Adi Shankara (sanskrit :Ādi Śaṅkara,devanagari : आदि शङ्कर ; parfois appeléĀdi Śaṅkarācārya ; deŚaṅkara ouŚaṃkara[2],« celui qui apporte la félicité », une des épithètes deShiva), est, auVIIIe siècle[n 1], un des plus célèbres maîtres spirituels de l'hindouisme, philosophe de l'école orthodoxeAdvaita Vedānta, et commentateur desUpanishadvédiques, duBrahma Sūtra et de laBhagavad-Gita[3]. Il eut pour maîtreGovindanātha et mena une vie de renonçant itinérant (saṃnyāsin) allant d'un monastère ou d'un temple à un autre, d'une communauté à une autre. Ce fut un « réformateur religieux » qui chercha à créer une entente entre les divers courants et écoles religieuses de son époque[3].
Étant considéré comme un saint, incarnation (Avatar) deShiva, les récits de sa vie sont souventhagiographiques, avec des faits légendaires. Śaṅkara est unTamoul. Ses écrits sont ensanskrit[4].
La vie de celui qu'a posteriori on a nomméŚaṃkara est totalement inconnue (y compris son nom personnel). Les éléments biographiques que l'on répète à l'envi proviennent des différentes biographies légendaires rédigées plus d'un demi-siècle après la disparition de l'auteur duBrahmasūtra-Bhâshya, en particulier leŚaṃkaradigvijaya (XIVe siècle).
On raconte queŚiva apparut à ses parents, leur laissant le choix entre une progéniture nombreuse mais peu brillante, et un seul enfant dont la vie serait courte mais admirable. Le couple ayant opté pour la seconde proposition, Ādi Śaṅkara vint au monde[5].Il naquit dans le petit village de Kaladî, dans leKerala, au sud de l'Inde. Ses parents appartenaient à la caste des brahmanesnambûdiri[6]. Malgré la mort précoce de son père, Śaṅkara reçoit l'initiationbrahmanique à 5 ans et commence dès lors l'étude des textes sacrés. On rapporte de nombreux miracles effectués dès cette époque et une mémoire hors du commun (il aurait mémorisé en trois ans l'ensemble des quatreVeda)[7]. Naturellement poussé vers l'ascétisme, Śaṅkara renonce à toute vie familiale lorsqu'uncrocodile manque de lui arracher la jambe, ce qu'il interprète comme un signe de la brièveté de sa vie qu'il décide alors de consacrer à la recherche de la vérité[8]. Il devient alorsrenonçant à l'âge de 8 ans[7].
Śaṅkara se mit ensuite à la recherche d'unguru apte à le guider dans sa recherche spirituelle. Il partit pour le centre de l'Inde au bord de la rivièreNarmada, où il rencontra un disciple du grandGauḍapāda, auteur de laMāṇḍūkyakārikā[2], commentaire fameux de laMāṇḍūkya Upaniṣad. Ce disciple, nomméGovinda, l'initia à l'ordre le plus ascétique qui puisse se trouver alors en Inde. Dès lors, Śaṅkara voyagea à travers le pays, composant des commentaires des textes sacrés de l'hindouisme.
Lors de ses rencontres avec de nombreuses autorités de différentes écoles, Śaṅkara se révèle être un brillant orateur et prédicateur[7] capable de contrer les spéculateurshétérodoxes et tout contradicteur en général, y compris d'écolesāstika (orthodoxes).
Il a notamment eu un débat philosophique avecKūmarila Bhaṭṭa[9] de l'école traditionnelleMīmāṃsā, dont il sortit vainqueur[3].
Śaṅkara, qui était suivi par de nombreux disciples, se rendit auCachemire, où se trouvait un trône dédié àSarasvatī, et sur lequel seul celui qui remportera tous les débats entre les brahmanes présents pourra s'asseoir, chose qui n'était jamais arrivée. Il n'eut pas de mal à contrer ses adversaires et put prendre place en ce lieu sacré sous les auspices de la déesse[5].
Ādi Śaṅkara purifia considérablement le rituel tantrique[10]. Il exhorta les desservants destemples à remplacer les offrandes de boissons alcoolisées (madya), de viande (māṃsa) et de poisson (matsya) par des offrandes deriz, defleurs et delaitages[10]. Dans certaines régions de lapéninsule, lesang tant humain qu'animal coulait à flots[10]. Shankara fut très ferme : le vrai sens du sacrifice est intérieur ; il faut l'âme à l'Âme, et non barbouiller de sang lesidoles[10].
Adi Shankara a établi six critères pour transmettre la connaissance sacrée : Être un étudiant en voie de réalisation spirituelle (brahmacari), être généreux (dhanadayi), être érudit (medhavi), respecter les prescriptions védiques (notamment le principe de l'ahimsa, la non-violence), être digne d'affection (priya), et être capable d'enseigner par le biais de la connaissance acquise (vidyaya va vidyam)[11].
Selon Adi Shankara, le disciple doit être aussi doté de quatre qualités pour être considéré apte à la recherche duBrahman[12] :
La capacité de distinguer (entre l'éternel et l'éphémère)
L'absence de passion (absence de peur, de colère, de jalousie, etc.)
Être équanime (voir du même œil tous les êtres)
Le désir de libération du cycle des réincarnations.
Il proposa de réorganiser lepanthéon de l'hindouisme comprenant de nombreuses divinités, en le réduisant à cinq principales :Vishnu,Shiva,Durga,Surya,Ganesha. L'adoration de ces cinq dieux se fait encore de nos jours par les brahmanes de la traditionSmarta[7].
Pour propager ses enseignements, il écrivit de nombreux ouvrages, dont des commentaires, et fonda dix ordres monastiques ainsi que quatre monastères (cf.#Postérité). Il accomplit cette réforme des ordres monastiques sur le modèle des ordres bouddhistes[6].Il serait mort à 32 ans, près dumont Kailash dans l'Himalaya[7].
La doctrine enseignée par Śaṅkara est connue sous l'expression de « non-dualité », c'est-à-dire la considération de la divinité dans sa totalité, au-delà de toutedualité, y compris entre Être et Non-Être. Il s'agit par la connaissance (jñāna) de sortir de l'illusion (māyā) queBrahman est séparé de l'Ātman. La libération (moksha) se fait par le dépassement de cette illusion fondamentale qui se traduit au niveau individuel par l'ignorance (avidyā).
Cette doctrine, enseignée de tout temps par leVedānta, se retrouve dans les commentaires de Śaṅkara, ainsi que dans son « Traité aux mille enseignements »Upadeshasahasri(en) :« Je suisbrahman, je suis tout. Je suis pur, éveillé, né de nulle part (...). Je suis l'éternel principe de conscience, dépourvu d'attributs, sans second. (...) Je ne suis ni existant ni non-existant, ni les deux à la fois. Je ne suis queShiva. Ma vision éternelle ne connaît ni jour ni nuit, ni crépuscule. (...) Celui qui est parvenu à cette connaissance (...) est un parfait, un yogi, un (vrai)brahmane[13]. »
Si Śaṅkara a vigoureusement combattu le bouddhisme, sa conception de lamāyā s'est beaucoup inspirée dubouddhisme mahāyāna qui ne fait plus de la réalité du monde qu'un fantasme[6].
« Obtenant l'affranchissement de l'esclavage, qui n'est dû qu'à l'ignorance, demeure en tant qu'Être-Conscience-Béatitude (Sat-Chit-Ânanda : Sachchidânanda). Les Écritures [Véda], la raison, les paroles du Guru et l'expérience intérieure sont les moyens qu'il te faut employer à cette fin. L'essence des écritures védantiques peut être ramenée aux points suivants. 1) Premièrement, en moi, Brahman immuable, tout ce qui semble différent est absolument sans réalité. Seul je suis. Cela s'appelle le point de vue de l'élimination (badha drishti). 2) Deuxièmement, le rêve et tout ce qui apparaît en moi comme le résultat de la magie est une illusion. Seul je suis la Vérité. Cela s'appelle le point de vue de l'illusion (mitya drishti). 3) Troisièmement, (...) tout ce qui semble séparé de moi est moi-même. Cela s'appelle le point de vue de la résolution de l'effet dans la cause (pravilapa drishti)... Le monde entier et toutes les créatures sont réellement Brahman, et la demeurance en ce Brahman indivisible est en soi-même la Délivrance (moksha). Cela est l'essence et la conclusion de tous les Védas. »
— Le plus beau fleuron de la discrimination (Viveka-Cūḍāmaṇi)
Mention est faite de plusieurs« enveloppes », (kośa) ou« corps » (śarīra) qui enveloppent le Soi (ātman). Le Vedānta, avec Śaṅkara qui a commenté laTaittirīya Upaniṣad, en distingue cinq[14] :
« Le Soi est recouvert par les cinq enveloppes, elles-mêmes causées par le pouvoir d'ignorance... Connais le Soi, qui est distinct du corps et de toute forme, comme une tige d'herbe dans ses fourreaux foliacés... L'aspirant avisé doit s'appliquer à la discrimination (viveka) entre le Soi et le non-Soi. Les cinq enveloppes (sont) : l'enveloppe corporelle, le souffle vital, le mental, l'intellect et l'enveloppe de béatitude. 1) Le corps grossier (annamaya-kosha) est créé de nourriture..., composé de peau, de sang, de chair, de graisse, de moëlle, d'excréments et d'urine... 2) Le corps vital de prāṇa (prānamaya-kosha) est le souffle vital des facultés associées aux cinq organes d'action [la parole associée au son, les mains associées à la faculté de préhension, les pieds au mouvement, l'anus aux désirs corporels et à l'excrétion, les organes génitaux]... Ce n'est qu'une modification de l'air... 3) Le corps mental (manomaya-kosha) est constitué du mental avec les facultés de perception... Le mental est un grand tigre qui rôde, éperdu dans l'immense jungle des objets des sens... 4) L'intellect, avec les cinq facultés de perception, est le corps intellectif (vijñānamaya-kosha), et il est aussi la cause de l'esclavage pour l'Esprit. C'est une modification du Soi non-manifesté... 5) Le corps de béatitude (ānandamaya-kosha) n'est qu'une modification de l'ignorance sur laquelle le Suprême Soi est réfléchi, elle est expérimentée sans effort par tous dans une certaine mesure dans le sommeil profond... Pourtant, même cette gaine de béatitude ne peut être le Suprême Soi. »
Penseur de premier ordre, Śaṅkara eut une influence considérable sur la philosophie non dualiste et l'hindouisme en Inde.Les Européens ont commencé à le connaître par l'œuvre deRené Guenon. On trouve cependant trace de sa doctrine dans des commentaires intégrés au texte de l'Oupnek'hat traduit en latin à partir du Persan parA. H. Anquetil-Duperron[15] en 1801.AuXXe siècle, l'expérience, la vie et la doctrine deRamana Maharishi (1879 -1950) ainsi que l'enseignement direct et non conventionnel tout en restant traditionnel deNisargadatta Maharaj (1897 -1981) sont considérés par beaucoup comme les meilleurs exemples contemporains de la vitalité de la pensée de Ādi Śaṅkarācārya et de l'Advaita Vedānta. Parmi d'autres,Richard De Smet propose une nouvelle approche, plusthéologique, de Shankara.
La tradition commente qu’il plaça à la tête de ces Maṭha ses quatre principaux disciples : respectivementSureshwaracharya (Śṛṅgeri: de 820 à 834),Hastamalakacharya,Padmapadacharya, etTotakacharya[19]. Les responsables de ces quatre Maṭha prennent le titre deśaṃkarācārya ouShankaracharyas.
Śaṅkara est le fondateur desDashanami Sampradaya(en), dix ordres monastiques dont les moines portent généralement le nom après leur nom propre : Bhâratî, Sarasvatî, Sâgara, Tîrtha, Purî, Âshrama, Giri, Parvata, Aranya et Vana.
Lesbrahmanes qui se réclament de sa tradition sont appelés Smârtava et pratiquent un rituel non sectaire qui intègre le rituel domestique védique et des aspects de dévotion hindoue. La pancâyatana pûjâ (quintuple adoration), caractéristique des Smârtava, est un culte dédié àShiva,Vishnu,Shakti,Ganesha etSûrya, en tant qu'aspects dusaguna brahman, le Divin personnel ou doué de qualités, par opposition aunirguna brahman, le Divin sans attribut, impersonnel et ineffable de la philosophie.
On lui donne le titre de "shanmatasthâpanacharya" (shan=six,mata=croyances,sthâpana=qui préserve, qui rétablit,âchârya=le maître, celui qui connaît les règles)Śaṅkara est désigné comme le réformateur des sixdarśanas dont certains étaient dévoyés selon lui.[réf. nécessaire]
Adi Shankara et certaines de ses œuvres sont connues, étudiées et analysées par certains missionnaires jésuites commeRoberto de Nobili[21], orientalistes[22] et universitaires européens depuis leXVIIe siècle. Par ailleurs Adi Shankara et l'advaita vedanta doivent àRené Guénon etRomain Rolland leur reconnaissance en Europe et particulièrement en France[23] dans la première moitié duXXe siècle en dehors des milieux spécialisés:Jean Herbert expliqua, en effet, que la connaissance de l'Inde jusqu'en 1920 se limitait aux « déformations » de la société théosophique et aux travaux des orientalistes. Il déclara que ce sont « ces deux hommes de génie »(Guénon et Rolland) qui permirent de sortir de cette impasse et firent connaître « l'esprit de l'Inde » et l'advaita vedanta aux Français entre 1920 et 1925 par des voies en apparence contradictoires.
En 1893,Vivekananda fit connaître auxÉtats-Unis à un public non averti, lors de l'exposition universelle de Chicago, l'hindouisme et plus particulièrement l'enseignement deRāmakrishna, lequel repose sur l'advaita vedanta et l'œuvre de Adi Shankara. S'ensuivit une série de conférences pendant trois ans dans ce pays, puis en Europe[23].
Grand commentateur, Shankara en a fait sur lesBrahmasūtra (Brahmasūtrabhāshya), sur les principales et plus anciennesUpanishad et sur laBhagavad-Gītā[24].
Âtma-bodha. La conscience du Soi, trad. Marc Alain Descamps[1]. Ou trad. Félix Nève, 1866[2].
Les Mille Enseignements (Upadeśasāhasrī), traduit de l'édition critique anglaise par Anasuya ; préface de A. J. Alston; avecVie de Shankara par T. M. P. Mahadevan, Paris-Orbey, Arfuyen, coll. « Ombre », 2013, 265 p.
Prolégomènes au Védânta, trad.Louis Renou (1951, Rééd. Almora, 2011). Il s'agit du début de son commentaire desBrahma Sūtra.
Le plus beau fleuron de la discrimination (Viveka-Cûdâ-Mani), trad. de l'anglais par Marcel Sauton, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient, Jean Maisonneuve successeur, 1998, 176 p.
Comment discriminer le spectateur du spectacle ? (Dṛg-Dṛshya-Viveka), trad. Marcel Sauton, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient, Jean Maisonneuve successeur, 2000, 186 p.
Hymnes à Shiva, trad. du sanskritJean Herbert, Lyon, Derain, 1944, 110 p.
Mundapanisadbhâsya. Commentaire sur laMundaka Upanishad, trad. Paul-Martin Dubost, Paris, Dervy, 1978, 86 p.
LaTaittiriya-Upanisadavec le commentaire de Śaṃkara, (Michel Angot, Ed.) Paris, Collège de France, coll. « Publications de l'Institut de civilisation indienne », 2 vol. (Vol. I: Introduction, texte et traduction; Vol. II: Notes, commentaires et appendices), 2007, 835 p.(ISBN978-2-860-30740-6)
Œuvres de Ādi Śaṅkara dansRâmana Maharshi,Œuvres réunies. Écrits originaux et adaptations, trad. de l'angl. par Christian Couvreur et Françoise Duquesne, Paris, Éditions traditionnelles, 1988, 350 p.
Contient (p. 213-314) :Hymne dédié à Dakshinamûrti ;Hymne à la louange du Guru (Guru Stuti) ;Hymne de Hastâmalaka ;Connaissance deSoi (Atmâ-Bodha) ;Le plus beau fleuron de la discrimination (Vivéka-chûdâmani) ;Comment discriminer le spectateur du spectacle (Drik-Drishya-Vivéka).
Choix de textes dans Paul Martin-Dubost,Çankara et le Vedânta, Seuil, coll. « Maîtres spirituels », 1973, p. 113-142.
Olivier Lacombe, L'Absolu selon le Védânta. Les notions de Brahman et d'Atman dans les systèmes de Çankara et Râmânoudja, Paris, 1937,(ASINB0017ZP1GU), réed. P. Geuthner (1966)(ASINB0014UYDXU)