L’étymologie populaire est un procédéanalogique par lequel le sujet parlant rattache erronément un terme — mot ou locution — dont il cherche l'étymologie à un terme qu'il connaît et comprend.Par abus de langage, on désigne aussi par « étymologie populaire » une explication étymologique qui s'appuie sur de simples ressemblances formelles et apparentes dans la même langue ou non, sans recours à laméthode scientifique desphilologues etlinguistes.
L'étymologie populaire s'appuie avant tout sur des ressemblances formelles fortuites entre lesignifiant d'un mot et ceux d'autres mots ouradicaux déjà connus ; elle peut laisser ses empreintes dans lelexique d'une langue en modifiant l'orthographe et la prononciation d'un mot ancien mal analysé. D'un point de vue normatif, l'étymologie populaire est une erreur, mais ces « erreurs », de ce type ou d'un autre ont étélexicalisées de sorte que certains mots issus d'une étymologie populaire, ont maintenant le statut delexèmes « normaux ».
D'un point de vue linguistique, l'étymologie populaire est une volonté comme une autre de rationaliser la langue : en adaptant le signifiant d'un terme devenu inanalysable, elle permet de remotiver un mot, même si le signifié réinterprété est étymologiquement incorrect, ce qui lui donne plus de poids dans la mémoire. Il est en effet plus aisé de mémoriser des termes motivés (que l'on peut analyser en morphèmes, commemaisonnette, dans lequel un locuteur lambda est capable de reconnaîtremaison et-ette, un diminutif). C'est une forme denivellement analogique : le mot obtenu par étymologie populaire doit être recréé par imitation d'autres signifiants mieux connus. Le plus souvent, le mot modifié est :
Un cas d'école est fourni par l'étymologie du mot girouette.
Il apparaît de prime abord comme unmot-valise, composé degirer « tourner » (cf.giratoire) et un élément-rouette, qui peut sembler être une forme tronquée de pirouette (faire la pirouette signifiant « faire volte-face »), voire un rouet, objet qui tourne, basé sur le nom de la roue. Ces sens s'accommodent précisément de ce qui constitue la nature d'une girouette : le fait de tourner.
En réalité, il n'en est rien. Le terme est attesté dans un texte normand : leRoman de Rou deWace (auXIIIe siècle)wirewire ouwirewite[1] qui est lui-même issu duvieux norroisveðrviti « girouette » (comme de nombreux termes de la marine ancienne). Il s'agit d'un composé deveðr « temps (météo) » etviti « qui indique », c'est-à-dire « indicateur du temps ». Il n'a donc aucun rapport étymologique avec l'action de tourner. Ce composé pouvait, dans les textes poétiques, désigner parmétaphore un navire (pris dans la tempête).
AuXVIe siècle, il est mentionné avec la graphiegyrouete, mais qui reflète déjà la phonétique contemporaine du terme. Cette altération s'est peut-être faite, non pas directement à partir du normand, mais à partir d'un emprunt au dialecte de la Loireguirouée, plus proche phonétiquement du mot français actuel, et qui partage le même étymon norrois avec le mot normand[2].
Le mot a en effet entretemps été réanalysé : puisqueguirouée ne renvoie à aucun morphème connu, il est modifié inconsciemment parce qu'il semble fortuitement composé degire etrouette « petite roue » ce qui, pour le sens, fonctionne, une girouette traçant bien des cercles (rouette) en tournant (gire).
De même,choucroute s'analyse a priori comme un composé dechou et decroûte, alors qu'il remonte àSürkrüt, mot du dialecte alsacien correspondant à l'allemandSauerkraut, littéralement « chou aigre » (desauer « aigre » etKraut « chou ») : il est donc bel et bien question de chou dans l'étymologie réelle, mais cela concerne la seconde partie du mot, non la première. Il est attesté pour la première fois dans le lexique du français sous la formesurcrute (en 1699, suisse romand) puissorcrotes (en 1739), puis a évolué vers sa forme actuelle à cause de l'influence dechou et decroûte[3].
Le nom dechat-huant qui désigne lachouette hulotte n'a rien à voir avec les félins. Il est issu du latin vulgairecavannum (accusatif decavannus), lui-même issu du gauloiscavannos. Ce dernier est devenuchouan en ancien français, avant d'être refait enchat-huant sous l'influence dechat et du verbehuer (à cause du cri de la chouette)[4].
Le nom communcapharnaüm, au sens de « grand désordre », est traditionnellement expliqué comme une allusion à la foule immense qui se pressait autour de la maison oùJésus de Nazareth enseignait dans la cité biblique deCapharnaüm[5]. La description de cette foule figure effectivement dans l'Evangile de Marc. Cependant, à l'origine, l'expression péjorativecapharnaüm n'a rien à voir avec leNouveau Testament. Le mot exact étaitcafourniau, terme dérivé du latinfurnum (accusatif defurnus « four ») et qui désignait en moyen français un débarras[6].Cafourniau a été refait encapharnaüm sous l'effet d'un rapprochement fautif avec l'épisode biblique mentionné ci-dessus.
L'orthographe actuelle de l'adjectiffainéant s'explique par l'étymologie populaire qui veut que ce mot soit issu defait etnéant, alors qu'il est en réalité une altération defaignant, oufeignant, participe présent de feindre, au sens ancien de « se dérober (à la tâche), rester inactif[7] ».
Le verbese pavaner et le nom commun dont il dérive, lapavane, sont souvent associés à l'idée dupaon qui exhibe fièrement sa roue pour attirer les femelles. Pourtant, ils n'ont rien à voir avec cet oiseau.Pavane (et, par extension,se pavaner) ne provient pas du latinpavonem (accusatif depavo, "paon"), mais de l'italien dialectaldanza pavana. Ce dernier correspond à l'italien standarddanza padovana et signifie "danse dePadoue" (Padova en italien, issu du latinPadus, lePô)[8].
Le terme s'écrivait auparavantforsené (il y avait aussi un verbeforsener, d'où le verbe, rare,forcener)[9].
Dans ce cas, l'étymologie populaire n'a provoqué aucun changement phonétique. Si elle est avant tout graphique, les francophones associent, tout de même,forsené àforce- de manière intuitive. On peut noter au passage qu'il n'existe aucun suffixe-né dans la langue française. Ce vocable est issu en réalité de deux éléments : le préfixefor- (cf.forban,fourvoyer, anciennementforvoyer,formariage, etc.) qui passe pour un croisement des affixes d'origine latinefor(i)s « dehors » et germanique*fir-, dépréciatif et négatif dans cette acception.
Le second élément est un terme d'ancien françaissen (d'origine germanique*Sinnu) qui avait certaines des significations du mot « sens » (lui d'origine latine). On le rencontre également dans le termeassener ouasséner (voir pour l'aspect sémantique notamment la locution « assener des vérités »). Le préfixefor- étant rare et le motsen s'étant perdu, le francophone aura tout naturellement tendance à recréer une étymologie factice.
La pièce dujeu d'échecs que l'on appelle le fou n'a aucun rapport avec lesbouffons médiévaux. Son nom dérive de l'arabe classiquealfil, qui signifie "éléphant". En effet, dans la version originelle du jeu d'échecs conçue enInde, cette pièce représentait un éléphant. Entré en français par l'intermédiaire de l'ancien espagnol,alfil a d'abord été simplifié enfil, puis ce dernier a été refait enfol par assimilation abusive avec le motfol issu du latinfollis ("ballon" et, par extension, "malade mental qui erre de-ci de-là")[10]. Le jeu de l'étymologie populaire a ensuite entraîné l'assimilation de la pièce d'échecs à un bouffon.
L'expression populaireS'en moquer comme de l'an quarante est traditionnellement expliquée comme une invention des royalistes sous leDirectoire et leConsulat, l'an quarante étant la quarantième année ducalendrier républicain, que les partisans de la monarchie espéraient ne jamais voir advenir. Cependant, il s'agit là encore d'une étymologie populaire. En réalité,S'en moquer comme de l'an quarante procède de l'altération deS'en moquer comme de l'Alcoran (c'est-à-direcomme duCoran), expression apparue en France auXIIIe siècle à la suite desCroisades[11].
Comme il est issu dupataouète, l'ancien argot desFrançais d'Algérie, le terme familiermoukère est souvent considéré comme un mot d'origine arabe. Sa première syllabe enmou-, apparemment proche de celle qu'on trouve dans plusieurs noms arabes (Mustafa,moudjahid, etc.), semble conforter cette idée. Cependant, il n'en est rien.Moukère dérive de l'espagnolmujer ("femme"), lui-même issu du latinmulierem (accusatif demulier, "femme")[12].
L'expression familièremousmé, utilisée pour désigner une femme, est souvent perçue comme un mot arabe, qui serait entré en français par l'intermédiaire dupataouète et qui serait apparenté étymologiquement àmoukère[13],[14]. Là encore, il s'agit cependant d'une pure étymologie populaire.Mousmé dérive du japonaismusume ("jeune fille") et a été introduit en français par l'écrivainPierre Loti, dans son romanMadame Chrysanthème qui se déroule au Japon[15]. Les idées fausses sur l'origine demousmé ont été entretenues par la proximité phonétique avecmoukère et par le fait que ce mot reflète une transcription du japonais abandonnée depuis la généralisation de laMéthode Hepburn, ce qui ne permet plus de reconnaître son ascendance japonaise.
Les exemples suivants concernent des cas où des linguistes et grammairiens ont cru repérer des étymologies populaires, là où il n'y en avait pas réellement.
L'idée que l'expressionremède de bonne femme procèderait en fait de « remède de bonnefame » a été développée en 1973.[réf. nécessaire] L'ancien françaisfame désignait effectivement la « renommée » (cf.mal famé, du latinfama). Cette explication apparait une fois[16]. On peut aussi le rapprocher de l'italienbona fame, littéralement « de bonne réputation ».Cette étymologie n'a jamais été avérée[réf. nécessaire], et est contestée par un professeur de français[Qui ?][17] qui lui préfère largement le sens donné parPierre Larousse : « des remèdes populaires ordonnés et administrés par des personnes étrangères à l'art de guérir »[18]. Cet emploi historique se retrouve dans les dictionnaires depuis leXVIIIe siècle et dans un texte deNicolas Alexandre publié en 1714,La Médecine et la Chirurgie des Pauvres, et correspond bien au sensbonne femme que l'on retrouve aussi dans « conte de bonne femme »[19].
Une autre piste en faveur de cette étymologie est la correspondance avec les expressions comparables dans des langues étrangères. L'anglais dit ainsiold wives' remedy[20] (remède de vieille femme) ce qui concorde d'ailleurs avec le sens de « femme âgée » qui était attribué, parmi d'autres, à « bonne femme » par la quatrième édition duD.A.F. (1762).
Cette querelle sur l'étymologie correcte de l'expression est ancienne, puisqu'en 1913 déjà, dansLa Chronique médicale, un auteur se posait la question :« Je serais curieux d'avoir celui de confrères, lecteurs de la Chronique. D' E. Fléchi (Rennes). Doit-on écrire Remède de bonne femme ou de bonne famé ? — Famé venant de fama, renommée, quand on parle d'un « remède de bonne famé » […] »[21] tandis que la même année,L'Intermédiaire des chercheurs et curieux se posait la question inverse :« Le « remède de bonne femme » apparaîtrait alors comme un « remède de bonne famé » , donc tout le contraire de « mal famé » et devrait être... restitué à la médecine d'antan, cette même médecine qui, aujourd'hui, le honnit. Mais, motus ! »[22].
Un intervenant ultérieur de la même revue donne tort en 1992 à son prédécesseur et à l'un de ses contemporains dans ces termes :« Pour autant, devrions-nous écrire remède de bonne famé comme nous le dit Jean Olivaux (1991/492), faute de quoi nous ne serions que des profanes ? Je ne le crois pas du tout ! […] »[23]. Plus près de nous, le linguiste Jean-François Sabayrolles, dansEnjeux du jeu de mots: Perspectives linguistiques et littéraires plaide pour une déformationparonymique« avec [une] étymologie dite « populaire » par pseudomotivation » lors de la« réinterprétation defame, renommée, disparue enfemme,homophone hétérographe :remède de bonne fame →femme »[24].
Potron-minet est un autre exemple d'expression où on a cru discerner, de manière abusive, une étymologie populaire. Au milieu duXIXe siècle, le grammairienÉmile Littré faisait descendrepotron-minet depaître au minet : l'expression aurait désigné l'heure où le chat se met en chasse pour se nourrir[25]. Cette explication est cependant totalement erronée. En réalité,potron-minet est issu du moyen françaispoitron (« fesses, derrière »), lui-même issu du latin vulgaireposterionem (accusatif deposterio) et deminet : cette expression signifie littéralement « dès l'heure où l'on peut voir le derrière du chat »[26]. Elle est d'ailleurs la réfection d'une expression plus ancienne,poitron-jacquet, qui faisait allusion à l'écureuil (jacquet en moyen français).
L'expression familièreParler français comme une vache espagnole (c'est-à-dire parler très mal français) est souvent présentée comme un exemple d'étymologie populaire. Selon la thèse la plus répandue, elle dériverait deParler français comme un Basque espagnol. La transformation deBasque envache se serait faite par l'intermédiaire du motgasconvaco ("vache"), ce dernier étant prononcé "baco" avec un "B" à l'initiale (legascon étant en effet une langue àbêtacisme, à l'instar de l'espagnol)[27].
Cependant, bien qu'elle ne soit pas impossible, cette thèse de l'étymologie populaire n'est pas absolument certaine et doit être traitée avec prudence. En effet, alors que l'expressionParler français comme une vache espagnole est attestée dans les dictionnaires et les lexiques depuis le XVIIe siècle (avec la varianteParler latin comme une vache espagnole), on ne trouve avant cette date aucun ouvrage écrit attestant de la formeParler français comme un Basque espagnol[28]. En outre, l'usage insultant devache pour désigner un être humain est attesté en français dès 1640 : le mot désignait à cette époque une femme aux mœurs légères[29]. Il est possible que l'expression ait été dès l'origineParler français comme une vache espagnole et qu'elle ait signifié initialement "Parler français comme une garce espagnole" (ou "comme une vilaine Espagnole").
L'étymologie populaire permet aussi d'expliquer certaines erreurs nonlexicalisées, comme la modification derémunération en*rénumération par certains locuteurs. Leradicallatinmuner- (dansre-muner-atio), signifiant « don », n'étant pas très productif en français, le mot est réinterprété comme un dérivé denumération, le radicalnumér- étant, de loin, plus fréquent. On retrouve cela avec le motinfarctus (du latininfarcio, bourrer, remplir), souvent transformé eninfractus (-farct- formant une syllabe peu commune en français etfractus renvoyant au mot courantfracture) ; avec le mot*rebourratif à la place deroboratif (par influence debourratif) ; ou encore avec l'adjectif fautif *carapaçonné à la place decaparaçonné (sous l'influence decarapace, alors quecaparaçonné dérive du vieux motcaparaçon). En fait, le mot étant alors lié par la mémoire à un radical connu, il devient plus facile à retenir et utiliser. Pourtant,*rénumération,*infractus,*rebourratif et *carapaçonné sont encore considérés comme des erreurs.
Les fausses attributions étymologiques, qu'elles soient commises par des adultes ou des enfants, sont une puissante source d'inspiration pour les humoristes qui en tirent desjeux de mots. Pour reprendre l'exemple de l'infarctus, celui-ci a pu être déformé enLa Fracture du myocarde, titre d'un film reprenant l'expression supposée des enfants héros du film, ou encore déformé en « un cactus dans le myocarde » dansHara-Kiri[24]. Dans une veine similaire, on peut aussi évoquer l'assimilation fréquente, en français populaire, du titre deFührer porté parHitler avec le mot françaisfureur, à cause de la violence du régime nazi. Cette assimilation a donné lieu à plusieurs jeux de mots dans les médias, commeHitler faisait fureur (titre d'un article du quotidienLibération)[30] ouLe Führer qui fait fureur dans le numéro 700 dePilote. En réalité,Führer signifie simplement « guide, dirigeant, conducteur » en allemand et n'a aucun rapport avec lafureur (celle-ci se disantWut). Enfin, un cas bien connu de plaisanteries liées à l'étymologie populaire est le rapprochement abusif entre le nom dePierre Cauchon, le juge deJeanne d'Arc, et lecochon (le nom de famille Cauchon est en réalité issu du nom commun normanno-picardcauchon, correspondant àchausson en français standard[31])[32].
↑Elisabeth Ridel,Le navire viking et les traditions navales d'Europe : Bateaux de type scandinave en Normandie (Xe – XIIIe siècle), inL'héritage maritime des Vikings en Europe de l'Ouest, actes du Colloque international de la Hague, Presses universitaires de Caen, 2002, p. 309.
↑La Chronique médicale, éditions Rédaction et administration, volume 20, 1913
↑ Benjamin Duprat,L'intermédiaire des chercheurs et des curieux, Librairie de l'Institut, 1913, p. 616
↑Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1992, page 7
↑a etb Jean-François Sabayrolles, « Néologismes ludiques : études morphologique et énonciativo-pragmatique » inEnjeux du jeu de mots : Perspectives linguistiques et littéraires, dir. Esme Winter-Froemel et Angelika Zirker, Volume 2 de The Dynamics of , Éditeur Walter de Gruyter GmbH & Co KG, 2015,(ISBN9783110408348), 321 pages,p. 194,extraits en ligne