Après laguerre d'Aceh (1873-1904), lescolons néerlandais prennent le contrôle de la province[12]. L'Indonésie obtient sonindépendance en 1945 mais celle-ci n'est reconnue qu'en 1949. Néanmoins, de 1976 à 2005, unconflit long et sanglant oppose le gouvernement indonésien et leGAM, un mouvement séparatiste acehnais[13], causant environ 15 000 morts en 30 ans[14]. Le, untsunami violent frappe Aceh, causant 160 000 morts et laissant 500 000 personnes sans domicile[15].
Un accord de paix est conclu entre le GAM et le gouvernement deSusilo Bambang Yudhoyono le. Le tsunami de 2004 avait accéléré les négociations pour la paix. L'idée qu'il puisse être unepunition divine[16] été une des causes de l'établissement de lacharia dans la province[17],[18].
Enacehnais, la province s'appelleAcèh. En français et enindonésien, elle s'appelleAceh. L'anciennegraphieAtjeh est parfois attestée. Jusqu'à laréforme de l'orthographe de 1972, commune entre l'Indonésie et laMalaisie, l'indonésien utilisait uneorthographe basée sur lenéerlandais dans laquelle ledigrammetj notait le son/t͡ʃ/ (équivalent detch en français). L'orthographe du nom a varié selon les époques et les auteurs :Acheh,Atjeh,Acem,Achem, ouAchin. Il existe également une graphie à l'anglaise,Acheh, utilisée par leGAM dans ses documents officiels.
De 1959 à 2001, le nom complet de la province estDaerah Istimewa Atjeh puisDaerah Istimewa Aceh (Territoire Spécial d'Aceh). Une loi de 2001 lui accorde uneautonomie spéciale et la province change de nom pour celui deNanggroë Aceh Darussalam. En acehnais,nanggröe signifiepays. Enarabe,darussalam signifiedemeure de la paix oudemeure deDieu (as-Salam étant l'un desnoms de Dieu dans l'islam). En 2009, le gouverneurIrwandi Yusuf(en) rétablit la forme courteAceh.
En 1282,Malik as-Salih(en), lesultan deSamudra, situé au nord-est de l'actuel Aceh, envoie enChine deux émissaires portant des nomsarabes. Dans son voyage de retour de la cour deKubilai Khan àVenise en 1292,Marco Polo fait escale àPerlak, voisin de Samudra, et note que le souverain de ce port estmusulman, ce qui n'est pas le cas de « Basma » et « Samara ». On a essayé d'identifier, sans certitude, Samara à Samudra et Basma àPasai, une autre principauté voisine.
Le voyageur marocainIbn Battuta fait escale à Samudra à l'aller et au retour de sonvoyage en Chine en 1345-46. Il note que le souverain est musulman de l'école jurisprudentielle (oumadhhab)chaféite.
En 1873, le consul américain àSingapour rencontre un émissaire d'Aceh pour discuter d'un traité entre les deux pays. Les Néerlandais décident d'attaquer Aceh. Commence la longueguerre d'Aceh. Les Néerlandais bombardent la capitale, Kutaraja (aujourd'huiBanda Aceh) et font débarquer un corps expéditionnaire de 3 000 hommes. Ils sont repoussés, perdant leur général. Le sultan Mahmud Syah (règne 1870-74) organise la résistance et demande de l'aide. Les Américains et les Britanniques refusent de la lui accorder. Les Français ne répondent pas. Les Turcs se montrent impuissants. Les Néerlandais envoient un second corps expéditionnaires de 10 000 hommes. Les troupes d'Aceh abandonnent leur capitale, que les Néerlandais investissent en 1874. Ils proclament l'annexion d'Aceh et l'abolition du sultanat. Mahmud et ses partisans se réfugient dans les montagnes. Il y meurt ducholéra. Son fils Daud est proclamé sultan sous le nom de règne de Ibrahim Mansyur Syah (règne 1875-1907) et poursuit la résistance.
Résidence d'un des premiers notables d'Aceh à avoir accepté la souveraineté néerlandaise (1880).Un fort d'Aceh après sa prise par les Hollandais (1901).
Les Néerlandais ne tiennent réellement que Kutaraja. Les princes des cités portuaires feignent de se soumettre à l'ordre néerlandais mais soutiennent la résistance. Les Néerlandais bombardent et incendient les villages, forçant la population à se réfugier dans les montagnes, où elles rejoignent la résistance. En 1881, les Néerlandais déclarent la fin de la guerre. Du côté acehnais, la direction de la lutte est passée de l'aristocratie traditionnelle, lesuleebalang, aux chefs religieux, lesulama, dont le plus connu est Teungku Cik di Tiro. La résistance devient une guerre sainte contre les Néerlandais infidèles.
La guerre épuise les ressources du budget colonial néerlandais. Les Néerlandais, qui ont abandonné le contrôle des campagnes aux Acehnais, trouveront la solution en deux hommes. Le premier, Joannes van Heutz, est un militaire qui a longtemps servi au combat. Il est nommé gouverneur en 1898. Le second, Snouck Hurgronje, est un universitaire deLeyde, le meilleur spécialiste néerlandais de l'islam. Hurgronje fait comprendre aux Néerlandais que rien ne pourra apaiser le fanatisme desulama, et qu'ils doivent donc gagner l'alliance de la noblesse desuleebalang.
C'est la découverte de pétrole dans lenord de Sumatra qui va déterminer les Néerlandais à en finir avec la résistance. Ils signent avec les princes uneKorte Verklaring (« déclaration courte ») par lequel ces derniers reconnaissent la souveraineté néerlandaise. Le sultan Daud Shah se rend en 1903 ainsi que son chef des armées, le Panglima Polim. Le sultan garde des contacts avec la résistance. Après une attaque manquée en 1907, il est exilé. Lesulama (oulémas), chefs religieux, poursuivent la résistance.
En 1939 est créée laPersatuan Ulama Seluruh Aceh (union desoulémas d'Aceh) ou PUSA, sous la direction de Daud Beureueh, dont le but est de défendre l'islam et de promouvoir la modernisation des écoles islamiques. La PUSA prend contact avec les Japonais et prévoit de les aider dans leur attaque des Indes néerlandaises. Début 1942, la PUSA entame une campagne de sabotage contre les Hollandais, qui doivent évacuer Aceh vers le sud de Sumatra. Les Japonais débarquent quelques semaines plus tard. Les Acehnais, qui considèrent que leur lutte contre les Hollandais n'est pas terminée, entament des discussions pour l'indépendance avec le nouvel occupant. Ces discussions tournent court avec la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L'Indonésie proclame son indépendance le. Commence une période de quatre années du conflit qui oppose la jeune république à son ancien colonisateur hollandais, que les Indonésiens appellent "Revolusi". En Aceh, celle-ci se traduit par l'arrestation des principauxuleebalang et leur assassinat.
Lorsqu'en 1948 les Hollandais lancent leur seconde « action de police », c'est-à-dire opération militaire contre la république, ils prennent la capitale,Yogyakarta et les principales villes de Java et Sumatra. Le territoire de la république d'Indonésie est bientôt réduit à Aceh.
Le conflit prend fin en 1949 avec le transfert de souveraineté du royaume des Pays-Bas à une « république des États-Unis d'Indonésie ». Aceh y obtient le statut de province autonome. Mais en 1950, la province est fusionnée avec celle deSumatra du Nord. Cet acte accroît le mécontentement de la PUSA, qui voyait déjà d'un mauvais œil le caractère non-islamique de la république d'Indonésie.
En 1953,Daud Beureu'eh rejoint la rébellion duDarul Islam, un mouvement séparatiste né dans l'ouest de Java en 1949, qui réclame la création d'unÉtat islamique en Indonésie. Daud Beureueh accepte finalement uncessez-le-feu en 1957 avec le gouvernement, alors que le mouvement du Darul Islam se poursuit. Des discussions sont entamées pour trouver une solution aux revendications des Acehnais. En 1959, le gouvernement indonésien accorde un statut spécial à la province d'Aceh, qui obtient l'autonomie dans les domaines de la religion, du droit coutumier et de l'éducation.
Drapeau du mouvement indépendantiste de la province d’Aceh.
Selon Al Yassa Abubakar, juriste acehnais et directeur duDinas Syarat Islam, considéré comme le père de la loi islamique à Aceh, la suppression de la cour chariatique (mahkamah syariyah) explique qu’en 1976 les habitants d’Aceh répondent en masse au premier appel du GAM (Gerakan Aceh Merdeka), Mouvement pour un Aceh libre[21].
Mais pour le groupe indépendantiste, il s’agit aussi de défendre les réserves de gaz naturel, découvertes cinq ans plus tôt, en 1971, par la société pétrolière américaineMobil du champ de gaz géant d'Arun[21]. Une usine de liquéfaction du gaz est construite à Lhokseumawe. Legaz naturel liquéfié est exporté au Japon. Puis une usine d'engrais est construite, également alimentée en gaz naturel. Ce développement industriel va bouleverser la vie des habitants, avec la dislocation de la famille traditionnelle, l'arrivée de travailleurs migrants, notamment de Java, la dégradation de l'environnement.
Le GAM entreprend une série d'attaques contre des positions militaires et policières. En 1990, le gouvernement indonésien déclare Aceh « zone d'opérations militaires » et envoie destroupes dans la province. La répression organisée par le régime deSuharto fait 9 000 morts[22].
Avec la fin de ladictature en 1999, le gouvernement indonésien annonce l'introduction de la loi islamique (charia) en Aceh. Cette initiative vient du président de l'époque,B. J. Habibie qui s'appuie sur les recommandations de son conseiller pour le conflit en Aceh, Usman Hasan. La mesure étant particulièrement populaire, le gouvernement pense pouvoir régler ainsi un conflit qui ensanglante la province depuis 1976.
L'introduction partielle de la loi islamique, concrétisée par lecode pénal de 2014(en) (en partie en réaction autsunami de 2004, vécu comme unchâtiment divin venu sanctionner la baisse de foi des habitants), s'est d'emblée traduite par des campagnes pour la mise en place des symboles physiques de l'islam. Les femmes se virent intimer l'ordre de porter ledjilbab (unvoile répondant auxstandards de pudeur musulmans) dans l'espace public et une police de la loi islamique (polisi syariah) fut créée[25]. En, la première bastonnade d'homosexuels eut lieu àBanda Aceh[26]. Cependant, en, après la défaite électorale de la maireIlliza Sa'aduddin Djamal« connue pour être une fanatique de la bastonnade », certains musulmans (comme le vice-gouverneurNova Iriansyah[27]) prônent certains aménagements, comme le fait de ne plus infliger les châtiments corporels en public[28].
Outre certaines pratiques considérées comme homosexuelles (par exemple lasodomie), lesinfractions relevant de la législation chariatique (appelée localementKanun Jinayat) sont les suivantes : le fait de consommer, de transporter ou de produire de l'alcool, lejeu de hasard (oumaisir(en)), l'adultère (ouzina), leviol et leharcèlement sexuel.
En mars 2018, le bureau à la loi islamique et auxdroits humains d'Aceh a commencé à mener des recherches et à consulter l'opinion publique (très importante lorsqu'il s'agit de faire des réformes chariatiques) en vue d'introduire lapeine de mort pardécapitation pour punir des crimes aussi graves que lemeurtre[29]. Dix ans plus tôt, une tentative d'introduire lalapidation ouRajm (faisant partie intégrante du corpuschaféite) avait échoué parce que le gouverneur de l'époque,Irwandi Yusuf(en) (unvétérinaire formé auxÉtats-Unis connu pour ses points de vuelaïcs[30]) y avait posé sonveto (la mesure ayant déjà été débattue et votée en aval par le parlement provincial)[31], arguant qu'une telle mesure perturberait la paix locale et ferait fuir les investisseurs internationaux[32].
La province d'Aceh comprend le nord de l'île deSumatra et quelques îles de moindres dimensions. Elle comporte 18kabupaten (comtés) et 5kota (villes), divisés en 290kecamatan (districts), eux-mêmes divisés en 6 517 kelurahan/desa (quartiers/villages)[33]. La capitale et plus grande ville estBanda Aceh, située sur le littoral de la pointe nord-ouest de Sumatra.
Ci-dessous la liste deskabupaten et deskota de la province :
Au recensement de 2010, lesacehnais représentaient 70,65 % de la province d'Aceh[2]. C'est une ethniematrilocale[35],accueillante et religieusementconservatrice, généralement perçue comme détentrice et garante du savoir islamique authentique en Indonésie[36]. Traditionnellement, ses activités sont centrés autour de l'agriculture, de lamétallurgie et dutissage[37].
Les simeulue et les sigulai qui habitent sur l'île Simeulue.
Les aneuk jamee et lesminangkabau, parfois considérés comme un seul groupe ethnique. Ils sont éparpillés sur la côte sud de la province et sont concentrés àAceh du Sud etAceh du Sud-Ouest. Ils sont originaires duSumatra occidental.
Les tamiang qui sont concentrés àAceh Tamiang. Ils sont parfois considérés comme un sous-groupemalais.
Une minoritéjavanaise est attestée dans la province dès leXVe siècle[39] mais elle reste marginale jusque dans lesannées 1960. En 1964, dans le cadre latransmigration (un programme de migrations internes organisé par le gouvernement indonésien), de nombreuses familles javanaises migrent àSumatra, y compris dans la province d'Aceh. Des vagues de transmigrations plus importantes ont lieu en 1973 et 1975. Mais entre 1976 et 2005, unconflit armé oppose le gouvernement indonésien et leGAM, un mouvement séparatiste acehnais qui se déclare« indépendant de toute forme de contrôle politique du régime étranger deJakarta et desallogènes de l'île de Java »[40]. Près de 19 000 familles javanaises quittent la province pendant ces trois décennies[41]. En2010, les javanais représentaient 8,94% de la population d'Aceh, soit 399 976 personnes[38]. La province comportait aussi 10 864 soundanais (0,24%), principalement issus de la transmigration[42].
Panneau bilingue indonésien (gauche) et acehnais (droite). Traduction :En cas de tremblement de terre, éloignez-vous de la côte et allez à un endroit en hauteur.
L'indonésien,langue véhiculaire de l'Indonésie, est utilisée dans l'administration, l'éducation et les médias. Elle sert aussi de moyen de communication entre les différentsgroupes ethniques qui ont différentes langues maternelles. En 2020, l'indonésien était parlé par 98,44 % des habitants d'Aceh âgés de 5 ans et plus, soit 4,8 millions de personnes[44]. Environ 1,3 million de personnes l'utilisaient commelangue maternelle, soit 26,48 % de la population[45]. Ce chiffre est quasiment deux fois plus élevé que celui de 2010, témoignant de la place croissante de l'indonésien à Aceh, notamment chez les jeunes et dans les grands centres urbains. Cette dynamique est également observée dans les autres provinces d'Indonésie.
Lesminorités ethniques natives de la province ont leurs propres langues :gayo,batak,simeulue,minangkabau, etc. Quant aux javanais, population immigrée, près d'un tiers d'entre eux (120 000 personnes) parlaient encorejavanais à la maison en 2010[46].
L'anglais est parlé par une partie de l'élite et par les travailleurs du secteur touristique et l'arabe est parlé par certains dignitaires religieux.
Avec 98,61 % demusulmans en2023, Aceh est laprovince d'Indonésie avec le plus grand pourcentage de musulmans[1], ce qui lui vaut le surnom d'« antichambre dela Mecque » (enindonésien :Serambi Mekah)[48]. Les musulmans d'Aceh sont principalementsunnites de ritechaféite. Bénéficiant d'unstatut spécial depuis 2005, c'est la seule province d'Indonésie qui applique lacharia. Néanmoins, en théorie, la loi islamique ne s'applique qu'auxmusulmans. Les minorités religieuses de la province sont sujettes au droit indonésien comme dans les autresprovinces.
Il y a une communautéchrétienne parmi lesbataks qui habitent au sud-est de la province et leschinois qui habitent dans les grands centres urbains. Une communautébouddhiste est également présente chez les chinois.
Sur l'île deWeh se trouve la petite ville et le port deSabang, où à l'époque de la marine à vapeur, les bateaux venaient se ravitailler en charbon. À Sabang sont enterrés deux marins français, qui étaient parmi les trente-six survivants du naufrage du contre-torpilleurLe Mousquet, coulé en 1914 par le croiseur allemandEmden lors ducombat de Penang au large de l'île dePenang enMalaisie. Leur tombe commune est l'objet d’un entretien régulier par le gouvernement français.
Une activité touristique s'est développée à Aceh autour de la mémoire du tsunami, notamment le Musée du tsunami et un bateau de pêche que les vagues du tsunami avaient projeté sur les toits de maisons à plusieurs kilomètres de la mer, et qui avait sauvé la vie à 59 personnes qui avaient pu se hisser dessus. Des anciens rebelles duMouvement pour un Aceh libre (GAM) font également visiter leurs anciens camps. En2013, 1,2 million de touristes, dont 42 000 étrangers, ont visité la province, qui reste soumise à l'observance de lacharî'a[49].
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Feillard, Andrée et Rémy Madinier,La Fin de l'innocence ? L'islam indonésien face à la tentation radicale de 1967 à nos jours, Les Indes savantes, 2006
Ricklefs, M. C.,A History of Modern Indonesia since c. 1300 (2e édition), 1993