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NicolasLe Roux,1er août 1589. Un régicide au nom de Dieu. L’assassinat d’Henri III,Paris, Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2006, 451 pp. [bibliographie, chronologie, index], ISBN 207073529.
1Le 1er août 1589, le dernier des Valois s’éteint dans le sang : poignardé au bas-ventre, Henri III tombe sous les coups du moine Jacques Clément. L’événement est d’une portée considérable. L’historiographie a pourtant négligé la figure de ce roi conspué de son vivant. Les « ultras » de la Ligue (1584-1594), en effet, saluent la mort d’Henri III comme celle de l’Antéchrist et du Tyran que châtie le Dieu vengeur de l’Ancien Testament (33). Quant aux protestants, partisans du prince de Navarre (le futur Henri IV), ils interprètent la mort du Valois comme le signe de l’élection surnaturelle de leur champion. L’apologétique bourbonienne occultera donc fort le règne d’Henri III, pour souligner l’avènement providentiel d’Henri IV (1593-1610). Dernier fils régnant de Catherine de Médicis, élu roi de Pologne et sacré roi de France en 1574, Henri III, que l’on caricature comme le « roi aux Mignons »1, est donc bien « le plus mystérieux de tous les monarques de l’Ancien Régime » (35).
2Renouant avec la collection des « Trente journées qui ont fait la France » ayant, entre autres prestigieuses signatures, porté celles de Philippe Erlanger, Georges Mongrédien, Robert Folz, Roland Mousnier, Georges Duby2, celle des « Journées qui ont fait la France » entend contribuer, avec ce sixièmeopus, au renouveau de l’histoire politique française3. Après les travaux, monographiques ou collectifs, consacrés au régicide et au meurtre politique en France et en Europe4, le livre de Nicolas Le Roux a l’immense mérite d’historiciser celui de 1589, faisant du régicide le « révélateur » d’une période de tensions extrêmes. « Perdre et sa vie et son État » (207) : c’est dans cette situation désespérée que se trouve Henri III quand il est assassiné. Privé du soutien de la Ligue depuis la fin de l’année 1588, il est alors acculé à l’alliance avec le chef du « parti » huguenot Henri de Navarre. En portant un regard neuf – et éclairant – sur le règne méconnu du dernier Valois, l’auteur restitue donc « l’événement » dans l’épaisse, et parfois opaque, chronologie des luttes politiques et confessionnelles qui l’ont rendu possible. Chocs militaires, trêves, négociations, édits de pacification que brisent la reprise des combats, avec leurs lots de trahisons et de revirements… Le lecteur saisit la lourde trame des événements rendant la monarchie peu à peu incapable d’arbitrer les rapports de force perpétuellement changeants. L’analyse minutieuse de l’impossible politique de pacification royale donne ainsi sens à l’instabilité des alliances royales, entre ralliement aux Guise – chefs de la Sainte Ligue ultra catholique – et négociations avec le prince de Navarre – à la tête des Provinces Unies protestantes. Elle aide, plus encore, à saisir les rouages de la violence extrême que chaque « parti » confessionnel, invoquant la Providence divine, mobilise contre l’adversaire jugé « impie », « hérétique » ou « ennemy de la vraie foy ».
3La violence politique que promeut le pouvoir royal lui-même – le double meurtre des princes de Guise, les 23 et 24 décembre 1588, faisant ici écho au « massacre » de la Saint-Barthélemy, du 23 au 27 août 1572 – s’apparente, dès lors, à cette « politique de la violence mue par la nécessité » richement analysée par Denis Crouzet5. Ainsi la « raison d’État » sécrétée dans les arcanes du pouvoir princier oblige-t-elle le roi à gouverner en violant la foi publique, afin de restaurer la capacité d’arbitrage du pouvoir royal. La stratégie changeante de ce roi « hypocrite et dissimulé », comme se plaisent à le dépeindre les propagandistes de la Ligue, a ainsi pour finalité de ramener la concorde dans le royaume. Imposée par la « malice des temps », cette stratégie « de la feinte et de la dissimulation » évoque ainsi la « politique d’oscillations entre les grands catholiques et les grands huguenots » forgeant « l’art de gouverner » de Catherine de Médicis6. Incapable de s’imposer comme arbitre du conflit, prise au piège de la confessionnalisation d’une guerre légitimée, de part et d’autre, « au nom de Dieu », la royauté se voit pourtant progressivement désacralisée et nue, impuissante à se faire obéir et à rétablir une paix durable dans le royaume.
4Inscrivant également le meurtre d’Henri III dans le champ culturel qui l’a rendu pensable, Nicolas Le Roux se montre toujours soucieux de conserver à l’attentat sa part d’irrationalité et de mystère, évitant ainsi toute reconstruction téléologiquement orientée de l’événement. « Une merveille remplie d’infinies merveilles » : n’est-ce pas en ces termes que le magistrat parisien Pierre de L’Estoile commente, en sesMémoires-Journaux, l’attentat de Clément ? Aussi le crime politique est-il interprété à l’aune des « imaginaires théologico-politiques » de la Renaissance. À la suite des philosophes gréco-romains (Aristote, Cicéron) et chrétiens (saint Augustin, Jean de Salisbury, Saint Thomas d’Aquin), de nombreux traités, libellés ou pamphlets, repensent la question cruciale de la licéité du tyrannicide. Or, cette production imprimée, qui est d’abord le fait, dans la conjoncture des années 1560-1570, de plumitifs huguenots, est ensuite massivement investie par la propagande ligueuse, qui la radicalise dans la décennie 1580-1590.
5Si l’auteur rappelle que le crime est aussi pensé comme un « exécrable parricide », blessant le roi dans sa qualité de « Père des peuples » (11sqq.), on regrette cependant que cette brillante synthèse n’ait pas exploité les sources de la doctrine pénale de la Renaissance. Selon la culture criminelle moderne, le régicide, défini comme « le plus atroce qui se puisse commettre », porte en effet atteinte à lamajestas (« majesté ») du roi, matrice de son autorité souveraine selon les théories juridico-politiques des XVe et XVIe siècles. Hérité du droit pénal romain, le « crime de lèse-majesté humaine au premier chef »7 est ainsi actualisé par la pensée juridique de la Renaissance, qui lui réserve le sommet de l’échelle des crimes et des châtiments. En France, cette hiérarchie cadre avec l’affirmation de l’absolutisme monarchique, dont le droit de punir est l’attribut essentiel. Dès lors, le spectacle des supplices endurés par le « criminel de lèse-majesté » est aussi l’occasion dereprésenter, à travers le rituel de l’exécution publique, la majesté royale « en action ».
6Amende honorable, poing coupé, tenaillement des membres sur lesquels sont versés du plomb, de l’huile bouillante, de la poix résine, de la cire et du soufre fondus, écartèlement des membres réduits en cendres jetées au vent, confiscation des biens, bannissement des parents hors du royaume, maison rasée et suppression du patronyme : tels sont les châtiments terribles et « exemplaires » subis par Jean Chastel (1594), François Ravaillac (1610) puis François-Robert Damiens (1757). Percé de coups d’épée et défenestré par la garde personnelle du roi, juste après l’attentat, le premier régicide de l’histoire de France, n’endure pourtant pas les mêmes souffrances, puisque c’est sur soncorpsmort, écartelé puis brûlé et réduit en cendres, que s’abat le glaive justicier du roi. Est-ce pour rehausser « l’éclat suppliciaire » terni par cetteexécution posthume que le Parlement de Paris, en exil à Tours, accuse de complicité le jacobin Edme Bourgoing, père supérieur du moine Clément, et le soumetvivant au supplice du régicide, le 23 février 1590 ?
7Quoiqu’il en soit, cette brève évocation de la culture pénale de l’État de justice royal conforte, en définitive, la stimulante thèse de l’auteur, selon lequel le régicide de 1589 préside à la construction d’une « raison d’État » fondatrice de la modernité politique. Car l’épineuse crise dynastique ouverte par la mort sanglante d’Henri III engendre également, selon Nicolas Le Roux, l’établissement définitif du système héréditaire de succession à la couronne, le principe de catholicité et l’exaltation de l’essence divine de la souveraineté royale. Ce n’est donc pas le moindre paradoxe du règne fragile d’Henri III, que d’ouvrir la voie à la « resacralisation » dont l’État royal, fragilisé par le chaos religieux, avait besoin. Ainsi le régicide de 1589 forme-t-il, au cœur de l’épisode ligueur, une étape cruciale dans la construction de la monarchie absolue de droit divin, dont profite, en premier lieu, Henri IV. Mais la restauration henricienne n’évacue pas entièrement la « tentation régicide » (80) ayant traversé la pensée protestante, puis ultra catholique, dans le contexte de la politique de violence confessionnelle des troubles de Religion. Victime d’une vingtaine de tentatives d’assassinat, Henri IV finit, en effet, par succomber, au poignard du catholique François Ravaillac, le 14 mai 1610. De ce coup de couteau mortel – le second régicide de l’histoire de France –, Roland Mousnier note d’ailleurs, en 1964, qu’il « a aidé, probablement contre l’intention de son auteur, au succès de l’absolutisme en France »8.
1Cf. Nicolas Le Roux,La Faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Seyssel, Champ Vallon, 2001.
2 Ph. Erlanger,24 août 1572. Le massacre de la Saint-Barthélémy, 1960 ;G. Mongrédien,10 novembre 1630. Les Journées des Dupes, 1961 ;R. Folz,25 décembre 800.Le couronnement de Charlemagne, 1964 ; R. Mousnier,14 mai 1610.L’assassinat d’Henri IV,1964 ; G. Duby,27 juillet 1214.Le dimanche de Bouvines,1973.
3Cf. dans la même collection : Mona Ozouf,21 juin 1791. Varennes : la mort de la royauté, 2005.
4Cf. Pierre Chevallier,Henri III, Paris, Fayard, 1985 ;Idem,Les Régicides. Clément, Ravaillac, Damiens, Paris, Fayard, 1989 ; Franklin Ford,Le Meurtre politique. Du tyrannicide au terrorisme, 1985, trad. franç. Paris, PUF, 1990 ; Georges Minois,Le Couteau et le poison. L’assassinat politique en Europe (1400-1800), Paris, Fayard, 1997 ; Robert von Friedeburg (dir.),Murder and Monarchy : Regicide in European History, 1300-1800, Basingstoke, Palgrave, Macmillan, 2004.
5 Voir, notamment,Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de Religion, vers 1525-vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990, [réed. 2005], et, plus récemment,Le Haut Cœur de Catherine de Médicis, Paris, Albin Michel, 2005 (pp. 201-547).
6Cf. D. Crouzet,Le Haut Cœur…, 2005, (p. 13, p. 560).
7 Sur le rôle de ce concept dans l’histoire de la pensée juridique moderne : Mario Sbriccoli,Crimen laesae maiestatis : il problema del reato politico alle soglie della scienza penalistica moderna, Milano, Giuffrè, 1974.
8 Roland Mousnier,L’Assassinat d’Henri IV. 14 mai 1610. Le problème du tyrannicide et l’affermissement de la monarchie absolue, Paris, Gallimard, 1964 (p. 267).
Haut de pageJulieDoyon,« NicolasLe Roux,1er août 1589.Un régicide au nom de Dieu. L’assassinat d’Henri III », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 12, n°1 | 2008, 117-120.
JulieDoyon,« NicolasLe Roux,1er août 1589.Un régicide au nom de Dieu. L’assassinat d’Henri III », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 12, n°1 | 2008, mis en ligne le14 janvier 2009, consulté le17 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/chs/72 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chs.72
Haut de page(Université de Paris-XIII-Nord, CRESC),julie.doyon@free.fr
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