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L'éveil spirituel (appelée également « illumination[n 1] », « réalisation de soi », « libération »[n 2], ou simplement « éveil »), désigne dans les traditions religieuses, mais aussi dans certaines philosophies, un retour à sa “véritable nature”[n 3], permis par l'abandon ou l'effacement de l'ego. Ce retour peut advenir de manière graduelle ou soudaine et se produire à la suite d'une pratique spécifique (par exemple dans le cadre dubouddhisme, de l'hindouisme, dusoufisme, d'un contexte laïc), ou encore toucher brusquement une personne non préparée, à la suite d’un fort bouleversement. L'éveil prend parfois la formemystique d'uneextase ou union (samadhi) avec l'univers ou un principedivin[n 4].
L'éveil fait depuis quelques années l'objet de recherches universitaires dans différentes disciplines, notamment ensociologie, enneurophysiologie ou encore enpsychologie où il est classé parmi lesétats modifiés de conscience.
L'expression a pris un sens aux contours plus flous dans la mouvance diteNew Age, où les acceptions et les traductions les plus diverses de l'expression « Éveil spirituel » sont parfois amalgamées, voire fantaisistes.
L’éveil spirituel, tel qu'il est défini dans certains courants mystiques de l'hindouisme[1] (voirmoksha), du bouddhisme[2] (voir les notions debodhi,bouddhéité,satori etnirvāna, ainsi que « l'éveil à soi » chezKitarō Nishida[3]), duchristianisme (voir laconversion religieuse) et dans certains courants plus éphémères, comme l'illuminisme, représente l'aboutissement d'un engagement personnel sur une voiespirituelle. Uneascèse physique, morale, intellectuelle est censée conduire le pratiquant à l'émancipation radicale que représente l'éveil spirituel.
Une telle expérience, traditionnellement réputée comme un bouleversement, est décrite dans différentes traditions (hindouiste, ledvija,chrétienne,musulmane, notamment) comme une « seconde naissance »[réf. nécessaire]. L'individu y découvrirait sa véritable nature accompagnée parfois, mais passagèrement, de joies et des états inaccessibles au commun des mortels (ataraxie,apatheia,samadhi).

L'Éveil ou l'État d'éveil évoque traditionnellement, dans laphilosophie indienne, une libération totale de l'ego (en tant que « moi » commun) pour un retour à sa véritable nature. Selon les courants, les moyens de parvenir à l'éveil diffèrent. Par exemple, il existe plusieurs formes deyoga.
Dans l'Advaita Vedānta, aussi connu comme « jñāna mārga » ou « voie de la connaissance », l'éveil spirituel est une libération (mokṣa) où l'homme est libéré dukarma des actions qui le tient au monde, et dusaṃsāra, qui est la ronde éternelle des naissances et des morts[4].

L'éveil spirituel enInde est traditionnellement lié aux quatre voies (mārga) majeures duyoga, à savoir lejnana yoga, lebhakti yoga, lekarma yoga et leraja yoga. Il s'agit pour le yogi de découvrir ce qu'il est réellement, de voir son véritable soi derrière tout ce qui le recouvre et le masque, et cela en pratiquant la forme de yoga qui correspond le mieux à ses affinités et à ses capacités (ou, éventuellement, en combinant ces différentes formes)[5].
Dans le bouddhisme, selonPhilippe Cornu :« On ne confondra pasnirvâna et Éveil, même si ces notions sont intimement liées. Lenirvâna a un rapport direct avec la libération de la souffrance et des conditionnements, tandis que l'Éveil est un phénomène de nature cognitive qui implique la manifestation pleine et entière de lasagesse, c'est-à-dire de laconnaissance directe et non conceptuelle de laRéalité telle qu'elle est »[6].

Sur la voie duzen, l'Éveil peut être compris comme pouvantsurvenir brusquement, et même brutalement (voir courant zenRinzai, révélations d'ordre mystique).Hermann Hesse, parlant de l'éveil du zen dans une lettre écrite à un ami, donne cette définition de l'éveil :« atteindre cet éveil,cette union avec la totalité, non de manière intellectualisée mais en la vivant comme une réalité avec l’âme et le corps,devenir cette unité, voilà le but auquel aspirent tous les disciples du Zen »[7].

Pour lesoufisme, l'éveil spirituel représente une seconde naissance qui nécessite, comme le dit unhadith de « mourir avant de mourir »[8], car comme le dit le cheikh Arslân (mort vers 1160) : « Tu es un voile pour toi-même / Dieu ne t'est donc voilé que par ton ego »[9]. Il s'agit donc pour l'ego de s'éteindre dans l'Unicité divine (arabe :al-fanâ' fi l-tawhîd). Mais celui qui a brûlé ses qualités individuelles pour s'anéantir va désormais subsister (baqâ') en Dieu[9]. On atteint ainsi, comme le dit l'islamologue et soufi E. Geoffroy,« un état de transparence à l'Être divin, d'effacement total du moi individuel dans la Présence »[9].
On trouve également l'expression dans lecatholicisme pour désigner, de façon moins radicale, une première initiation ou un« éveil à la foi »[10].
La notion d'éveil spirituel est parfois rapprochée du concept d'intuition tel qu'il est proposé parHéraclite[11] etPlaton (notamment dans l'allégorie de la caverne) ou encorePlotin,Spinoza ouBergson. Hors de toute notion de divinité, l'éveil spirituel est décrit comme une « vision directe du réel » caractérisée par un sentiment d'éternité, unejoie infinie, un émerveillement devant la perfection intrinsèque de toute chose, un sentiment denon-séparation entre sujet et objet, une dissolution du sentiment d'individualité séparée et une communion avec toute chose.
Dans une lettre célèbre à Freud, l'écrivain françaisRomain Rolland évoque une telle expérience spirituelle non religieuse qu'il appelle « sentiment océanique ».
Jiddu Krishnamurti estun des penseurs modernes qui a le plus répandu la notion hors du cadre religieux[réf. nécessaire],[12]. D'autres auteurs contemporains, principalement issus dunéo-advaïta occidental, utilisent fréquemment l'expression, notammentEckhart Tolle,Andrew Cohen,Jean Klein,Douglas Harding,Stephen Jourdain.
Lasociologue n'aborde pas la notion de la même manière que l'initié d'uneécole philosophique ou spirituelle. Malgré quelques exceptions en sociologie commeEdgar Morin,René Barbier[13] ou Éric Forgues[n 5], qui utilisent le motéveil pour témoigner de leurs propres expériences spirituelles, la formule généralement employée pour désigner ce concept estétat modifié de conscience[14]. Certains, commeDanièle Hervieu-Léger, parlent de« la plus haute conscience de soi »[15].
Des études réalisées par des neurologues existent, basées sur de l'imagerie cérébrale, qui montrent l’activation ou la désactivation de zones particulières du cerveau lors d'état d'éveil, deméditation profonde, et de plénitude mystique[16],[17]. La question demeure cependant de savoir si ce sont ces processus neurologiques qui induisent un tel état d'éveil ou bien si c'est l'inverse[16].
Dans son ouvrageWaking Up: A Guide to Spirituality Without Religion (2014), le neuroscientifiqueSam Harris écrit :« Il est tout à fait possible de perdre le sens d'être un moi séparé et de faire l'expérience d'une sorte deconscience ouverte et illimitée ; de se sentir, en d'autres termes, faire un avec le cosmos »[17].

Auxixe siècle, le psychiatre canadienRichard Maurice Bucke (en) (1837-1902) fit lui-même l’expérience de l'éveil et publia la première étude psychologique sur l’éveil[18].
C. G. Jung (1875-1961) s’intéressa de près à la spiritualité, ainsi qu’aux croyances de l’Orient. Il a même été jusqu’à rapprocher son concept d’individuation de l’éveil des religions orientales (samadhi,…)[19].
Les expériences transcendant le Moi ont, ensuite, été étudiées, en particulier par la psychologie humaniste outranspersonnelle. Ainsi en 1969,A. H. Maslow (1908-1970) a ajouté aux cinq groupes de besoins fondamentaux qu’il avait identifiés un sixième qu’il appelleraself-transcendence (dépassement de soi)[20].
John Welwood (en), (1943-2019), docteur en philosophie et en psychologie clinique, psychothérapeute, et aussi bouddhiste pose la question : « Faut-il renvoyer définitivement dos à dos les "psy" et les "spi", les uns s'intéressant à l'amélioration du moi alors que les autres visent à l'effacement de celui-ci ? » À quoi il répond lui-même en montrant« comment spiritualité et psychologie peuvent agir en synergie pour que tout être en recherche puisse parvenir au plein déploiement de lui-même et à l'accomplissement de son destin profond »[21].

Steve Taylor (né en 1967) mène des recherches universitaires sur l’état d’éveil de manière indépendante, à partir d’enquêtes, tout en s’appuyant sur son vécu personnel. Il présente une synthèse de ses travaux dansLe saut quantique. Psychologie de l’éveil spirituel[22], ouvrage dans lequel il cherche à démythifier l’éveil[23] : l'éveil n'est ni rare ni essentiellement religieux, et il se produit souvent quand une personne a subi des troubles importants. Pour S. Taylor, l’éveil est un état psychologique naturel : il correspond à la disparition du Moi habituel, égotique et limitant, qui cède la place à un nouveau Moi, plus effacé[24]. Enfin, il voit dans l'éveil un état supérieur de conscience qui préfigure les évolutions à venir de l’humanité[25].
L'éveil spirituel est central dans les mouvementsNew Age, en tant que moyen de transformation de l'humanité[26].