Pour les articles homonymes, voirLibertad,Joseph Albert etAlbert.
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| Surnom | Libertad |
| Autres noms | Albert Libertad |
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Joseph Albert, ditAlbert Libertad ouLibertad, est unmilitantfrançais,anarchiste individualiste et fondateur du journalL'anarchie. Il est né le àBordeaux et mort le, à l’Hôpital Lariboisière àParis.
Il est parmi les fondateurs, en 1902, de laLigue antimilitariste et participe à l'essor du mouvement des « Causeries populaires ».
Albert Libertad nait en 1875 de parents inconnus à Bordeaux. Jeune, il perd l'usage de ses jambes à la suite d'une maladie et se déplacera par la suite avec des béquilles. À dix-neuf ans, après des études au lycée de Bordeaux, il devient comptable. Il est alors intéressé par l'anarchisme, et , deux ans plus tard, à partir de 1896, il fait de la propagande anarchiste au sein de réunions publiques. Enfant de l'assistance publique, il ne pouvait quitter la ville de Bordeaux avant sa majorité et ce n'est donc qu'une fois celle-ci atteinte qu'il part pour Paris, où il vit d'abord à la belle étoile ou dans des asiles de nuit avant de se présenter dans les bureaux du journalLe Libertaire qui lui serviront temporairement d'abri.
Dès 1899, il pratique le métier de correcteur dans l'imprimerie tenue parAristide Bruant, qui éditaitLa Lanterne, puis travaille pourSébastien Faure et sonJournal du peuple avant d'entrer, en 1900, à l'imprimerie Lamy-Laffon. L'année suivante, il fait partie du syndicat des correcteurs. Il a commencé à écrire dans des journaux (notamment auDroit de vivre) où son talent est rapidement reconnu.
Mais Libertad ne s'en tient pas exclusivement à l'écrit. Il est aussi un adepte de lapropagande par le fait et un orateur hors pair connu au sein du mouvement libertaire pour son ton tranchant et ironique, son imagination débordante et sa verve polémique. Il se distingue alors par son goût pour les bagarres et l'usage qu'il y fait de ses cannes.
Il est vivement critiqué par quelques « anarchistes » (Georges Renard et Martinet notamment), mais ces derniers seront plus tard reconnus comme étant des spécialistes durenseignement policier, des « taupes » qui s'étaient introduites dans le milieu anarchiste (la répression à la suite de laCommune de Paris était encore d'actualité).
Du fait de ses activités nombreuses et remarquées, Libertad était en effet étroitement surveillé par la police. Dans les colonnes duLibertaire, il se plaint ainsi d'être constamment suivi par deux agents qui, malgré cela, ne cesseront pas de l'épier.
Il fait partie du groupe libertairemontmartrois « Les Iconoclastes ». Lors de l'affaire Dreyfus, il prend position en faveur ducapitaine Dreyfus, aux côtés deSébastien Faure, même si son soutien restera modéré. Il fait partie des cercles évoluant autour du dreyfusardFrancis de Pressensé avec les anarchistesAntoine Cyvoct etPierre Martinet pendant cette période[1].
À la suite de cette affaire, en 1902, il est parmi les fondateurs de laLigue antimilitariste, organisme à prétentions révolutionnaires. Néanmoins, il s'en détache plus tard, refusant que la Ligue devienne un lieu de spécialisation (voire de centralisation), cherchant des moyens directs pour transformer la société et diffuser ses idées anarchistes.
Toujours en 1902, il se présente comme « candidat abstentionniste » dans le11e arrondissement de Paris, moyen, selon lui, de faire de la propagande anarchiste. Il mène une campagne abstentionniste. En 1904, il se présente de nouveau et sans succès à ces élections.
En 1908, il est admis à l’Hôpital Lariboisière à la suite d'une bagarre avec la bande deParaf-Javal, suivie d'une descente de police, devant les locaux du journal. Son décès intervient quelques jours plus tard et serait dû à unphlegmon[2] ou à unanthrax (staphylococcique)[3] selon le médecin légiste. Des versions mentionnent un« assassinat à l'Anthrax »[4], mais il s'agit très probablement d'une confusion liée à l'anglicisme anthrax désignant cette maladie du charbon.


Albert Libertad participe à l'essor du mouvement des « Causeries populaires », avecParaf-Javal, ami avec qui il se fâche par la suite. Paraf-Javal donnait auparavant des cours au sein d'universités populaires aux sujets divers mais strictement spécialisés sur des sujets précis. La rencontre entre Paraf-Javal et Libertad inspire la création de causeries dégagées du cadre strict des universités populaires (trop didactiques et spécialisées). Un premier local est ouvert, avec succès, en à lacité d'Angoulême, et des initiatives se développent à Paris, en banlieue et en province, bien que certaines de ces initiatives restent éphémères.
Cependant, le scientisme et l'éducationnisme de Paraf-Javal ne suffisent pas à Libertad, qui tente d'insuffler à ces « Causeries populaires » une dynamique d'agitation, mettant en rapport direct les idées anarchistes avec les objets d'étude scientifique posés par Paraf-Javal. Les thèmes abordés y sont divers, mais la question de l'amour libre, de la relation avec lessyndicats ou avec lemouvement ouvrier y sont notamment abordés. Le public de ces réunions est également pris en filature. Il arrive parfois même que la police demande aux gens venus pour la causerie de provoquer des échauffourées, expliquant parfois que certains s'y retrouvent blessés. Peu à peu et du fait de l'évolution que prennent les causeries, notamment par leur engouement pour l'activisme qu'insuffle Libertad, déplaît à Paraf-Javal.
En, Libertad fonde avec ses deux compagnes, Armandine etAnna Mahé[5], le journalL'Anarchie[6],[7]. Diverses personnes tournent alors autour de ce journal, notammentAndré Lorulot,Mauricius,Léon Israël etÉmile Armand.
Libertad était un révolté, qui luttait non en dehors (tel lescommunautés libertaires) ni à côté de la société (les éducationnistes), mais en son sein. Il sera souvent présenté comme une figure de l'anarchisme individualiste sans jamais se revendiquer comme tel, même s'il ne rejetait pas l'individualisme. Libertad se réclamait du communisme. Plus tard, Mauricius, qui était un des éditeurs du journalL'Anarchie dira : « Nous ne nous faisions pas d'illusions, nous savions bien que cette libération totale de l'individu dans la société capitaliste était impossible et que la réalisation de sa personnalité ne pourrait se faire que dans une société raisonnable, dont lecommunisme libertaire nous semblait être la meilleure expression. » Libertad s'associait à la dynamique de révolte individuelle radicale au projet d'émancipation collective. Il insistait sur la nécessité de développer lesentiment de camaraderie, afin de remplacer la concurrence qui était la morale de la société bourgeoise.
En 1967,Raoul Vaneigem, dans sonTraité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations[19], évoque la personne de Libertad en ces termes :
« Mais tant vont les noms aux choses que les êtres les perdent. Renversant la perspective, j'aime prendre conscience qu'aucun nom n'épuise ni ne recouvre ce qui est moi. Mon plaisir n'a pas de nom. Les trop rares moments où je me construis n'offrent aucune poignée par où l'on puisse me manipuler de l'extérieur. Seule la dépossession de soi s'empêtre dans le nom des choses qui nous écrasent. Je souhaite que l'on comprenne aussi dans ce sens, et pas seulement dans le simple refus du contrôle policier, le geste d'Albert Libertad brûlant ses papiers d'identité, geste que rééditeront en 1959 les travailleurs noirs de Johannesburg. Admirable dialectique du changement de perspective : puisque l'état des choses m'interdit de porter un nom qui soit comme pour les féodaux l'émanation de ma force, je renonce à toute appellation ; et du même coup, je retrouve sous l'innommable la richesse du vécu, la poésie indicible, la condition du dépassement... »
En 1976,Roger Langlais dans sa Préface auCulte de la charogne, dira de l'anarchiste :
« Si Libertad a fait face, de son vivant, à tant de calomnies, s'il a suscité la haine et la dérision, apanage des esprits les plus libres, ou s'il a été travesti en agitateur "pittoresque" par les chieurs d'encre, c'est sans doute parce que son existence même était intolérable : elle était la négation de l'hébétude, de l'instinct grégaire et de l'attachement à l'état de mort-dans-la-vie que perpétuent, d'une génération à l'autre, ceux-là mêmes que leur adhésion formelle à telle ou telle théorie révolutionnaire serait censée immuniser contre les repoussantes séductions du vieux monde. Mais s'il est scandaleux que Libertad ne soit pas entré dans la mort avant de tomber sous les coups des flics, il est bien plus intolérable encore que loin de se satisfaire d'un misérabilisme de marginal, il ait toujours porté la contradiction au cœur même de l'illusion sociale, dans le domaine réservé aux tenants interchangeables de l'État et de sa négation spectaculaire (...).Rejet du passé, rejet des germes de mort et de putréfaction qui empoisonnent déjà le futur, sont indissolublement liés : tel est le sens de la haine que porte Libertad au "culte de la charogne", dont toute la vie quotidienne subit l'envahissement : "Les morts nous dirigent ; les morts nous commandent, les morts prennent la place des vivants."Jamais peut-être l'essence morbide de la démocratie, dans ses manifestations apparemment les plus disparates, n'a été perçue avec une telle lucidité. Il est d'ailleurs superflu d'insister sur le caractère prémonitoire de cette vision : il suffit de considérer le fascisme, putréfaction ultime de la démocratie, le stalinisme triomphant, construit sur des millions de charognes - celles des "héros" et celles des "traîtres" - ou l'idéologie du martyr partagée par la plupart des mouvements qui prétendent s'opposer à la bureaucratie comme au capitalisme et pour lesquels, dans le meilleur des cas, la vie n'est que l'espoir de vivre. »
Albert Libertad sera largement évoqué parLouis Aragon dansLes Cloches de Bâle (2e partie, chapitres XV à XVIII).
En 2004, le filmAaltra rend brièvement hommage à l'anarchiste avec un monologue à la32e minute interprété parNoël Godin :
« Pensons à Albert Libertat qui à la belle époque était un scandaleux estropié, qui révolutionnait tout tout autour de lui. Il chargeait à la béquille les meetings politiques, il montait sur les estrades, il se collait sur son derrière et avec son bâton, il pulvérisait tous les jarrets, les zygomates qui voulaient l'évacuer. Il incitait les piou-piou à la désertion. Il chantait dans les rues, et dans les ateliers, la grève des gestes inutiles. Il cramait les papiers d'identité passant à sa portée, il surgissait dans les églises au beau milieu des offices et il traitait les prêtres officiants de "sales crapules" et les fidèles agenouillés devant eux de "pauvres veaux". Il dévastait les cimetières en pestant contre le respect de la mort, le culte de la charogne. Et il se gaussait des couples capsulés petits bourgeois en se mettant en ménage qu'avec des sœurs. Viva Albert Libertat ! »
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