Arcs de style omeyyade dans la grande salle deMadinat al-Zahra, construite pour être le centre du pouvoir pendant la période du califat.Le patio de los Arrayanes (la « cour aux myrtes »), palais de l'Alhambra àGrenade, aujourd'hui enEspagne dans lacommunauté autonome d'Andalousie.
Par sa logique d'empire et sa richesse, et bien que situé enterre d'islam (enarabe :دار الإسلام), il abrite des populations aux origines et aux croyances multiples : lesArabes, lesBerbères, lesMuladis (convertis à l'Islam) ainsi que lesSaqaliba sont majoritaires, mais y vivent aussi desjuifs ainsi que deschrétiens que l'on nomme « mozarabes ». Cette diversité n'est pas un pluralisme stabilisé et présente au contraire un caractère très dynamique dépendant de lieux, de situations et d'époques. La société d'Al-Andalus tend vers une homogénéisation à partir duXIIe siècle.
La péninsule Ibérique sous domination musulmane connaît un apogée culturel à l'époque ducalifat de Cordoue marqué par un équilibre entre puissance politique et militaire, richesse et éclat de la civilisation[12]. Dès leXe siècle,Cordoue est un foyer intellectuel qui accueille érudits musulmans et juifs dumonde islamique, développesciences,arts etphilosophies, réalise des œuvres architecturales majeures et produit un important corpus littéraire[12]. La culture andalouse renaît plusieurs fois des nombreux bouleversements politiques qui secouent ces territoires, mais à partir duXIIIe siècle, le tableau général est celui d'une lente mais profonde décadence qui s'achève par laprise de Grenade en 1492.
La présence d'Al-Andalus, territoire sous domination musulmane enEurope, a focalisé de nombreux débats, des récupérations politiques, et a engendré plusieursmythes à plusieurs époques, où Al-Andalus est singulièrement séparé du monde médiéval européen comme du monde islamique classique.
L'étymologie d'Al-Andalus a fait l'objet durant les trois derniers siècles des hypothèses les plus variées. L'explication acceptée durant un temps faisait un lien avec le peuple desVandales : le nom de l'Andalousie proviendrait d'une hypothétique formeVandalusia[13].
Selon l'historien etislamologueallemandHeinz Halm[16],[17], Al-Andalus proviendrait de l'arabisation d’une désignation hypothétique duwisigothique de la pénininsule ibérique :*landa-hlauts, qui signifierait « attribution des terres par tirage au sort », composé delanda- (forme fléchie deland), « terre », ethlauts « sort, héritage »[18]. Ce terme aurait été repris par lesMaures auVIIIe siècle etadapté phonétiquement enal-Andalus[19], en suivant les étapes suivantes :*landa-hlauts >*landa-lauts >*landa-luts >*landa-lus >Al-Andalus.
Après la conquête almoravide d'Al-Andalus, il se développe une mythologie islamique des territoires perdus assimilés au paradis de l'islam aux origines divines[20]. C'est par exemple le cas de l'historien arabeIbn Khallikân (1211–1282), pour qui l'un des fils deJaphet s'appelait Andalus et serait à l'origine de l'appellation Al-Andalus donnée à l'Espagne par les Arabes, car il aurait été le premier homme à habiter la région après leDéluge[21].
Les premières sources écrites sur la conquête d'Al-Andalus datent desIXe et Xe siècles. La principale est le récit de l’historien andalouIbn al-Qūṭiyya,Ta’rikh iftitah al-Andalus (Conquête d'Al-Ándalus). Son élève affirme que ces événements sont relatés « de mémoire » sans se référer aux traditions islamiques (hadith etfiqh). Ibn al-Qūṭiyya y révèle l'importance des traités entre Arabes et Wisigoths. Une autre source raconte l'histoire d'Al-Andalus depuis sa conquête jusqu'au règne d'Abd al-Rahman III (889-961) : il s'agit de la chroniqueAkhbâr Majmû‘a, généralement datée duXe siècle.
Ces premières sources datent de la période califale et sont postérieures de deux siècles au moins aux événements qu'elles relatent.
Le premier récit chrétien connu de ces événements est laChronique de 754, composée à partir de 754 dans leroyaume des Asturies sous domination chrétienne, peut-être parIsidore de Beja. La fonction de ce récit était de susciter une volonté de résistance parmi les populations vivant dans les vallées des Asturies. L'analyse contemporaine de ce document impose de séparer l'hagiographie des événements qui se sont effectivement déroulés. L'objet central du récit est labataille de Covadonga. Sa date incertaine n'est connue que par l'écrit des moines, le terme de « bataille » et la localisation ont été apportés à l'époque d'Alphonse III[22].
En 710, la situation interne du royaume Wisigoth était confuse :Rodericus de Bétique avait été élu roi par la majorité de la noblesse, et un autre camp s'était formé qui soutenaitAguila II de Tarragone, qui régnait sur le nord de la péninsule, laCatalogne et laSeptimanie. Les divisions internes virèrent ponctuellement au conflit ouvert.
En 711, le général arabeMoussa Ibn Noçaïr[23] envoya un contingent d'environ 12 000 soldats, dont une large majorité deBerbères[24] commandés parTariq ibn Ziyad, gouverneur de Tanger, et profita de la division wisigothe pour débarquer dans le sud de la péninsule. Ils débarquèrent sur le rocher auquel leur chef aurait laissé son nom (Djebel ou Jabal Tariq, futurGibraltar). Rapidement renforcé, le contingent défit une première armée wisigothe commandée par un cousin du roi, Sancho. Le roi Rodéric, alors confronté aux Francs et aux Basques au nord, dut rassembler une armée pour affronter ce nouveau péril. Cependant, au cours de labataille du Guadalete le, les partisans d'Agila II (Akhila, en arabe) préférèrent le trahir. Ce fut la chute brutale de l’Hispania wisigothe.
La naissance d'Al-Andalus ne s'est pas produite après un événement fondateur ; elle s'est déroulée sous forme d'uneconquête progressive entre 711 et 716, menée par une minoritéarabo-berbère dite « maure ». Rapidement, lesmusulmans prirent Tolède (712),Séville,Écija et enfinCordoue, la capitale. En 714, la ville deSaragosse fut atteinte[Note 3].Ibn al-Qūṭiyya insiste sur l'importance des traités entre Arabes et nobles wisigoths, dont beaucoup conservèrent leur pouvoir, certains telsThéodemir dirigeant leurs terres sous le titre de roi. Les musulmans ne purent néanmoins conquérir toute la péninsule : ils ne purent pénétrer dans les royaumes basques et ne firent que de brèves incursions dans les régions montagneuses cantabriques.
Le sentiment d'appartenance à unenational-Andalus apparut au travers d'une prise de conscience collective[Note 4]. En 716, sur une pièce de monnaie, apparut pour la première fois le terme d'« Al-Andalus » désignant l'Espagne musulmane. Par la suite, « Al-Andalus » fut le terme arabe des musulmans par opposition au terme romain d’Hispania deschrétiens. Al-Andalus était alors un émirat dépendant duCalifat omeyyade deDamas. Le gouverneur (wali) était nommé par le calife. Les conquérants tentèrent d'installer des Arabes syriens ou maghrébins et des Berbères, mais semblaient surtout préoccupés parleurs raidsesclavagistes sur lesterritoires francs du nord. Ces débuts furent laborieux. La capitale initiale, Séville, fut transférée à Cordoue en 718. Une vingtaine de gouverneurs se succédèrent de 720 à 756.
Par ailleurs, lachronique de 754 distingue clairement les commandants arabes du reste des troupes composés de Nord-Africains. Cette dernière utilise le terme de « mauris », terme appliqué aux berbères fortement romanisés et aux exilés de la chute de l'exarchat d'Afrique qui migrèrent vers l'Occident. Ces troupes romanisées sont notamment celles deJulien de Ceuta, gouverneur de Ceuta et de Tanger au profit de l'Empire Byzantin, puis commandant militaire au nom du Pape, qui met son armée au service des Omeyyades pour la conquête de l'Hispanie après la chute de l'exarchat d'Afrique[28]. Lors de la conquête, leroman africain cohabite largement avec la langue amazigh en Afrique du Nord et facilite l'installation des conquérants en Hispanie[28].
L'hypothèse la plus commune est qu'une grande partie de la population aurait apprécié la chute de l'aristocratie wisigothe avide, querelleuse et opportuniste, ce qui pourrait expliquer en partie la facilité de l'installation des conquérants. Une partie de ces aristocrates wisigoths, d'ailleurs, déjà passés en 589 duchristianisme arien auchristianisme nicéen, seconvertit finalement à l'islam[29].
Les conquérants décidèrent d’établir la capitale du nouvel Émirat ibérique àCordoue qui, contrairement à de nombreux lieux acquis par négociation avec les nobles wisigoths, avait résisté. Les troupes musulmanes y appliquèrent le droit des vainqueurs, leurs dignitaires s'installèrent à la place des nobles wisigoths chassés ou exécutés, mais dans tous les cas dépossédés, et la ville devint capitalede facto. Ils donnèrent à son fleuveBétis le nom de « grande rivière » :Wadi al kebir, déformé phonétiquement en Guadalquivir.
Comme dans les autres territoires de l'empire musulman, les chrétiens (nicéens ou ariens) et les juifs y étaient l'écrasante majorité. Appartenant à unereligion abrahamique, ils passèrent sous le statut dedhimmi[Note 6]. Ces circonstances motivèrent des accords de reddition avec nombre d'aristocrates wisigoths qui conservèrent leurs propriétés, voire d'importants pouvoirs, commeThéodémir (enarabe :تدمير, Tūdmir)[30], gouverneur de Carthagène, qui, après un accord avec l'émir, dirigea sous le titre de Roi un territoire autonome chrétien au sein d'Al-Andalus (Kora de Tudmir, enlien de vassalité دار العهد, « domaine du pacte »). L'alliance entre Wisigoths et musulmans pouvait parfois se retourner contre les intérêts arabes, comme àLlívia où le chef de guerre berbèreMunuza épousa en 731la fille duduc d’Aquitaine, provoquant l'intervention de l'émir Abd al-Rahman pour reconquérir le Roussillon[31].
Jusqu’à l’arrivée du premier prince omeyyade,Abd al-Rahman Ier, et avec lui l’établissement d’un pouvoir central assez fort et d’un émirat indépendant, le pouvoir islamique n’était pas encore consolidé dans la Péninsule. Les disputes entre groupes pour les territoires sont nombreuses, empêchant la construction de lieux de culte. Les musulmans se contentaient alors de simplemuṣallā (oratoires de plein air), deqibla (murs) ou de miḥrāb (niches orientées vers la Mecque). Avec l'échec en Francie, la sédentarisation des troupes et le développement des villes, les conversions augmentèrent. Les premières mosquées furent construites à Algésiras (Mosquée des étendards(es)), Saragosse, puis Cordoue (785)[32].
La situation politique de Cordoue aux mains de ces princes de guerre restait cependant très instable. Vers 740, lagrande révolte berbère agita le Maghreb et aboutit à l'indépendancede facto de ces territoires du Califat omeyyade. Les troubles se propagèrent en Al-Andalus, et des dissensions internes éclatèrent entre Arabes. Elles opposaient les clans arabes du nord (Qaysites, originaires deSyrie) et les clans arabes du sud (originaires duYémen). Les dissensions virèrent à la quasi-guerre civile qui se termina par la victoire du gouverneurYûsuf al-Fihri (Qaysite), qui écrasa les arabes yéménites lors de la bataille de Secunda (747). Par ailleurs, leCalifat omeyyade de Damas dont dépendait le gouverneur fut secoué par des troubles qui aboutirent au renversement des Omeyyades.De facto, Yûsuf al-Fihri régnait indépendamment de Damas.
En 750, lesAbbassides renversèrent les Omeyyades et transférèrent la capitale du califat de Damas à Bagdad en 755.Abd al-RahmanIer prit la fuite, débarqua àTorrox le en Andalousie et obtint définitivement le pouvoir après labataille d'Almeda le. Il transforma cette province de l'Empire enémirat indépendant des nouveaux maîtres Abbassides. L'Émirat reconnut cependant l'autorité religieuse du Califat jusqu'en 929.
En 750, lesAbbassides renversèrent lesOmeyyades, en tuant tous les membres de la famille exceptéAbd al-Rahman, et transférèrent le pouvoir deDamas àBagdad. En 755, Abd al-Rahman, seul survivant, fuit à Cordoue et s'auto-proclama émir d'Al-Andalus à Cordoue.
L'année suivante, Abd al-Rahman, Omeyyade, rompit le lien de vassalité avec Bagdad désormais aux mains des Abbassides. Al-Andalus devint alors unémirat indépendant de Bagdad, même s'il s'inscrivait pour un siècle et demi encore dans le Califat, c'est-à-dire que l'émir reconnaissait la prééminence religieuse du calife. Les troupes franques enlevèrent les marches d'Espagne à l'Émirat.Gironne tomba aux mains des Francs en 785,Narbonne en 793 etBarcelone en 801, maisCharlemagne échoua à enleverSaragosse et fut défait par lesVascons lors de sa retraite àRoncevaux.
À la fin de son règne en 788, l'Émirat avait trouvé une certaine stabilité, qui permit d'initier la construction de lamosquée de Cordoue en 786 et dont profita son successeurHicham. Celui-ci poursuivit l’œuvre de son père et fit dumalékisme la doctrine des musulmans andalous. Les rivalités entre les fils d’Hicham devinrent conflictuelles (796), alors même que les tensions entre communautés (Arabes, Berbères, chrétiens, muladis) se multipliaient et que des gouverneurs tentaient de faire sécession après la prise de Barcelone par les Francs (801).
Son règne est marqué par le décret d'apostasie des enfants chrétiens nés de couples mixtes et par une islamisation rapide de la société. En 850, la décapitation deParfait de Cordoue[33] initia la vague demartyrs de Cordoue présentée par le pouvoir andalou comme faisant suite à des provocations de la part des chrétiens. La lecture contemporaine de ces événements en fait une réaction à la perte d'influence et à l'étouffement de la culture chrétienne du fait de l'islamisation rapide de la société[34].
En 844, une flotte viking attaqua Lisbonne et prit, pilla et incendia Séville pendant sept jours. Elle fut repoussée le au sud de la ville.
La seconde moitié duIXe siècle fut chaotique. Les historiens les plus modérés parlent de « grave crise politique », beaucoup parlent de « première guerre civile » ou « première fitna »[35]. Le nouvel émir,Muhammad Ier (Omeyyade), continua la politique d'islamisation de la société initiée par son père, jusqu'à provoquer des révoltes et des soulèvements. Comme toujours en Al-Andalus, les crises étaient complexes et les oppositions multiples. La révolte est décrite par les chroniqueurs andalous comme une révolte ethnique entre « Arabes », « Berbères » et « indigènes » (‘ajam) :muladis et chrétiens[22]. Si les seconds jouèrent un rôle plus discret, les conflits se concentrèrent entre Arabes et muladis. Ces derniers étaient des autochtones convertis à l'Islam et arabisés qui sontprésentés par les sources d'époque comme les principaux adversaires du pouvoir arabe, comme le seraient plus tard les Berbères (1011-1031) :« la conversion ne semble pas considérée comme un critère suffisant pour être définitivement rangé dans le groupe des « musulmans » (Fierro, 2005 ; Aillet, 2009). Le portrait de lafitna émirale est en effet celui d’une société qui revient vers ses origines, vers sa ‘aṣabiyya indigène »[22].Cyrille Aillet explique que cette époque troublée vit la disparition des chrétiens de langue latine et l'émergence des chrétiens de langue arabe nommésMozarabes dans les royaumes chrétiens du nord.
Plusieurs princesmuladis acquirent une puissance économique et militaire notable[36] ; leurs régions tentèrent de faire sécession et vivaient en dissidence de Cordoue. Les premiers soulèvements commencèrent àSaragosse et àTolède au milieu duIXe siècle, emmenés notamment par lesBanu Qasi dans la vallée de l'Ebre, etOrdoño Ier d'Oviedo autour de Tolède. La révolte des Banu Qasi commencée en 842 fut écrasée en 924. Outre ces régions vivant en dissidence, la situation interne de l'Émirat était chaotique, des troubles importants eurent lieu dans la plupart des régions et des villes :Mérida,Évora, Tolède,Albacete,Valence,Grenade,Almérie,Séville, notamment. C'est à cette époque que fut construite lacitadelle de Mayrit comme ligne de défense de Tolède autour de laquelle se développa ce qui devint la ville deMadrid.
La révolte d'Omar Ben Hafsun enBétique commença vers 880 : il annexaAntequera,Jaén, menaçaCordoue,Malaga,Murcie et Grenade. Il demanda, en 909, l'aide du nouveauCalifat fatimide alors que les plus précieux alliés des Omeyyades au Maghreb, lesṢalihides de Nekor, venaient de traverser une grave crise politique, également à cause des Fatimides, et qu'un front était ouvert au nord contre leroyaume de León. La révolte fut écrasée en 928. L'ensemble affaiblit considérablement l’Émirat[37].
La période de l'Émirat indépendant fut essentiellement une étape d'unification des territoires sous la domination musulmane, une islamisation rapide des populations et l'installation d'un nouvel ordre politique formé par les vizirs. L'organisation politique était chaotique, les disputes internes entre Arabes et Berbères ne cessèrent pas, de même qu'entre princes arabes, ce qui permit aux royaumes chrétiens du nord de se regrouper, de se consolider et d'initier la Reconquête[38]. Dès la mort d'Abd al-Rahman II en 852, Cordoue avait acquis sa configuration de métropole musulmane architecturée autour de l'Islam[38]. L'organisation efficace de l'appareil administratif était inspirée duCalifat omeyyade de Damas[38]. Cependant, cette organisation dite « néo-Ommeyyade »[38] buta sur les contradictions internes de la société andalouse, provoqua une nouvelle guerre civile, interrogea sur les mesures mises en œuvre et mit en lumière ses faiblesses[38].
L'instauration de ce nouvel ordre supposa de vaincre un grand nombre de résistances chez les autochtones. En 909, l’avènement duCalifat fatimide d'obédience chiite et sa prise de contrôle de la majeure partie des côtes du Maghreb changèrent profondément la donne politique dans l'ouest de la Méditerranée et privèrent l'Émirat de nombre de ses appuis. Néanmoins, dans l'Émirat, en 928, les Omeyyades triomphèrent seuls des derniers soulèvements contre leur autorité.
L'influence des Omeyyades de Cordoue était très importante au Maghreb occidental. Plusieurs raids furent lancés sur les côtes nord-africaines où les Omeyyades avaient de solides appuis. À la veille de l’avènement des Fatimides, presque toutes les principautés du Maghreb occidental semblent avoir été liées aux Omeyyades, avoir entretenu des relations cordiales avec Cordoue à cette époque, voire étaient ouvertement pro-omeyyades[35]. En 902, un groupe de marins, appuyés par les émirs Omeyyades de Cordoue, fondaOran. En 903, les Andalous s'installèrent dans lesîles Baléares, nommées ainsi par lesPhéniciens et par lesRomains, qu'ils désignèrent commeîles orientales d'Al-Andalus[39].
L'ensemble poussaAbd al-Rahman III à regrouper ses partisans et à refonder l'organisation politique sur de nouvelles bases afin de l'adapter tant à la situation interne d'Al-Andalus qu'aux menaces externes fatimide et chrétienne[38].
En 928,Abd al-Rahman III fut victorieux contreOmar Ben Hafsun et se réappropria la plupart des territoires qui avaient tenté de faire sécession. Cependant, une partie des territoires nord-ouest furent perdus au profit des royaumes chrétiens (Galice, León, nord du Portugal). Les villes de Merida et Tolède furent réintégrées en 931.
En 929, Abd Al-Rahman III profita de sa victoire, de l'établissement duCalifat fatimide sur l'Ifriqiya et laSicile en 909 et des fractures duCalifat abbasside pour instituer lecalifat de Cordoue dont il se proclamacalife. La proclamation du Califat omeyyade fut en partie la conséquence de l’affirmation de plus en plus menaçante du Califat fatimide au Maghreb et de la faiblesse concomitante du Califat abbasside[35]. Avec ce statut, Cordoue se déclara nouveau garant de l'unité de l'Islam, en rupture avec Bagdad, etde facto ennemi du Califat fatimide contre lequel les conflits se multiplièrent au cours duXe siècle.
Le calife lança en 936 plusieurs travaux de prestige, dont la construction de la ville palatine deMadinat al-Zahra comme symbole de son pouvoir, cherchant à l'inscrire dans la continuité et la légitimité des pouvoirs historiques. Il ordonna également l'agrandissement de la mosquée de Cordoue. À cette époque, la chanoine de l'abbaye de Gandersheim,Hrotsvita, décrivait la ville dans ces termes :« Brillant joyau du monde, ville nouvelle et magnifique, orgueilleuse de sa force, célébrée pour ses délices, resplendissante par la pleine possession de tous ses biens »[Note 7],[42].
L'axe culturel, développé avec l'ouverture de bibliothèques, une université, une école de médecine, une école de traduction, dans la lignée desmaisons de la sagesse fondées à Bagdad durant le siècle précédent. Ces apports firent de Cordoue l'un des centres d'érudition les plus importants de son époque ;
L'axe religieux. Contrairement à ses prédécesseurs, il n'imposa pas l'islam comme religion, en conséquence de quoi la période du Califat ne subit pas de révolte.
Situation de la péninsule Ibérique à la mort d'Almanzor (ʿÂmir Al-Mansûr, 1002).
À la mort d'Al-Hakam II, le pouvoir passa au vizir Ibn ʿÂmir Al-Mansûr, connu en français sous le nom d'Almanzor, qui s'arrogea la plupart des prérogatives du calife et organisa la chute des Omeyyades. Pour affirmer son pouvoir, il fit construireMadinat al-Zahira en vue de supplanter la ville califale deMadinat al-Zahra. Il assit sa légitimité en se présentant comme un chef de guerre combattant au nom de l'Islam et d'un sunnisme rigoriste.
Du point de vue de la politique interne, et outre sa prise de pouvoir sur les Omeyyades, Almanzor est connu pour avoir fait brûler des livres d'astronomie controversés, pour avoir été plus strict sur l'obédience musulmane que ses prédécesseurs, pour avoir harcelé les disciples du philosopheIbn Masarra, pour avoir prévenu toute infiltration chiite, pour avoir tenu fermement le pouvoir et avoir centralisé l'administration[44]. La justice était réputée comme plutôt équitable, selon les critères de l'époque. On décrit à ce sujet qu'il fit remettre à son épouse la tête du généralGhâlib, son père, qui tentait de s'opposer à sa prise de pouvoir.
Dès sa fondation, la survie d'Al-Andalus dut s'appuyer sur le Maghreb, tant pour ses circuits économiques, sa main d'œuvre, que pour ses hommes d'armes face aux chrétiens[45], mais jusqu'à Almanzor, les Arabes, en minorité démographique, se méfiaient d'une trop grande présence de Berbères armés susceptibles de les renverser. Au contraire, Almanzor fit venir du Maghreb à grands frais des tribus zenata chassées par les Zirides pour renforcer ses armées. Pour Francis Manzano, les élites comme le peuple andalusi semblent avoir eu conscience que ces échanges de populations, mal arabisées, suspectes du point de vue religieux et qu'ils considéraient comme des barbares, furent le propre poison de leur société[45].
Eduardo Manzano Moreno souligne que l'apogée d'Al-Andalus se trouve sous Almanzor. Le Califat était de loin le plus puissant système politique en Europe depuis la chute de l'Empire Romain. Le Califat était doté d'une administration centralisée, d'une armée et d'une marine puissantes ; son état et sa population étaient relativement riches grâce au développement de l'agriculture, de l'irrigation, d'une industrie et d'un commerce florissants[46]. À cette époque, selon les études contemporaines, le trésor accumulé par les Omeyyades grâce à leur système fiscal était immense. Il était avant tout lié à une augmentation de la production économique et au commerce qui valaient les richesses culturelle et artistique du Califat à son apogée[47],[48].
Le Califat était alors« un géant politique, économique et culturel mais avec de nombreuses faiblesses »[49].
Almanzor mourut en 1002. Ses fils prirent sa succession, et le calife tenta de reprendre le pouvoir, ce qui déclencha laguerre civile en Al-Andalus en 1009. Le pillage deMadinat al-Zahira, ordonné par le calife, permit de récupérer, selon les chroniques médiévales, un trésor monumental de 1 500 000 pièces d'or et 2 100 000 pièces d'argent. À la destruction et l'incendie de Madinat al-Zahira répondit celui deMadinat al-Zahra en 1013. La guerre civile de vingt années provoqua la décadence du Califat. En 1031, le califat de Cordoue s'effondra et se morcela entaïfas. Les commentateurs de l'époque font des Berbères les principaux artisans de la chute des Omeyyades et les principaux bénéficiaires de l'effondrement du Califat, même si l'analyse contemporaine relève que plusieurs taïfas importantes furent récupérées par des familles arabes ou se revendiquant comme telles.
PourIbn Hazm, érudit contemporain de la guerre civile soutenant la restauration omeyyade, cettefitna était inéluctable et aurait été la conséquence de l'illégitimité desOmeyyades à se réclamer du Coran ; c'est un écho de la fitna duCalifat omeyyade de Bagdad qui vit le renversement des Omeyyades par les Abbassides[50].
Si la Cordoue califale« dépasse en richesse toutes les villes précédentes et postérieures en Europe sur la Méditerranée pour plusieurs siècles », Ibn Ḥazm fait le tableau de la ville immédiatement postérieure à la guerre civile dans lequel « la ruine a tout emporté »[51][réf. incomplète], mais peu de temps après, vers 1031-1043, Ibn ‘Idārī al-Marrākušī décrit une ville pacifiée où se reconstruisent les quartiers démolis par la révolution[52].
La désintégration du Califat donna lieu à la création de royaumes indépendants, les taïfas. La stricte obédience islamique à laquelle le calife était censé veiller se relâcha et les croyants d'autres religions purent accéder plus facilement au pouvoir. D'autre part, les nouveaux seigneurs, considérés comme des« usurpateurs[53] », étaient des Berbères et d'anciens esclaves (notammentslaves), essentiellement intéressés par des guerres avec leurs voisins. Ils n'avaient confiance ni dans les Arabes ni dans les Andalous. Dans ces conditions, ils s'entourèrent de juifs, ce qu'ils considérèrent comme moins risqué[54]. Ainsi, le juifSamuel ibn Nagrela devientvizir d'abord afin d'organiser l'administration de Grenade dont le roi Ziri et la tribu régnante n'avaient réorganisé que la levée de l'impôt[53].
Si les taïfas s'inscrivaient dans la continuité culturelle du Califat, elles ne représentaient plus de danger pour les royaumes chrétiens du Nord auxquels il leur arrivait de s'allier ou même de payer tribut (paria)[57]. Un événement qui ne concerna que les chrétiens passa inaperçu des musulmans tout occupés à leurs divisions : lors de laséparation des Églises d'Orient et d'Occident, l'églisemozarabe choisit naturellement l'obédience decelle de Rome, plus proche et plus influente que les autresÉglises de l'anciennePentarchie chrétienne, ce qui rallia de plus en plus de chrétiens d'Al-Andalus aux royaumes chrétiens du Nord et ralentit les conversions à l'islam. PourChristine Mazzoli-Guintard, avec l'avancée des armées chrétiennes vers le sud,« Al-Andalus, à la dérive politiquement, se [mit] à rejeter ce qui [était] différent » et affirma sondogmatisme religieux, notamment à partir de 1064, lorsque tomba la première ville importante :Barbastro[58]. En 1066, l'assassinat d'un vizir juif fut suivi depogroms (1066)[58]. Il ne s'écoula que20 ans entre la prise de Barbastro au nord de l'Aragon et laprise de Tolède en 1084 au centre de lapéninsule. Avoir pris l'ancienne capitale permit àAlphonse VI de Castille de revendiquer l'héritage moral de l'ancien royaume chrétien wisigoth[59].
La désintégration du Califat en de multiples taïfas mit en évidence que seul un pouvoir politique centralisé et unifié pouvait résister à l'avance des royaumes chrétiens du Nord[60]. La conquête deTolède parAlphonse VI précisait une menace existentielle contre les royaumes musulmans de la péninsule. Devant ce risque, les rois des taïfas demandèrent l'aide du sultanalmoravide d'Afrique du Nord,Yusuf ben Tashufin, qui débarqua àAlgésiras, défit le roi de Léon lors de labataille de Zalaca (1086), et reconquit progressivement toutes les taïfas (1090) mais se brisa contre l'ancienne capitale wisigothe, Tolède[60].
Si durant les périodes Omeyyades et jusqu'à la première période de taïfas il est pertinent d'analyser Al-Andalus dans un cadre pré-national ibérique en opposition à la fois aux royaumes chrétiens et aux Berbères, à partir de la conquête Almoravide, cette logique n'est plus valide[61]. De 1086 à 1227, Séville était une capitale secondaire d’un empire fondamentalement maghrébin auquel les Almohades ajoutèrent la centralité de l'Occident musulman en déplaçant la Révélation au Maghreb, en créant le dogme de l'impeccabilité (ʿiṣma) de Ibn Tūmart et en proclamant un nouveau Califat[61]. L'intervention almoravide dans la péninsule marqua le début d'une longue influence maghrébine sur Al-Andalus[60] qui commença avec cette conquête, se poursuivit avec la domination almohade (1147-1220) et se termina par l'influenceMérinide (début duXIIIe siècle - début duXVe siècle)[60].
En 1118,Alphonse Ier d'Aragon fit subir de lourdes défaites aux Almoravides en prenant Saragosse, puis en assiégeant Grenade et en attaquant plusieurs villes du Guadalquivir (1125-1126). Dans ces régions, les chrétiens furent déportés au Maghreb, ou durent se convertir, ou s'enfuirent en accompagnant les armées chrétiennes lors de leur retraite. L'ensemble provoqua un déclin radical des communautés chrétiennes[62].
La fiscalité fut allégée, ce qui semble avoir profité à l'activité économique, et la monnaie almoravide, ledirham d'argent, semble avoir été une monnaie solide répandue dans tout l'occident musulman. La conquête almoravide imposa une pensée malékite rigoureuse qui condamnait l'art de vivre et le rayonnement culturel issus du Califat qui s'étaient développés durant la première période des taïfas[63]. La destruction de l’œuvre d'Al-Ghazali parAli ben Youssef est emblématique de cette évolution[63].
Les premiers indices du ressentiment des Andalusis contre les Almoravides apparurent très tôt. Dès 1121 à Cordoue, la population se rebella contre ce nouveau pouvoir. Seule l'intervention desfaqîh put éviter un bain de sang. Les rébellions se multiplièrent dans les villes d'Al-Andalus et à partir de 1140, le pouvoir almoravide commença à tomber au nord de l'Afrique sous la pression almohade. En 1144, le soufi Ibn Quasi prit la tête d'un mouvement contre les Almoravides qui aboutit à la renaissances des taïfas : ladeuxième période de taïfas.
Entre 1140 et 1153, le territoire almoravide fut morcelé, faisant renaître brièvement les taïfas. Le mouvement fut exploité parAlphonse VII de Castille qui annexaAlmérie etLisbonne, entra dansCordoue en 1146 sans pouvoir s'y maintenir et opta pour un régime de protectorat et de tributs[63].Tortosa,Lleida etFraga furent enlevées deux ans plus tard par les chrétiens ;Grenade etJaén furent annexées par Ibn Mardanish, allié musulman de la Castille, précisant nettement le risque d'un effondrement total de l'islam andalou. Lecalife almohade décida, en 1150, d'une intervention dans la péninsule. Les Almohades s'installèrent en 1154 à Séville. HormisMajorque qui maintint son indépendance jusqu'en 1203, les taïfas furent balayées par la conquête militaire almohade. Les Almohades menèrent des contre-offensives victorieuses sur nombre de lieux récemment annexés par les chrétiens, ce qui ouvrit une période de40 années de pressions militaires le long duTage[63].
Pendant l'apogée almoravide eut lieu un nouveau « réveil » religieux initié parIbn Toumert dans le sud du Maroc et porté par lesAlmohades. Dès 1147, ils prirent Marrakech, pacifièrent le Maroc en 1148 et étendirent leur influence sur tout le Maghreb. D'inspirationzahirite (forme d'Islam radical), après un premier débarquement avorté en 1146, ils conquirent Al-Andalus à partir de 1150 et installèrent leur capitale à Séville. Les prêches initiaux d'Ibn Toumert étaient d'une grande violence, mais si la guerre sainte était invoquée, elle ne l'était pas contre les chrétiens mais contre les « polythéistes » almoravides[64]. Des destructions, desdéportations, desconversions forcées marquèrent un point de non retour. Le califeAl-Mu‘min et son successeurAbû Yûsuf Ya‘qûb (1184-1199) mirent en œuvre cette doctrine sous forme de politique intégriste et de persécutions envers ceux qui étaient perçus comme hérétiques : les juifs — dont la population fuit au nord —, lesfuqahâ‘malikites[65] et les philosophes. LorsqueMuhammad al-Nâsir (1199-1214) succéda à Yûsuf, la doctrine almohade régressa rapidement.
En 1212, lesAlmohades furent battus par une coalition de rois chrétiens àLas Navas de Tolosa dans une bataille qui décida de l'avenir de l'Espagne[63]. Dès 1220,Ferdinand III de Castille commença la Grande Reconquête.Ibn Hud, descendant des anciens maîtres de Saragosse, profita du mécontentement contre les Almohades pour prendre Murcie et lança un mouvement de révolte en Al-Andalus généralisé en vue de rétablir l'autorité des Abbassides de Bagdad. En 1229, l'Empire almohade s'effondra, donnant lieu à une évanescentetroisième période de taïfas (1224-1266). Les souverains castillan et aragonais profitèrent de la situation et défirent Ibn Hud en 1230. Majorque fut enlevée la même année par les catalans. Les villes tombèrent en cascade : Cordoue en 1236, Valence en 1238 et Séville en 1248[63].
En parallèle, les Almohades furent complètement écrasés par lesMérinides en 1269[63].
L'émirat de Grenade (1238-1492) et la fin de la Reconquista
Salida de la familia de Boabdil de la Alhambra parManuel Gómez-Moreno González (vers 1880). L'œuvre représente le moment oùBoadbil (1459-1533), le dernier roi musulman de Grenade, a quitté le palais de l'Alhambra avec sa famille après que les Rois Catholiques ont pris Grenade en 1492.
En 1238, soit deux ans après la chute de Cordoue,Mohammed ben Nazar fonda l'émirat de Grenade et, en se déclarant vassal du roi de Castille, fit que son royaume fut le seul royaume musulman à ne pas être conquis. Avec l'avance des Castillans, beaucoup d'Andalusis fuirent au sud de la péninsule. Lors de la chute des royaumes de Cordoue, Jaén, Séville et Murcie, beaucoup s'installèrent dans le Royaume nazari. Les minorités mozarabes et juives qui avaient été abondantes dans les premiers temps avaient pratiquement disparu lors de la domination almohade. Par la suite de leur rivalité, les royaumes de Castille et d'Aragon s'empêchèrent mutuellement de conquérir Grenade.
Cependant, avec la consolidation du royaume de Grenade, des Juifs revinrent, emmenés par des marchands chrétiens qui installèrent descomptoirs dans les principales localités grenadines. La présence mozarabe fut réduite à quelques groupes isolés : réfugiés politiques et marchands qui furent autorisés à pratiquer leur religion à titre privé[66]. Il se créa unquartier juif et les contacts avec les chrétiens furent nombreux, au moins aux frontières : marchands andalous et génois, ouvriers, voire artistes sévillans venus décorer les palais princiers[62].
Cependant la rivalité, entre la Castille et l'Aragon prit fin en 1469 avec le mariage desrois catholiques, puis en 1474 avec leur avènement sur les deux trônes. En1492, le royaume nasride de Grenade fut conquis, après dix ans de guerre, mettant fin à laReconquista. La même année,les Juifs furent expulsés etChristophe Colomb découvrit l’Amérique au nom de laCastille.
Contrairement au reste de l'Europe, la société andalouse était nettement plus urbaine, ce qui permet à des villes commeCordoue de compter un demi-million d'habitants à son apogée. Les villes andalouses sont l'expression du pouvoir de l'émir puis du calife qui investit des sommes considérables pour y maintenir les forces vives tels que les intellectuels[67]. Ces mêmes villes dont les noms sont la plupart du temps romains comme Valence (Valentia) qui s’appelleraBalansiyya, Caesar Augusta qui donnera Saragosse,Malaga qui s'appellera Malaka, Emerida en Marida. D'autres encore portent le nom de leur fondateur arabe commeBenicàssim qui prend son nom de Banu-Kasim,Benicarló de Banu-Karlo ou encoreCalatrava provenant de Kalat-Rabah[C 1]. Des auteurs commeIbn Hawqal dans son livreSurat al-Ardh dénombrent soixante-deux villes principales.
Les descriptions des villes d'Al-Andalus débutent auXe siècle et laissent apparaître des cités islamisées composées d'éléments caractéristiques aux centres urbains d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient tels que les mosquées, de nombreuxhammams, lessouks, lakasbah ou encore l'arsenal[68]. Hormis cette architecture orientale, la structure des villes andalouses était semblable aux autres villes européennes en territoire chrétien. Une muraille entoure les bâtiments importants de la ville, sa fonction est autant défensive que politique en séparant la zone proche du pouvoir du reste. À l'extérieur, mais tout de même proche, se trouvent les marchés, les cimetières ou les oratoires. Encore plus loin se trouvaient les maisons des notables mais aussi celle du gouverneur[C 2]. De nos jours, il ne reste que peu de traces de la structure des cités de l'époque musulmane hormis les descriptions arabes mais aussi chrétiennes[68].
Le développement du centre-ville n'était jamais planifié, si bien que chaque propriétaire de terrain était libre de fixer lui-même la largeur des rues ou la hauteur des bâtiments. Un voyageur dira auXVe siècle à propos deGrenade que les toits des maisons se touchent et que deux ânes qui iraient en sens inverse n'auraient pas suffisamment de place pour se croiser. Lemuhtasib était la personne chargée de surveiller l'ensemble, mais la plupart du temps il limitait son action à éviter que les maisons en ruine ne tombent sur les passants. Ce n'est que dans les grandes et moyennes villes qu'on peut croiser de larges voies comme c'est le cas à Cordoue ou à Grenade, Séville, Tolède ou Valence[C 3].
Église Santa María de la Granada deNiebla, auparavant mosquée de la ville.
La citadelle - ou alcazar - et la mosquée sont les principaux signes de l'autorité du dirigeant.
Toutes les villes ne possédaient pas de mosquée, mais il était courant de voir des bâtiments cultuels islamiques. Hormis les petits bâtiments servant à la prière en commun, la construction de mosquées en Al-Andalus est assez tardive, puisque celles-ci apparaissent avec la stabilisation politique à l'époque émirale avec les grandes mosquées de Cordoue (785) ou de Séville (844)[69]. Par la suite, toutes les villes qui aspiraient à concentrer des pouvoirs importants financent la construction de grandes mosquées, comme ce fut le cas par exemple àBadajoz, où Ibn Marwan comprend la nécessité de bâtir un imposant bâtiment reflétant l'opulence de la ville qu'il a fondée[69]. Enfin, dans beaucoup de cités, essentiellement dans celles contrôlées par des Latins convertis, la construction des mosquées est un signe de rattachement à l'islam. Enfin, la vague de construction de mosquées à la fin duIXe siècle jusqu'au début duXe siècle marque le signe de la pénétration de la culture islamique dans la société, qui était durant le premier siècle de la conquête arabe restée majoritairement non-musulmane, mais aussi de l'affirmation du pouvoir de l'émir.
On dénombre encore aujourd'hui plusieurs mosquées dont la plupart ont été transformées en églises comme à Cordoue, Séville, Niebla[68] mais dans beaucoup d'autres villes, malgré les fouilles, la localisation des édifices religieux musulmans est difficile et seuls les textes de l'époque nous donnent une information souvent vague sur l'emplacement de ceux-ci.
Bien que les traces écrites soient rares, les fouilles permettent de retrouver au sein de villes considérées comme des grands centres de pouvoirs les contours de citadelles[70]. Placées sur la meilleure position de la ville, offrant la vue la plus large, les citadelles avaient pour but la défense contre les ennemis extérieurs mais parfois la population locale représentait une plus grande menace. C'est ainsi que dans des villes commeTolède ouSéville par exemple, le mur d'enceinte est rasé et les pierres utilisées pour la construction d'une forteresse permettant de préserver le gouverneur et ses soldats en cas de révolte de la population[71]. Les citadelles se différenciaient aussi en fonction de leur situation géographique; à l'est du pays comme àMurcie ouDénia, les villes possédaient des citadelles quasiment imprenables, ce qui n'était pas le cas à l'ouest vers la zone de l'actuel Portugal[70]. Enfin, comme les mosquées et la citadelle, les ports, les marchés, les cimetières et les bains étaient aussi sous l'autorité directe de l'émir[72].
Reconstitution d'un combat entre les chefs de troupes d'Al-Andalus etVikings.Almeria, 2017.
Capitale de 713 à 718,Séville est une cité en perpétuelle rébellion contre l'autorité des émirs deCordoue. Il est extrêmement difficile de connaître l'état économique de la cité.
Certains indices permettent cependant d'en avoir une idée, ainsi la facilité qu'avaient eu les Vikings à piller Séville en 844 semble montrer que la ville ne disposait pas des fortifications adéquates, d'où une certaine précarité des gouverneurs locaux[73]. À la suite de ce pillage, Abd Al-Rahman II entreprend la reconstruction de la ville en bâtissant une mosquée (agrandie par la suite par les Almohades qui y ajoutent laGiralda), un souk, un arsenal et surtout d'un réseau de tours et de murailles qui donnent à la ville la réputation de cité imprenable. Grâce à ces constructions, Séville est prête à prendre son envol ; le gouverneur de la cité jouit d'un pouvoir qui égale celui de l'émir de Cordoue, il rend la justice, possède sa propre armée et ne paie pas d'impôts au pouvoir central. Avec Abd Al-Rahman III, les fruits des succès sont visibles, on y accroît la culture desolives, du coton[74] et de l'agriculture en général. AuXIe siècle, la ville connaît son apogée au temps des royaumes detaïfas et finit même par annexer Cordoue, l'ancienne capitale, dont elle ravira la place avec le règne des Almohades. Sa proximité avec la mer en fait un des plus grands ports du pays ; c'est de là que partent les marchandises vers Alexandrie essentiellement, ce qui permet à de nombreuses familles d'amasser de grandes richesses, si bien que les témoins de l'époque rapportent qu'il n'y a pas dans tout le pays de familles plus riches et plus adonnées au commerce et à l'industrie qu'à Séville.
La ville supplante Cordoue comme capitale lors du règne desAlmohades de 1147 à 1248. Ils réalisent une synthèse des influences maghrébines et andalouses, notamment avec la construction de laGiralda dans leur capitale, Séville. La ville estassiégée de 1247 à 1248 et se rend à Ferdinand III.
Lapremière période de taïfas voit le développement des nombreuses capitales de ces royaumes. Tolède, l'ancienne capitale Wisigothe, et Badajoz sont celles qui dominent les territoires les plus étendus.
Les échanges avec la Chine et l'Inde, mais aussi la prise d'Alexandrie ou de Damas, qui étaient d'anciennes cités romaines d'Orient possédant de vastes bibliothèques (dont beaucoup de livres en grec) sont le point de départ des sciences dites arabes. Dès l'Antiquité tardive, ces ouvrages grecs et en perse ont été traduits en syriaque par les chrétiens de langue syriaque des provinces orientales de l'Empire romain. Les premiers penseurs musulmans prennent connaissance de ces écrits à travers leurs traductions en arabe et les diffusent avant d'acquérir une dynamique propre auIXe siècle, avec notamment lesmaisons de la sagesse à Bagdad, qui inspirent le calife omeyyade Al-Hakam II à Cordoue au siècle suivant.
Par ailleurs,« Les Omeyyades n’abandonnèrent jamais l'ambition d'être les successeurs légitimes des grands empires et royaumes préislamiques. La vénération de l'héritage des ancêtres est une facette de la mentalité arabe et de sa religiosité (Ewert, 1991)[79] ». Les Omeyyades de Cordoue marquent un intérêt renouvelé pour le passé préislamique de la péninsule auquel ils s’identifient, s'en servent pour asseoir leur règne dans la continuité des régimes passés, et ainsi légitiment leur pouvoir[80]. La première culture d'Al-Andalus, jusqu'au milieu duIXe siècle se forme sur une base culturelle latine hispanique mais dans un environnement dynamisé par les premiers contacts avec le Maghreb et l'Orient[79].
Cependant,« l'adoption de formes et d'éléments [antérieurs par les Omeyyades] n'indiquent pas forcément une influence ou une continuité avec le monde préislamique, mais plutôt une « acceptation » de l'autorité et du prestige du passé, ou une tentative de représenter sa supériorité[81] ».
Après la guerre civile et la chute du Califat en 1031,« la majeure partie des États qui succédèrent au califat de Cordoue tentèrent en permanence, par divers moyens, de s'approprier une partie de l'éclat et de la légitimité que son souvenir évoquait dans tout l'occident musulman ». La ville palatiale demadinat al-Zahra fait en particulier l'objet d'unespolia, fruit de la conquête et dépouilles des vaincus dont la conséquence est un saccage méthodique de la cité[Note 8][82],[Note 9].
Les Almoravides et les Almohades procèdent ainsi au Maroc avec le legs Omeyyade. L'utilisation de leurs techniques et la récupération de matériaux ne résulte pas d'une absorption passive ou de la simple exportation des arts et techniques Omeyyade, mais dans bien des cas despolia recherchés à des fins de légitimation de leur pouvoir, allant parfois jusqu'au transport de matériaux sur de très grandes distances entre Cordoue et Marrakech pour les besoins d'une cour itinérante[83].
« L'année 822 marque la naissance symbolique de la musique andalouse comme tradition distincte de son homologue arabe orientale »[84].Ziriab musicien originaire de l'actuel Kurdistan et exilé à Cordoue vers 813 fonde une école, importe les fondations gréco-perses d'une partie importante de la musique traditionnelle ibérique pour plusieurs siècles et a une influence importante à la cour. Suivi parAbbas ibn Firnas cette époque marque le début du développement de lamusique arabo-andalouse et porte en germe des formes telles que lanouba. Malgré l'influence vraisemblablement très forte de ces deux personnes,« le répertoire andalous qui nous est parvenu se compose presque exclusivement de deux types de poésiemuwashshah etzajal qui ont été inventés après l'époque de Zyriab »[84]. Le style de Zyriab qui s'impose auIXe siècle est balayé par l'œuvre deAhmad al Tifashi auXIIIe siècle[84]. Cependant, la musique reste source de controverses chez les orthodoxes religieux, et à l'instar des chants grégoriens, on fait établir des règles de chant et d'instruments[85]. La musique d'Al-Andalus influence les troubadours[85]. Avec la période de Taïfas les cours se multiplient et avec elles les écoles de chant et de danse.Al Tifachi nous explique que dans l'école de Séville ces arts sont enseignés aux esclaves pour en augmenter le prix[85]. Lamouachah, leszéjels et la Nuba sont les formes poético-musicales les plus importantes d'Al-Andalus[85].
À l'époqueOmeyyade, Al-Andalus se développe, devient auIXe siècle et surtout auXe siècle un foyer de haute culture au sein de l'Europe médiévale, attirant un grand nombre de savants et ouvrant ainsi une période de riche épanouissement culturel. Elle atteint avec le Califat sonâge d'or[12]. Selon certains historiens un véritable enthousiasme intellectuel fait que l'on poursuit toutes les formes du savoir : l'histoire, la géographie, la philosophie, la médecine, les mathématiques »[86] qui lui vaut le titre de « civilisation originale »[87]. La prospérité d'Al-Andalus est le principal facteur qui explique ce développement artistique et culturel[47],[48]. Pour Eduardo Manzano, le Califat était un géant culturel[88]. Ces développements culturels sont à l'usage des Andalousis[89].
La période émirale et surtout la période califale donnent lieu à des réalisations dans de nombreux domaines, notamment dans l'ingénierie, l'agriculture[90] et l'architecture, avec des réalisations majeures telles que lagrande mosquée de Cordoue etmédinat al-Zhara. La médecine est renommée dans le monde médiéval[91],[Note 11].
La Cordoue califale possède l'une des plus grandes bibliothèque de cette époque, avec« une grande quantité de manuscrits de tradition arabe et musulmane mais aussi des exemplaires de tradition chrétienne classique et juive. Elle intègre des manuscrits de provenances diverses[49] »
Sans surprise, Cordoue compte nombre de philologues majeurs commeAbu Ali al Qali(ar) (? -967). Le grammairien sévillanAl Zubaydi(ar) (?-969) compose un dictionnaire biographique des lexicographes et des grammairiens, et le monde islamique doit àIbn Sidah, de Murcie, une œuvre lexicographique considérée comme l'un des principaux apports médiévaux à la langue arabe[89]. Cette période produit des savants de renom comme l'astronomeAl-Zarqali ou le chirurgienAbu Al-Qasim[Note 12]. Comme l'a récemment rappelé Shahab Ahmed (2016), les musulmans au long des siècles ne vivaient pas leur religion comme la prêchent aujourd'hui les salafistes, par une lecture littérale et implacable de textes décontextualisés, mais au travers de la poésie et de l'éthique[92],[Note 13]. La période est riche de nombreux poètes et écrivains, et le lien religieux est très présent. Les plus connus sontIbn Abd Rabbih (Iqd `al-Farid : « Le collier unique »), etIbn Hazm et son œuvrele Collier de la colombe à la fois traité sur l'amour et point de vue sur la fitna de 1013. C'est l'époque où vit l'historienIbn al-Qūṭiyya qui rédige une des principales sources sur la conquête d'Al-Andalus : « Histoire de la conquête d'Al-Andalus »[93].
Après la guerre civile et ses saccages, malgré les guerres entre taïfas rivales, des avancées chrétiennes, malgré« l'instabilité et la décadence sociale[94] » le rayonnement d'Al-Andalus augmente, en particulier à Cordoue[94]. Les érudits religieux se multiplient : lexicographes, historiens, philosophes, comptent parmi les plus brillants de leur époque[94]. Pourtant, la poésie d'Ibn Khafadja (1058-1138) marque une transition. Elle est interprétée comme« l’expression d’une société menacée qui, pressentant sa prochaine disparition, prépare déjà son éloge funèbre[95] », un monde englouti entre l'avancée chrétienne jusqu'à Tolède et la conquête Almoravide d'Al-Andalus[95].
Les périodes Almoravides et Almohades produisent des savants de renom, notamment enmathématiques avec l'œuvre deJabir Ibn Aflah), enpharmacologie (Avenzoar), et enagronomie (Ibn Bassal) etMuhammad ibn Aslam Al-Ghafiqi réputé pour ses opérations de la cataracte. L'époque Almohade compte nombre de penseur en rupture avec les pensées précédentes, dans une tentative de rénovation radicale. Dans l'étude de la philologie, Ibn Mada (-1165) cherche une forme de clarté, de concision et de simplicité dans l'étude de la langue arabe. D'une façon générale, la philologie est considérée comme une discipline annexe d'autre disciplines, en particulier de l'étude du Coran et de la poésie.
La vie culturelle oscille entre le rigorisme almohade et des productions de grande qualité. L'année 1191 voit l'interdiction des musiciens mais la poésie reste riche. Les califes s'entourent de brillants médecins.Averroès conseiller d'Abu Yusuf Yaqub al-Mansur et commentateur d'Aristote s'oppose au mysticisme d'al-Ghrazali ce lui vaut une lourde condamnation à l'exil et la destruction de son œuvre. L'autre grande figure philosophique du moment estMaimonide contraint de se convertir à l'islam avant de fuir en Égypte à la cour deSaladin[63].
L'architecture almohade est également dominée par la simplicité et l'austérité que suggère leur doctrine. Les intérieurs des mosquées sont presque toujours blancs, spacieux et marqués par les symétries qui réduisent l'aspect décoratif à quelques motifs floraux ou géométriques. Les almohades innovent cependant dans ce domaine en créant les panneaux desebka[96]. Le mosquées almohades sont particulièrement célèbres pour leurs minarets. L'architecture militaires atteint un grand niveau de perfectionnement qui rend leurs forteresse presque imprenables. La marqueterie et la céramique sont réputées[96] avec notamment la généralisation à cette époque des techniquessgraffite et d'estampille qui cohabite avec la technique de lacorde sèche inventée durant la période califale avant de la remplacer.
AuXIVe siècle, l'élan est brisé :« à l'époque deMuhammad V, quand on acheval'Alhambra, on vit encore scintiller quelques brèves lueurs de l'antique splendeur d'Al-Andalus. Mais la toile de fond, c'est une lente, progressive mais profonde décadence que n'enrayent pas quelques figures isolées de savants de grande envergure comme le mathématicienal-Qalasâdî ou le médecin Muhammad al-Saqurî[97] ».
Récupération par l'occident chrétien après la reconquête
Sur le plan scientifique, la science et la philosophie grecque continuent à être enseignées dans leur langue originelle à Constantinople et dans les centres culturels de l'empire romain d'Orient. En revanche, l'Europe occidentale est restée jusqu'auXIe siècle à l'écart des sciences grecques, pour ne les redécouvrir que par l'intermédiaire des traductions arabes d'Al-Andalus après la Reconquête.Gerbert d'Aurillac, après avoir parcouru laCatalogne et fréquenté des bibliothèques d’évêchés ou de monastères comportant des traductions d'ouvrages musulmans et espagnols, est un des premiers à rapporter en France les sciences arabes[98]. À travers l'Europe, un vaste mouvement de traduction est lancé. Bien qu'imparfaites, ces traductions introduisent de nombreuses notions en mathématiques, astronomie et médecine.
Après la prise de Tolède en 1085 par la Castille, une partie de ce corpus arabe est traduit en castillan, notamment sous l'impulsion d'Alphonse X, dit le sage. On constate que les traducteurs se concentrent plutôt sur des savoirs universels, fondés sur des textes fiables et à l'autorité incontestable, mais excluent les textes religieux[Note 14] et négligent les œuvres philologiques et littéraires du monde de l'Islam[99].
Ces transferts ne sont pas un apport délibéré du monde arabe au monde latin, mais une assimilation, recherchée par les chrétiens, des avancées d'une culture concurrente qui tenait son prestige autant de sa considération à l'égard des savants grecs et perses de l'Antiquité que de sa dynamique propre. Pour lamédiévisteDanielle Jacquart :
« Après une longue somnolence, dont il ne faut pas exagérer la profondeur, l'Occident médiéval connut auXIIe siècle un renouveau intellectuel, qualifié de "renaissance" depuis l'ouvrage deCharles Haskins paru en 1933. […] L'Occident se mit à s'approprier les richesses intellectuelles du monde arabe, au moment même où il se sentait assez fort pour le combattre par les armes. Alors que les expéditions descroisés en Orient ne jouèrent qu'un rôle mineur, le transfert de savoir se fit en Europe, aux marges des régions qui connurent l'occupation musulmane. […] AuXIIe siècle, les acquis et les progrès de laReconquête firent de l'Espagne le lieu privilégié de la transmission. Vers le milieu du siècle,Tolède devint, par ses traducteurs, le symbole du renouveau occidental. »
Il est difficile de parler de cette transmission sans parler des conditions matérielles dans lesquelles elles ont eu lieu. Celles-ci se firent à la suite des conquêtes, c'est-à-dire« un processus d'appropriation violente dont sont exclus les musulmans […]. Ces traductions se firent en l’absence des savants musulmans, émigrés ou chassés en grande majorité, mais avec celle de savants mozarabes, chrétiens arabisés, et de juifs[101] ». Il s'agit despolia, fruit de la conquête et dépouilles des vaincus[101].
Par ailleurs, les œuvres et traductions ne concernent que des milieux très restreints. Il est impossible d'en tirer des conclusions sociales, ni même de connaître la diffusion réelle de ces savoirs au-delà de cercles étroits. Il faut souvent se contenter d'une stratigraphie intellectuelle des transferts et d'une analyse du contenu des œuvres traduites.
« Si l'impact des traductions tolédanes est incontestable et relativement bien connu, les conditions de leur élaboration gardent une partie de leur mystère. La tentation d'éclairer les zones d'ombre amène souvent l'historien le plus honnête à se transformer en romancier. La personnalité des traducteurs et leur méthode de travail ne se discernent dans les sources qu'à travers un voile qu'il serait hasardeux de faire arbitrairement tomber. »
D'un point de vue général, Al-Andalus est une partie de l'Empire musulman classique inscrit au cœur du Moyen Âge. Les territoires sous domination musulmane ont une structure d'Empire, c'est-à-dire que différents peuples avec différentes religions et différentes langues y cohabitent. Sur la plupart d'entre-eux, les populations non musulmanes et non arabophone sont dominantes jusqu'auXIe siècle[104].
L'ensemble de ces sociétés sont médiévales. Elles sont d'abord dominées par les religions, et particulièrement par la religion du souverain. Les sociétés sont organisées en communautés. On y distingue les confessions (Musulmans,Juifs etChrétiens[Note 15]), les groupes ethniques (Arabes,Berbères,Wisigoths…), le statut de noble, de religieux, de serf, d'esclave, et la condition de femme. Sur le plan ethnique, lesArabes sont au sommet de l’échelle sociale suivis, par ordre décroissant, desBerbères, desMuladis, desMozarabes et desJuifs[105]. L'organisation est pragmatique[104], les communautés sont séparées, l'infériorisation juridique des communautés et des minorités est la norme[104], et elle est d'autant plus marquée que les communautés sont petites.
C'est une société profondément patriarcale[49]. Durant le Califat, les femmes sont à peu près exclues de la vie publique, mais elles peuvent posséder des propriétés et les transmettre[49]. Elles jouent un rôle important dans l'espace privé des palais du calife, et l'administration compte des calligraphes réputée[49]. Cependant, le manque de visibilité des femmes dans cette société a pour conséquence une très faible documentation. Le peu qui nous est parvenu relate des informations négatives de femmes célèbres (femme du calife)[43],[Note 16]. La littérature érotique est plus fournie et donne crédit à la thèse contemporaine selon laquelle les femmes esclaves auraient eut plus liberté que les femmes dites libres[43].
Il est extrêmement difficile de déterminer le nombre de personnes vivant en Al-Andalus tant les frontières mobiles et les guerres ont façonné la démographie du pays. À son âge d'or, il est avancé le chiffre de dix millions de résidents, non-musulmans compris. On y trouvait des Celtes et des Wisigoths antérieurs à l'arrivée des Arabes, des Berbères, des Slaves, des Francs entre autres[C 5].
La société andalouse était fragmentée en fonction de la religion mais aussi de l’ethnie. Dans la seconde partie duVIIIe siècle, on recensait :
des chrétiens, présents sur ces terres avant l'arrivée des musulmans[C 6] ;
des juifs : comme les chrétiens, ils sont antérieurs à l'arrivée musulmane mais sont persécutés durant les dernières décennies par les rois wisigoths (conversions forcées, interdictions des synagogues)[C 6] ;
des musulmans, essentiellement des commerçants nouvellement installés dans le pays.
Parmi les chrétiens, on pouvait distinguer ceux qui avaient conservé leur culture antérieure et lesMozarabes qui avaient adopté, après la conquête musulmane, les coutumes et la langue arabes, tout en maintenant leur religion.
lesYéménites, traditionnellement opposés aux Qaysites ;
lesBerbères, convertis moins d'un siècle plus tôt en Afrique du Nord : malgré leur investissement dans la conquête de la péninsule Ibérique, ils font l'objet de discriminations de la part des Arabes.
En dehors des personnes en position de pouvoir, il est difficile de comprendre des dynamiques sociales à l’œuvre ou de leurs interactions à cause de la très faible documentation qui nous est parvenue. La documentation disponible après la reconquête étant plus importante et la structuration initiale de la vie publique ayant peu évolué, elle peut donner des indices sur les interactions de ces groupes.
LesArabes, établis partout dans lapéninsule ibérique et principalement dans le Sud, le sud-est, l'Est et le Nord-Est[106], sont solidaires entre eux et ont un fort sentiment ethnique. Lors de la conquête du pays, plus de 18 000 soldats arabes débarquent et s'installent dans le pays[107]. Ils sont principalement d'origine Qaïssite et Kalbite (Yéménite)[107]. Ils sont dits "baladiyyûn" (ceux de la conquête), et sont rejoints plus tard par les "sâmiyyûn" (ceux du contingentOmeyyade ultérieur), distinction que recoupe, dans une certaine mesure, l'antique clivage entreQahtanites etAdnanites[106]. Ces caractéristiques compliqueront le travail des premiers émirs pour pacifier le pays[C 7].
Plus tard, à l'époqueAlmohade, d'autres populationsarabes, d'originehilalienne (Zughba etRiyâh), s'installèrent en Al-Andalus[109]. CesArabes, présents en très grand nombre dans les rangs almohades[109] et dont le rôle était de surveiller les axes principaux du pays, servir de réserves pour les troupes, et lever l’impôt[109], bénéficièrent de concessions foncières, notamment dans le sud-est du pays[109].
Bien qu'en majorité citadins et axés sur le commerce ou occupant de hauts postes dans l'administration, les Arabes sont aussi de grands propriétaires terriens. Au fil des siècles, la population arabe s'accroît mais son pouvoir diminue au profit d'une civilisation arabo-hispanique qui perdurera jusqu'à la chute de Grenade[C 8].
D'autre part, selon l'historienPierre Guichard, tous les princes Omeyyades qui se succèdent au pouvoir à Cordoue sont des fils d'esclaves concubines dont la majorité était d'origine indigène, des « Galiciennes », provenant des zones restées chrétiennes de l'Espagne du Nord et du Nord-Ouest. Ainsi, selon l'auteur, « à chaque génération, la proportion de sang arabe coulant dans les veines du souverain régnant diminuait de moitié, si bien que le dernier de la lignée, Hicham II (976-1013) qui, au vu de la seule généalogie en ligne masculine est de pure souche arabe, n'a en réalité que 0,09 % de sang arabe »[108].
Souvent originaires des montagnes de l'Atlas, lesBerbères habitent différentes montagnes du centre et du Nord de l'Espagne. Ils y mènent une existence de cultivateurs et de pasteurs, comme dans leurs patries d'origine. Plus nombreux que les Arabes et tout aussi solidaires entre eux, volontiers autonomes, ils poseront constamment des problèmes aux différents pouvoirs centraux[C 7]. Indispensables et sollicités par les forces armées, en Afrique du Nord comme au nord d'Al-Andalus, les émirs et califes s'en méfient toutefois car ils les savent rebelles et en mesure de contester leur pouvoir. Par exemple, Almanzor (al-Mansur), s'appuie largement sur eux dans sa conquête personnelle du pouvoir. On constate également que les Berbères prennent effectivement le pouvoir dans plusieurs taïfas à l'issue de la guerre civile de 1031.
En majorité musulmans, leurs tribus d'origine comptaient des populations païennes, voire chrétiennes et juives et des convertis superficiels à l'islam, réputés enclins aux schismes et aux apostasies[110],[111]. Le partage des terres arables tourne visiblement en leur défaveur par rapport aux Arabes, nettement privilégiés. On les place souvent dans des zones montagneuses de moindre intérêt économique, mais ils héritent aussi de certaines terres riches « au contact » de potentielles incursions chrétiennes, dans la vallée de l'Ebre et le pays de Valence[110],[111]. Ils se trouvent ainsi éloignés des superstructures centrales d'Al-Andalus et jouent un rôle de défenseurs de première ligne face aux menaces d'incursions des Francs et chrétiens libres[110],[111]. Ils sont visiblement nombreux dans les territoires où se développera par la suite la conquête catalane (basses régions de l'Ebre, Levant valencien)[110],[111].
Le terme de mozarabe signifie « arabisé », aucun texte andalou le mentionnant n'a été conservé. Il est employé par des auteurs des royaumes chrétiens pour désigner des chrétiens vivant en terre d'Islam et le binôme chrétien/arabisé perdure jusqu'auXXe siècle[112].
Cependant, en Al-Andalus est probable que ce terme ait été utilisé de façon plus large, pour désigner les individus parlant arabe mais n'ayant pas de filiation arabe : l'ensemble des chrétiens, mais aussi des juifs ou des berbères islamisés et arabisés[112].
Les chrétiens sont d'origine ibérique, celte, romaine ou wisigothique suivent le rite de saint Isidore. Cyrille Aillet explique que durant les troubles de la seconde moitié duIXe siècle, les chrétiens de langue latine disparaissent au profit de chrétiens de langue arabe, nommésmozarabe par les chrétiens de langue latine dans les royaumes du nord d'Al-Andalus. Ceux-ci donnent lieu à une culture arabo-chrétienne à Cordoue[113].« La plus étonnante des conclusions de la patiente recherche de Cyrille Aillet, c'est que les mozarabes sont moins une « communauté » au sens où on l'entend aujourd'hui, un groupe humain fermé sur des traditions qui le distinguent et le séparent des autres, qu'une façon d'être - l'auteur dit très joliment qu'il existe « une situation » mozarabe »[114].
Les Muladi oumuwallads sont les convertis à l'Islam. Il s'agit d'un groupe transitoire, essentiellement présent durant la période émirale et califale[35]. Ils peuvent être d'origine ibérique, celte, romaine ou wisigothique. Ce sont des convertis à l'Islam, mais« leur révolte les place néanmoins au ban des « musulmans », au point d’être qualifiés dans les textes par les termes demurtadd,mushrik etkâfir »[35]. Ils représentent un temps le groupe le plus important du pays, essentiellement des chrétiens convertis ou nés de parents de couples mixtes.
Si les premières conversions ont lieu rapidement après l'arrivée des Arabes, elles restent peu nombreuses auVIIIe siècle et ce n'est qu'à la moitié duIXe siècle qu'a lieu une forte islamisation de la société sous le règne deAbd al-Rahman II[115], suscitant d'importantes tensions :vagues de martyrs. Tolède est une des villes les plus peuplées en muwallads et donnera de nombreux religieux musulmans de haut rang. De leurs origines romaines il ne reste pour beaucoup que des anthroponymes comme lesBanu Angelino ou lesBanu Martin par exemple. Par ailleurs « la conversion ne semble pas considérée comme un critère suffisant pour être définitivement rangé dans le groupe des « musulmans » (Fierro, 2005 ; Aillet, 2009) alors que les muladi réclament ces les mêmes droits que les autres musulmans, ce qui dégénère en tentatives de sécessions et plus largement déclenche « la fitna émirale » : « une société qui revient vers ses origines, vers sa ‘aṣabiyya indigène ». Cette première guerre civile se termine en 928 par la victoire de l'émir, l'instauration du Califat (929), et la restauration de la paix civile (931-933). Les musulmans représentent alors près de 80 % de la population. Les muladi sont la communauté la plus fidèle et fiable aux yeux des califes[C 9].
Les Esclavons, appelésSaqaliba en arabe, constituent un groupe important dans la société andalouse. Comme durant l'époque romaine et à Byzance, si l'Afrique subsaharienne reste une source pour les esclaves, ceux-ci sont capturés et achetés essentiellement en Europe, lesEsclavons sont essentiellement desSlaves et desGermains provenant d'Europe centrale et orientale et convertis à l'islam pour échapper à leur condition servile initiale. SousAbd al-Rahman II, ils sont ramenés en grand nombre en Andalousie. Certains d'entre eux reçoivent une éducation poussée qui leur permet d'obtenir de hauts postes dans l'administration. Devenant pour certainsgrands fauconniers, grands orfèvres ou encore commandants de la garde, ils finissent par former un groupe à part, se favorisant mutuellement les uns les autres. Ils jouent un rôle important dans l'éclatement du pays auXIe siècle lors de leurs luttes contre les Berbères. À l'époque destaifas, plusieurs Esclavons parviennent à arracher un royaume comme àValence,Almeria ouTortosa et à en faire une puissante entité politique[C 10].
Les juifs sont également de langue arabe. Ils habitent essentiellement dans les villes, travaillent principalement dans les métiers dévalorisés ou interdits par les autres religions (crédit, commerce)[116]. Eduardo Manzano Moreno indique qu'avant la première période de taïfa, la documentation sur les juifs d'Al-Andalus est extrêmement réduite et se concentre sur quelques individus présents à la cour califale, en particulier l'ambassadeurHasdaï ibn Shaprut (915-970)[C 11]. La première période de taïfa est mieux connue, elle compte nombre de médecins, de lettrés d'hommes politiques et de militaires et constitue l'âge d'or de la culture juive en Espagne. Elle compte notamment les poètesSalomon ibn Gabirol (1021-1058) etJuda Halévi (1075-1141). La situation se dégrade à partir de 1066 (massacre de Grenade), puis à la suite de la conquête Almoravide et plus encore après la conquêtealmohade. Cependant, la période Almohade voit des personnages de grand renom comme le médecin et philosopheMaïmonide (1138-1204).
Illustration représentant des soldats juifs combattant dans les forces de Muhammed IX, sultan de Grenade, 1431.Un juif et un musulman qui jouent au jeu d'échecs auXIIIe siècle en Andalousie.
Les conditions de vie des non-musulmans ont fait l'objet de nombreux débats autour du concept deconvivencia, concept abandonné par les historiens. Le spectre de ces débats a été constitué deMaría Rosa Menocal, spécialiste de la littérature Ibérique qui considère que la tolérance faisait partie intégrante de la société andalouse. Selon elle, les dhimmis, formant la majorité de la population conquise, bien qu'ayant moins de droits que les musulmans, avaient une meilleure condition que les minorités présentes en pays chrétiens. À l'autre extrême se trouve, par exemple, l'historienSerafín Fanjul, qui souligne que laconvivencia sous-jacente aux débats a souvent été exagérée par les historiens[123]. Pour Rafael Sánchez Saus également, la vision irénique de Menocal ne correspond pas à la réalité : « dans Al-Andalus, il n'y a jamais eu de volonté d'intégrer la population conquise dans un système ethniquement et religieusement pluriel. Ce qui a été instauré c'est le moyen de perpétuer la domination d'une petite minorité de guerriers musulmans orientaux et nord-africains sur la population autochtone »[117]. L'approche contemporaine d'Emmanuelle Teixer Dumesnil explique que la notion même de tolérance est anachronique dans l'ensemble des sociétés médiévales et que les relations sont fondées sur d'autres rapports que la tolérance ou l'intégration qui sont des concepts issus des Lumières[124].
Les périodes plus récentes sont un peu mieux connues. La fin de la guerre civile provoque un abandon de l'orthodoxie à laquelle le calife était censé veiller. Les juifs sont d'actifs collaborateurs du pouvoir musulman[117] mais avec la maturation chrétienne au nord, la faiblesse structurelle des Taïfas provoque un raidissement du pouvoir musulman envers religions minoritaires. Leur sort se dégrade avec les premières avancées chrétienne (1064, Barastro) qui se concluent par la prise emblématique de Tolède (1085). Pour Christine Mazzoli-Guintard, l'assassinat d'un vizir juif suivi de pogroms (1066) s'inscrit dans cette logique[58]. En 1118, Alphonse Ier d'Aragon fait subir de lourdes défaites aux Almoravides en prenant Saragosse, puis en assiégeant Grenade et attaquant plusieurs villes du Guadalquivir (1125-1126). L'ensemble provoque un déclin radical des communautés chrétiennes[62]. AuXIIe siècle avec l'arrivée desAlmohades met un terme au statut de dhimmi, les juifs choisissent soit la conversion à l'islam ou la fuite vers les royaumes chrétiens du nord, l'Afrique du Nord ou la Palestine[117]. La situation se détend à partir de la seconde partie duXIIe siècle, l'islamisation est alors presque totale.
Serafín Fanjul définit la société du royaume de Grenade (1238-1492) comme« une société monoculturelle, avec une seule langue, une seule religion. Une société terriblement intolérante, par instinct de survie, puisqu'elle était acculée à la mer »[128]. Il reste cependant un important quartier juif à Grenade.
Durant la période Califale, les lois indiquent que le musulman se déplace sur un cheval, le chrétien sur un âne[118], les amendes infligées pour les mêmes infractions sont inférieures de moitié pour les musulmans[118], les mariages mixtes entre les hommes chrétiens ou juifs et les femmes musulmanes sont quasiment impossibles[118], le témoignage d'un chrétien contre un musulman n'est pas recevable devant un tribunal[118]. Le chrétien ne peut avoir de serviteur musulman[118]. Emmanuelle Teixer Dumesnil souligne cependant que« quand on répète inlassablement que les dhimmî ne doivent pas monter à cheval, doivent porter des signes distinctifs et ne peuvent se mélanger aux musulmans, c’est précisément parce qu’il se passe le contraire au sein de sociétés auxquelles ils sont pleinement intégrés »[104]. Le pouvoir recherche une cohabitation dans l'évitement pour « sauvegarder » la foi de chacun et éviter lessyncrétismes, mais ses succès sont limités, notamment dans la ville de Cordoue. En effet, si les groupes confessionnels ne sont pas intimes, les quartiers populaires de la Qaturba ne sont pas confessionnels et l'espace public est partagé. Les mariages entre chrétiens et musulmans restent nombreux parmi les domestiques et esclaves[58] et la réalité vécue par les différents groupes sociaux est très différente[58].
La situation des chrétiens dans les premiers temps était différente selon les villes et les traités que les autorités locales avaient établis à l'arrivée musulmane. Dans la région deMérida ils peuvent garder leurs propriétés à l'exception des ornements des églises. Dans les provinces d'Alicante et de Lorca ils versent un tribut. Dans d'autres cas il arrivait aussi que la situation ne leur soit pas aussi favorable comme pour certains grands propriétaires chrétiens qui voient leurs terres en partie spoliées[C 7]. La situation chaotique du pays empêcha une application trop rigoureuse de la « dhimma » ce qui permit de conserver les traits religieux et culturels distincts des chrétiens[117]. Néanmoins, à partir de 830, avec l'arabisation et l'islamisation du pays, le changement est patent. La chrétienté connaît par la suite un rapide déclin démographique et culturel[117]. Ce n'est qu'à l'époque du Califat qu'une plus grande tolérance se fait jour car les chrétiens ne constituent plus une menace pour le pouvoir[117]. Dans la deuxième moitié duXIIe siècle, il n'existe plus de communautés chrétiennes organisées dans Al-Andalus[117].
Les autres religions sont interdites, notamment lezoroastrisme et l'islam chiite. L'application de ces interdictions est particulièrement mise en avant lors de l'opposition entre leCalifat fatimide et le califat de Cordoue.
Avant 1085, date de la prise de Tolède par les chrétiens, la péninsule Ibérique était aux quatre cinquièmes sous domination musulmane, le nord relevant de quatre royaumes chrétiens et depuis 806 d'une marche franque créée par Charlemagne avec Barcelone comme capitale[63]. Après cette bataille de Tolède (1085), laReconquista ou reconquête chrétienne, progresse fortement. Al-Andalus se réduit à un peu plus de la moitié du territoire espagnol. Lorsque les chrétiens commencèrent à s'unir pour repousser les musulmans installés depuis les années 720, la région était dirigée par uncalife, le calife deCordoue. Après Tolède, la Reconquista s'accélère auXIIIe siècle avec l'importante défaite musulmane lors de labataille de Las Navas de Tolosa en 1212, grande victoire catholique historique, suivie de la conquête de Cordoue en 1236 et de Séville en 1248. Des milliers de musulmans quittent l'Espagne ou se réfugient dans le petit royaume de Grenade[63].
En 1237, en pleine déroute, un chef musulmannasride prend possession de Grenade et fonde leroyaume de Grenade, reconnu vassal par la Castille en 1246 et qui devait ainsi lui payer un tribut. De temps en temps, éclataient des conflits dus au refus de payer et qui se terminaient par un nouvel équilibre entre l'Émirat maure et le royaume chrétien. En 1483,Mohammed XII devient émir, dépossédant son père, événement qui déclencha lesguerres de Grenade. Un nouvel accord avec la Castille provoqua une rébellion dans la famille de l'émir et la région deMalaga se sépara de l'Émirat. Málaga fut prise par la Castille et ses 15 000 habitants furent faits prisonniers, ce qui effraya Mohammed.
Pressé par la population affamée et devant la supériorité des rois catholiques, qui avaient de l'artillerie, l'émir capitule le, mettant ainsi fin à onze ans d'hostilités et à sept siècles de pouvoir islamique dans cette extrémité de l'Espagne. En revanche, la présence de populations musulmanes dans l'Espagne redevenue chrétienne ne prit fin qu'en 1609, lorsqu'elles furent totalement expulsées d'Espagne parPhilippe III, inquiet du désir de revanche desMorisques, des troubles qu'ils occasionnaient, des raids barbaresques sur les côtes espagnoles et de l'aide attendue desOttomans[63].
Al-Andalus est cependant très dépendant économiquement du Maghreb, tant pour la main d’œuvre que pour les circuits économiques et certaines denrées, notamment l'or et les esclaves[45]. Dès la période émirale, le contrôle du Maghreb (jusqu'auxroutes trans-sahariennes,Sidjilmassa et laboucle du Niger) devient impérative. Elle est obtenue grâce à des coups de forces réguliers et des accords mouvants avec les tribus dominantes[45]. La dépendance économique est bien étayée.Al-Idrissi, dans sonKitâb nuzhat al-mushtaq fî ikhtirâq al-âfâq (milieu duXIIe siècle) revient de manière récurrente sur les liens économiques d’interdépendance entre l’Andalousie et les ports marocains[45]. Il souligne également, autour de Cordoue, la quasi-monoculture de l'olivier[45]. Pour Francis Manzano, cette dépendance au Maghreb sans contrôle fort est « une épine dans le pied » d'Al-Andalus qui génère des fragilités structurelles accentuées pendant les périodes Omeyyades par les dissensions entre arabes et berbères[45].
Lalaine quant à elle, exploitée depuis l'Antiquité est essentiellement produite autour du fleuveGuadiana et dans toute l'Estrémadure. Sous la domination musulmane, elle est intensément produite et exportée, notamment avec les élevages de moutons de race diteMérinos dont le nom vient desMérinides, une dynastie berbère d'Afrique du Nord. C'est du Maghreb que les musulmans de la péninsule apprendront les techniques d'élevage, d'organisation des transhumances entre les différentes saisons, les règles juridiques concernant les droits d'exploitation des sols.Alphonse X de Castille lui-même reprendra ces techniques et juridictions pour les imposer sur ses terres.Bocairent près deValence est alors un des grands centres de fabrication de tissus dans la péninsule. Les marchands andalous exportent jusqu'en Égypte à la cour des califes fatimides ou en Perse[C 16].
Les mines de métaux ibériques sont connues depuis la haute Antiquité : l'or, l'argent et l'étain sont exploités par les Phéniciens, les Romains ajoutent l'extraction de mercure et de plomb (Cartagène), du zinc (Grenade). Les mines de fer sont les plus abondantes, elles sont réputées à Tolède comme dans la zone de Guadix (Grenade) dès l'Empire Romain[Note 18]. L'exploitation minière n'est pas étatique, mais dispersée en petites productions sur le territoire en fonction des filons et est généralement complémentaire à une activité agricole ou d'élevage. Par ailleurs, le traitement du minerai ne se fait pas sur le lieu d'extraction, ce qui suppose une phase de transports[129].
Le cas du fer attire particulièrement l'attention des historiens étant donné son importance de nombreux domaines (agriculture, construction, armées). Le traitement du minerai est fait dans les campagnes, et la forge dans les villes. Les métiers de cette industrie sont dévalorisés et aux mains d’autochtones[129]. Les techniques employées dès la période Omeyyade sont les meilleures de cette époque : la technique « indienne » (sources arabes :al-hindi). Elle est passée à la postérité latine commeacier de Damas etWootz[129],[Note 19]. Les Omeyyades intensifient l'exploitation des mines de fer à Tolède et apportent aux productions d'acier ledamasquinage qui fait leur réputation. Le commerce du fer est si important dans la Cordoue califale qu'il existe un marché du fer (sūq al-ḥaddadīn), mentionné par Ibn al-Hay[129]. Séville, Cordoue, Grenade, Teruel et Tolède comptent parmi les principaux centres de transformation[129]. Les ports possédaient leurs propres forges pour les besoins maritimes, ainsi que de multiples installations de petites dimensions dans les campagnes pour les besoins de l'agriculture[129]. Par ailleurs, le transport et la commercialisation sont souvent interrompus par les nombreux troubles dont souffrent ces régions et doivent faire l'objet de relances[129]
Après une quasi interruption de la production lors de la conquête, la production de fer augmente à l'époque émirale jusqu'à la première période de Taïfas[129], elle s'effondre et disparaît complètement à Grenade et Séville avec la conquête almoravide alors que Tolède passe aux mains de la Castille en 1085 privant Al-Andalus de ses principales ressources[129]. Certains historiens attribuent certains échecs militaires arabes duXIIe siècle à la plus grande disponibilité de ce matériau dans le nord chrétien.
Un des métaux les plus exploités est lecuivre (nuḥās). Il est exporté sous forme de lingots ou d'objets manufacturés, décoratifs ou usuels[C 16]. Il est extrait des mines de Grenade, Alméria et des montagnes autour de Tolède.« Il semble peu croyable que les grands gisements ibérique deRio tinto,Tharsis(es),Aljustrel n'aient pas été connus[129] » mais nous n'avons absolument aucun indice dans ce sens. Certaines galeries anciennes ont pourtant été visitées et la documentation arabe de l'époque nous oriente plutôt vers la recherche de produits tiers de la classe descouperoses et desaluns (a priori dessulfates de fer etsulfate de fer et ammonium)[129].
Le bois, matière indispensable pour l'industrie ou la construction navale, manquait cruellement à travers le monde musulman qui était obligé de lancer des expéditions jusqu'enDalmatie pour trouver des bois de qualité. L'avantage certain que possédait Al-Andalus grâce à ses grandes étendues boisées (surtout autour deDénia ouTortosa) lui permettait d'exporter en grande quantité, mais au fur et à mesure que la Reconquista progressait, les forêts se raréfiaient[C 17]. Les vastes étendues boisées autour deCadix,Cordoue,Malaga ouRonda permettaient au pays de lancer de grands projets coûteux en bois, comme les chantiers navals[C 12].
Introduit en Orient quelques années après labataille de Talas en 751, le papier est une matière essentielle dans l'économie andalouse. Fabriqué dans la région deXàtiva près deValence (Espagne), il acquiert une grande renommée grâce à sa qualité de fabrication mêlant le chiffon et le lin. Très demandé dans tout l'Orient et en Europe, il est nommément cité dans laGuenizah du Caire[C 18].
Le trafic d'esclaves est attesté dès la fin duIXe siècle[130]. La grande majorité des esclaves venaient du pays nommébilad as-Sakalibas c'est-à-dire pays des esclaves et qui englobait toute l'Europe orientale et centrale. Les autres provenaient des steppes d'Asie (bilad Al-Attrak) ou de l'actuel Soudan (bilad as-Sudan). Les esclaves provenant d'Europe étaient essentiellement des Slaves capturés autour de la région deL'Elbe, laDalmatie ou encore lesBalkans. LesScandinaves sont les principaux vendeurs d'esclaves, ils les acheminent jusqu'aux abords duRhin où des marchands, essentiellement juifs, achètent les esclaves puis les revendent dans toute l'Europe comme àVerdun qui est le principal centre de castration des esclaves, mais aussi àPrague ou encore en Orient ou en Andalousie. Toutefois avec l'arrivée desAlmoravides, le commerce d'esclaves européens diminuera au profit de ceux d'Afrique[C 19].
Bien avant l'arrivée des Arabes, la péninsule Ibérique possède de solides infrastructures routières mises en place par les Romains mais laissées à l'abandon avec l'arrivée desWisigoths. Durant la domination arabe, les principaux axes routiers internes partaient tous deCordoue, la capitale et rejoignaient les grandes villes du pays, commeTolède,Almería,Valence,Saragosse ou encoreMalaga.
En ce qui concerne le commerce extérieur, le principal axe était celui qui joignait l'Andalousie à l'actuelLanguedoc-Roussillon avec des villes commeArles ouNarbonne d'où partaient les marchandises vers toute l'Europe ou l'Orient. Les marchands andalous y achètent essentiellement des armes ou des draps desFlandres et y vendent des soieries et des épices.
Entre 903 et 1229, lesBaléares, principalementMajorque, verrouillaient le commerce enMéditerranée, ainsi qu'entre la péninsule etAlger. Les îles offraient également une base pour les expéditions pirates.
Les ports andalous étaient surtout tournés vers le commerce avec l'Afrique du Nord, laSyrie ou leYémen. C'est par voie maritime qu'étaient transportés les produits pondéreux comme le bois, la laine, le blé, mais aussi les pèlerins en direction deLa Mecque[C 20].
Le souverain domine le peuple et possède tous les pouvoirs, n'obéissant qu'à sa seule conscience et aux règles islamiques. Il est le personnage central du pays et plus encore depuis qu'Abd Al-Rahman III s'est fait couronner calife, commandeur des croyants. Le souverain a l'autorité absolue sur les fonctionnaires et l'armée. Il nomme qui il souhaite aux hauts postes de l'État. Le souverain apparaît rarement en public[C 21], surtout après la construction du palais de Madinat Al-Zahra par Abd Al-Rahman III, où les réceptions sont régies par un protocole strict et complexe, ce qui ne manque pas d'éblouir les ambassadeurs occidentaux marqués par la crainte respectueuse qu'inspirait le calife à ses sujets. Le souverain garde auprès de lui dans son palais sa famille.
La plus grande cérémonie dans la vie d'un souverain est labaya, hommage qui marque l'avènement d'un nouveau dirigeant. Sont présents sa famille proche et éloignée, les hauts dignitaires de la cour, juges, militaires, etc. Toutes ces personnes jurent fidélité au nouveau souverain selon un ordre hiérarchique importé du Califat abbasside parZyriab. Ensuite viennent lesfêtes de la rupture du jeûne du mois deRamadan puis lafête du Sacrifice qui sont célébrées avec faste[C 21].
Il est très difficile de réaliser une carte précise des différentes régions d'Al-Andalus tellement ses frontières étaient mobiles et les changements de dirigeants fréquents. Il est parfois même plus sûr de se fier aux sources chrétiennes qu'aux sources arabes de l'époque. Toutefois dans les grandes lignes et selon de nombreux auteurs arabes le pays était divisé enmarches (tughur outaghr au singulier) et en districts (kûra au singulier,kuwar au pluriel[C 22],[131]).
Situés entre les royaumes chrétiens et l'Émirat, les marches font office de frontière et de zone tampon. Inspirées destughur que les Abbassides avaient placés sur leur frontière avec Byzance, ces marches étaient défendues par des forteresses plus ou moins grandes en fonction de l'intérêt stratégique des lieux. Gouvernées par des militaires aux pouvoirs étendus, les populations y vivant bien qu'étant en état de guerre y menaient une existence dans une paix relative dû aux forces que le gouvernement central y plaçait[C 22].
Dans le reste du pays, des garnisons formées de soldats arabo-berbere mais aussi des mercenaires garantissent la sécurité du territoire. L'administration quant à elle n'est pas aux mains d'un militaire mais d'unwali qui est nommé et surveillé par le pouvoir central. Lewali gouverne une circonscription provinciale. Chaque kûra possède donc un chef-lieu, un gouverneur et une garnison. Le gouverneur habite dans un bâtiment fortifié (kâsba) du chef-lieu. Le nombre de kûras est assez fluctuant ; al-Muqaddasî nous rapporte une liste de 18 noms. Yâqût en dénombre au total 41 etAl-Râzî, quant à lui donne le chiffre de 37. Apparu dès les débuts de la présence musulmane dans la péninsule, ce mode de division administrative, lui-même hérité du modèle des Abaassides de Bagdad ou des Omeyyades de Damas, subsistera jusqu'à la fin de la présence musulmane en Espagne[C 23].
Le souverain est entouré de conseillers, lesvizirs, le premier vizir qui est aussi à la tête de l'administration est lehadjib. Ce dernier est la seconde personne en importance après le souverain et il peut entrer à tout moment en contact avec celui-ci et doit le tenir informé des affaires du pays. Lehadjib est aussi, après le souverain, la personne la mieux payée et il est objet de tous les honneurs, mais en contrepartie il est responsable d'une administration lourde et complexe. Il vit dans l'Alcazar puis àMadinat al-Zahra après la construction de celle-ci[C 24].
Ensuite viennent les « bureaux » oudiwans, qui sont au nombre de trois et dont chacun est dirigé par un vizir. Le premier diwan est la Chancellerie ou lekatib al-diwan oudiwan al-rasail. Il a la responsabilité des diplômes et brevets, des nominations et des correspondances officielles. Ce diwan a aussi la responsabilité de la Poste oubarid, système de communication hérité des Abbassides. Enfin le premier diwan gère les services de renseignement[C 25].
Sous l'autorité de Mozarabes ou de Juifs, la gestion des finances ou lekhizanat al-mal est organisée de manière complexe. On y comptabilise les revenus de l'État ainsi que les revenus du souverain. En Al-Andalus, les impôts sont la première entrée d'argent, à laquelle s'ajoutent les tributs des vassaux et les recettes extraordinaires. Au cours des siècles, ces entrées varient considérablement : de 250 000 dinars au début de la présence arabe, ce montant va s'élever à un million sousAbd al-Rahman II et jusqu'à cinq millions sous Abd Al-Rahman III et ses successeurs. Ces impôts comprennent lazakât pour les musulmans, ladjizîa pour les non-musulmans ainsi que d'autres impôts que le gouverneur lève en cas de besoin. La cour royale représente un poste de dépense important. Sous Abd Al-Rahman III, l'entretien de son palais de Madinat Al-Zahra mais aussi le harem et ses 6 000 femmes, personnel domestique, famille du souverain, engloutit des sommes considérables[C 26].
Le calife, lieutenant de Dieu sur Terre, est aussi juge de tous les Croyants. Il peut exercer cette fonction s'il le souhaite, mais en général la délègue à des subordonnés appeléscadi, investis du pouvoir de juridiction. Le cadi deCordoue est le seul à être directement nommé par le calife, les autres étant en général nommés par les vizirs ou des gouverneurs de province.
Lors d'un jugement, le cadi est seul et il est assisté d'un conseil remplissant un rôle uniquement consultatif. Le cadi est choisi en fonction de ses compétences en matière de droit islamique, mais aussi pour ses qualités morales. Ses jugements sont sans appel bien qu'il soit possible dans certains cas de demander à être jugé de nouveau par le même cadi ou un autre cadi ou par un conseil réuni à cet effet. Les sentences les plus graves sont exécutées par les autorités civiles ou militaires. Outre les jugements, le cadi gère les biens demainmorte, entretient les mosquées, les orphelinats et tout bâtiment destiné aux plus défavorisés. Enfin il lui est permis de présider la prière du vendredi ou des autres fêtes religieuses.
La justice étant gratuite, le cadi qui se doit d'être d'un caractère pieux et doit rendre justice équitablement, est mal payé. Mais il reste un personnage considérable au sein de l'État. Il n'y a aucun bâtiment conçu pour les audiences de justice : les jugements se font dans une pièce attenante à la mosquée. Le cadi peut juger entre deux musulmans ou entre un musulman et un chrétien. En cas de litige entre chrétiens, c'est un magistrat spécial qui est affecté et qui juge selon l'ancien droit wisigoth ; entre juifs, c'est un juge juif[C 27].
Au temps d'Al-Andalus, la loi était issue de lacharia. Un fonctionnaire était spécialement affecté au maintien de l'ordre public : c'est lesahib al-suk, équivalent d'un officier de police actuel. Il s'assure que la population accomplit les devoirs religieux, du bon comportement de la population dans la rue, de l'application des règles discriminatoires envers les dhimmis. Toutefois sa fonction principale est de traquer les contrefaçons et les tromperies dans les marchés en vérifiant les poids et mesures, s'assurant de la qualité des produits vendus, etc. Les règles auxquelles il doit se conformer sont consignées dans des traités qui indiquent les mesures à prendre pour chaque cas qui se présente. Lorsque lesahib al-suk appréhende une personne, il la remet au cadi pour le jugement. Dans les villes de province, c'est au gouverneur que revient la tâche d'arrêter mais aussi d'exécuter les peines des malfaiteurs[C 28].
« Le conseil des juristes de Cordoue, consulté, approuve la démolition d’une synagogue récemment édifiée à Cordoue. Les tributaires, Juifs et Chrétiens, ne peuvent édifier d’églises ni de synagogues dans les villes musulmanes au milieu des Musulmans. […] » (p. 55)
« Un jeune Juif de huit ans qui s’est converti ne sera pas retiré à la garde de sa mère et de son père. Une fois adulte, il sera invité à confirmer sa foi et en cas de refus on l’y contraindra par les coups. » (p. 58)
« La nuit du premier janvier julien que les gens appellent la nativité (de Jésus) est célébrée comme l’une de leurs fêtes ; ils échangent des mets et des cadeaux ; hommes et femmes chôment depuis le matin pour honorer ce jour qu’ils appellent le 1er de l’an.Réponse. Tout cela est contraire à la loi religieuse. D’après Yahyâ b. Yahyâ, il n’est pas permis de recevoir à l’occasion de la nativité (de Jésus) des cadeaux d’un chrétien ou d’un musulman, ni d’accepter une invitation… » (p. 476)
« Quid des Juifs qui, à l’occasion d’une de leurs fêtes qu’ils appellent la Pâque, font des galettes qu’ils offrent à certains de leurs voisins musulmans ? ces derniers peuvent-ils les accepter et les consommer ?Réponse négative contenant plusieurs citations (Ibn Rusd, Ibn ‘Arafa, Ibn al-Hagg). Ibn ‘Arafa allègue l’opinion d’Abû l-Hasan al-Qâbisî interdisant d’accepter les cadeaux des chrétiens et des Juifs à l’occasion de leurs fêtes ; il déplore que des musulmans incultes acceptent les cadeaux des Juifs lors de la Pâque. » (p. 482)
« Un homme laisse un silo ouvert et un porc y tombe et meurt. Peut-on vendre le blé qu’il renferme à un chrétien ?Réponse. On ne peut le vendre ni à un chrétien ni à un musulman. Son propriétaire ne doit ni le semer ni en tirer profit et il lui faut empêcher que les chrétiens n’en profitent. » (p. 168).
« À un Musulman qui a acheté un vêtement chrétien on dit de ne pas faire la Prière en l’ayant sur lui. Il répond ne pas avoir eu connaissance de cet interdit.Réponse. S’il n’a pas eu connaissance du fait que ce vêtement était chrétien ou qu’un Chrétien l’avait touché, son ignorance n’entraîne pas qu’il doive le rendre au vendeur, tout comme il est tenu de garder un esclave présentant un vice qu’il déclare avoir ignoré avant l’achat. » (p. 168).
« Un Juif tributaire excipe à l’encontre d’un Musulman, de trois titres l’un vieux de quinze ans et les deux autres de onze. Il lui réclame un reliquat, dont il prétend être créancier, de chacun de ces trois engagements. Le Musulman soutient qu’il s’en est totalement acquitté. Doit-on admettre sa déclaration, lui faire prêter serment et le tenir quitte vu la longueur du laps de temps écoulé ou, au contraire, ne tenir compte que de son dire s’il produit une preuve testimoniale ?
Réponse. Les Juifs ont l’habitude de considérer comme licite de gruger les Musulmans. On ne laisse généralement pas son bien pendant longtemps entre les mains d’un autre, à plus forte raison quand il s’agit d’un Infidèle ayant affaire à un Musulman. Les juristes estiment que les règles du droit sont retournées contre tout prévaricateur et injuste notoire. Aussi, celui qui revendique un droit à l’encontre d’un homme de cette espèce n’a qu’à prêter serment pour obtenir satisfaction. Dans le cas présent on suit la règle inverse et c’est ainsi qu’on doit trancher les affaires dans lesquelles sont impliquées des Juifs. Le Musulman devra donc jurer qu’il s’est acquitté envers le Juif et dès qu’il aura prêté serment, le droit du Juif tombera. » (p. 186).
Chrétien et musulman jouant au jeu d'échecs. On note que le musulman est armé contrairement au chrétien, et que le musulman est en train de gagner[133]. Le jeu d'échec fut introduit à la cour andalouse par Zyriab, il est joué depuis plusieurs siècles en Perse
La proclamation d'Al-Andalus comme califat en 929 suppose que le pouvoir politique de l'émir s'étend à la sphère religieuse pour être commandant universel des croyants. Cette proclamation fait des Califats abbasside et fatimide les ennemis du califat de Cordoue. Les Fatimides étant à la fois chiites et plus proches géographiquement, sont un ennemi plus direct. De plus, ils disputent aux Omeyyades la domination du Maghreb, fomentent des rébellions contre leur autorité, et mettent en péril des routes commerciales vitales pour la stabilité de leur régime : or et esclaves y passent. Les Omeyyades tissent des liens diplomatiques complexes selon trois critères principaux : la domination des Omeyyades sur Al-Andalus et la péninsule Ibérique[Note 20], la domination de Cordoue sur le détroit de Gibraltar, et la domination de la Méditerranée occidentale - incluant au moins la côté ibérique, les Baléares et la côte occidentale italienne et le golfe du Lion[134].
Au pouvoir émergeant des Omeyyades sur les sphères politiques et religieuses autour de la Méditerranée, s'ajoute un second prétendant,Otton le Grand qui prétend ressusciter l'empire carolingien et s'oppose aux pouvoirs en place, notamment à Constantinople. Les Omeyyades privilégient les bonnes relations avec Constantinople qui lui permet de tenir à distance les Abbassides et les Fatimides, mais composent avec l'empereur germanique. Un des épisodes connus de ces négociations fut l'envoi par Otton Ier de Juan de Gorze comme ambassadeur pour négocier avec Abd al-Rahman[Note 21]. Le souverain Omeyyade semble être particulièrement bien informé de la situation politique du Saint Empire. La négociation se continua à Francfort[134].
L'Afrique du Nord durant les premiers siècles de l'Émirat est une vaste terre où se mènent des luttes entre tribus, les gouverneurs abbassides s'étant affranchis de l'autorité du lointain calife de Bagdad et certains religieux chiites qui souhaitaient s'établir sur ces contrées[C 29].
Durant le règne d'Abd Al-Rahman III, le Califat n'a que peu de contacts avec ces pays se limitant uniquement à acheter des céréales en cas de mauvaises récoltes. Le plus grand danger venait certainement du Califat chiitefatimide encore établi dans l'actuelle Tunisie et une partie de l'Algérie et qui lorgnait sur les terres du Maroc. Le calife suit avec attention les victoires et les défaites de cette dynastie rivale et s'allie avec les Berbères dans sa lutte. Il annexeMelilla en 927, puisCeuta en 931 et mêmeAlger en 951[C 30].
Constantinople est à l'époque d'Al-Andalus la plus grande ville d'Europe. L'Empire romain d'Orient, que les historiens modernes appellent « empire byzantin », a eu à lutter contre les armées des Omeyyades de Damas au cours duVIIIe siècle. L'Afrique du Nord, faisant partie dès le premier siècle avant J.C. de l'Empire romain, et administrée depuisJustinien par l'Empire romain d'Orient, avait été perdue et même la capitale Constantinople avait été menacée. Les raids arabes contre l'Empire romain d'Orient (649, 654, 667, 670, 674, 678, 695, 697 et 718) ont largement dépeuplé les côtes, la Sicile et lesîles grecques, que leurs habitants se soient enfuis vers l'intérieur ou qu'ils aient étéemmenés en esclavage. Jusqu'au règne d'Abd al-Rahman II, les relations entre l'Empire et Al-Andalus sont donc hostiles, d'autant que des Andalous chassés par l'émir Al-Hakam lors de laRévolte du Faubourg de 818 s'étaientemparés de la Crète en 827 et de là, razziaient toute l'Égée. En 839-840, l'empereur romain d'OrientThéophile, menacé par les avancées musulmanes en Afrique du Nord et en Sicile, envoie un ambassadeur à Cordoue[C 31] et propose à Abd al-Rahman II un traité d'amitié en échange du retrait des musulmans de Crète. Théophile est sans doute mal renseigné sur la situation et Abd al-Rahman II répond que les émirsmaîtres de la Crète ne dépendent plus de lui depuis qu'ils ont été chassés du pays ; par diplomatie il envoie à Constantinople divers cadeaux ainsi qu'un poète.
Cet épisode, bien que secondaire, ravit au plus haut pointAbd al-Rahman II car il marque l'entrée du pays dans l'arène des grands pays du monde méditerranéen. C'est la première fois qu'un empire aussi puissant que celui de Byzance se tourne vers l'Andalousie et lui demande son aide[C 31]. L'empereur byzantin envoie des cadeaux somptueux au calife ainsi qu'une lettre lui demandant d'arrêter les pillages[C 32].
Les faits de langues en Al-Andalus ont été régulièrement invoqués à l’appui d’une théorie globale fondée principalement par des Historiens, souvent arabisants, depuis plus d’un siècle. Pour un ensemble de chercheurs attachés logiquement aux preuves et attestations écrites, on comprend que la langue arabe ait constitué la source principale (ou quasi-exclusive) des informations[135]. Pourtant l’arabe n’est ici, comme au Maghreb, qu’une des langues en contact disponibles, bien que la plus valorisée sur le plansociolinguistique (institutions, écrit, littérature etc.). Les deux autres, roman et berbère, ont soit progressivement versé dans l’oralité et la marginalité depuis leVIIIe siècle (cas du roman), soit s’y sont principalement maintenues, notamment dans les campagnes (cas duberbère). On remarque que le contact arabo-berbère est souvent réduit à un déséquilibre manifesté par une prééminence de l’arabe et de l’arabité[136]. Par exemple, Évariste Lévi-Provençal, dans sonHistoire de l’Espagne musulmane, évoque très bien l’identité berbère et les articulations probables des groupes installés en Espagne[137]. Pourtant il cite essentiellement des noms de tribus (ethnonymes), le nom de la langue et ses avatars (al-lisan al-gharbi, ou *al-gharbia > esp.algarabía > fr.charabia), « qu’ils échangèrent sans difficulté contre celui de l’arabe, en même temps que celui du roman. On n’a probablement plus parlé berbère en Espagne à partir duIXe siècle […] »[138].
Un demi-siècle plus tard, André Clot écrit de son côté que les Berbères « s’arabisaient rapidement et oubliaient vite leur langue d’origine »[139].
Cette manière de considérer Al-Andalus, tendde facto à sous-estimer les rôles qu’ont pu jouer les langues dominées dans le système des langues et identités, masquant toute une série de faits concrets[140] qui échappent ainsi à notre vigilance et relèvent principalement de l’oralité (parlers régionaux, interlectes,toponymie). Ainsi, la toponymie arabe, si abondante à première vue en Espagne et au Portugal (et jusqu’à nos jours), représente-t-elle une superstructure ayant recouvert les réalités des dénominations locales, romanes ou berbères. En effet :
« […] le corpus d’origine arabe est de taille certes impressionnante et dans l’ensemble « saute aux yeux » de la région de Valence à l’Andalousie actuelle. Néanmoins, très tôt, des linguistes ont montré les limites de ce qui se présentait bien souvent comme une forme d’obsession de l’arabe. Vers le milieu duXXe siècle, Manuel Sanchis-Guarner[141]reconnaissait dans un compte-rendu l’intérêt[142]et le sérieux des travaux de Miguel Asín Palacios (Contribución a la toponimia árabe de España)[143]. Mais il montrait aussi ce que le « tout arabe » pouvait entraîner. Des toponymes de types divers, que l’automatisme poussait à identifier comme arabes cachaient en réalité des étymologies parfaitement romanes, comme *ALBARETA « peupleraie » > Albareda ou Meliana (< anthroponyme AEMILIUS + suff. –ANA, désignateur de villa romaine) »[144] »
Enfin, les communautés les plus anciennes, wisigothiques ou romanes, sont de mieux en mieux évaluées, par le biais de l’archéologie notamment, ce qui devrait permettre à terme une meilleure compréhension des modifications dans les relations identitaires entre communautés endogènes et exogènes[154],[155],[30],[156].
Prenant en considération ces différentes voies, le sociolinguiste Francis Manzano propose en 2017 une synthèse et de nouvelles pistes dans l’exploitation des contacts de langues et d’identités en Al-Andalus. Pour ce chercheur, les langues y seraient à première vue structurées autour de trois pôles, dans la continuité du Maghreb voisin : le pôle roman, le pôle arabe et le pôle berbère[157]. Cette structuration du « système tripolaire » du Maghreb, établie et utilisée par le chercheur depuis la décennie 1990[158], tend à freiner la disparition de l’un des trois pôles considérés, contrairement à un système bipolaire plus commun dans le reste de l'Europe (le sud de la France et la péninsule ibérique notamment), où les langues majoritaires progressent mieux et vite[159]. Cependant, la répartition des fonctions et l'importance de ces pôles s’avèrent différents quand on passe du Maghreb à Al-Andalus. Le point faible le plus net est en effet la fragilité du pôle berbère hispanique, privé de son adossement au socle fondamentalamazigh d’Afrique du Nord. Ainsi, éloignés de leur terrain originel, les dialectes et identités berbères semblent avoir été plus radicalement dominés par le pôle arabe, et en bien plus grande difficulté qu’au Maghreb.
Le pôleRoman est organisé autour de parlers issus du latin, mais il ne s’agit pas d'une langue unique, avec unediglossie avérée entre ces différents parlers et le latin écrit[160]. Comme au Maghreb la conquête arabe fige l'évolution naturelle de ces parlers romans, qui seraient sans doute allés vers des langues néo-romanes structurées (autres que celles que nous connaissons), autant de possibilités déviées ou étouffées dans l’œuf. Dans le même temps, l'élite capable de parler et de lire lelatin s'en détourne au profit de l'arabe, plus avantageux socialement, et leur apparaissant désormais comme plus complet et adapté aux changements en cours. La fonction du latin comme langue de culte se perd tôt, et comme permettent de le comprendreEuloge de Cordoue ou Alvarus au milieu duIXe siècle[161] :
« les « Mozarabes » allaient souvent directement à l’arabe qu’ils connaissaient mieux que le latin, un cran de plus et ces dhimmi, nasâra ou ‘agâm devenaient musulmans ou « muwallad(s)», ou « muladi(s) » »
Pour l’auteur, le lien du pôle roman au culte chrétien constitue une force initiale, avant de devenir une faiblesse : en s'arabisant et conservant leur culte, les Chrétiens espèrent obtenir les bénéfices sociaux associés à l'arabe, langue écrite et langue de la réussite à leurs yeux[162]. Mais cette démarche, un temps freinée par le pouvoir en place[163], induit un alignement tant sur le plan langagier que cultuel, en sapant les fondements du christianisme et en induisant des conversions dont se méfient souvent les autorités[162]. Dès lors, le pôle roman s’est plutôt maintenu dans l'intimité des familles et dans les campagnes, où se multiplient les contacts, entre autres avec le berbère. S'agissant de deux pôles minoritaires, ces langues sont invisibles ou minorées depuis les superstructures centrales d'Al-Andalus. Ce fait favorise indirectement le rapprochement entre pôle berbère et pôle roman sur les terrains paysans. Toutefois, pour cet ensemble de raisons, les données concrètes sont indigentes et les questions "mozarabes" et "berbères" ne sont évoquées que de manière aléatoire ou par recoupements[164]. On conclut généralement que les communautés « mozarabes » disparaissent définitivement après le double passage des Almoravides et, surtout, des Almohades[165],[166].
Le pôle arabe se développe au détriment systématique des pôles roman et berbère. C'est la langue du pouvoir et de la nouvelle religion, la plus renseignée, et la langue de l'écrit (science,littérature,arts)[2],[3]. La conquête arabe a lieu alors que le pôle latin est déjà divisé entre une langue haute en perte de vitesse et différents parlers romans variés du royaume wisigoth. C'est pourquoi l'arabe supplante assez rapidement le latin qu'il remplace à parité comme langue haute du système sociolinguistique[167]. Il devient donc un vecteur de promotion sociale, une cible cruciale pour l'élite urbaine et les nobles wisigoths[168], mais il n'est pas d'un intérêt primordial pour les serfs, les esclaves et paysans des groupes romans et berbères, qui ne partagent pas les mêmes intérêts de pouvoir et à qui suffisent leurs langues natales ou les koinés et interlectes du terrain[164].
Dans le même temps, malgré son statut de langue haute, structurée et normée, l’arabe est bientôt soumis aux mêmes forces centrifuges que le latin avant lui. Des divisionsdialectales se produisent inévitablement, l'arabe régional se montrant poreux aux apports romans et berbères, particulièrement dans les traités botaniques et pharmacologiques, en prise sur les organisations rurales[169][170]. En sens inverse, les emprunts à l'arabe sont massifs en espagnol, catalan et portugais, à mesure que ces langues étendent leurs domaines géographiques vers le sud. Ils révèlent la plupart du temps le caractère de medium culturel de l'arabe[171]. Ces mouvements sont également visibles dans la toponymie, notamment à Valence et en Andalousie, sans pour autant être systématiques[172].
Le pôle Berbère est incontestablement le plus discret. Les Berbères sont doublement utilisés au sein d' Al-Andalus. Par leurs capacités à se battre (et travailler) sur des terrains semi-désertiques, des paysages assez proches de leurs régions d’origine, ils fournissent le gros des troupes armées combattant à la place des Arabes urbains, pour qui ils représentent en même temps une menace politique structurelle permanente[173]. Une fois « démobilisés », les Berbères sont utilisés pour exploiter et peupler les terres les moins rentables économiquement, ainsi que celles qui se trouvent au contact des principautés chrétiennes libres[173]. C’est pourquoi, ils sont essentiellement localisés dans les campagnes. Ce sont là des zones de cultures en zones arides plutôt pauvres, délaissées par les Arabes, au sud comme au nord, mais parfois des régions plutôt riches soumises à la pression chrétienne, comme la vallée de l'Èbre, Valence et les Baléares, où se développe la conquête aragonaise/catalane[174]. Il s'agit semble-t-il de petits groupes disséminés[175], le plus souvent sans liens les uns avec les autres et installés dès les débuts d'Al-Andalus ou par la suite, à différentes étapesdiachroniques. La variation dialectale, qui joue déjà négativement au Maghreb, amplifie les effets de cet isolement dans des secteurs où les Berbères sontde facto minoritaires par rapport aux autochtones, sous la pression probable d'un pouvoir répartissant sur différents territoires ibériques les populations d'une même origine maghrébine[176][177]. Si ces éléments favorisent par eux-mêmes unearabisation rapide, pôles berbère et roman se trouvent souvent, par la force des choses, assignés aux mêmes territoires. Ils y partagent le même impératif de discrétion vis-à-vis du pouvoir central et, pour cette raison, échappent en grande partie au contrôle des mœurs[174]. Ces deux systèmes langagiers et identitaires avaient donc toutes les chances de se rencontrer, de développer des passerelles langagières et identitaires, ainsi que les groupes juifs dont le rôle dans les systèmes ruraux semble sous-estimé. Selon Francis Manzano, ces régions semblent relativement oubliées du contrôle d'Al-Andalus, comme des marges non essentielles où pouvaient se perpétuer des fonctionnements sociétaux berbères[178], ce qui explique aussi que la récupération progressive de ces territoires par les Catalans se déroule dans un climat bien moins tendu que dans l'espace parallèle castillan, du moins avant l'absorption de l'Aragon/Catalogne dans la couronne castillane[179]. La zone orientale de la reconquête catalano-aragonaise est aussi celle qui semble avoir livré le maximum de toponymie « de type berbère » pour l’instant[180]. Toutefois, des recherches plus précises sur les systèmes macro- et microtoponymiques du Levant valencien et alicantin pourraient nous ouvrir de nouvelles voies d’interprétation[181].
Federico Corriente relève divers secteurs dans lesquels les andalousis utilisaient, à l'écrit, des mots d'origine berbère, dont certains sont passés au castillan et au catalan[182]. Par importance décroissante, les termes dont l'origine est certaine sont ceux liés aux noms des plantes, aux noms d'animaux, aux noms de vêtements et de bijoux[183], des termes militaires & des noms d'armes[182]. D'autres domaines offrent un lexique plus restreint lié au politique, à la cuisine et à ses instruments, à la vie sociale et au mariage, à la géographie. Viennent enfin quelques termes epars, ordres et interjections[182]. Un grand nombre de mots ont une origine incertaine qui pourrait aussi bien être attribuée au berbère comme à l'arabe[182].
Enfin, l'auteur relève qu'en Al-Andalus, le terme « berbère », en berbère, était une insulte adressée à ceux qui l'étaient[182].
La présence musulmane en Espagne a été régulièrement invoquée pour soutenir différentes idéologies, différentes politiques, par des agents très différents tout au long de l'histoire forgeant ainsi un ensemble de mythes qui sont analysés comme tels auXXIe siècle dont une partie est regroupée sous le terme de « convivencia » popularisé parAmérico Castro. En Espagne cette présence a été continuellement invoquée, dès la Reconquista jusqu'à la période contemporaine. Dans la sphère arabo-musulmane le mythe du paradis perdu se développe à partir du Moyen Âge, sur des bases poétiques et littéraires d'interprétation délicate[184] où grandeur politique, aisance économique, apogée culturelle et tolérance confessionnelle sont idéalisés alors que les difficultés ne sont pas évoquées[20]. Il se poursuit jusqu'auXXIe siècle[20].
Une part significative de la production universitaire contemporaine analyse laConvivencia comme un ensemble de mythes, en analyse les racines et les différentes formes. C'est par exemple le cas de Bruno Sorovia qui, en introduction de son article « Al-Andalus au miroir du multiculturalisme »[185], se plaint de la difficulté à considérer simplement Al-Andalus « comme une partie de l'histoire du monde islamique classique » et qu'il soit commun « de l’interpréter de manière singulièrement acritique, avec les yeux du présent »[185].
Pour Maribel Fierro,« Le mythe d'un paradis de tolérance, d'harmonie et d'absence de conflit n'existe pas tellement dans la production historique sur Al-Andalus dans son ensemble », mais plutôt dans des livres de vulgarisation à vocation politique[186].Joseph Pérez synthétise le consensus contemporain sur ce concept« le mythe de l’“Espagne des trois cultures”, amplement utilisé comme élément de propagande, est si loin de la réalité historique, qu’il ne peut que générer de nouveaux éléments de confusion »[187].
Christine Mazzoli-Guintard souligne que« le mythe de la tolérance andalouse naît dès le lendemain de la conquête ». Il se base sur le partage de la basilique Saint-Vincent entre chrétiens et musulmans jusqu'à la création en 785 de la mosquée de Cordoue sur les lieux de cette basilique. Or,« Le partage relève de la légende, l'archéologie ayant révélé l’exiguïté d'un édifice qui n'aurait pu abriter les deux communautés »[188].
L'auteur situe l'origine du mythe dans l'interprétation erronée de poèmes composés durant la Reconquista, comme ceux d'Ibn Ḫafāǧa (1058-1137), contemporain de la prise de Tolède par la Castille et de l'annexion almoravide. Ces poèmes ont été considérés par la suite comme pastoraux, alors que, empruntant à des courants poétiques plus anciens, ils devraient être compris comme« une poésie de combat ou de refus, peut-être de fuite de la réalité, l’expression d’une société menacée qui, pressentant sa prochaine disparition, prépare déjà son éloge funèbre »[190]. Maria Jesús Rubiera Mata de l'Université d'Alicante, donne également à ce mythe des origines arabes au travers de l'œuvre d'Al-Maqqari de Tlemcen (1577-1632), un descendant des musulmans de Grenade. Les arabistes espagnols ont ensuite contribué à la reconstruction de l'histoire d'Al-Andalus en incorporant l'histoire (arabe) d'Al-Andalus à l'histoire espagnole[191].
Le mythe se transforme en Europe auXIXe siècle en reprenant les traits du mythe rousseauiste du bon sauvage comme dumouvement orientaliste compris comme« l'admiration pour un Autre lointain et historiquement mystifié[193] », notamment vis-à-vis de l'Alhambra. L’opposition entre les deux écoles espagnoles depuis 1860 renforce le mythe. La première, proche de la droite catholique, qui exalte la résistance des mozarabes au pouvoir musulman, et l'autre, proche des libéraux, qui idéalise le pouvoir islamique médiéval pour mieux noircir les mozarabes :« Comme en Afrique et en Sicile, l’anticléricalisme a construit une image très favorable de l’islam, laïque, tolérant, progressiste, lui opposant le fanatisme de ces mozarabes rétrogrades[194]. ».
Dans l'histoire juive, ce récit produisit une césure radicale entre Ashkénazes et Sépharades et« comme l’a dit en d’autres mots Bernard Lewis, le « mythe de la tolérance musulmane » a été utilisé par plusieurs savants de la fin duXIXe siècle comme « un bâton avec lequel [ils pouvaient] battre leurs voisins chrétiens ». »[195]. Il est ensuite récupéré dans des interprétations opposées et mythifiées de part et d'autre par les partisans et les opposants à Israël : la tolérance islamique s'oppose à des siècles de persécutions[196].
La Convivencia est récupérée dans l'Espagne franquiste autour d'interrogations sur l'« essence de l'Espagne »[197] avec le débat rageur qui opposeAmérico Castro àClaudio Sánchez-Albornoz sur la définition de l’identité espagnole. À la mort de Franco, ce terrain est abandonné en Espagne mais récupéré aux États-Unis. Le concept deconvivencia est repris dans les années 1970 par des chercheurs américains en l’associant à d’autres notions parfois anachroniques telles qu'acculturation, assimilation, intégration, colonisation, tolérance[198], puis développent une lecture inversée, mais non moins erronée, du mythe nationaliste franquiste : les nationalistes chrétiens mesquins du nord s'opposent à la globalisation bienfaisante du sud[199].
Ces études américaines contrastent nettement avec leurs homologues européennes, où l'essentiel des auteurs espagnols qui ont pris la parole l'ont fait pour mettre en garde contre une idéalisation d'Al-Andalus[202].. Eduardo Manzano Moreno met en avant les perspectives très différentes entre les auteurs américains et européens sur ce concept[202], perspectives qui sont notamment étudiées et comparées par Ryan Szpiech[203].
Eduardo Manzano indique que le succès du concept de « convivencia » est surtout dû au peu d'intérêt à théoriser sérieusement et rigoureusement les processus d'acculturation qui se produisirent dans la péninsule Ibérique médiévale, terrain qui a cependant intéressé plusieurs arabisants espagnols ainsi que Thomas Glick aux États-Unis[204].
La plupart des chercheurs appellent à une « démystification » d'Al-Andalus, notamment à l'abandon du concept deconvivencia, devant la difficulté à donner un contenu à cette notion aux contours flous[205]. Comme le résument Manuela Marín etJoseph Pérez,« le mythe de l’« Espagne des trois cultures », amplement utilisé comme élément de propagande, est si loin de la réalité historique, qu’il ne peut que générer de nouveaux éléments de confusion »[206]. Pour Christine Mazzoli-Guintard, il n'y eut niconviviencia, ni cohabitation armée, mais des réalités très différentes selon les groupes sociaux considérés, sous la pression constante d'un pouvoir cherchant la coexistence dans l'évitement[207]. Juan Vicente García Marsilla s'oppose à une histoire « à la carte » qui consiste à mettre en valeur des éléments utiles pour une idéologie et à ignorer ceux qui la desservent[208], attitude commune et d'autant plus condamnables que les sources sont abondantes[209].
Pour Maribel Fierro, le concept deConvivencia masque les inégalités structurelles des communautés du Moyen Âge[210]. En se concentrant sur leur dimension religieuse, il ignore les autres paramètres majeurs qui participaient à l'identité des individus et des groupes, et à leur place dans la société : langue, culture, ethnicité, genre, statut social, âge[210]. Il n'aide donc pas le lecteur contemporain à une meilleure compréhension des Espagnes médiévales. Maribel Fierro met en avant le concept de « conveniencia » avancé par Brian Catlos, beaucoup plus à même de rendre intelligibles ces sociétés[211]. La complexité culturelle du Moyen Âge ibérique est toujours en attente d'un traitement digne[212],[Note 23]
D'après une étude de Adamset al. en 2008[213] ayant étudié le chromosome Y (lignée paternelle) des habitants de lapéninsule Ibérique, ces derniers auraient en moyenne environ 11 % d'ancêtres nord-africains avec des variations géographiques importantes allant de 2 % enCatalogne à près de 22 % enCastille du Nord. Selon une autre étude de Capelliet al. en 2009, 7-8 % des lignées paternelles desEspagnols,Portugais etSiciliens sont d'Afrique du Nord et ont été introduites par les Maures au Moyen Âge[214].
En 2013, selon une étude autosomale, c'est-à-dire qui prend en compte tous les chromosomes et pas seulement la lignée paternelle ou maternelle, réalisée par un groupe de chercheurs hispano-américain, portant sur près de 3 000 individus originaires d'Europe, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et publiée par la revue scientifique américaine PNAS, entre 5 et 15 % du génome des habitants de la péninsule Ibérique, selon les régions (sauf les Basques), est issu d'Afrique du Nord (20 % aux îles Canaries)[215],[216],[217].
En 2014, une étude autosomale similaire réalisée par Lazaridiset al., a calculé que, en moyenne, 12,6 % du génome des Espagnols de la péninsule Ibérique est issu d'Afrique du Nord[218].
En 2016, une analyse génétique de squelettes provenant de trois tombes musulmanes découvertes lors de fouilles préventives à Nîmes en 2006-2007, réalisée par une équipe de l'INRAP et sous la direction d'Yves Gleize, a montré qu'il s'agissait de personnes originaires d'Afrique du Nord, appartenant à l'haplogroupe paternelE-M81 très fréquent au Maghreb. Ces personnes étaient âgées respectivement de 20 à 29 ans pour l'un, d'une trentaine d'années pour le deuxième, et de plus de 50 ans pour le troisième. Selon l'Inrap « L’ensemble de ces données suggère que les squelettes découverts dans les tombes de Nîmes appartenaient à des soldats berbères enrôlés dans l’armée omeyyade durant l’expansion arabe en Afrique du Nord ». Pour Yves Gleize, un des auteurs de l'étude, « l'analyse archéologique, anthropologique et génétique de ces sépultures du début de l'époque médiévale à Nîmes fournit des preuves matérielles d'une occupation musulmane auVIIIe siècle dans le sud de la France »[219],[220], à relier à leur présence attestée à Narbonne pendant 40 ans ainsi qu'à Nîmes ponctuellement conquise auVIIIe siècle.
↑À l'heure actuelle, la présence musulmane est attestée archéologiquement et historiquement sur certains territoires de l'actuelle France :
laSeptimanie, dont la capitale est Harbûna, actuelleNarbonne, sous domination musulmane de 719 à 759 ;
certaines régions côtières de laProvence et plus particulièrement duMassif des Maures sous domination musulmane jusqu'à la fin duXe siècle.
↑La Narbonnaise (ou Septimanie) fut considérée comme incluse dans les limites d'Al-Andalus[9].
↑En 1236,Lucas de Tuy rédige sonchronicon mundi où, entre autresgriefs contre les juifs, il les accuse d'avoir ouvert aux Maures les portes de Tolède. En fait, les connaissances contemporaines sur lesjuifs du royaume wisigoth sont minimes et réduites à quelques inscriptions funéraires en hébreu. En tout état de cause, leur population était trop faible pour avoir eu une incidence sur la conquête[25].
↑Le sentiment d'appartenance à une nation al-Andalus est examiné notamment par l'historien espagnolisteBartolomé Bennassar.
↑Cette perception était facilitée entre autres par la situation théologique complexe en Afrique du Nord, où la succession des Romains, des Vandales, des Byzantins multiplia les querelles théologiques : schisme donatique, arianisme, orthodoxie, nature du Christ, jusqu'à la condamnation du monothéisme comme hérésie. VoirGabriel Camps, « Comment la Berbérie est devenue Arabe »,Cahiers de la Méditerranée,no 35,,p. 9-10.
↑D'aprèsLe martyre de saintPélage à Cordoue, poème en latin d'après un récit oral, probablement obtenu à la suite des échanges d'ambassadeurs entre le Califat etOtton Ier entre 950 et 953[41].
↑y compris après la conquête de Cordoue par la Castille
↑Deux pièces archéologiques sont attribuées de façon certaine à la rivale demadinat al-Zahra, la cité disparue demadinat al-Zahira. Ces deux pièces ont été retrouvées à Séville et Marrakech, toutes deux capitales almoravide et almohade, laissant penser que la cité d'Almanzor a probablement subit le même sort.
↑Au lendemain de la conquête de Tolède en 1085, le remplacement sans ménagement de la liturgie mozarabe par laliturgie romaine de l'abbaye de Cluny provoque la quasi-disparition du chant mozarabe auXIe siècle
↑Cette attitude est très présente dans tout le monde médiéval. Côté chrétien, on se référera par exemple à la prolifique œuvre deRamon Llull.
↑Il y a quelques exceptions, dont spécialement le Coran traduit à des fins polémiques. Les apologistes commeRamon Llull qui échangent sur l'Islam connaissent la langue arabe.
↑D'autres religions, tels que lesChiites etZoroastres sont condamnées en al Andalus
↑Il existe des exceptions, des femmes sont citées positivement pour avoir fondé des mosquées. Eduardo Manzano, 2019
↑Cyrille Aillet met en regard cette perte de documents avec ceux relatifs aux chrétiens d'orient dont la présence continue est attestée à la même époque.
↑La richesse en fer du sous-sol espagnol représente toujours un élément clef de la production sidérurgique avec 3.5 millions de tonnes d'acier produite (1964) et des réserves estimées à 850 millions de tonnes. Son principal défaut est la dispersion géographique des mines. Si la moitié des mines se situent au nord de la péninsule, Badajoz, Tolède, Cartagène, la Bétique, Alméria concentrent de nombreux gisements très anciens et toujours actifs. Grenade concentre à elle seule 11% de la production de fer espagnole contemporaine.Max Dumas, « l'Industrie sidérurgique espagnole, son évolution, ses problèmes »,Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen,nos 37-3,,p. 295-315
↑Y compris les royaumes chrétiens vassaux de Léon et de Navarre
↑En 953, Juan de Gorze, représentant d'Otton I, est dépêché à Saragosse puis Cordoue durant 3 ans durant lesquels il négocie avec le diplomate du CalifeHasdaï ibn Shaprut l'arrêt de la piraterie Omeyyade depuis leFraxinet. Le Calife envoie son émissaire, l'évêqueRecemund à Francfort pour accepter en échange d'un effort des germains pour interdire aux Magyars l'accès à son territoire. En 973, leFraxinet est annexé à la Provence parGuillaume Ier de Provence.
↑Barack Obama se réfère explicitement à laconvivencia pacifica en Al Andalus, notamment dans son discours du Caire.
↑Maribel Fierro note que le terme est utilisé hors d'Espagne pour étudier les minorités religieuses médiévales dans le cadre euro-méditerranéen (projetRelmin), et qu'en l'absence d'un nouveau concept, malgré ses nombreux défauts, le terme de « convivencia » permet à tout le moins de rappeler que l'histoire tend à s'émanciper d'une lecture nationaliste étroite.
Reinhart Pieter AnneDozy,Histoire des Musulmans d’Espagne : jusqu’à la conquête de l’Andalousie par les Almoravides (711-1110), E.J. Brill,(lire en ligne).
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« Pour les auteurs arabes médiévaux, Al-Andalus a désigné toutes les zones conquises - même temporairement - par les troupes arabo-musulmanes dans les territoires appartenant maintenant à l’Espagne, au Portugal et à la France. »
↑a etbSonia GutiérrezLloret,« Histoire et archéologie de la transition en al-Andalus : les indices matériels de l’islamisation à Tudmīr », dansIslamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval (viie-xiie siècle), Éditions de la Sorbonne,, 195-246 p.(ISBN978-2-85944-677-2,DOI10.4000/books.psorbonne.2514,lire en ligne).
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↑L’autre source est celle du latin, mais dans les zones convoitées par les chrétiens libres. Philippe Sénac le montre bien (2002) dansPhilippe Sénac, « Les Carolingiens et le califat abasside »,Studia Islamica,no 95,(lire en ligne)
↑ Linguiste dialectologue et sociolinguiste majeur de l’espace catalan, plus particulièrement des régions valencienne et alicantine. De cet auteur, voir en particulier sonApproximació a la història de la llengua catalana, 1980. Y sont notamment développées des considérations argumentées sur « L’element aràbic » (77-90), ou « Els Mossàrabs de Valencia i Mallorca » (91-101). D’autres ouvrages d’ensemble, dans une tradition ancienne des diachroniciens catalanistes, ont méticuleusement considéré les relations entre développements de la langue catalane et apports d’Al-Andalus, ainsi Nadal & Prats (1993).
↑عبد القادر المختار Abdelkader El-Mokhtar بوطالبBoutaleb,Contribución a la toponimia árabe de España (Miguel Asin Palacios, Madrid,1944)(lire en ligne)
↑Manzano, 2017, p.24. : 7.4. De la domination socio-culturelle de l’arabe au « tout arabe ».
↑MohandTilmatine,« La langue berbère en Andalus : Présence et marginalisation à travers l’exemple d’un traité de botanique arabe du xiie siècle », dansTrames de langues : Usages et métissages linguistiques dans l’histoire du Maghreb, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain,coll. « Connaissance du Maghreb »,(ISBN978-2-8218-7413-8,lire en ligne),p. 151–167
↑YannDejugnat, « Mehdi Ghouirgate, L’Ordre almohade (1120-1269). Une nouvelle lecture anthropologique »,Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série,nos 46-2,(ISSN0076-230X,lire en ligne, consulté le)
↑Après bien d'autres romanistes, Jacques Allières (2001) rappelle les listes impressionnantes des emprunts à l'arabe pour trois langues d'Espagne : le portugais (201-202), le castillan (209-212), le catalan (219-221).
↑Ce point et beaucoup d'autres sont passés en revue par Évariste Lévi-Provençal (Histoire de l'Espagne musulmane, tome 1 : "Les Berbères en Espagne"), pages 84-89.
↑Du point de vue du pouvoir central, il était en effet essentiel de prévenir toute constitution d'ensembles berbères massifs et homogènes sur le plan identitaire et sociolinguistique.
↑Manuela Marín et Joseph Pérez, « L’Espagne des trois religions”, du mythe aux réalités »,Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée,nos 63-64,,p. 23
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MaribelFierro,« Al-Andalus : savoirs et échanges culturels », dansEncyclopédie de la Méditerranée, Tunis/Aix-en-Provence/Casablanca, Alif/Édisud/Toubkal,, 119 p.(ISBN978-2-7449-0026-6) (Édisud)(ISBN978-9973-22-164-3) (Alif)
ManuelaMarín,« Al-Andalus et les Andalousiens », dansEncyclopédie de la Méditerranée, Tunis/Aix-en-Provence/Casablanca, Alif/Édisud/Toubkal,, 119 p.(ISBN978-2-7449-0026-6) (Édisud)(ISBN978-9973-22-164-3) (Alif)
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Ouvrage constitué du texte d'une thèse de lettres, soutenue en 1971 devant l'université Paris III. — Réédition : 1990, 528p. + 4p. de cartes + xiip. de planches illustrées, notice BNF n°FRBNF36641927t.
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