Signo: Site internet de théories sémiotiques. Dans le reflet de l'eau tout est déjà signe.
Le modèle actantiel, dispositif de Greimas, permet de décomposer une action en six facettes ou actants. (1) Le sujet (par exemple, le prince) est ce qui veut ou ne veut pas être conjoint à (2) un objet (par exemple, la princesse délivrée). (3) Le destinateur (par exemple, le roi) est ce qui incite à faire l’action, alors que (4) le destinataire (par exemple, le roi, la princesse, le prince) est ce qui en bénéficiera. Enfin, (5) un adjuvant (par exemple, l’épée magique, le cheval, le courage du prince) aide à la réalisation de l’action, tandis qu’un (6) opposant (par exemple, la sorcière, le dragon, la fatigue du prince et un soupçon de terreur) y nuit.
Ce texte se trouve en version longue dans le livre suivant :
Louis Hébert,Dispositifs pour l'analyse des textes et des images, Limoges, Presses de l'Université de Limoges, 2007.
Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée :
Louis Hébert (2006), « Le modèle actantiel », dans Louis Hébert (dir.),Signo [en ligne], Rimouski (Québec),http://www.signosemio.com/greimas/modele-actantiel.asp.
Dans les années soixante, Greimas (1966: 174-185 et 192-212) a proposé le modèle actantiel, inspiré des théories de Propp (1970). Le modèle actantiel est un dispositif permettant, en principe, d’analyser toute action réelle ou thématisée (en particulier, celles dépeintes dans les textes littéraires ou les images). Dans le modèle actantiel, une action se laisse analyser en six composantes, nommées actants. L’analyse actantielle consiste à classer les éléments de l’action à décrire dans l’une ou l’autre de ces classes actantielles.
Les six actants sont regroupés en trois oppositions formant chacune un axe de la description:
REMARQUE: DESTINATEUR ET ADJUVANT
Classiquement, on considère que le destinateur est ce qui déclenche l'action, si quelque chose intervient en cours de route pour attiser le désir de réalisation de la jonction, on le rangera plutôt dans les adjuvants (le même raisonnement s’applique pour l’anti-destinateur et les opposants). Ce problème – entremêler position dans une séquence narrative et fonction dans cette séquence – est réglé dans leschéma narratif canonique, modèle greimassien ultérieur qui surpasse en principe le modèle actantiel. En effet, le destinateur (plus exactement le destinateur-manipulateur) est redéfini comme ce qui incite à l'action en jouant sur le vouloir-faire et/ou le devoir-faire.
En principe, toute action réelle ou thématisée (action « imaginaire ») est susceptible d'être décrite par au moins un modèle actantiel. Au sens strict,le modèle actantiel d'un texte n'existe pas: d’une part, il y a autant de modèles qu'il y a d'actions ; d’autre part, une même action peut souvent être vue sous plusieurs angles (par exemple, dans l’œil du sujet et dans celui de l'anti-sujet, son rival).
Si, en général, on choisit l'action qui résume bien le texte ou à défaut une action-clé, rien n’empêche d’analyser un groupe, une structure de modèles actantiels. Une structure de modèles actantiels fait intervenir au moins deux modèles actantiels dont on fait état d’au moins une des relations qui les unit. Les relations peuvent être temporelles (simultanéité parfaite ou partielle, succession immédiate ou décalée) et/ou logiques (présupposition (par exemple de type cause-effet), exclusion mutuelle (entre actions incompatibles), etc.).
À proprement parler, il faut distinguer le modèle actantiel en tant que réseau conceptuel et en tant que représentation visuelle de ce réseau. Le réseau conceptuel est généralement représenté sous forme de schéma. Il prend alors des formes de ce type :
Destinateur | ------------------ | Objet | -----------------> | Destinataire |
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Adjuvant | -----------------> | Sujet | <----------------- | Opposant |
Nous proposons également une forme tabulaire, où nous intégrons les compléments, expliqués plus loin, que nous proposons au modèle actantiel standard :
Nº | temps | sujet observateur | élément actant | classe d'actant : s/o, deur/daire, adj/opp | sous-classe d'actant : factuel/ possible | sous-classe d'actant : vrai/faux | autres sous-classes d'actant (par ex., actif/passif) | JUSTIFICATION, COMMENTAIRE |
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1 |
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2 |
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Etc. |
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Puisque le modèle actantiel et sa représentation visuelle sont deux choses distinctes, il est possible qu’un même schéma serve à combiner plusieurs modèles actantiels, qu’ils renvoient chacun à une action distincte ou qu’ils reflètent chacun un état successif du même modèle.
Un actant ne correspond pas toujours à un personnage, au sens classique du terme. En effet, au point de vue de l’ontologie naïve (qui définit les sortes d’êtres, au sens large, qui forment le réel), un actant peut correspondre à : (1) un être anthropomorphe (par exemple, un humain, un animal ou une épée qui parle, etc.) ; (2) un élément inanimé concret, incluant les choses (par exemple, une épée), mais ne s’y limitant pas (par exemple, le vent, la distance à parcourir) ; (3) un concept (le courage, l’espoir, la liberté, etc.). Par ailleurs, il peut être individuel ou collectif (par exemple, la société).
Un même élément peut se retrouver dans une, plusieurs, voire toutes les classes actantielles. On appelle syncrétisme actantiel le fait qu’un même élément, appelé acteur (par exemple, un personnage au sens classique du mot), « contienne » plusieurs actants de classes différentes (par exemple, s’il est à la fois sujet et adjuvant) ou de la même classe mais pour des actions distinguées dans l’analyse.
Par ailleurs, pour préserver l’homogénéité de l’analyse, le sujet et l’objet ne contiennent en général qu’un élément (même s’il peut s’agir d’un collectif). En effet, il est préférable de distinguer nettement les sujets entre eux et les objets entre eux, même s’ils sont fortement liés, pour pouvoir ménager des descriptions différenciées (par exemple, dans le cas limite où deux sujets alliés désirant le même objet posséderaient les mêmes adjuvants sauf un seul).
La description actantielle doit tenir compte des sujets observateurs qui procèdent à l’intégration des éléments dans les classes actantielles (et comme nous le verrons plus loin, dans les sous-classes actantielles). En général, le classement est fait en tenant compte du sujet observateur de référence, celui qui est associé à la vérité ultime du texte (généralement le narrateur, en particulier s’il est omniscient) ; mais on peut également se placer « dans les souliers » d’autres observateurs, dits alors assomptifs, c’est-à-dire dont les classements peuvent être réfutés par l’observateur de référence. Par exemple, un personnage observateur (sujet observateur d’assomption) croira, à tort selon le narrateur (sujet observateur de référence), que tel autre personnage est un adjuvant pour telle action. On le voit, on peut donc distinguer entre des actants vrais et des actants faux.
Les classements sont susceptibles de varier non seulement en fonction des observateurs mais du temps. Il existe plusieurs sortes de temps, de temporalités : le temps de l’histoire (l’ordre chronologique des événements de l’histoire racontée), le temps du récit (l’ordre de présentation des événements de l’histoire), le temps tactique (l’enchaînement linéaire des unités sémantiques, par exemple, d’une phrase à l’autre). Par exemple, il est des cas où un adjuvant devient, plus avant dans le temps de l’histoire, un opposant et vice-versa. Bref, en fonction du temps, des actants intégreront, quitteront le modèle actantiel ou y changeront de classe (ou de sous-classes).
Nous avons introduit plus haut une distinction entre actants vrai et faux. Voyons d’autres sous-classes actantielles qui permettent de raffiner l’analyse.
Les questions des actants/non-actants et celles des actants factuel/possible, actif/passif sont liées. Un ami qui aurait pu (et dû) aider mais ne l’a pas fait peut être considéré non pas comme un opposant, mais : comme : un non-adjuvant (forme de non-actant); ou encore un adjuvant possible (forme d’actant possible), au temps 1, qui n’est pas devenu, comme il l’aurait dû, au temps 2, un adjuvant factuel (forme d’actant factuel).
Voyons maintenant la distinction actants passif/actif. C’est une chose de ne pas secourir une personne qui se noie (c’est la non-action qui nuit), c’est autre chose de lui maintenir la tête sous l’eau (c’est l’action qui nuit) : dans le premier cas, on pourrait parler de (1) non-adjuvant (forme de non-actant), (2) d’adjuvant possible non avéré (forme d’actant possible qui ne deviendra pas factuel) ou encore (3) d’opposant passif (forme d’actant passif) ; dans le second, (1) d’adjuvant possible non avéré (forme d’actant possible qui ne deviendra pas factuel) et, plus adéquatement sans doute, (2) d’opposant actif (forme d’actant actif). La caractérisation passif/actif ne suppose pas nécessairement un être anthropomorphe : une alarme qui ne sonne pas alors qu’elle le devrait et rend ainsi possible un vol constitue un adjuvant passif.
Un actant anthropomorphe remplira consciemment ou non son rôle. Ainsi, un personnage peut ne pas savoir qu’il est adjuvant, destinateur, etc., relativement à telle action.
L’analyse actantielle tirera partie de l’opposition entre tout et partie. Ainsi dire que le courage du prince est un adjuvant pour sa propre cause est plus précis que de rapporter que le prince est globalement un adjuvant. Mieux : l’analyse située au niveau des parties permet de rendre compte du différentiel susceptible de poindre entre la description du tout et celle des parties. Par exemple, elle pourra faire ressortir que le prince, globalement adjuvant pour sa propre cause, recèle cependant des caractéristiques qui forment des opposants (par exemple, s’il est un tantinet paresseux…).
Comme lieu d’application, prenonsLe nouveau testament. Nous devrons simplifier l’analyse, notamment en nous concentrant surtout sur les actants anthropomorphes, une matière abondante et complexe et ce, tant d’un point de vue « littéraire » que théologique. Comme on le verra, le modèle actantiel permet ici de poser et de représenter plusieurs questions théologiques et de les intégrer dans une problématique.
Posons comme modèle actantiel principal duNouveau testamentcelui dans lequel Jésus doit sauver les hommes.
Les destinateurs de notre modèle sont les suivants :
Si on interprète le destinataire comme ce qui bénéficie de la réalisation de la jonction souhaitée entre le sujet et son objet, l’humanité est évidemment destinataire de l’action. Qu’en est-il de Dieu et de Jésus ? Nous touchons ici un problème théologique. Deux arguments militent en faveur de l’exclusion de ces personnages comme destinataires. D’une part, si ce qui est parfait ne saurait avoir besoin ou ne saurait bénéficier de quoi que ce soit, Dieu et Jésus, conçus comme parfaits, ne peuvent être destinataires. D’autre part, dans l’idéologie chrétienne, la meilleure « bonne action », si l’on peut dire, est celle dont le sujet ne reçoit aucun bénéfice personnel. Nous dirons que l’action christique – de même que l’impulsion que lui a donnée Dieu en tant que destinateur – doit être totalement désintéressée.
Pour bien dégager les adjuvants et les opposants dans le modèle actantiel soumis à l’analyse, il importe de distinguer entre plusieurs actions importantes reliées, c’est-à-dire constituant une structure de modèles actantiels. Pour obtenir le salut des hommes, Jésus doit ressusciter; pour ressusciter, il doit mourir, plus exactement être exécuté; pour être exécuté, il doit être arrêté et jugé (nous coupons abruptement dans la chaîne des actions : en effet pour ce que cette série d’actions se produise, Jésus doit, notamment, naître parmi les hommes…)… Pour les fins de notre analyse, retenons les trois actions suivantes : (1) Jésus est arrêté et crucifié; (2) Jésus ressuscite; (3) Jésus sauve les hommes. La troisième action présuppose la seconde qui présuppose la première. La première et la seconde actions se succèdent dans le temps, tandis que la seconde et la troisième sont simultanées.
Parmi les personnages adjuvants de l’action 1, on trouve : Judas, qui vend Jésus; les juges; le peuple, qui choisit de libérer Barabas plutôt que Jésus; les soldats qui procèdent à l’arrestation et à l’exécution de Jésus. Les personnages opposants apparaissent éphémères et moins nombreux : les apôtres tentent bien de s’opposer à l’arrestation de Jésus, mais aucun n’intervient directement lors du procès (Pierre se soustrait par son reniement) et de la crucifixion. Bref, les opposants potentiels ne se transforment guère en opposant factuels. Ponce Pilate, qui refuse de condamner ou de libérer Jésus (il s’en lave les mains, dit-il), refuse donc de se situer sur l’axe des adjuvants/opposants : il joue le rôle d’un non-adjuvant-non-opposant. On peut voir les choses autrement et considérer que ne pas intervenir, c’est favoriser la tendance lourde, ici la mort de Jésus : Ponce Pilate est alors un adjuvant passif. Jésus, quant à lui, relève plus clairement des adjuvants passifs : en effet, il demande aux apôtres de cesser de s’opposer à son arrestation; il ne se défend pas directement devant les juges. Crucifié, il a un « moment de faiblesse », corrélatif de sa nature temporairement mi-humaine mi-divine, et se plaint du sort qui lui est réservé; mais il n’entrave pas personnellement le destin (peut-être est-il alors de toute façon dépossédé de ses capacités miraculeuses à ce moment). Jésus interpelle cependant son père pour écarter de lui ce supplice, il demande donc à Dieu d’être un opposant à sa mort. Enfin, présumons que Satan connaît le plan divin (alors que les voies de Dieu sont réputées impénétrables, du moins pour les mortels), il a tout intérêt alors à ce que Jésus se détourne de son action et ne meure pas, aussi l’a-t-il tenté au désert pour l’écarter de son destin.
En ce qui a trait à l’action 2, les personnages adjuvants sont Dieu et Jésus, ou Dieu seul si c’est par son seul pouvoir que son fils ressuscite. Il n’y a pas de personnages opposants qui se manifestent directement, même si Satan, l’ennemi global, s’il le pouvait, entraverait bien la réalisation du miracle. Un opposant non personnage est capital ici : la matière, par sa nature même, résiste à ce que soit violée une règle qui ne souffre, en principe, aucune exception : ce qui est mort ne peut renaître.
Revenons à l’action 3 maintenant. Il s’agit d’une action globale, de la résultante d’un ensemble d’actions, dont les plus importantes sont : la naissance de Jésus parmi les hommes, sa mort et sa résurrection. En ce sens, tout adjuvant ou opposant à l’une des actions déterminantes l’est également pour l’action globale. On arrive alors à d’étonnants résultats d’un point de vue théologique : ainsi, Judas est bel et bien un adjuvant et Satan a été peu cohérent et mal inspiré lorsqu’il a insufflé à ce dernier l’idée trahir Jésus en le livrant à la justice… Quoi qu’il en soit, si l’on fait abstraction de cette perspective analytique, on pourra dire que les principaux personnages adjuvants et opposants sont, respectivement, d’une part, Dieu et Jésus et, d’autre part, Satan. Le modèle actantiel revêt alors une dimension surtout métaphysique, les hommes y intervenant uniquement à titre de destinateurs et destinataires. Leur rôle cependant deviendra crucial dans le modèle du salut individuel : le salut collectif étant assuré par la rédemption offerte par Jésus, il revient maintenant à chaque homme de « gagner son paradis » par ses bonnes actions et – aide-toi et le ciel t’aidera – par la grâce divine. Pour ce faire, le rôle des apôtres est capital : ils annoncent à la fois la bonne nouvelle de la rédemption, rappellent l’objectif du salut individuel et donnent, à traversLa bible, leur exemple et leur enseignement, les moyens pour y parvenir.
Le tableau suivant représente les personnages adjuvants et opposants associés à l’action 3 envisagée dans une perspective globale.
Nº | ACTANT | CLASSE D'ACTANT | SOUS-CLASSE D'ACTANT |
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01 | Dieu | destinateur |
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02 | Jésus | destinateur |
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03 | hommes | destinateurs | conscients (croyants) et inconscients (non-croyants) |
04 | hommes | destinataires | conscients (croyants) et inconscients (non-croyants) |
05 | Dieu | adjuvant |
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06 | Jésus | adjuvant |
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07 | Satan | opposant |
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Paul (______________) demande à Marie (______________) d'user de son charme (______________) pour obtenir des informations (______________) cachées par Pierre (______________) et que Paul (______________) pourra revendre à fort prix.
« Le point noir »
Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux:
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire! —
Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh! c'est que l'aigle seul — malheur à nous, malheur! —
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
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