Savantmusulman, il se retrouve de façon inattendue à mener unecampagne militaire. Il constitue un groupement de populations de l'ouest algérien qui, pendant de nombreuses années, résistent avec succès contre l'une des armées les plus avancées d'Europe. Son respect constant pour ce qu'on appelle désormais lesdroits de l'homme, surtout concernant ses opposantschrétiens, suscite une admiration généralisée. Son intervention cruciale pour sauver la communauté chrétienne deDamas d'unmassacre en 1860 lui amène des honneurs et récompenses du monde entier. En Algérie, ses efforts pour unifier le pays contre les envahisseurs extérieurs le voient salué et qualifié de« Jugurtha moderne »[1], et sa capacité à combiner autorité religieuse et politique le conduit à être acclamé comme« prince parmi les saints, et saint parmi les princes »[2].
Le nomAbdelkader est parfois translittéré « 'Abd al-Qadir », « Abd al-Kader », « Abdul Kader » ou d'autres variantes. Il est souvent désigné simplement comme l'émir Abdelkader (puisqueEl Djazaïri veut dire « l'Algérien »). « Ibn Mahieddine » signifie « fils de Mahieddine » (prénom de son père) et « El-Hasani » invoque sa descendance d'al-Hassan ibn Ali, le petit-fils deMahomet. On lui donne souvent, aussi le titre d'émir, signifiant « prince ». C'est durant son exil syrien que lui fut attribué le patronyme Djazaïri et a été transmis à ses descendants notamment Driss Djazaïri (1936-2020), un de ses arrière-petits-fils qui futambassadeur d'Algérie auxÉtats-Unis d'Amérique[3],[4].
Abdelkader naît près de la ville deMascara en 1808[5], d'une famille de l'aristocratie religieuse, maraboutique etchérifienne (descendante du prophète par sa fille Fatima)[6]. Selon les sources familiales, il tient cette dignité de ses origines de laSeguia el-Hamra, région d'où proviennent l'essentiel des familles de shurafa. Cette parenté fait de lui un descendant desIdrissides[7]. Cependant, cette ascendance aurait très bien pu être fabriquée, comme il est de coutume au Maghreb et l’émir pourrait bien descendre de la famille berbèrezénète desBeni Toudjine par sa tribu des Hachem[8]. La légitimité chérifienne d'Abdelkader repose sur le personnage de Mohammed fils de Abd el Kaoui, "émir desBeni Touzin", qui a vécu dans le nord marocain à l'époque desMérinides[9] et dont la famille a contribué à la formation de cette dynastie[10]. Cette période mérinide était caractérisée par le phénomène deschorfas dans lequel plusieurs personnalités importantes de la société mérinide se sont vues attribuées une origine prophétique[11],[12]. Ce Mohammed, natif deTagdemt en Algérie, était le fils de Abd el Kaoui, seigneur de la tribu berbère des Beni Toudjine. Tandis que son frère Abd el Kaouile jeune prendra la succession de son père, Mohammed quant à lui, ira s'installer dans lerif marocain, aux environs du Djebel el Hadid[13].
Abdelkader est le fils de Mohieddine, qui est le fils de Mostéfa, fils de Mohammed El-Moudjahed, qui à son tour est le fils d'El-Mokhtar, fils d'Abd-El-Kader[14]. Mohammed El-Moudjahed était un grandmoudjahid et a été enterré dans la région deBéni Amer. Cependant, sa famille souhaitait que ses restes soient transférés sur la terre de ses ancêtres à Ghriss. Malgré leur demande, les Béni Amer, qui le considéraient comme un saint révéré, ont refusé de déplacer son corps. Son ancêtre Abd-El-Kader, connu sous le nom deSidi Kada, était une figure érudite qui s'est installée dans la plaine de Ghriss vers 1640[14]. Son mausolée demeure l'un des sites religieux les plus fréquentés de la région[15].
Ruines d'un château dans les années 1850 àSidi Kada, où Abdelkader a vécu un certain temps[17].
Son père, Mahieddine al-Hasani, est unmouqaddem dans une institution religieuse affiliée à la confrérie soufieQadiriyya[18]. Ses connaissances en matière religieuse et sa droiture en font un intermédiaire entre le pouvoir du bey et la population[19]. Sa mère,Lalla Zohra, est la fille de Sidi Omar Bendoukha,mouqaddem d'une zaouia deHammam Bou Hadjar ; elle savait lire et écrire et était savante en religion. Cette famille, réputée chérifienne, vit dans laplaine de Ghriss qui constitue, depuis leXVIIe siècle, un espace culturel et politique riche et actif, dépassantTlemcen[19], alors que lebey de l'Ouest s'est installé à Mascara.
À l'age de15 ans, il revient à Guethna pour se marier à sa cousine Kheira bent Boutaleb. Son père le prépare pour le grand voyage vers l'Est. Mais le bey, méfiant, leur interdit de quitterOran. Abdelkader en profite, durant deux années, pour poursuivre ses études avec son cousin Mustapha ben Thami, fils dumufti de la ville. Ce dernier, avec l'appui de Badra, la femme du bey, et de certains fonctionnaires, réussit à infléchir la position du bey[19].
En 1825, il part avec son père faire lepèlerinage à La Mecque. Il y rencontre l'imam avarChamil ; les deux discutent longuement de différents sujets. Il se rend également àDamas et àBagdad, visite les tombes de musulmans notables, tels queIbn Arabi etAbdelkader al-Jilani, appelé El-Djilali enAlgérie (il sera enterré à côté de sa tombe). Cette expérience structure son enthousiasme religieux. C'est dans cette ville qu’il répondit à une question sur sa généalogie :
« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est[19]. »
Sur le chemin du retour, il est impressionné par lesréformes menées parMéhémet Ali enÉgypte. Il revient dans sa patrie en 1829[19].
Lorsque l'armée française arrive àOran en, le père d'Abdelkader est chargé de mener une campagne deharcèlement[20]. Mahieddine appelle aujihad, et son fils et lui participent aux premières attaques sous les murs de la ville[18].
C'est à ce moment qu'à23 ans, il apparaît au premier plan. Lors d'une réunion des tribus de l'ouest, le, il est désigné par les tribus comme sultan etÂmir al-Muminin « commandeur des croyants » (à la suite du refus de son père d'occuper ce poste, au motif qu'il est trop vieux)[21]. Cette réunion a lieu dans laPlaine de Ghriss. Le titre est confirmé cinq jours plus tard à la grandemosquée deMascara. Les tribus de l'Ouest répondent de manière contrastée à l'appel dudjihad : le vide laissé par laprise d'Alger fait que certaines tribus makhzen et lesKouloughli lui demandent de reconnaître l'autorité des Turcs duConstantinois ; les Maures de Tlemcen privés duMechouar où sont enfermés les Kouloughli, lui demandent de reconnaître l'autorité du sultan du Maroc alors que les tribusmakhzen Douair et Smala, commandées par Moustapha Ben Ismaïl, lui demandent de reconnaître leur convention passée avec la France. Abdelkader accepte toutes les propositions pour se donner le temps de constituer son État mais réprime rapidement les velléités de scission : dès son entrée dans Tlemcen, il change le califat des Maures et fait attaquer la garnison kouloughli[22]. Ce faisant, il se brouille avec Moustapha Ben Ismaïl qui fait appel au Maréchal Clauzel[22]. Le jeune chef se contente du titre d'émir dans ses correspondances avec lesultan du Maroc pour ne pas exciter la jalousie de ce prince duquel il espère un soutien[23]. Paradoxalement, c'est la guerre et la paix qui feront sa renommée, et ses titres d'âmir al-Muminin et de sultan seront confirmés par les traités qui en feront un souverain local incontesté sur une grande partie de l'Algérie, sans même devoir verser de tribut aux Français[22].
En un an, grâce à une combinaison deraids punitifs et de politique prudente, Abdelkader réussit à unir lestribus de la région et à rétablir la sécurité - sa zone d'influence couvre désormais toute laprovince d'Oran[18].
Le général françaisLouis Alexis Desmichels, commandant en chef, voit en Abdelkader le représentant principal de la région pendant les négociations de paix et, en 1834, il signe letraité Desmichels qui cède presque complètement le contrôle de laprovince d'Oran à Abdelkader[20]. Pour les Français, c'est une manière d'établir la paix dans la région tout en confinant Abdelkader à l'ouest ; mais son statut de co-signataire contribue beaucoup à son prestige aux yeux desBerbères et desFrançais[24].
Utilisant ce traité comme une base de départ, il impose sa domination sur les tribus duChelif, deMiliana etMédéa[20]. Le haut commandement français, mécontent de ce qu'il considère maintenant comme les termes défavorables du traité de Desmichels, rappelle le général Desmichels et le remplace par legénéral Trézel, ce qui provoque une reprise des hostilités. Les guerriers tribaux d'Abdelkader rencontrent les forces françaises en lors de labataille de la Macta où les Français subissent une défaite inattendue[18]. LaFrance réagit en intensifiant sa campagne depacification et, sous de nouveaux commandants, les Français remportent plusieurs batailles importantes, dont labataille de la Sikkak.
En France, lamonarchie de Juillet a supplanté laRestauration.Louis-Philippe Ier a succédé à son cousinCharles X, renversé lors des journées desTrois Glorieuses. L'opinion politique Française éprouve des sentiments ambivalents envers l'Algérie et, lorsque le général françaisThomas Robert Bugeaud déploie ses troupes dans la région en, il est« autorisé à utiliser tous les moyens pour inciter Abd el-Kader à faire des ouvertures de paix. »[25]. Letraité de la Tafna est signé le. Ce traité, tout en assurant davantage la domination d'Abdelkader sur les parties intérieures de l'Algérie, confirme lasouveraineté de la France sur l'Algérie. Tout en étant soumis à la France, Abdelkader prend ainsi le contrôle de tout Oran et étend son influence à la province voisine deTitteri et au-delà[20].
Alliés et ennemis de l'époque de la résistance en Algérie, tous relèvent l'importance de l'influence et de la culture philosophique et théologique d'Abdelkader, qui emmène toujours avec lui une bibliothèque, quelles que soient les circonstances[26].
La période de paix qui suit letraité de la Tafna profite aux deux parties et l'émir Abdelkader en profite pour consolider un nouvel État fonctionnel, avec pour capitaleTagdemt. Il minimise sonpouvoir politique, refusant à plusieurs reprises le titre desultan et s'efforçant de se concentrer sur sonautorité spirituelle[27]. L'État qu'il crée est largementthéocratique : la plupart des postes d'autorité sont occupés par des membres de l'aristocratie religieuse, le système juridique et administratif qu'il institue s'inspire fortement de laloi coranique[28], jusqu'à l'unité principale de la monnaie qui est appelée lemuhammadiyya (dit « boudjou d'Abdelkader »), d'après le prophète de l'islam[29].
Sa première action militaire est de se déplacer vers le sud dans leSahara etat-Tijini. Ensuite, il se déplace vers l'Est jusqu'à lavallée du Chelif et duTitteri mais lebey de Constantine,Hadj Ahmed, lui oppose résistance. En d'autres cas, il faitmassacrer lesKouloughlis[Note 1] de Zouatna pour avoir soutenu les Français[30]. À la fin de 1838, son règne s'étend à l'Est jusqu'à laKabylie, au sud jusqu'àBiskra et à la frontière marocaine[20]. Il continue à se battre à Tijini et assiège sa capitale àAïn Madhi pendant six mois, finissant par la détruire.
Un autre aspect d'Abdelkader qui l'aide à diriger son État naissant est sa capacité à trouver et à utiliser de bons talents, indépendamment de leur nationalité et de leur religion. Il emploie desJuifs et deschrétiens sur le chemin de la construction de sa nation, dont le diplomateLéon Roches[20]. Son approche militaire est d'avoir une troupe permanente de 2 000 hommes soutenue par des volontaires des tribus locales. Il place dans les villes de l'intérieur desarsenaux, des entrepôts et des ateliers où il stocke des objets à vendre pour les achats d'armes venant d'Angleterre. Grâce à sa viefrugale (il vit dans unetente), il enseigne à son peuple la nécessité de l'austérité et à travers l'éducation, il leur enseigne desconcepts tels que lanationalité et l'indépendance[20].
La paix prend fin lorsque leduc d'Orléans, héritier du trône, ignorant les termes dutraité de la Tafna, dirige une force expéditionnaire qui franchit lesportes de fer. Le, Abdelkader attaque les Français alors qu'ils colonisent lesplaines de la Mitidja et les met en déroute. En réponse, les Français luidéclarent officiellement la guerre le[31]. Les combats s'embourbent jusqu'à ce que le généralThomas Robert Bugeaud retourne en Algérie, cette fois en tant quegouverneur général, en. Abdelkader est initialement encouragé en entendant que Bugeaud, le promoteur du Traité de la Tafna, revient. Mais cette fois, la tactique de Bugeaud est radicalement différente ; son approche est celle de l'annihilation, avec la conquête de l'Algérie comme finalité[20].
Captivité du trompette Escoffier et de ses camarades Briant et Wolff chez Abdelkader en 1843,estampe de 1870[32].
Abdelkader pratique uneguérilla efficace et, jusqu'en 1842, remporte de nombreuses batailles. Il signe souvent destrêves tactiques avec les Français. Sa base de pouvoir est dans la partie occidentale de l'Algérie, où il réussit à unir les tribus contre les Français.
Il est reconnu pour sachevalerie. Par exemple, il libère ses captifs français simplement parce qu'il n'a pas assez de vivres pour pouvoir les nourrir. Au cours de cette période, Abdelkader fait preuve deleadership politique et militaire et agit comme un administrateur compétent et un orateur persuasif. Sa foi fervente dans les doctrines de l'Islam est incontestée[réf. nécessaire].
Le maréchal Bugeaud n'a de cesse de poursuivre Abdelkader, dont il prend la capitale,Mascara, en 1841[33].
Carte et timbre en l'honneur d'Abdelkader et Bugeaud, 1950.
La résistance d'Abdelkader est réprimée par le maréchal Bugeaud, qui s'adapte à la tactique de guérilla. Si Abdelkader frappe vite et disparaît dans le terrain avec l'infanterie légère, les Français augmentent leur mobilité. Lesarmées françaises répriment brutalement la population indigène et pratiquent lapolitique de la terre brûlée.
En 1841, ses fortifications presque détruites, Abdelkader est forcé d'errer à l'intérieur d'Oran. En1842, il perd le contrôle deTlemcen et ses lignes de communication avec leMaroc ne sont pas efficaces.
La capitale ambulante de l'émir, sa "smalah ", est surprise le 16 mai 1843, àTaguin, par leduc d'Aumale, l'un des fils cadets du roi Louis-Philippe[33].
Abdelkader réussit à passer la frontière du Maroc pour un sursis mais les Français battent lesMarocains à labataille d'Isly[20]. Il quitte le Maroc et continue le combat contre les Français, en prenantSidi Brahim, à labataille de Sidi-Brahim en[20]. En 1846, il opère sa jonction avec lesKabyles et n'est repoussé vers le Maroc qu'avec de grandes difficultés[34].
Représentation artistique de la capitulation d'Abdelkader en 1847.
Abdelkader est en fin de compte contraint dese rendre. Son échec à obtenir le soutien des tribus de l'Est, à l'exception desBerbères de l'ouest de laKabylie, contribue à l'étouffement de la rébellion, et un décret d'Abd al-Rahman du Maroc, après letraité de Tanger, bannit l'émir de tout son royaume[29]. Le, Abdelkader se rend au généralLouis de Lamoricière en échange de la promesse qu'il sera autorisé à aller àAlexandrie ou àAcre[20]. Il a commenté sa propre reddition avec les mots :« Et Dieu défait ce que ma main a fait » (bien que cela soit probablementapocryphe). Sa demande est acceptée et, deux jours plus tard, sa reddition est rendue officielle au gouverneur général français d'Algérie,Henri d'Orléans,duc d'Aumale, auquel Abdelkader remet symboliquement son cheval de bataille[29]. En fin de compte, cependant, le gouvernement français refuse d'honorer la promesse du général de Lamoricière : Abdelkader est envoyé en France et, au lieu d'être autorisé à être conduit en Orient, est gardé en captivité[20],[29].
Tombe auchâteau d'Amboise, de27 membres de la suite d'Abdelkader morts durant son séjour en ce lieu, dont l'une de ses femmes, un de ses frères et deux de ses enfants.
Louis-Napoléon Bonaparte (plus tard l'empereur Napoléon III) est un président relativement nouveau, arrivé au pouvoir à la suite de larévolution de 1848 alors qu'Abdelkader était déjà emprisonné. Il tient à rompre avec plusieurs politiques du régime précédent et la cause d'Abdelkader en fait partie[29]. Finalement, le, il est libéré par le prince-président et reçoit une pension annuelle de100 000 francs[35] et prête serment de ne plus jamais fomenter de troubles en Algérie.
Abdel Kader, gravure de 1850.
Il s'installe alors àBursa, aujourd'hui enTurquie, et déménage en 1855 dans le district d'Amara àDamas. Cette année-là, il écrit uneÉpître aux Français, dans laquelle il déclare :
« Les habitants de la France sont devenus un modèle pour tous les hommes dans le domaine des sciences et du savoir[36]. »
Il se consacre de nouveau à lathéologie et à laphilosophie et compose un traité philosophique dont une traduction française est publiée en 1858 sous le titre deRappel à l'intelligent. Avis à l'indifférent[37]. Il écrit un article sur lecheval barbe, traitant également de l'origine desBerbères[38].
Pendant son séjour à Damas, il se lie d'amitié avecJane Digby, ainsi qu'avecRichard Francis Burton etIsabel Burton. La connaissance dusoufisme et les connaissances linguistiques d'Abdelkader lui font gagner le respect et l'amitié de Burton. La femme de ce dernier, Isabel, le décrit comme suit :
« Il s'habille uniquement en blanc … enveloppé dans l'habituel burnous enneigé … si vous le voyez à cheval sans le savoir être Abdelkader, vous le feriez sortir … il a le siège d'un gentleman et d'un soldat. Son esprit est aussi beau que son visage[39]. »
Tableau représentant l'émir Abdelkader, protégeant leschrétiens àDamas en 1860, lors desmassacres commis par lesDruzes.
En, le conflit entre lesDruzes et lesmaronites dumont Liban s'étend àDamas, et les Druzes locaux attaquent le quartier chrétien, tuant plus de 3 000 personnes. Abdelkader prévient auparavant leconsul de France ainsi que le consul de Damas que la violence est imminente. Quand le conflit a finalement éclaté, il abrite un grand nombre dechrétiens, y compris les chefs de plusieursconsulats étrangers ainsi que des groupes religieux tels que lessœurs de la Miséricorde, dans sa maison, en sécurité. Ses fils aînés sont envoyés dans les rues pour offrir à tous les chrétiens un abri contre la menace, sous sa protection, et il est dit par beaucoup de survivants, qu'Abdelkader lui-même a joué un rôle essentiel dans leursauvetage.
« Nous étions consternés, nous étions tous convaincus que notre dernière heure était arrivée […]. Dans cette attente de la mort, dans ces moments d'angoisse indescriptibles, le ciel nous a envoyé un sauveur ! Abd el-Kader est apparu, entouré de ses Algériens, une quarantaine d'entre eux. Il était à cheval et sans armoiries : sa belle figure calme et imposante contrastait étrangement avec le bruit et le désordre qui régnaient partout. »
Les rapports publiés enSyrie, alors que les émeutes se sont calmées, soulignent le rôle prééminent d'Abdelkader, suivi d'une reconnaissance internationale considérable.
Le 18 juin 1864, il est initié à lafranc-maçonnerie par laloge « Les pyramides d'Égypte » d'Alexandrie, par délégation de la Loge parisienne « Henri IV »[49],[50],[51].
En 1865, il visiteParis à l'invitation deNapoléon III et est accueilli avec un respect tant officiel que populaire.
En 1871, lors de larévolte de Mokrani en Algérie, il renie un de ses fils qui a tenté de soulever les tribus autour deConstantine[20].
Abdelkader meurt àDamas le et est enterré près du grand soufiIbn Arabi, à Damas.
Son corps est retrouvé en 1965 et repose aujourd'hui aucimetière d'El Alia, àAlger. Afin de cimenter la cohésion nationale, la famille avait donné l'autorisation de transférer ses restes de Syrie vers l'Algérie à la condition que son arrière-petit-filsAbder Razak Abdelkader, détenu par le gouvernement algérien, soit libéré ; à cet effet, celui-ci est expulsé vers la France[54]. Le transfert des restes de l'émir fait l'objet d'un film, intituléPoussières de Juillet, réalisé en 1967 parKateb Yacine etM'hamed Issiakhem[55], unique collaboration entre ces deux figures de la modernité artistique et littéraire algérienne.
Dès le début de sa carrière, Abdelkader inspire de l'admiration, non seulement de l'intérieur de l'Algérie, mais aussi desEuropéens, tout en combattant contre les forces françaises. La« généreuse préoccupation, la tendre sympathie » qu'il montre à sesprisonniers de guerre est« presque sans parallèle dans les annales de la guerre »[56], et il prend soin de respecter lareligion privée des captifs. En 1843, lemaréchal Soult déclare qu'Abdelkader est l'un des trois grands hommes vivants sur terre ; les deux autres, l'Imam Shamil etMéhémet Ali d'Égypte, sont aussimusulmans[57]. Il est respecté comme l'un des plus grands de son peuple[20].
À partir de 1843, les représentations et descriptions d'Abd el-Kader sont moins fantaisistes et insistent sur la noblesse du personnage, dont les valeurs (distinction, sobriété, piété…) participent à la mise en place d'un portrait valorisant qui s’inscrit dans la tradition ancienne de reconnaître un caractère chevaleresque à l’adversaire oriental[58]. Ainsi, Abd el-Kader est déjà une « légende » lors de sa reddition en 1847. Les représentations de l'épisode louent donc conjointement la victoire de la France et la dignité du vaincu. À la fin de la monarchie de Juillet, l’émir possède une grande renommée et une « extrême popularité »[58].
Popularité qui se conservera après la chute de la monarchie. Lorsque le prince président le libère en 1852 lors de sa rencontre à St Cloud, il est « l’idole de Paris »[58]. C’est à ce contexte qu’appartiennent le tableauNapoléon, prince-président, recevant l'émir Abd-el-Kader au palais de Saint-Cloud de Gide[59] et le reliefL’empereur reçoit Abd el-Kader au palais de Saint Cloud de Carpeaux, inspiré de laMort du Général Marceau par Lemaire[60]. Cette œuvre a pour but de montrer qu’à la différence de la monarchie qui emprisonne, Napoléon III libère. L’œuvre rappelleLes Pestiférés de Jaffa et l’attitude des personnages inscrit cette scène dans la tradition du roi thaumaturge[61].
Dans l’Algérie post-coloniale, Abdelkader va aussi connaître une réutilisation de son image. Alors qu'il est absent des premiers discours des Algériens luttant contre la colonisation (son lien avec la France l’ayant discrédité), il devient une figure nationale à partir de 1964 et sert à justifier l’abandon du système des tribus au bénéfice d’une unité centrale[63]. François Pouillon remarque que dans un ouvrage publié en 1974 par le ministère de l’Information et de la Culture, aucune photographie n’est reproduite. Cela permet de ne conserver que l’image du résistant en omettant la possibilité de connivence avec la France. En effet, les photographies le montrent généralement portant sa Légion d’Honneur, ce qui ne correspond pas à la lecture nationaliste. De même, son appartenance au soufisme était cachée[64],[65].
Dès les années 1836-1837, des représentations d’Abd el-Kader apparaissent dans des éditions françaises qui sont majoritairement fantaisistes, donnant un aspect rude au personnage. À partir de 1843, un souci d’exactitude dans la représentation apparaît[58].
Une médaille à l'effigie d'Abdelkader est gravée parAntoine Bovy en1862. L'effigie du droit est inspirée du portrait peint parAnge Tissier en1852. Elle porte l'inscription suivante au pourtour :
« Émir de l'Afrique du Nord. Défenseur de la nationalité Arabe. Protecteur des chrétiens opprimés * 1862 »
et dans le champ :
« Jugurtha moderne / Il a tenu en échec / L'une des plus puissantes nations / De la Terre / Pendant 14 ans son histoire / Est celle de nos revers et de nos succès / En Afrique / Il fait sa soumission le 23 décembre 1847 / Un décret magnanime de Napoléon III / Lui rend la liberté le 2 décembre 1852 / En 1860 il s'acquitte envers l'Empereur / En devenant la providence / Des chrétiens de Syrie / La France / Qu'il a combattue / L'aime et l'admire »
La ville d'Elkader dans l'Iowa auxÉtats-Unis porte le nom d'Abdelkader. Les fondateurs de la ville Timothy Davis, John Thompson et Chester Sage ont été impressionnés par son combat contre le pouvoir colonial français, et ont décidé de choisir son nom, pour le nom de leur nouvelle colonie en 1846[72].
L'émir est considéré par leFLN depuis 1962, comme le fondateur de l’État algérien moderne[73].
Une « Maison de l’émir » sera construite à Alger[74].
Un film :À la recherche de l'Émir Abd El-Kader est réalisé par Mohamed Latreche, en 2004[75].
En 2013, le cinéaste américainOliver Stone annonce la production prochaine d'unfilm biographique intituléThe Emir Abd el-Kader, qui serait réalisé parCharles Burnett[76], cependant, le projet de réalisation est gelé en 2017[77]
La bourse « Abdelkader » est une bourse post-doctorale de l'Institut des hautes études en culture de l'Université de Virginie[78].
L’Algérie demande à la France de restituer un sabre, un burnous et d’autres « biens symboliques » de l’émir conservés au château d’Amboise où il a été prisonnier. Cette restitution est présentée par l'Algérie comme une des conditions de la visite en France du présidentAbdelmadjid Tebboune[79].
Au début duXXe siècle, les fils d'Abdelkader exilés enSyrie étaient au nombre de neuf, les filles de cinq, mariées à des cousins. Son fils Hachem rentre enAlgérie en 1892 et meurt àBou Saâda en 1900, laissant deux fils dont l’un, Khaled, qui jouera un rôle politique important en Algérie[80].
Des huit autres fils de l'émir, deux seulement demeurentsujets français, dont Omar Abdelkader ben Abdelmalek El-Djazairi qui sera pendu par les Turcs àDamas le 6 mai 1916, officiellement pourtrahison envers l’islam de laSublime Porte (en fait, il avait combattu la colonisation ottomane auLevant)[81]. Les autres fils prirent lanationalité turque. L’aîné Mohamed et son frère Mahieddine deviennent des sénateurs de l’Empire ottoman[80].
Son autre fils, Abdelmalek, a eu une carrière mouvementée ; il intègre l’armée ottomane, puis gagneTanger en 1902. Il rejoint la rébellion deBouamama en Algérie puis il devient inspecteur général de la police chérifienne à Tanger. Avant de rejoindre, en 1915,Raissouli, le chef rebelle, dans leRif, au milieu des populations hostiles à la France[80].
Le sixième fils d’Abdelkader, Abdallah, est arrêté en 1909 pourcomplot contre laConstitution ; il échappe à la pendaison grâce à l’intervention de l’ambassade de France et retourne à Damas[80].
L'émir Ali, chef du clan ottoman de la famille est le seul à avoir eu un rôle politique de quelque importance enSyrie ; son influence est considérable à Damas et dans toute la Syrie. Il a épousé la sœur d'Ahmed Izzet Pacha. Il parvient à se rapprocher du gouvernement desJeunes Turcs et devient Président du comité « Union et Progrès » de Damas. Quand lesItaliens en 1911 entreprennent la conquête de laTripolitaine, la Sublime Porte charge Ali Pacha d’organiser la résistance des tribus arabes. Ensuite, il devientdéputé de Damas en 1913[80]. Son fils Saïd alimente une campagne de presse dans leRaî el Aâm et leMouhadjir contre la politique française enAfrique du Nord[80].
Après sa mort, ses descendants continuent de percevoir une pension du gouvernement français. En1979, laCour des comptes relève que ses descendants perçoivent encore cette rente (1,3 million de francs par an), qui a été supprimée depuis[82].
L'émir Khaled commence par une carrière de soldat dans l'armée française, puis entame une carrière politique et milite activement pour l'indépendance de son pays. L'émir Khaled est considéré comme le premier fondateur dunationalisme algérien[83].
Chiʻr al-Chaykh al-Ḥādj ʻAbd al-Qādir wa ḥukm charʻī li-al-ʻAskar al-Muḥammadī, textes publiés par le capitaine Boissonnet, Paris/Alger, Hashit, 1848 (poèmes et textes d'Abdelkader, en arabe ; introduction en français[91]).
La correspondance d'Abdelkader n'a pas été éditée, selon El Mouradia.
Le livre d'Abd-el-Kader intitulé : Rappel à l'intelligent, avis à l'indifférent : Considérations philosophiques, religieuses, historiques, etc. : traduites avec l’autorisation de l’auteur sur le manuscrit original de la Bibliothèque impériale (trad. Gustave Dugat), Paris, Librairie de l'Institut,(lire en ligne)
↑Fils deTurcs et de femmes du pays, lesKouloughlis se trouvent dans une position intermédiaire au sein d’une hiérarchie sociale très marquée. Considérés comme inférieurs aux Turcs, ils constituent pourtant uneinfanterie à disposition du souverain (voirMarcel Émerit,L’Algérie à l’époque d’Abd-el-Kader, présentation de René Gallissot, Paris, Editions Bouchène, 2002 (1re édition, Paris, Éditions Larose, 1951), pp. 10-12).
↑La majorité des sources modernes donnent le 6 septembre 1808 ; mais la date précise n'est pas claire. Les premières sources arabes notent sa naissance comme ayant eu lieu entre 1221 et 1223anno hegiræ (i.e. 1806-1808) avec des travaux biographiques écrits par ses fils, indiquant,Rajab 1222. Pour une discussion complète du problème, voir : Bouyerdene (2012), chapitre 1 ; note 14.
↑A.Giacobetti,Kitab en-Nasab: généalogie des Chorfa, Typographie A. Jourdan,(lire en ligne),p. 345-346
↑a etbAbdelkaderBoutaleb,L'émir Abd-El-Kader et la Formation de la Nation Algérienne : De L'emir Abd-El-Kader à la Guerre de Libération Nationale, Prose Publishing,, 410 p.(ISBN978-0-9575177-2-1,lire en ligne),p. 55.
↑Henryd'Estre,Les conquérants de l'Algérie (1830-1857) : Avec 55 illustrations hors texte, dont 24 portraits et 9 cartes, FeniXX réédition numérique,, 372 p.(ISBN978-2-307-10915-0,lire en ligne).
↑Ahmed Bouyerdene,Emir Abd el-Kader: Hero and Saint of Islam, trans. Gustavo Polit, World Wisdom 2012.
↑Isabel Burton,Inner Life of Syria, Palestine and the Holy Land, 1875, vol. II, cité dans Mary S. Lovell,A Rage to Live: A Biography of Richard and Isabel Burton (1998), Abacus 1999, p. 513.
↑« [Les nationalistes] refusent de reconnaître le rôle d'ami de la France joué par l'émir à Damas sous le Second Empire. En 1860, en effet, Abd-el-Kader intervint pour protéger les chrétiens lors des massacres de Syrie, ce qui lui valut d'être fait grand-croix de la Légion d'honneur par Napoléon III »,Jean-Charles Jauffret,La Guerre d'Algérie par les documents, Volume 2, Service historique de l'Armée de terre, 1998,p. 174.
↑« Notre ancien adversaire en Algérie était devenu un loyal ami de la France, et personne n'ignore que son concours nous a été précieux dans les circonstances difficiles » dansArchives diplomatiques : recueil mensuel de diplomatie, d'histoire et de droit international, Numéros 3 à 4, Amyot, 1877,p. 384.
↑N. Achrati,Following the Leader: A History and Evolution of the Amir ‘Abd al-Qadir al-Jazairi as Symbol,The Journal of North African Studies Volume 12, Issue 2, 2007 :« Les Français ont continué de payer sa pension et à surveiller ses activités, et 'Abd al-Qadir est resté un« ami de la France » autoproclamé jusqu'à sa mort en 1883. ».
↑Louis Lataillade,Abd el-Kader, adversaire et ami de la France, Pygmalion, 1984.
« [Abdelkader a été] transféré à Damas par Napoléon III.Là, il devint un ami de la France, sauvant douze mille chrétiens des Turcs lors des massacres de Damas, et refusa de s'allier aux insurgés d'Algérie en 1870. »
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↑Loge Henri IV (Paris),Tenue solennelle du 1er septembre 1864 : initiation de l'Emir Abd-El-Kader, Paris, Editions du Grand Orient de France,, 42 p.(lire en ligne),p. 9.
↑MouloudKebache,« Abd el-Kader et la franc-maçonnerie française : une relation controversée », dansAbd el-Kader, un spirituel dans la modernité, Presses de l’Ifpo,(ISBN978-2-35159-327-1,lire en ligne),p. 83–98.
↑Christelle Taraud, « Les quatre vies d'Abd el-Kader »,LHistoire, N° 467, janvier 2020, p. 64-65.
↑Miki Kilali, « Interroger le rôle d'Abd el-Kader dans le percement de l'isthme de Suez, ou comment sa métamorphose permet la construction d'un pont entre l'Orient et l'Occident »,Enquêtes, N° 5, septembre 2020,lire en ligne.
↑ab etcCaroleBoidin, « Le Jugurtha des Français ? Représentations d’Abd el-Kader dans la littérature et la culture de jeunesse françaises à l’époque coloniale »,Strenæ. Recherches sur les livres et objets culturels de l’enfance,no 3,(ISSN2109-9081,DOI10.4000/strenae.474,lire en ligne, consulté le).
↑Salim Aggar, « Un buste de l'Émir Abdelkader à Genève »,Tayeb Louh participe à la cérémonie officielle du siège du Cicr,(lire en ligne).
↑Gauthier de Voland, « L’esprit de l’Émir Abd El Kader, le souffle du sacrifice algérien durant la Grande guerre et les conseillers de l’Elysée »,Vu de Paris,(lire en ligne).
↑Jeff Sneider, « Oliver Stone to Executive Produce Biopic of Algerian Leader Emir Abd el-Kader »,Charles Burnett ("Killer of Sheep") will direct the film for Cinema Libre Studio,(lire en ligne).
↑Jean-FrançoisLegrain,Transformations sociales et revendications nationales dans le Proche-Orient (1876-1945),(lire en ligne),p. 44.
↑Le 16février 1994, un nouveau citoyen nommé Dov Golan, né le 13 octobre 1914, est enregistré en Israël sous le numéro d’identification 309656478 avec les noms du père, tels qu’ils figurent sur le certificat, Said, et celui de la mère, Hosnia.
Abd el-Kader et l'Algérie au XIXe siècle dans les collections du musée Condé à Chantilly (exposition, Jeu de Paume duMusée Condé, Chantilly, 22 février-21 avril 2003), Somogy/Paris-Méditerranée/Edif,(ISBN2-85056-631-4)
Un héros des deux rives, Abd el-Kader, l'homme et sa légende (exposition, 26 février-23 juin 2003,Hôtel de Soubise), Centre historique des archives nationales,(ISBN2-86000-300-2)
L’Émir Abd el-Kader : un homme, un destin, un message, exposition itinérante inaugurée en décembre 2002 à la bibliothèque de l’Institut du monde arabe — un cahier en couleur intitulé « L'Émir Abd el-Kader, itinéraire d'un homme d'action et de méditation » (31 p.) et basé sur l’exposition est publié conjointement aux textes des actes de la journée d’études du 14 décembre 2002 dansL’Émir Abd el-Kader, témoin et visionnaire, 2004.
À propos d'Abdelkader : en hommage au plus illustre prisonnier duchâteau de Pau (textes réunis par Paul Mironneau et Claude Menges), Pin à crochets,(ISBN2-911715-05-5)
Alexandre Bellemare,Abd el-Kader : sa vie politique et militaire, Paris, Hachette, 1863 (réédition : Paris, éditions Bouchène, « Bibliothèque d’histoire du Maghreb », 2003(ISBN978-2-912946-51-5)).
Cheikh Khaled Bentounès, Dr Boualem Bessaïh, Dr Cheikh Bouamraneet al.,L'émir Abdelkader : l'épopée de la sagesse, Alger (Algérie), Z. Bouzid ed.,, 311 p.(ISBN9789961771075,OCLC880975188).
(en)Charles Henry Churchill(en),Life of Abd el-Kader, Londres, Chapman and Hall,(lire en ligne) [traduction en français :La Vie d'Abd el-Kader, Alger, SNED, 1971 (rééditions : 1974, 1981, 1991)].
« Abd el-Kader », numéro spécial de la revueLe Cheval de Troie,, 128 pp. [contributions de Houriyah Abdelouahed, Michel Chodkiewicz, Jean-François Clément, Claudette Dupraz, Bruno Étienne, Fathi Ghlamallah, Karima Hirt ; textes de l'émir].