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| Activité | professeur agrégé (1931-1942) |
| Parentèle | oncle maternel d'Alain Krivine |
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| Lieu de détention | Oflag IV-D(jusqu'en) |
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Albert Lautman[albɛʁlotman], né àParis le etfusillé aucamp de Souge le, est unphilosophe des mathématiques etrésistantfrançais.
Normalienagrégé proche deJacques Herbrand puis des fondateurs dugroupe Bourbaki, qui l'engagent sur la voie dustructuralisme mathématique, il reste, contrairement à sonrépétiteur et amiJean Cavaillès, attaché à unfondementréaliste desmathématiques et défend, sans avoir eu le temps d'achever son argumentation, une forme actualisée du « platonisme mathématique » deJacques Hadamard.
Son œuvre, inachevée, tient en moins de quatre cents pages. Sa recherche d'une unité de la science,mathématique etphysique, dans descouples« dialectiques » oudyades, leglobal et lelocal, l'intrinsèque et l'extrinsèque, l’essence et l’existence, lecontinu et lediscret, lasymétrie et ladissymétrie, lemême et l'autre, tente de définir comme des« schémas de structure » mais aussi des« schémas de genèse » les conditions pour résoudre les défis techniques auxquels sont confrontés ses contemporainsmathématiciens, tels qu'Élie Cartan,André Weil ouCharles Ehresmann. Sans prétentionsheuristiques précises, elle se donne comme le cadremétaphysique d'une réponse auxapories que soulève son étude détaillée de l'état de la science d'alors, par exemple lanotion de fibre, lafonction zéta mais aussi lathéorie des quanta. Au delà d'unparti prisontologique, elle demeure jusqu'à aujourd'hui, à travers lathéorie des motifs, lathéorie des catégories, ou l'algèbre non commutative, une visionsynthétique féconde.
Coacteur d'une spectaculaire évasion de sonoflag, Albert Lautman participe durant l'Occupation auréseau Pat O'Leary depuisToulouse et s'engage le1er janvier 1943 dans lesFFC. Chargé en janvier 1944 d'organiser àGrenade sur Garonne unmaquis de l'Armée secrète, il est trahi et, le 15 mai, arrêté par laGestapo, embarqué le 3 juillet dans le « train fantôme » à destination deDachau. Le train y parviendra, mais sans les 47 personnes fusillées près deBordeaux, dont Lautman, ni les personnes évadées lors d'arrêts du train en pleine voie.
« La réalité inhérente aux théories mathématiques leur vient de ce qu'elles participent à une réalité idéale qui est dominatrice par rapport à la mathématique, mais qui n'est connaissable qu'à travers elle[3]. »
Albert Lautman naîtfrançais dans le 9e arrondissement deParis, mais quittera cette ville dès la fin de sapetite enfance. Il est le fils de Sami Lautman, unJuif de Roumanieautrichienne né àBraïla, et porte le prénom de son grand-père, qui était commerçant[4].Étudiant en médecine interdit d'internat par unnumérus clausus décrété parKarl Lueger, le maireantisémite deVienne, Sami Lautman a rejoint enFrance, en 1893, son frère aîné Adolphe[5], repassé tous ses examens,baccalauréat inclus, et épousé en 1905 une Parisienne issue d'une vieille famillejuive deLorraine alliée à desJuifs du Pape, Claire Lajeunesse[6].
Le couple a trois enfants : l'aînée Esther, Albert, puis Jules ; les deux garçons font leurbar-mitzvah. Claire est juive pratiquante. Quoique plus détaché de la religion, Sami a expressément demandé et obtenu des obsèques selon le rite : son petit-fils Jacques, fils aîné d'Albert, lira le kaddish hébreu transcrit en caractères latins. Jules, entré rédacteur à la Direction des accords commerciaux[7] duMinistère du Commerce, y fera la promotion duplanisme comme une réponse médiane entre ledirigisme des Étatstotalitaires etla crise deséconomies libérales[8] et, docteur en droit et économie politique, deviendra vite diplomate du corps de l'expansion économique à l'étranger, en poste à Moscou puis à Copenhague.
Quand éclate laPremière Guerre mondiale, Albert Lautman a six ans. En, son père, devenu unotorhinolaryngologiste reconnu[9], s'engage, malgré ses quarante-quatre ans, dans laLégion étrangère comme soldat brancardier ; il ne deviendra médecin auxiliaire qu'à titre exceptionnel. Son oncle Hermann, frère aîné de Samy, est lui aussiengagé volontaire[5], rejetant pareillement sa patrie nominale, l'Autriche-Hongrie. Soncousin germain André, fils d'Adolphe âgé de vingt trois ans, estmobilisé au92e régiment d'infanterie comme médecin auxiliaire duService de santé des armées[5].
Sami Lautman, envoyé le 10 juin 1915 sur le front d'Alsace comme médecin auxiliaire[9] dugénie de la157e division d'infanterie, est atteint d'un éclat d'obus le 12 février 1916 alors qu'ilbrancarde dans le village deGuebwiller des blessés de sa compagnie[10]. L’œil droit énucléé, il esttrépané et reçoit lamédaille militaire[11]. Invalide à quatre-vingt-dix pour cent qui seranaturaliséfrançais le 2 mars 1920 et le 13 décembre 1932 faitchevalier de la Légion d'honneur[12] par leministre de la Défense[13]François Piétri, il s'installe durant l'été 1916 avec sa famille àNice, le temps d'une longue convalescence, jusqu'en 1923.
C'est là qu'Albert Lautman, fils d'un grandmutilé de guerre,pupille de la nation[1], fait sa scolarité, l'école primaire puis lesétudes secondaires. En 1923, il remporte auconcours général le deuxième prix dethèmelatin ainsi que le septième accessit deversiongrecque au classement Province[14] et est classé neuvième en histoire au classement national, devantEdgar Faure[15]. Il passe sonbaccalauréat l'année suivante : la première partie dans unlycée deNice[16], la seconde aulycée Condorcet àParis.

Élève brillant ayant un an et demi d'avance, Albert Lautman entre enmathélem en 1923 aulycée Condorcet à Paris ; il y a pour camarade[6]Jacques Herbrand, anomalie scolaire qui passe déjà aux yeux des professeurs pour une sorte de génie. Il est ensuite, en même temps qu'entre autresClaude Lévi-Strauss etYves Renouard, admis en octobre 1924 enhypokhâgne au lycée Condorcet[6], qui est la fabriqueparisienne de l'intelligentsiadreyfusarde[17]. En 1925, Herbrand intègre l'École normale supérieure premier du concours Mathématiques. 1926 est une année faste pour le lycée Condorcet, dont cinq élèves sont reçus au concours Lettres de la rue d'Ulm : Jean Boorsch, Daniel Gallois, Jean-Paul Hütter, Albert Lautman et Jean Maugüe.
Lejeudi soir, au café, il participe aux conférences que leGroupesocialisteinterkhâgnal[18] organise sur des sujets tels queJaurès, leféminisme, lepétrole, l'affaire Dreyfus, lebolchevisme, l'école[19]... Renommé dès janvier 1925Groupe d'études socialistes desÉcoles normales supérieures[18], c'est un groupe de discussion voulant faire contre-poids auGroupe d'études sociales et religieuses[20] deMarc Sangnier qui se réunit, le jeudi, à la permanence deJeune République, 34boulevard Raspail[21]. Le, c'est lui qui fait l'exposé, sur la participation de laSFIO aucartel des gauches aprèssa rupture avec lecommunisme[22].
Derrière son proche camaradeDaniel Gallois,maurrassien[23] qui deviendra dans laRésistance le second ducolonel Touny, mais devantJean Maugüe, Albert Lautman est reçu dix-septième au concours d'entrée à l'École normale supérieure en 1926[24], un an aprèsJacques Herbrand. Celui-ci,cacique en sciences, lui donne alors des cours particuliers demathématiques[6] et choisit de rejoindre dans une thurne à six les cinq nouveaux littéraires issus de Condorcet[25],Jean Boorsch, qui deviendra professeur de français àYale, Daniel Gallois,Jean-Paul Hutter,cacique[26] et futur capitaine de la Wehrmacht, tué enLituanie en mars 1944, Albert Lautman et Jean Maugüe[24]. Élève durationalisteidéalisteLéon Brunschvicg, Albert Lautman s'oriente vers laphilosophie des mathématiques, décevant sa famille, qui l'attendait à la direction de l'entreprise de son oncle[16]. Il est ainsi amené à faire connaissance avec le mathématicien de sa promotionClaude Chevalley[27].
Dès son admission àNormale[1], il adhère à laLigue d'action universitaire républicaine et socialiste,LAURS, qui s'oppose à laFédération nationale des étudiants d'Action française. En mai 1927[28], il joint son nom[29] à ceux des cinquante-trois autres élèves de l'ENS, dont les futursrésistantsJean Cavaillès,Georges Canguilhem,Raymond Aron,Jean-Paul Sartre,Henri Marrou,Fernand Metz,Pierre Bertaux, au bas de la pétition[30] qu'à la suite des protestations dupacifisteMichel Alexandre[31],Alain a rédigée contre le rétablissement de lacensure en cas demobilisation[32] prévu par un article de la nouvelle loi de réarmement[33] portée par le députéSFIOJoseph Paul-Boncour.
En, il accompagne en tant qu'auditeurCélestin Bouglé, nouveau directeur adjoint de l'E.N.S., au secondCours universitaires de Davos[34] qu'organise laSociété franco-allemande (de). Il soutient sondiplôme d'études supérieures[35] puis, en 1928, part un semestre àBerlin, où il lie amitié avecPierre Bertaux. L'Institut français, limité à une fonction de représentation, s'y révèle peu apte à l'orienter.[réf. nécessaire] À son retour, il prépare,« plein d'ardeur pour laphilosophie des mathématiques »[36], le concours de l'agrégation de philosophie avec l'aide deJean Cavaillès[37], son aîné de cinq ans, alors agrégé-répétiteur à l'ENS. En février 1930, le quart des postes d'agrégés proposés enphilosophie est remporté par des candidats deJean Cavaillès,Maurice Merleau-Ponty,Étienne Borne et Albert Lautman[38].
Au sortir de sonservice militaire, en, soit quelques semaines après la mort accidentelle deJacques Herbrand, Albert Lautman épouse Suzanne Perreau-Detrie, élève deGeorges Davy rencontrée àDavos[34], elle aussiagrégée de philosophie[1]. Les parents d'Albert Lautman n'assistent pas au mariage civil de leur fils à la Mairie du Ve arrondissement de Paris avec une « goy ». Le couple part pour deux ans auJapon, où Albert Lautman enseigne lalittérature et laphilosophie française à l'Institut des langues occidentales d'Ōsaka.
À son retour, il est nommé parDominique Parodi, pour la rentrée 1933, àVesoul[34], aulycée Gérôme. Quand il a l'occasion de revenir àParis, il assiste au séminaire queGaston Julia donne à l'Institut Henri Poincaré[39]. Durant l'été 1934, il redevient parisien et emménage au 8rue Gustave-Le-Bon[40], unHBM proche de laporte de Châtillon. Il a obtenu une bourse de laCaisse nationale des sciences[34] qui lui permet, sous la supervision deCélestin Bouglé[41], de consacrer l'année 1934-1935 à larecherche[42], ainsi qu'à son fils nouveau-né[1].
Du 15 au 23 septembre 1935, il participe[43] aux côtés deRudolf Carnap[44] etOtto Neurath[45] au premier Congrès international de philosophie scientifique organisé parLouis Rougier, ennemi déclaré deLéon Brunschvicg[46], pour leMouvement pour l'unité de la science avec le soutien de laSociété Ernst Mach. C'est l'occasion de s'interroger sur leparti prismétalogique dunéopositivisme :« Lesschèmes logiques [...] ne sont pas antérieurs à leur actualisation dans une théorie mathématique. »[47]
Affecté en octobre 1935 aulycée de garçons deChartres[48], il a installé sa famille au 3 rue du Faubourg-Guillaume[40] dans une maison mitoyenne de deux étages qui a un petit jardin. C'est suffisamment près deParis, pour, quatre années durant[39], rejoindre un lundi sur deux à l'IHP les cinquante à soixante abonnés qui suivent le séminaire deGaston Julia[49] mais aussi celui deMaurice Fréchet. Lié àClaude Chevalley depuis les années de l'E.N.S.[50], il se rapproche alors deCharles Ehresmann[51] et dugroupe Bourbaki, qui a commencé de se réunir depuis un an et demi en réaction à« lathéorie des fonctions « de papa » [...] moribonde »[52]. En 1938, Lautman écrit à Chevalley que le séminaire Julia, où les bourbakistes ont été interdits de présence, n'a plus d'intérêt.
Il contribue à laRevue de métaphysique et de morale[53]. Son nom, à côté de ceux deRaymond Aron et deJean Cavaillès, est proposé pour le seconder par le directeur de la revue,Dominique Parodi, àÉlie Halévy[54], projet que la mort soudaine et prématurée de celui-ci interrompra. Les discussions avecJean Cavaillès[55] sur lesfondements des mathématiques et lacrise des paradoxes sont nombreuses[56]. Il retrouve celui-ci les dimanches à la« messebrunschvicoise » qu'organise la sous-secrétaire àl'Éducation nationaleCécile Brunschvicg pour ses amis duParti radical,tendance socialiste. Jean Cavaillès, présidant une des sections du neuvièmeCongrès international de philosophie organisé du 31 juillet au 6 août 1937 à laSorbonne parLéon Brunschvicg sous le nom deCongrès Descartes, n'hésite pas à inviter cedoctorant de vingt-neuf ans à prendre la parole[57] aux côtés d'Élie Cartan,Alfred Tarski etRaymond Bayer[58].
Albert Lautman, sous la direction deLéon Brunschvicg et devant un jury présidé parÉlie Cartan,soutient le 18 décembre 1937 enSorbonne sathèse de doctorat principale sur lestructuralisme[59] et sa courte thèse complémentaire sur l'algébrisation desmathématiques modernes[60].Gaston Bachelard le remarque et le compte parmi la dizaine dephilosophes des sciences aptes à refonder l'épistémologie dans ce qui deviendra après guerre, au sein de l'IHPST, l'école française d'épistémologie historique[61]. En juin 1938, le nouveaudocteur est inscrit sur la liste d'aptitude aux fonctions demaître de conférences dans l'enseignement supérieur. Il l'est en même temps queJean Grenier, Jean Cavaillès,Raymond Aron,Alexandre Koyré[62]. Candidat à Aix à la succession de Maurice Blondel, qui le soutenait, Albert Lautman n'est pas retenu.
Sollicité par Jean Cavaillès, il participe avec Raymond Aron à la fondation chez Hermann, éditeur de ses thèses, d'une collection consacrée à la philosophie[63]. De ses deux contributions à cesEssais philosophiques, la dernière[64] paraîtra à titre posthume.
Les divergences philosophiques avecJean Cavaillès demeurent cependant[65]. C'est que celui-ci lit un restant demétaphysique dans leréalisme des Idées révisé par celui-là[66] à l'aune de lathéorie du champ, voire descontresens qu'il veut attribuer à un style trop peu explicite[67]. Pour Albert Lautman, en revanche, lesmathématiques ne peuvent pas ne pas être fondées sur unemétaphysique[68], et s'il partage avec Jean Cavaillès le constat deLéon Brunschvicg[69] que les mathématiques évoluent par dialectique, c'est pour sa part dans la perspectiveplotinienne[70] professée parÉmile Bréhier[71]. Son effort reste alors, non de dissoudre laphilosophie dans l'étude de la genèse des concepts, mais d'« appuyer la métaphysique [...] sur la mathématique »[72]. C'est que pour lui, par exemple, c'est hiérarchiquement à partir de la conception de lastructureinvariante d’unesurface de Riemann que peut être développé un type spécifique defonctions algébriques définies sur cette surface[73].
Comme beaucoup desocialistes, il s'est sevré dupacifisme prôné contre lenationalisme par la génération deRomain Rolland. L'observation impuissante de la montée progressive dunazisme lui a donné la certitude que la guerre est inévitable. Lacrise des Sudètes, à l'automne 1938, le détermine à passer de l'indignation à l'action. Il s'inscrit au cycle de formation approfondie des officiers deréserve,ORSEM, qui se termine, à laveille de la Seconde Guerre mondiale, par un mois d'entraînement aucamp de Suippes.
Lorsque laSeconde Guerre mondiale se déclare, lelieutenant Albert Lautman estmobilisé au grade provisoire[74] decapitaine pour pouvoir recevoir le commandement de la 1021ebatterie du404e régiment d'artillerie anti-aérienne. Son unité deDCA abat quatre avions de laLuftwaffe, en touche trois[74], durant la « drôle de guerre » et principalement lors de ladébâcle fin mai 1940. Il estcité à l'ordre de la division sur le champ de bataille.
Il est fait prisonnier avec ses hommes[75] sur la frontière belge alors que son unité couvre laretraite de Dunkerque et est envoyé enLusace dans l'Oflag IV-D, près d'Hoyerswerda, ville alors incluse dans laProvince de Silésie[74]. Lecamp compte environ 5 000 officiers, dont de nombreux professeurs d'université et enseignants du secondaire[76]. Pour combler l'ennui, est créée une sorte d'université libre. Par ordre d'âge, c'est lenormalienLouis Moulinier, professeur dekhâgne aulycée Thiers, qui en est désignérecteur.Bernard Guyon,Pierre Demargne,Jean Defradas,Marcel Prenant,Raymond Brugère,Armand Hoog,Julien Guey,Jean Guitton donnent des conférences mais ce sont celles d'Albert Lautman, pourtant les plus absconses, qui déchaînent la cohue.
Logé après l'échec d'une première tentative dans la baraque des récalcitrants ayant cherché à s'évader, en janvier 1941, il est, en dépit de sadyspraxie, choisi par lesaintcyrienJacques Louis avecMaurice Bayen, à cause de leurs compétences degermanistes, pour faire partie des vingt-huit officiers qui, le, empruntent un tunnel de quatre-vingt mètres de long creusé jusqu'au-delà des barbelés[74]. Il est un des seize qui, vêtus en civils grâce aux couturiers du théâtre du camp, réussissent cette « grande évasion »[74]. Descheminots de lagare de Forbach lui font passer la frontière caché dans unedraisine manœuvrant entre les deux territoires[74].
Parvenu àNancy, il est caché parJean Delsarte et passe enZone sud. Le, il estdémobilisé àClermont-Ferrand[1] par les services de l'Armée d'armistice et relevé de ses fonctions de l'Éducation nationale le 29 janvier 1942[77].
Après avoir rendu visite àLéon Brunschvicg àAix-en-Provence, Albert Lautman tente de réintégrer l'Éducation nationale au titre de l'article 8 de laloi du 2 juin 1941[77]. LespinozisteAndré Darbon, doyen de laFaculté de Lettres de l'Académie de Bordeaux parti à la retraite en octobre 1941, le recommande pour lui succéder. Sous le coup de l'article 2 du « statut des Juifs » édicté parVichy, Albert Lautman est révoqué du corps enseignant. Lacroix de guerre qu'il a reçue durant labataille de Dunkerque lui aurait permis de faire appel de cette décision siPétain n'avait pas prévu par l'article 3 de la même pseudo loi d'empêcher de le faire les soldats qui n'auraient pas, au terme du décret du 23 mars 1941, obtenu la confirmation expresse, selon des critères arbitraires, de leur décoration. Or les supérieurs qui ont décoré Albert Lautman et auraient pu faire valoir les droits de celui-ci sont restés prisonniers enAllemagne[1].
Albert Lautman rejoint son épouse, mutée en zone libre à sa demande pour encore quelques mois : elle enseigne la philosophie àToulouse. En, un de sescousins germains, lepneumologue[78] André Lautman, a été nommé médecin chef à l'hôpital militaire de la ville et a obtenu en mai 1941 une dérogation à l'article 4 du « Statut des Juifs » pourexercer en ville[5]. Depuis, ce cousin soigne de nombreux réfugiés, en particulier des enfants adressés par l'OSÉ[5].
Albert Lautman rédige un essai sur lasymétrie desstructures mathématiques et sarupture dans le monde physique[64]. En février 1942, il est invité à prononcer une conférence par laSociété de philosophie deMarseille. Aux premiers jours d'août[79], il accueille le futur collaborateur deBourbakiJean-Claude Herz, élève aulycée Condorcet qui porte l'étoile jaune et queDaniel Gallois lui adresse enZone sud[80].
Après l'invasion de laZone sud, le, laGestapo, face à l'activisme de la35e brigade FTP-MOI et duréseau Morhange, multiplie les arrestations. Albert Lautman apprend que, le 16, c'est son amiJean Cavaillès, interpellé par lesdouaniers français, qui est incarcéré, dans la prison deMontpellier. Il lui fait transmettre des livres pour adoucir son sort, lui permettant ainsi de rédiger un« testament philosophique »[81]. Dans la ville deToulouse, Albert Lautman retrouveJacques Louis, qui est devenu sous le commandement duchef d'escadronGeorges Delmas le responsable du recrutement pour la région IV de l'Armée secrète[74]. Le, il est enrôlé dans lesForces françaises combattantes[1]. Lesgaullistes restent cependant dans un certainattentisme, que viendra conforter au printemps 1943 l'annonce du report dudébarquement[82].
Albert Lautman s'est tourné vers leréseau Pat O'Leary. C'est en son sein[83] puis, après l'arrestation d'Albert Guérisse en mars 1943, dans leréseau Françoise[84], qu'il organise les filières d'évasion vers l'Espagne pour les aviateurs américains, anglais et canadiens qui transitent parToulouse mais aussi pour des familles fuyant lespersécutions raciales ou des jeunes candidatsFFI fuyant versGibraltar etAlger leSTO. Une caravane de douze à vingt personnes par mois franchit ainsi les cols desPyrénées, souvent sous la conduite de réfugiés de laguerre d'Espagne[82].
Il retrouve son camarade de l'E.N.S.Pierre Bertaux[85], qui organise dans la région desparachutages duSOE avecJean Cassou. En, c'est un de ses neveux, Gérard Krivine, fils de sa sœur Esther et frère aîné d'Alain Krivine, qu'il accueille. À la fin de l'année, soncousin germain André Lautman, âgé de cinquante deux ans, rejoint clandestinement à travers l'Espagne le territoirealgérien duGouvernement provisoire[5]. Le fils de celui-ci, François, a déjà rejoint la France Libre en Afrique du Nord, et sa petite nièce Marie Claire alias Cricri[86],éclaireuse de la section israélite de laFFE, a rejoint lemaquis de Vabre[5].
Ses qualités d'organisation le font remarquer parJean-Pierre Vernant. À partir de, dans la perspective dudébarquement, lesMouvements unis de la Résistance préparent l'insurrection finale. C'est alors que, sous le pseudonymebalzacien deLangeais, il est affecté à l’état-major départemental de l'Armée secrète pour laHaute-Garonne.Albert Carovis, un des responsables du3e bureau du secteur I, a constitué depuis fin 1941 un petit groupe de quatre vingtspartisans implanté àGrenade, petite ville en aval deToulouse, et initialement rattaché àCombat, le maquis Roger. Albert Lautman est chargé d'organiser dans le nord-ouest du département l'accueil des jeunes gens qui viennent grossir cemaquis[87]. Ils seront deux cent quatre vingts le 19 août 1944, les premiersFFI à entrer sous le commandement général deSerge Ravanel dansToulouse encoreoccupé. Albert Lautman commence les préparatifs et se destine au rôle de chef de camp. Dans l'attente de la mise en œuvre sur le terrain, il continue de travailler àToulouse pour leréseau Françoise.
« Il faut que nous allions jusqu'au bout. Il faut faire ce qu'il y a faire. »
— Albert Lautman répondant à l'instar deJean Cavaillès à son amiPierre Bertaux qui l'avertissait peu avant son arrestation[85].
Victime d'unesouricière tendue par laGestapo, peut-être dénoncé par le patron du restaurant « La Truffe » où il attend un rendez-vous, Albert Lautman est arrêté le après avoir confié à Simone Calmels[88] un colis pour son frère Jules,résistant interné à laprison Saint-Michel[75]. Il y est lui-même incarcéré à son tour[75]. Il y subit des interrogatoires violents et est confronté à un de ses passeurs duréseau François arrêté quelques jours avant lui, Jaume Soldevilla.
Le[89], Albert Lautman est enfermé avec sept cent deux résistants, dont soixante-deux femmes, dans leswagons bétaillers du convoi dit « train fantôme ». Le lendemain, le train, à destination deDachau, se dirige versBordeaux, la ligne versLyon ayant été détruite[89]. Pris pour un convoi militaire, il est bombardé par l'aviation britannique en gare deParcoul-Médillac[89], près d'Angoulême. La locomotive détruite, il y reste stationné cinq jours[89]. Le train revient àBordeaux le[89]. Les prisonniers restent plus de soixante heures engare Saint-Jean, enfermés près du dépôt des locomotives dans leswagons bétaillers mais ravitaillés par leSecours national.
Dans la nuit du 12 au 13[89], ils sont, au bout d'une grande demi-heure de marche en rangs, entassés dans lasynagogue de la ville transformée par les autorités allemandes en annexe insalubre de laprison du Hâ. LaFête nationale y est hardiment célébrée par une harangue du militantSFIONoël Peyrevidal[90] juché sur latébah puis uneMarseillaise suivie d'un chahut. Le, dix prisonniers, PierreFournera,Noël Peyrevidal, l'inspecteurRobert Borios,Litman Nadler, étudiant émigré deRoumanie, leréfugié espagnolJosé Figueras Almeda,André Guillaumot,Marcel Jean-Louis,Emilio Perin,Joseph Uchsera, Albert Lautman etMeyer Rosner, un agent de liaison de dix huit ans, en sont extraits et conduits aufort du Hâ[91]. Ils y rejoignent un groupe de trente-six autres détenus, desmaquisards qui ont été sélectionnés sur dossier par le Kommando IV de laSicherheitspolizei deBordeaux,KDS, que dirige lelieutenantS.S.Friedrich-Wilhem Dohse. Ils reçoivent chacun un carton « Zum Tode verurteilt ». Pour la justice militaire allemande, le lieutenant Albert Lautman n'est qu'un « terroriste » qui ne peut bénéficier des droits accordées par leslois de la guerre auxfrancs tireurs.
Le après-midi, les condamnés sont emmenés aucamp de Souge, qui se trouve à vingt-cinq kilomètres à l'ouest du centre deBordeaux, sur le territoire de la commune deMartignas-sur-Jalle,pour y être fusillés le soir même avec deux autres prisonniers. L'officier de garde français refuse de former lepeloton d'exécution[82] au motif que Dhose n'avait pas qualité pour le signer[92]. Le, le chef du convoi, l'Oberleutnant de laWehrmacht Baumgartner, ne réussit pas à rassembler lesgendarmes mobiles et ce sont dessous-officiers[82] de laFeldgendarmerie qu'il commande pour procéder à l'exécution des « terroristes ». Les condamnés, conduits à un des deux sites d'exécution, sont attachés chacun à son tour à un des dix[93] poteaux[94]. Les corps sont jetés dans des fosses déjà prêtes[92]. Vingt-sept jours plus tard,Bordeaux estlibérée. Curieusement la mention "fusillé par les allemands" ne figure pas sur son acte de décès. Ces faits seront pourtant confirmés par Raymond Heim, un déporté du train fantôme qui parvient à s'en évader. En 1949, une enquête sera menée par les autorités de l époque sur les circonstances de la mort de ces déportés toulousains du train fantôme. La même année, son corps inhumé à Toulouse sera transféré dans les Yvelines.
Jules Lautman, le frère d'Albert déporté aucamp de Neuengamme, décédera d'une infection en 1946 àCopenhague après y avoir repris ses fonctions diplomatiques sans avoir attendu de se refaire une santé. Le fils aîné d'Albert Lautman, Jacques Lautman, né en 1934, sera professeur desociologie à l'université de Provence, àAix[1], puis, de 1993 à 1996[95], directeur adjoint de l’École normale ; il aura deux filles, Isabelle et Alice, et un fils, Jean-Sébastien. Le fils cadet d'Albert Lautman, Paul Olivier Lautman, né en 1939, sera avocat à Paris ; il aura trois enfants, Sophie, Sabine et Albert Lautman (directeur général de laFédération nationale de la mutualité française[96]).

« Il me frappa par la dignité de son attitude et la profondeur sérieuse de ses réflexions. »
— Francesco Nitti, codétenu dans lasynagogue de Bordeaux.
Le vendredi, un hommage est rendu par la ville deToulouse aux cinq« résistants toulousains »fusillés à Souge, Albert Lautman,Robert Borios,Nadler Litman,André Guillaumot etNoël Peyrevidal[97]. Avant d'être conduits jusqu'au cimetière de la ville[97], les cercueils des trois premiers sont exposés dès le matinplace du Capitole[85]. C'estPierre Bertaux,commissaire de la République depuis le 20 août, qui prononce devant une foule considérable[97] l'éloge funèbre de son camarade de l'E.N.S.[85].
Le soir du réunit à l'E.N.S. les anciens élèves de la promotion 1926 autour d'un dîner. Albert Lautman et André Vattier ont été tués à l'ennemi, Jean-Paul Hütter est mort, capitaine de laWehrmacht, sur lefront de l'Est enLituanie. À minuit, les survivants se réunissent dans la cour principale de l'établissement, devant le bassin aux Ernests, pour uneminute de silence.