Au début de l'année 1918, ces mêmes représentants, membres du comité, s'organisent au sein d'un comité national, prenant modèle sur le Comité national tchécoslovaque[1] ; Ante Trumbić, animateur des deux comités yougoslaves qui se sont succédé depuis 1915, aspire à voir le Comité national yougoslave reconnu par les Alliés, en dépit de la double opposition du gouvernementserbe et du président du conseil italien, appuyé sur les termes dupacte de Londres de 1915[c],[4]. Ce comité est officiellement reconnu par les Alliés le, alors qu'une action de propagande à grande échelle est organisée par les Alliés en direction destroupes slaves de la double monarchie positionnées sur lefront italien[5]. Cette agitation en faveur du projet yougoslave rencontre un écho non négligeable au sein des populations slaves de la double monarchie, dont les représentants organisent, entre le 13 et le, de nombreuses réunions publiques en vue de populariser l'idée de l'indépendance des Slaves du Sud d'Autriche et deHongrie[5].
La publication du manifeste deCharlesIer n'a aucune conséquence sur le processus de l'État en formation.
Enfin, durant le dernier trimestre de laPremière Guerre mondiale, les représentants des populations slaves du Sud deHongrie et d'Autriche considèrent la pérennité de la monarchie des Habsbourg comme une option de moins en moins certaine[6]. Ainsi, les députés slaves du Sud de la double monarchie se constituent en comité national àLaybach le[7], alors que les tentatives de réforme de dernière minute, proposées par l'empereur-roi Charles, sont dépassées par l'évolution de la situation politique et militaire qu’affronte la double monarchie, et pour cette raison, apparaissant de plus en plus vaines[6] ; elles ne suscitent donc aucune réaction de la part des représentants des Slaves du Sud, indifférents à ces initiatives mort-nées[8].
Dans ce contexte, entre le5 et le, un conseil national regroupant des représentants des populations slaves du Sud d'Autriche-Hongrie se met progressivement en place, rapidement rejoint par les responsables politiques croates et serbes duroyaume de Croatie-Slavonie[6], dont les représentants votent le leur adhésion à l'État en cours de formation[9] ; rapidement, les autorités locales des provinces yougoslaves de la double monarchie reconnaissent l'autorité du nouveau conseil national[2]. La publication du manifeste impérial, le, trouble alors à peine le processus d'émancipation des Slaves du Sud vis-à-vis de la tutelle des Habsbourg, les membres du conseil national n'accordant aucune attention au programme de réformes exposé par l'empereur-roi : ce projet de réformes de la monarchie danubienne, ambitieux pour ses promoteurs, apparaît trop tardif et trop timoré pour les représentants des nationalités, de plus en plus détachés de la dynastie ; le manifeste impérial est surtout rendu public trop tardivement pour mettre un terme à la décomposition de la monarchie des Habsbourg, alors minée par les initiatives émancipatrices des représentants des minorités, dont les députés élus par lesSlaves du Sud de la double monarchie, déjà regroupés au sein d'un conseil national établi àZagreb[10].
Le, le conseil national des Slaves du Sud, exerçant son autorité sur les territoires slaves du Sud de l'empire d'Autriche, proclame les droits à l'autodétermination des Slaves du Sud[11]. Le même jour, la diète duroyaume de Croatie proclame la rupture des liens existant avec leroyaume de Hongrie[d],[3].
L'indépendance du nouvel État est confirmée, en pleine séance du Sabor deZagreb, le parlement duroyaume de Croatie-Slavonie : les représentants du royaume rejoignent officiellement le nouvel État, remettant ainsi en cause les liens l'unissant depuis 1102 auroyaume de Hongrie[12],[13],[11]. L'adhésion duroyaume de Croatie-Slavonie ne suscite pas d'opposition de la part du gouvernement deMihály Károlyi, dernierprésident du conseil duroyaume de Hongrie désigné par leroiCharles IV ; en effet, le nouveau président du conseil duroyaume de Hongrie, souhaitant préserver l'indépendance de la Hongrie historique, est alors conscient de l'indépendance de fait de la Croatie, et de la rupture des liens juridiques et politiques unissant jusque là les deux royaumes[11].
Le, le nouvel État est officiellement proclamé indépendant de l'Autriche et de laHongrie et commence à se doter de certains attributs de l'indépendance, notamment unemarine de guerre[14]. De plus, souhaitant rapidement affirmer cette indépendance par un acte politique fort, ses représentants ordonnent la rupture des communications entre l'Armeeoberkommando, le commandement austro-hongrois, et lesunités austro-hongroises enretraite depuis les positions qu'elles occupent enSerbie, enAlbanie et auMonténégro[15].
Proclamation de l'indépendance de l'État des Slovènes, Croates et Serbes àLjubljana le.
Constitué durant le mois d', le nouvel État est perçu par les vainqueurs comme une solution provisoire, prélude au partage, entre l'Italie et laSerbie, de la côte adriatique de la double monarchie[12].
Pour cette raison, principalement, l'État des Slovènes, Croates et Serbes ne jouit d'aucune reconnaissance internationale. Son nom même est le fruit d'un compromis vite remis en cause sous la pression des Serbes, jouissant alors du prestige des vainqueurs : lors de sa constitution, les élus qui ont proclamé son émancipation du sceptre des Habsbourg ont appelé le nouvel État l'« État des Slovènes, Croates et Serbes », mais, parmi ces élus, les représentants serbes, soutenus par legouvernement de Belgrade, obtiennent son changement de nom, imposant la titulature d'« État des Serbes, Croates et Slovènes »[16].
Pour lesSlovènes, ce nouvel État éphémère a néanmoins constitué le premier État national indépendant, jalon pour la construction d'une identité nationale propre[12].
De plus, la Convention de Belgrade, signée le entre lesAlliés et les représentants duroyaume de Hongrie, fixe une ligne de démarcation entre les territoires hongrois et les territoires serbes ou dévolus au nouvel État[17].
Le nouvel État tente de mettre sur pied une force armée afin de faire face aux ambitions italiennes en Adriatique et en Slovénie.
Ainsi, les membres du Conseil national croate se rapprochent deSvetozar Boroevic von Bojna,feld-maréchalaustro-hongrois d'origine croate, pour tenter de le persuader, sans succès, de mettre à la disposition du nouvel État les unités austro-hongroises composées de Serbes, de Croates, de Slovènes et de Bosniaques[18].
Les équipages, composés pour une majorité deCroates, n'obéissent en effet plus aux consignes de leurs commandants ;Miklós Horthy, dernier commandant en chef de lamarine impériale et royale, quitte son navire amiral en emportant avec lui sonpavillon, abandonnant de fait la flotte de guerre de la double monarchie à l'État des Slovènes, Croates et Serbe[18]. Dans les jours qui suivent, lamarine de guerre italienne s'empare de l'ensemble de la flotte du nouvel État[20]. Dans la nuit suivant la cession de la flotte austro-hongroise au nouvel État, le, leSMSViribus Unitis, un des trois cuirassés austro-hongrois de laclasseTegetthoff à avoir survécu à la guerre, est coulé lors d'une action de sabotage menée par un commando de laRegia Marina, entraînant la mort du commandant de la flotte[21].
Cette flotte ne constitue pas le seul atout militaire de l'État alors en formation. En effet, durant les derniers jours du mois d'octobre, les régiments slaves du Sud de l'armée commune désertent en masse leurs positions pour rejoindre leur région d'origine[22] ; ces soldats sont réorganisés au sein d'une brigade de volontaires, sous les ordres deRudolf Maister, général austro-hongrois d'origineslovène[23].
Rapidement, la dégradation de la situation intérieure oblige les représentants locaux du nouvel État à faire appel aux unités serbes pour rétablir l'ordre, notamment enBosnie-Herzégovine[24].
Bénéficiant du soutien des opinions publiques des principaux Alliés, les autorités du nouvel État doivent louvoyer entre les buts de guerre des différents alliés[25]. De plus, les revendications italiennes sur une partie du territoire de l'État des Slovènes, Croates et Serbes, garanties àLondres en 1915, obligent les responsables du nouvel État à louvoyer entre les Italiens et les Serbes, soutenus par les Français, tandis que le sort de certaines portions du territoire anciennementautrichien ethongrois,Fiume notamment, reste incertain[26].
Rapidement, le rythme de l'avance conjointe des troupes franco-serbes depuis Belgrade et leMonténégro, et italiennes sur le littoral adriatique, bloque les quelques tentatives souvent brouillonnes de mise en œuvre d'une organisation étatique[27].
Aussi, le nouvel État connaît une situation anarchique, des insurrections à caractère social et confessionnel[f],[28] éclatent enBosnie-Herzégovine[g],[29], justifiant aux yeux des membres du conseil national deBosnie-Herzégovine la demande d'intervention serbe pour maintenir l'ordre dans la province[24].
Les termes de l'armistice facilitent la prise de contrôle du territoire par les troupes franco-serbes et italiennes ; ainsi, pour« maintenir l'ordre », Italiens et Serbes poussent leur avantage en menant la conquête, pour leur propre compte, des villes qu'ils estiment indispensables à la satisfaction de leurs ambitions respectives : les Italiens prennent ainsi le contrôle de lacôte dalmate, les Franco-serbes conquièrent l'intérieur des terres, tout en disputant aux Italiens le contrôle de certains ports[24],[30].
Les responsables du nouvel État, notammentSvetozar Pribićević, le plus en vue, se trouvent confrontés à la politique menée par leroyaume d'Italie enDalmatie, conforme aux termes dupacte de Londres, à l'avancée des troupes serbes sur son territoire, et à l'évacuation des unités de l'armée commune.
Dans cette optique, Svetozar Pribićević tente de neutraliser la politique italienne tout en préparant l'union avec la Serbie[9]. Pour tenter de s'opposer aux ambitions italiennes, les membres du conseil national Croate tentent alors de convaincreBoroevic von Bojna,feld-maréchal austro-hongrois d'origine croate, de déployer lesunités austro-hongroises composées de Croates et de Slovènes face aux Italiens, ce à quoi celui-ci s'oppose[18]. Placés au centre des rivalités entre Italiens et Serbes, les responsables du nouvel État négocient avec les représentants alliés : le nouvel État conserve ainsi le contrôle de laStyrie et du Nord-Est de laSlovénie, maintenant son autorité surMaribor[12] ; de plus, la partie méridionale de laStyrie est conquise au terme d'une rapide campagne militaire menée contre les troupes de la nouvellerépublique d'Autriche allemande, établie sur les territoires germanophones de l'empire d'Autriche[31].
En outre, à partir du, les représentants du nouvel État participent à des négociations à Genève, en territoire neutre[32], avec des représentants du royaume de Serbie afin de fusionner en une entité fédérale, conformément aux termes de l'accord du[h],[12]. Au terme de quelques semaines de négociations, illustrant les divergences entre les responsables de cet État éphémère[33], les représentants du royaume de Belgrade arrachent aux négociateurs du nouvel État leur accord pour l'intégration de ce dernier au sein d'un État unifié, regroupant la majorité desSlaves du Sud[34] ; cependant, les termes de l'accord sont torpillés à la fois par la politique des Serbes du royaume de Belgrade, appuyés par les représentants serbes de l'État des Slovènes, Croates et Serbes, et par larapidité de l'avance de l'armée serbe à l'intérieur des anciens territoires de la monarchie danubienne[35].
Enfin, le nouvel État apparaît rapidement comme une monnaie d'échange dans les négociations entreAlliés, destinée à justifier des arbitrages décidés lors desnégociations de paix avec laHongrie.
Pour satisfaire les revendications italiennes dans l'Adriatique, garanties par lepacte de Londres, ces régions sont considérées comme d'anciens territoires de la double monarchie[36]. Cependant, les négociations entre Alliés n'empêchent pas les accrochages entre Italiens et Slaves du Sud dans l'Adriatique ; des marins italiens et slaves, civils et militaires, multiplient les affrontements dans les différents ports des îles dalmates au cours du mois de novembre : les représentants du nouvel État envoyés sur place assistent impuissants à ces heurts, souvent violents, parfois sanglants[37].
Cependant, afin de modérer les prétentions hongroises sur certaines portions de territoire du nouvel État, lesAlliés considèrent ces territoires comme peuplés de Yougoslaves libérés de l'oppression desHabsbourg[36].
Le régentAlexandre reçoit une délégation de représentants de l'État des Slovènes, Croates et Serbes le.
Durant le mois de novembre, des représentants de l'État des Slovènes, Croates et Serbes, qui ne jouit toujours pas d'une reconnaissance internationale, se rapprochent du gouvernement royal serbe pour négocier l'union des deux États.
Ainsi, entre le6 et le, des négociations se déroulent àGenève entre les représentants du royaume de Belgrade et ceux de l'État des Slovènes, Croates et Serbes[25]. Parallèlement à ces démarches, le gouvernement royal serbe reconnaît, le, le gouvernement de l'État des Slovènes, Croates et Serbes comme le représentant des populations slaves du Sud de la double monarchie, ce qui l'érige en interlocuteur privilégié des négociateurs serbes[38].
De plus, le caractère fédéral du futur royaume des Slaves du Sud est accepté par les représentants serbes lors des négociations de Genève[39], auxquelles assistent des représentants du comité yougoslave, replié àLondres ; cependant, la démission du premier ministre serbe,Pašić, remet en cause les accords conclus lors de ces négociations[i],[25].
Dans la nuit du23 au, les membres du comité central du conseil national des Slaves du Sud votent l'envoi d'une délégation à Belgrade ; les membres de cette délégation sont reçus le par le régentAlexandre, en vue d'ouvrir des négociations pour intégrer leroyaume de Serbie[9].
Le, après trente-trois jours d'existence, le gouvernement provisoire, après des pourparlers formels[9], accepte, par l'envoi d'une adresse au régentAlexandre[40], l'union avec leroyaume de Serbie[j],[41]. Après l'acceptation de l'adresse par le régent[42], se constitue officiellement leroyaume des Serbes, Croates et Slovènes[41]. Cependant, l'union entre les deux États laisse en suspens la question de l'organisation interne du nouveau royaume[43].
Ces questions en suspens créent les conditions de fortes tensions entre Serbes du royaume de Serbie d'une part, et Croates de l'autre, attisées par la politique vaticane encouragée par leReich[37] : le, l'armée serbe tire sur une manifestation de Croates àZagreb, causant la mort de quinze manifestants. Le même jour, la messe deTe Deum, destinée à célébrer l'union entre la Serbie et l'État des Slovènes, Croates et Serbes, est célébrée par l'archevêque de Zagreb dans unecathédrale désertée par ses fidèles[41].
À ces déboires internes, s'ajoute la partition des territoires anciennement austro-hongrois peuplés par les Slaves du Sud. En effet, le Nord-Ouest de l'État échoit auroyaume d'Italie, à la suite de maladresses de ses responsables et du désintérêt des hommes politiques du nouveauroyaume des Serbes, Croates et Slovènes[39] ; cette conquête est cependant exploitée par les hommes d'État serbes, qui utilisent la peur que les Croates éprouvent vis-à-vis des Italiens pour pousser les représentants croates à accepter l'union avec laSerbie[44].
↑Ce traité fixe les modalités de l'intervention italienne aux côtés desAlliés et précise les buts de guerre italiens reconnus par la France et le Royaume-Uni.
↑Entre1871 et1945, le nom officiel de l'État national allemand estDeutsches Reich ; par commodité, cet État sera désigné par le terme deReich dans la suite du texte.
↑Le conseil national de Bosnie-Herzégovine est théoriquement subordonné au conseil national de Zagreb.
↑Le, un accord est conclu entre les représentants de l'État des Slovènes, Croates et Serbes avec ceux du royaume de Serbie afin de garantir la structure fédérale du nouvel État unifié.
↑Démissionnaire, il est néanmoins confirmé à son poste par lerégent Alexandre.
↑LeMonténégro a intégré la Serbie trois jours auparavant, au terme d'un processus similaire.
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