Issu d'une famille de petits paysans propriétaires franc-comtois installés depuis plusieurs générations dans la région deLuxeuil, Albert Mathiez est le fils aîné de Constant-Aristide-Eugène Mathiez (1849-1909), un paysan franc-comtois devenu aubergiste en 1881, et de Delphine-Adélaïde Thiébaud, fille de cultivateur de deux ans sa cadette, mariés le.
Né le à 17 heures, il est baptisé « Albert-Xavier-Émile ». Trois ans après la naissance d'un second enfant, une fille, en 1885, le couple divorce, et Delphine Thiébaud émigre auxÉtats-Unis avec sa cadette.
De son côté, Constant Mathiez s'installe dans le petit village deSaint-Germain, au nord deLure, où il ouvre un cabaret et se remarie, avant de mourir à l'âge de 59 ans[1].
Au collège de Lure, Albert Mathiez remporte un grand nombre de prix durant trois ans (1887-1890), particulièrement en langues, en science et en histoire, avant de rejoindre lelycée Gérome deVesoul à l'automne 1890. Remarqué par l'inspecteur général, il est envoyé à Paris l'année suivante et entre en 1891 aulycée Lakanal, àSceaux, où il se lie d'amitié avec Albert Lévy, fils d'un rabbin alsacien, Louis-Victor Bourrilly etCharles Péguy[1]. Là, il se prépare au concours d'entrée à l’École normale supérieure, dont il suit les cours après son service militaire de 1894 à 1897. Albert se distingue par ses opinions « avancées » et se proclame socialiste. Son caractère devient de plus en plus violent à la suite d'un accident survenu en 1896 où il perd l’œil gauche. Il obtient l’agrégation d'histoire et géographie en 1897[2].
Professeur au lycée deMontauban puis aulycée de Châteauroux, il se spécialise dans l’histoire révolutionnaire, rédigeant un mémoire sur lesjournées des 5 et 6 octobre 1789, et prépare une thèse d’histoire sous la direction d’Alphonse Aulard, qui le dirige vers l’histoire religieuse, domaine encore alors à défricher. Il est docteur ès lettres en 1904.
Après quelques années passées dans des lycées de province, Mathiez est professeur aulycée Voltaire, à Paris, quand le ministère l'envoie comme chargé de cours à lafaculté des lettres de Nancy en février 1908 puis àcelle de Lille (-), pour suppléerPhilippe Sagnac. Devenu professeur à lafaculté des lettres de Besançon en 1911, il est titulaire de la chaire d'histoire moderne et contemporaine àDijon de 1919 à 1926. En, il devient suppléant de Philippe Sagnac à la chaire d'histoire de la Révolution française de laSorbonne[3].
En 1922, il en démissionne[4]. Il participe en décembre à la fondation de l'Union fédérative des travailleurs socialistes révolutionnaires, avant de s'associer, en 1923, à l'Union socialiste communiste, nouvelle formation politique constituée à Dijon.
En 1926-1927, il publie plusieurs articles dans laNouvelle revue socialiste deJean Longuet. De même, par réaction à la politique nationaliste du gouvernement deRaymond Poincaré, issu duBloc national, il adhère aupacifisme dans lesannées 1920. En 1926, il signe unAppel aux consciences qui dénonce les clauses dutraité de Versailles sur la responsabilité du déclenchement de la guerre et demande leur abrogation. Cinq ans plus tard, il adhère à laLigue des combattants pour la paix, qu'il quitte cependant dès, au retour d'une tournée enAllemagne, jugeant que l'esprit de revanche qui règne dans ce pays hypothèque les chances de réconciliation[1].
Le[5], il est frappé d'une hémorragie cérébrale en présence de ses étudiants, dans l'amphithéâtre Michelet de la Sorbonne rue Saint Jacques ; rapidement hospitalisé, il meurt dans la soirée, sans avoir repris connaissance[6]. Une plaque commémorative à son effigie se trouve encore à ce jour dans l’amphithéâtre de la Sorbonne.
Prolongeant l’étude pionnière d’Aulard sur leCulte de la Raison et de l’Être suprême (1892), il soutient en 1903 une thèse principale surLa Théophilantropie et le culte décadaire à la Faculté des lettres de l’Université de Paris. Puis, en 1904, il présente sa thèse secondaire portant surLes Origines des cultes révolutionnaires (1789-1792), qui fait grand bruit, traitant à la suite d’Émile Durkheim le phénomène religieux comme un fait social et envisageant les manifestations de la foi révolutionnaire comme un ensemble cohérent perceptible dès les débuts de la Révolution[7].
Mais, en 1907, Mathiez se dirige versRobespierre et fonde avec Charles Vellay (1876-1953), docteur ès lettres et éditeur des œuvres deSaint-Just, la Société des études robespierristes, dont il devient le président[8] et qui regroupe des historiens et des hommes politiques. Cette société publie sous sa direction une revue, d'abord baptiséeLes Annales révolutionnaires (1908-1923), avant de prendre le nom d’Annales historiques de la Révolution française[9]; celle-ci entre en concurrence avecLa Révolution française, que dirige Aulard. La brouille s’installe dès lors entre les deux hommes, le premier prenant la défense deDanton, tandis que le second se fait le champion de Robespierre.
Historien de la « religion civile » révolutionnaire, Albert Mathiez fut un temps admirateur de larévolution bolchevique et l'initiateur de la comparaisonbolchevisme/jacobinisme. Il voyait, en 1920, dans l'institutionnalisation dessoviets parLénine une façon radicale de remédier aux « inconvénients de la bureaucratie et du parlementarisme, et réaliser autant que possible ce gouvernement du peuple par le peuple qui est pour lui, comme pourRousseau et pourRobespierre, le propre de la démocratie véritable »[10].
En 1922, il se décide à présenter en une large synthèse ses vues d'ensemble sur la Révolution : ce sont les trois volumes deLa Révolution française publiés dans la collectionArmand Colin et régulièrement réédités (Club français du livre en 1967,10/18 en 1978 ouDenoël en 1985).
Il s’intéresse de plus en plus à l’histoire économique et sociale de la Révolution. et publie en 1927La Vie chère et le mouvement social sous laTerreur qui marque une grande étape pour les recherches d’histoires révolutionnaires.
Enfin en 1929, il publie, aux éditions Armand Colln (cette fois avec un appareil critique — notes et index — que la collection de 1922 ne permettait pas)Laréaction thermidorienne qui retrace l'histoire des quinze derniers mois de laConvention nationale (rééditée en 2010 parLa Fabrique).
La Révolution française (jusqu'au 9 Thermidor), Paris, Armand Colin, 1922-1924.
Le Directoire, du 11 brumaire an IV au 18 fructidor an V, Paris, Armand Colin, 1934.
Études sur la Révolution française, 1954.
Études sur Robespierre (1758-1794), Préface deGeorges Lefebvre, Paris, Éditions sociales, Société des études robespierristes, 1958.
Révolution russe et Révolution française, recueil d'articles préfacé par Yannick Bosc etFlorence Gauthier, Paris, Éditions critiques, 2017.
Robespierre et la république sociale, recueil d'articles et de conférences préfacé par Yannick Bosc etFlorence Gauthier, Paris, Éditions critiques, 2018,(ISBN9791097331047).
Albert Mathiez (1874-1932), colloque de Dijon, 28-, Société des études robespierristes, 1974.
Voies nouvelles pour l'histoire de la Révolution française, colloque Albert Mathiez-Georges Lefebvre, pour le centième anniversaire de leur naissance (1874-1974), Société des études robespierristes, 1975.
James Friguglietti,Albert Mathiez, historien révolutionnaire (1874-1932) (traduit de l'anglais par Marie-Françoise Pernot), Société des études robespierristes, 1974, 261 p.
Albert Troux,Albert Mathiez, professeur et historien 1874-1932, Imprimerie G. Thomas, 1932.
Albert Troux,Un grand historien comtois : Albert Mathiez [1874-1932]. Conférence faite le dimanche à la Société des conférences populaires de Vesoul, G. Thomas, 1935, 40 p.
Jean-Pierre Chantin, « Les adeptes de la théophilanthropie. Pour une autre lecture d'Albert Mathiez », Rives nord-méditerranéennes,no 14, 2003,[lire en ligne].
François Furet, "Histoire universitaire de la révolution française", dansDictionnaire critique de la révolution française(François Furet, Mona Ozouf et coll), tome 5-Interprètes et historiens, Paris, Champs Flammarion, 2007, (Flammarion, 1988), p.111-139.