Michel Poiccard, jeune voyou insolent, vole une voiture àMarseille pour se rendre àParis. En route, il tue un gendarme motocycliste qui voulait le verbaliser après qu'il a franchi une ligne continue. Arrivé à Paris, il retrouve une étudiante américaine, Patricia, avec laquelle il a eu récemment une liaison (le spectateur peut comprendre qu'il a passé quelques nuits avec elle avant de partir à Marseille). Elle veut étudier à laSorbonne et, pour se faire un peu d'argent, elle vend le journalNew York Herald Tribune sur lesChamps-Élysées. Tout au long du film, Michel essaiera de la persuader de coucher à nouveau avec lui et elle lui résistera un certain temps en affirmant qu'elle ne l'aime pas vraiment.
Michel veut quitter laFrance pourRome, où il pense trouver refuge. Mais la police l'ayant déjà identifié comme étant l'assassin de laRN7, sa photographie est publiée dans tous les journaux. Patricia, par amour, ne le dénonce pas lorsqu'elle est interrogée par un inspecteur. Michel reprend contact avec des gens de la pègre afin de récupérer l'argent qu'on lui doit. En attendant que l'un d'eux l'aide à encaisser unchèque barré, il se cache avec Patricia chez l’amie d'un ami. La veille du départ projeté pour l'Italie, Patricia le dénonce à la police afin de le forcer à la quitter, mais Michel refuse de prendre la fuite.
Mortellement touché par un policier, il s'écroule.
« Quand j'ai tournéÀ bout de souffle, je pensais que je faisais quelque chose de très précis. Je réalisais un thriller, un film de gangsters. Quand je l'ai vu pour la première fois, j'ai compris que j'avais fait tout autre chose. Je croyais que je filmaisle Fils de Scarface oule Retour de Scarface et j'ai compris que j'avais plutôt tournéAlice au pays des merveilles, plus ou moins. »
— Jean-Luc Godard, Table ronde Cinéma / Politique à Los Angeles, en 1968[9].
Jean-Luc Godard apparaît encaméo vers le milieu du film[10]. Acheteur deFrance-Soirrue de Berri, on le voit dénoncer Michel Poiccard à un policier[Note 1]. À la58e minute, il pose une question hors-champ à l'écrivainJean Parvulesco, incarné par le réalisateur Jean-Pierre Melville :« Est-ce que les femmes sont plus sentimentales que les hommes ? ». Celui-ci répond :« Les sentiments sont un luxe que peu de femmes s’offrent », entraînant une réaction sans commentaire de Jean Seberg.
Pendant son trajet sur laRN 7, Michel en aparté[Note 2] (fixant la caméra), déclare :
« Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville... allez vous faire foutre ! »
Avant d’expirer, allongé sur les pavés, Michel murmure à Patricia :
« C'est vraiment dégueulasse. »
N'ayant pas compris, la jeune femme demande aux policiers :
« Qu'est-ce qu'il a dit ? »
À quoi on lui répond :
« Il a dit : vous êtes vraiment une dégueulasse. »
« Qu'est-ce que c'est, dégueulasse ? »
demande-t-elle, en fixant son regard direction caméra (le public) et en reprenant un geste de Michel, le pouce caressant sa lèvre supérieure.
Ce dialogue final est parfois attribué àDaniel Boulanger lui-même, acteur circonstanciel et surtout auteur de romans et de théâtre, et dialoguiste d'une quinzaine de films[Note 3].
Jean-Luc Godard confie la composition de la musique au pianiste de jazzMartial Solal, recommandé parJean-Pierre Melville qui était fan du pianiste[11]. Le réalisateur montre à Solal un montage presque terminé du film, sans idée précise de musique, laissant carte blanche au musicien[12]. Godard indique seulement avoir envie d'unbanjo, sans que Solal sache s'il plaisante ou pas.
Interprétée par un big band et 30 cordes[11], la musique est principalement d'inspiration jazz[13], même si le thème de la romance, à l'orchestre à cordes, s'en détache largement[12] ; c'est d'ailleurs la première fois que Solal compose pour cordes[14]. Martial Solal a composé plusieurs thèmes, dans une logique proche du procédé duleitmotiv[15]. Les deux thèmes principaux reposent sur des motifs de cinq notes[12] : alors que le thème principal, plutôt angoissant, repose sur une mélodie de cinq notes ascendante, le thème de la romance utilise une mélodie de cinq notes — quasiment les mêmes — descendante[16].
Solal suppose que Godard n'était pas particulièrement fan de sa musique, puisqu'il ne lui a plus rien commandé, ce qui n'a pas empêché Solal de continuer à écrire de la musique de film, à la suite du succès d'À bout de souffle[12].
Les prises de vue ont eu lieu du au à Marseille et à Paris[17].
L'action, contemporaine au tournage, est concentrée sur les premiers jours de, un repère temporel précis étant offert par l'évocation de la visite officielle à Paris du présidentDwight David Eisenhower.
On lit à l'affiche d'un cinémaIl faut vivre dangereusement jusqu'au bout[Note 4], un piéton est renversé par une voiture et Michel entre dans l'agence de voyage de l'avenue George-V pour contacter Luis Tolmatchoff (8e arrondissement de Paris).
« Tout d’abord, avec lui [Jean-Luc Godard], tout était improvisé ou presque. On tournait dans les rues, dans les chambres d’hôtels, avec juste quelques lampes éclairant le plafond, sans prise de son directe. Godard écrivait ses dialogues sur une table de bistrot, soufflait leur texte aux comédiens pendant les prises, et arrêtait le tournage quand il n’avait plus d’idées. Le délire complet pour les tenants du cinéma classique ! Mais laNouvelle Vague était en train de naître ! J'ai trouvé intéressant d’ajouter aux photos traditionnelles une sorte de reportage autour du film. Lorsqu’il a vu les planches, le producteur s’est montré fort mécontent. Qu'est-ce que c'est que ce travail ? Vous n'êtes pas payé pour faire ça ! Je lui ai expliqué que c'était un travail personnel. Bon, m'a-t-il dit, mais vous paierez vos frais de laboratoire. Les choses en sont restées là. Or il se trouve que ce sont surtout ces photos « hors film » qui ont été finalement choisies pour la promotion du film, et qui continuent d’être publiées un peu partout, quarante ans plus tard[19]. »
À propos de son expérience sur le tournage du film,Jean Seberg écrivit à son professeurPaton Price :« C'est une expérience folle — pas de spots, pas de maquillage, pas de son ! Mais c'est tellement contraire aux manières de Hollywood que je deviens naturelle[20]. »
La revueCahiers du cinéma apparaît deux fois[21] : d'abord dans la chambre de la « petite amie » de Poiccard — et ensuite quand, à l'angle de larue Vernet et de l'avenue George-V, une jeune colporteuse de journaux s'approche de Poiccard en lui posant la question si souvent entendue à l'époque sur les grands boulevards « Vous n'avez rien contre la jeunesse[Note 8] ? » ; elle lui tend un exemplaire desCahiers, et fait la moue quand il lui tourne le dos.
Lors de sa sortie initiale enFrance, le film fut classé « interdit aux moins de 18 ans »[22],[Note 9] au motif que« tout dans le comportement de ce jeune garçon, son influence croissante sur la jeune fille, la nature du dialogue, contre-indique la projection de ce film devant des mineurs »[23].
« Pastiche dufilm noir, mais gifle exubérante aux conventions hollywoodiennes,À bout de souffle est un événement marquant qui a séduit le public au début desannées 1960 avec son air ultra-cool fanfaronnant, sa perspective amorale et son style énergique. Adoptant une structure narrative lâche et touffue, le film suit Michel (Jean-Paul Belmondo), un voyou qui se modèle avec deux de ses doigts surHumphrey Bogart, vole les amoureuses sans méfiance et, comme le protagoniste deL'Étranger d'Albert Camus, tue apparemment sans raison alors qu'il poursuit ses débiteurs, commet un vol et essaie de coucher avec Patricia (Jean Seberg). Tourné en lumière naturelle, caméra à l'épaule, le film a le même aspect documentaire que celui desclassiques italiens néoréalistes tels queLe Voleur de bicyclette etRome, ville ouverte, mais son style visuel enfreint également toutes les règles : les personnages et les figurants regardent directement la caméra, les montages ont lieu à mi-parcours et la caméra semble délibérément agitée. Dans le processus, le réalisateur Jean-Luc Godard brise allègrement l’illusion de la réalité, rappelant toujours au public qu'il regarde un film. Godard, qui a toujours été cinéphile, empaquette son film à la fois avec ses allusions à laculture pop américaine et à celles du grand art :Nicholas Ray est cité aux côtés deDylan Thomas, un coupéThunderbird de 1956 aux côtés desPalmiers sauvages deWilliam Faulkner. Le style iconoclaste de Godard, associé à son constant référencement, pourrait donner l’impression que le film ne serait au fond qu'une vaste blague s’il n’était tempéré par un profond pathos existentiel pour ses personnages. Au cours de la célèbre séquence de la chambre à coucher, nous voyons Michel et Patricia, deux personnages tout à fait inconcevables, qui tentent de ne pas forger une sorte de lien ; ils sont trop impliqués dans leur monde pour se connecter.François Truffaut a dit un jour : “Il y a le cinéma avant Godard et le cinéma après Godard”.À bout de souffle est le chef-d'œuvre qui a lancé la carrière de Godard et a changé le visage du cinéma. »
Le film connaît une assez bonne carrière en salles, puisque pour sa première année d'exploitation, il totalise 1 122 385 entrées, lui permettant de se hisser à la 37e place du box-office annuel[25]. Entre l'année de sa sortie et l'année suivante, il totalise 1 173 152 entrées et une 44e place du box-office des films sortis en 1960[26]. Entre et le, le long-métrage a connu de nombreuses reprises en salles[27], lui permettant de cumuler 2 217 438 entrées (dont 823 956 entrées surParis) toutes exploitations confondues[28].
Box-office non-exhaustif des premiers mois d'exploitations, semaine par semaine,en France Sources :« BO France Hebdo 1960 » surBox-office Archives, d'après leCNC.
En1965, le filmLa 317e Section contient une référence précise au filmÀ bout de souffle, dont le producteur est aussi Georges de Beauregard ainsi que le photographe Raoul Coutard, lorsque le sous-lieutenant Torrens agonisant dit en regardant sa blessure « Ah c'est dégueulasse », ce à quoi l'adjudant Willsdorff répond « Qu'est-ce que ça veut dire, dégueulasse ? C'est la guerre ».
En1995, lecinéasteGérard Courant a réaliséCompression de À bout de souffle où il a réduit et compressé le film deJean-Luc Godard en 3 minutes sans enlever un seul plan du film deJean-Luc Godard. Puis en 2008,Gérard Courant procède de manière inverse en « décompressant »Compression de À bout de souffle pour redonner au film deJean-Luc Godard sa durée initiale, intituléÀ bloc qui est fait d'un seulfondu enchaîné perpétuel pendant 85 minutes.
Dans le film pour adolescentsLa Folle Journée de Ferris Bueller, le principal du collège, Ed Rooney (Jeffrey Jones), reprend la citation« Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin » entraînant un regard perplexe de Sloane Peterson (Mia Sara)[Note 12].
Des références au film apparaissent dans l'albumPromenade deThe Divine Comedy.When The Lights Go Out All Over Europe contient des extraits de dialogue d'À bout de souffle et l'un des personnages de la chanson déclare :« … my mission is to become eternal and to die », citant un passage d’À bout de souffle.The Booklovers contient également la citation sur :« Tu connais William Faulkner ? ». Enfin, l'essentiel de la dernière discussion entre Patricia et Michel portant sur l'absence d'amour heureux est également présente.
On retrouve également un extrait sonore du film sur l'albumWhite on Blonde du groupeTexas.
L'album33 tours d'Alex Beaupain, sorti en2008, contient une chanson intituléeÀ bout de souffle qui rend clairement hommage au film.
En2009, la chanteuse Élisa Point et le chanteurFabrice Ravel-Chapuis ont sorti un albumPerdus corps et biens dans lequel il y a une chanson en hommage à la séquence finale d'À bout de souffle, intituléeDégueulasse, qui fait référence au dernier mot prononcé parJean Seberg après la mort deJean-Paul Belmondo. C'est lecinéasteGérard Courant qui a réalisé le clip de cette chanson.
En2011, le groupeaustralien desynthpunkThe Death Set(en) sort un album intituléMichel Poiccard qui contient la chansonMichel Poiccard Prefers The Old (She Yearns For The Devil)[29]. Le clipCan You Seen Straight ? s'ouvre sur une parodie de la fameuse séquence d'ouverture du film, où le personnage n'est pas en voiture ici, mais à vélo.
En2013, le groupe derock québécois Ponctuation enregistre une chanson intituléeÀ bout de souffle dans son album27 Club[30].
Claude Ventura a réalisé un documentaire pour la télévision surÀ bout de souffle, intituléChambre 12, Hôtel de Suède, en référence à la chambre d'hôtel (aujourd'hui disparue) qui apparaît dans le film.
Ce film est évoqué dans le troisième épisode de la première saison de la série animée japonaiseGhost in the Shell: Stand Alone Complex, intitulé en françaisAndroïde, mon amour[31],[32]. Les deux enquêteurs trouvent une bobine du film dans l'appartement du suspect ; rentrant chez lui après l'arrestation, l'enquêteur trouve sa femme en train de visionner la toute dernière scène du film, et se rend alors compte que le suspect et l'androïde (dont le visage est assez finement calqué sur celui de l'actriceJean Seberg[33]) se parlaient en reprenant des répliques issues des dialogues du film, allant même jusqu'à rejouer la dernière scène devant les enquêteurs de la Section 9.
Dans l'épisode 6 de la saison 3 deChuck, un poster parodique intitulé« Sans Respirer » est affiché sur la porte du « bureau » deMorgan comme décoration afin de draguer Hannah.
Dans la sérieAu service de la France, le personnage principal André Merlaux va voir ce film avec sa petite amie lors de l'épisode 5 de la saison 1[34].
↑« DèsÀ bout de souffle (1960), Godard apparaît de manière brève et symbolique dans son film. En cette période de la « politique des auteurs » énoncée par les rédacteurs desCahiers du cinéma, qui deviendront peu à peu les cinéastes de la Nouvelle Vague, l’influence de Hitchcock qui aimait inscrire sa silhouette dans ses films est manifeste. Godard ne se donne pas n’importe quel « rôle », puisqu'il interprète celui d’un délateur. Dénoncer, en tant que cinéaste, son personnage Michel Poiccard, c’est peut-être aussi dénoncer plus largement la fiction en son ensemble, et par là même la continuité narrative du récit. Godard est d’abord entendu sans être vu, pour être ensuite vu sans être entendu, et être finalement cerné par une fermeture à l’iris, hommage ironique au cinéma muet (comme aimait également en faire François Truffaut). Un rapport voir/entendre particulier se noue déjà dans ces plans, puisqu'un autoportrait cinématographique passe, évidemment, par des dimensions sonores et visuelles… Cette apparition du créateur dans son œuvre se fait dans un montage bien particulier, caractérisé par une certaine complexité, que l’on a de manière un peu simplificatrice associé à la simple idée de faux raccord, mais qui implique les idées de fragmentation et de discontinuité. » DidierCoureau, « Jean-Luc Godard : autoportrait(s) d’un cinéaste »,Recherches & Travaux, ELLUG,no 75,,p. 111-122(ISBN978-2-84310-159-5,ISSN0151-1874,lire en ligne).
↑Séverine Allimann, « La Nouvelle Vague a-t-elle changé quelque chose à la musique de cinéma ? : De l’usage du jazz chez Louis Malle et Jean-Luc Godard »,1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze,no 38,(lire en ligne, consulté le).
Gilles Mouëllic, « Le jazz au rendez-vous du cinéma : des Hot Clubs à la Nouvelle Vague »,Revue française d’études américaines, hors-sérieno 5,,p. 97 à 110(lire en ligne, consulté le).
SéverineAllimann, « La Nouvelle Vague a-t-elle changé quelque chose à la musique de cinéma ? : De l’usage du jazz chez Louis Malle et Jean-Luc Godard »,1895 (revue),no 38,(lire en ligne, consulté le)
Roland-FrancoisLack,« À bout de souffle : les intertextes d’un plan », dans Jean-Louis Leutrat,Cinéma et Littérature : le grand jeu,t. II, Paris, De l'Incidence,