Élisabeth est la fille du roiHenriVIII, et le cinquième et dernier membre de ladynastie des Tudor sur le trône anglais. L'exécution de sa mèreAnne Boleyn, trois ans après sa naissance, lui fait perdre son titre de princesse, reçu à sa naissance et entériné par leSecond Acte de Succession. Son demi-frèreÉdouardVI nomme comme successeur, parlettre patente, sa cousineJeanne Grey, ce qui écarte ses demi-sœursMarie et Élisabeth de la succession au trône. Cependant, cette lettre patente d'ÉdouardVI est interprétée comme acte de trahison et Jeanne Grey est exécutée. Marie — fille d'HenriVIII et de la catholiqueCatherine d'Aragon — devient reine en. Élisabeth lui succède cinq ans plus tard, après avoir passé près de deux mois en prison en raison de son soutien supposé aux rebelles protestants et plus de quatre ans en résidence surveillée, entre lepalais de Woodstock etHatfield Palace.
Elle est politiquement plus modérée que l'a été son père,Henri VIII, son demi-frèreÉdouard VI, et sa demi-sœurMarie Ire d'Angleterre ; l'une de ses devises estvideo et taceo (littéralement « je vois et je me tais »).ÉlisabethIre est relativement tolérante sur le plan religieux, ce qui ne l'empêche pas de mener une politique de persécution à l'égard des catholiques après qu'en 1570,le pape l'eut excommuniée, encourageant ses sujets catholiques à ne plus lui obéir. La reine, qui échappe à plusieurs complots, adopte une diplomatie prudente et ménage les grandes puissances européennes que sont laFrance et l'Espagne. Elle ne soutient qu'à contrecœur plusieurs campagnes militaires dans lesPays-Bas, en France et en Irlande qui échouent en grande partie du fait du manque de ressources. Pendant son règne éclate laguerre anglo-espagnole qui voit l'Armada espagnole (Invincible Armada) tenter d'envahir leroyaume d'Angleterre en 1588.
Le règne d'ÉlisabethIre, appeléère élisabéthaine, est associé à l'épanouissement duthéâtre anglais représenté parWilliam Shakespeare etChristopher Marlowe, à l'émergence d'un style architectural, à l'installation permanente decolonies anglaises auNouveau Monde ainsi qu'aux prouesses maritimes d'aventuriers commeFrancis Drake etWalter Raleigh. Certains historiens ont cependant nuancé cet âge d'or supposé et qualifiéÉlisabethIre de souveraine irascible et indécise qui a plus que sa part de chance. Vers la fin de son règne, une série de problèmes économiques et militaires affectent sa popularité.ÉlisabethIre est néanmoins reconnue pour soncharisme et son caractère obstiné, à une époque où les monarques des pays voisins affrontent des difficultés internes qui mettent leurs trônes en péril. C'est par exemple le cas de sa rivaleMarieIre d'Écosse, qu'elle fait emprisonner en 1568, puis exécuter en 1587. Après les brefs règnes de ses demi-frère et demi-sœur, ses 44 années sur le trône apportent une stabilité bienvenue au royaume et aident à forger une identité nationale.
Son père était le roiHenriVIII. Ce dernier était marié en premières noces àCatherine d'Aragon avec qui il avait eu plusieurs enfants, dont seuleMarie, née en 1516, parvint à l'âge adulte. En 1522, Anne Boleyn fait son entrée à la cour royale et attire tout de suite l'attention du roi. Désespérant d'avoir un héritier mâle, Henri entama une procédure dedivorce en 1533 et se rapprocha d'Anne Boleyn (qui refusa de devenir une maîtresse et résista avec intelligence aux avances du roi). Ils se marièrent secrètement le et l'archevêque de Cantorbéry,Thomas Cranmer, prononça le divorce de Henri et Catherine le 1533.
Après plusieursfausses couches, Anne Boleyn futrépudiée par le roi et exécutée le, alors qu'Élisabeth avait moins de trois ans[4]. Après l'exécution de sa mère, Élisabeth est déclarée illégitime et, avec sa demi-sœur aînée Marie, exclue du trône, Henri souhaitant un fils pour lui succéder[5]. Onze jours après la mort d'Anne, Henri épousaJeanne Seymour, mais celle-ci mourut peu après avoir donné naissance à un fils,Édouard, en ; ce dernier devint donc le prince héritier. Élisabeth apporta en cadeau sa propre robe de baptême lors de la cérémonie de baptême de son demi-frère. Ensuite, Édouard et sa cour rejoignirent Élisabeth et Marie dans leur résidence deHatfield Palace[6].
The Miroir or Glasse of the Synneful Soul (1544), brodé et traduit « en prose anglaise à partir de vers français »[7] par Élisabeth alors âgée de onze ans, et offert à sa belle-mère Catherine Parr (KP)
Ce n'est que sous l'influence de la sixième et dernière épouse de Henri,Catherine Parr, que les deux filles aînées d'Henri retrouvèrent leur place dans l'ordre de succession, et ce par une résolution parlementaire de 1544. Lesprécepteurs d'Élisabeth, Richard Cox, John Cheke, William Grindal etRoger Ascham lui donnèrent une éducation stricte et complète. Même à un jeune âge, elle maîtrisait parfaitement l'italien et lefrançais et était également capable de communiquer enespagnol.
La premièregouvernante d'Élisabeth,Margaret Bryan, écrivit qu'elle était« une enfant aussi prometteuse et de dispositions aussi douces que j'en ai jamais rencontrées dans ma vie »[8]. À l'automne 1537, Élisabeth fut confiée àBlanche Herbert(en),Lady Troy, qui resta sa tutrice jusqu'en 1546[9].Catherine Champernowne, plus connue sous son nom de mariage d'Ashley, fut nommée gouvernante en 1537, et elle resta l'amie d'Élisabeth jusqu'à sa mort en 1565[10] ; elle lui apprit lefrançais, leflamand, l'italien et l'espagnol[11]. En plus de son propre cursus, elle bénéficia des tuteurs et de l'enseignement dispensé au futur roi, comme lesarts libéraux qui comprennent entre autres, lagéométrie, larhétorique ou l'astronomie ; autant de nouvelles matières propres à satisfaire la curiosité d'une élève particulièrement douée. LorsqueWilliam Grindal(en) devint son tuteur en 1544, Élisabeth pouvait écrire enanglais, enlatin et en italien et, sous son enseignement, elle progressa en français et engrec[12]. Après la mort de Grindal en 1548, Élisabeth fut éduquée parRoger Ascham et, à la fin de son apprentissage en 1550, elle était l'une des femmes les plus cultivées de sa génération[13]. À la fin de sa vie, elle parlait également legallois, lecornique, lescots et l'irlandais en plus de l'anglais. L'ambassadeurvénitien avança en 1603 qu'elle« maîtrisait [ces] langages si parfaitement que chacun d'eux semblait être sa langue natale »[14].
Élisabeth se trouve au manoir d'Enfield avec son demi-frère lorsqu'ils apprennent parEdward Seymour la mort d'HenriVIII, leur père, le. Son fils devient roi à l'âge de neuf ans sous le nom d'ÉdouardVI. La veuve du souverain défunt,Catherine Parr, se remaria rapidement àThomas Seymour, l'oncle d'ÉdouardVI et le frère d'Edward Seymour, devenulord-protecteur. Le couple obtint la garde d'Élisabeth qui s'installa dans leur résidence deChelsea. Certains historiens considèrent qu'elle y affronta une crise émotionnelle qui l'affecta jusqu'à la fin de sa vie[15]. Seymour, qui approchait de la quarantaine mais conservait son charme[15], se lançait dans de nombreuses facéties avec Élisabeth, alors âgée de 14 ans[16]. À une occasion, il entra dans sa chambre en robe de chambre pour la chatouiller et la frapper sur les fesses. Parr ne s'opposa pas à ces activités inappropriées et y participa à plusieurs reprises ; elle immobilisa ainsi Élisabeth alors que Seymour déchirait sa robe noire« en milliers de morceaux »[17]. Néanmoins, quand elle les trouva enlacés, elle mit un terme à ces activités[18], et Élisabeth fut renvoyée en.
Thomas Seymour continua toutefois à comploter pour contrôler la famille royale et essayer de se faire nommer gouverneur du souverain[19],[20]. Lorsque Parr mourut en couches le, il recommença à s'intéresser à Élisabeth et avait l'intention de l'épouser[21]. Les détails de son comportement antérieur avec elle furent révélés[22], et cela fut trop pour son frère et le Conseil de Régence[23]. En, il fut arrêté et accusé de vouloir épouser Élisabeth et de renverser le roi. Élisabeth, qui se trouvait àHatfield Palace[24], fut interrogée mais ne dit rien, et son interrogateur, Robert Tyrwhitt, rapporta« je peux voir sur son visage qu'elle est coupable »[23]. Seymour futdécapité le.
Le roiÉdouardVI mourut le à l'âge de 15 ans. Lalettre patente qu'il écrivit avant son décès excluait Marie et Élisabeth de la succession et désignait comme successeur au trôneJeanne Grey, petite-fille de la duchesse de SuffolkMarie Tudor, la sœur d'HenriVIII. Jeanne Grey fut proclamée reine par leConseil privé majoritairementprotestant, mais ses soutiens s'affaiblirent au fur et à mesure que leslords rejoignaient Marie, la reine légitime.
La lettre patente d'ÉdouardVI fut reconnue comme trahison en vertu de l'Acte de Trahison de 1547 : celui-ci, adopté peu avant la mort d'HenriVIII, rendait coupable de haute trahison toute personne interrompant l'ordre de succession tel qu'établi dans leTroisième Acte de Succession. Jeanne Grey fut renversée au bout de neuf jours et sera exécutée l'année suivante. Marie entra triomphalement dansLondres, à cheval, avec sa demi-sœur Élisabeth à ses côtés[25].
Ce témoignage de solidarité entre les deux sœurs ne dura pas longtemps.MarieIre,catholique fervente (de mère espagnole), était déterminée à écraser la foi protestante dans laquelle Élisabeth avait été éduquée et ordonna que tous ses sujets assistent à lamesse catholique ; Élisabeth fut obligée de s'y conformer en apparence. La popularité initiale deMarieIre s'effrita en 1554 quand elle épousa le princePhilippe d'Espagne, catholique et fils de l'empereur (etroi d'Espagne)Charles Quint[26]. Le mécontentement se propagea rapidement dans tout le pays et beaucoup se tournèrent vers Élisabeth.
En janvier et,Thomas Wyatt mena unerévolte contre les politiques religieuses de l'intransigeanteMarieIre, mais elle fut rapidement écrasée[27]. Élisabeth fut convoquée à la cour pour y être interrogée sur son rôle; elle déclara avec véhémence qu'elle était innocente mais elle fut emprisonnée le à latour de Londres accompagnée de ses dames de compagnie dontIsabella Markham etEthelreda Malte[28]. Même s'il est improbable qu'elle ait comploté avec les rebelles, on sait que certains d'entre eux l'avaient approchée. L'ambassadeur de Charles Quint et plus proche conseiller deMarieIre,Simon Renard, affirma que son trône ne serait jamais sûr tant qu'Élisabeth serait en vie, et lelord chancelierÉtienne Gardiner travailla pour organiser son procès[29]. Les soutiens d'Élisabeth dans le gouvernement, dont William Paget, convainquirent néanmoins la reine d'épargner sa demi-sœur en l'absence de preuves solides contre elle. Le, Élisabeth quitta la prison de la tour de Londres et fut emmenée aupalais de Woodstock où elle passa près d'un an en résidence surveillée sous la supervision d'Henry Bedingfeld. Les foules l'acclamèrent sur tout le trajet[30],[31]. Sortie en 1555, Élisabeth gagna Hatfield Palace, sa nouvelle résidence surveillée sous la responsabilité de SirThomas Pope jusqu'à la fin du règne de Marie.
Le, Élisabeth fut rappelée à la cour pour assister aux dernières étapes de l'apparente grossesse deMarieIre mais, lorsqu'il devint évident qu'elle n'était pas enceinte, plus personne ne crut qu'elle pourrait avoir un enfant[32]. Le roi Philippe, fils de Charles Quint, qui monta sur le trône d'Espagne en 1556, reconnut la nouvelle réalité politique et se rapprocha de sa belle-sœur. En effet, la reineMarieIre d'Écosse, cousine d'Élisabeth, pouvait également revendiquer la couronne d'Angleterre. Or elle était fiancée audauphin de France avec qui l'Espagne était enguerre ; Élisabeth représentait donc une alternative préférable[33]. Lorsque son épouse tomba malade en 1558, le roi Philippe dépêcha le duc de Feria pour consulter Élisabeth[34]. En octobre, Élisabeth préparait déjà son gouvernement, et, le, fut reconnue comme son héritière parMarieIre[35]. Cette dernière mourut le, et Élisabeth monta sur le trône.
Lors de la procession triomphale dansLondres le, Élisabeth fut acclamée par la foule, et son attitude ouverte et enjouée enthousiasma les spectateurs[36]. Le lendemain, elle futcouronnée dans l'abbaye de Westminster[37].
Les convictions religieuses d'ÉlisabethIre ont fait l'objet de nombreux débats. Elle étaitprotestante mais conservait des symbolescatholiques comme lecrucifix, et minimisait l'importance dessermons malgré leur importance capitale dans la foi protestante[38]. Par rapport à son intransigeante demi-sœur catholiqueMarieIre, elle était, dans un premier temps, plutôt tolérante. De manière générale, elle privilégiait le pragmatisme pour les questions religieuses.ÉlisabethIre et ses conseillers craignaient une possible croisade catholique contre l'Angleterre hérétique. La reine chercha alors une solution protestante qui n'irriterait pas trop les catholiques tout en satisfaisant les désirs des protestants anglais. Elle ne tolérait cependant plus lespuritains radicaux qui demandaient des réformes profondes[39]. Le Parlementcommença alors en 1559 à légiférer sur une nouvelle Église basée sur lesréformes d'ÉdouardVI, avec le monarque à sa tête, mais avec de nombreux éléments catholiques comme les habitssacerdotaux[40].
LaChambre des communes était largement en faveur de ces propositions, mais la loi de suprématie rencontra l'opposition desévêques de laChambre des lords. De nombreuxévêchés étaient cependant vacants à ce moment, de même que la fonction d'archevêque de Cantorbéry[41],[42]. Les partisans de la réforme étaient donc plus nombreux que les évêques et les lords conservateurs.ÉlisabethIre fut néanmoins forcée d'accepter le titre degouverneur suprême de l'Église d'Angleterre plutôt que le titre dechef suprême que beaucoup ne voulaient pas accorder à une femme. Le nouvelActe de suprématie fut adopté le, et tous les fonctionnaires durent prêter un serment de loyauté au monarque sous peine de perdre leur poste ; les lois d'hérésie furent annulées pour éviter une répétition despersécutions pratiquées parMarieIre. Une nouvelleloi d'Uniformité fut adoptée au même moment pour rendre obligatoires la présence à l'église et l'utilisation de laversion de 1552 duLivre de la prière commune ; les peines pour lesrécusants ou le non-respect de la loi n'étaient cependant pas excessives[43].
Dès le début de son règne, il était attendu qu'ÉlisabethIre se marie, et la question était de savoir avec qui. Malgré les nombreuses demandes, elle ne se maria cependant jamais, pour des raisons qui restent peu claires. Les historiens supposent que Thomas Seymour l'avait découragée à avoir des relations sexuelles, ou encore qu'elle se savaitstérile[45],[46]. Elle considéra plusieurs prétendants jusqu'à l'âge de 50 ans, et le dernier fut le ducFrançois d'Anjou de 22 ans son cadet. Même si, comme sa sœur qui était manipulée par le roiPhilippeII d'Espagne, elle risquait de perdre son pouvoir, un mariage ouvrait la possibilité d'un héritier[47]. Le choix d'un époux pouvait également provoquer une instabilité politique voire une insurrection[48]. La reine refuse cependant de devoir céder son pouvoir à qui que ce soit et refuse donc le mariage. Par la suite, elle se présente au peuple comme la reine souhaitant rester vierge. C'est ainsi que naquit son surnom de « Reine Vierge ».
Au printemps 1559, il devint clair qu'ÉlisabethIre était amoureuse de son ami d'enfance,Robert Dudley[51],[52]. Il était dit qu'Amy Robsart, son épouse, souffrait« d'une maladie dans l'un de ses seins » et que la reine épouserait Dudley si sa femme venait à mourir[52]. À l'automne de la même année, plusieurs prétendants étrangers se pressaient autour de la reine, leurs émissaires impatients se lançaient dans des discours toujours plus scandaleux et rapportaient qu'un mariage avec sonfavori ne serait pas bien accueilli en Angleterre[53]. Amy Dudley mourut en septembre 1560 après une chute dans les escaliers et, malgré le rapport du médecin légiste concluant à un accident, de nombreuses personnes suspectèrent Dudley d'avoir provoqué sa mort pour pouvoir épouser la reine[54].ÉlisabethIre envisagea sérieusement d'épouser Dudley pendant quelque temps.William Cecil,Nicholas Throckmorton et certainspairs firent connaître leur désapprobation au sujet de cette union[55], des rumeurs annonçaient même un soulèvement de la noblesse en cas de mariage[56].
Robert Dudley n'en resta pas moins un possible candidat pendant près d'une décennie et fut faitcomte de Leicester en 1564[57].ÉlisabethIre était extrêmement jalouse, et quand Dudley se remaria finalement en 1578, la reine réagit par de nombreuses démonstrations d'antipathie et de haine envers sa nouvelle épouse,Lettice Knollys, la propre cousine d'Élisabeth[58],[59]. Dudley resta néanmoins, dans les mots de l'historienne Susan Doran, toujours« au centre de la vie sentimentale d'ÉlisabethIre »[60]. Il mourut peu après la défaite de l'Armada espagnole. Après la mort d'ÉlisabethIre, une de ses missives fut retrouvée parmi les objets les plus personnels de la reine avec l'inscription« sa dernière lettre » écrite de sa main[61].
François d'Anjou par Nicholas Hilliard.ÉlisabethIre le surnommait sa « grenouille » et ne le trouvait« pas aussi déformé » que ce à quoi elle s'attendait[62].Cette peinture de Steven van der Meulen vers 1563 est l'un des premiers portraits en pied de la reine et a été réalisée avant l'émergence des portraits symboliques représentant l'iconographie de la « reine vierge »[63].
Les négociations en vue d'un mariage constituaient un élément clé de la politique étrangère d'ÉlisabethIre[64]. Elle refusa la main dePhilippeII d'Espagne en 1559 et négocia pendant plusieurs années pour épouser son cousinCharlesII d'Autriche-Styrie. En 1569, les relations avec lesHabsbourg s'étaient détériorées, etÉlisabethIre envisagea d'épouser un princefrançais de lamaison de Valois,Henri d'Anjou, puis son frère François d'Anjou, de 1572 à 1581[65]. Cette dernière union était associée à une promesse d'alliance contre l'Espagne, pour l'évincer desPays-Bas méridionaux[66].ÉlisabethIre sembla prendre cette possibilité au sérieux et elle porta un temps des boucles d'oreille en forme de grenouille que le duc d'Anjou lui avait envoyées[67].
En 1563,ÉlisabethIre dit à un émissaireimpérial :« si je suis les penchants de ma personnalité, ce serait mendiante et célibataire bien plus que reine et mariée »[64]. Plus tard dans l'année, après que la reine eut souffert de lavariole, la question de la succession devint un sujet brûlant au Parlement. Ce dernier la pressa de se marier ou de nommer un héritier, pour éviter une guerre civile à sa mort ; elle refusa les deux propositions. En 1570, les membres du gouvernement étaient devenus plus convaincus que jamaisÉlisabethIre ne se marierait ou ne nommerait de successeur ; elle fut accusée d'irresponsabilité[68]. Son silence renforça néanmoins sa propre sécurité, car elle savait que si elle nommait un héritier, son trône serait vulnérable à un coup d'État ; elle se rappelait la manière dont« une seconde personne, comme je l'ai été », avait été utilisée contre ses prédécesseurs[69].
Le célibat d'ÉlisabethIre inspira un culte de lavirginité. Dans la poésie et la peinture, elle était représentée comme une vierge ou une déesse et non comme une femme ordinaire[70]. Initialement, seuleÉlisabethIre faisait de sa virginité une vertu ; en 1559, elle déclara à la Chambre des communes :« Et en fin de compte, il me suffira qu'une plaque de marbre déclare qu'une reine, ayant régné tant de temps, vécut et mourut vierge »[71]. Par la suite, les poètes et les écrivains reprirent ce thème et développèrent uneiconographie exaltantÉlisabethIre. Les hommages publics à la reine vierge, à partir de 1578, témoignaient secrètement de l'opposition aux négociations de mariage avec le duc d'Anjou[72].ÉlisabethIre insista sur le fait qu'elle était mariée à son royaume et à ses sujets sous la protection de Dieu. En 1599, elle parla de« tous mes époux, mon bon peuple »[73].
Au début de son règne, la politique étrangère d'ÉlisabethIre envers l'Écosse visait à réduire la présencefrançaise dans le pays[74]. Elle craignait que ces derniers n'envahissent l'Angleterre pour placerMarieIre d'Écosse, considérée par beaucoup comme l'héritière de la couronne d'Angleterre[75], sur le trône[76].ÉlisabethIre décida d'envoyer des troupes en Écosse pour soutenir les rebelles protestants, et, même si la campagne fut un échec, letraité d'Édimbourg de écarta la menace française au nord[77]. LorsqueMarieIre retourna en Écosse en 1561, après plus d'une décennie en France, le pays, qui avait établi une Église protestante, était gouverné par un conseil de nobles protestants soutenus parÉlisabethIre[78]. Elle refusa de ratifier le traité[79].
En 1563,ÉlisabethIre proposa que Robert Dudley épouseMarieIre sans en informer les deux intéressés. Ces derniers ne furent pas convaincus[80], et en 1565,MarieIre épousaHenry Stuart, lord Darnley, qui pouvait également prétendre à la couronne d'Angleterre. Cette union fut la première d'une série d'erreurs de jugement deMarieIre, qui permit la victoire des protestants écossais et d'ÉlisabethIre. Darnley devint rapidement impopulaire, puis détesté en Écosse pour avoir commandité le meurtre du secrétaire italien deMarieIre,David Rizzio ; en, il fut assassiné par un groupe probablement mené parJames Hepburn. Peu après, le, Hepburn épousaMarieIre, ce qui accrédita les rumeurs selon lesquelles elle aurait été complice dans le meurtre de son mari.ÉlisabethIre lui écrivit :« Quel pire choix pour votre honneur qu'en si grande hâte épouser un tel sujet, qui en plus d'autres et fameux manquements, a été publiquement accusé du meurtre de votre défunt mari dans lequel vous seriez d'ailleurs impliquée même si nous ne croyons pas à cette idée »[81].
Ces événements entraînèrent rapidement le renversement deMarieIre, qui fut emprisonnée auchâteau de Loch Leven. Les nobles écossais l'obligèrent àabdiquer en faveur de son filsJacques, né en, et ce dernier fut emmené auchâteau de Stirling pour être élevé dans la foi protestante. Marie s'échappa deLoch Leven en 1568, mais ses partisans furent défaits, et elle dut se réfugier en Angleterre dont on lui avait dit qu'elle pourrait compter sur le soutien de la reine. La première intention d'ÉlisabethIre était de la restaurer sur le trône d'Écosse, mais son conseil et elle décidèrent d'être plus prudents. Plutôt que de prendre le risque de ramener Marie en Écosse avec une armée anglaise ou de l'envoyer en France auprès des ennemis catholiques de l'Angleterre, ils décidèrent de la garder en prison où elle resta pendant 19 ans[82].
Francis Walsingham était le « maître-espion » d'ÉlisabethIre et il déjoua plusieurs complots contre elle.
En 1569, unimportant soulèvement catholique eut lieu dans le Nord de l'Angleterre avec pour objectif de libérer Marie, de la marier àThomas Howard et de la placer sur le trône d'Angleterre[83]. Après leur défaite, plus de 750 rebelles furent exécutés sur ordre d'ÉlisabethIre[84]. Croyant que le soulèvement avait réussi, lepapePieV délivra en 1570 unebulle pontificale appeléeRegnans in Excelsis quiexcommuniait« Élisabeth, prétendument reine d'Angleterre et servante du crime » et délivrait tous ses sujets de leur allégeance envers elle[85],[86]. Les catholiques qui continuaient de lui obéir risquaient également l'excommunication[85]. La bulle entraîna des propositions anti-catholiques au Parlement, lesquelles furent néanmoins assouplies par la reine[87]. En 1581, convertir des sujets anglais au catholicisme avec l'intention de les libérer de leur allégeance àÉlisabethIre devint un acte dehaute trahison passible de la peine de mort[88]. À partir desannées 1570, desmissionnaires catholiques du continent se rendirent secrètement en Angleterre ; beaucoup furent exécutés et cela entraîna un culte desmartyrs[86].
Regnans in Excelsis donna aux catholiques anglais une forte incitation à considérerMarie Stuart comme la souveraine légitime d'Angleterre. Cette dernière n'était peut-être pas informée de tous les complots catholiques visant à l'installer sur le trône, mais, ducomplot de Ridolfi de 1571 (à la suite duquel Thomas Howard fut décapité) aucomplot de Babington de 1586, le maître-espion d'ÉlisabethIre,Francis Walsingham, et le conseil royal accumulèrent les preuves contre elle[83]. La reine était initialement opposée à l'exécution de Marie, mais à la fin de l'année 1586, elle fut convaincue de sa culpabilité après la découverte de lettres écrites durant le complot de Babington[89]. La proclamation d'ÉlisabethIre indiquait que« la dite Marie, prétendante au titre de cette Couronne, a imaginé dans ce royaume diverses choses visant à blesser, tuer et détruire notre royale personne »[90]. Marie futdécapitée le auchâteau de Fotheringhay[91]. Après cette exécution,ÉlisabethIre affirma qu'elle ne l'avait pas ordonnée, et en effet, la plupart des rapports avancent qu'elle aurait dit à son secrétaire Davidson, qui lui avait apporté la condamnation à signer, de ne pas la transmettre. La sincérité des remords d'ÉlisabethIre et ses motivations pour avoir demandé à Davidson de ne pas appliquer le mandat d'exécution, furent débattues par ses contemporains et les historiens modernes.
En, les troupes anglaises occupèrentLe Havre avec l'intention de l'échanger contreCalais qui était tombé aux mains des Français en[92]. Le plan échoua, car les alliéshuguenots d'ÉlisabethIre rejoignirent les troupes catholiques pour reprendre la ville, et les Anglais durent se replier en. Après cette attaque,ÉlisabethIre n'entreprit pas d'autres expéditions militaires sur le continent jusqu'en 1585. Elle mena néanmoins une politique agressive par l'intermédiaire de sa flotte et de ses « chiens de mer » commeJohn Hawkins ouWalter Raleigh qui s'attaquèrent au commerce espagnol dans lesCaraïbes et l'Atlantique[93]. Elleadouba ainsi le corsaireFrancis Drake après sacircumnavigation du monde entre 1577 et 1580, et ce dernier s'illustra par la suite lors de ses assauts contre les ports et les navires espagnols[94],[95] (spécialement dans leNouveau Monde, d'où lesgalions espagnols revenaient chargés d'or et demétal d'argent).
En 1585,ÉlisabethIre déploya une armée anglaise pour soutenir larévolte des Hollandaisprotestants contrePhilippeII[97]. Cela suivait la mort, en 1584, de ses alliés lestathouderGuillaumeIer d'Orange-Nassau et le duc François d'Anjou, ainsi que la reddition de plusieurs villes hollandaises au ducAlexandre Farnèse, gouverneur espagnol desPays-Bas méridionaux. En, la signature d'une alliance entrePhilippeII et laLigue catholique française par letraité de Joinville menaçait la capacité du frère du duc d'Anjou, leroi de FranceHenriIII, à contrer la domination espagnole dans les Pays-Bas. Cela étendait également l'influence espagnole sur la côte sud de laManche où la Ligue catholique était puissante et exposait l'Angleterre à une possible invasion[97]. La prise d'Anvers par Farnèse à l'été 1585 après unsiège d'un an, imposait une réaction anglaise, et en,ÉlisabethIre signa letraité de Sans-Pareil par lequel elle promettait de soutenir militairement les Hollandais[98]. Le traité marqua le début de laguerre anglo-espagnole qui se termina par letraité de Londres en 1604.
Même si elle était menée par son ancien soupirant, Robert Dudley,ÉlisabethIre ne lui apporta pas un soutien très franc. Sa stratégie qui consistait à simplement soutenir les Hollandais tout en menant des négociations secrètes avec l'Espagne, dès les jours qui suivraient l'arrivée de Dudley en Hollande[99], était à l'opposé de celle de Dudley et des Hollandais qui voulaient mener une campagne offensive. Il blessa profondément la reine en acceptant le poste de gouverneur-général des mains desétats généraux des Provinces-Unies.ÉlisabethIre considéra qu'il s'agissait d'une ruse hollandaise pour l'obliger à accepter sa souveraineté sur les Pays-Bas[100], ce qu'elle avait jusqu'alors toujours refusé. Elle envoya une lettre de désapprobation qui fut lue devant leConseil d'État en présence de Dudley[101]. L'humiliation publique de son « lieutenant-général » associée à ses négociations en vue d'une paix séparée avec l'Espagne[102] sapa profondément ses soutiens dans les Pays-Bas. La campagne militaire fut entravée par les refus répétés d'Élisabeth d'envoyer les fonds promis pour soutenir ses troupes. Sa réticence à s'engager, les mauvaises décisions militaires et politiques de Dudley, ainsi que le chaos politique hollandais, entraînèrent l'échec de la campagne[103],[104]. Dudley démissionna de son commandement en.
Portrait d'ÉlisabethIre commémorant la défaite de l'Invincible Armada représentée en arrière-plan. La puissance internationale de la reine est symbolisée par sa main appuyée sur le globe terrestre.
Dans le même temps,Francis Drake avait entrepris une vaste campagne contre les ports et les navires espagnols dans lesCaraïbes en 1585, 1586 et 1587. Il réalisa uneattaque contre le port deCadix où il détruisit de nombreux navires de guerre rassemblés pour l'invasion de l'Angleterre[105],[106].
Le, l'Armada espagnole mit le cap sur la Manche avec une force d'invasion commandée par Alexandre Farnèse. Une combinaison de mauvaises décisions[107], de malchance, de l'attaque debrûlots anglais près deGravelines, le, dispersa la flotte espagnole qui fut repoussée enmer du Nord[108] ; seule la moitié de l'Armada parvint à rentrer en Espagne[109]. Ignorant le destin de la flotte espagnole, les miliciens anglais se rassemblèrent pour défendre le pays sous le commandement de Robert Dudley. Celui-ci invitaÉlisabethIre à inspecter les troupes àTilbury dans l'Essex le. Portant une cuirasse en argent et une robe blanche, elle prononça l'un de sesplus célèbres discours :
« Mon peuple bien-aimé, des conseillers soucieux de ma sécurité m'ont mise en garde de paraître devant mes armées, par crainte d'une trahison. Mais, je vous l'assure, je ne veux pas vivre en me méfiant de mon peuple fidèle et bien-aimé… Je sais que mon corps est celui d'une faible femme, mais j'ai le cœur et l'estomac d'un roi, et d'un roi d'Angleterre – et je me moque que le duc de Parme [Farnèse] ou n'importe quel prince d'Europe ose envahir les rivages de mon royaume[110],[111]. »
La menace d'invasion écartée, la nation fêta la victoire. La procession d'ÉlisabethIre lors d'une cérémonie à l'Old St Paul's Cathedral rivalisa avec le faste de son couronnement[109]. La défaite de l'Armada espagnole fut un important succès de propagande à la fois pourÉlisabethIre et pour l'Angleterre protestante. Les Anglais prirent leur victoire pour une preuve de la faveur de Dieu et de l'inviolabilité de la nation sous la direction d'une reine vierge[93]. Cette victoire ne fut cependant pas le tournant de la guerre, qui se poursuivit et se déroula souvent à l'avantage de l'Espagne[112]. Les Espagnols contrôlaient toujours les Pays-Bas, et la menace d'invasion restait présente[106].Walter Raleigh avança après sa mort que la prudence d'ÉlisabethIre avait entravé la guerre contre l'Espagne :
« Si la défunte reine avait cru en ses hommes de guerre comme en ses scribes, nous aurions en son temps réduit un grand empire en morceaux et fait de leurs rois que des figues et des oranges comme dans les temps anciens. Mais sa Majesté fit tout par moitié et par d'insignifiantes invasions apprit à l'Espagnol à se défendre et à voir ses propres faiblesses[113]. »
Même si certains historiens ont critiquéÉlisabethIre pour les mêmes raisons[114], le jugement de Raleigh a plus souvent été jugé injuste.ÉlisabethIre avait de bonnes raisons pour ne pas accorder trop de confiance à ses commandants qui, comme elle l'écrivit,« étaient transportés par l'orgueil » dans le feu de l'action[115].
Pièce avec l'effigie d'ÉlisabethIre et les armoiries de l'Angleterre.
Lorsque leprotestantHenriIV monta sur letrône de France en 1589,ÉlisabethIre lui apporta un soutien militaire. Ce fut sa première intervention en France depuis la retraite du Havre en 1563. La succession d'Henri IV était contestée par la Ligue catholique etPhilippeII ; en outre,ÉlisabethIre craignait que les Espagnols ne prissent le contrôle des ports français de la Manche. Les actions militaires anglaises en France furent cependant désorganisées et peu efficaces[116].Peregrine Bertie, ignorant la plupart des ordres de la reine, erra dans le Nord de la France avec une armée de 4 000 hommes sans remporter de véritable succès militaire. Il se retira dans la confusion en décembre 1589 après avoir perdu la moitié de ses forces. En 1591, la campagne deJohn Norreys à la tête de 3 000 soldats enBretagne ne rencontra pas plus de succès. Comme pour toutes les expéditions de ce type,ÉlisabethIre regimbait à accorder les renforts et les fonds demandés par ses commandants, et Norreys fut par exemple obligé de se rendre à Londres en personne pour plaider sa cause ; en son absence, une armée catholique anéantit le reste de son armée àCraon, dans le Nord-Ouest de la France en. Deux mois plus tard,ÉlisabethIre déploya une autre force, sous le commandement deRobert Devereux, beau-fils de Robert Dudley, pour soutenir le siège deRouen par Henri IV. Ce soutien fut peu concluant ; Devereux rentra en Angleterre en, et Henri IV abandonna le siège en avril[117]. Comme d'habitude,ÉlisabethIre manquait de contrôle sur ses commandants outre-mer :« Où il est, ou ce qu'il fait, ou ce qu'il va faire, nous l'ignorons »[118].
Même si l'Irlande était l'un de ses deux royaumes, une grande partie de l'île était virtuellement autonome[119], etÉlisabethIre devait faire face à une population irlandaise catholique qui lui était hostile et prête à comploter avec ses ennemis. Sa politique était d'accorder des terres à ses partisans et d'empêcher les rebelles de fournir à l'Espagne une base avancée pour attaquer l'Angleterre[120]. Lors d'une série de soulèvements, les forces royales appliquèrent unepolitique de la terre brûlée et massacrèrent les hommes, les femmes et les enfants. Durant unerévolte dans leMunster, menée parGerald Fitzgerald en 1582, près de 30 000 personnes moururent de faim. Le poèteEdmund Spenser écrivit que les victimes« furent acculées à une telle misère, que tout cœur de pierre se serait apitoyé »[121].ÉlisabethIre demanda à ses commandants que les Irlandais,« cette nation barbare et grossière », soient bien traités, mais elle ne montra aucun remords quand la force et le massacre furent jugés nécessaires[122].
Entre 1594 et 1603,Hugh O'Neill mena unlarge soulèvement en Irlande avec le soutien de l'Espagne, alors que les combats entre cette dernière et l'Angleterre étaient à leur paroxysme[123]. Au printemps 1599,ÉlisabethIre ordonna àRobert Devereux d'écraser la révolte. À sa grande colère[123], la campagne fut un échec et Devereux rentra en Angleterre en violation de ses ordres. Il fut remplacé parCharles Blount qui mit trois ans pour venir à bout des rebelles. O'Neill se rendit finalement en 1603, quelques jours après la mort d'ÉlisabethIre[124] et peu de temps après que le traité de Londres eut mis fin à la guerre entre l'Espagne et l'Angleterre.
ÉlisabethIre poursuivit les relations diplomatiques établies par son demi-frère avec letsarat de Russie. Elle écrivait souvent à son souverain, letsarIvanIV (Ivan le Terrible), en des termes amicaux, mais ce dernier était irrité par sa focalisation sur le commerce plutôt que sur la possibilité d'une alliance militaire. Le tsar lui demanda même la garantie qu'il pourrait se réfugier en Angleterre si son pouvoir était menacé. À la mort d'IvanIV, son filsFédorIer lui succéda, mais ce dernier ne voyait aucune raison de maintenir des relations commerciales privilégiées avec l'Angleterre, déclara que son royaume était ouvert à tous les étrangers et limogea l'ambassadeur anglais,Jerome Bowes(en).ÉlisabethIre dépêcha un nouvel ambassadeur,Giles Fletcher(en), pour demander au régentBoris Godounov de convaincre le tsar de reconsidérer sa position. Les négociations échouèrent, etÉlisabethIre continua de plaider auprès de Fédor avec des lettres à la fois apaisantes et réprobatrices. Elle proposa une alliance, ce qu'elle avait refusé quand cela lui avait été offert parIvanIV, mais le tsar refusa[125].
Les relations commerciales et diplomatiques entre l'Angleterre et lesÉtats barbaresques se développèrent sous le règne d'ÉlisabethIre[126],[127]. Malgré l'interdiction papale, l'Angleterre échangeait ainsi des armures, des munitions, du bois et du métal contre du sucre marocain[128]. En 1600,Abd el-Ouahed ben Messaoud, le principal conseiller du souverain marocainAhmed al-Mansour de la dynastie desSaadiens, se rendit en Angleterre à la cour d'ÉlisabethIre[126],[129] pour négocier une alliance contre l'Espagne[126]. Malgré les promesses d'attaques et de fourniture d'armes, les négociations s'enlisèrent[130], et les deux souverains moururent deux ans plus tard[131].
Des relations diplomatiques furent également établies avec l'Empire ottoman à la suite de la création de laCompagnie du Levant et de l'envoi du premier ambassadeur anglais à laSublime Porte,William Harborne, en 1578[130]. Un traité commercial fut signé en 1580[132], et de nombreux émissaires furent envoyés par les deux puissances.ÉlisabethIre échangeait des lettres avec lesultanMouradIII, dans l'une d'elles ce dernier avança que l'islam et leprotestantisme avaient« plus de choses en commun qu'avec le catholicisme car les deux rejetaient l'idolâtrie » et il proposa une alliance[133]. Au grand désarroi de l'Europe catholique, l'Angleterre exportait de l'étain et duplomb nécessaires à la fabrication de canons et de munitions vers l'Empire ottoman quiprogressait alors dans lesBalkans.ÉlisabethIre envisagea sérieusement des opérations militaires conjointes avecMouradIII durant la guerre avec l'Espagne, et lescorsaires anglais et barbaresques coopérèrent fréquemment pour attaquer les navires catholiques[134].
À la suite de la défaite de l'Armada espagnole en 1588,ÉlisabethIre affronta de nouvelles difficultés[112]. Les combats contre l'Espagne et en Irlande se poursuivaient, et l'économie fut affectée par les mauvaises récoltes et le coût de la guerre. Les prix augmentèrent et le niveau de vie diminua[135],[136]. Au même moment, la répression des catholiques s'intensifia, etÉlisabethIre autorisa en 1591 l'interrogatoire et la surveillance des propriétaires catholiques[137]. Pour maintenir une illusion de paix et de prospérité, elle se reposa de plus en plus sur le renseignement intérieur et sur lapropagande[135]. Vers la fin de son règne, la montée des critiques refléta une baisse d'affection du public pour sa reine[138].
L'une des raisons de ce qui est parfois appelé le « second règne » d'ÉlisabethIre[139],[140],[141] fut l'évolution duConseil privé dans les années 1590. À l'exception deWilliam Cecil, les hommes politiques les plus influents étaient morts vers 1590 : Robert Dudley en 1588, Francis Walsingham en 1590 etChristopher Hatton en 1591[141]. Les luttes de clans au sein du gouvernement, qui étaient restées discrètes avant les années 1590[142], devenaient de plus en plus fatales. Une profonde rivalité opposait Robert Devereux àRobert Cecil, l'un des fils de William Cecil, pour les fonctions les plus importantes du pouvoir[143]. L'autorité personnelle de la reine s'affaiblissait[144], et cela fut démontré par l'affaire du docteur Lopez, son médecin personnel ; lorsqu'il fut accusé à tort de trahison par Devereux, elle ne put empêcher son exécution[145].
Dans les dernières années de son règne,ÉlisabethIre se reposa de plus en plus sur l'octroi de monopoles plutôt que de solliciter le Parlement pour obtenir plus de fonds en temps de guerre[146]. Cette pratique entraîna rapidement lafixation des prix, l'enrichissement des négociants aux dépens du public et un profond mécontentement[147]. L'agitation gagna le Parlement en 1601[148] ; dans son célèbreGolden Speech(en) du,ÉlisabethIre déclara son ignorance des abus et gagna les parlementaires par ses promesses et ses appels habituels aux émotions[149].
Cette période d'incertitudes économiques et politiques entraîna néanmoins un épanouissement littéraire sans précédent en Angleterre[150]. Les premiers signes de ce nouveau mouvement littéraire apparurent à la fin des années 1570 avecEuphues deJohn Lyly etThe Shepheardes Calender d'Edmund Spenser. Dans les années 1590, sous l'influence deChristopher Marlowe et deWilliam Shakespeare, lalittérature et lethéâtre anglais atteignirent leur apogée[151]. La notion d'âge d'or artistique de l'ère élisabéthaine tient essentiellement au talent des architectes, des poètes et des musiciens, et assez peu àÉlisabethIre qui ne fut jamais une grandemécène des arts[152].
Alors qu'ÉlisabethIre vieillissait, son image évolua progressivement. Elle était représentée sous les traits deDiane et d'Astrée puis, après la défaite de l'Armada sous ceux deGloriana, de lareine des fées éternellement jeune du poème d'Edmund Spenser. Ses portraits devinrent de moins en moins réalistes et présentaient de plus en plus desymboles lui donnant une apparence bien plus jeune. En réalité, sa peau avait été marquée par une éruption devariole, en 1562, qui l'avait laissée à moitié chauve et l'obligeait à utiliser une perruque et des cosmétiques[153]. Walter Raleigh avança qu'elle était« une dame que le temps avait surpris »[154]. Cependant, plus sa beauté s'effaçait, plus ses courtisans en faisaient l'éloge[153].
ÉlisabethIre était heureuse de jouer ce rôle[155], mais il est possible qu'elle ait commencé à croire à ses propres attraits dans la dernière décennie de sa vie. Elle se rapprocha du charmant mais irascible Robert Devereux, qui prenait des libertés vis-à-vis de son pouvoir[156], et elle continua de le nommer à des hautes fonctions militaires malgré son ineptie. Après la désertion de Devereux en Irlande en 1599,ÉlisabethIre le plaça en résidence surveillée ; il fut privé de ses monopoles l'année suivante[157]. En, Devereux essaya d'organiser un soulèvement àLondres. Il chercha à enlever la reine mais rassembla peu de soutiens et futdécapité le.ÉlisabethIre savait que ses propres mauvais jugements étaient en partie responsables de ces événements. Un observateur rapporta en 1602 que« son plaisir était de s'asseoir dans le noir et parfois verser des larmes pour pleurer Devereux »[158].
Le « portrait arc-en-ciel » d'ÉlisabethIre vers 1600 ; une représentationallégorique de la reine toujours jeune malgré sa vieillesse.
Quand le principal conseiller d'ÉlisabethIre, William Cecil, mourut le, son filsRobert reprit le flambeau et devint rapidement le chef du gouvernement[159]. L'une de ses réussites fut de préparer la voie à une succession paisible. CommeÉlisabethIre ne nommerait jamais de successeur, Cecil fut obligé de procéder en secret[160] et il entama une correspondance secrète avec leroi d'ÉcosseJacquesVI, qui pouvait prétendre au trône d'Angleterre[161]. Cecil entraîna l'impatientJacquesVI à se faire apprécier d'ÉlisabethIre[160]. Cela fonctionna, le ton deJacquesVI enchantaÉlisabethIre, et selon l'historienJ. E. Neale, si elle ne se prononça pas ouvertement en sa faveur, elle fit connaître son opinion par des« phrases voilées mais sans ambiguïtés »[162].
La santé de la reine resta stable jusqu'à l'automne 1602 lorsqu'une série de décès parmi ses amis la plongea dans une profonde dépression. En, la mort de Catherine Howard, sadame de compagnie depuis 45 ans, et celle de la nièce de sa cousineCatherine Carey, furent un choc particulièrement dur. En mars,ÉlisabethIre tomba malade et resta dans une« mélancolie profonde et inamovible »[163]. La reine mourut le aupalais de Richmond, après 44 ans de règne, entre deux et trois heures du matin, à l'âge de 69 ans. Quelques heures plus tard, Cecil et le conseil mirent leurs plans en application et proclamèrentJacquesVI d'Écosse, roi d'Angleterre[164].
Procession funèbre d'ÉlisabethIre avec les bannières de ses ancêtres.
Le cercueil d'ÉlisabethIre fut transporté sur laTamise jusqu'àWhitehall dans une barge illuminée par des torches. Lors de sesfunérailles, uncorbillard tiré par quatre chevaux portant des couvertures de velours noir amena la dépouille dans l'abbaye de Westminster. Selon lechroniqueurJohn Stow« Westminster était encombrée de toutes sortes de personnes dans les rues, les maisons, aux fenêtres et dans les caniveaux venus voir les obsèques et lorsqu'ils virent sa statue sur son cercueil, il y eut des soupirs, des gémissements et des pleurs généralisés comme on n'en avait jamais vu de mémoire d'homme »[165].
ÉlisabethIre fut inhumée dans l'abbaye de Westminster dans une tombe commune à celle de sa demi-sœurMarieIre. L'inscriptionlatine sur la sépultureRegno consortes & urna, hic obdormimus Elizabetha et Maria sorores, in spe resurrectionis signifie« Consorts sur le trône et dans la tombe, ici nous dormons, Élisabeth et Marie, sœurs, dans l'espoir de la résurrection »[166].
ÉlisabethIre fut pleurée par beaucoup de ses sujets, mais d'autres furent soulagés par sa mort[167]. Le roi Jacques Ier était porteur de beaucoup d'espoirs, mais sa popularité diminua, et les années 1620 virent l'apparition d'une nostalgie du règne d'ÉlisabethIre[168] présentée comme une héroïne de la cause protestante durant un âge d'or, à l'opposé de son successeur considéré comme un sympathisant catholique à la tête d'une cour corrompue[169]. L'image triomphaliste qu'ÉlisabethIre avait cultivée à la fin de son règne sur fond de luttes factieuses et de difficultés militaires économiques[170] fut prise pour argent comptant et sa réputation s'accrut. Son règne fut idéalisé comme une période où la Couronne, le Parlement et l'Église travaillaient de concert[171].
Portrait d'ÉlisabethIre réalisé après 1620 durant le premier regain d'intérêt pour son règne. Le Temps dort sur sa droite et laMort regarde par-dessus son épaule gauche ; deuxchérubins tiennent une couronne au-dessus de sa tête[172].
Cette image fabriquée par ses admirateurs protestants au début duXVIIe siècle a été durable et influente[173]. Sa mémoire fut rappelée durant lesguerres napoléoniennes lorsque laGrande-Bretagne menaçait d'être envahie[174]. Durant l'époque victorienne, la légende élisabéthaine fut adaptée à l'idéologie impériale de la période[167],[175], et dans la première moitié duXXe siècle,ÉlisabethIre était un symbole romantique de la résistance nationale face à la menace étrangère[176]. Les historiens de la période, comme John Ernest Neale (1934) et Alfred Leslie Rowse (1950), interprétèrent le règne d'ÉlisabethIre comme un âge d'or[177] et idéalisèrent la personnalité de la reine : tous ses actes étaient justes et ses caractéristiques les moins appréciables étaient ignorées ou expliquées par la pression qu'exerçait sur elle le pouvoir[178].
Les historiens récents ont cependant adopté une approche plus nuancée de la souveraine[179]. Son règne est célèbre pour la défaite de l'Armada et pour les raids réussis contre les Espagnols comme ceux de Cadix en 1587 et 1596, mais certains historiens rappellent les échecs militaires sur terre et sur mer[116]. En Irlande, les forces royales furent finalement victorieuses, mais leurs tactiques salirent la réputation de la reine[180]. Plutôt que la championne courageuse des nations protestantes contre l'Espagne et les Habsbourg, elle est plus souvent considérée comme prudente dans ses relations diplomatiques. Elle offrit très peu de soutiens aux protestants étrangers et délaissa fréquemment ses commandants outre-mer[181].
ÉlisabethIre établit uneÉglise d'Angleterre qui aida à forger une identité nationale et existe encore aujourd'hui[182],[183],[184]. Ceux qui la présentèrent par la suite comme une héroïne protestante oublièrent son refus d'abandonner toutes les pratiques d'origine catholique au sein de l'Église d'Angleterre[185]. Les historiens notent qu'en son temps les protestants considéraient leRèglement élisabéthain comme un compromis[186],[187].
Même siÉlisabethIre mena une politique étrangère largement défensive, le statut de l'Angleterre s'affirma durant son règne. LepapeSixteV écrivit :« Elle n'est qu'une femme, maîtresse de seulement la moitié d'une île et elle est pourtant crainte par l'Espagne, laFrance, par leSaint-Empire, par tous »[188].ÉlisabethIre fut la premièreTudor à reconnaître qu'un monarque gouverne par l'approbation du peuple[189]. Par conséquent, elle travailla toujours avec le Parlement et des conseillers dont elle savait qu'ils lui diraient la vérité, une forme de gouvernance que ses successeursStuart ne parvinrent pas à suivre. Certains historiens ont considéré qu'elle avait eu de la chance[188]. Se félicitant de n'être qu'une« simple anglaise »[190],ÉlisabethIre croyait que Dieu la protégeait et que le succès de son règne reposait sur l'amour de ses sujets[191]. Dans l'une de ses prières, elle remercia Dieu que :
« [Dans une période] où les guerres et les révoltes avec de cruelles persécutions ont affecté presque tous les rois et pays autour de moi, mon règne a été paisible et mon royaume un réceptacle pour cette Église affligée. L'amour de mon peuple a été ferme et les désirs de mes ennemis contrariés[188]. »
La Reine Vierge a été le sujet d'une immense production cinématographique et télévisuelle dans plusieurs pays et à travers divers styles historiques, d'aventure, de romantisme, de guerres, etc. Le personnage d'Élisabeth Ire été interprété à l'écran par les actrices suivantes :
↑Les connaissances sur l'éducation d'Élisabeth et sa précocité viennent essentiellement des mémoires deRoger Ascham qui fut également le tuteur du prince Édouard.Loades 2003,p. 8-10.
↑« Venice: April 1603 », dansCalendar of State Papers Relating to English Affairs in the Archives of Venice, 1592-1603,vol. 9,(lire en ligne),p. 562-570.
↑Ce palais, dans lequel elle passe une grande partie de son enfance, appartient à la couronne. Offert àJohn Dudley, comte de Warwick parEdouardVI, il revient rapidement à Elisabeth, par la grâce de lord Warwick, à qui elle donne d'autres terres en compensation. Elle y sera également en résidence surveillée durant le règne de Marie, après sa libération du palais de Woodstock (Old English History).
↑Élisabeth avait rassemblé 2 000 cavaliers,« une démonstration remarquable de l'ampleur de sa popularité » (Loades 2003,p. 24-25).
↑« Les épouses deWycombe lui donnèrent des gâteaux et des gaufres jusqu'à ce que sonpalanquin soit tellement chargé qu'elle dut les supplier d'arrêter » (Neale 1954,p. 49).
↑« Il était heureux que 10 des 26 évêchés soient vacants car il y avait eu un fort taux de mortalité dans l'épiscopat et une fièvre avait comme par hasard emporté l'archevêque de Cantorbéry deMarieIre,Reginald Pole, moins de 24 heures après sa propre mort »Somerset 2003,p. 98.
↑« Il n'y avait pas moins de dix sièges non représentés du fait des morts ou des maladies et de la négligence du « maudit cardinal » [Pole] »Black 1945,p. 10.
↑SusanDoran, « Juno Versus Diana: The Treatment ofElizabethI's Marriage in Plays and Entertainments, 1561-1581 »,Historical Journal,no 38,,p. 257-74(JSTOR2639984).
↑MarieIre était en effet l'arrière-petite-fille deHenriVII d'Angleterre par sa filleMarguerite Tudor. Elle déclara« Je suis la parente la plus proche qu'elle ait, toutes deux tirées de la même étoffe, la reine ma bonne sœur vient du frère et moi de la sœur ». (Guy 2004,p. 115).
↑Lors de l'accession au trône d'ÉlisabethIre, les proches deMarieIre appartenant à lamaison de Guise l'avait proclamé reine d'Angleterre et les armoiries de l'Angleterre furent ajoutées à celles de l'Écosse et de la France sur sa vaisselle et son mobilier. (Guy 2004,p. 96-97).
↑Selon les termes du traité, les troupes françaises et anglaises se retirèrent d'Écosse. (Haigh 2000,p. 132).
↑Le tamis était utilisé comme attribut de lachasteté en référence à la légende latine racontant comment lavestale Tuccia avait transporté de l'eau duTibre dans un tamis sans en perdre une goutte, prouvant ainsi sa virginité.
↑Lorsque le commandant de la flotte espagnole, leduc de Medina Sidonia débarqua sur la côte près de Calais, il trouva les troupes espagnoles impréparées et fut obligé d'attendre ce qui permit aux Anglais de lancer leur attaque. (Loades 2003,p. 64).
↑L'ère élisabéthaine fut présentée comme une époquechevaleresque symbolisée par les rencontres courtoises entre la reine et ses « chiens de mer » comme Drake et Raleigh. Certains récits victoriens tels Raleigh posant son somptueux manteau sur une flaque d'eau sur laquelle la reine s'apprêtait à marcher afin qu'elle ne se mouille pas les pieds font toujours partie du mythe. (Dobson et Watson 2003,p. 258).
MichaelDobson et NicolaWatson,« Elizabeth's Legacy », dansElizabeth: The Exhibition at the National Maritime Museum, Londres, Chatto and Windus,(ISBN978-0-7011-7476-7).
SusanDoran,« The Queen's Suitors and the Problem of the Succession », dansElizabeth: The Exhibition at the National Maritime Museum, Londres, Chatto and Windus,(ISBN978-0-7011-7476-7).
DavidStarkey,« Elizabeth: Woman, Monarch, Mission », dansElizabeth: The Exhibition at the National Maritime Museum, Londres, Chatto and Windus,(ISBN978-0-7011-7476-7).