Échafaudages mis en place par l'Iran's Cultural Heritage Organization.
Alamut est le nom d'une forteresse, anciennement réputée inexpugnable, située dans la vallée du massif de l'Alborz, au sud de lamer Caspienne, près de la ville deQazvin, à 100 kilomètres de l'actuelleTéhéran, dans le nord-ouest de l'Iran actuel. La forteresse d'Alamut se dressait autrefois sur un sommet d'une altitude de 2 100 mètres, au-dessus de l'actuel village de Gâzor Khân[1].
Cette forteresse a été construite vers840. Le site archéologique est complètement à l’état de ruines, surtout depuis le tremblement de terre de 2004. Il y a 23 autres forteresses de la même période, en ruines, dans la région.
Le mot Alamut, enpersanalamōt,الموت, signifierait « Nid de l'aigle » ou « Leçon de l'aigle[2] » dans le dialecte local. En persan, on emploie l'expression « forteresse d’Alamut »[3] pour nommer le site archéologique.
De 1090 à 1256, le territoire d'Alamut fut le domaine de l'État nizârite ismaélien(en), qui comprenait une série de bastions stratégiques dispersés à travers la Perse (dont lechâteau fort d'Alamut qui servit de quartier général à l'État nizârite ismaélien) et la Syrie, chaque forteresse étant entourée de pans de territoire hostile.
Localisation de plusieurs châteaux nizârites ismaéliens dans les régions d'Alamut et de Rudbar.
C'est aux chapitres XXXIX à XLII de saDescription du monde[4] queMarco Polo (1254 - 1324) rapporta et popularisa la légende des « Assassins d'Alamut » — qui atteignit avec lui sa version la plus aboutie[5] (et on peut donc dire que la légende est antérieure à Polo[Note 1]). Son récit haut en couleur est à mettre au nombre de ceux qui renforcèrent considérablement les fantasmes des Européens sur l'islam[6].
C'est en 1273 que Polo traverse la Perse, et qu'il a donc pu voir les ruines de laplace forte d'Alamaut, détruite sur ordre deQubilai au début[7], et par la suite abandonnée. Dans son récit, il introduit ainsi cet épisode :« Nous vous parlerons d'une contrée appeléeMoulette (altération d'Alamut) où le Vieux de la Montagne résidait avec ses assassins comme vous allez le voir. »[4] On peut relever avec P.-Y. Badel quemoulette est lui-même une déformation de l'arabe :مُلْحِد (mulḥid), mot signifianthérétique[4].
La véracité de cettelégende n'est pas prouvée mais elle est connue du public par le récit de Marco Polo[8] : Alamut aurait fait trembler maints souverains et chefs de guerre à cause des manipulations exercées parHassan ibn al-Sabbah, premier maître et nouvel occupant des lieux, pour fanatiser ses assassins. Tout d'abord, Hassan aurait entretenu des jardins secrets, interdits à tous les occupants de la citadelle excepté les initiés. Luxuriants, ils sont, d'après Marco Polo, la réplique des jardins du paradis.Hassan ibn al-Sabbah, prophète et seul détenteur sur terre des clefs de ces jardins, se chargeait de sélectionner les fidèles dignes de s'y aventurer quelques heures dans ce paradis terrestre où on leur faisait miroiter les merveilles de l'au-delà. Grâce à cette façon de relativiser l'importance de l'existence terrestre, l'assassin était censé se jouer plus volontiers du danger lors des combats. Cette croyance aurait été facilitée par l'ingestion de haschisch[9], peut-être sous forme de dragées, ce qui altérait leurs sensations, couplé à un puissant somnifère : une fois inconscients, les candidats transportés dans les jardins secrets se réveillaient entourés de mets succulents, de plantes luxuriantes et de nombreuseshouris, jeunes femmes sélectionnées pour l'occasion dans le harem même d'HassanIer.
Cette légende est aussi racontée parJean de Mandeville dans sonLivre des merveilles du monde (écrit entre1355 et1357), ouvrage qu'il a rédigé en reprenant les écrits d'autres auteurs. Il situe le fort sur Mistorak, île appartenant auprêtre Jean, sur laquelle vivait autrefois un certain Gathalonabes (le Vieux de la montagne). Ce nom que donne l'auteur pourrait être une déformation de l'arabe « qatil-an-nafs », signifiant « le meurtrier »[10],[11].
Parmi les légendes entourant Alamut, on raconte qu'un ambassadeur croisé,HenriIer de Champagne, fut reçu par Al-Sabbah et voulut savoir ce qui rendait ces assassins si terribles aux yeux des élites locales. Le maître appela donc deux soldats. Il ordonna à l'un de se précipiter vers la muraille surplombant un ravin et de sauter dans le vide. Pendant ce temps, il demanda au deuxième de sortir son poignard et de se poignarder. Les deux assassins exécutèrent leurs ordres sans ciller.
Difficile de savoir ce qu'il en est vraiment tant les chroniqueurs de l'époque sont avares de détails. SiGuillaume de Tyr, chroniqueur des Croisades, ouGuillaume de Rubrouck, franciscain mandaté à la cour du grand Khan de Mongolie en 1253, rapportent certains faits, ils restent néanmoins vagues et ont surtout le mérite d'attester l'existence de la secte à leurs époques respectives.
Il est toutefois certain que cette société secrète orientale était bien basée à Alamut etMasyaf. La forteresse a été rachetée pour 3 000 dinars or en1090 parHassan ibn al-Sabbah, surnommé le « Vieux de la Montagne », (Chaykh al-Jabal[12]) pour servir de base à la sectechiiteismaélienne desNizârites. Dissident en fuite, il cherche à implanter en Perse le courant ismaélien. Le surnom d'« Assassins » (« Haschichins ») est réputé signifierconsommateurs de haschich[13]. Cette interprétation est contestée. Le mot proviendrait du substantif arabe et/ou persanassâs (fondement[14]) ou de l'adjectifassâssi (fondamental[15]). Les Nizârites se voulaient fondamentalistes, et Hassan aimait désigner ses adeptes sous le nom d'« Assassiyoun », « ceux qui sont fidèles au « fondement » de la foi ». C'est ce terme qui, mal interprété par les voyageurs étrangers, aurait été rapproché du haschich. Méfiants envers ces derniers compte tenu de leurs croyances hétérodoxes, les contemporains les appelaient parfoisBatiniyya, ouBatini[16].
Les forteresses des Nizârites auraient été reliées par un système d'alerte simple mais efficace basé sur des signaux lumineux diffusés à l'aide de miroirs. Des pièces de monnaie ont été découvertesrécemment[Quand ?] lors de fouilles : frappées du sceau d'Alamut, elles démontrent la volonté d'indépendance étatique de la forteresse. L'équipe archéologique dirigée par Hamide Choobak a aussi révélé des fragments de briques et de carreaux.[réf. nécessaire]
Les conflits entre Sunnites et Chiites s'accentuent avec la montée en puissance d'Alamut. Pour enrayer la menace, la secte fait assassiner le vizirNizam Al Mulk en 1092 par un de ses fidèles, s'étant fait passer pour un messager. Les massacres et les arrestations se multiplient sur ordre des sultans. Entre 1101 et 1103, d'autres faits commis par la secte deviennent célèbres : le plus célèbremufti de la ville d'Ispahan est assassiné dans sa mosquée, et le préfet deBayhaq, chef desKarramyya, groupe religieux anti-ismaélien, tué dans une mosquée deNishapur.[réf. nécessaire]
En1256, la forteresse d’Alamut se rend sans combat à l'armée mongole d'Houlagou Khan qui déferle sur l'Iran. Elle est entièrement rasée[17].
Alamut est directement citée dans plusieurs mondes de jeux et jeux vidéo :
La Forteresse d’Alamuth, tome 1 de la série deLa saga du prêtre Jean, Hachette, coll. Maître du Jeu, de Doug Headline et Dominique Monrocq, 1986 ;
Dans lejeu de figurinesHelldorado, Alamut est un portail d'entrée à partir duquel les Sarrasins entament leur conquête de l'enfer ;
Dans l'univers du jeu de rôleVampire : La Mascarade, la forteresse sert de refuge à la secte vampire des Assamites ;
Dans l'adaptation cinématographique du jeu vidéoPrince of Persia, Alamut est la ville gardienne de la Dague du Temps ;
Dans la série de jeux vidéoAssassin's Creed, on note également de nombreuses ressemblances avec le village syrien deMasyaf, place forte des Nizârites. L'un des héros, Altaïr, est un jeune soldat faisant partie d'une secte d'assassins obéissant à un mentor dépeint comme âgé et tyrannique. L'équipe du jeu vidéo, par la voix de sa productrice Jade Raymond, confirme que cette secte fictive, basée sur les inventions romanesques du romanAlamut deVladimir Bartol, s'inspire effectivement des nizârites. Alamut apparaît aussi dansAssassin's Creed Mirage en tant que repaire de Ceux qu’on ne voit pas (ancien nom des assassins).
Le romanAlamut de Bartol n'est pas le seul à reprendre cette mythologie :
Amin Maalouf, dansSamarcande (J. C.Lattès, 1988), bâtit son intrigue autour d'un manuscrit d'Omar Khayyam - penseur persan contemporain des événements d'Alamut.
Le grand festin de l'Orient d'Olivier Weber mêle quant à lui les protagonistesOmar Khayyam,Nizam al-Mulk etal-Sabbah dans un récit décrivant l’hétérogénéité des populations et de la pensée issue des contacts entre Orient et Occident sur ce grand itinéraire marchand qu'était laRoute de la soie.
En outre,Les Enfants du Graal (tome 3 :La Couronne du Monde) dePeter Berling narre la fuite de quatre cavalierscathares fuyant l'Occident pour mieux protéger les disciples du Christ.
Dans son livreBaudolino,Umberto Eco fait également référence à la forteresse de Samarkande. Un des personnages du livre, Abdul, est consommateur de « miel vert » (dont on peut supposer qu'il s'agit de pâte de haschich) qu'il a ramené de ce lieu.
La secte des Assassins apparaît dans la quatrième aventure de la sérieGipsy, intituléeL’Aile blanche (Enrico Marini - Éditions Dargaud, 1999).
Elle figure aussi dans le dernier tome deL’Empereur du dernier Jour (Patrick Cothias et Christian Boube - Éditions Glénat, Collection Vécu, 1998) qui retrace le conflit entre Saladin et « Le Vieux de la Montagne ».
↑Daftary (2001, p. 17-18) relève que les croisés relayèrent un très grand nombre de légendes et de mythes sur les soi-disant « Assassins », et que ces légendes se répandirent dans une Europe fort ignorante de l'islam, où elles devinrent très populaires. Progressivement, au cours du Moyen Âge, on en vint à les « considér[er] comme des descriptions exactes des pratiques d'une communauté orientale énigmatique ».
↑On a d'ailleurs pu penser que le surnom de hashischins (d'où vient le mot « assassin ») venait du nom de cette drogue ; mais selon d'autres hypothèses, le terme d'« assassin » viendrait plus probablement du motassassiyoun ou encore deassass (« gardien de la foi ») ; voir l'articleNizârites.
↑L'arabeChaykh al-Jabal (šayx al-jabal,شيخ الجبل) peut se traduire « Vieux de la montagne » mais aussi le « Sage de la Montagne » ou encore le « Chef de la Montagne » selon le sens qu’on donne au mot « chaykh ».