une grotte inaccessible » pour s'en échapper[153],[154].
Le chagrin de la reine est accablant et les sentiments mitigés du peuple envers Albert sont remplacés par de la sympathie[155],[147],[156]. La veuve Victoria ne se remet jamais de la mort d'Albert : elle entre dans un profond état de deuil et porte le noir pour le reste de sa vie. Les chambres d'Albert dans toutes ses maisons sont conservées telles qu'elles étaient, l'eau chaude étant même apportée chaque matin et les draps et serviettes étant changés quotidiennement[157]. De telles pratiques sont communes dans les très riches maisonnées[158]. Victoria se retire de la vie publique et son isolement érode une partie du travail d'Albert qui tentait de remodeler la monarchie en institution nationale en donnant l'exemple moral, sinon politique[159]. On attribue souvent à Albert l'introduction du principe selon lequel lafamille royale britannique doit rester au-dessus de la politique[160],[161]. Avant son mariage, il était partisan desWhigs. Au début de son règne, Victoria a réussi àcontrecarrer la formation d'un gouvernement conservateur parSir Robert Peel en refusant d'accepter les substitutions qu'il voulait parmi ses dames d'honneur[162],[163].
Selon leduc de Brabant, fils aîné du roi Léopold, dépêché auprès de la reine Victoria,« la mort d'Albert est une calamité[137] ». Quelques jours plus tard, le roi des Belges écrit :« Je souffre énormément de cette catastrophe, et Albert est pour moi une grande perte […], personne ne peut le remplacer[164]. » Deux jours après la mort du prince, la presse européenne, et notamment belge, publie des articles élogieux au sujet du défunt :« Quoique placé dans une position plus effacée, mais non moins difficile que celle d'un souverain régnant, surtout vis-à-vis d'un peuple fier, ombrageux, rétif à toute influence étrangère, le prince Albert […], avait réussi à exercer dans les conseils de la Grande-Bretagne, avec autant de dignité que de prudence, une autorité des plus légitimes[165] ».
Dans sa biographie consacrée à la reine Victoria, en 1978, l'historienne françaiseAnka Muhlstein écrit que le prince Albert« n'était que le consort, et un consort qui ne fut jamais le favori des foules, mais pour le cercle plus restreint des hommes politiques, il tenait une place considérable dans le mécanisme de l'État […]. Albert se considérait donc une sorte de Premier ministre indélogeable et les ministres lui enviaient précisément ce suprême avantage de la permanence[69] ».
Les biographies publiées après sa mort sont généralement riches en éloges. Le chef-d'œuvre en cinq volumes deTheodore Martin est autorisé et supervisé par la reine Victoria, et son influence se reflète dans ses pages. Il s'agit néanmoins d'un compte rendu précis et exhaustif[168]. L'ouvrageQueen Victoria deLytton Strachey, publié en 1921, est plus critique, mais est discrédité en partie par des biographes du milieu duXXe siècle tels qu'Hector Bolitho etRoger Fulford, qui, contrairement à Strachey, a eu accès au journal et à la correspondance de Victoria[169].
Les mythes populaires sur le prince Albert, comme l'affirmation selon laquelle il aurait introduit les arbres de Noël au Royaume-Uni, sont réfutés par les chercheurs[170]. Des biographes récents tels queStanley Weintraub décrivent Albert comme un personnage d'une romance tragique décédé trop tôt et pleuré par son amante toute sa vie[82].
Leblack velvet, un cocktail de bièrestout et de champagne aurait été inventé au lendemain de sa mort en signe de deuil[171]. Selon unelégende urbaine popularisée dans les années 1960, lepiercing génital« prince-Albert » tiendrait son nom du mari de la reine Victoria, qui en aurait arboré un, mais cela n'est pas du tout avéré[172].
Le filmLa Dame de Windsor (1997), réalisé parJohn Madden, fait état du deuil de la reine Victoria (Judi Dench) dans les années 1860 et rend la personnalité d'Albert omniprésente, à travers les réactions éplorées de la souveraine, qui feint d'ignorer la mort de son mari à travers certains rites, l'assombrissement du train de vie royal, et les multiples représentations du prince défunt, tels lesbustes recouverts de voiles noirs[173].
Dans le film de 2009,Victoria : Les Jeunes Années d'une reine, Albert, interprété parRupert Friend, est transformé en personnage héroïque. Dans la représentation qui y est faite de la fusillade de 1840, il est touché par une balle, ce qui ne s'est pas produit dans la réalité[174],[175].
La plaque de stalle d'Albert affiche ses armoiries surmontées d'une couronne royale à six écussons pour la maison de Saxe-Cobourg-Gotha. De gauche à droite ce sont« Une tête de taureau cabosse de gueules armée et annelée d'argent, couronnée d'or, contre-palée de gueules et d'argent » pourLa Marck,« En une couronne d'or, deux cornes de buffle d'argent, attachées au bord extérieur de cinq branches fessées chacune de trois feuille de tilleul sinople » pourThuringe,« En une couronne d'or, un chapeau pyramidal chargé aux armes de Saxe, surmonté par un panache de plumes de paon au naturel également en une couronne or » pour laSaxe,« Un homme barbu de profil coupé sous les épaules vêtu palé d'argent et de gueules, la couronne pointue pareillement palée se terminant en un panache de trois plumes de paon » pourMeissen,« Un demi-griffon déployé d'or, ailé de sable, colleté et lampassé de gueules », pourJuliers et« En une couronne d'or, un panache de plumes de paon au naturel » pourBerg[180]. Les deuxsupports du blason sont le lien couronné d'Angleterre et la licorne d'Écosse, chargés sur l'épaule d'un lambel comme dans les armoiries. La devise personnelle d'Albert, également utilisée par le11e régiment de hussards, est l'allemandTreu und Fest, Loyal et Sûr[181].
1. Prince de Saxe-Cobourg et Gotha par naissance puis crééprince consort par la reineVictoria. 2. Prince de Grèce et de Danemark par naissance puis créé prince du Royaume-Uni par la reineÉlisabeth II.
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