Recherches et Débats
LA NOUVELLE DROITE
« RÉVOLUTIONNAIRE-CONSERVATRICE » ALLEMANDE ET SON INFLUENCE SOUS LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR
Dès l'aube même de la République de Weimar est apparue en Allemagne une « nouvelle droite » intellectuelle qui se donna pour but de mener le combat contre « l'Occident » interne et externe sur le terrain des idées. Ce puissant courant de contre-révolution culturelle, très divers dans ses n'a reçu que beaucoup plus tard le nom global — très discuté — de « Révolution Conservatrice ». Toujours est-il qu'il a puissamment contribué à la chute de ce qu'il nommait « le Système »...*
Si l'on adoptait a priori le point de vue des intéressés — ce qui serait antihistorique — , on devrait s'interdire de parler des « intellectuels » de la « Révolution Conservatrice », puisqu'ils se désignaient eux-mêmes comme des « lettrés », des « érudits », des « écrivains », des « publicistes » ou des Prof. Dr., réservant avec mépris le qualificatif « intellectuel » aux « Zivilisations- literaten » ' occidentalisés... C'est un point de vue qui apparaît dans toute sa force avec le titre du célèbre ouvrage du philosophe Ludwig Klages, L'Esprit contre l'Ame (Der Geist als Widersacher der Seele, 1929-30).
Gardons-nous d'entrer dans cette querelle d'intellectuels allemands ! Bien que faisant appel à l'intuition, aux images, aux « mythes », plus qu'à l'analyse et à l'enchaînement des concepts, la « Révolution Conservatrice » est bel et bien à l'origine d'une production intellectuelle considérable — et cohérente dans sa logique propre — , production que ses adversaires de l'époque ont eu grand tort de traiter par le mépris, car elle s'enracinait au plus profond de l'idéologie « allemande », au sens le plus large. La conquête du « pouvoir intellectuel », qu'ils estimaient à son juste prix (souvent le plus haut), opposa les néo-conservateurs à d'autres intellectuels dont il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'ils étaient loin de constituer un seul ou même deux camps, mais au moins quatre : les traditionalistes (en politique : les deux
* Cet article est la version revue et augmentée d'une étude sur « les Intellectuels de la Révolution Conservatrice », écrite pour l'agrégation d'allemand et parue en février 1993 dans le cadre de la « Bibliothèque des Nouveaux Cahiers d'Allemands », dirigés par Etienne Faucher, que je remercie très vivement.
1. Mot-à-mot : « littérateurs de la (plate) Civilisation » à l'occidentale : terme forgé en 1914 par Th. Mann, alors conservateur et nationaliste, dans la dispute qui l'opposa à son frère Heinrich, démocrate et francophile.
Revue d'histoire moderne et contemporaine, 41-3, juillet-septembre 1994.