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| Date | avril 1964 |
LeA cerclé ou leA anarchiste, s'écrivantⒶ, est unsymbole graphique et politique représentant le mouvement et l'idéologieanarchiste. Cherchant un symbole pouvant représenter facilement l'ensemble du mouvement, il est conceptualisé en avril 1964 par le groupeJeunesLibertaires de Paris à l’initiative deTomás Ibáñez et est représenté graphiquement parRené Darras. Le symbole reste d'abord confidentiel enFrance quelques années avant de se transmettre à l'Italie, surtout àMilan, en 1968. À partir du début des années 70, le A cerclé se répand en Italie, en France, puis dans le monde entier.
Sa simplicité à dessiner, son caractère rassembleur et son aspect synthétique font qu'il devient unsymbole central de l'anarchisme en un espace de temps relativement court. De manière notable, il n'est pas poussé par une organisation mais est adopté par le mouvement anarchiste de manière autonome, convenant bien à des fins de propagande politique et de rassemblement.
Le A cerclé est en partie responsable du renouvellement générationnel qui touche le mouvement anarchiste entre les dernières années duXXe siècle et la première moitié duXXIe siècle, permettant à un mouvement en perte de vitesse de se renouveler en trouvant un symbole nouveau, rassembleur et reconnaissable. Depuis sa création, il est dérivé sous de nombreuses formes.

L'une des plus célèbres de ces évolutions est la version« punk », où les traits du A dépassent du cercle. Il est désormais présent dans une partie importante de la planète et fait office de signe rassembleur entre les anarchistes de nombreux lieux différents.
Au cours duXIXe siècle, le développement du capitalisme voit la formation de plusieurs idéologies et mouvements politiques qui lui sont opposés, dont l'anarchisme[1]. Les anarchistes défendent la lutte contre toutes formes de domination perçues comme injustes, parmi lesquelles on trouve la domination économique, avec le développement ducapitalisme[2]. Ils sont particulièrement opposés à l'État, vu comme l'institution permettant d'entériner un bon nombre de ces dominations au travers de sa police, son armée et sa propagande[3].
Les anarchistes réutilisent d'abord les symboles des traditions républicaine et socialiste, comme ledrapeau rouge, mais s'en séparent à partir du début des années 1880, notamment avec lamanifestation du 9 mars 1883, oùLouise Michel arbore ledrapeau noir et fait de celui-ci un symbole central et traditionnel du mouvement[4]. Le drapeau noir est ensuite dérivé sous différentes formes par exemple dans le drapeau de laCNT, rouge et noir, qui donne un drapeau rouge et noir pour l'anarcho-syndicalisme.
Cependant, bien que ces symboles existent, aucun n'est facile à afficher ou propager, et contrairement auxmarxistes, qui disposent de lafaucille et du marteau, les anarchistes sont alors dénués de symbole rapide à dessiner qui les rassemblerait tous dans le même geste et le même signe[5].

Dans les années 1960, un vaste mouvement de contestation se fait sentir chez la jeunesse contre les institutions et valeurs vieillissantes de laFrance gaulliste et plus largement du monde occidental[5]. Cette jeunesse commence notamment a beaucoup écrire sur les murs et utiliser dugraffiti pour véhiculer ses idées[5]. Elle nécessite donc d'un signe de ralliement anarchiste simple et englobant[5].
En 1963,Tomás Ibáñez, un anarchiste espagnol de dix-neuf ans bien intégré au tissu anarchiste en France, qui participe à la fondation d'un groupe Jeunesse-Libertaire à Marseille et côtoie d'autres anarchistes notables de cette période commeHellyette Bess ouRené Bianco, s'installe à Paris pour suivre des études àla Sorbonne[6].

Il s'implique dans des initiatives anarchistes à la fois en Espagne et en France et en 1964, avec le groupe jeunesse libertaire de Paris publie un numéro duBulletin des Jeunesses Libertaires, en avril 1964, où est présenté le symbole que Darras se charge de dessiner en le proposant aux anarchistes etlibertaires du monde entier pour qu'ils le reprennent[5],[6],[7],[8]. Ibáñez écrit le texte explicatif suivant dans ce bulletin pour décrire l'invention du symbole et les raisons pour lesquelles leur groupe a entrepris cette initiative[5],[6],[8] :
Deux motivations principales nous ont guidés : d’abord faciliter et rendre plus efficace les activités pratiques d’inscriptions et affichages, ensuite assurer une présence plus large du mouvement anarchiste aux yeux des gens, par un caractère commun à toutes les expressions de l’anarchisme dans ses manifestations publiques. Plus précisément, il s’agissait pour nous d’une part de trouver un moyen pratique permettant de réduire au minimum le temps d’inscription en nous évitant d’apposer une signature trop longue sous nos slogans, d’autre part de choisir un sigle suffisamment général pour pouvoir être adopté, utilisé par tous les anarchistes. Le sigle adopté nous a paru répondre le mieux à ces critères. En l’associant constamment au mot anarchiste il finira, par un automatisme mental bien connu, par évoquer tout seul l’idée de l’anarchisme dans l’esprit des gens.

En décembre de la même année, Ibáñez réutilise encore une fois le A cerclé, cette fois en le mettant en titre d'un article qu'il écrit pour le journalAction libertaire[5].
Malgré cette invention et le début de l'usage, le symbole reste encore confidentiel dans un premier temps, étant sporadiquement partagé dans les cercles anarchistes en France[5],[8].

En 1966, deux ans plus tard, le symbole commence à être repris à« titre expérimental » selon les historiensMarianne Enckell etAmedeo Bertolo[5]. En 1968, la jeunesse libertaire de Milan - qui est en lien important avec les anarchistes parisiens - utilise celui-ci régulièrement et le répand en Lombardie et en Italie[5],[8].
Le A cerclé se répand dans le pays, puis, à partir de l'Italie - celui-ci commence à se propager dans le monde entier[5],[8].
Le A cerclé devient par la suite, et surtout à partir des années 1972-1973, un signe anarchiste international, qui transcende les frontières et se propage dans le monde entier[5],[8].

Cela est du en partie au fait qu'il est particulièrement simple à utiliser et dessiner mais aussi que le A rassemble tous les anarchistes sous une dénomination commune et partagée - Bertolo, Enckell etNormand Baillargeon remarquent par ailleurs qu'il se répand dans le monde sous une poussée autonome sans être imposé par une quelconque organisation[5],[8].
En réalité, au cours duXXe siècle, l'anarchisme perd peu à peu de l'importance par rapport à d'autres idéologies comme lecommunisme, soutenu par les moyens politiques et financiers importants de l'URSS ou de laChine[9]. L'anarchisme passe alors de plus en plus comme un mouvement de militants vieillissants en perte de dynamisme - le A cerclé est l'un des points permettant un renouvellement générationnel important dans les dernières décennies du siècle, qui voient le mouvement renaître et se reconstituer comme une force majeure de l'extrême-gauche[9]. Un autre de ces éléments permettant un renouvellement des militants est la stratégie dublack bloc[9].

En plus d'être un signe de rassemblement simple à dessiner et touchant de nombreuses cultures et peuples, le symbole connaît plusieurs variations, dont l'une des plus notables est sa version« punk », où les lignes du A central dépassent des bords[5],[10].
Cette version est complètement acceptée par Ibáñez, qui l'utilise comme exemple du fait que ce symbole ne serait pas - contrairement aux idées reçues dans certains cercles anarchistes - l'idée proudhonienne de l'anarchie contenue dans le cercle, qui serait synonyme de l'ordre[10]. Au contraire, selon lui, cette idée n'est pas du tout discutée lors de l'élaboration du signe, et il utilise les formes« punk » pour montrer en quoi l'évolution de ce symbole sous d'autres formes montrerait qu'il ne signifierait pas cette idée proudhonienne de l'anarchie contenue dans l'ordre[10].
L'historienne anarchiste américaineCindy Milstein considère qu'il s'agit d'un symbole représentant les deux idées fondamentales de l'anarchisme : l'abolition de toutes les formes de domination et d'organisation sociale hiérarchiques et leur remplacement par des formes de vie et d'organisation horizontales égalitaires[11].