Les Treize Colonies tirent directement leur nom du nombre de colonies britanniques établies sur la côte est de l'Amérique du Nord. Lorsque qu'il est question de parler de leur alliance face aux forces britanniques, on emploie également le terme deProvinces-Unies d'Amérique[4],[5],[6].L'expressionÉtats-Unis d'Amérique n’apparaît dans les sources que le ; en effet, lors de la déclaration d'Indépendance, le 4 juillet, l'appellation est celle deColonies-Unies d’Amérique.[réf. nécessaire]
Fondation des colonies anglaises d'Amérique (XVIIe siècle)
En1584, SirWalter Raleigh (1554-1618) explore les côtes de laVirginie, qu'il baptise en l'honneur de la reineÉlisabethIre[9]. En1585, une colonie est fondée sur une île de la côte Est, mais elle disparaît dans des conditions non élucidées. Le mathématicienThomas Harriot qui l'accompagne, dresse une première carte de la région et rédige le premier ouvrage d'importance sur l'Amérique du Nord.
Le roiJacques Ier (1603-1625) hérite du territoire compris entre le34e et le45e degré de latitude, qu'il partage entre laCompagnie de Londres et celle dePlymouth(en)[10]. Ces dernières espèrent découvrir des mines d'or et d'argent. C'est finalement lapêche à lamorue au nord et la culture dutabac au sud qui deviennent les bases de l'économie coloniale. Lafertilité du sol attire de nouveaux colons, et l'émigration anglaise est favorisée par les troubles politiques et religieux. La ville deJamestown est fondée en1607 par les envoyés de laVirginia Company sur les terres d'un chefpotomac,Powhatan : elle compte à cette époque une centaine d’habitants. L’agriculture et les conditions de vie sont mauvaises pour les colons, car les terres sont insalubres.
Fondation de la province de la baie du Massachusetts
En1620, une centaine dedissidents anglais débarquent duMayflower et fondentPlymouth (Massachusetts). Le mode d'organisation de la colonie a été discuté à bord du bateau : c'est leMayflower Compact. LesPères pèlerins nouent des relations de voisinage distant avec les indigènes qui leur permettent de survivre, en leur donnant du maïs, des potirons et des dindons. Les querelles religieuses en Angleterre renforcent l’arrivée de puritains dans cette région à partir de 1630. Mais il y a aussi de nombreux protestants allemands qui fuient la misère et les persécutions religieuses ; on compte ainsi 10 000 germanophones avant l’Indépendance. Les puritains deBoston etProvidence se lancent dans lecommerce triangulaire. Ils achètent des esclaves enAfrique et les revendent enVirginie, au Maryland ou sur les marchés antillais. Au milieu duXVIIe siècle, Boston est devenue, avec ses 3 000 habitants, le centre de laNouvelle-Angleterre. Des missionnaires tentent d’évangéliser les Indiens. De nouveaux groupes de protestants arrivent en Nouvelle-Angleterre :anabaptistes etquakers qui sont persécutés au Massachusetts et qui s’établissent dans des colonies voisines.
À partir de 1686, l’Angleterre change de politique coloniale et supprime leschartes octroyées aux colons d’Amérique. LaNouvelle-Angleterre devientdominion de la couronne, administrée par un gouverneur nommé et révocable par le roi. Laglorieuse révolution en Angleterre provoque des soulèvements parmi les colonsaméricains qui ne reconnaissent pas la nouvelle dynastie en Angleterre. Le Connecticut garde sa charte royale jusqu'en 1818[15].
En 1700, douze des treize colonies ont été fondées. La Géorgie rejoint les possessions britanniques en 1733.
Les treize Colonies de 1763 à 1781.Old State House (1713) à Boston. Ce bâtiment accueillait les assemblées de la colonie du Massachusetts.
Les Treize Colonies s'étendent sur plusieurs centaines de kilomètres le long de la côte atlantique. Il faut plusieurs semaines de navigation pour rejoindre l'Angleterre. Les communications entre les colonies étaient lentes et souvent difficiles : les routes existantes étaient en mauvais état et il existait peu de ponts[16]. Selon l'usage et par commodité, on dénombre du Nord au Sud, trois sous-ensembles parmi ces colonies et provinces et indique en gras, avec les colonies qui les composent, suivies du nom de l'actuel ou des actuels États correspondants (sur les dénominations voir ici) :LaNouvelle-Angleterre (New-England), sous laquelle on désignait déjà à l'époque moderne :
Les colonies du Nord forment laNouvelle-Angleterre dont la capitale et la ville la plus peuplée estBoston. Les premiers colons européens de la Nouvelle-Angleterre étaient despuritains anglais en quête de liberté religieuse. Ils ont donné à l'organisation politique régionale son trait distinctif, les « town meetings », réunions des habitants de chaque ville, souvent annuelles, pour y discuter les sujets politiques locaux et voter les décisions. Le peuplement était relativement homogène, pour l'essentiel constitué d'habitants des îles britanniques. En l'absence de terre fertile pour l’agriculture, la région s'est tournée vers l'artisanat et le commerce, notamment maritime avec une importante flotte de commerce, et lapêche (notamment celle à labaleine) qui étaient devenues les industries dominantes.
Les colonies médianes oudu Centre (Middle Colonies) :
Mount Vernon, propriété et plantation de George Washington en Virginie.
Les colonies du Sud (Southern colonies) :
la province de Nouvelle-Hollande (sous domination néerlandaise), puis Trois comtés du Delaware, sous la juridiction de la province de Pennsylvanie, et enfin province du Delaware (Delaware)
Marquées par unclimat subtropical, les colonies du Sud avaient une économie dynamique tournée vers l'agriculture commerciale, destinée à l’exportation (tabac,indigo,céréales). Elle utilisait une main-d'œuvre servile qui travaillait sur de grandes exploitations aux mains des planteurs. L'aristocratie blanche vivait sur ces grands domaines et se faisait construire de belles demeures. Le Sud était majoritairement rural et les villes y étaient rares et relativement peu peuplées (Charleston,Baltimore etNorfolk). La population d'origine africaine était plus nombreuse que dans les autres colonies.
Certains ouvrages évoquent un quatrième ensemble, les colonies dite de labaie de Chesapeake (Cheasapeake Colonies) pour désigner les provinces de Maryland et de Virginie.
L'organisation politique des colonies anglaises est radicalement différente de celle qui existait dans l’empire colonial espagnol à la même époque. Il n'existe pas device-roi mais une autorité qui reste centralisée àLondres.
Le pouvoir exécutif revient auConseil privé, qui comprend le secrétaire d'État au département du Sud (Secretary of State for the Southern Department), Christopher Robin, ce dernier s'occupant plus spécifiquement des colonies américaines. Il prend le nom en1768 desecrétaire d'État aux colonies de la Grande-Bretagne. LeBoard of Trade, créé en1696 comme auxiliaire du conseil privé pour les affaires coloniales, compte une quinzaine de membres[17]. Après1752, il exerce une autorité grandissante sur la politique coloniale en envoyant ses instructions aux gouverneurs.
Le Parlement britannique s'occupe de la politique commerciale, militaire et monétaire de même que d’une partie des affaires criminelles. Les lois qui en émanent et qui s'inspirent des théoriesmercantilistes, régulent l’activité commerciale avec les colonies[18]. La législation coloniale est donc votée par le Parlement et doit recevoir l'approbation du Conseil privé[19]. Elle ne peut être abrogée que par les parlementaires ou par le roi.
À la veille de larévolution américaine, seules les colonies du Connecticut et du Rhode Island maintiennent leur statut de colonie à charte. Les onze autres disposent alors de régimes similaires même si la terminologie des institutions pouvait varier d’une colonie à l’autre. Chaque colonie possède donc un statut propre qui dépend de son histoire, mais au-delà des différences institutionnelles, on peut distinguer trois catégories de colonie :
Leur statut dépend dechartes octroyées par le souverain à descompagnies maritimes privées. La charte définit les règles politiques de la colonie. Dans les années 1770, seules les colonies du Rhode Island et du Connecticut bénéficient de ce statut. Ces deux colonies sont sans doute celles qui jouissent de la plus grande autonomie du fait de l'existence de corps constitués. Le gouverneur et les principaux administrateurs (comme le lieutenant-gouverneur) sont élus par uneassemblée coloniale. Aux yeux des contemporains, comme pourFilippo Mazzei, ces colonies sont proprement démocratiques[20].
Leurs statuts politiques ont été définis lors de la reconnaissance par Londres de la fondation de la colonie. Ils reposent donc sur l'initiative d'un grand personnage, que l'on nomme le « propriétaire » (Lord Proprietor). L'exemple le plus connu est celui de la Pennsylvanie, quand, en1681,Charles II cède àWilliam Penn, les territoires qui correspondent aux provinces de Pennsylvanie et du Delaware et lui accorde en 1683, unFrame of Government. À l’origine le fondateur faisait office de gouverneur. Avec le temps, le gouverneur est désigné par les héritiers du fondateur de la colonie et leur choix doit être ratifié par Londres. En 1776, John Penn (1729-1795), petit-fils du propriétaire, exerçait les fonctions delieutenant-gouverneur de la Pennsylvanie. Les provinces comprises entre la Nouvelle-Angleterre et le Maryland avaient originellement pour propriétaire leduc d'York. La Géorgie, les Carolines et le New-Jersey bénéficiaient d'un statut similaire mais à la veille de l'Indépendance, les colonies de Propriétaires étaient au nombre de trois : la Pennsylvanie, le Maryland et le Delaware.
Les colonies de la Couronne (ou royales) comptent le New-Hampshire, le Massachusetts, la province de New York, le New Jersey, la Virginie, les deux Carolines et la Géorgie. Elles bénéficient d’uneConstitution rédigée par la couronne. On entend par « constitution », une somme des textes fondateurs, d'instructions successives données aux gouverneurs, modérées par l'expérience et la tradition. Pour autant, l’idée deconstitution au sens « moderne » fait son chemin. Ce sont les colonies où le contrôle de la métropole est par nature le plus étroit : le gouverneur nomme les administrateurs et dispose d’undroit de veto sur les discussions des assemblées locales. Un droit de veto renforcé par celui duConseil privé qui peut rejeter les décisions du gouverneur[21]. Ce dernier peut enfin dissoudre ou ajourner l’Assemblée coloniale. Une exception, celle de la province de la Baie du Massachusetts, qui bien que titulaire d'une charte (1691) est une colonie de la Couronne.
En somme, les provinces et colonies jouissent d'organisations profondément diverses. L’existence de nombreuxprivilèges imposent leur marque au système institutionnel colonial. La présence et l'influence d'assemblées coloniales, l'éloignement de la métropole entraînaient de fait une large autonomie judiciaire et même politique au sein des colonies. L'historienGordon S. Wood caractérise ce système comme étant un « conglomérat de privilèges locaux et de libertés ».
Les pouvoirs du gouverneur étaient larges : il devait apporter son approbation à chaque loi ; il nommait les juges, commandait la milice et pouvait dissoudre l'assemblée. Disposant des forces armées, de la marine anglaise et des forces régulières de la colonie, les gouverneurs étaient secondés dans leurs tâches par les agents des douanes ou encore les enquêteurs des revenus royaux[17]. Leur mode de désignation dépendait du statut de la colonie. Ils étaient choisis :
et révocables par le conseil privé dans les colonies royales ;
par les propriétaires dans les colonies de propriétaires ;
Le Conseil du Gouverneur (Governor’s Council ouGovernor’s Court) possédait des attributions judiciaires, administratives et législatives. Équivalent d'une chambre haute[22], il avait un rôle consultatif[17]. Son personnel était choisi par le gouverneur, comme il l’entendait, même si le choix était théoriquement soumis à l’accord de la métropole. Lorsqu’un gouverneur entrait en fonction, il pouvait garder ou changer les membres de son conseil. Ces derniers n'étaient pas rémunérés et exerçaient souvent une activité professionnelle en parallèle : la plupart étaient desavocats, mais on trouvait également des marchands (surtout dans les colonies du Nord) et desplanteurs (dans le Sud). En l’absence du gouverneur ou pendant les périodes d’intérim, c’est le conseil qui assurait le pouvoir exécutif ; il siégeait en permanence. Il était dirigé par un président (President of the Council ouLieutenant Governor). Les lois élaborées par l’assemblée étaient soumises à l’approbation du conseil.
L’Assemblée Générale (General Assembly[23]) était élue par les citoyens destowns et decomtés. En vertu dusuffrage censitaire, le droit de vote n'était accordé qu'aux hommes blancs le plus souvent propriétaires ou appartenant à une Église particulière, ce qui représentait les trois quarts des habitants[24]. Les femmes, les esclaves et les plus pauvres étaient exclus du corps électoral. L'assemblée discutait et réglait les problèmes locaux, mais aussi le budget et l'équipement de lamilice. Elle pouvait envoyer des agents afin de présenter despétitions et des requêtes à Londres[17]. Contrairement au Conseil, sa session n'était pas permanente et elle était renouvelée chaque année.
L'éloignement et l'immensité du territoire colonial permettait aux Américains de disposer d'une relative autonomie locale[25]. Le pouvoir législatif des colonies, confirmé par le roi, demeure cependant inférieur à celui de la métropole : les lois anglaises primaient sur les lois locales[24]. Pourtant, au cours de la période coloniale, on constate un renforcement du pouvoir des assemblées locales[24]. Celles-ci n'hésitent pas à empiéter sur les prérogatives des gouverneurs en usant de leur droit de regard sur les finances[22] : il s'agit d'une montée en puissance du « régime d’assemblées »[26]. Après 1763, Londres chercha à renforcer son autorité face à cette relative indépendance des assemblées coloniales[27].
Depuis leur fondation, les colonies ont connu une fortecroissance démographique liée à l'immigration mais aussi à une importantenatalité. En 1790, date du premierrecensement des États-Unis, on comptait quelque 3,8 millions d'habitants dont 700 000 esclaves[29]. Ladensité de population était relativement faible. La plupart des colons vivaient à la campagne et la population se concentrait sur le littoral, où se trouvaient les principales villes. La Pennsylvanie et le Massachusetts étaient alors les territoires les plus peuplés[30].
L'importance numérique des Afro-américains était notable : entre 1750 et 1780, leur nombre est passé de 236 000 à 575 000[31]. La plupart des Noirs et des métis se concentraient dans les colonies du Sud et étaient esclaves. Les colonies du Sud ont un fort pourcentage de populations serviles, noires ou métis, qui avoisinent les 40 % dans les années 1770 quand les pourcentages pour la Nouvelle-Angleterre et les colonies du Centre sont respectivement de 3 et 6 % à la même date. Cependant, une minorité de Noirs affranchis vivaient dans les villes.
Dans les limites du territoire américain de 1790, le nombre d'Amérindiens est évalué entre 100 et 200 000 personnes[32]. La plupart étaient des Indiens des Forêts, parfois organisés en Confédérations. Pendant les guerres entre Européens, puis la guerre d'Indépendance, les Amérindiens ont su jouer des rivalités.
Pocahontas épouse l'Anglais John Rolfe en1613. Les traiteurs des Carolines se sont mariés avec des Amérindiennes. AuXVIIIe siècle, sirWilliam Johnson, surintendant des affaires indiennes de la colonie de New York, s'habillait comme un Indien et avait pris pour compagne uneIroquoise dont il eut huit enfants[33]. LesMountain Men et autres aventuriers s'établissent dans les communautés indiennes. Les relations entre Amérindiens et colons ne sont pas toujours conflictuelles : en1621, les colons duMayflower sont sauvés de la famine par le chefMassasoit. C'est l'origine deThanksgiving. Lesquakers etWilliam Penn enPennsylvanie eurent des relations amicales avec les Indiens, suivant les principes d'égalité et de paix, jusqu'au milieu duXVIIIe siècle. Dans leMassachusetts,John Eliot cherche à évangéliser et éduquer les populations locales.Thomas Paine part vivre dans une communauté d'Iroquois et apprend leur langue. Certains puritains tentent de limiter la diffusion de l'alcool chez les indigènes.
Les colonies ne connaissent en 1770 qu'une faible urbanisation, principalement concentrée en Nouvelle-Angleterre et dans les colonies médianes. Dans la deuxième moitié duXVIIIe siècle,Philadelphie était devenue la cité la plus peuplée des Treize Colonies (45 000 habitants en 1780[34]), dépassantNew-York (25 000 habitants en 1775) etBoston (16 000 habitants en 1775)[35]. Elle disputait même àDublin la place de deuxième ville de l’Empire britannique en dehors de l'Angleterre[36].
La société coloniale était plus diverse qu'on ne le pense couramment : à côté de la majorité britannique se trouvaient des Allemands, des Suisses, des Hollandais, des Irlandais, des Écossais, des Scandinaves et des Français[39], surtout dans les colonies du Nord et du Centre. Pour l'historienFernand Braudel, le mélange ethnique aurait favorisé la séparation d’avec l’Angleterre[40]. Les pratiques religieuses variaient également : si l'élite était de confession protestante, elle était divisée en plusieurs courants. Les juifs et les catholiques, qui suscitaient de la méfiance de la part des élites, formaient les principales minorités religieuses.
À la veille de la révolution américaine, les colons d'origine européenne appartenaient à des groupes sociaux différents. Si lerégime seigneurial etféodal était quasiment absent des Treize Colonies, une autre hiérarchie, fondée sur la propriété foncière et la fortune, existait.
L'élite était formée des gouverneurs, des planteurs, des grands négociants et d'armateurs. Ensuite, on trouvait une catégorie d'artisans, de représentants du roi, de fermiers et de petits commerçants : ces classes moyennes représentaient 40 % de la population totale[41].
Les marins, les tenanciers et les domestiques occupaient le bas de l'échelle sociale. Lesindentured servants (appelés « engagés » enNouvelle-France) constituaient un sous-prolétariat blanc dont la condition était proche de celles des esclaves[42] : il s'agissait de prisonniers, de femmes et d'enfants envoyés de gré ou de force afin de peupler le Nouveau Monde. On les retrouve dans l'agriculture de nombreuses régions jusqu'auXVIIIe siècle.
Dès l'époque coloniale, les écarts sociaux se creusèrent[41]. Les différents groupes de colons manifestaient des intérêts divergents qui suscitèrent des tensions, voire des révoltes dans les villes et les campagnes. Les élites éclairées étaient soucieuses de maintenir l'ordre social et de protéger leurs propriétés. Les autres colons souffraient davantage des mesures fiscales anglaises et des inégalités foncières. Les tensions sociales étaient attisées par l’action de certains prédicateurs et relayées dans les lieux de sociabilité urbaine : les tavernes et les auberges étaient des lieux d'information, de débats et de réunion. La presse joua également un rôle actif dans la fermentation révolutionnaire.
L'élite desmarchands, desarmateurs et desplanteurs se sentait souvent proche de la métropole et cherchait à imiter les classes supérieures qui vivaient en Angleterre. Ces grandes familles conservaient un sentiment d’appartenance à laculture européenne. Elles envoyaient leurs fils en étude en Angleterre[43]. Elles avaient intérêt à rester dans le giron de la métropole, à cause dusystème mercantiliste et de l'ordre qu'elle garantissait.
Lesclasses moyennes étaient quant à elles moins attachées à l'Angleterre. Les colons nés en Amérique se sentaient de moins en moins anglais et l'identité américaine se construisait progressivement contre la domination de Londres.
Malgré la diversité des colonies et de ses habitants, la politique impérialiste anglaise fit naître un « patriotisme colonial » tourné contre la métropole[44],[45] et la formation d'une identité américaine.Dès1656, l’AnglaisJames Harrington avait prophétisé l’indépendance des colonies[46]. En 1697,William Penn appelait de ses vœux une union des colonies britanniques et prévoyait déjà la réunion d'un congrès colonial commun[44]. En 1754,Benjamin Franklin proposait au congrès d’Albany une union et même un gouvernement « fédéral »[47], qui resterait tout de même dans l’Empire colonial britannique.
Vers 1774, la moitié des colonies, situées surtout au sud, sontanglicanes[50] (Virginie, Maryland, Caroline du Sud, Géorgie, etc.). L'Église anglicane était officielle et disposait d'un monopole sur le mariage[51]. Elle était la seule à être financée par l'impôt[51].
En Amérique du Nord,John Eliot, pasteurpresbytérien auMassachusetts, entreprend d'évangéliser lesAmérindiens à partir de1641. Il apprend leurs langues et commence à prêcher. Il regroupe les convertis dans desvillages de prière et traduit laBible enmohican et enalgonquin ; il fonde des écoles, parmi lesquelles un collège indien au sein d'Harvard, il forme des instituteurs indigènes[55]. Mais ses efforts sont vite ruinés par les luttes entre colons et Autochtones, et du vivant même d'Eliot, il ne reste plus un seul Mohican pour lire la Bible traduite.
UneSociété pour la Propagation de l’Évangile, fondée en 1701 se préoccupe de l'évangélisation des Indiens desSix-Nations, en plus de l'aumônerie des colons.David Brainerd, né en1718, est particulièrement connu pour son journal, publié après sa mort, qui connut un grand succès. Après des études àYale pour être pasteur, David Brainberd décide de consacrer sa vie — qui est courte — à l'évangélisation. Il fréquente jusqu'en1747 différents groupes d'Autochtones, dans le Massachusetts, laPennsylvanie et leNew Jersey.
Les élites lisent les philosophes européens. Thomas Jefferson consignait ses notes de lecture dans un cahier (leCommonplace Book), ce qui permet aux historiens de reconstituer ses influences philosophiques :John Locke,Henry Home,Charles de Montesquieu,Thomas Hobbes[57].
Les théories du philosophe anglaisJohn Locke influencèrent la révolution américaine : l'idée du contrat social impliquait le droit naturel du peuple de déposer ses dirigeants. En revanche, les historiens trouvèrent peu de traces de la penséerousseauiste en Amérique[58]. Les Américains utilisent l'analyse de la constitution britannique de Montesquieu pour rédiger les constitutions des états et du pays.
Lerépublicanisme fut l'un des principes idéologiques dominant dans les colonies à la veille de la révolution[59],[60]. Les colons critiquaient le luxe ostentatoire de la cour et proposaient une vertu républicaine. L'idée que les hommes avaient le devoir civique de lutter pour leur pays se développa.
À l'époque moderne, l'économie des puissances européennes est marquée par lemercantilisme et le régime de l’exclusif : le but est de posséder le maximum de métal précieux, notamment grâce au commerce maritime[61]. Les colonies devaient fournir des matières premières qui étaient transformées en Grande-Bretagne pour être ensuite vendues à l'étranger. Elles devaient aussi n'acheter que des produits britanniques afin de protéger les artisans et les manufactures de la métropole de la concurrence[61].
LesActes de Navigation de1651 et de1660 figurent parmi les principales lois destinées à protéger le commerce maritime anglais. les armateurs coloniaux ne devant utiliser que des vaisseaux britanniques. Certains produits devaient transiter obligatoirement par les ports britanniques. Les navires étrangers qui commerçaient avec les colonies devaient passer par un port britannique afin de payer des droits de douane. Les produits fabriqués dans les colonies ne devaient pas être exportés et certaines marchandises devaient même venir de la métropole[62].
En réalité, la distance avec la métropole entraînait un certain laxisme dans la perception des taxes et la corruption des agents des douanes en Amérique[63]. Lacontrebande contribue grandement à limiter l'exclusif anglais.
Dès leXVIIe siècle, les bateaux bostoniens faisaient du commerce avec lesAntilles : ils exportaient du bois, de la farine, du poisson, de l'huile de baleine et importaient du sucre, des mélasses, du tafia[64]. Ce commerce stimula la production métallurgique et textile, de même qu'elle permit le développement des chantiers navals et des distilleries[65]. Les navires américains traversaient même le nord de l'Atlantique pour les besoins du commerce. Cette entorse au mercantilisme et cette concurrence américaine inquiétèrent rapidement les marchands anglais.
Les colons américains, en particulier les marchands des ports de la Nouvelle-Angleterre, reprochaient à la Grande-Bretagne sa politique commerciale, le trafic de certaines marchandises comme le thé étant réservé aux navires britanniques, en vertu dumonopole en vigueur. D'autre part, pour atrophier l'économie américaine, les Britanniques vont interdire à leurs colonies de vendre leurs produits à un autre pays que la Grande-Bretagne puisqu'on estime que si les colons avaient le droit de vendre leurs produits comme bon leur semble et à qui bon leur semble, les Treize Colonies regorgeraient d’argent, qui ne profiterait pas à la couronne.
Parmi les griefs de colons figuraient aussi le manque chronique de monnaie[66] ; ils regrettaient leur dépendance vis-à-vis du crédit britannique[67]. Le développement économique des Treize colonies suscita une certaine animosité entre les marchands coloniaux et les capitalistes de la métropole[68].
Dessin de presse (attribué àBenjamin Franklin) qui fut d'abord publié pendant la guerre franco-indienne au cours de la guerre de Sept Ans, puis réutilisé pour inciter les colonies américaines à s'unir contre la couronne britannique.
Cependant, après des expériences infructueuses au siècle précédent, de 1715 à 1748, lors d'une période qualifiée en 1775 parEdmund Burke de « négligence salutaire » (salutary neglect), la métropole s’immisce le moins possible dans les affaires des colonies. Londres néglige ses colonies et les conflits d’intérêts se font rares. À partir de1748, le gouvernement change de cap. Après laguerre de Succession d'Autriche, la politique duBoard of Trade se fait plus musclée. Lecomte d'Halifax, administrateur appliqué et énergique, décide de mettre un terme à une politique jugée trop laxiste. Son inquiétude grandit quand il prend conscience que les colonies se sont parfaitement accommodées à cette « négligence » et tendent à oublier leur sujétion à la Couronne. Enfin, la contrebande, notamment de mélasse, s’est généralisée.
↑Quatre colonies de l'actuelCanada (la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, l'île du prince Édouard et la province de Québec), ainsi que la Floride orientale et la Floride occidentale (Floride) qui devaient rejoindre l'Empire espagnol lors du traité de Paris de1783, puis l'Union des États-Unis d'Amérique en1819 (où ils sont devenus un État américain unifié en1845).
Bernard Cottret, Lauric Henneton, Bertrand Van Ruymbeke et Jacques Pothier (éd.),Naissance de l’Amérique du Nord, Actes fondateurs 1607-1776, Paris, Indes savantes, 2008.