Pour des articles plus généraux, voirMartin Heidegger etLa philosophie de Martin Heidegger.
Sein und Zeit
| Être et Temps | |
| Auteur | Martin Heidegger |
|---|---|
| Pays | |
| Genre | Essai philosophique |
| Version originale | |
| Langue | Allemand |
| Titre | Sein und Zeit |
| Éditeur | Max Niemeyer |
| Lieu de parution | Halle |
| Date de parution | 1927 |
| Version française | |
| Traducteur | François Vezin |
| Éditeur | Gallimard |
| Collection | Bibliothèque de philosophie |
| Lieu de parution | Paris |
| Date de parution | 1990 |
| Nombre de pages | 589 |
| ISBN | 978-2-07-070739-3 |
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Être et Temps (enallemand :Sein und Zeit) est uneœuvre duphilosopheallemandMartin Heidegger publiée en1927 dans lesAnnales de philosophie et de recherche phénoménologique éditées parEdmund Husserl[1]. Bien qu'écrit rapidement, et jamais terminé, ce livre, eu égard aux ambitions de son introduction, est un des livres marquants de la pensée duXXe siècle (« Sein und Zeit est le chef-d’œuvre de ce siècle » selon Emmanuel Martineau[2] etEmmanuel Levinas[N 1]). Il est aussi l'ouvrage le plus connu de ce philosophe dont l'œuvre comportera environ 110 ouvrages dans l'édition complète de l'œuvre de Martin Heidegger.
Son influence s'est exercée dans des domaines très différents, qui débordent très largement le champ proprement philosophique : ainsi, avec l'existentialisme, la littérature et la sensibilité furent bouleversées, les sciences humaines, la psychiatrie, la théologie elle-même furent ébranlées ; l'herméneutique, lalogique, lelangage, l'histoire, la critique littéraire renouvelées et enfin laphénoménologie contrainte de revenir à son possible[3].

Cet ouvrage qui fit à sa parution, selonChristian Dubois,« l'effet d'une bombe »[4] a été l'objet d'innombrables commentaires, en toutes les langues. Il est difficile d'en avoir une vue d'ensemble en raison de la multiplicité des courants de pensée divers qu'il ressaisit : laphénoménologie, lenéo-kantisme, l'existence, la philosophie de la vie, l'historicisme ; révolutionnaire par les pistes nouvelles qu'il ouvre et aussi l'influence qu'il a eue sur toute la pensée philosophique ultérieure duXXe siècle, y compris chez ceux qui la rejettent, l'article présent renverra souvent à d'autres articles plus détaillés et au développement des grands concepts qu'il aborde, sans pour autant prétendre à présenter un panorama complet.
Les lecteurs francophones disposent de deux traductions à la suite de celles partielles deRudolf Boehm et d'Alphonse De Waelhens en1964 : celle deEmmanuel Martineau, accessible en ligne[5] et celle deFrançois Vezin[6], complète et enrichie de notes du traducteur. Ces traductions ont dû faire face à d'innombrables difficultés, tant devant la nouveauté des thèmes étudiés que devant l'inventivité conceptuelle et sémantique de l'auteur[N 2].
Deux références majeures, correspondant à deux ouvrages récents, seront le plus souvent appelées pour la rédaction de cet article, à savoir les commentaires deJean Greisch[7] et deMarlène Zarader[8],[N 3]. On notera que ces deux interprètes procèdent à une lecture continue des paragraphes de cet ouvrage, plan qu'il n'est pas possible de suivre ici et auquel il a été substitué une architecture thématique.
La rédaction d'Être et Temps s'étend de 1923 à 1926. Lorsque Heidegger arrive àMarbourg en qualité de professeur extraordinaire il n'a rien publié, depuis sa thèse d'habilitation surDuns Scot en 1916. Pressenti pour postuler à une chaire qui venait de se libérer en 1925, il est conduit à livrer au public le manuscrit sur lequel il travaillait depuis 1922. La nouveauté qu'a pu représenter la publication de ce livre cache« l'étendue du travail en amont qui sous-tend sa genèse », écrit Servanne Jollivet[9]. Rien n'aurait pu se faire sans un constant débat avec ses contemporains et prédécesseurs[9]. Dès ses premiers cours de Fribourg il entreprend des recherches dans un domaine qu'il ne cessera d'approfondir jusqu'à sa nomination à Marbourg. Il s'agit de promouvoir la vieille idée phénoménologique reprise et aiguisée par Husserl, au détriment de laThéorie en prenant appui« sur le vécu sans l'objectiver ni le dévitaliser »[10].
Servanne Jollivet dans son sommaire[11], présenteÊtre et Temps comme l'aboutissement d'une recherche en vue d'un enracinement vital de la philosophie comme science originaire. Les années 1912-1921 ont été consacrées par Heidegger à des travaux sur la « logique », au renouvellement des « catégories d'Aristote », et à des recherches sur la « phénoménologie de la vie » étayée par ses travaux sur l'expérience de la vie religieuse à travers le primo christianisme qu'il mena en collaboration avec son collègue àMarbourg le théologien protestantRudolf Bultmann. Il n'est pas douteux comme le noteHans-Georg Gadamer[12] que cette œuvre, qui fit date, est née« des contacts féconds et passionnés que l'auteur eut avec la théologie protestante de son temps à la suite de sa nomination comme professeur à Marbourg en1923 ».De 1921 à 1923 le thème de la « facticité » mettant en exergue l'expérience de la « vie facticielle » et l'ouverture du Soi va conduire à l'émergence du concept deDasein. Entre le projet initial de 1922 et la publication de 1927 l'accent s'est entièrement déplacé, la recherche du fondement en vue d'une science originaire cède la première place à l'élaboration de la « question de l'être » comme l'annonce Heidegger dès la première page de son ouvrage[13],[N 4].
Trois influences majeures menèrent Heidegger àÊtre et Temps :
On retiendra, tout d'abord, « la pensée aristotélicienne », dans laquelle insisteFranco Volpi[14], Heidegger découvre avec laMétaphysique, la question du « sens de l'être » mais aussi celle de l'âme et du comportement humain, dans le traitéDe l'âme et l’Éthique à Nicomaque. C'est aussi, le commentaire deFranz Brentano,De la signification multiple de l'étant chez Aristote (1862) qu'il lit dès 1907, qui aurait donné le coup d'envoi à son questionnement sur le« caractère unitaire du sens de l'être ». Dans les années 1920, il consacre quelques cours à l'interprétation phénoménologique des textes d'Aristote.
Ensuite, « la phénoménologiehusserlienne ». Heidegger lit lesRecherches logiques dès 1909. Automne 1916, il devient l'assistant deHusserl àFribourg et anime des séminaires d'introduction auxRecherches logiques. En 1925, dans son cours surLes Prolégomènes à l'histoire du concept de temps, il rend une nouvelle fois hommage à la percée que constitue, à ses yeux, lesRecherches logiques de 1901 et ses trois découvertes fondamentales (l'« intentionnalité », le sens phénoménologique de l'« a priori » et l'« intuition catégoriale »)[15] mais prend ses distances à l'égard du tournanttranscendantal de la phénoménologie husserlienne desIdées directrices (1913).Sein und Zeit est dédié àEdmund Husserl,« en témoignage de vénération et d'amitié ». Heidegger lui succède àFribourg en 1929.
Enfin, « la source théologique ».« Sans cette provenance théologique, je ne serais jamais parvenu sur mon chemin de pensée », écrit Heidegger dans son« Entretien sur la parole avec un Japonais » (inAcheminement vers la parole)[16].
Jean Greisch, dans une longue introduction de 66 pages de son livre, nous offre un large panorama sur l'itinéraire de pensée et l'acquis théorique du jeune professeur à l'orée de son travail surÊtre et Temps, qui recouvre, avec la césure de 1923, les années d'enseignement de 1919 à 1928, ce qu'il appelle« la décennie phénoménologique »[17]. Cette introduction de Jean Greisch, constituerait, selonMarlène Zarader[18] la présentation la plus complète de la genèse deÊtre et Temps, et de toutes les avancées et recherches antérieures que la rédaction de cet ouvrage fondateur implique.Jean Greisch parle à propos d'Être et Temps, d'un chantier de travail inauguré en 1919. La publication récente des enseignements donnés àFribourg puis àMarbourg de 1919 à 1928 (voir biographieHeidegger) permet d'en préciser la genèse. Pour un résumé historique de la marche et des étapes versÊtre et Temps, voir aussi la contribution de Christoph Jamme[19].
Jean Greisch[20] va appeler la période 1919-1923,« préhistoire lointaine du livre », dans laquelle sont produits des textes d'une importance décisive pour l'interprétation d'Être et Temps, période qu'il découpe selon cinq moments essentiels ; moment de rupture avec lenéo-kantisme et notamment avec l'idée que la philosophie puisse espérer raffermir ses bases par l'apport des sciences empiriques ; celle de la rupture avec l'idée néo-kantienne, que toute grande philosophie doive nécessairement s'achever dans une « vision du monde », une « Weltanschauung » ; celle où la phénoménologie devient chez Heidegger synonyme d'interprétation et decomprendre, c'est-à-dire une véritable « herméneutique » ; où la vie vécue, celle qu'il appelle la « vie facticielle » telle qu'elle se comprend elle-même, dans son auto-suffisance et menée par le « Souci » devient la source de tout sens ; celle enfin de l'herméneutique de lafacticité où le sens d'être devient un mode duje suis un mode d'être duDasein.
Comme le souligneAlain Boutot[21]« la structure de laquestion de l'être commande le plan du traitéÊtre et Temps ». Heidegger se propose de conduire cette élaboration en deux parties, écrit Philippe Arjakovsky[22] :
La première partie devait se scinder en trois sections comprenant : une analyse fondamentale préparatoire duDasein ; une section consacrée auDasein et à la temporalité qui mettra en évidence le sens temporel de son être ; une troisième section qui devait faire ressortir le sens temporel de l'être qui fut écrite et n'a jamais été publiée[23].
Notons que si la deuxième partie du traité qui devait se consacrer à la « Désobstruction/Déconstruction » de l'histoire de l'ontologie à travers quelques étapes décisives, n'a jamais été rédigée, c'est selon Philippe Arjakovsky[22] parce qu'elle« fut néanmoins pleinement mise en œuvre et entièrement menée jusqu'à son terme- achevée en un mot car telle fut la ligne directrice explicite, de l'ensemble des cours tenus par Heidegger, en aval et en amont d'Être et Temps ».

Tel que publié en1927, en vue de l'obtention d'une chaire professorale àMarbourg,Être et Temps, dédicacé à son professeurEdmund Husserl porte sur la page de titre la mention « Première partie », comme en attente d'un achèvement par une deuxième partie qui ne viendra jamais, sinon plus tard dans des travaux dispersés[24]. On a vu que, deux sections seulement de cette première partie furent publiées. Il faudra attendre1962, et la conférence intitulée « Temps et Être », pour connaître le titre et le résumé de ce qui aurait pu correspondre à la troisième section de cette première partie ; quant à la deuxième partie de l'œuvre, il n'en fut plus jamais question[25].
Ce livre complexe qui reste tout entier tendu par une unique question, ou plutôt la recherche du « sol » qui permette de la poser à savoir : « la question du sens de l'être »[26], s'inscrit dans le courant phénoménologique initié par son maîtreEdmund Husserl[N 7].
Comme le titre le suggère, le thème central de l'ouvrage repose sur le lien supposé qu'entretiennent l'être et le temps[N 8] ; thème nouveau pour la pensée philosophique, cette problématique traverse déjà, comme le signaleJean Greisch[27], tous les premiers cours du jeune Heidegger, délivrés à Marbourg de1923 à1928. Sur ce rapprochement inédit, entre « être » et « temps »,Françoise Dastur renchérit :« La nouveauté deÊtre et Temps, consiste à avoir fait, de ces deux problèmes traditionnels, une unique question, celle de la temporalité de l'Être »[28]. La « temporalité » va être mise au centre de la réflexion sur l'être en lieu et place du « logos »[29].
Avec cette œuvre, une floraison de concepts nouveaux a fait irruption sur la scène philosophique, tels que :Dasein avec son correspondant français « être-là »,Être-au-monde,Être-pour-la-mort,Être-en-faute,Être-avec ; d'autres plus traditionnels, ont pris une tournure inédite tels que :Phénoménologie,Vie,Temps,Monde,Vérité,Histoire,Liberté. De tous ces concepts, c'est celui deDasein, dont on note l'apparition pour la première fois au paragraphe 9 deÊtre et Temps (SZp. 42), qui a le plus marqué les esprits et renouvelé dans l'histoire de la philosophie duXXe siècle, l'approche du « sujet » ; approche qui était demeurée à peu près inchangée depuisDescartes, et qui sur la base de la distinction entre le sujet et l'objet, fonde tous les débats de lamétaphysique ; débats stériles, selon Heidegger, qui ont conduit, la philosophie à devenir une annexe des sciences positives et à s'enfermer dans des problématiques insolubles concernant l'étant, comme celle de lathéorie de la connaissance[30].
Il s'agissait donc pour la philosophie, à travers Heidegger, de s'assurer d'un objet qui lui soit propre, à savoir : l’« être » de l'étant.« La méditation heideggerienne en direction de l’être culmine dans la thèse centrale développée dansÊtre et Temps, celle de la signification temporelle de l’être »[31].
Être et Temps commence littéralement, dans sa préface, par l'allusion à un passage duSophiste dePlaton. En rappelant dès l'introduction la question de l'« étranger d'Élée », sur le sens de l'étant, dans ce dialogue de Platon, interrogation bien oubliée depuis, Heidegger tente de réveiller la perplexité qui devrait être la nôtre quant au sens du mot « être »[32]. Ce thème de l’« oubli de l'être »,die Seinsverlassenheit[N 9] va s'avérer absolument directeur pour toute la pensée du philosophe[33].
François Vezin[34], ajoute que l'on doit aussi ce livre à l'étonnement qu'aurait ressenti Heidegger devant« la secrète affinité de l'être et du temps qui se manifesterait dans le fait qu'on ne puisse parler de l'être sans être amené à parler du temps », car « être » signifierait« être en train d'être » dans lequel il y a manifestement, le temps. Être veut dire, être présent.
Alors que le thème central de l'œuvre est le rapprochement de l'être et du temps, tout le traité, remarqueAlain Boutot[35] est porté par la question fondamentale du « sens de l'être ». Philippe Arjakovsky[24] note que cette« pensée (qui s'inscrit) dans l'horizon du temps, reçoit un sens entièrement neuf, puisque Heidegger la pose à partir de l'être humain et non plus à partir des choses. »

Heidegger avance dès le début (§ 1) la thèse selon laquelle la « question de l'être » aurait été oubliée par toute la tradition philosophique. Déjà pour Aristote, remarque Heidegger[36], après avoir assimilé l'« être » à lasubstance et à ses diversescatégories, cette question du sens de « être » avait, historiquement, en tant que telle, rapidement cessé de se poser , pour céder la place au questionnement« de et sur l’étant ». L'attitude de désintérêt, vis-à-vis de laquestion de l'être (au sens verbal), sera poursuivie par laScolastique au Moyen Âge et par la suite par toute laphilosophie occidentale. L'« être » est, depuis lors, perçu comme un concept « indéfinissable », dont tout un chacun possède une compréhension moyenne ou vague[N 10]. Ce dont la question a eu le plus à souffrir c'est de l'apparente « évidence » du concept[37]. En tant qu'« universel », « évident » il ne mériterait, en lui-même, aucune attention particulière (un mot, une vapeur ira jusqu'à direNietzsche), par laquelle on justifie son oubli[38]. L'une des conséquences majeures de cet « oubli », remarqueChristian Dubois, c'est l'absence de remise en cause et l'acceptation par toute la tradition philosophique« d'un fonds de concepts ontologiques in-questionnés »[39].« Les philosophes qui leur ont succédé n'ont fait que reprendre sans s'interroger davantage , les déterminations ontologiques que ces deux penseurs avaient découvertes » note de son côtéAlain Boutot[35].
Heidegger souhaite, depuis sa lecture de la dissertation deFranz Brentano[40],intitulée « De la signification multiple de l'étant chez Aristote », réveiller cette question et retrouver le sens unitaire des différentes acceptions du mot « être » qui lui permettra de réaliser son ambition du moment : bâtir uneontologie générale[41].
Il s'agit donc de passer d'une compréhension moyenne ou vague de l'« être », allant de soi, que tout homme possède naturellement, à une approche philosophique plus précise[N 11]. Heidegger remarque que les fonctions de « visée », de « compréhension », de « choix », et de « conceptualisation » mises en œuvre ne sont rien d'autre que des « modes d'être » d'unétant déterminé, à savoir, nous-mêmes. Cela découle de la nature même de cette question dont Heidegger analyse (§ 2) la structure formelle.
Comme dans toute question on peut discerner trois moments à ce qui est demandé :Primo, ce sur quoi porte la recherche (das Erfragte), en l'occurrence le « sens de l'être ».Secundo, ce qui est questionné, le domaine qu'on interroge :das Gefragtes (dans cette question, l'être).Tertio, l'interrogé :das Befragtes (l'étant à qui il faut poser la question)[42]. La détermination de cet interrogé qui doit servir de fil conducteur à la question de l'être doit être formulée avec précision.« Le choix de Heidegger se porte sur l'étant qui pose la question de l'être, c'est-à-dire sur l'étant que nous sommes nous-mêmes »[43]. Il s'agira donc pour comprendre l'être de comprendre en tout premier lieu l'être de celui qui se pose la question, d'où la nécessité d'entreprendre une analytique de cet être qu'il dénommeraDasein.
Cet être dénomméDasein, que nous sommes nous-mêmes, dont la caractéristique fondamentale est d'avoir une compréhension naturelle pré-philosophique de l’« être », possède un « mode d'être » original qui le distingue de tous les autres « étants » :« à la différence de tous les autres êtres vivants qui sont indifférents à leur être, lui se rapporte toujours à l'être qui est le sien » nous ditAlain Boutot[44], autrement dit son être, à lui, ne lui est pas indifférent.
En gros, ce que l'analytique « existentiale » va étudier, ce n'est pas« des choix de vie existentiels » (des choix concrets), mais la structure de base de l'existence de toutDasein pour en faire apparaître ses modes essentiels, modes que Heidegger va appeler des « existentiaux » pour les distinguer des traditionnelles catégories (quantité, qualité) qui elles s'appliquent de plein droit aux « choses ». L'analytique existentiale,« en analysant l'« être-Là », c'est-à-dire leDasein tel qu'il est de prime abord et le plus souvent, en sa banalité quotidienne et ordinaire » va fournir le fil conducteur pour l'élaboration de laquestion de l’être[45].
Tous les étantssont et sont quelque chose sans doute, mais un seul a la parole, l'homme. De plus, de ce que le verbe « être » est devenu si banal, au point de ne plus apparaître comme question,Heidegger en déduit que l'homme en existant, et en ayant commerce avec les « étants », en a nécessairement une pré-compréhension spontanée et naturelle. Il faut donc partir de l'« existence » concrète et de son interprétation pour trouver l'« être », ce qui suppose non plus une simplephénoménologie, mais uneherméneutique, autrement dit, une auto-interprétation de l'existant par lui-même. C'est la tournure que Heidegger a fait prendre précédemment à la phénoménologiehusserlienne[46] qui deviendra, avec lui, essentiellement une « phénoménologie herméneutique ». Il dénommeDasein cet homme, ce pur concept, dont l'« être » consiste, par construction, contrairement aux autres étants, à en avoir une entente (une pré-compréhension d'être) dans son double sens nominatif et verbal, et qu'au long du livre, il va questionner à travers l'« analytique existentiale »[N 12].
« En fin de compte « laquestion du sens de l'être », va se confondre dansÊtre et Temps, avec celle du sens d'être duDasein »[47]
L'homme considéré sous l'angle duDasein, est celui qui a une pré-compréhension naturelle de l'être et donc du fait qu'un étant,« soit ». Cette compréhension ouvre auDasein un « monde » designificativités que Heidegger distribue en trois catégories : le « monde ambiant » (Umwelt), le « monde du Soi » (Selbstwelt), le « monde commun » (Mitwelt). À chaque fois, doit être mis en évidence les modes de liaison, qui sont des comportements ou des affects, entre le « Soi » et ces « mondes » divers. Sauf à rester dans le dualisme métaphysique traditionnel, du face à face entre le sujet et l'objet avec, comme conséquence, la perpétuation desapories qui impactent toutes les théories de la connaissance, il restait à envisager l'hypothèse d'un Monde (voirMonde (philosophie)) comme mode d'être fondamental de l'existant (ce qu'il va appeler unexistential). Hypothèse qui va s'avérer très riche et qui donnera naissance au concept d'« être-au-monde » et fera l'objet dans la suite de son œuvre des plus grands développements comme le souligneMarlène Zarader[48]. L’« être-au-monde », désigne selonAlain Boutot[49] unphénomène unitaire qui comporte une pluralité de moments indissolublement liés : le monde, l'étant qui est dans le monde et « l'être-dans » qui seront étudiés successivement.
Dès le (§ 5), Heidegger avance la thèse à démontrer, que leDasein comprend l'être dans l'horizon du temps, sur le fondement de sa propre temporalité, ainsi que le résumeChristian Dubois[50]. Cette prise en vue aurait dû être développée et amplifiée dans la deuxième partie de son ouvrage en tant qu'interprétation temporale de l'être ; partie qui ne verra jamais le jour pas plus que la troisième section de la première partie.
Aborder phénoménologiquement ces questions pose enfin, une question préalable de méthode.
Il ne peut être question d'utiliser les méthodes et les conclusions dessciences de la nature ou dessciences humaines (anthropologie,biologie,psychologie,sociologie), historiques oupolitiques car toutes ont pour fondement une conception de l'être de l'homme qui ferme le chemin d'accès à ceDasein ; ces sciences, qui n'ont qu'un domaine d'étude sont fondées pour Heidegger sur autant d'« ontologies régionales » distinctes[51], alors qu'il entreprend de construire une « ontologie fondamentale » dans laquelle toutes les « ontologies régionales » devront trouver leur place et être fondées, comme le souligneJean Greisch[N 13].
Impossible aussi de lui appliquer de l'extérieur et comme en surplomb descatégories logiques abstraitement déduites d'une idée préconçue de la nature humaine, créature, conscience, esprit, raison, etc. C'est l'idée même d'unenature humaine que va d'ailleurs contester Heidegger.
Dans la « compréhension » de l’être de l'homme, de ceDasein, qui, par définition, est parmi les étants celui-là seul qui comprend l'être ; dans cette « compréhension » est donc impliquée quelque chose comme la « compréhension » d'un « Monde », mais aussi la compréhension de l'être des étants qui ne sont justement pas desDasein.
Les théories de la connaissance traditionnelles deviennent sans objet du fait même de la structure duDasein, compris lui-même d'entrée de jeu comme indissolublement « être-au-monde ».
À la suite de Husserl, Heidegger en écartant les concepts méthodologiques traditionnels, entend enfin se situer en amont des sciences positives pour donner une interprétation cohérente et transparente du domaine qui les concerne. Ainsi de l'objet historique qui n'est pas directement un objet du passé devra préalablement être interprété dans son « historicité » (voirHeidegger et la question de l'histoire). Cette démarche qui concernera l'ensemble des sciences positives, histoire, psychologie, anthropologie, théologie, prendra toute sa signification dans la seconde partie de l'ouvrage[52].
Jean Greisch[53] note que la percée phénoménologique que présuppose la rédaction de cette œuvre n'a été rendue possible que par les avancées majeures que représentent lesRecherches logiques deEdmund Husserl sur les trois notions capitales à savoir : l'« intentionnalité », l'« intuition catégoriale » et l’« a priori ».
Après une Introduction consacrée à exposer la structure formelle de la question, l'œuvre concrète s'ordonne autour de deux sections, alors que selon le projet initial, cette première partie livrée, aurait dû en comporter trois, dont la dernière qui a été retenue, aurait pu s'intituler, renversant le titre du livre « Être et Temps » en « Temps et Être»[N 14],[N 15]. Les deux premières comprennent en section I, l'analyse préparatoire duDasein et dans la section II l'exposé du rapport entre leDasein et la temporalité en vue de son interprétation dans l'horizon du Temps.
Dans les tout premiers paragraphes sont exposés la nécessité de reprendre laquestion de l'être, comprise comme question du sens unitaire de « être », la voie que le chercheur entend suivre, s'appuiera sur la« primauté ontologique » duDasein, qu'il s'agit de comprendre en son être[54].
De cette œuvre amputée qui reste extrêmement complexe[N 16], il est impossible de présenter un résumé, on ne peut qu'en dessiner le projet, en examiner les conditions préalables et en détailler les thèmes et concepts importants qui sont mis en route.
Dès l'Introduction,Heidegger expose le programme qu'il compte aborder :
L'être est considéré traditionnellement comme le concept le plus général, à la fois le plus vide et le plus évident pour tous, il serait inutile de s'interroger à son propos. En effet dans les années 1920« dominées par lenéo-kantisme, lenéo-positivisme, laphilosophie de la vie et laphénoménologie, on tient touteOntologie comme impossible »[55]. Néanmoins cette question du « sens de l'être », négligée jusqu'ici, posséderait, selon Heidegger, une « primauté ontologique etontique » qu'il souligne dès les premiers paragraphes (§ 3) et (§ 4).
C'est grâce à l'approche phénoménologique décritein extenso dans l'Introduction, que Heidegger pense (§ 2), pouvoir exposer dans sa structure complexe la question du « sens de l'être ».« Avant de répondre à la question du sens de l'être, Heidegger commencera par en analyser la structure formelle » écritAlain Boutot[43]. Il va d'abord distinguer trois moments, dans cette question, le « questionné »,das Gefragte, ce qui est recherché, c'est-à-dire l'horizon dans lequel la question doit s'inscrire ou la pré-compréhension,das Erfragte, le « demandé », c'est-à-dire, le résultat, et enfin, troisième moment,das Befragte, celui qui visé peut répondre, « le témoin », en l'occurrence l’« être-là » ouDasein[56],[57], méthode que l'on ne peut que résumer :
Quant à savoir sur quelétant lire la question, Heidegger interroge leDasein, l'étant insigne qui pose la question et qui s'expose dans ses modes d'être, c'est-à-dire l'homme que nous sommes, ce sera l'objet de l’« analytique existentiale » qui réalisant ce programme, dévoilera la primauté phénoménologique du comportement ordinaire duDasein en situation dequotidienneté sur toutes les spéculations théoriques[21]. Pour Heidegger, la connaissance théorique représente toujours, un mode de connaissance en retrait, dérivé et moins fondé que l'engagement pratique auprès du monde.
Tout cela n'est possible que parce que nous avons une pré-compréhension, même vague, de l'être.Christian Dubois[58], parle d'une« compréhension moyenne et vague ». En effet, si nous ne savions absolument rien du sens de l'être nous ne pourrions même pas nous interroger ; nous en avons donc toujours une pré-compréhension naturelle. Toutefois, l'être au « sens verbal », concerne tous lesétants, et de ce fait l'être qui questionne, l'homme, est aussi inclus et présupposé dans la question, il semble qu'on ne peut rien avancer de l'extérieur quant à son sens sans risquer de tomber dans un cercle vicieux[N 17] ; le seul recours consiste à demander à celui qui questionne, que l'on va appelerDasein et qui « entend » - comprend - l'être par définition, de s'auto-interpréter lui-même, dans son être[43],[59].
La « question de l'être » porte sur l'être en tant qu'il permet de comprendre l'étant. Comme l'être est l'être de l'étant c'est l'étant qui va être interrogé. En conséquence nous pouvons théoriquement interroger n'importe quel étant dans son être, en fait nous ne pouvons questionner que l'étant qui a une certaine compréhension spontanée de l'être, et qui de plus, peut s'auto-interpréter. Mais, ajouteAlain Boutot[44], il faut aller plus loin, il ne s'agit pas d'un être qui aurait en outre la compréhension de l’être en général,« tantôt nous échoirait, et tantôt nous serait refusée », mais d'un étant« dont l'être,est cette compréhension elle-même ». En définitive, cette compréhension naturelle est pour leDasein une« détermination constitutive de son être » à travers laquelle, ajoute Heidegger, dans une formule ramassée et répétée à plusieurs passages« dans son être il y va de cet être »[44].
Cette « auto-interprétation » qui vise pour leDasein àexpliciter tout mouvement de la vie en liaison avec le sens général qu'il donne à sa propre existence relève de « l'herméneutique », discipline à laquelle Heidegger s'est précisément intéressé dans ses recherches sur la « vie facticielle », dans la période qui précède la publication deÊtre et Temps , (voirHeidegger avant Être et Temps).
La recherche du « sens de l'être », c'est la recherche de ce qui en fait l'unité en présupposant qu'il y en ait, une. Cette recherche du sens de l'être en général passe par l'« entente » de l'être duDasein comme tel, dont le privilège est justement, par définition principielle, decomprendre, et lui seul le peut, l'« être » en général. Ce que veut démontrer l'« analytique existentiale » duDasein, c'est que ce dernier comprend l'être« dans l'horizon du temps et à partir de sa propre temporalité »Zeitlichkeit[50]. Avec la seconde section, Heideggertente de mettre en évidence le sens de son être commetemporalité confirmeAlain Boutot[21].
Dans ses premières intentions, il s'agit pour Heidegger de construire une « Ontologie fondamentale ».Alain Boutot[21] écrit« Par ontologie fondamentale, il faut entendre une ontologie dont toutes les autres ne peuvent que dériver ». Une « ontologie fondamentale » assise sur l'analytique existentiale duDasein est un chemin vers laquestion de l'être, se construisant comme exploration de l'être de cet étant particulier note Christian Dubois[50], avec en ligne de mire l'interprétation du temps comme horizon de l'entente de l'être.
LeDasein comprend naturellement l'être (au moins le sien), dans l'horizon du temps (voirHeidegger et la question du temps etla « Temporalité » du Dasein)[60]. À partir de cette affirmation, il s'agit d'« établir une connexion forte entre la « question du sens de l'être » d'une part, et le temps comme « horizon de compréhension » de l'être d'autre part »[61].
Que l’« être » soit compris dans l'horizon du temps, signifie qu'il sera rendu visible, dans toutes ses acceptions[N 18], en son caractère « temporal », ainsi de la perception qui se réfère au « maintenant » et du « pouvoir-être » ou « possible » qui se réfèrent au futur. Heidegger déclare expressément« ce à partir de quoi leDasein comprend implicitement en général quelque chose comme l'être est le temps. »[62], sauf qu'il ne s'agit pas du temps ordinaire mais d'un temps originel qui va être celui de latemporalité propre duDasein[55].
Comme on ne peut dévoiler le temps spécifique comme ce qui constitue l'« être de l'étant » qui n'est pas leDasein qu'à partir de la temporalité comme sens de l’être duDasein, c'est cette « temporalité du Dasein » qu'il faudra en tout premier lieu mettre à jour[63]. Pour atteindre la temporalité propre duDasein, il s'avèrera nécessaire de dépasser le concept habituel chronologique du temps au profit d'un temps plus originaire[64].
La démarche de Heidegger implique :
À travers le concept de « Déconstruction », déconstruction de la tradition, Heidegger entreprend au (§ 6) de réveiller la question du « sens de l'être », en démontrant d'abord son «oubli » chez tous ses prédécesseurs, puis en procédant à une critique méthodique de la tradition notamment des trois étapes décisives que sont, comme résumeAlain Boutot[65], le « schématismekantien », le « cogito sum »cartésien et la métaphysiquearistotélicienne.
Avec la « Déconstruction », il va s'agir pour Heidegger, écrit Marlène Zarader[66], de« revenir sur les interprétations de l'être qui ont été données dans l'histoire (c'est-à-dire sur l'ontologie) afin de montrer qu'elles se sont elles aussi, réglées sur l'horizon du temps », même à l'insu de leur auteur.
Cette intervention dans l'histoire, note Marlène Zarader[67], va donner l'occasion à Heidegger dans le même paragraphe (§ 6) d'introduire une distinction entre histoire événementielleHistorie et histoire essentielle, cachée, qui sera celle de l'« être », laGeschichte[N 19], ainsi que le nouveau concept d'« historialité » laGeschichlichkeit, qui va signifier que l'insertion duDasein dans une histoire collective le définit dans son être même .
Au moment de la rédaction, Heidegger n'a pas encore totalement rompu avec la métaphysique (comprendre avec la tradition) et c'est à cette dépendance d'ailleurs que Heidegger attribuera plus tard l'échec relatif deÊtre et Temps[68]. L'interprétation de l'« être-là » (leDasein) par rapport à la temporalité et l'explicitation du temps comme horizontranscendantal de la question de l'être, est, à lui seul révélateur. Avec le souci d'assurer un fondement à cette question, Heidegger aborde la « question de l'être » dans une perspective transcendantale qui relève encore de laMétaphysique et plus précisément de la métaphysique de la subjectivité, un peu à la manière deKant[68].
Il s'agissait ainsi de parvenir à assurer à la «question de l'être », un fondement solide par l'exploration de « son sens unitaire » qu'Aristote, dans sa démarche, aurait raté, en concluant trop rapidement, à lapolysémie incontournable de ce concept. Heidegger entreprend de cerner ce « sens unitaire », en partant de la temporalité de l'étant concerné, leDasein que les premières études avaient mis au jour dans son exploration de la « phénoménologie de la vie » ; l'homme lui-même n'est plus défini comme une nature, une essence invariable et universelle, mais comme un « pouvoir-être ». L'existence prend le pas sur l'essence avec la célèbre formule qui donnera naissance à l'existentialisme :
« L'essence duDasein réside dans son existence »
— Être et Temps, (§ 9),(SZp. 42)
De l’aveu même de son auteur, cette tentative aboutit à un échec[69]. De cet échec, Heidegger retire la conviction que laMétaphysique est définitivement dans l'incapacité d'atteindre sa propre vérité, à savoir la différence de l'être et de l'étant.« La question du sens de l'être reste à l'issue de ce livre inachevé en attente de sa réponse. Elle demandera alors à la pensée le courage et la puissance pour se frayer de nouveaux chemins »[70].
Dans les paragraphes suivants (§ 6 et§ 7), Heidegger s'emploie à clarifier les concepts de « phénomène » et de « logos » pour asseoir, contreHusserl dont il rejette l'analyse comme empreinte du préjugé substantialiste, sa propre vision de laphénoménologie.Hans-Georg Gadamer[71] note« Le premier geste de Heidegger fut, en effet, de mettre en valeur le contexte fonctionnel et pragmatique dans lequel on rencontre toujours les perceptions et les jugements sur elle, et de le retourner contre l'édifice descriptif de Husserl ».L'essentiel de ce qui différencie Heidegger de son maître Husserl, résumePaul Ricœur, c'est que Heidegger s'intéresse non à la relation de l'homme au monde mais à la« pré-ouverture » qui rend possible la rencontre de ce qu'il appelle« l'étant sous la main » ; en résumé au poids ontologique du« auprès de.. » de« l'être-au-monde », préoccupé[72].
Dans une opposition frontale àHusserl, Heidegger avance (SZp. 35) que la phénoménologie a pour but de mettre en lumière ce qui justement ne se montre pas spontanément de lui-même et se trouve le plus souvent dissimulé rappelleJean Grondin[73], d'où la nécessité d'une herméneutique comme le remarqueMarlène Zarader[N 20].
Hans-Georg Gadamer[71] estime que ce qui s'exprimait ainsi dans cette opposition àEdmund Husserl c'est moins une différence de méthode descriptive« que la conviction que le recouvrement dont il s'agissait ici, était pour ainsi dire enraciné beaucoup plus profondément ».
Il puise néanmoins, chez l'Husserl desRecherches logiques, le concept « d'intentionnalité » qui est, selonJean Greisch,« l'être des vécus »[74], et surtout celui d' « Intuition catégoriale », sans lequel, dit cet auteur, il n'eut pas pu déployer sur de nouvelles bases, la question de l'« être ». Il n'y a que dans cette « Intuition » que l'être phénoménalement apparaît[75] sous les réserves, ajoute Heidegger, d'éviter le piège d'une subjectivité qui prendrait notamment appui sur la conscience, piège que n'aurait pas su éviterHusserl. Heidegger va s'attacher à laisser ouverte la question de l'être de l'homme et de l'être en général. C'est le « Souci » qui va apparaître comme la radicalisation et la vérité de ce que la phénoménologie conçoit par intentionnalité[76].
Pour Heidegger, qui consacre un long paragraphe à cette question (§ 7) on ne peut aborder de façon satisfaisante la question du « sens de l'être » qu'à la condition de respecter les modes de donation de l'étant selon le principe phénoménologique du « retour à la chose même ». Ce qu'exprime vigoureusement cette citation de HeideggerÊtre et Temps (SZp. 35)« L'ontologie n'est possible que comme phénoménologie ». Cette démarche est exclusive de toute autre et notamment des modes anciens de l'ontologie (science de l'être)[77].Jean-François Courtine[78] interprète la pensée de Heidegger ainsi :« la phénoménologie ne caractérise pas leWas (ce que c'est), mais leWie des objets, le comment de la recherche, la modalité de leur « être-donné », la manière dont ils viennent à la rencontre »[N 21].
Or ce que nous comprenons en vérité, ce n’est jamais que ce que nous éprouvons et subissons, ce dont nous pâtissons dans notre être même[79]. Il y a donc nécessité d'une travail d'interprétation ou d'explicitation de ce qui se montre, afin de mettre en lumière ce qui ne se montre pas, de prime abord et le plus souvent, travail que Heidegger qualifie d'herméneutique écritMarlène Zarader[80].Jean Grondin[81] note de son côté que pour Heidegger l'« ontologie phénoménologique »[N 22], trouve son fondement ou son assise (son point de départ, en tout cas) dans l'herméneutique duDasein. Jean Grondin[82] se référant à l'analyse de Jean Greisch parle, à propos de l'évolution du penseur de la phénoménologie à l'herméneutique, d'un« rebondissement sur l'existence ».
La compréhension de l'être en général va ainsi passer par une compréhension de l'être de l'homme c'est-à-dire par une phénoménologie duDasein (SZp. 38). Il en découle que la philosophie entendue comme « ontologie fondamentale » va dorénavant se construire à travers une forme d'explicitation, uneAuslegung ou une interprétation de l'être de l'homme par lui-même, une « phénoménologie herméneutique », d'où il s'ensuit logiquement un risque d'enfermement dans un cercle herméneutique (la compréhension de l'être supposant déjà sa pré-compréhension), qui va imposer, pour le briser, une démarche progressive et « répétitive »[83].
Heidegger confirme dans ses premières recherches le primat de l'expérience concrète sur la théorie. Appliqué à la question de la Vie, mise au goût du jour au débutXXe siècle, par la « philosophie de la vie » (voirHeidegger avant Être et Temps), ce principe débouche sur le concept de « vie facticielle», vie à la fois historique et « historiale », c'est-à-dire, se donnant exclusivement à comprendre, à travers le temps dans le concret, avec le privilège accordé au sens de l'« effectuation »Vollzugssinn[84], ou sens d'accomplissement qui se mesure à la plénitude d'existence qu'elle procure[N 23]. En privilégiant le sens d' « effectuation » ou d '« accomplissement »,Vollzugssinn, Heidegger« privilégie le monde propre comme critère décisif »[84].
AvecWilhelm Dilthey et leXXe siècle se développe déjà une« philosophie centrée sur la vie ». Reprenant la problématique, Heidegger en phénoménologue averti, s'attache dans ses cours de 1920 à exposer le « phénomène de la vie » détaché de tous lesa priori, à le saisir tel qu'il se donne. Cela suppose, de comprendre la « Vie », comme elle se comprend elle-même, comme unphénomène « UN » et «auto-suffisant»[85].
Il s'agit donc de refuser toute catégorisationa priori ou typification de ses données avec lesquelles on risque de s'éloigner de la réalité concrète au profit d'une essence intemporelle[86]. Heidegger dégage trois couches de significations concrètes qui constitueront un acquis sous-jacent permanent jusqu'àÊtre et Temps :
Des travaux sur la philosophie religieuse et des sources neo-testamentaires et patristiques viendront ultérieurement compléter et aiguiser ces premières analyses (voir articlePhénoménologie de la vie (Heidegger)).
Toutes ces recherches antérieures sur la vie, préfigurent la problématique de la facticité, qui en privilégiant le concret contre l'attitude théorique, prendra une si grande importance dansÊtre et Temps[87].Ce qui échappe aux analystes précédents du « phénomène de la vie » y comprisHusserl etBergson, constate Heidegger, c'est« qu'ils ne la saisissent pas dans son « être-à-chaque-fois », dans sa temporalité propre »[88].
Heidegger verra dans cette cécité, « un exemple révélateur d'une certaine propension duDasein à fuir son « être-là », à se fuir, pour trouver refuge dans l'objectivité (à voir préfaceAlain Boutot).
Cependant« Heidegger n'est pas pleinement un philosophe de la vie », car très rapidement, il abandonne cette thématique dansÊtre et Temps, pour l'intégrer à la problématique de l'existence, qui seule concerne leDasein[89]. Il y a dans l'«être-au-monde », leDasein, une « altérité » constitutive qui interdit de prendre la vie comme base de compréhension de l'homme à savoir :« l'ouverture originaire à ce qui est autre qu'elle-même ».
Ces travaux débouchent sur une « herméneutique » de la « facticité » et la mise en évidence de structures qui prépareront la future « analytique existentiale » duDasein à savoir :
Les (§ 9 à 11) esquissent les traits caractéristiques de ce nouveau concept d'existence qui chez Heidegger désigne la manière spécifique d'être duDasein[90] qui regroupe les différentes manières d'être recensées plus haut de cet étant. Globalement leDasein a « à être » son être, d'où il découle, à grands traits : que leDasein ne peut être défini qu'en étant décrit dans sa manière spécifique d'être ; que l'être de cette manière d'être est « à chaque fois à moi », c'est la notion deJemeinigkeit, ou « mienneté » ; enfin, que pouvant se choisir, opter pour telle ou telle manière d'être, leDasein, est chaque fois dans son être, « sapossibilité ».
Il faut distinguer entre les structures qui appartiennent à toutDasein, et celles qui dépendent de son choix et entre deux possibilité : « authenticité » et « inauthenticité ».

Au début duXXe siècle, Heidegger découvre une tradition philosophique où domine sans partage la conception aristotélicienne du Temps commephénomène lié au mouvement. Quelques auteurs commeHusserl avec laphénoménologie etBergson avec sa prédilection pour la durée et le vécu[91], commencent à ébranler l'évidence de ces certitudes sans toutefois réussir à les entamer profondément. L'aporie qui veut que le temps n'est en rien un étant et qu'il n'y a pas, au même titre que pour l'être, de lieu en surplomb qui nous permettrait de l'examiner, que nous y baignons dedans, que nous l'expérimentons dans notre propre existence, n'a pu être levée.« Toute pensée du Temps est temporelle »[92].
PourJean Greisch, il faut donc tenter de comprendre le temps à partir de lui-même, ce qu'il est pour nous, et non plus à l'aide de métaphores empruntées à l'espace. Autrement dit, il y a nécessité d'un usage de l'herméneutique ce qui implique travailler à une dissociation du temps entre celui des horloges et le nôtre, qu'Heidegger appellera « temporalité originaire » et d'où, par dérivation, serait issu le premier[93].
Levinas, en préface du livre deMarlène Zarader[94] s'interroge :« les extases de la temporalité heideggerienne auraient-elles été possibles sansBergson ? » .
Heidegger relève dans ses cours de 1920 queBergson avecHusserl, mais différemment de lui, conteste le caractère absolu du temps tel que le définit la tradition philosophique note Camille Riquier[95]. Le temps ne s'impose plus d'en haut, il a quelque chose à voir avec la nature humaine. À sa suite, Heidegger relègue le temps physique, celui des horloges dans un statut « dérivé » par rapport à un temps présupposé « originaire » à rechercher, mais qu'il ne situera pas, comme Bergson, dans le vécu de la conscience.
C'est enfin Bergson qui en liant les trois moments du temps, le présent, le passé et l'avenir, dans une unité « co-originaire », a mis Heidegger sur la voie de la temporalité « extatique» qui sera dansÊtre et Temps, l'autre nom de la temporalité originaire[96]. La démarche n'en reste pas moins tout autre. La temporalité extatique duDasein exposé au (§ 65) d’Être et Temps n'aurait rien à voir avec ladurée pure de Bergson[97].
C'est dansLes Prolégomènes à l'histoire du concept du Temps, un cours de (1925), que se réalise l'intégration de toutes les analyses phénoménologiques disparates dans les recherches de 1919-1924 en un tout unitaire et systématique qui préludera à la rédaction définitive d’Être et Temps[98].

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Conformément au projet initial il s'agit pour Heidegger dans son cheminement, de manifester le « sens de l'être » en général, en analysant au préalable l'« exister » de l'êtreinsigne qui comprend l'être, c'est-à-dire, l'étant que nous sommes, nous-mêmes[44]. Pourquoi l'étant que nous sommes ? Parce que cette compréhension, ou plus précisément cette « entente » car il ne s'agit pas seulement d'une opération intellectuelle, mais d'un mode constitutif de notre être. Cette analyse préliminaire Heidegger l'appelle« analytique existentiale ».
Face à la complexité de ce livre fourmillant, multiforme[25] nous choisirons comme axe privilégié la notion d'« existence ». Dans ce cadre, des développements particuliers correspondant à cette première section sont conduits dans les articles connexes suivants :
Heidegger dans le (§ 10) cherche à dégager l'analytique, de disciplines voisines, qui traitent aussi de l'homme et auxquelles on pourrait la rattacher, il s'agit mais non exclusivement de l'anthropologie, de lapsychologie et de labiologie. Ce paragraphe cherche à démontrer« que les sciences de l'homme ont manqué la question fondamentale de l'être duDasein, et qu'ayant manqué cette question, ces disciplines s'enracinent dans des fondements qu'elles omettent d'élucider », écrit Marlène Zarader[99]. Jean Greisch[100] parle à ce propos de« piège dans lequel se seraient enfermés les philosophies du sujet depuis Descartes ». Le même reproche est adressé aux « philosophies de la vie » deWilhelm Dilthey etHenri Bergson. LePersonnalisme deMax Scheler, qui ignore la question de l'« être-personne », ne trouve pas plus grâce à ses yeux.
Jean Greisch[102] détermine d'abord sur la base des (§ 9à11) les 5 thèmes principaux de l'analytique à savoir : La Mienneté ou rapport de Soi à Soi, qui transforme laquestion du sens de l'être en auto-interprétation duDasein, c'est-à-dire, un « qu'est-ce que l'être? » ou « qu'est-ce que je suis? », en un« qui suis-je? » ; la différenciation entre l'existence des choses , « là-devant » ouDas Vorhandenheit et le phénomène tout autre de l'existence,Existenz, pour unDasein ; le thème de l'« authenticité ou d'inauthenticité », qui qualifie le rapport de soi au « soi-même » de la mienneté en deux possibilités opposées soit comme « appartenance à soi » soit comme « perte de soi » ; le thème de la « quotidienneté » comme structure constitutive originelle et incontournable de tout « être-au-monde et enfin l'affirmation de la multiplicité des modes de l'exister humain et la mise à jour d'une série d'« existentiaux » en lieu et place des catégories traditionnelles.
Dès le départ de l'analyse (§ 12), la caractéristique fondamentale de la structure de l'« être-au-monde, traduction deIn-der-Welt-sein» est primitivement donnée dans une toute première esquisse, pour qualifier l'« exister particulier » qui va engager l'analyse ontologique duDasein[103]. Comme le noteMarlène Zarader[104], le rapport à une extériorité, à une totalité, la (transcendance), est ce qui se donne, en toute priorité, lorsque l'on cherche à caractériser l'homme en son être. Toute la première section est consacrée à cette découverte qualifiée de phénoménologiquement « géniale » par Christian Dubois[105]. Les trois questions immédiatement générées par cette qualification d' « être-au-monde » ; qu'est-ce que le monde? qui est cet étant, et que veut-dire « être-à » ou « être-au », vont constituer la trame de la première section.
Phénomène inaperçu jusqu'ici, l'« être-au-monde » est une « relation » originaire,« unitaire et insécable »[N 25], faisant pièce à toutes les conceptions antérieures, notamment à la conception cartésienne de l'ego cogito[49]. Cette expression décomposée en ses trois moments -(être, monde, ainsi que le « au » de « être-au »)-va fournir le schéma d'analyse de la première section de l'ouvrage. Se rapportant au monde, leDasein s'y déploie sur le mode de lapréoccupationDie Besorgen.
Dans le mot « existence », qui va progressivement concentrer toute l'énigme duDasein, surtout à partir de la deuxième section de l'ouvrage, il y a l'idée de la vie, mais aussi celle d'une mobilité (voir section :La Dynamique duDasein), d'un « avoir-à-être »[N 26], ou de « faire place à être » (entendu comme exposition à l'être) qui ne concerne que leDasein[106] ; être qui est à chaque fois le « sien ». Si leDasein perdu dans le « On » se méprend le plus souvent sur lui-même, dans l'épreuve de l'« angoisse », il lui est donné de se comprendre à partir de son existence, c'est-à-dire,« à partir d'unepossibilité de lui-même, d'être lui-même ou de ne pas être lui-même »[107],[N 27].
En résumé, l'approche phénoménologique sous-jacente de l'« existence » appliquée à l'homme, c'est l'idée d'un être, toujours décalé par rapport à lui-même, qui a « à être », d'unDasein qui se rapporte à son être, à son « pouvoir être », à ses possibilités,« comme ayant à être »[106]. Le concept deDasein exprime entre autres[N 28], un « décentrement » de la position métaphysique traditionnelle de l'homme. Ce« décentrement », ou « avance sur soi », implique, sortie hors de soi, et donc « entente » originaire et spontanée du monde.
Une fois exposé l'impératif premier de l'existence, à savoir, l'« avoir-à-être », l'analyse va s'ordonner autour de trois autres grandes questions soulevées par l'interprétation du syntagme « être-au-monde » : l'énigme du monde, l'emprise de la quotidienneté et la délivrance du « On », à travers le dévoilement du Souci comme fondement duDasein et l'essence phénoménologique du « comprendre »[108].
La « Mienneté »[109] -Die Jemeinigkeit ou le retour sur soi au sens où son être est toujours en jeu- est le phénomène principal : leDasein, se rapporte constamment à lui-même, comme à son « pouvoir-être », d'où le sentiment qu'il est toujours en avance sur lui-même, toujours « en-projet », ce qui soulève la possibilité de deux directions de mouvements contradictoires, ou la fuite devant le "Soi" dans l'affairement auprès du monde et la dispersion[110], oua contrario, le retour sur son « pouvoir-être » le plus propre (caractère de ce qui est propre) ; l'« authenticité », ou la perte dans l'« inauthenticité »[111].
L'idée de monde est tout à fait étrangère à celle de nature. Loin de l’idée triviale de réalité dans laquelle l'homme occuperait une place comme un arbre, toutDasein possède au sens de l'« être-au-monde », un monde qui lui est propre, dans l'esprit de Heidegger qui puise au départ cette idée de monde dans des expressions courantes de la littérature comme le « monde de Proust » ou le « monde de la rue », « ce n'est pas ton monde »[108], le monde s'y dévoile non comme collection de choses mais comme une tournure d'ensemble, qui ayant une significativité propre à travers l'usage et la jouissance, fait de ce monde là, un monde qui a un sens. Remarquons que le concept général de « Monde » de l’« être-au-monde » ne résulte pas de la généralisation à postériori et de l'addition des mondes observables pour chacun de nous, mais désigne selon la terminologie deÊtre et Temps un « existential », étroitement imbriqué dans et avec unDasein préoccupé par son être et est la condition de la constitution de tous les modes existentiels concevables[N 29].
On apprend que,« appartenant au monde », leDasein vit la plupart du temps sur le mode de la « quotidienneté »,Alltägglichkeit, banalement, il vit au milieu des autres dont il ne se distingue le plus souvent pas, et tombe avec eux sous la dictature du « On », de l'opinion moyenne[112],[103]. La première section remarqueMichel Haar[113], montre que le « On » est une structure existentiale indépassable duDasein d'où le thème amplement développé, imprégné de réminiscences religieuses de la « déchéance »,die Verfallen ou du « dévalement » (voir sur ce sujet articlePhénoménologie de la vie religieuse). On peut parler avecHadrien France-Lanord[114], de véritable réhabilitation de ce mode d'être selon lequel« nous sommes de prime abord et le plus souvent dans l'indifférence médiocre de l'exister »[115].
Dans la section les « différentes figures de l'existence » de l'articleDasein sont résumés les modes d'être principaux que dégage l'analytique existentiale.Mienneté,Être-jeté,possibilité, projet, « avoir-à-être », fuite, déchéance, dissimulation, devancement, préoccupation, Souci et angoisse autant de termes soulevés dans l'analytique existentiale qui signent la constante mobilité duDasein.
LeDasein est préoccupé quant à la « propriété » et à l'« authenticité » de son être. De la même façon son monde fait l'objet de sa préoccupation, il en a le « Souci ». Au (§ 41), Heidegger va faire du concept de « Souci », élargi et entendu comme injonction d'« avoir à être », une structure fondamentale duDasein,Être et Temps (SZp. 231). Dégagé de toute connotation psychologique, ce concept élargi, le « Souci », définitivement « ontologisé » va apparaître comme le « mode d'être » originaire et premier de tout homme dans son rapport au monde[116]. C'est sous ce terme de « Souci » que Heidegger va regrouper l'ensemble des traits duDasein« qui est un étant pour qui dans son « être-au-monde », il y va de son être » rappelle Jean Greisch[117] reprenant la formule de Heidegger. On voit donc que le Souci n'est plus lié à la conscience mais bien enraciné définitivement dans l'« existencre ». Dans ce concept remodélisé dont la structure ontologique est définie comme :« devancement de soi », Heidegger pense trouver l'articulation originaire permettant d'unifier la « plurivocité » des modes d'être duDasein écrit encore Jean Greisch[117].
La réponse à la question du « sens de l'être »der Sinn von Sein, implique que leDasein, que nous sommes, puisse le comprendre (SZp. 200). Pour Heidegger, en rupture avec la tradition, il n'y a de véritable « entente »,Verstehen, que là où leDasein établit avec la chose visée« un rapport où son être est proprement engagé »Être et Temps (SZp. 172), et non dans la seule intelligibilité. Selon Jean-Paul Larthomas[118]« Le « comprendre » ou « entente » n'est donc pas l'acte d'une intelligence, il n'est pas prise de conscience de soi d'un sujet séparé de l'objet, il est prise en charge de sespossibilités d'existence dans une situation donnée, à l'exacte mesure de son « pouvoir-être » »[N 30]. Christian Dubois[119] écrit« LeDasein en vue de soi, est la racine où se configure le monde, le monde est toujours projeté en vue de soi-même comme mon monde. « Être en vue de soi », cela veut dire uniment deux choses : être ouvert à soi et être fin pour soi-même ». Tout « expliquer », en tant que découverte compréhensive de l’in-compréhensible, se fonde dans le comprendre primaire duDasein[120].
L'entente intervient dans la constitution même duDasein, elle n'est pas quelque chose qui tantôt nous échoirait, tantôt nous serait refusée, elle est une détermination constitutive de notre être[121],[44].« En tant que compréhension leDasein projette son être sur despossibilités, par où entente de soi et entente du monde sont liées dans un cercle positif » note Christoph Jamme[122]
Heidegger tourne définitivement le dos aux préoccupations techniques et épistémologiques des fondateurs de l'herméneutique moderneFriedrich Schleiermacher etWilhelm Dilthey, dorénavant il ne s'intéresse qu'à la compréhension et à l'explicitation (Verstehen/Auslegung) comme manières d'être duDasein constateJean Greisch[123]
L'entente du monde comme « réalité » séparée nous faisant face, qui est la nôtre spontanément, transposée philosophiquement comme réalité opposée à l'esprit, apparaîtra comme l'effet d'un aveuglement de l'ontologie traditionnelle à l'égard des structures duDasein[124].
La première section se termine avec les paragraphes 43 et 44, qui traitent de la « réalité » et de la « vérité » dans une perspective rendue maintenant possible par l'analytique duDasein.
Heidegger montre que c'est à partir d'un mode « déchéant » de ce dernier[N 31], lorsque l'homme secomprend à partir des choses et ni plus ni moins qu'elles (Anthropologie,Psychologie), que s'impose l'idée d'un monde ; monde dans lequel co-existeraient deux états, d'un côté et séparés l'esprit ou conscience et de l'autre côté le monde, la réalitéphysique . Cette scission que la perspective de l’« être-au-monde» rend caduque contraint à bâtir des ponts destinés à les relier par des théories de la connaissance , vouées à l'échec parce que sans fondement[125].
Puis Heidegger, après avoir rejeté comme dérivée la conception traditionnelle de la Vérité, comme adéquation de la chose à l'idée, va tenter de réintroduire son sens grec primitif de« décèlement » de l'étant (voirVérité etHeidegger et la question de la vérité)Être et Temps (SZp. 227).
Avec la deuxième section, Heidegger va introduire le concept d'« existence authentique» qui va permettre de mettre en évidence le caractère temporel de l'être duDasein[21]. Alain Boutot[126] remarque que l'étude de la première section de l'ouvrage« a dégagé la constitution ontologique de l'être-là, tel qu'il existe de prime abord et le plus souvent, c'est-à-dire dans saquotidienneté ».
L'analytique a aussi mis au jour les structures fondamentales duDasein et donc de l'être humain, ainsi que les divers moteurs de sa mobilité comme, l'angoisse, ledévalement, l'anticipation de la mort et son « avoir-à-être » à partir de son « être-jeté », son exposition au monde, et sa résistance décidée à la dispersion de son propre Soi[127]. Les concepts de base étudiés dans cette première section que l'on trouve dans l'article connexe « Dasein » comme : le « Souci »Sorge, la « Voix de la Conscience »Gewissen, l'« Être-vers-la-mort »Sein zum Tode, l'« être-jeté »Geworfenheit, la « Résolution anticipante »Vorlaufende Entschlossenheit, vont être mobilisés pour articuler « l'être-temps » duDasein, autrement dit pour manifester son essence temporelle[128],[N 32].
Alors que l'analyse menée tout au long de la première section avait conduit, en fin de compte, à faire du « Souci », le phénomène originaire qui paraissait constituer« l'être même duDasein », il va s'avèrer, noteJean Greisch[129] que l'approfondissement apporté par la deuxième section, allait faire apparaître un phénomène plus fondamental encore : la « temporalité », qui en tant qu'horizon ne pouvait se révéler que pour unDasein « authentique »[126].
À propos de cette deuxième section, Greisch parle « « d'un deuxième grand voyage » », tout entier tendu vers la recherche d'une « originarité », que le premier parcours centré sur lephénomène du « Souci », c'est-à-dire, sur unDasein toujours en avance sur lui-même (devancement) et en constant inachèvement[126] n'avait pas permis d'atteindre. Si bien qu'à ce stade,« en l'absence d'une légitimation phénoménologique »[130], on pouvait douter de la possibilité pour leDasein, toujours en attente, d'accéder à l'« authenticité » de son être[N 33], mais que sa conscience lui enjoignait néanmoins de rejoindre. Il s'avérera au cours de cette section que seule l'« anticipation de la mort », comme grande « puissance individualisante », peut permettre auDasein de rejoindre son « être-en-propre » (voirÊtre-vers-la-mort),Sein zum Tode[131]. Heidegger va montrer que, le chemin vers cette «authenticité » est possible dans la «résolution anticipante » par l'« anticipation de la mort »[126]
Les structures duDasein, mises à jour dans l'analytique fondamentale à savoir : le « Souci », l'« entendre », la «disposibilité », le « dévalement », la « parole », l'« être-au-monde », la « spatialité » et la « quotidienneté » dégagées dans la première section, reprises et amplifiées dans la seconde aux paragraphes 61 à 71 vont montrer, dans une longue étude menée pas à pas, que« toutes les structures fondamentales duDasein jusqu'ici établies sont au fond temporelles du point de vue de leur totalité, de leur unité et de leur déploiement possible et qu'elles doivent toutes être conçues comme des modes de temporalisation de la temporalité » écrit Jean Greisch[132].
Deux phénomènes fondamentaux, auxquels sont consacrés les paragraphes (§ 45) à (§ 60), ignorés jusque-là, vont intervenir à l'occasion d'une reprise approfondie de l'analytique, l’« être-pour-la-mort » et la « résolution anticipante » et faire apparaître une nouvelle dynamique à l'œuvre dans la « mobilité » intrinsèque duDasein[N 34] et qui vont constituer des étapes dans la mise à jour du caractère « temporal » duDasein.
Heidegger tente d'abord, de conduire, dans les paragraphes (§ 49) à (§ 53), leDasein face à une phénoménonologie de sa propre mort. Pour l'homme qu'en est-il du sens existential de la mort? Bien entendu il ne s'agit pas de l'expérience proprement dite de la mort mais seulement pour un être mortel, ici et maintenant, de l'expérience de cette « possibilité » tournée selon son expression« sur l'impossibilité de toute possibilité » autrement dit sur sa propre fin,Sein zum Tode[133]. Ce rapport est constitutif de l'être duDasein qui aussi longtemps qu'il existe, existe dans ce rapport indéterminé à sa fin.Alain Boutot[134] écrit« La mort n'est pas une possibilité parmi d'autres mais la possibilité extrême de l'être-là et comme l'écrit Heidegger lui-même,la possibilité la plus propre, absolue et certaine et comme telle indéterminée indépassable de l'être-là,Être et Temps (§ 2 ) (SZp. 258) ».Françoise Dastur[135] note que s'ouvrant à la possibilité qu'elle est,« le devancement de la mort la dévoile comme fermeture à l'être »[N 35].
Bien entendu, cettepossibilité ontologique ne pourra être considérée comme légitime, et non théorique, que dans la mesure où cette exigence de confrontation à la mort monte de l'essence même duDasein nous dit Christian Dubois[136].
La question préalable que cet interprète pose est :« Y a-t-il dans leDasein une exigence du propre et comment se manifeste t-elle ? ». En résumé, répond Heidegger, du fond de sa perte dans leOn, parce qu'il est constitutivement ainsi, et qu'il a son « être » en charge, leDasein, étranger à lui-même, est ramené à son «être-en-dette», c'est-à-dire à sa « nihilité »[N 36] ou absence de fondement, par « la voix de la conscience », qui a pour objet de« laisser apparaître la possibilité d'un « se-laisser-appelé » hors de l'égarement du « On » » écrit Christian Sommer[137].
La «voix de la conscience » l'invite à quitter sa fascination pour le monde[138], à cesser de se cacher et de se travestir[139], comme à cesser de s'entendre lui-même à partir de l'être-exposé en public et à« se décider pour l'existant de fait qu'il est »[140]. Par ailleurs, l'analyse de l'« être-en-faute » montre que leDasein, en tant qu'« être-jeté », doit être considéré comme toujours en dette[N 37], au moins « vis-à-vis de lui-même », et qu'il l'est« aussi longtemps qu'il existe »[141]. Le « devancement » ouVorlaufen témoigne d'unemobilité insigne duDasein qui constitue la manière propre de soutenir sa culpabilité et son « être-pour-mourir ».
Dans l'écoute de cet appel, leDasein s'ouvre pleinement à lui-même, à sa vérité originaire et c'est cette ouverture que Heidegger dénomme « résolution anticipante ». Ce concept de « résolution anticipante » ouDie vorlaufende Entschlossenheit du paragraphe (§ 62), va représenter selon Christian Dubois[115],« la vérité de l'existence assumée »[142].Jean Greisch[141] démontre que dans« la résolution devançante se rejoignent les trois qualificatifs de l’authenticité, de l’intégralité, et de l’originarité ».
Heidegger consacre les paragraphes (§ 61) (§ 62) et (§ 63) à montrer que l'« être-là » peut devenir total et authentique sans cesser pour autant d'être l'étant qu'il est, dans le même état existentiel, grâce à « l'anticipation résolue »Vorlaufen de la mort, sans que cela soit une vaine spéculation morbide mais au contraire dans le soutien permanent de sa possibilité[126],[N 38].
Cette lucidité se trouve saisie par le devancement (l'anticipation de la mort) qui transporte mentalement leDasein, dans la situation incontournable du devoir mourir, c'est à cet aune, que le Monde, ses valeurs et ses attaches affectives vont être jugés et donc disparaître dans le néant pour libérer l’« être-en-propre » dans sa nudité. Christian Dubois[143] précise que cette possibilité « irrelative » implique la dissolution de tous les rapports à autrui et« notamment la possibilité de me comprendre à partir de possibilités puisées dans leOn, elle me donne donc à comprendre à moi-même entièrement, elle me donne à assumer l'existence entière à partir de mon isolement ». LeDasein est mis en face de sa propre vérité lorsqu'il est renvoyé au néant de son fondement.
Dans l'« être-vers-la mort », où la mort n'est pas unepossibilité quelconque mais bien « la possibilité ultime de l'impossibilité de l'existence » selon la formule maintes fois répétée[134] , l'« être-là » existe« authentiquement » (voirle pouvoir être authentique) par son double caractère d'isolement et d'« in-substituabilité »[N 39]. Commeêtre-jeté, leDasein en fait l'expérience dans l'angoisse ; cette angoisse que quotidiennement déchéant, il fuit[143].
Le paragraphe (§ 64) reprend la première analyse du concept de Souci comportant, ledevancement de soi, le phénomène de l'anticipation de la mort et l'appel de la conscience. À cette occasion refait surface le problème de l'ipséité[144], que Heidegger aborde à travers la critique de la conception kantienne. Pour Heidegger« Kant se montre incapable de clarifier la manière dont le « Je » accompagne ses représentations […], il ne voit pas que cette structure intentionnelle a pour présupposition fondamentale le phénomène de l’« être-au-monde » »[145]. Cette cécité l'oblige à s'aligner sur une ontologie de la substantialité.
Pour Heidegger, il faut penser le sujet dans le sens de laconstanceStändigkeit de l'ipséité à partir du Souci qui comme le souligne Jean Greisch[146] n'est pensable qu'en termes de, et partir de la résolution
Jean Greisch qualifie le paragraphe (§ 65) intituléla temporalité comme sens ontologique du Souci« de cœur secret deSein und Zeit ». Françoise Dastur[147] écrit« ce dont nous faisons l'expérience dans la résolution devançante, c'est-à-dire au niveau de l'existence en ce qu'elle a de propre, c'est de la temporalité en tant qu'elle constitue le sens ontologique du Souci ».
Heidegger utilise le terme allemand deZeitigung qui exprime« l'œuvre du temps » ou la « temporation », son propos étant de «déconstruire » la signification traditionnelle du concept de temps[147]. La temporalité n'est plus ce « milieu », où, selon l'expression deFrançoise Dastur, à l'instar de St Augustin,« se disperse la présence, en présent, passé, futur » ni l'unité de « protention et de rétention » husserlienne. Tout en conservant l'unité des trois moments du temps, il s'agit de dénier au "présent" tout privilège, pour le transférer au futur et ainsi épouser« le mode d'être d'un existant qui n'est pas originairement présent à soi, qui a « à être », à devenir ce qu'il est »[148],[N 40].

La temporalité, comme phénomène, va être interprétée à travers l'« existentialité » qui s'expose (se donne phénoménologiquement) selon trois directions ou « extases » co-originaires. Dans la résolution devançante l'être-là se projette en avant de lui-même et s'ouvre à son propre avenir d'où le primat du phénomène originaire de « l'avenir ». L'« être-été »,Die Gewesendheit, qui va constituer le moment du passé originaire, résume la nécessité d'assumer ce que l'être-là a déjà été, il ne peut advenir à lui-même que dans la mesure où il assume ce qu'il est en propre. D'où le constat de Heidegger« Le passé, d'une certaine manière jaillit de l'avenir »Être et Temps (§ 65) (SZp. 326). Enfin pour ce qui concerne le présent écritAlain Boutot[149]« Le présent originaire n'est pas le maintenant, de la temporalité vulgaire, mais désigne en tant qu'« existential », le mouvement par lequel l'« être-là » se projetant vers son pouvoir-être le plus propre et assumant son être toujours-déjà, découvre le monde qui est à chaque fois le sien ».
« La temporalité est l'« hors de soi » original en et pour soi-même »
— Être et Temps (§ 65 ) (SZp. 329)
La temporalité originaire ici mise à jour ne peut trouver sa justification que tout autant qu'elle permet de comprendre les expériences du temps ordinaire,« comme autant d'expériences dérivées, à partir desquelles se constitue le concept vulgaire du temps note » Christian Dubois[150]. C'est à cette question que répond le paragraphe (§ 67) qui commence leIVe chapitre. À cet effet Heidegger procède à une répétition écritJean Greisch[151]« des structures de base duDasein, à savoir :le comprendre,l'affection,la déchéance, etle discours afin de décrire les modalités particulières de leur temporalisation ».
Afin d'étayer ce lien entre « temporalité » etDasein,Françoise Dastur[152], résume en quatre étapes une longue démonstration de Heidegger correspondant aux quatre derniers chapitres d'Être et Temps visant à montrer : que l'être du souci n'est rien d'autre que la temporalité et que successivement les quatre modes d'être duDasein, laquotidenneté, l'historialité, l'intra-temporalité, sont aussi, autant de modes de temporalisation du Temps.
Christian Dubois[153] note les trois directions d'analyse que les trois derniers chapitres accomplissent : pour le chapitre IV, la mise à jour du sens temporel de la quotidienneté, le chapitre V va tenter de dégager la notion d'historicité duDasein, le chapitre VI explorer les conditions de la genèse du concept « vulgaire » du temps.
Des analyses denses et complexes développées par Heidegger concernant latemporalité duDasein,Alain Boutot retient quant à lui trois thèmes[154] :

Pour Heidegger écritJean Greisch[100]« l'anthropologie traditionnelle combine un double héritage, un héritage philosophique […] (l'homme animal raisonnable de la métaphysique) et un héritage théologique, condensé dans l'idée de l'homme créé à l'image de Dieu ».
À ses yeux, préciseMarlène Zarader[155], en ayant manqué laquestion du sens de l'être , les sciences de l'homme se sont enracinées sur des fondements contestables. La position de l'homme, qui en découle, comme sujet, issue deDescartes et, bien avant Descartes, celle deSocrate est le fruit d'un oubli du fondement écritPaul Ricœur[156].Descartes aurait exploré, le « cogito », le « je pense », mais non le « je suis », qu'il aurait pré-supposé dans son raisonnement. Descartes dit textuellement« je suis une chose pensante », Heidegger adresse la même critique àHusserl et rejettera aussi l’« inconscient freudien ».
Heidegger pense que le sujet moderne dérive de l'upokeimenon grec qui signifie, l'en dessous, le sol, le substrat, autrement dit, le sujet est aussi ce qui subsiste inchangé, à travers le temps, unesubstance. À partir de ces pré-supposés il devient impossible, selon lui, de détacher le sujet de l'idée de chose et il ne suffit pas d'honorer subsidiairement la « personne humaine » en l'homme, comme le fait Husserl, pour lui conférer un statut ontologique éminent[157]. Cette pensée qui abandonne l'idée de sujet a été qualifiée d'anti-humaniste.
Heidegger pense qu'on ne peut définir l'homme à partir de lui-même, qu'il est toujours dans un rapport à une totalité, à une extériorité, à un autre que lui-même, que ce « rapport à » est essentiel,« qu'il appartient à son être », d'où l'introduction du concept fondamental d' « être-au-monde »[158]. « Être-au-monde » n'est pas « être dans le monde », leDasein n'est pas comme les choses posées dans le « monde », mais ce monde le concerne c'est positivement son affaire, il n'y est pas indifférent. Les caractères d'être duDasein ne sont pas ceux des choses (les catégories). On les distingue par l'appellation « existentiaux ». Le plus souvent leDasein vit en familiarité avec son monde. Il y établit son « séjour », il y « habite », il y « travaille ».
Jamais l'homme ne porte un pur regard de spectateur sur le monde, même pas théoriquement. Ce monde dans lequel il cherche refuge, le préoccupe et cette « préoccupation », (Besorgen) est la forme première « duSouci ». Cependant cette familiarité est« trompeuse », leDasein est essentiellement toujours, étranger à son propre monde, il estUnheimlichkeit, c'est-à-dire, sans abri, exposé à la violence de l’être[159].
Ce phénomène d'« être-au-monde » est toujours mal-interprété, car leDasein en s'identifiant aux choses se condamne à ne pas voir la spécificité de son essence et à croire pouvoir s'interpréter lui-même par les sciences dites humaines[N 41]. C'est oublier que la connaissance elle-même, n'est qu'une modalité, de son être, une modalité de l'« être-au-monde ». Elle dérive de l'« ouverture » du monde, elle n'en est ni le préalable, ni la condition. Il n'y a donc pas une intériorité d'un sujet à « transcender », une autonomie d'un objet et pas de problème de connaissance direct entre le sujet et l'objet. Le problème de la connaissance n'est pas fondé sur le phénomène du connaître.
Après avoir dégagé les structures formelles de « l'être-là », Heidegger s'attache à cerner la mobilité du vivant en prenant appui sur la conceptualitéaristotélicienne (Rhétorique II, 2-20 et II, 5). Il en dégage, selon Christian Sommer[160], des concepts oubliés qui seront enrichis de motifs néo-testamentaires.
Jean Greisch écrit[161]« c'est à travers l'émotion que je découvre que j'ai besoin du monde et des autres […] il faut reconnaître dans ce besoin une « structure existentiale » qui porte l'empreinte de l'affection ». L'« affection » se dit d'un être qui peut être altéré, Heidegger y reconnaît le « pathos » (πάθος) d'Aristote : qui visant la possibilité d'être affecté et concerné par quelque chose, décrit un état de mouvement; ce « pathos », comprend toutes les altérations nocives ou non qui me constituent comme« être-affecté », recense Christian Sommer[162]. Plutôt que d'abandonner la théorie des affects aux psychologues Heidegger estime qu'Aristote lui donne les moyens, dans laRhétorique, à partir de ses travaux sur l'art de persuader, de se placer sur un autre terrain,« celui d'une hérméneutique systématique de la quotidienneté de l’« être-l'un-avec-l'autre » »[163] rapporte Jean Greish[164].
Seul« l'être du vivant » est susceptible de « pathos », et Heidegger note que pour Aristote, c'est bien « l'être intégral » qui est altéré et affecté par le monde dans lequel baigne leDasein et pas uniquement une simple partie de lui-même qui serait son âme.« C'est l’intégralité du vivant comme « être-au-monde » charnel qui se trouve emporté »[165]. Le pathos implique un changement brusque, un saut d'humeur de« l'être-emporté » . À partir de ces éléments, Heidegger forge son concept deBefindlichkeit, « disposition » affective ou même « disposibilité » selonFrançois Vezin. Pour résumer, une disposition, affectée, se transporte dans une nouvelle disposition, celle-là même dans laquelle on est porté ainsi « c'est en se réjouissant qu'il se transporte dans la joie comme telle ».
La « disposition », traduction difficile du terme allemandBefindlichkeit révèle plusieurs traits essentiels duDasein résumés par Christian Sommer[166], à savoir : un « être-jeté » au monde et livré à lui-même, en charge de lui-même, nu et exposé au monde dans ce qu'il est et dans ce qu'il a « à être » , de sa naissance à sa mort, esclave de sa nature, il est toujours pour son devenir asservi aux contraintes physiques et à la situation existentielle dans laquelle il se trouve jeté'.

C'est laBefindlichkeit, qui ouvre toujours l'intégralité de « l'être-au-monde » à son monde[167], car comme le précise Heidegger[168],« l'état affectif a toujours déjà ouvert le monde dans sa totalité ».
Heidegger produit (§ 30au41) une analyse fouillée de la mobilité duDasein (voir résumé dans articlesDasein,phénoménologie de la vie (Heidegger) etÊtre-vers-la-mort) où il fait état de pour qualifier la vie de : Souci, de tourbillon du monde et d'égarement, de « bavardage » et de curiosité, d'évitement de soi, de crainte et d'angoisse.
« La nihilité du vivant humain » est une périphrase forte utilisée comme tête de chapitre par Christian Sommer[169]. Un des traits les plus caractéristiques du traitement qu'inflige Heidegger au statut de l'homme à travers leDasein est son dépouillement absolu : sans fondement, sans monde et sans abri :
« L'homme apparaît comme un être sans fondement » (ab-gründig) : l'être-jeté signifie que leDasein ne s'est pas posé lui-même, il a « à être » et à « être lui-même ». C'est à lui-même, qu'il est remis, il a donc à être son propre fondement[170]. On peut parler d'une double négativité la première c'est lanégativité correspondant à son origine, en tant qu'« être-jeté », il n'est pas maître de son origine, il n'existe qu'à partir d'elle, partant« il est à lui-même son propre fondement »[N 42]. La négativité est constitutive de son tout premier « être-là » facticiel, et aussi d'une seconde négativité, celle relative à son existence. LeDasein est ainsi, toujoursêtre-jeté-se-projetant (toujours en avance de lui-même) et doit se comprendre dans tel ou tel projet de soi en« renonçant à d'autres ». C'est cette double négativité qui est reprise par Heidegger dans le concept d'« être-en-faute » ou« en dette » qui exempt de toute connotation morale ou juridique révèle seulement un état de fait existentiel incontournable(voir§ 58).
« L'homme est au monde sans abri » : « l’Unheimlichkeit », l'homme littéralement « sans chez Soi ». C'est dans cette situation d'errance dans le vide, cette situation de nudité, que leDasein angoissé se trouve transporté, éjecté qu'il est, de la quiétude de son monde (Umwelt), caractérisé par la plénitude de sens (laSignificativité) , l'habitabilité et la familiarité. Or la constitution fondamentale duDasein, son mode d'être fondamental, a été donné, dès l'origine, parHeidegger, comme « être-au-monde » ; que devient alors cette constitution si ce monde tombe brusquement dans le néant ? C'est la question que se pose en conclusionMarlène Zarader[171]. Peut-on se contenter de répondre avecHeidegger que l'Unheimlichkeit est aussi par opposition, un mode essentiel de son rapport au monde, comme le type de présence que représente l'ami absent ?.
Bien que les développements directement axés sur leDasein dominent largement le livre, ce sont ceux ayant trait auMonde et à la Mondanéité qui vont représenter, selonMarlène Zarader, la base la plus riche pour les développements ultérieurs de l'œuvre du philosophe[172].
DansÊtre et Temps, le concept de « Monde » queHans-Georg Gadamer[173] signale comme« un exemple magistral d'analyse phénoménologique » n'a de sens qu'à travers et pour leDasein, toute autre approche interdit de saisir le phénomène en tant que tel. C'est pourquoi la notion dynamique demondéité oumondanéité l'emporte donc ici sur toute description statique.C'est à travers les manières d'être duDasein que le phénomène du monde va apparaître et non à travers les propriétés objectives des choses[174].
L'ontologiecartésienne est dominée par la notion de substance, héritée de lascolastique, qui à aucun moment ne s'interroge sur les conditions originaires de la donation des phénomènes ;Descartes prescrit souverainement au monde son être véritable à savoir « une chose étendue », dans un espace mathématique. Le monde pourDescartes est une sommation de choses, il impose sa distinction « substance pensante/chose corporelle », qui masque le rapport originel à partir duquel, la conception traditionnelle s'explique . SelonHeidegger ce rapport fondamental se situe au niveau de « l'être au » de l'expression « être-au-monde »[175]. Le monde de Heidegger n'est plus une « chose étendue », c'est tout au contraire l'étendue spatiale elle-même qui doit être découverte à partir dumonde[176].
La révélation de tout étant, quel qu'il soit, présuppose qu'un monde soit au préalablement ouvert[N 43] (Ershlosssenheit) a toujours déjà eu lieu. Toutefois le monde, n'étant pas un étant mais un existential, c'est-à-dire, un mode d'être duDasein, ne peut jamais en tant que tel, être découvert[177]. La traduction littérale deErschlossenheit par ouverture néglige en fait, la nature existentiale du concept, c'est pourquoiVezin ose utiliser dans sa traduction d’Être et Temps le terme étrange de« Ouvertude » « LeDasein est son ouvertude » dit-il[178].
C'est parce que leDasein a une compréhension pré-ontologique, naturelle, immédiate et générale que quelque chose, aussi bien que lui-même, peut lui apparaître. Deux traits sous-tendent cette pré-compréhension,« la familiarité », et la« significativité ».
Au quotidien, l’étant, les choses du monde, se donnent auDasein dans la préoccupationDie Besorgen, et non dans la visée théorétique d'un objet de connaissance. L'intentionnalité husserlienne est réinterprétée comme un « se-soucier-de » l'étant, dont l'éventuelle visée d'un objet de connaissance dérivera. LeDasein utilise l’étant qui se donne à lui comme « outil »,Zeug[N 44], cet outil apparaît au regard de la « préoccupation », regard que Heidegger appelle« circonspection ».
Dans cette relation, dominée par « l'en vue de…, » on se saisit d'un étant « à-portée-de-la-main »,Zuhandenheit pour réaliser quelque chose. La préoccupation englobe les activités les plus diverses. Dans l'optique d’Être et Temps, la distinction qui importe n'est plus celle qui existe entre la pratique et la théorie, mais entre la préoccupation qui discerne et le dévoilement théorique de l'étant[179].
« L'idée fondamentale de Heidegger, c'est que l’« être-là » ne rencontre pas l'étant de façon directe et immédiate, dans sa nudité, mais sur le fond d'un rapport de sens « Bewandtnis-zuzammenhang » qui l'inscrit dans un réseau de significations renvoyant les unes aux autres », écritAlexander Schnell[180].Il s'agit de mettre à jour les modes par lesquels le monde et ses choses se donnent à voir. Heidegger y distingue, avec la généralisation du principe d'ustensilité, les structures de renvoi et les tournures :
Les choses du monde n'apparaissent que sous le regard circonspect d'unDasein préoccupé, attentif au contexte. Dans cette optique élargie tout étant, apparaît, non pour lui-même, mais comme renvoyant à ce contexte. En ce sens tout objet devient « outil », une chose utile en vue de[181]… Mais de même qu'il n' y a pas d'outil isolé (§ 17), il n'y a pas d'outil qui serve à personne. C'est dans l'action entreprise en vue de… que l'outil dévoile son être, il est donc« en son être renvoyé » à autre chose qu'à lui-même. Pour distinguer l'outil de la chose indifférente, simplement là, Heidegger utilise le terme deZuhandenheit, que l'on traduit par « disponibilité » ou mieux « maniabilité », qu'il faut donc absolument distinguer de la notion deVorhandenheit traduit majoritairement par « être-sous-la main » ou « être-à-portée-de-la-main » voulant signifier la présence constante ou subsistance sans autre détermination. Ce qui m'est primitivement donné c'est l'étant-disponible, donc « un en tant que », une chose en vue d'autre chose, le « pour-quoi » qui commande.
De proche en proche, toute la nature dans son caractère disponible, peut être découverte (la forêt réserve de bois, la carrière réserve de pierres pour la construction)[N 45]
De la même façon il n'y a d'ustensiles que dans la mesure où le monde qui les justifie est compris préalablement. Le monde est toujours, en tout utilisable, déjà « là ». Heidegger prend l'exemple de la moissonneuse batteuse qui ne prend de signification qu'à l'intérieur de la ferme et de l'exploitation agricole. C'est, cetenchâssement, qu'Heidegger dénommeBewandtnis (§ 18), traductionMartineau « tournure » et traductionVezin « conjointure », qui de proche en proche met à découvert, le monde. Chaque monde (la ferme, l'atelier, la salle de bains, l'église), est constitué des choses qui sont à leur place, c'est ce que traduit parfaitement le terme de « conjointure ». Tout monde est une entièreté de conjointures liées entre elles en vue de… « « à dessein de quelque chose » » pour leDasein[182]. François Vezin (p. 563), développe« Nageant dans le « bain » de l'existence, leDasein se meut dans les rapports de conjointure ». C'est pourquoi, Jean Greisch[183] peut dire , que la découverte, du, ou des mondes, précèdent celle des choses, dans les tournures et les conjointures qui leur sont propres. LeDasein quotidien appartient essentiellement à un monde avec lequel il est étroitement relié.
Se reporter à la description de « la structure de l'espace heideggérien » dansHeidegger et le problème de l'espace .La maniabilité doit s'accompagner de proximité (§ 22). Le marteau doit être à sa place sur l'établi à peine de perdre son statut d'ustensile. La place va de pair avec la tournure[184]. Chaque objet a sa place et les places sont regroupées en contrées correspondant à des tournures. Ici l'« espace est phénoménologique » en rapport avec la préoccupation soucieuse duDasein, pour qui la spatialisation est un existential.
Dans cet espace phénoménologique, c'est la préoccupation et non les distances objectives, qui va structurer le monde ambiant. Ainsi ce qui est le plus éloigné, et qui implique un long trajet, pourra apparaître plus « proche » qu'une démarche difficile à entreprendre auprès de son voisin (annonce d'un malheur) qui va être lourde et interminable[185].
La question de savoir s'il peut être parlé d'un monde comme tel, c'est-à-dire d'un monde qui ne serait pas le monde ambiant duDasein ne trouve pas de solution explicite dansÊtre et Temps, ou plutôt les deux positions peuvent y être soutenues, remarqueMarlène Zarader[186].
Le terme demondéitéWeltlichkeit suggère un lien essentiel entre le monde découvert et les manières d'être duDasein, lien que l'ontologie classique a systématiquement négligé[174].Heidegger distingue du sens « ontico-existentiel » de monde dans lequel tel ou telDasein vit, par exemple l'espace « mondain » deProust, la dimension du monde religieux du croyant[187] etc., le sens « ontologico-existential », la « mondéité » de ces mondes, c'est-à-dire leur sens d'être ou l'a-priori qui les structurent et les déploient dans leur être. Comme la « mondéité » est dansÊtre et Temps, un existential qui appartient à la structure d'être duDasein, Heidegger commence son analyse à partir du monde ambiant quotidienUmwelt. Familier de ce monde leDasein circonspect s'y meut librement, sans nécessairement en avoir conscience. L'être du monde sous-jacent peut soudain se dévoiler :
Dès le paragraphe (§ 6), comme préalable à la déconstruction de l'ontologie, Heidegger entreprend une réinterprétation fondamentale du concept d'Histoire qu'il reprendra et poursuivra jusqu'à la fin (§ 72 à 77). Au (§ 75) l'histoire est abordée à partir de la question de l'« historialité du Dasein » - son caractère historial ou son existence continuellement en projet.Jacques Rivelaygue montre comment l'histoire, sous forme de reprise des possibilités facticielles délivrées par la tradition intervient pour compléter la contingence initiale à laquelle leDasein serait, sans elle, condamné dans son être-jeté[192].
C'est à partir des deux mots de la langue allemande « Geschichte » et « Historie », le premier renvoyant à une histoire effective en train de se faire et le second plus spécialement axé sur la science correspondante que Heidegger va construire une toute nouvelle interprétation[67] à savoir : laGeschichte va d'abord glisser vers la signification d'histoire essentielle, celle où se joue les événements décisifs, l'histoire de la philosophie se diraitHistorie au sens scolaire etGeschichte pour désigner l'histoire de l’être qui se joue de manière souterraine dans l'histoire de la philosophie ; en puisant dans les ressources de l'allemand Heidegger va rapprocherGeschichte des termesGeschick qui signifie « envoi » (lancement, mis en route) etSchicksal que l'on peut traduire par « destin » ; enfin de la distinction Historie/Geschichte Heidegger va ensuite tirer deux adjectifs qui, traduits, donnent « historique » et « historial », et qui vont tenir une place considérable dans toute l'œuvre du philosophe. Est historial ce qui relève de l'histoire essentielle :« L'histoire que veut penser Heidegger, laGeschichte, c'est l'histoire de ce qui nous est envoyé ou destiné depuis l'origine et qui ainsi nous détermine à notre insu »[67].
LeDasein est inséparable de sa génération et de ce fait il a des prédécesseurs et des héritiers (§ 6). Mais aussi, existant, le passé, mon passé est déposé en moi constitutif de ce que peut être mon être, résume Marlène Zarader[193]. Tout d'abord exister voudra dire« ce rapport existential à son propre passé qui constitue le « primairement historial » que leDasein peut investir dans les choses […] hériter c'est-à-dire se recevoir, assumer despossibilités d'être », écrit Jean Greisch[194].
Dire que leDasein est « historial » c'est dire, en outre, qu'il n'a pas simplement une histoire mais qu'il est lui-même historial, c'est-à-dire qu'il est, lui, constamment« cet acte de s'étendre entre sa naissance et sa mort » et qu'il est cette « extension » qui constitue l'histoire. L'extension est pour ainsi dire consubstantielle à son être[195]. Heidegger combat ainsi de toutes ses forces le risque qui pèse sur une représentation temporelle d'être comprise en termes de spatialité ou de successivité qui supposerait l'existence d'un « Soi » auquel il échoirait en outre de s'étendre[196].
Au paragraphe (§ 44), Heidegger s'attache à déconstruire la perception traditionnelle du concept vérité comme jugement de concordance entre la « chose et la pensée » que l'on en a. Jean Greisch[197] résume sa position en deux alinéas :
Un tel concept traditionnel, qui d'Aristote à Kant, bénéficie d'un consensus impressionnant présente néanmoins des insuffisances ontologiques notamment parce que le mode d'être de l'adéquation qu'il présume possible n'est jamais élucidé. Il s'avèrera que« l'énoncé n'est pas une réalité subsistante mais un acte ou un comportement qui se rapporte directement à l'objet en le dévoilant » écritAlain Boutot[198].
La vérité posséderait, du point de vue du penseur, un sens « existential » originaire d'où découlerait le caractère dérivé du concept traditionnel.
Ces considérations sur le phénomène de la vérité remonte à des élaborations antérieures qui visaient à trouver une réponse à la question « Qu'est-ce que la vérité ? » qui l'ont amené à refaire le parcours de l'histoire de cette notion depuis les présocratiques,Platon etAristote[199].
Échec tout relatif, compte tenu de la dimension dans laquelle évoluent les deux seules sections écrites, on devrait plutôt parler de non aboutissement par rapport aux intentions de l'œuvre, penseAlain Boutot[68].
L'ouvrage se donnait pour but de reprendre la question« du sens de l'être » en général et non pas seulement la signification temporelle duDasein à laquelle elle semble de prime abord s'être arrêtée.« Après avoir montré que le temps est l'horizon de toute compréhension de l'être le projet consistait à faire apparaître en retour-dans la troisième section- que l'être est compris à partir du temps dans tous ses modes, et donc asseoir son caractère «temporal »[63]. Cette troisième section, qui aurait dû s'intituler « Temps et Être »[N 47] et non plus « Être et Temps », n'ayant jamais reçu une rédaction définitive, n'a pas été publiée. Au moment d'Être et Temps, conclutMarlène Zarader[200], Heidegger n'a pas réussi à démontrer sa thèse « il avait choisi d'analyser l'existence de l'homme pour y trouver la réponse à ce queêtre veut dire ; il a bien analysé, de manière magistrale, l'existence de l'homme, il n'a pu, à partir de là, franchir le pas qui devait le mener à l'être.
On peut donc considérer que le projet de Heidegger n'a pas abouti, queSein und Zeit s'est soldé par un échec ». Telle qu'elle fut livrée, cette œuvre avec celles qui la précisent commeLes Problèmes fondamentaux de la phénoménologie de 1927[201],[202],[203], marque néanmoins, par sa nouveauté, un tournant majeur dans la philosophie occidentale, reconnaît un de ses critiques les plus sévères (Levinas). On y trouve, dans une floraison extraordinaire, l'apparition de nouveaux concepts appelés à faire carrière dans toute la philosophie et au-delà, tels queDasein,Monde et mondéité,Être-au-monde,Être-pour-la-mort,Être-avec,Être-en-faute.
Jean Greisch[204] note dans sa partie conclusive, que pour Heidegger l'achèvement fragmentaire de l'ouvrage n'a jamais été synonyme de l'abandon du chantier d'Être et Temps et que« les problèmes soulevés restent toujours nécessairesà titre de chemin, ce qui n'exclut pas des modifications de la manière d'aborder les problèmes ».
Heidegger attribue cet échec à la langue d'Être et Temps qui restée prisonnière de la langue de la métaphysique ne pouvait en conséquence exprimer cela même qui tente de la dépasser[205].« L'inachèvement d'Être et Temps tient à l'inadéquation entre l'objet de la recherche : le sens de l'être et la manière dont Heidegger s'y prend pour l'atteindre qui relèverait encore de la métaphysique »[68]. Toute l'analyseexistentiale est restée très proche du schéma du sujet transcendant dont elle voulait absolument se distinguer. Le traitement du concept d'« ouverture », par exemple, fait appel au schème platonicien de la lumière avec les idées d'horizon et de « clairière ». Il n'en sera plus de même après ce que l'on appellera plus tard le « Tournant »,die Kehre, dans la pensée d'Heidegger, où l'homme n'apparaîtra plus comme configurateur de monde, mais comme le « berger de l'être » ; il s'agira d'une autre histoire de la pensée qui commence avec comme œuvre majeure les « Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) ».
La réception de cet ouvrage considérable aurait fait l'objet, de plusieurs contre-sens.Être et Temps semblait consacrer, en dépit des intentions de l'auteur, une problématique existentielle proche deKierkegaard et deKarl Jaspers[N 48]. Philippe Arjakovsky[24] va jusqu'à dire« qu'il n'est pas exagéré de dire que l'histoire des contresens surÊtre et Temps, constitue la trame principale de la pensée duXXe siècle ». Si l'analyse côtoie sans cesse des thèmes existentiels elle ne vise cependant qu'à dégager, comme notePaul Ricœur[206], à la faveur d'expériences de la vie facticielle concrète, telles que l'ustentisilité, les tonalités affectives d'angoisse la déréliction et en les dépassant, la structure ontologique duDasein.
La plupart des sciences humaines contemporaines ont puisé, à un moment ou à un autre, dans l'œuvre de Heidegger et particulièrement dansÊtre et Temps.
Sur un plan purement théorique trois autres percées méritent d'être soulignées :
Cet ouvrage de (1927), rédigé en vue de son habilitation pourMarbourg et qui apparaît dans la carrière du philosophe comme un premier aboutissement de ses premières recherches (voirHeidegger avant Être et Temps), est aussi une de ces œuvres majeures de la philosophie que certains ont pu comparer à laMétaphysique (Aristote). Il s'agissait au départ de développer une intuition majeure de Heidegger quant au sens temporel de l'« Être ». Il s'avèrera par la suite que cette démonstration ne pouvait être réalisée dans le cadre strict de la métaphysique et que son dépassement s'imposait.
Être et Temps occupe une place centrale dans l'œuvre du philosophe. Selon Christian Dubois[25] tous les chemins de pensée de Heidegger passent parÊtre et Temps, fût-ce pour le dépasser, il faut donc constamment y revenir, ce que le philosophe ne manque pas de faire en annotant son exemplaire personnel« jusqu'à son dernier souffle » écrit Philipe Arjakovsky[211]. Bien qu'à l'époque de ce livre il ne soit pas encore agi pour Heidegger de renverser la métaphysique, comme le souligneFrançoise Dastur[212].
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