Pour Marion, leTres Valles duXIIe siècle est unevilla à l'emplacement de l'abbaye actuelle[7] ; pour Richard, le nom désigne le territoire des vallons de l'Oiserolle, des Godeaux (les Gordots) et de Saunière, tandis que pour Fyot, il englobe tout le bassin de l'Arvo y compris Crosson, la Forêt, Comberainbeuf, et une portion de la vallée de l'Ouche[8]. Il n'y a pas de cours d'eau dans le vallon de Saunière ; par contre, l'Arvo tout à fait en amont est bien divisé en trois petits bras, dans les vallons de l'Oiserolle, des Gordots et du Champ Piquet ; les trois bras se réunissent à la ferme de Crosson, qui correspond bien à un lieu où trois vaux se rencontrent[loc 1].
L'ordre de Cîteaux, pourtant âgé de seulement 33 ans, a déjà acquis une grande renommée ; Gauthier s'adresse àÉtienne Harding, troisième abbé deCîteaux, pour peupler la nouvelle abbaye de ses moines. Harding envoie treize moines, dont l'un, Gauthier, est nommé supérieur[5]. En septembre[6] ou, Garnier de Sombernon confirme sa donation devant leduc de BourgogneHuguesII et la duchesse Mathildede Mayenne[9]. À cette occasion,HuguesII déclare prendre la nouvelle abbaye sous sa protection spéciale et, sous son instigation, Bouchard, prieur deVergy, fait lui aussi une donation : toute la terre depuis lavilla Croat (actuellementles Gruey[note 3]) jusqu'à la rivièreOscre (l'Ouche), et depuisle pont de l'Ouche jusqu'àCombam Raibo (Comberainbeuf[loc 2]). En compensation, Hugues donne à Vergy tout ce qu'il possède sur les territoires deFlagy (Flagey) et deVeone (Vosne - celui duVosne-Romanée[loc 3])[7].
Lors de ce transfert, Garnier, décidément généreux, achète des biens proches de la nouvelle abbaye et les donne à celle-ci ; il fait ratifier cette donation par Arnoul le Cornu, qui tient ces biens en fief[7]. Il donne aussi aux moines les droits de pâturage et de pêche sur toutes ses terres et le droit d'usage dans ses bois - mais se réserve le droit de chasse. Le territoire de l'abbaye est alors divisé en deux parties : l'amont de l'Arvo (leTres Valles d'origine) et l'aval vers la confluence ; Crosson, qui se trouve au point de passage obligé pour accéder aux trois petites vallées de l'amont, voit ses terres endommagées par les fréquentes allées et venues des convers et des sergents de l'abbaye. Les plaintes vont loin, puisqu'on les retrouve dans une bulle du papeAlexandreIII. Mais cet inconvénient dure peu : vers 1140, Aymond de Drée, qui tient Crosson enalleu, le donne à l'abbaye ; dans la charte de donation, il est spécifié que le hameau est « enclos dans les terres de l'abbaye »[12].
Les travaux de construction sont activement poussés, mais Garnier meurt avant de les voir terminés. La grande église qu'il a commencée est achevée en 1172 au frais de Ponce-de-Mont-Saint-Jean, seigneur deCharny ; dédiée à Marie selon la tradition cistercienne, elle est consacrée la même année parPierre le Vénérable,évêque de Tarentaise et ancien moine de Cîteaux, qui traverse le pays en chemin vers l'Angleterre où il a pour mission de réconcilier leroiHenriII Plantagenêt et son filsHenri le Jeune[13].
Les évêques d'Autun, qui voudraient soumettre l'abbaye à leur juridiction diocésaine, n'ont même pas le droit de visite (qui entraîne un coût parfois élevé pour l'établissement hôte) et se heurtent aux abbés de la Bussière : au-delà des privilèges généraux dont bénéficie l'ordre de Cîteaux, la Bussière a des privilèges spéciaux qui tiennent tant du pouvoir séculier que de l'ecclésiastique ; et ces privilèges spéciaux ont été confirmés par les papesLuceIII en 1180 etNicolasIV le. Querelles, plaintes et réclamations sans cesse renouvelées vont devant les abbés de Citeaux ou les ducs de Bourgogne[23] mais aucun accord n'est atteint[24].
En 1345Guy de la Chaume (1345 - †),évêque d'Autun nouvellement installé, veut faire plier la Bussière. Il obtient des lettres deClémentVI ordonnant à l'abbé de recevoir les commissaires de l'évêque et de leur payer undroit de past de 10livres petits tournois. Hugues de Pressac, député par les commissaires et armé des lettres papales, se présente à l'abbaye - où il n'est pas reçu. L'exhibition des lettres amène l'abbé à se retrancher derrière ses privilèges ; trois sommations devant témoins restant sans résultat, Pressac fait rédiger par un clerc du bailliage de Vitteaux un procès-verbal du refus de le recevoir et se retire en menaçant le couvent d'excommunication et autres sanctions ecclésiastiques. L'affaire n'en est très probablement pas restée là mais, comme on peut s'y attendre, les archives de la Bussière ne contiennent rien de plus sur ce point. Les évêques n'ont peut-être eu d'autre recours que de se lasser devant la porte close et de laisser les abbés régner en paix sur leur maison[24].
En les Anglais assiègentSavigny, la prennent le et s'en servent comme base pour écumer les alentours pendant six semaines. Les moines fuient comme tous les autres habitants des petites places, et se réfugient dans leur maison de Dijon. Letraité de Brétigny, qui ouvre sur neuf ans d'une trêve inconfortable, intervient en ; les écumeurs s'en vont, les moines reviennent et constatent les dégâts. Quelque18 mois après, ils ont l'opportunité d'adresser leurs prières auroiJean le Bon : le jeuneduc de BourgognePhilippe de Rouvre étant mort à 15 ans en 1361, Jean vient prendre possession du duché. C'est l'occasion pour lui de mériter de son surnom, car il est disposé à plaire à ses nouveaux sujets et reçoit avec bienveillance la demande d'aide de la Bussière. Il octroie à l'abbaye assez de subsides pour la remettre sur pied[26].
L'établissement accueille en toute fin de siècle la sépulture de Marguerite de Ventadour (? - 7 déc. 1399), fille deBernardIIcomte de Ventadour etde Montpensier, dame d'Antigny, devenuecomtesse de Joigny en épousant Miles de Noyers vers 1376/1378 et qui a donné à la Bussière sa maison deBuone (Beaune ?) avec ses dépendances. Elle est enterrée dans l'église de l'abbaye[27] ainsi que Loys de la Trémoille, sirede Joigny, deBourbon-Lancy et deTonnerre, mort le[19],[note 6].
À la Révolution, les moines sont chassés en 1791 et l'abbaye est vendue aux enchères. L'église abbatiale construite en 1140 devient église paroissiale.
Le domaine est transmis en 1856 auxHély d'Oissel, qui commencent à faire restaurer l'église et à y faire transporter les derniers gisants[30]. À partir de 1897, leur fils, le baronJean-Léonce Hely d'Oissel (1833-1920), entreprend une restauration générale qu'il confie à l'architecteCharles Suisse, architecte diocésain depuis 1874[31], et au sculpteurXavier Schanosky[32], pour un coût final de 264 347,44 Francs de l'époque, soit 4 229 984 Francs en 1989[33]. La sacristie et l'armarium ensemble deviennent la « chapelle des fondateurs »[MH 2]. En 1921, l'abbaye passe à sa fille, la marquisede Ségur. Devenue veuve et sans descendance, cette dernière en fait don en 1929 à l'évêché de Dijon pour qu'il accueille des retraites spirituelles. Elle prend cependant à sa charge, jusqu'à sa mort en 1935, une grande part du coût des travaux de restauration dirigés par Tillet, architecte des monuments historiques pour l'église, et par l'architecte ordinaire Forey pour l'abbaye[30],[34].
La maison d'accueil dudiocèse de Dijon fonctionnant à partir des années 1960 a fermé en 2005. Les bâtiments ont été rachetés en 2005 et restaurés pour créer un château-hôtel de luxe, membre du réseauRelais & Châteaux, dans un parc de7 hectares ; l'établissement a reçu sa première étoile auguide Michelin2007. De 1967 à 1977, l'abbaye a accueilli les réunions informelles d'un groupe d'historiens qui devient par métonymie leGroupe de la Bussière[35]. En 1988, le docteur François Alix, passionné degnomonique, fait réaliser à l'abbaye un cadran solaire de typeanalemmatique de 6 × 4,40 m qui donne l'heure légale d'été de 6h du matin à 9h du soir[36].
L'église Notre-Dame-des-Trois-Vallées est attenante à l'abbaye mais non dépendante de cette dernière ; on peut encore la visiter en été. Son extérieur a été restauré peu avant 2010, pour un coût d'un million d'euros.
Suit une liste chronologique des abbés de la Bussière. Sauf indications contraires, les noms et autres renseignements sont ceux donnés par l'abbéHugues du Tems (voirDu Tems 1775, ch. « Évêché d'Autun »,p. 478-479).
(22e) ? - 1357 : Guy de Châteauneuf, meurt le 22 juillet 1357.EudesIV cède à l'abbaye le cimetière des juifs à Dijon, sur lequel Guy de Châteauneuf fait subséquemment construire un hôtel abbatial. Marion situe cette donation en 1388[23], ce qui n'est pas possible puisque Eudes IV meurt en 1349.
1154 :Saint-Bénigne de Dijon donne lavilla de Croalt et le sixième de la grange de la Forêt, contre un cens de 9setiers, convertis (plus tard ?) en une rente de72 mesures de froment sur la grange de la Forêt[12].
1165 : pour 75 sols, l'abbaye acquiert de Guy de la Chaux[38] toutes les possessions de ce dernier dans le territoire des Deux Poiriers[note 8] (Duae Piroy) et au moulin de la Rochette ; son gendre Hugues Robert renonce en 1188 à ses droits sur ces biens. La grange des Deux Poiriers faisait probablement partie de la donation de septembre ou, car en 1159 la Bussière paye sept setiers de grain à Saint-Vivant[39].
~1169 : Guillaume de Beire et son frère Haymond donnent toutes leurs possessions sur les territoires deCroel (Croalt) et de la Forêt, contre cent sous et un cheval[39].
1175 : la Bussière conclut un arrangement avec Cîteaux pour les droits de pâturage sur le territoire des Deux Poiriers[39].
1286 : Saint-Bénigne échange la rente de72 mesures de froment sur la grande de la Forêt, contre une terre sur Veuvey appartenant à la Bussière « et beaucoup d'autres terres »[12].
~1180 : Garnier de la Chaux lègue un cens dû sur le territoire des Deux Poiriers[39].
L'église jouxtant l'ancienne abbaye est appelée parfois « église paroissiale de l'Assomption »[MH 2], parfois « église Notre-Dame-des-Trois-Vallées »[MH 1].
L'église est orientée et bâtie en forme de croix latine, et porte le style ogival "primaire" arrivé en Bourgogne sur la fin duXIIe siècle : formes sévères et peu d'ornements[13]. La nef est particulièrement haute ; elle est séparée des bas-côtés par des arcades ogivales sur des piliers carrés dont lechapiteau est fait d'une simple moulure. Il n'y a pas d'abside derrière le chœur, qui se termine par un mur droit percé de deux grandes fenêtres en ogive séparées par un contrefort carré[29].
Un bas-relief représente Marie debout, cheveux longs tombant sur les épaules, enveloppée d'un manteau et environnée de bandelettes déroulées qui, dans chacun de leurs plis, portent un des attributs que leCantique des Cantiques donne à l'Épouse et que les litanies appliquent plus tard à Marie. De nombreux symboles s'y trouvent : la tour, l'arche, la maison, l'étoile[27]...
La plus ancienne tombe dans l'église est en avant du chœur entre les transepts ; elle date de 1279 et est celle de Jean de Sombernon, doyen dePouilly. Les deux tombes les plus richement décorées sont celles de Marguerite de Ventadour,comtesse de Joigny et dame d'Antigny[27], morte le ; et de Loys de la Trémoille, sirede Joigny, deBourbon-Lancy et deTonnerre, mort le[19],[note 6].
Plusieurs types de tuiles plates de très grande taille (tout à fait hors norme pour des tuiles de Bourgogne) ont été trouvées dans les combles de l'église ; le même type de tuile a également été trouvé dans un comble de l'abbaye de Cluny. La toiture de l'église de la Bussière inclut quelques-unes de ces tuiles. Elles ont été datées duXVIe siècle, de 1520 pour deux lots et 1590 pour un autre lot[40].
Poêle de chauffage d'applique dont le corps est constitué de plaques en céramique partiellement endommagées à décor en bas-relief et glaçure de couleur marron, assemblées au plâtre ; les bandes de cerclage et bouches de tirage sont en laiton, les éléments chauffants en fonte ;2e moitiéXIXe siècle, 141 × 123 × 50 cm[MH 15].
Plat décoratif en faïence modelée et moulée avec glaçure à l'étain, orné d'une scène mythologique (Bacchus, etc.). Décor dans le style de la faïence italienne de la Renaissance mais forme dans le style duXIXe siècle.XIXe siècle, 15,5 × 48 × 35 cm[MH 37].
Le mobilier de l'abbaye listé dans labase Palissy mais non étudié[MH 59] comprendune dalle funéraire (fragment)[MH 60],une table[MH 61],deux fauteuils[MH 62],un canapé[MH 63],un tableau de saint François d'Assise[MH 64],la statue en pierre d'un moine[MH 65]et un cache-pot[MH 66].
Jules Marion, « Notice sur l'abbaye de La Bussière (Côte-d'Or) »,Revue de l'école des chartes, Bibliothèque de l'école des chartes,vol. 4,no 1,,p. 549-563(lire en ligne).
Martine Plouvier, « Essai d'histoire et de restitution architecturale des bâtiments de l'abbaye cistercienne de la Bussière »,M.C.A.C.O.,t. 23, 1980-1981,p. 275-314(lire en ligne, consulté le).
↑Selon Marion Ansbert lègueTres Valles "à son église cathédrale Saint-Symphorien" ; mais l'ancienne cathédrale d'Autun était non pas Saint-Symphorien maisSaint-Nazaire. Marion a peut-être pensé à l'abbaye Saint-Symphorien.
↑Citée au temps de la fondation de l'abbaye, la "villa Croat" n'est de nouveau mentionnée qu'en 1535 quand les religieux donnent à bail à Jehan Clémencet "dict Gruyer" cent journaux de terre situées entre autres "sous les roches du Boys de Créault", à charge de construire une grange et une maison - bâtiments dûment édifiés en 1556. En 1574 c'est la "grange de Cray", en 1625 la "grange de Créault", en 1676 la "grange de Cras". Il y a même une appellation inattendue en 1657 : "Créaut dict la Goue". LeXVIIe siècle nous donne ceci : "Esgruey autrement dit Créa" (voirColombet,p. 293-294). Les Gruey, hameau existant de nos jours, s'appelaitEsgruey sur lacarte de Cassini (voir « Esgruey » surGéoportail. Couche « Carte de Cassini » activée).
↑Marion date la donation du cimetière parEudesIV en 1388, ce qui n'est pas possible puisqueEudesIV meurt en 1349. Guy de Châteauneuf meurt le, selon l'abbé Du Tems.
↑a etbLouisII de Chalon-Tonnerre épouse en 1402 Marie, fille de Guy de la Trémoille, comte de Guînes. Le Loys de la Trémoille enterré dans l'église est probablement un de leurs descendants.
Les locations sont données surgeoportail.fr, cartes de l'IGN. Sauf indication contraire, seules les couches (= carte) « Cartes IGN classiques » et « Limites administratives » sont activées. Vous pouvez bouger la carte (cliquer et maintenir, bouger), zoomer (molette de souris ou échelle de l'écran), moduler la transparence, désactiver ou supprimer les couches (= cartes) avec leurs échelles d'intensité dans l'onglet de "sélection de couches" en haut à droite, et en ajouter depuis l'onglet "Cartes" en haut à gauche. Les distances et surfaces se mesurent avec les outils dans l'onglet "Accéder aux outils cartographiques" (petite clé à molette) sous l'onglet "sélection de couches".
↑(la)LeopoldJanauschek,Originum Cisterciensium : in quo, praemissis congregationum domiciliis adjectisque tabulis chronologico-genealogicis, veterum abbatiarum a monachis habitatarum fundationes ad fidem antiquissimorum fontium primus descripsit,t. I,Vienne, Puthod,, 491 p.(lire en ligne),p. 112.
↑Claude Courtépée,Description générale et particulière du duché de Bourgogne : bailliages d'Avallon, d'Arnay-le-Duc, de Saulieu et de Noyers , les bourgs, abbayes, villages du bailliage de la Montagne ; et l'histoire civile, ecclésiastique et littéraire d'Auxerre,vol. 6, Dijon, Causse,, 737 p.(lire en ligne),p. 160.
↑Bruna Filippi, « Le groupe La Bussière. Quelques étapes d'un parcours collectif », dansRevue d'Histoire de l’Église de France,t. 86, 2000,p. 735-745.
↑J.-F. Devalière, « Les cadraniers. Le cadran solaire du parc de la Colombière à Dijon »,Centre Régional De Documentation Pédagogique,(lire en ligne, consulté le).