L'histoire commence en 1866 avec l'ouverture par Rodolphe Julian — dans un immeuble dupassage des Panoramas situé au-dessus de la boutiqueStern — d'un atelier où il reçoit des élèves. En 1868, Rodolphe Julian ouvre un second espace de cours au 27 de lagalerie Montmartre, à quelques mètres de là.
Devenue l'Académie Julian, elle ouvre par la suite de nombreux autres ateliers. Pour capter une clientèle de femmes bourgeoises, est créé en 1876 un cours libre réservé aux femmes et où les hommes peuvent poser (en caleçon) en tant que modèles ; cette classe est dirigée parAmélie Beaury-Saurel et est située au-dessus de l'atelier réservé aux hommes. En 1880, est ouvert un nouvel espace réservé aux femmes auno 51rue Vivienne. Deux autres lieux ouvrent également, l'un dans le6e arrondissement auno 31rue du Dragon (1868[1]), l'autre dans le8e arrondissement au 5rue de Berri (« de Berry », en 1888[2].), lequel est appelé « atelier des Dames » et comprend trois ateliers. La sculpture y est également enseignée. Puis est ouvert, près de Pigalle, un atelier réservé aux hommes au 28rue Fontaine avec entréerue Fromentin[3].
Pour les jeunes femmes, l'Académie constituait une des rares alternative aux cours offerts par l'École des beaux-arts, l'entrée dans cet établissement public leur ayant été interdite jusqu'en1897. Elles avaient, en outre, la possibilité de peindre des nus à partir de modèles masculins, preuve d'un laxisme intolérable aux yeux des instances officielles. Afin d'économiser l'argent des contribuables en décourageant l'inscription d'étudiants étrangers, l'École des beaux-arts imposait, de surcroît à ses candidats une épreuve de langue française réputée difficile, ce qui fit que l'Académie Julian attira un grand nombre d'étudiants venus de tous les pays d'Europe aussi bien que du continent américain. Enfin, l'Académie accueillait non seulement les artistes professionnels, mais aussi les amateurs compétents désireux de perfectionner leur art, et à ce titre, là aussi, des femmes plutôt issues de la bourgeoisie.
Exposition annuelle des élèves organisée chezAmbroise Vollard, affiche deWidhopff, 1897.Revue de l'Académie Julian,.
Par la qualité de ses enseignants, l'Académie Julian acquit rapidement une certaine renommée. Elle put ainsi, à partir de 1903, présenter ses élèves auprix de Rome tout en servant de tremplin à ceux qui ambitionnaient d'exposer dans lesSalons ou de se lancer dans une carrière artistique. La discipline n'était pas toutefois son point fort. Les étudiants, le plus souvent livrés à eux-mêmes, se faisaient remarquer par leurs canulars et leurs défilés dans les rues de Paris, les scandales se succédant jusqu'en pleineBelle Époque. Cela n'empêcha pas un groupe de jeunes peintres rebelles de devenir célèbre sous le nom deNabis dès1888-1889. D'autres grands noms de la peinture restent associés à l'Académie Julian, entre autres ceux d'Albert André,Marcel Baschet,André Favory,Léon Bakst,Pierre Clayette,Claude Schürr,Jean Dubuffet,Marcel Duchamp,Jacques Villon,Édouard Vuillard etHenri Matisse.
Après la mort de Rodolphe Julian en 1907, son épouseAmélie Beaury-Saurel continue de s'occuper des Académies. Elle confie celle de la rue du Dragon à son neveu Jacques Dupuis. Il meurt en 1916 et c'est son frère Gilbert Dupuis qui reprend la direction de cette succursale. Amélie meurt en 1927 et les ateliers situés galerie Montmartre sont fermés en 1929 pour travaux.
Ce qui reste de l'Académie Julian est fermé pendant laSeconde Guerre mondiale et deux de ses ateliers vendus en1946. Le reste rouvre le sous l'initiative d'André Del Debbio etCécile Beldent, laquelle est la dernière propriétaire et directrice de l'atelier rue de Berri. Fin 1949, lephare de Honfleur, désaffecté, est acheté pour recevoir les boursiers de l'Académie. Les studios de la rue du Dragon sont rachetés àAndré Corthis, nièce de Rodolphe Julian qui avait hérité en 1927 de l'Académie, parGuillaume Met de Penninghen et Jacques d’Andon en1959. Ils sont ensuite intégrés à l'Atelier Penninghen pour devenir l'École supérieure d'arts graphiques Penninghen en1968. Les ateliers de larue de Berri sont dirigés par Cécile Beldent, avec André Del Debbio, jusqu'en mars1974, date de leur expropriation par des promoteurs. Un nouvel espace, plus petit, est alors ouvert au 28boulevard Saint-Jacques. Del Debbio a dirigé, à partir de cette date, l'Académie Julian-Del Debbio, en professant la sculpture et le dessin avec modèles vivants. L'Académie Julian fait maintenant partie de l'ESAG Penninghen[4].
L'histoire de l'Académie Julian a été jusqu'ici relativement peu étudiée en France. Aucun dossier d'artiste n'a été conservé, et seulement une partie des registres existe encore : ceux de la section des hommes, couvrant la période1870-1932 et ceux de la section des femmes, période1880-1907, consultables auxArchives nationales.
L'atmosphère régnant dans cette école paraît avoir été joyeuse, si l'on en juge par ce passage d'un compte-rendu duCarnaval de Paris de1888 dans leJournal des débats[5] :
« Parmi les groupes de masques, le plus original était celui des élèves de l'atelier Julian, dufaubourg Saint-Denis [i.e. de la galerie Montmartre]. Ces jeunes gens, vêtus de la blouse d'atelier et dont quelques-uns portaient comme enseignes des châssis de peintres cloués au bout de longs bâtons, formaient un chœur et un orchestre, et parodiaient les airs de tous les répertoires. Ils se sont rendus devant le groupe dela Danse deCarpeaux, à l'Opéra, et ont entonné des chants avec accompagnement debigophones en carton. »
En 2015, les archives de l'académie Julian (période 1868-1905) sont léguées auxArchives nationales[6].