Président de larépublique du Rif de 1921 jusqu'en 1926, il est devenu une icône des mouvements indépendantistes luttant contre lecolonialisme. Il demeurera également une grande figure du nationalisme arabe (panarabisme) et un fervent défenseur de l'identitéarabe auMaghreb[1],[2],[3],[4],[5],[6].
Il est connu sous le nomEmir ‘Abd al-Krim ou‘Abd al-Krim en Occident[7],[8],‘Abd al-Krim al-Khattabi au Maroc ou encoreMoulay Mohand chez les Rifains[9],[10].
D'après les dires d'Abdelkrim lui-même, sa famille, lesKhattabi, est une ancienne famillearabe originaire deYambo enArabie, de la tribu arabe desOuled Sidi Mohammed dont il tire son nom. Ils auraient immigré dans le Rif dans les années 900. Le nom del'aïeul de sa famille serait un certainZarra, unArabe venu s'établir auMaroc et qui s'installa avec sa famille chez la tribu berbère desBeni Ouriaghel[11],[12],[13],[14].
En 1915, il entre dans l'administration espagnole et est nommécadi deMelilla. Durant cette période, Abdelkrim est amené à voyager enEspagne. Il se met à étudier l'histoire d'Al andalus et parcourt le pays en contemplant les monuments de ses ancêtres, lesquels d'après lui « attestent de la grandeur de lacivilisation Arabe en Espagne ». C'est ce voyage qui a suscité en lui un sentiment en faveur dunationalisme arabe (pan-arabisme), et une grande nostalgie des temps glorieux[17]. Il commence alors à s'opposer à la domination espagnole, considérant cette opposition comme une revanche légitime contre les ennemis historiques du peuplemarocain[1].
Il est emprisonné du au début du mois d’ pour avoir dit que l'Espagne ne devrait pas s'étendre au-delà des territoires déjà occupés (ce qui, en pratique, excluait la plupart des zones incontrôlées duRif). Peu après avoir été libéré, il se démet de ses fonctions de cadi en, revient à Ajdir en1919 et, avec son frère, commence à unir les tribus du Rif dans uneRépublique du Rif indépendante en s'efforçant d'apaiser leurs inimitiés. Dans cette optique de réunification des tribus du Rif, il épouse Taymount Boujibar de la Tribu des Aït Ouriaghel. Son beau frère Ahmed Boujibar, lieutenant de l'armée rifaine, sera exilé àEl Jadida.
En1921, dans leurs efforts pour détruire la puissance deRaisuni, un brigand local, les troupes espagnoles approchent des secteurs inoccupés du Rif. ‘Abd al-Krim envoie à leur général,Manuel Fernández Silvestre, un avertissement : s'ils franchissent le fleuve Amekrane (oued), il le considérerait comme un acte de guerre. Fernández Silvestre aurait ri en prenant connaissance du message. Le général installe dans la région deTemsamane un poste militaire juste après l'oued Amekrane, plus précisément au Mont Abarrán (Dhar Obaran). Le jour même, au milieu de l'après-midi, mille Rifains l'encerclent :179 militaires espagnols sont tués, forçant le reste à la retraite[4].
La retraite effectuée sans préparation se transforme en débandade au cours de laquelle les Espagnols perdent près de 16 000 hommes. Connue sous le nom debataille d'Anoual, il s'agit d'un tournant dans la guerre du Rif[18]. ‘Abd al-Krim met la main sur150 canons, 25 000 fusils, des munitions et des véhicules. En plus des morts et des blessés (environ 25 000), ‘Abd al-Krim fait des prisonniers par centaines. Depuis labataille d'Adoua (Éthiopie) en 1896, il s'agit de la première défaite d'une puissance coloniale européenne, disposant d'une armée moderne et bien équipée, devant des résistants sans ressources, sans organisation, sans logistique ni intendance. La victoire d'Anoual a un retentissement dans le monde entier, d'un point de vue psychologique et politique, car elle montre qu'avec des effectifs réduits, un armement léger, et uneimportante mobilité (et une bonne connaissance du terrain de guerre), il est possible de vaincre des armées classiques.
Fort de son succès, l’Emir proclame, en1922, larépublique confédérée des Tribus du Rif. Cette république a un impact crucial sur l'opinion internationale[19], car c'est la première république issue d'une guerre dedécolonisation auXXe siècle. Il crée un parlement constitué des chefs de tribus qui élit un gouvernement. Imprégné des idéaux de progrès et derépublicanisme, ‘Abd al-Krim promulgue des réformes modernes[20].
Considérant par ailleurs lecannabis commeharam, il est « le seul à avoir presque réussi à interdire [sa] production », traditionnelle dans le Rif depuis leVIIe siècle[21].
Abdelkrim al-Khattabi en 1923.
En1924, l'Espagne retire ses troupes dans ses possessions le long de la côte marocaine, sur la Méditerranée. La France, qui a des prétentions sur le Rif méridional, se rend compte que laisser une autre puissance coloniale se faire vaincre enAfrique du Nord par des indigènes créerait un dangereux précédent pour ses propres territoires[4], et entre dans le conflit. Tentant de joindre toutes les forces vives marocaines pour constituer le noyau d'un mouvement de libération marocain préalable à un vaste mouvement de décolonisation, ‘Abd al-Krim demande ausultanMoulay Youssef de rallier sa cause. Mais celui-ci, sous l'influence de la résidence générale française àRabat, refuse de lutter contre les puissances coloniales. Dès lors, jugeant le sultan illégitime, Abdelkrim se proclamecommandeur des croyants et selon le premier résident français au Maroc, leGénéral Lyautey[22] : « ‘Abd al-Krim est considéré ouvertement comme le seul et unique sultan du Maroc depuis Abdelaziz, vu que Moulay Hafid a vendu le pays à la France par le traité du Protectorat et que Moulay Youssef est seulement un fantoche entre mes mains »[23].
L'entrée de la France en guerre ne se fait pas attendre, mais la pression de l'opinion publique aussi bien européenne qu'internationale rend la tâche plus ardue et conduit au renvoi du résident général, le maréchalLyautey.
À partir de1925, ‘Abd al-Krim combat les forces françaises dirigées par le maréchalPétain composées de 200 000 hommes et une armée espagnole commandée personnellement par le généralPrimo de Rivera, soit un total de 500 000 soldats[24], qui commencent les opérations contre la République du Rif. Le combat intense dure une année et aboutit à la victoire des armées française et espagnole contre les forces de ‘Abd al-Krim[4].En 1925, par télégramme, Lyautey aurait demandé au président du ConseilPaul Painlevé l'envoi d'obus àypérite[réf. nécessaire]. Toutefois, il n'existe aucune preuve documentée que ce gaz ait été utilisé par les troupes françaises[23].
Abdelkrim se rend aux Français comme prisonnier de guerre le[25]. En dépit de cette reddition, les armées espagnoles feront usage de gaz de combat contre des villages tenus par les rebelles. Ainsi, dès1926, des avions munis degaz moutarde bombarderont des villages entiers, faisant des Marocains du Rif les premiers civils gazés massivement dans l'Histoire[26],[27],[28], à côté des Kurdes irakiens gazés par les Britanniques. On estime à plus de 150 000 le nombre de morts civils durant les années1925-1926.
Abdelkrim al-Khattabi, au moment de son départ pour l'exil en 1926.
En1926, Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi et une partie de sa famille sont exilés àLa Réunion et installés jusqu'en1929 auChâteau Morange, sur les hauteurs deSaint-Denis[4],[29]. Abdelkrim habite ensuite la commune rurale deTrois-Bassins, dans l'ouest de l'île, où il achète des terres et construit une belle propriété. En mai1947, ayant finalement eu l'autorisation de s'installer dans le sud de la France, il embarque, avec52 personnes de son entourage et le cercueil de sa grand-mère, à bord duKatoomba, un navire desMessageries maritimes en provenance d'Afrique du Sud et à destination deMarseille. Arrivé àSuez où le bateau fait escale, il réussit à s'échapper et passe la fin de sa vie enÉgypte[4], où il présidera le « Comité de libération duMaghreb Arabe». Il déclarera solennellement dans lesCahiers de l’Orient contemporain : « Le Rif, le Maroc, et les pays d’Afrique du Nord n’ont été dans le passé, ne sont dans le présent, et ne seront dans l’avenir que grâce à l’Islam et à l'arabisme »[30].
Lors de son exil en Égypte, il rencontreraHassan Al-Banna qu'il prendra comme exemple religieux, notamment (dû à sa ressemblance dans la croyancesoufi de son ancien professeur et maître,Al-Kattānī. Il prit l'habitude de lire et d'étudier ces livres, ainsi que lors de laprière du Maghreb, de prier derrière lui jusqu'à sa mort en 1949[31].
QuandAzzam Pacha (Secrétaire général de laLigue arabe) est allé le voir pour lui annoncer la création imminente d’Israël et la détermination des pays arabes à libérer laPalestine, l’émir lui a répondu : « Surtout pas, n’en faites rien. Cette guerre-là, nous ne pouvons pas la gagner, car il y a deux éventualités : ou nous sommes défaits par le petit État juif, et nous serons la risée du monde ; ou nous gagnons, et nous aurons le monde entier contre nous. Alors que faire ? Laisser les Juifs coloniser les Palestiniens. Nous aurons affaire à une situation coloniale classique, et les Palestiniens se libéreront, comme se libéreront un jour les Marocains, les Tunisiens et les Algériens »[32].
Toute sa vie durant, il refuse de retourner au Maroc malgré la signature d’accords d’indépendance, la critiquant de par sa nature : un « compromis de la monarchie marocaine avec les ex-puissances coloniales »[33].
Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi meurt en1963 auCaire. Le président égyptienGamal Abdel Nasser lui accorde des funérailles nationales, sa dépouille reposant au Caire dans le carré réservé aux héros du monde arabe car les autorités marocaines refusent qu'il soit enterré sur son sol natal[23].
En 1926, l’Émir, défait, est donc exilé sur l’île de laRéunion. Lors du voyage à bord d’un bateau, un journaliste français du nom de Jacques Roger-Mathieu accompagne ‘Abd al-Krim. Le journaliste est là pour recueillir le témoignage, les souvenirs, les mémoires d’Abd-el-Krim[34],[35]
↑ab etcM.Tahtah,Entre pragmatisme, réformisme et modernisme: le rôle politico-religieux des Khattabi dans le Rif (Maroc) jusqu'à 1926, Peeters Publishers,(ISBN978-90-429-0780-5,lire en ligne)
↑G. Belorgey,Dossier : la Guerre du Rif(lire en ligne), « En ce temps-là, Mohamed Abdelkrim el Khattabi, né en 1882 à Ajdir dans la tribu des Aït Ouariaghel de la région d'Al-Hoceïma [...] ».