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Condillac est le chef d'une école philosophique française desLumières qui enseigne unempirisme radical, lesensualisme. Lecteur assidu de la philosophie anglo-saxonne et en particulier de Bacon et de Locke, son empirisme voit dans l'expérience non pas seulement la source matérielle des idées, mais aussi la méthode de laconnaissance. Il a pour principaux disciplesHelvétius,Volney,Cabanis.
Il est affligé d'une vue très basse et a une santé fragile, de sorte qu'il n'apprend à lire qu'à l'âge de douze ans[4].
Tout comme ses frères, il passe au cours de sa jeunesse beaucoup de temps dans la résidence secondaire de sa famille, ledomaine des Ombrages deVif, acheté par leur oncle en 1710[5].
Étienne Bonnot entre dans les ordres en1733 et devientabbé de Mureau. Pour les deux frères philosophes, la fonction d’abbé n’était qu’un titre parmi les autres. Condillac passait pour n'avoir célébré lamesse qu'une seule fois dans sa vie[4]. Ayant renoncé ausacerdoce, Condillac se consacre à la réflexion et à la philosophie. Il mène en outre unevie mondaine.
Il étudie les philosophes modernes, surtoutJohn Locke. Il répand ses idées et pousse plus loin que son maître unephilosophie empiriste propre à substituer à lamétaphysique l'observation et l'étude des faits. Il publie ainsi, à partir de1746, plusieurs ouvrages de philosophie qui se font remarquer par la nouveauté des idées et par la clarté du style, et attirent l’attention sur sa doctrine, lesensualisme. En1749, il est élu à l’Académie de Berlin.
En1757, il est envoyé àParme pendant neuf ans pour éduquer l’infantdon Ferdinand, alors âgé de 7 ans. En1768, il quitte l'Italie, après avoir consciencieusement rempli sa tâche, revient se fixer en France, mais se retire de la vie mondaine, refusant d’éduquer les trois fils du dauphinLouis.
Il est néanmoins admis à l’Académie française en1768, et reçoit en1777 du gouvernement dePologne la mission de rédiger uneLogique classique pour la jeunesse du pays.
Bien que la postérité ne l’ait pas hissé au même rang que d’autres penseurs desLumières, Étienne Bonnot de Condillac s’affirme comme l’un despsychologues les plus pénétrants de son siècle. AvecVoltaire, il représente l'un des principaux introducteurs en France des principes du philosophe anglaisJohn Locke, qu’il développe de façon systématique.
Le style de Condillac est limpide, d’une clarté logique extrême qui peut verser dans la sécheresse. Son analyse de l’esprit humain se fonde entièrement sur l’élaboration progressive des sensations, sans jamais faire appel à un principe spirituel, bien qu’il ait toujours affirmé son orthodoxie religieuse. Condillac est reconnu comme étant le chef de l’école sensualiste et affirme que notre seule source de connaissance est la sensation, d’où dérive normalement et par transformation simple la réflexion, le raisonnement, l’attention et le jugement[7]. Pour prouver ses assertions, ils se base sur l’exemple de l’Homme statue, qui éprouve successivement les sensations.
Son premier ouvrage, l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, reste très proche des écrits de son maître anglais. Il accepte avec quelques hésitations l’idée de Locke selon laquelle notre connaissance aurait deux sources, la sensation et la réflexion. Le rôle de cette dernière est de combiner les sensations élémentaires en idées. Il emprunte aussi à Locke le principe explicatif de l’association des idées.
Son ouvrage suivant, leTraité des systèmes, est une critique vigoureuse des théories philosophiques modernes fondées sur des principes abstraits ou des présupposés. Cette polémique, largement inspirée par l’esprit de Locke, est dirigée contre l’idéalisme cartésien, doctrine deRené Descartes, la psychologie du philosophe françaisNicolas Malebranche, le monadisme et l’harmonie préétablie du philosophe et savant allemandGottfried Wilhelm Leibniz et par-dessus tout, contre la notion de substance établie dans la première partie de l’Éthique du philosophe néerlandaisBaruch Spinoza.
Son principal ouvrage est leTraité des sensations, dans lequel il s’émancipe du patronage de Locke et aborde la psychologie de sa propre manière, formulant sa doctrine du sensualisme. Il raconte comment il a été amené à revoir les postulats de Locke : c’est la critique d'Elisabeth Ferrand (1700-1752) qui lui fit remettre en question la doctrine du philosophe anglais, selon laquelle les sens nous donnent une connaissance intuitive des objets. En effet, l’œil, par exemple, interprète naturellement la forme, la taille, la distance et la position d’un objet. Sa discussion avec cette femme l’a convaincu qu’il était nécessaire, pour élucider ce genre de problèmes, d’étudier chaque sens séparément, d’attribuer à chacun ce que nous lui devions, d’observer leur développement et la façon dont ils se complètent les uns les autres. Le résultat, selon lui, démontrerait que toutes les facultés et connaissances humaines ne sont que des sensations transformées à l’exclusion de tout autre principe, telle la réflexion.
Condillac imagine d’abord unestatue de constitution humaine et animée d’une âme neuve, où aucune sensation ni perception n’a jamais pénétré. Il éveille ensuite progressivement les sens de cette statue, en commençant par l’odorat, le sens qui contribue le moins à la connaissance humaine. Toute la conscience de la statue se réduit alors aux odeurs singulières qu’elle éprouve. La perception par cette statue vivante de telle ou telle odeur s’accompagne nécessairement de plaisir ou de douleur, selon l’axiome lockien de la bipolarité de la conscience. La douleur et le plaisir deviennent ainsi le principe directeur qui va diriger toutes les opérations de son esprit. Après cette simple attention aux sensations naît la mémoire, qui n’est que l’impression persistante de l’expérience d’une odeur :« La mémoire n’est donc qu’une manière de sentir. » De la mémoire découle la comparaison : la statue expérimente l’odeur, par exemple, d’une rose, tout en se souvenant de celle d’un œillet,« car comparer n’est autre chose que donner en même-temps son attention à deux idées. » Or,« dès qu’il y a comparaison, il y a jugement. » La comparaison et le jugement deviennent habituels. Ils se développent grâce au tout-puissant principe de l’association des idées. De la comparaison d’expériences passées et présentes et du plaisir ou de la douleur qui leur est attaché, émerge le désir. C’est le désir qui oriente l’usage de nos facultés, qui stimule la mémoire et l’imagination, et qui déclenche les passions. Les passions, elles aussi, ne sont que des sensations transformées.
Ces indications résument le propos général de la première partie duTraité des sensations. Pour esquisser la suite de l’ouvrage, il suffit de citer les titres des principaux chapitres restants : « D’un homme borné au sens de l’ouïe », « De l’odorat et de l’ouïe réunis », « Du goût seul, et du goût joint à l’odorat et à l’ouïe », « D’un homme borné au sens de la vue », « De la vue avec l’odorat, l’ouïe et le goût ».
Dans la seconde partie du traité, Condillac ne donne d’abord que le sens du toucher à la statue, ce qui lui fait éprouver l’existence d’objets extérieurs. Dans une analyse très précise, il distingue les différents éléments que l’on rencontre lors de notre expérience tactile : le toucher de notre propre corps, le toucher d’objets extérieurs, l’expérience du mouvement, l’exploration manuelle d’une surface. Il décrit l’élargissement des perceptions des distances et des formes.
La troisième partie traite de la combinaison du toucher et des autres sens. La troisième partie est aussi l'objet de l'étude du chirurgien deLondres, Monsieur Cheselden. Ce chirurgien a opéré des aveugles-nés à qui il a abaissé les cataractes. L'étude même de Condillac porte sur le problème de Molyneux qui se demandait si un aveugle-né, à qui on aurait fait reconnaître une sphère d'un cube au toucher, ferait la différence une fois qu'il retrouve la vue.
La quatrième partie traite des désirs, activités et idées d’un homme isolé qui possède tous ses sens. Le traité s’achève par des observations à propos d’un « homme sauvage » qui vivait avec les ours dans une forêt deLituanie.
La conclusion du traité, c’est que l’ordre naturel des choses prend sa source dans les sensations, que la façon dont les hommes ressentent les choses varie considérablement d’un individu à l’autre, et qu’un homme n’est que ce qu’il a acquis. Toutes les facultés ou idées innées sont rejetées.
Comme ses prédécesseurs, Condillac n'échappe pas à la question de l'origine du langage. Comment lier ses idées sur les sensations et la question du langage qu'il dégage d'emblée d'une questionthéologique. Comme il avait imaginé une statue qui se construirait à partir des sensations et de leur accumulations, articulations, discriminations entre agréable et désagréable, il imagine une sorte demythe des deux personnes seules qui seraient amenées à se parler. Notons qu'il postule qu'elles sont de sexes différents[8]. D'abord, ils le feraient dansun langage d'action (gestes, cris, etc.), puis dans un deuxième temps, à unlangage articulé. Ayant eu des enfants et ceux-ci développant dans leurs échanges avec leurs parents une dextérité particulière de la langue (au sens propre), le langage articulé se développe au détriment du langage d'action parce qu'il se révèle plus « économique ». Selon lui, le langage est donc d'invention purement humaine, les signes et des langues sont « d'institution », et non de nature. Il se pose ainsi en prédécesseur de la linguistiquepostsaussurienne qui veut que les liens entre les signes et leurs idées sont arbitraires. Les règles de fonctionnement du langage sont, selon lui, indépendantes de l'individu[9].
Les écrits de Condillac sur la politique et l’histoire, contenus pour la plupart dans sonCours d’étude offrent peu d’intérêt particulier. Ils témoignent de son attachement à la pensée anglaise. Ses écrits delogique sont moins reconnus que ceux depsychologie.
Il s’étend avec beaucoup de répétitions, mais peu d’exemples concrets, sur la suprématie de la méthode analytique ; il affirme que raisonner consiste à remplacer une proposition par une autre qui lui est identique. Il assimile la science à un langage bien construit. Il essaie de le prouver à propos enarithmétique avec sa Langue des calculs. Lesmathématiques constituent son modèleépistémologique. Il ne s’intéresse pas encore auxsciences naturelles ni au raisonnement par induction, qui donnèrent de l’étoffe aux travaux deJohn Stuart Mill.
La psychologie de Condillac, traitant la personnalité comme un agrégat de sensations, dont le langage se détache pour devenir un fait d'institution, met de côté la question religieuse de l'origine théique du langage. Ses propos sur lareligion sont par contre toujours en accord avec sa profession. Ce n’était pas unmatérialiste, même si les philosophes matérialistes ont pu s’inspirer de son sensualisme. Condillac a toujours considéré l’âme comme dotée d’une réalité substantielle. Au début de sonEssai sur l’origine des connaissances humaines, il tient d’ailleurs ces propos qui le rapprochent de l’idéalisme deGeorge Berkeley :« [...] soit que nous nous élevions, pour parler métaphoriquement, jusques dans les cieux ; soit que nous descendions dans les abysmes ; nous ne sortons point de nous-mêmes ; et ce n’est jamais que notre propre pensée que nous apercevons. »
LeCommerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre
Condillac a écrit un traité d’économie magistral,Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre, où il passe en revue de nombreux aspects de l’économie, ducommerce, de leurs équilibres, de leur dynamique, et de leur rapport avec la décision politique.
Précurseur de l’économie politique, il étudie les rapports entre politique et économie. Économistelibéral classique, il étudie la valeur et en énonce le caractère subjectif, défend la liberté économique et commerciale, notamment le libre échange, et dénonce les dangers inflationnistes des manipulations monétaires.
Alternant descriptions théoriques et illustration par l’histoire comparée de quatre royaumes imaginaires (méthode hypothético-déductive), Condillac explique dans ce traité, parmi de nombreux autres aspects de l’économie et de ses rapports à la politique, que :
l’échange permet à chacune des deux parties d’obtenir une valeur plus grande de ce qu’il obtient que de ce qu’il cède ;
les flambées de prix en cas dedisette arrivent rarement dans les pays libres, mais plutôt dans les pays qui se barricadent derrière des barrièresprotectionnistes ;
lesimpôts et les réglementations sont des fardeaux dont la multiplication affaiblissent l’économie ;
lesmonopoles jaillissent souvent des contraintes réglementaires et qu’il est alors bien difficile de revenir à une situationconcurrentielle saine.
Disciple deJohn Locke, Condillac a inspiré en retour certains penseurs anglais. Dans des domaines liés aux associations d’idées, à la suprématie du plaisir et de la douleur, et dans l’explication générale de toute pensée comme une sensation ou une sensation transformée, on peut discerner son influence chezAlexander Bain etHerbert Spencer. Condillac a contribué de façon notable à la constitution de lapsychologie enscience.
1775,Cours d’études, ouvrage composé de 13 volumes, écrits pour le jeune duc Ferdinand de Parme, petit-fils deLouis XV, renfermantGrammaire,Art d’écrire,Art de raisonner,Art de penser,Histoire. L’œuvre originale se trouve à l’Index librorum prohibitorum àRome (Italie) ;
↑Collectif, Aliénor Bertrand (Sous la direction de) :Condillac : L'Origine du langage, Editeur : Presses Universitaires de France, Collection : Débats philosophiques, 2002,(ISBN2130525016)