Étienne (Estienne), né en1092 ou1096 et mort le, aussi connu sous le nom d'Étienne de Blois, estroi d'Angleterre de 1135 à sa mort. Il est égalementduc de Normandie entre 1135 et 1144, etcomte de Boulogne entre 1125 et 1146. Son règne est essentiellement marqué par l'Anarchie, une guerre civile qui l'oppose à sa cousine et rivaleMathilde l'Emperesse, dont le filsHenri II devient le successeur d'Étienne, inaugurant ainsi l'avènement desPlantagenêts.
Étienne voit le jour dans lecomté de Blois, enFrance. Son pèreÉtienne-Henri meurt alors qu'il est encore jeune, et il est élevé par sa mèreAdèle de Normandie, fille deGuillaume le Conquérant. Envoyé à la cour de son oncleHenri Ier d'Angleterre, Étienne acquiert son estime et se voit accorder de vastes terres. Il épouseMathilde de Boulogne, héritière d'importants domaines dans leKent et àBoulogne, ce qui fait du couple l'un des plus riches d'Angleterre. Le fils d'Henri Ier,Guillaume Adelin, perd la vie lors du naufrage de laBlanche-Nef en 1120. Étienne, qui l'accompagnait juste avant la traversée, sans embarquer, échappe ainsi à la noyade. La mort de Guillaume laisse la succession au trône incertaine. De ce fait, à la mort d'Henri en 1135, Étienne traverse rapidement laManche et, avec l'aide de son frèreHenri,évêque de Winchester et abbé deGlastonbury, se fait rapidement reconnaître comme roi d'Angleterre et couronner, arguant que le maintien de l'ordre dans le royaume prévaut sur ses serments antérieurs de soutenir la succession de la fille d'Henri Ier,Mathilde l'Emperesse.
Les premières années du règne d'Étienne sont largement couronnées de succès, malgré une série d'attaques contre ses possessions en Angleterre et en Normandie menées parDavid Ier d'Écosse, des rebellesgallois, ainsi queGeoffroy V d'Anjou, l'époux de l'Emperesse. En 1138,Robert de Gloucester, le demi-frère de l'Emperesse, se rebelle contre Étienne, ce qui menace de déclencher une guerre civile. Avec son proche conseillerGaléran IV de Meulan, Étienne prend des mesures fermes pour défendre son autorité. Lorsque l'Emperesse et Robert débarquent en Angleterre en 1139, Étienne ne parvient pas à écraser rapidement la révolte, qui s'implante dans le sud-ouest du royaume. Capturé à labataille de Lincoln en 1141, il est abandonné par un grand nombre de ses partisans et perd le contrôle de la Normandie. Il n'est libéré qu'après que son épouse etGuillaume d'Ypres, l'un de ses commandants militaires, eurent capturé Robert de Gloucester au cours de ladéroute de Winchester, mais la guerre civile s'éternise pendant de nombreuses années sans qu'aucun des deux camps ne puisse prendre l'avantage.
De plus en plus préoccupé de s'assurer de la succession de son filsEustache sur le trône après sa mort, Étienne tente de convaincre l'Église d'accepter de couronner Eustache de son vivant pour renforcer sa prétention au trône, mais lepapeEugène III refuse, d'autant qu'Étienne se retrouve dans une série de disputes de plus en plus amères avec le clergé. En 1153, le fils de l'Emperesse, Henri, envahit l'Angleterre et conclut une alliance avec de puissants barons pour appuyer sa revendication au trône. Les deux armées se rencontrent àWallingford, mais les barons des deux camps ne veulent pas se lancer dans une nouvelle bataille. Étienne commence à envisager une paix négociée, dont le processus est accéléré par la mort soudaine d'Eustache. Plus tard dans l'année, Étienne et Henri conviennent par letraité de Winchester que le premier reconnaît le second comme son héritier, ce qui permet la restauration de la paix en Angleterre.Guillaume, le deuxième fils d'Étienne, est ainsi privé de ses droits au trône.
Il est le troisième fils survivant d'Étienne-Henri,comte de Blois-Chartres, et d'Adèle, fille deGuillaume le Conquérant et sœur d'Henri Ier d'Angleterre. Il est probablement déjà né en 1096[1], et son nom est mentionné dans une charte pour la première fois en 1101[2]. Son père est l'un des principaux barons engagés dans lapremière croisade. Il s'attire une réputation de traître et de lâche en s'enfuyant de laville assiégée d'Antioche en 1098, pensant que les croisés vont tous se faire massacrer. De retour dans son comté, il subit les foudres de sa femme qui le renvoie enTerre sainte reconquérir son honneur. Il est tué durant labataille de Ramla en 1102.
Étienne est éduqué avec ses deux frères aînés àBlois, sous le tutorat de Guillaume le Normand[2]. Geoffroy d'Orléans, plus tard abbé de Crowland, semble aussi avoir été leur tuteur[3]. Il a longtemps été dit qu'Étienne avait été envoyé à la cour royale d'Angleterre pour y être éduqué par son oncle, mais les différents documents juridiques qui nous sont parvenus montrent que c'est faux[3]. Son oncle maternelHenri Ier d'Angleterre le prend sous son aile aux alentours de 1113[2]. Il semble assez probable que c'est à ce moment-là que lui est confié le stratégiquecomté de Mortain (en remplacement du jeuneRobert II de Vitré), au sud-ouest duduché de Normandie, face aucomté du Maine et auduché de Bretagne[2]. Probablement au même moment, il rentre totalement dans lasphère anglo-normande et reçoit de vastes domaines enAngleterre, notamment les importantshonneurs d'Eye etLancaster[2]. Il s'agit peut-être d'une compensation pour ne pas avoir reçu l'honneur anglais des comtes de Mortain[3] (région de la Cornouaille notamment). Son oncle lui confie aussi quelques-uns des terres et châteaux confisqués aux Bellême (notammentAlençon etSées)[4]. Ces terres et châteaux avaient été donnés à son frèreThibaut,comte de Blois depuis 1108, mais avec l'accord d'Henri Ier, il les avait échangés contre ses terres héritées dans lecomté de Blois[4]. Vers 1120, il reçoit aussi une partie de l'honneur ditd'Eudes le Sénéchal en Angleterre[2]. Au début desannées 1120, il a des possessions dans 22 des comtés anglais[5], et est l'un des plus riches barons du royaume[6].
Carte de la Normandie historique.Mortain est au sud-ouest.
Sa nouvelle position à Mortain l'oblige très rapidement à entrer en conflit armé avec ses voisinsangevin etcapétien[2]. Ici, les intérêts anglo-normands concordent avec ceux de son frèreThibaut IV de Blois[2]. Les deux princes s'allient donc contre leurs ennemis[2]. Durant lesannées 1116-1119, Étienne défend son comté et vient aussi en aide à son frère. Il commande notamment l'ost bléso-normand qu'il amène àBrie, de crainte que leroi de FranceLouis VI le Gros ne s'empare de la ville durant une absence de Thibaut[7].
Il vient aussi à son secours, début, quand il est capturé au combat par la garnison du château deL'Aigle, et le libère[8]. Au même moment, les citoyens de la ville d'Alençon, ville frontière, exaspérés par la brutalité du traitement que leur réserve Étienne et sa garnison, se rebellent et en appellent à l'aide ducomteFoulque V d'Anjou[2]. Celui-ci s'empare de la ville et assiège la forteresse. Étienne et son frère Thibaut, qui d'après le moine chroniqueurOrderic Vital sont « avides de gloire » devancent l'ost d'Henri Ier et partent libérer la ville avec leurs propres hommes[9]. Ils sont battus dans un engagement qui a lieu en dehors de la ville, et Henri Ier est obligé de se retirer[9]. Le comte angevin s'empare finalement du château, et Étienne perd ses intérêts dans la région[2].
Ce mariage fait de lui le principal baron de la sphère anglo-normande. À cette époque, leroi d'Angleterre n'a pas d'héritier, et il est probable qu'Étienne soit alors son candidat préféré. Il a toute la légitimité pour lui succéder, car il est un descendant duConquérant, et surtout il n'est pasGuillaume Cliton, le fils de son frère aînéRobert Courteheuse, candidat préféré de nombreux barons normands, mais que le roi méprise. Toutefois, cette même année,Mathilde l'Emperesse devient veuve et revient peu après en Normandie. Son père Henri Ier décide alors qu'elle lui succédera, car son mariage avecAdélaïde de Louvain est toujours infructueux. À partir de 1127, Henri demande aux barons de Normandie et d'Angleterre de la reconnaître comme son héritière et successeur dans tous ses biens. Étienne est d'ailleurs le premier laïc à lui prêter serment, en 1127.
En,Guillaume Cliton se voit offrir lecomté de Flandre. Sur requête de son oncle, Étienne entreprend de former une coalition de barons du nord de la France[n 1] contre lui. L'année suivante, la menace Cliton disparaît avec sa mort. En 1128,Mathilde l'Emperesse épouseGeoffroyPlantagenêt,comte d'Anjou. Ce mariage permet auroi d'Angleterre de nouer une alliance avec l'un de ses principaux ennemis et ainsi de sécuriser la frontière sud-ouest de son duché.
Durant les années suivantes, Étienne est souvent à la cour royale, bénéficiant des privilèges liés à son rang. Il est notamment avec le roi à Rouen en 1135 quand est proclamée lapaix de Dieu.
À la mort du roiHenri Ier d'Angleterre, le, le trône doit revenir à sa filleMathilde l'Emperesse. Comme tous les nobles du royaume, Étienne a par deux fois fait le serment de la reconnaître pour reine. MaisHenri Ier n'a jamais convaincu ses barons que Mathilde pourrait gouverner par elle-même[2]. Il a aussi refusé leur suggestion qu'elle pourrait gouverner comme régente pour son petit-filsHenri[2]. Au moment de sa mort, il n'y a donc pas de consensus ferme parmi le baronnage anglo-normand pour accepter Mathilde. Prévenu de la mort du roi, Étienne de Blois en profite. Il traverse laManche à partir deWissant et rejoint au plus viteLondres[2]. Là, les habitants le reconnaissent pour roi[2].
Il se rend ensuite àWinchester, siège du trésor et de l'administration royale, où son frère est évêque. Grâce à ce dernier, il s'assure du soutien de l'évêqueRoger de Salisbury, le chef de l'administration, et deGuillaume du Pont de l'Arche, le gardien du trésor royal. En retour, il promet d'être un souverain modèle envers l'Église[2]. Il garantit au clergé une certaine autonomie, notamment dans l'élection des principaux évêques et archevêques[2]. Ses concessions aux barons du royaume sont plus restreintes. Il a notamment été prétendu qu'il aurait promis la suppression dugeld, l'impôt foncier[2].
Le, après queHugues Bigot a fait le serment que, sur son lit de mort, le roi avait désigné Étienne comme son successeur, il se fait couronner parGuillaume, l'archevêque de Cantorbéry[2],[12]. Sur le continent, les barons duduché de Normandie avaient proposé à son frère aînéThibaut de devenir leur suzerain[2]. Mais une fois informés du couronnement d'Étienne, ils l'acceptent pour duc[5]. Ils n'étaient pas prêts à revivre les problèmes posés par les devoirs de loyauté à deux suzerains différents[6]. D'aprèsGuillaume de Malmesbury, lorsqu'il était comte, Étienne était un baron particulièrement populaire[2]. Pour Edmund King, il a, à cet instant, un soutien important de ses barons, et même le pape confirme son élection au trône[2].
Au, Étienne tient sa cour de Pâques àOxford. Il y signe laCharte de Libertés qui reprend les promesses faites lors de son couronnement au clergé et aux barons[5],[2]. À cette époque, il a déjà reçu l'hommage de quasiment tous les barons du royaume, dontRobert,comte de Gloucester et fils illégitime du roi. Son adhésion est une excellente nouvelle pour le roi, car il est très puissant et influent[2]. Le seulBaudouin de Reviers refuse de le reconnaître pour roi, probablement parce qu'il n'a pas obtenu un office qu'il demandait à Étienne[14]. Le baron s'empare du château d'Exeter et le fortifie. Étienne conduit lui-même le siège du château pendant les trois mois qu'il dure, et reçoit la soumission de la garnison à l'été. Il ne punit pas les rebelles, et ses barons sont étonnés de son indulgence[2]. Plus tard, Baudouin de Reviers est simplement forcé à l'exil, et s'en va à la cour du comte angevin[14].
En, Étienne d'Angleterre se rend en Normandie et y passe pratiquement toute l'année[2]. En mai, son filsEustache rend hommage pour la Normandie auroi de FranceLouis VI le Gros[15]. L'année précédente,GeoffroyPlantagenêt avait envahi le Sud-Est du duché et forcé les barons normands qu'il avait sous son contrôle à faire serment d'allégeance à sa femme, l'Emperesse[16]. Il avait installé un poste avancé àArgentan[2]. En, Étienne vient àLisieux avec l'espoir d'assiéger le comte d'Anjou à Argentan, mais des divisions dans son camp entre ses mercenairesflamands, sous le commandement deGuillaume d'Ypres, et les Normands l'obligent à abandonner ce projet[2]. En juillet, il conclut une trêve avec le comte, l'achetant avec une rente de 2 000livres sterling par an[2].
Ses relations avecRobert, lecomte de Gloucester, se dégradent, ce dernier étant convaincu que le roi cherche à le faire tuer[17]. Finalement Étienne rentre dans son royaume à la fin de l'année, en ayant accompli peu de choses. Il doit immédiatement aller assiéger lechâteau de Bedford dont s'est emparéMiles de Beauchamp. Celui-ci, tentant de profiter des difficultés du roi, lui promet son aide s'il lui laisse le contrôle du château[18]. Il ne le reprend qu'après cinq semaines. Puis il doit aller dans le nord car les Écossais font des raids dans laNorthumbrie. À son arrivée, début, il repousse les Écossais dans leur royaume[2]. En représailles, il applique une méthode déjà employée par son aïeulGuillaume le Conquérant quelques décennies plus tôt, en pratiquant lapolitique de la terre brûlée sur une bonne partie des terres du roi écossais[2].
Peu après laPentecôte 1138 (), Robert de Gloucester informe le roi qu'il rompt définitivement son hommage, et qu'il prend le parti de sa demi-sœur[17]. À peu près au même moment, les alliés et vassaux du comte dans l'Ouest de l'Angleterre se révoltent[17]. Étienne d'Angleterre vient immédiatement assiégerHereford tenu parGeoffroy Talbot, puis après la reddition du château, il se porte devantBristol, le principal château du comte de Gloucester, mais il est trop bien fortifié, et il préfère renoncer[2]. Il continue sa campagne de sièges dans l'Ouest, mais ses conseillers commencent à le critiquer pour sa trop grande indulgence envers les rebelles[19]. En août, il décide de faire du siège deShrewsbury un exemple. Une fois le château repris, il fait pendre cinq des hommes deGuillaume FitzAlain[19].
Fin août, une bonne nouvelle arrive du Nord du royaume. L'armée deDavid Ier d'Écosse, qui encore une fois, en violation des termes du traité de 1136, a passé la frontière, est balayée lors de labataille de l'Étendard () par une armée menée entre autres par l'archevêqueThurstan d'York[2]. En, Étienne d'Angleterre est à Westminster où un concile clérical décide d'élireThibaut du Bec à l'archevêché vacant de Cantorbéry. Il a longtemps été prétendu que son frèreHenri de Blois ambitionnait ce siège, et que le roi offense alors son frère en ne le nommant pas à ce poste[5],[6]. Mais cette analyse ne tient pas, car Henri de Blois est bien celui qui a obtenu de son frère que le clergé puisse librement élire les successeurs aux sièges importants. De plus, pour Edmund King, il est très probable que la nomination de Thibaut du Bec à l'archevêché fait partie d'un accord passé en Angleterre avec le légat du pape présent à l'élection. En effet, peu après son retour à Rome, le papeInnocent II nomme Henri de Bloislégat papal de toute l'Angleterre, avec autorité sur l'archevêque. Henri obtient donc un poste très important pour aider son frère[20]. Toujours en décembre, une trêve est conclue avec le roi écossais, etMathilde de Boulogne, l'épouse d'Étienne et nièce de David Ier, négocie les clauses d'un nouveau traité[21]. Bien que vainqueur quelques mois plus tôt, le roi anglais fait des concessions à son homologue pour être sûr d'avoir la paix dans cette partie du royaume[21]. Il lui abandonne les villes deBamburgh etNewcastle, ainsi que lecomté de Northumbrie[21]. Letraité est officiellement ratifié à Durham le[21].
Portrait de Mathilde dansHistoire d'Angleterre des moines deSaint-Albans (XVe siècle).Grand sceau d'Étienne, version d'après l'arrestation de Roger de Salisbury. Issu deThe pictorial history of England, par George Lillie Craik et al. (1846).
Durant les fêtes dePâques 1139, le cas de l'élection d'Étienne est examiné par lesecond concile de Latran[22]. Les avocats de l'Emperesse arguent qu'Étienne est un usurpateur et un parjure[2]. Le pape refuse de se prononcer et préfère attendre que les événements se décantent d'eux-mêmes[22]. À l', influencé par les jumeauxRobert II de Beaumont,2ecomte de Leicester, et surtoutGaléran IV,comte de Meulan, Étienne commet une grave erreur politique en arrêtant le chancelierRoger, l'évêque de Salisbury, et ses deux neveux, les évêquesAlexandre deLincoln etNéel d'Ely[5],[23]. Probablement victimes d'un coup monté, les trois hommes, qui dirigeaient l'administration anglo-normande, doivent rendre leurs châteaux pour avoir brisé la paix du royaume[23]. À cause de cette manœuvre, Étienne s'aliène le clergé, ce qui affaiblit considérablement sa position[2]. Il est convoqué par le légat papal, qui n'est autre que son frère, pour s'expliquer sur cet acte.Aubrey (II) de Vere, lui servant d'avocat, argumente qu'il est du droit du roi, en temps de guerre, de réquisitionner les châteaux stratégiques[24],[2], et que Roger de Salisbury a été arrêté en tant que baron déloyal et non en tant qu'évêque[23]. Le clergé ne peut rien contre le roi, ce qui ne calme pas son ressentiment.
Pendant que l'Emperesse est occupée à renforcer son contrôle sur le Sud-Ouest du royaume, Étienne gère les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent[2]. Dans les six premiers mois de l'année 1140, il va assiéger l'évêque Néel d'Ely et le chasse de son diocèse ; il traverse tout le royaume pour aller combattreReginald de Dunstanville, un fils illégitime d'Henri Ier, que sa demi-sœur l'Emperesse a nommécomte de Cornouailles[2]. Enfin, peu après les fêtes de laPentecôte, il va assiégerHugues Bigot dans son château deBungay[2]. Avec la venue de sa concurrente sur ses terres, il a clairement perdu l'initiative politique dans ce conflit[2].
Début 1141, Étienne d'Angleterre commet une nouvelle erreur politique en précipitant le puissant baronRanulf de Gernon,2ecomte de Chester, dans les bras de ses adversaires[26]. Ce dernier, qui est pourtant un important soutien pour Étienne du fait de sa position territoriale face aux terres accordées au roi écossais, revendique lechâteau de Lincoln que sa mère possédait avant sa mort[27]. Fin 1140, aidé par son demi-frère utérinGuillaume de Roumare, il s'en empare par la ruse. Après avoir conclu un pacte avec les deux frères reconnaissant leur revendication sur celui-ci, Étienne revient quelques semaines plus tard pour les assiéger[27]. Ranulf de Gernon parvient à s'enfuir et, ralliant la cause de Mathilde l'Emperesse, demande l'aide de son beau-père, le comteRobert de Gloucester[27]. Le a lieu labataille de Lincoln, la seule bataille décisive de ce conflit. Deux importantes armées s'affrontent sur le champ de bataille devant la ville[5]. Alors que les troupes d'Étienne sont mises en difficulté par la fuite de plusieurs de ses contingents et de ses commandants, il refuse de se retirer, et est finalement capturé[26]. Il est alors emprisonné àGloucester, puis àBristol sous la surveillance de Robert de Gloucester[26].
Avec Étienne en captivité, son parti se délite, et l'Emperesse se trouve en position de force dans le royaume. Le, elle se proclameDomina Anglorum, « Dame des Anglais », avec l'accord d'Henri de Blois[22]. Dans le même temps, la Normandie se laisse conquérir parGeoffroyPlantagenêt. Il s'empare du duché, à part quelques poches de résistance qui seront éliminées au fur et à mesure jusqu'en 1144[28]. Le[22],Mathilde l'Emperesse est proclaméeAngliæ Normanniæque domina, « Dame des Anglais et des Normands », au concile de Winchester[28]. Des dispositions sont prises pour qu'elle soit couronnée àWestminster[22]. Bien qu'elle contrôle dorénavant le royaume, son soutien militaire est faible[22]. Elle commet alors elle aussi une erreur politique en étant intransigeante alors qu'elle n'en a pas les moyens[2]. Elle refuse la proposition qui lui est faite de libérer Étienne à condition qu'il se fasse moine ou se retire de la vie politique[2]. Henri de Blois, dont le soutien est capital pour pouvoir être couronnée, l'abandonne[2].
En, les Londoniens, furieux contre l'Emperesse, qui n'a pas su acheter leur soutien, attaquent Westminster et l'obligent à quitter la ville en catastrophe[22]. En septembre, elle décide d'emmener ses troupes àWinchester pour forcer Henri de Blois à la couronner.Mathilde de Boulogne, l'épouse d'Étienne, etGuillaume d'Ypres, le commandant de ses mercenaires, voient là l'opportunité de reprendre l'avantage. Alors que l'armée de l'Emperesse assiège lechâteau de Winchester, leur armée vient assiéger la ville elle-même. Prises en tenaille, les troupes angevines préfèrent abandonner leur siège, et en couvrant la fuite de sa demi-sœur,Robert de Gloucester est capturé[22]. Après un mois de négociation, les deux partis s'entendent pour échanger leur prisonnier. Étienne recouvre la liberté le[2]. Il retrouve le trône anglais et, durant les fêtes de Noël qu'il passe àCantorbéry, il réaffirme son autorité par une cérémonie de couronnement[2].
Dans les années suivantes, le conflit se résume à quelques engagements mineurs et des campagnes pour le contrôle de villes et châteaux stratégiques[5]. Les belligérants ne semblent pas vouloir jouer leur va-tout sur une seule bataille d'ampleur ou ne pas en avoir les moyens[5]. Étienne ne contrôle plus que l'Ouest et le Nord de son royaume. Ses revenus s'en trouvent donc affectés, et par conséquent son pouvoir aussi[2]. Il n'a pas les moyens, occupé par les affaires anglaises, de contester la Normandie àGeoffroyPlantagenêt, et en 1143, la perte totale est imminente[2].
Avec ses difficultés financières, Étienne comprend que sa victoire en Angleterre ne sera possible que grâce au soutien de ses barons[2]. Aussi, dans les premiers mois de 1142, il intervient pour qu'un conflit ne dégénère pas entre deux de ses soutiens,Guillaume le Gros,1ercomte d'York, etAlain le Noir, lord de Richmond[29]. C'est alors qu'il tombe soudainement malade, et reste souffrant àNorthampton entre Pâques et la Pentecôte[2]. Il reprend ses activités à l'automne, venant assiégerMathilde l'Emperesse pendant trois mois dans sonchâteau d'Oxford[2]. Vers Noël, elle réussit toutefois à lui échapper par une évasion audacieuse. En 1143, il tente sans succès de reprendre le port deWareham (Dorset) àRobert de Gloucester[2]. Le, Étienne et son frère Henri affrontent Robert de Gloucester àWilton. Ils sont mis en déroute[2].
Plus tard cette mêmeannée 1143, avec la Normandie quasi perdue, Étienne se met probablement à craindre une invasion angevine[2]. Il décide de se débarrasser deGeoffrey de Mandeville, que l'Emperesse a fait1ercomte d'Essex, quand il avait brièvement rejoint ses rangs en 1141. En effet, Étienne avait donné à Mandeville le château le plus important du royaume (latour de Londres), et l'autorité sur les quatre comtés les plus proches du siège du gouvernement[30]. Pour C. Tyerman, cette donation, héréditaire qui plus est, signifiait tout simplement la fin de la monarchie anglaise en tant que gouvernement effectif à plus ou moins long terme[30]. En arrêtant son baron, il essaie de corriger une situation intenable[30]. Ce revirement révèle la situation précaire ou la naïveté du gouvernement d'Étienne[30]. Ou alors, et c'est plus compréhensible, Étienne n'avait pas grande foi en la pérennité des alliances politiques ou dans les accords conclus pour se les assurer[30]. Mandeville est donc arrêté à la cour royale qui se tient àSt Albans, en[31]. C'est une chose normalement inconcevable dans les coutumes féodales, car le roi doit la sécurité à ses sujets lorsqu'ils sont à sa cour[31]. Mais Étienne passe outre, comme il le fera en 1146 avecRanulph de Gernon. Mandeville est emprisonné et forcé à rendre toutes ses terres et tous ses châteaux[31]. Après cela, Étienne commet l'erreur de lui rendre sa liberté. Évidemment Mandeville prend immédiatement les armes se sentant trahi par un roi qui n'est pas capable de tenir sa parole[30]. Il se lance dans une campagne de destruction et de pillage dans lesFens et l'Est-Anglie, et est tué en 1144[31].
En 1145, le camp royaliste reprend un certain ascendant après quelques bonnes nouvelles sur le plan politique et militaire[2]. Parmi elles, il y a la réconciliation avecRanulf de Gernon, le4ecomte de Chester, et la soumission de Philippe, le fils de Robert de Gloucester[2]. Toutefois, en 1146, les conseillers d'Étienne voient dans une demande d'aide du comte de Chester, une possible tentative d'embuscade[27]. Le comte, en qui aucun des deux camps n'a confiance à cause de ses fréquents changements d'allégeance, est arrêté à Northampton et emprisonné[27]. Une fois de plus, Étienne arrête l'un de ses barons à la cour, et en plus, il viole son serment de réconciliation[32]. Le comte est obligé de rendre ses châteaux, dont celui de Lincoln, puis est relâché. Pour Edmund King, à ce moment, le roi apparaît comme le plus fort de deux faibles adversaires, aucun n'ayant les moyens d'entreprendre de grandes campagnes[2].
Son fils étant dorénavant majeur, Étienne essaye de le faire couronner roi de son vivant pour lui assurer la succession, suivant en cela la tradition capétienne[2]. Mais ses relations avec l'Église étant tendues, il doit renoncer devant le refus de ses évêques[5]. Il est le seul roi d'Angleterre avecJacques II à ne pas avoir réussi à assurer la succession pour son héritier légitime[5]. Le clergé lui reproche plusieurs choses. D'abord, l'arrestation de l'évêque de Salisbury en 1139, mais surtout les promesses non tenues en matière de libre choix des évêques et des abbés. En effet, contrairement à ce qu'il avait promis lors de son couronnement, Étienne et son frère Henri sont intervenus régulièrement dans les élections pour promouvoir leurs proches[2]. Ainsi,Gervaise, l'un de ses fils illégitimes est nommé abbé deWestminster en 1138 ; Henri de Sully, un neveu, est nomméabbé de Fécamp en 1140[2] etc. Il promeut aussiGuillaume FitzHerbert à l'archevêché d'York en 1140, etHugues du Puiset, son neveu, à l'évêché de Durham en 1153[2]. L'élection de FitzHerbert est disputée, et finalementHenri Murdac est consacré à sa place et sans son consentement. En 1147, il propose au papeEugène III une liste de candidats (tous des proches) pour lesiège épiscopal vacant de Lincoln[2]. Mais celui-ci la rejette « en utilisant des mots grossiers »[2]. Il reproche ce tracas àThibaut du Bec, l'archevêque de Cantorbéry, et ne l'autorise pas à assister auconcile de Reims de 1148, ce qui est à deux doigts de lui valoir l'excommunication[2]. En 1152, il accepte officiellement Henri Murdac, espérant en retour le soutien papal pour le couronnement de son fils, mais Eugène III refuse de prendre parti dans le conflit[2]. De plus, Étienne est régulièrement pris à partie parBernard de Clairvaux, le grand réformateurcistercien[5]. Son frèreHenri de Blois, l'évêque de Winchester, a perdu son autorité en même temps que son mandat de légat en 1143, et il ne lui est plus d'aucune aide[5].
Le rival d'Étienne est couronné après sa mort sous le nom d'Henri II.
En 1147,Robert de Gloucester, le charismatique commandant militaire de l'Emperesse, meurt. Quelques mois plus tard, cette dernière, qui se reposait totalement sur lui, se retire du royaume. Elle laisse le soin à son jeune filsHenri de poursuivre la lutte pour son propre compte. Pour Étienne aussi, l'heure est au passage de génération. Son filsEustache est armé chevalier et reçoit lecomté de Boulogne[11]. Henri d'Anjou, qui n'a alors que14 ans, vient en Angleterre tenter sa chance, mais il attaque sans succès son cousin Philippe de Gloucester, et se retrouve à court de fonds pour quitter le royaume[2]. Étienne décide alors de payer les troupes du jeune prétendant à sa place pour se débarrasser de lui[5].
L'Angevin est de retour dans le royaume deux ans plus tard. Il se rend auprès de son oncleDavid Ier d'Écosse, qui l'arme chevalier. Leur plan de campagne dans leYorkshire doit être abandonné, car Étienne anticipe leur mouvement en venant àYork avec une armée[2]. Henri est ensuite pris en chasse par Eustache dans l'Ouest du royaume et dans lesmarches galloises[2]. Les troupes royalistes pillent et pratiquent lapolitique de la terre brûlée sur les terres de leurs ennemis[2]. Le jeune prince angevin doit retourner en Normandie au début de l'année suivante, sans avoir rien réussi[2].
En 1150 sur le continent,Henri d'Anjou est investi duduché de Normandie par son père. Il prépare alors une invasion de l'Angleterre, mais la mort de son père en 1151 lui fait repousser le projet. En 1152, ses partisans le pressent de venir en Angleterre, car l'influence d'Étienne va grandissante[2]. Toutefois, en,Mathilde de Boulogne, l'épouse du roi et son principal soutien et compagnon, meurt. C'est un premier coup dur pour Étienne[2]. En, quand Henri débarque dans le royaume, il est duc de Normandie, comte d'Anjou et gouverneur d'Aquitaine. Il a dorénavant les ressources financières pour entreprendre une grande campagne qu'il veut décisive, et réunir à nouveau la Normandie et l'Angleterre, ce qu'il est le seul à pouvoir faire[2].
Les barons et le clergé, exaspérés par cette guerre civile qui n'en finit plus, veulent maintenant y mettre fin[5]. Étienne est informé que plusieurs de ses barons ont envoyé des émissaires secrets au duc de Normandie pour faire la paix avec lui[2]. Après quelques affrontements armés, le roi est forcé par ses barons à accepter une trêve dans le conflit[2]. En, les deux camps se rejoignent àWallingford, château deBrian FitzCount, fidèle de la cause angevine. Là, les adversaires s'entendent pour discuter des détails d'un traité de paix[2]. Des négociations avaient déjà eu lieu en 1140, 1141 et 1146, mais cette fois-ci, avec la mort récente de son filsEustache, la situation est plus favorable[2].
Les deux camps s'entendent pour que Étienne reconnaisseHenri d'Anjou comme son fils et successeur, et qu'il reste sur le trône le reste de sa vie durant. Le traité ne lèse personne et satisfait donc tout le monde[2]. Ses termes sont les mêmes que ceux proposés parHenri de Blois en 1141 pendant l'emprisonnement d'Étienne. L'intransigeance de l'Emperesse a donc conduit à douze années de guerre civile supplémentaires[5]. Quand Henri retourne en Normandie, au, il ne s'attend pas à ce qu'Étienne meure dans les mois qui suivent. Le, le roi d'Angleterre meurt au prieuré deDouvres, après de violents maux de ventre, accompagnés de saignements[2]. Il est inhumé aux côtés de sa femme et de son fils aîné dans l'abbaye de Faversham[6].
Portrait d'Étienne par un artiste inconnu (XVIIe siècle).
Comme comte, Étienne fut un courtisan modèle. Il sut s'élever progressivement dans la faveur royale par ses services et ses aptitudes[2]. PourGuillaume de Malmesbury,« Étienne, par sa bonne nature et la manière qu'il avait de plaisanter, de côtoyer et de manger même avec les plus humbles, s'était attiré une affection que l'on peut difficilement imaginer »[2],[6].
Comme roi, il fut plus durement examiné par les chroniqueurs contemporains[2]. Il garda toujours sa bonne nature et ne se mit pas facilement en colère. Celle-ci était alors dirigée précisément contre ceux qui lui avaient manqué de respect ou désobéi[2]. Il sembla aussi très attentif à l'étiquette, à la loyauté qui lui était due, et sa propre dignité royale[2]. Pourtant, il n'hésita pas à arrêter des barons à sa cour, à renier des accords passés avec ses barons, et à trahir son serment d'allégeance à l'Emperesse.
Étienne a toujours été vu et décrit comme un roi faible, manquant de caractère et surtout d'autorité[2]. Notamment, il abandonna le siège deBristol (1138), donna un sauf conduit à l'Emperesse au moment de son débarquement (1139), libéraGeoffrey de Mandeville etRanulf de Gernon etc. Pour A. Fraser, il fut incapable de dominer sa cour et son royaume[6]. Pour elle, il n'était sûrement pas sot, mais commit parfois l'erreur de vouloir être trop habile. Il était un chef compétent en matière militaire, même s'il fut battu dans les deux batailles d'ampleur auxquelles il participa. Mais sur le plan politique il avait de grandes difficultés, et pour C. Tyerman, il était même un incapable, ce qui explique son échec en tant que monarque[5].
Les historiens contemporains ou quasi contemporains, tous ecclésiastiques, ont tout de même largement exagéré le désordre qui caractérisa son règne[5]. Notamment, laChronique anglo-saxonne le décrit comme une période de misère, de famine, de dévoiement, d'oppression et d'anarchie, un« temps où les gens disaient ouvertement que le Christ et ses saints dormaient »[5]. Le terme « anarchie » devint même un synonyme pour son règne chez les historiens anglais d'avant leXXe siècle[2]. Au sein de l'histoire de Guillaume le Maréchal, le roi Etienne qui retiensGuillaume en otage est décrit comme naïf écoutant à plusieurs reprises des conseillers perfides enjoignant Etienne à mettre en péril la vie du jeune Guillaume[34]. Dans ce récitHenri de Winchester dépeint les conséquences terrible du conflit et enjoint les belligérants à faire la paix[35].
Étienne montra sa vulnérabilité dès sa montée sur le trône, avec le siège d'Exeter en 1136[5]. Son manque de fermeté contre les rebelles ouvrit la voie aux ambitions égoïstes de son baronnage[2]. Comme il était incapable de s'occuper des désordres dans son royaume, il délégua à ses partisans de grandes parts de son autorité, et créa ainsi de nombreux titres de comtes[5]. Plusieurs barons utilisèrent la situation créée par la guerre civile pour vendre leur soutien au plus offrant.Ranulf de Gernon a souvent été décrit comme l'exemple typique de cette attitude[27]. L'incapacité d'Étienne à maîtriser tous les aspects de sa position conduisit à une désintégration de l'ordre établi, et à de nombreux désordres locaux[5]. Il montra aussi à plusieurs reprises qu'il était difficile de lui faire confiance. Enfin, sur le plan politique, il se montra inepte, notamment en arrêtantRoger de Salisbury et ses neveux, et en ne respectant pas sa promesse de liberté de l'Église. Il s'attira ainsi l'hostilité du clergé, et finalement fut incapable d'assurer sa succession[5].
Toutefois, les études récentes de son règne montrent plus les barons de son royaume comme des suiveurs passifs que comme des agents de la déliquescence ambiante[2]. L'exemple caractéristique estGeoffrey de Mandeville, dont J. H. Round, au début duXXe siècle, avait fait le parfait archétype du baron exploitant le désordre ambiant pour promouvoir au mieux son intérêt personnel, en vendant sa loyauté au plus offrant[31]. Depuis, ce point de vue traditionnel a été revisité par d'autres historiens, et un portrait bien différent et bien plus nuancé de lui a été fait[31]. La faiblesse du gouvernement d'Étienne fut si importante que les grands barons du royaume, soutenant des camps différents, en furent réduits à conclure des traités privés afin de limiter l'impact de la guerre civile sur leurs terres et leurs possessions, et donc sur leurs revenus[5].