Drogue : l'autre cancer

Rapports de commission d'enquête

Rapport n° 321 (2002-2003), tome I, déposé le

Les informations clés

PREMIÈRE PARTIE
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UN CONSTAT TRÈS PRÉOCCUPANT

I. L'EXPLOSION DESDROGUES

Depuis une dizaine d'années, on constate uneaugmentation très importante de la consommation des drogues illicites,il est vrai inégale selon les produits, qui sont de plus en plusdiversifiés, ainsi qu'une production et un trafic multiforme en forteprogression.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que ladangerosité de ces produits est désormaisavérée.

A. UNE CONSOMMATION DEDROGUES EN CONSTANTE AUGMENTATION DEPUIS DIX ANS

1. Une consommation enpleine expansion

Ainsi que l'ont souligné une très grande partiedes intervenants, la tendance manifeste depuis quelques années està la fois à la croissance et à la diversification de laconsommation de drogues illicites, à des niveaux toutefois trèsdistincts concernant chaque produit.

a) Le cannabis :une consommation de masse croissante, notamment chez les jeunes

L'ensemble des études européennes montre unaccroissement important de la consommation de cannabis dans lecourant des années 60, qui s'est accentuée dans le courantdes années 70, avec une stabilisation dans lesannées 80. Au cours des années 90, une reprisetrès nette de la consommation, surtout chez les jeunes, estconstatée dans tous les pays développés, à desniveaux supérieurs à ceux observés dans ladécennie 70.

Comme l'a souligné devant la commission le nouveauprésident de la MILDT, M. Dider Jayle, « il est clair,(même si) ce ne l'était pas tellement pour beaucoup de gens ettoujours pas, qu'il y a eu une explosion de consommation de cannabis auxEtats-Unis, en Europe et en France. (...). Il y a (là) unproblème ».

Le ministre de l'intérieur, M. Nicolas Sarkozy, s'estdit également très préoccupé par cetteévolution générale, déclarant à lacommission : « Je crois que toute personne qui regarde lasituation telle qu'elle est, avec le regard le plus objectif et le plusresponsable, ne peut qu'être inquiète. Disons le clairement, lasituation n'a fait que se dégrader ces dernières années.Quand je parle de dégradation, c'est de forte dégradation dont ils'agit, à tel point que la France détient un record dont elle seserait bien passée : la France est le premier pays d'Europeoù les jeunes consomment du cannabis ».

Cette évolution peut toutparticulièrement s'observer en France, où la prévalence deconsommation du cannabis était particulièrement faible audébut des années 60 alors que cette substance estaujourd'hui la drogue illicite de loin la plus utilisée. L'usager typede cannabis est jeune (21 ans environ en moyenne), sans profession de cefait (à plus de 60 %) et essentiellement masculin (à plus de90 %).

Ainsi, parmi les 18-75 ans, un individu sur cinq (21,6 %)l'a déjà expérimenté, 6,5 % en ont un usageoccasionnel (au moins une fois dans l'année), 3,6 % un usagerépété (au moins dix fois dans l'année) et1,4 % un usage régulier (dix fois par mois et plus). Celareprésente respectivement 9,5 millions d'expérimentateurs,3,3 millions d'usagers occasionnels, 1,7 millions d'usagersrépétés et environ 280 000 usagersréguliers.

L'augmentation du nombre des expérimentateurs decannabis, signe de sa banalisation, est particulièrement importante aucours des années 90. Elle est ainsi passée, en populationgénérale adulte âgée de 18 à 44 ans, demoins de 20 % au début de cette décennie à plus de30 % au début de la décennie suivante. M. Jean-MichelCostes, directeur de l'OFDT, a ainsi confirmé à la commission que« quand on retrace l'évolution de la consommation decannabis, on constate une progression constante, depuis 1993, premièreenquête de référence dont on dispose, jusqu'à2002 ».

Une telle augmentation des quantités consomméesest confirmée indirectement par les statistiques officielles quirelèvent un substantiel accroissement au cours des années 90des quantités de cannabis saisies et du nombre des interpellations pourusage et usage-revente. Celles-ci sont en effet passées de 4 954interpellations en 1980 à 20 094 en 1990 et à 78 804 en1999. Par ailleurs, en 2002, la majorité des interpellations pour usage(90,39 %) concernait le cannabis.

La population adolescente est encore plusmarquée par ce phénomène. En 1999, 59 % desgarçons et 43 % des filles de 18 ans déclarent avoirdéjà pris du cannabis contre respectivement 34 % et17 % en 1993, soit une augmentation d'environ 25 points en 6 anspour chaque sexe.

La consommation de cannabis est donc devenue, en termesstatistiques, un comportement majoritaire chez les jeunes arrivant àl'âge adulte. Si l'usage est essentiellement expérimental ouoccasionnel, une proportion non négligeable de jeunes s'adonne àdes consommations répétées : près de 16 %des garçons de 19 ans reconnaissent en 2000 avoir un usage intensifdu cannabis (plus de vingt fois par mois) et plus d'un sur trois a uneconsommation régulière (de 10 à 19 fois par mois).

Force est de reconnaître que le cannabis estaujourd'hui une substance familière pour les jeunes Français,soit qu'ils en consomment ou en aient consommé personnellement, soitqu'ils fréquentent des amis relevant de ce profil (selon l'enquêteEspad de 1999, un jeune sur trois estime que la plupart de ses amis consomme ducannabis). La France arrive même en tête en 1999 (ex-aequo avec laGrande-Bretagne et la République tchèque) du classement des paysde l'Europe élargie en termes de prévalences de consommation chezles jeunes de 15 à 16 ans, alors qu'elle n'était qu'enseptième position en 1995, selon la même enquêteEspad.

A cet égard, Mme Marie Choquet, chercheur àl'INSERM, a indiqué que si les enquêtes montrent que« le cannabis a augmenté partout, dans tous les payseuropéens (...), la France a été championne en lamatière, dans la mesure où nous sommes passés d'une placemoyenne en 1993, 1995, à une premièreaujourd'hui ».

M. Didier Jayle a insisté sur le fait que cettetendance particulièrement forte de la jeunesse française àconsommer du cannabis perdurait. Il s'est référé àune étude européenne très récente indiquant« que la France est numéro un dans la consommation decannabis chez les jeunes de 16 à 24 ans, avant laHollande » : on y apprend en effet que le nombre de jeunesfrançais de cette classe d'âge ayant consommé du cannabisdans le mois précédent l'enquête est de 19,8 % enFrance, contre 14,4 % aux Pays-Bas et 2,4 % en Suède, le tauxeuropéen moyen étant de 11,3 %.

Il a été rejoint dans son analyse par M. MichelBouchet, chef de la MILAD, qui a lui aussi constaté devant la commissionque « l'usage (du cannabis) s'est très nettementétendu dans notre pays et a doublé au cours des dixdernières années, particulièrement chez lesjeunes », ajoutant que « l'initiation aprogressivement touché les adolescentes de façon de plus en plusprécoce ».

Le docteur Francis Curtet a illustré cette banalisationrampante du cannabis devant la commission en expliquant qu'« onen est arrivé maintenant à un stade auquel, pour lamajorité des jeunes, le cannabis est considéré comme leurapéritif, en comparaison à l'alcool, qui serait l'apéritifdes parents ».

Plus encore que la croissance de l'expérimentation,c'est l'augmentation de la consommation régulière de cannabischez les jeunes qui est en effet préoccupante. Comme l'a expliquéà la commission Mme Marie Choquet, « avecl'augmentation de l'expérimentation du cannabis, nous avons vul'augmentation de la consommation régulière de cannabis. C'estune loi assez constante ». Mme Choquet a ajouté que« si certains croient que l'on peut augmenter l'expériencesans augmenter la consommation régulière », ellene voyait pas « par quel moyen »,écartant ainsi l'argument souvent présenté selon lequel lacroissance de l'expérimentation n'irait pas forcément de pairavec celle de l'usage répété.

b) Les drogues ditesdures : un usage très circonscrit mais en augmentationpréoccupante
(1) L'héroïne et les opiacés

L'expérimentation, et plus encore l'usageproblématique de l'héroïne et d'autresopiacés restent rares en France. Des observations de terrainrelèvent une certaine désaffection pour ces produits au cours desannées 90, ce qui s'explique en grande partie par ledéveloppement de produits de substitution à l'héroïne(méthadone, Subutex), par les dangers accrus de contamination au VIH etaux diverses hépatites que fait courir aux héroïnomanesl'injection par voie intraveineuse ainsi que par le développement et labaisse du prix de la cocaïne et des drogues de synthèse.

Ainsi, seuls 0,4 % des femmes et 1,7 % des hommes de18 à 44 ans ont expérimenté l'héroïne en2000, ce taux se rapprochant de 0 au-delà de cet âge.

Quant à la consommation problématique, elle estencore plus limitée, malgré une visibilité sociale plusmarquée : on estime que la population d'usagers d'opiacés« à problèmes » se situe entre 150.000 et180.000 personnes. Une proportion importante d'entre eux utilise parintraveineuse des médicaments opiacés, essentiellement labuprémorphine (Subutex).

Si la prévalence de la consommationd'héroïne est donc faible en valeur absolue, elle semble toutefoisconnaître une croissance notable. Le chef de la Mission de lutteanti-drogue (MILAD), M. Michel Bouchet, a remarqué devant la commissionque « l'expérimentation de cette drogue chez les jeunesadultes et les adolescents est en augmentation. L'héroïne estmaintenant présente dans les évènements festifs, notammentles rave parties, où elle est utilisée pour amoindrir les effetsdes produits stimulants. Selon une enquête récente, près de4 % des garçons de 16 ans et 1,6 % des filles dumême âge ont déjà consommé del'héroïne au moins une fois dans leur vie, soit trois fois plusqu'il y a dix ans ».

Cette tendance préoccupante a étéconfirmée par M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, qui aindiqué à la commission que « le risque de regainde consommation (...) est présent aujourd'hui, tant du fait d'unaccroissement de l'offre (très importante activité desfilières turques, albanaises et afghanes) qu'en raison de nouveaux modesde consommation « des jeunes qui, dans les rave parties, se mettentà consommer de l'héroïne pour atténuer les effetsstimulants des drogues de synthèse, pour« atterrir » après la consommation de ces drogues,et qui, en ce sens créent un nouvel appel d'air en termes de demande etde consommation ».

Ainsi, l'héroïnomane n'est pasnécessairement le « junky » en mauvaisesanté, sale, sans argent, sans métier et sans domicile fixeauquel renvoie l'imaginaire collectif. Beaucoup de consommateursd'héroïne ne possèdent en effet aucun signe extérieurindiquant leurs pratiques addictives. Ils sont assez âgés(âge moyen de 28 ans environ), essentiellement masculins (à85 % environ) et aux deux-tiers sans activité professionnelle, cepourcentage étant toutefois en baisse constante depuis le milieu desannées 90.

(2) La cocaïne et le crack

S'ils sont supérieurs à l'héroïne etaux opiacés, l'expérimentation et plus encore l'usage actuel de la cocaïne et du crack demeurent réduits. Ainsi,en 2000, l'usage d'héroïne au cours de la vie est limitéà 1,2 % des femmes et 3,7 % des hommes de 18 à44 ans. Au-delà de cet âge, l'expérimentation estquasi nulle. Chez les jeunes scolarisés, 2 % des filles et2,1 % des garçons de 14 à 18 ans déclarent avoirpris de la cocaïne au cours de leur vie.

Toutefois, la tendance récente sembleêtre à l'augmentation de l'usage de cocaïne, en raisonnotamment de la baisse de son prix de vente. Les enquêtes de terrainmontrent ainsi une diffusion en expansion de la cocaïne, notamment dans lecadre d'événements festifs . M. Michel Bouchet aindiqué à la commission que « la consommation de ceproduit dépasse maintenant le cercle habituel desprivilégiés et des milieux à la mode pour toucher unepopulation jeune de toutes origines sociales, plus vulnérable auxphénomènes de mode et à l'exemplarité de certaines« élites ». (...) dans certaines secteurs, sous saforme classique ou sous forme de crack, ce produit fait jeu égal, voiredépasse l'héroïne ».

Cette tendance est confirmée par M. Bernard Petit,chef de l'OCRTIS, qui voit dans la consommation de cocaïne« une véritable menace immédiate et, sans doute,pour quelques années à venir » en raison« d'un intérêt particulier (pour le trafic decocaïne) de puissantes organisations criminelles qui appartiennent augrand banditisme français ».

La population concernée par la consommation decocaïne est relativement âgée (une trentaine d'annéeen moyenne), essentiellement masculine (à plus de 80 %) etpossédant une activité professionnelle (à plus de80 % également).

Quant à l'expérimentation et l'usage du seulcrack, ils restent encore trop circonscrits (essentiellement à despopulations particulièrement stigmatisées de certains quartiersde Paris, des Antilles 15 (* ) et de la Guyane) pour faire l'objet d'enquêtesprécises. On sait cependant que les consommateurs de crack, comme ceuxde cocaïne, sont relativement âgés (l'âge moyenétant d'environ 31 ans) et essentiellement masculins (à plusde 80 %). En revanche, ils sont généralement chômeurs(aux trois-quarts).

c) L'ecstasy, lesamphétamines et les drogues de synthèse : successeurspotentiels du cannabis au « hit parade » de laconsommation ?

Apparue en France au début des années 90,la consommation de drogues chimiques n'a cessé depuisde progresser au point de devenir aujourd'hui un enjeu prioritaire. M. NicolasSarkozy, ministre de l'intérieur, a ainsi déploré que« l'arrivée de quantités toujours plus importantesde drogues de synthèse dans notre pays risque à court termed'entraîner (...) une nouvelle épidémie de consommation,mettant ainsi gravement en danger la santé des plusjeunes ». Le ministre s'est référé auxchiffres relatifs à la consommation de ces produits,« proprement consternants », indiquantqu'« entre 2000 et 2002, le nombre de jeunes ayantexpérimenté de l'ecstasy a tout simplementdoublé ».

Si elle reste relativement faible en valeur absolue enpopulation générale adulte, cette tendance àl'augmentation est toutefois nette : chez les 18-44 ans, entre lemilieu et la fin de la dernière décennie,l'expérimentation d'ecstasy et/ou d'amphétamines estpassée de 0,7 % à 1,6 % chez les femmes et de1,8 % à 3,5 % chez les hommes.

Comme pour le cannabis, l'accroissement de laconsommation est particulièrement marqué chez les jeunes :une enquête menée dans les lycées parisiens montre que laproportion d'élèves ayant déjà essayél'ecstasy est passée de 0,1 % en 1991 à 3 % en 1998. Latendance se poursuit puisqu'en 2000, 3,7 % et 6,7 % desgarçons de 19 ans ont expérimenté respectivementl'ecstasy et les amphétamines.

La très grande majorité des consommateurs aentre 18 et 25 ans (l'âge moyen étant de 23 ans). Les jeunesayant déjà pris un produit stupéfiant de synthèsesont nettement plus souvent consommateurs répétésd'alcool, de tabac et de cannabis que les autres.

Le lien entre l'usage de ces produits et les fêtestechno est très net, notamment chez les jeunes : la proportion deconsommateurs s'étant déjà rendus à une fêtede ce type est significativement plus élevée que parmi les jeunesn'en ayant jamais fréquenté (respectivement 9,5 % et4,3 % des jeunes de la première catégorie ontdéjà pris de l'ecstasy et des amphétamines, contre moinsde 1 % pour ceux de la seconde catégorie).

d) Les produitsdopants : un usage important bien que méconnu

Les produits dopants recouvrent tous lesméthodes et produits, licites ou illicites (médicamentspsychotropes, médicaments courants, stimulants, stupéfiants ...)utilisés par une personne pour augmenter ses performances physiques ouintellectuelles.

Au sens strict du terme, sur un plan purement sportif, ledopage se définit comme l'usage aux fins d'améliorer sesperformances sportives de certaines substances (stimulants, narcotiques,anabolisants ...) et de certains procédés (dopage sanguin,manipulations pharmacologiques, chimiques et physiques) interdits, d'autressubstances (alcool, cannabinoïdes, bêta-bloquants ...) étantsoumis à restriction 16 ( * ) .

Bien que les drogues illicites ne constituent qu'une infimepartie des produits dopants inscrits sur la liste des substancesconsidérées comme « dopants », l'usage decannabis aux fins de dopage tend à prendre des proportions importantes(25 % des substances détectées par le Laboratoire nationalde dépistage du dopage en 2001, chiffre ramené à 21 %pour l'année 2002).

Si le comportement du sportif qui se dope de manièreusuelle présente des similarités avec celui d'une personne qui sedrogue (phénomènes de dépendance et de sevrage, existenced'un trafic des produits illicites comparables), il existe d'importantesdifférences : d'une part, le sportif consommant des produitsstupéfiants le fait le plus souvent de façon ludique et non pourinfluer sur ses performances, même si celles-ci peuvent s'en trouveraméliorées (ainsi, le cannabis peut avoir un effetdésinhibiteur appréciable pour des gardiens de but, des joueursde tennis ou de tir à l'arc) ; d'autre part, les motivations sontopposées, la toxicomanie étant plutôt une fuite (mêmesi cela devient moins vrai avec le développement des consommations« récréatives ») tandis que le dopageprocède d'une volonté de s'affirmer et de prouver sasupériorité.

Environ 6 % de la populationgénérale adulte âgée de 15 à 75 ans apris une substance destinée à améliorer ses performancesphysiques ou intellectuelles au cours des douze derniers mois. Parmi lessportifs adultes, les enquêtes divergent, la consommation de produitsdopants variant de 3 % à 10 %, ce taux passant à plusde 17 % chez les athlètes de haut niveau. Chez ces derniers, letaux de contrôle positif en 2002 a été de 7 %, enaugmentation par rapport aux annéesprécédentes.

Les sports les plus touchés par le dopage sonttraditionnellement le cyclisme et l'haltérophilie. M. Michel Boyon,président du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage,a parlé à cet égard devant la commission de« véritable culture du dopage, encoreaujourd'hui, (...) dans le monde du cyclisme », tout enreconnaissant qu'« aucun sport n'estépargné », des contrôles positifs ayant lieutous les ans dans des disciplines paraissant a priori peu concernées parle dopage (tir à l'arc, pétanque, badminton). M. Boyon s'estégalement dit tout particulièrement préoccupé parle rugby, « à la fois du fait du phénomènede mondialisation, qui fait que les joueurs jouent de plus en plus dansd'autres pays que ceux dont ils ont la nationalité, et du fait de laprofessionnalisation, qui est une tentation trèsforte ».

Les jeunes semblent particulièrement exposés auxpratiques de dopage : ainsi, 11 % des élèvesreconnaissent en 1999 avoir pris au cours de leur vie un produit destinéà améliorer leurs performances physiques ou intellectuelles.

e) Lesmédicaments psychotropes détournés de leur usagemédical : un mal français

S'ils ne relèvent pas des drogues illicites lorsqu'ilssont utilisés dans le cadre d'une prescription médicale, ce quiest généralement le cas, ils peuvent en revanche y êtreassimilés lorsqu'ils sont utilisés en dehors de touteprescription. Or, cette pratique tend à croîtreconsidérablement, notamment chez les populations jeunes etféminines. Selon l'enquête Espad de 1999, l'expérimentationde médicaments psychotropes hors prescription chez lesjeunes scolarisés est passée entre 1993 et 1999 de 7,7 %à 17,4 % chez les filles et de 2,6 % à 11 % chezles garçons.

L'usage de médicaments psychotropes està la fois typiquement féminin et spécifique à laFrance, celle-ci se trouvant loin devant ses voisins européens en ce quiconcerne la vente et la consommation. Au sein de la population scolaire etparmi les trente pays interrogés dans l'enquête ESPAD, l'usage aucours de la vie de tranquillisants ou de somnifères desélèves français de 16 ans place la France parmi lespays de tête, qu'il y ait prescription ou pas, pour les garçonscomme pour les filles.

Mme Marie Choquet, chercheur à l'INSERM, ainsisté sur l'importance de ces consommations, indiquant à lacommission que « parmi les autres drogues (que le cannabis), lesplus consommées sont les médicaments contre la nervositéet l'insomnie sans ordonnance médicale », point surlequel « la France est « meilleure » quel'Europe ».

De nombreux médicaments psychotropes, notamment ceuxappartenant à la famille des benzodiazépines, sont susceptiblesd'être détournés de leur usage à des finsaddictives. Ainsi, le Rohypnol (un hypnotique) est un médicamentconsommé hors cadre médical par des usagers de drogues en grandedifficulté sociale et très marginalisés (squatters,prostitués, SDF ...). Recherché pour ses effetsdésinhibiteurs et d'invincibilité d'une part, comme produitassocié à la consommation des opiacés (héroïneet buprénorphine) et/ou de l'alcool d'autre part, il peut êtreingéré par voie orale ou bien injecté.

A la frontière du médicament et du produitstupéfiant, se pose par ailleurs le problème des produits desubstitution, et notamment du Subutex. Destiné à soigner lespersonnes dépendantes aux opiacés et en principe fourni surprescription médicale, il fait l'objet d'un important trafic chez destoxicomanes capables, après l'avoir pilé, d'enrécupérer uniquement la fraction agoniste, c'est-à-direcelle qui donne les mêmes effets que l'héroïne.

2. Des modes deconsommation et des comportements addictifs en mutation

a) L'évolutiondes produits
(1) Le développement de drogues« festives » et« séquentielles »

Le concept de drogues festives renvoieà la fois à certains produits, certains lieux et certainscomportements hédonistes.

S'agissant des produits, il s'agit essentiellement des pilules d'ecstasy dont la présentation attrayanteprévient les craintes des consommateurs potentiels. Ces pilules ont eneffet l'aspect de comprimés le plus souvent ronds, parfois en forme decoeur ou d'étoile ; elles sont de multiples couleurs, souventgravées avec certains logos 17 (* ) (papillon, dollar, pomme, soleil ...) etemballées en sachets leur donnant l'aspect de friandises ; ellessont solubles dans l'eau ou dans l'alcool dans lesquels leurs consommateurs lesdissolvent généralement ; elles sont bon marché (uncomprimé d'ecstasy acheté à l'unité vaut environ15 euros en France).

Leurs effets immédiats sont a priori inoffensifs :euphorie, accroissement de l'énergie émotionnelle et physique,diminution du besoin de manger, boire et dormir, désinhibitionfavorisant la communication avec autrui, augmentation de la confiance ensoi...

Si les pilules d'ecstasy évoquent la fête, leslieux où elles sont consommées également. Outre denombreux bars et boîtes de nuit où elles circulent abondamment (ladélégation sénatoriale a ainsi recueilli, lors de sondéplacement à Valenciennes, le témoignage de nombreusespersonnes soulignant l'importance du phénomène dans lesméga dancings situés à la frontière belge), lespilules d'ecstasy sont associées le plus souvent aux « raveparties » où une population jeune dansefrénétiquement jusqu'au petit matin sur une musique« techno ».

Originaire des Etats-Unis, le mouvement« techno-rave » s'est introduit en Europe via l'Angleterreau milieu des années 80. Il consiste, pour des milliers de jeunes,à se réunir autour de musiques techno émises à untrès fort volume pendant plusieurs jours et plusieurs nuits dans deslieux insolites (usines désaffectées, entrepôts,grottes...) tenus secrets jusqu'au dernier instant, une heure et un lieu derendez-vous où sera expliquée la façon de se rendreà la rave party étant communiqué par« flyer » (prospectus), « infoline »(répondeur téléphonique), « fanzine »(magazine alternatif) ou radio indépendante.

Dès les années trente, le lien entre l'usagerécréatif de substances psychoactives, la musique et la vienocturne était établi, les musiciens de jazz consommant largementde la marijuana et de la cocaïne. Dans les années 60, en lienavec le phénomène rock and roll, puis dans lesannées 70, avec la vague pop, sont venus s'y ajouteramphétamines, hallucinogènes et médicaments psychotropes.C'est au cours des années 80 que l'ecstasy est apparue puis s'estpropagée très rapidement en Europe dans le monde de la danse« rave », « acid house » ou« techno », chaque pays ayant sesspécificités (« trans » à Bruxelles,« happy techno » à Londres,« acid » à Rome, « technoprogressive » à Paris et Amsterdam ...).

Force est de constater que les consommateurs dedrogues synthétiques à des fins festives ne se trouvent pasmajoritairement parmi les personnes marginalisées ou socialementdéfavorisées, mais parmi des jeunes de milieux aisés,poursuivant des études supérieures ou déjàengagés dans la vie professionnelle. Tenant là uneclientèle ayant des moyens financiers conséquents, les industriesde la musique, des boissons alcoolisées et de la mode se sontemparées du marché en développant des marques et desproduits (boissons énergisantes, chaussures de sport, vêtements,gel capillaire...) spécialement adaptés aux« ravers ».

Inhérente à la culture« rave » et « techno », l'ecstasyparticipe d'une aspiration contemporaine à la recherche du plaisir pur,de la libération d'énergie et de la communion au sein defêtes modernes où s'effaceraient les rapports sociauxconventionnels. Rassurante par son aspect ludique, la pilule d'ecstasy y estfacilement considérée comme un inoffensif stimulant(« safe drug ») indispensable pour atteindre l'étatde transe recherché.

Mais l'ecstasy n'est pas le seul type de drogue àpouvoir faire l'objet d'un usage« récréatif » : si l'on met decôté l'alcool, qui reste la substance psychoactive la plusfréquemment et la plus largement utilisée de façon« festive », le cannabis, mais aussi la cocaïne, voirel'héroïne, sont de plus en plus consommés par despopulations jeunes pour le plaisir qu'ils procurent plus que pour lafaculté qu'ils offrent de s'extraire artificiellement d'uneréalité vécue comme insupportable. Sont égalementconsommés pour le plaisir des drogues et plantes hallucinogènesainsi que des poppers, souvent en conjonction avec des sédatifs, destranquillisants et des drogues hypnotiques.

Parallèlement, du fait de sa progressivedémocratisation, l'ecstasy tend à quitter les lieux deconsommation collective « branchés » tels que raveparties, boîtes de nuit ou bars « tendance » pourêtre utilisée dans des soirées privées entre amis,voire par des personnes seules, passant d'un mode de consommationhédoniste à un mode de consommation centré davantage surla recherche de la seule « défonce ».

Le concept de « drogueséquentielle » renvoie quant à lui à denouvelles substances chimiques, à mi-chemin entre le médicament,le dopant et le stupéfiant, ayant pour particularitésd'entraîner des effets psychoactifs différents dans le temps,leurs modes d'actions étant en quelques sorte fractionnés selonle moment de la journée ou de la nuit auquel ils interviennent.

L'ingestion d'un produit de ce type permet ainsi, par exemple,d'accroître son efficacité professionnelle durant lamatinée, d'augmenter ses performances sportives pendantl'après-midi, de stimuler sa sensibilité le soir et de provoquerun état de relaxation ou d'extase pour la nuit.

Si ces effets peuvent être obtenus en consommant un seulproduit, ils peuvent l'être également en consommant successivementplusieurs produits différents : le docteur Léon Hovnanian aévoqué devant la commission le cas de personnes« utilisant la cocaïne, les amphétamines ou l'alcoolpour être performantes 24 heures sur 24 et le cannabis pour soulagerleur stress. C'est l'équivalent du dopage de hautniveau ».

Ce comportement, qui s'apparente à la polyconsommation,s'en différencie cependant : les produits sont consomméssuccessivement et l'effet recherché est l'enchaînement d'effetspsychoactifs différents.

(2) L'apparition de drogues exotiques

Parallèlement aux drogues traditionnelles(héroïne et cocaïne) et aux drogues modernes (cannabis,drogues de synthèse), l'effacement des distances et l'accroissement deséchanges entre les diverses régions du monde provoquentl'apparition de toute une série de produits jusqu'alors inconnus.

Comme l'a indiqué le Professeur Patrick Mura devant lacommission, le marché clandestin français voit aujourd'huiarriver le yagé, le cohoba, l'iboga ou l'haïwachka, qui sont deslianes hallucinogènes d'Afrique ou d'Amérique, mais aussi le khatet le kava, utilisés notamment en Nouvelle-Calédonie, le peyotlet la psilocybine, champignons hallucinogènes de plus en plusconsommés en France.

De telles substances exotiques sont d'un accèstrès facile pour qui possède un accès àinternet : de nombreux sites étrangers les proposantà la vente sans risquer d'être poursuivis par les autoritésnationales, il est aisé d'en passer commande et de se les faire livrerpar colis postal. Souvent très concentrées en produits actifs,elles ont été très peu étudiées et leurseffets sont largement inconnus.

(3) L'augmentation de la teneur en principes actifs

Il s'agit là d'une évolutionparticulièrement caractéristique en ce qui concerne le cannabis,dont la teneur en principes psychoactifs est mesurée en taux de THC. Sicelui-ci ne dépassait jamais 10 % jusqu'à récemment,sont apparus sur le marché depuis un certain temps des produits beaucoupplus riches, provenant non plus du Maroc comme autrefois, mais essentiellementdes Pays-Bas.

Les conditions de culture assurées en Hollande(pollen très pur, utilisation de serres, arrosage régulier ...),mais aussi le développement de variétés de cannabisparticulièrement fortes en substances psychoactives (skunk, aya),permettent en effet d'obtenir du cannabis titrant à 30, voire 40 %de THC. Cette teneur fort élevée en fait une drogue durehallucinogène et remet donc en cause sa classification officieuse dansla catégorie des drogues dites« douces ».

Les effets d'un cannabis aussi fortement titrés sontnaturellement beaucoup plus dangereux que ceux d'un cannabis« normalement » titré. Le docteur GilbertPépin a rapporté ainsi devant la commission le cas, fortmédiatisé, d'un jeune homme s'étantdéfenestré après avoir fumé un« joint » préparé avec du cannabis provenantde Hollande et titré à 14,4 %.

(4) Le raccourcissement du cycle des produits

Le marché des drogues illicites est régi par descycles et des modes se succédant plus ou moins rapidement en fonction dulieu considéré ainsi que de l'évolution de l'offre et dela demande. Très schématiquement, on peut considérer queles années 60 ont vu se développer l'héroïne,les années 70 la cocaïne, les années 80 lecannabis et les années 90 les drogues de synthèse.

Ces cycles de renouvellement et de disparition des produits sesont accélérés ces dernières années. LeProfesseur Renaud Trouvé a indiqué à la commission :« Alors qu'un cycle durait auparavant une dizained'années, on peut dire qu'actuellement, du fait des luttes entretrafiquants, de la répression policière, des goûts desconsommateurs, des accidents qui se produisent et des mises en gardesévères que reçoivent certaines franges de toxicomanes, lapériode a tendance à s'accélérer : dans lesannées 1995, elle est passée à une base de cinq ans et onpeut estimer qu'à l'heure actuelle, on tourne sur deux ou troisans ».

S'ils se caractérisent généralement parl'apparition de produits nouveaux et la disparition de produits anciens, lescycles peuvent également correspondre à la réapparitiond'un produit qui semblait être passé de mode. Ainsi, s'agissant dela cocaïne, que l'on avait pu croire dépassée par lesnouveaux stimulants de synthèse, l'OEDT 18 (* ) remarque que « servie par sa largedisponibilité et son image festive haut de gamme, (elle) pourraitêtre en passe de supplanter l'ecstasy dans les sanctuaires de la vienocturne où naissent les modes ».

Ce phénomène général deraccourcissement des cycles perturbe profondément la mise en oeuvre despolitiques publiques de lutte contre les drogues, s'organisant sur le longterme en ce qui concerne le suivi des réseaux et la prise en charge destoxicomanes. Elle rend surtout difficile la réalisation d'étudesépidémiologiques sur les effets et la dangerosité desdiverses substances apparaissant continuellement sur le marché,préalable indispensable à la mise en place de traitementsappropriés.

(5) Le développement croissant de l'autoproduction

Si la consommation de drogues illicites nécessitaitjusqu'à présent de s'approvisionner en rencontrant, directementou non, un dealer, l'apparition de l'autoproduction, du moins en ce quiconcerne le cannabis, pourrait remettre en cause cetteréalité.

C'est aux Pays-Bas que le phénomène a pris leplus d'ampleur : la culture de plants de cannabis aux fins de consommationpersonnelle étant autorisée dans la limite de certainesquantités, la Hollande commercialise des kits comportant des graines decannabis sélectionnées génétiquement ou des sporesde champignons hallucinogènes, des lampes fournissant unéclairage optimal et des systèmes d'arrosage automatique, ainsique des livrets de conseils sur les méthodes de culture. Tout individuayant la main « verte » peut ainsi produire unequantité non négligeable de cannabis, y compris en appartement,ou même dans un placard.

De nombreux consommateurs français vontacquérir de tels matériels de production aux Pays-Bas, mais ilsemble en plus que ce phénomène soit en train d'apparaîtreen France : l'une des personnes auditionnées par la commission aainsi reconnu qu'étaient élaborés et vendus à Parisde tels kits de production, dont certains ont déjàété saisis par les services de police et degendarmerie.

Le problème de l'autoproduction ne se limite pas aucannabis et aux champignons hallucinogènes, mais s'étend auxdrogues de synthèse. S'il n'a pas été fait état dekits de production en la matière, l'accessibilité desmatières premières et la simplicité desprocédés de fabrication de certains produits permettent àtout chimiste un tant soit peu expérimenté d'en envisagerl'élaboration 19 (* ) .Ainsi, selon M.  Renaud Trouvé, « ces produitssont souvent relativement faciles à réaliser et (...) unepersonne qui a des connaissances de chimie élémentaire peut toutà fait les synthétiser sans le faire forcément comme ilfaut, ce qui explique les accidents, parce que des dérivés desynthèse toxiques peuvent être contenus dans cesproduits ».

Les observations de terrain confirment cette tendance.M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, a indiqué à lacommission avoir découvert à Montpellier un« kitchen lab, un laboratoire de cuisine, avec des jeunes qui ontles produits, les précurseurs chimiques, etc. et qui s'essaient àfabriquer de l'ecstasy », ajoutant que cette affaire prouve« qu'il y a des velléités d'ouvrir des petitslaboratoires, çà et là, pour être au plusprès de la consommation ».

b) L'évolutiondu profil des consommateurs
(1) Un rajeunissement général

Ce phénomène, sans doute le plus marquant de cesdernières années, a été souligné devant lacommission par de nombreuses personnes auditionnées. Il recouvreplusieurs éléments : les jeunes connaissent leurprimoconsommation de plus en plus tôt, de plus en plus de jeunesconsomment et l'intensité des phénomènes de consommationchez les jeunes s'accroît avec l'âge.

La France est particulièrement touchéepar ce phénomène puisqu'elle vient en tête des payseuropéens pour le cannabis. Si l'on intègre substancespsychoactives licites et illicites, ce sont 92 % des jeunes qui en ontpris au moins une fois durant leur vie.

En ce qui concerne la primoconsommation, le rapport 2002 del'OFDT indique que « l'initiation aux trois principales droguesconsommées par les jeunes se fait, en moyenne, dans l'ordresuivant : l'alcool (13 ans), le tabac (14 ans), puis le cannabis(15 ans) » : la primoexpérimentation de cestrois produits, qui intervenait auparavant entre 15 et 20 ans, a lieudésormais avant.

Le professeur Roger Nordmann a souligné devant lacommission « l'évolution vers une précocitéde plus en plus marquée du début de la consommation. Si le pic deprévalence se situe vers la classe de troisième ou de seconde,nous avons actuellement des expérimentateurs au stade de lapré-adolescence ou du début de l'adolescence, c'est-à-direà un moment où, par définition, le sujet estparticulièrement fragile ».

Si l'expérimentation des drogues illicites chez lesplus jeunes est rare, elle n'en est pas moins non négligeable :l'enquête Espad de 1999 20 (* ) montre ainsi qu'à 14 ans, 11 % desjeunes ont déjà expérimenté le cannabis, 11 %les tranquillisants et/ou les somnifères sans ordonnancemédicale, 11 % un produit à inhaler, 2 % deschampignons hallucinogènes, 2 % de l'ecstasy, 2 % du crack,2 % de l'héroïne et 2 % de la cocaïne.

L'augmentation de la consommation chez les jeunes estindéniable. En ce qui concerne le cannabis, drogue illicite la plusrépandue parmi les jeunes, l'enquête Espad précitéemontre qu'entre 1993 et 1999, l'expérimentation chez les jeunes de14 ans est passée de 7 % à 14 % et chez les jeunesde 19 ans de 34 % à 59 %. La consommationrépétée (dix fois par an et plus) suit la mêmeévolution puisqu'elle est passée au cours de la mêmepériode de 0,2 % à 1,7 % chez les jeunes de 14 anset de 11 % à 29 % chez les jeunes de 19 ans.

Dernier phénomène abondammentdocumenté : la forte progression de la consommation chez les jeunesen fonction de l'âge. Toujours selon l'enquête Espadprécitée, l'expérimentation de certaines substances sebanalise entre 14 et 19 ans : à 19 ans en effet,50 % des élèves interrogés ont essayé lecannabis (contre 11 % à 14 ans). La consommationrégulière suit la même tendance : 17,6 % desgarçons de 19 ans et 7,6 % des filles du même âgeconsomment régulièrement du cannabis (dix fois et plus au coursdes trente derniers jours) contre respectivement 0,7 % et 0,1 %à 14 ans.

Cette augmentation de la consommation de substances illicites,et notamment de cannabis, chez les jeunes, semble liée à desfacteurs tenant à la fois à l'offre et à la demande.L'exposition à la drogue est particulièrement importante chez lesjeunes : selon l'Eurobaromètre 57.2 d'octobre 2002 21 ( * ) , une grande majoritéd'entre eux considère en France qu'il est facile de s'en procurer dansdes soirées (85,3 %), près de chez soi (70,2 %) etmême dans son établissement scolaire (63,8 %).

Quant aux facteurs tenant à la demande, lamajorité des expérimentateurs de drogues est motivée parla curiosité (58,8 %), loin devant la pression des autres jeunes(39,6 %) et la recherche de l'excitation (35,6 %), ou encore leseffets attendus (30 %) ou l'existence de problèmes à lamaison (25,8 %).

(2) Une progressive extension socio-géographique

L'usage de drogues illicites était traditionnellementcirconscrit aux grandes agglomérations (notamment à certainsquartiers de Paris et à sa banlieue) ainsi qu'aux deuxextrémités de l'échelle sociale (milieux trèsdéfavorisés et fortement marginalisés d'uncôté, élite artistique et intellectuelle de l'autre).

Or, ce double constat se vérifie de moins en moins. Ence qui concerne la localisation géographique des usagers de drogues, latendance semble être au développement de la consommation dedrogues en-dehors des grandes villes et à son extension àl'ensemble du territoire français. MM. Pierre Mutz et ChristopheMétais ont ainsi indiqué que les services de la gendarmerienationale voyaient s'étendre les problèmes de drogues aux zonespériurbaines et aux zones rurales, parfois même dans des campagnestrès reculées.

Quant au développement de l'usage de drogue surl'ensemble du territoire hors région parisienne, il apparaîtclairement dans le rapport 2002 de l'OFDT mais varie selon les produitsenvisagés. S'agissant du cannabis par exemple, sa prévalence entermes d'expérimentation et de consommation, mesurée dans lebaromètre santé 2000 du CFES, est significativement plusélevée que la moyenne en Ile-de-France, mais aussi en Bretagne,dans le sud-ouest et dans le sud-est, le centre de la France étant plusépargné.

En ce qui concerne la diffusion des drogues illicites àtoutes les couches de la société, elle a étésoulignée à plusieurs reprises par bon nombre des personnesauditionnées. Concernant le seul cannabis, le professeur Roger Nordmannparle ainsi d'un « phénomène de diffusion qui netouche pas spécifiquement certaines personnes endifficulté », ajoutant qu'on trouve des consommateurs« dans les collèges de banlieues parisiennes ou deshuitième ou seizième arrondissement ».

Le criminologue Xavier Raufer a confirmé cette tendanceconcernant les drogues de synthèse dont la consommation touche« la population générale », etnotamment « des lycéens qui sont toujours plusintégrés », et « non pas uniquementdes marginaux et des gens en proie à un phénomèned'autodestruction ».

Le fait nouveau est sans doute l'extension de l'usagede drogues aux classes moyennes, jusqu'ici relativementépargnées, et le nivellement des différences entre lesdifférentes couches sociales en découlant. Le rapport OFDT de2002 conclut ainsi à l'absence de lien significatif entre le niveau dediplôme, la catégorie socioprofessionnelle ou le revenu duménage d'une part, et la consommation de drogue d'autre part, en ce quiconcerne le cannabis, l'héroïne et la cocaïne.

Si les drogues touchent tous les milieux sociaux,elles n'y ont pas en revanche les mêmes effets. Il semble en effet queles milieux défavorisés soient surreprésentés parmila population des consommateurs à problèmes, notamment chez lesjeunes : le sociologue Hugues Lagrange a souligné en cesens devant la commission que les adolescents ayant un usageproblématique 22 (* ) de drogues sont plus souvent des jeunes « qui ne sont passcolarisés, qui ont redoublé au moins deux fois dans le cours del'enseignement obligatoire, qui viennent des filières professionnelleset dont les parents sont séparés ».

Il y aurait donc, selon le sociologue, deux profils dans lesmodes de consommation : d'une part, un usage de drogues illicites« festif ou récréatif, voire de performance (...),qui est le fait de jeunes venant de tous les milieux, y compris les plusfavorisés », et d'autre part, un usage« problématique de drogues illicites qui est le fait dejeunes qui sont issus de familles ayant des difficultés et qui sonteux-mêmes en difficulté scolaire ou en difficultéd'insertion professionnelle ».

Cette dualité de profil des consommateurs se retrouvedans la distinction opérée devant la commission par le docteurFrancis Curtet entre les « simples usagers dedrogues » et les véritables« toxicomanes ». Remarquant que la drogue« touche tous les milieux », avec toutefois« une petite prédominance pour les milieuxdéfavorisés, conséquence inévitable de la criseéconomique que nous connaissons depuis longtempsmaintenant », M. Curtet distingue en effet les usagers dedrogues prenant un produit « par plaisir, par curiosité ouparce qu'on leur a proposé », que l'on trouve dans toutesles catégories sociales, et les usagers consommant de la drogue« parce qu'ils ne vont pas bien », plusspécifiquement concentrés dans les milieux sociaux difficiles oudéfavorisés.

(3) Une polyconsommation désormais chronique

Elle est l'un des phénomènes les plus marquantsde ces dernières années, à tel point que lamonoconsommation est devenue aujourd'hui rarissime. Son ampleur varie selon quel'on parle de polyconsommation au sens strict (consommer avec une certainefréquence, concomitamment ou successivement, au moins deux substancespsychoactives) ou de polyexpérimentation (avoirexpérimenté au moins deux produits psychoactifs dans sa vie), leseffets attendus variant selon les types d'usage.

Si elle renvoie le plus souvent à l'utilisation deplusieurs drogues licites (l'association tabac, alcool et/ou médicamentsétant devenue banale), elle fait de plus en plus référenceà l'association drogues licites/drogues illicites (tabac/cannabis oualcool/cannabis notamment), ou à l'association de plusieurs droguesillicites (dont le cannabis le plus souvent).

En population générale adulte âgéede 18 à 44 ans et en ce qui concerne les seules substancesillicites, le baromètre santé 2000 du CFES indique que si lesexpérimentateurs de cannabis ont essayé en moyenne1,4 substance parmi les huit retenues (cannabis, amphétamines,cocaïne, LSD, héroïne, ecstasy, médicaments« pour se droguer » et produits à inhaler), ceuxd'ecstasy en ont expérimenté 4,2 et ceux d'héroïne4,7. Les indicateurs croisés mettent par ailleurs en évidencel'importance de la polyexpérimentation concernant les droguesdures : 72 % de ceux ayant déjà essayél'héroïne ont également essayé la cocaïne. Lefait d'avoir expérimenté du cannabis semble partagé par laquasi totalité des expérimentateurs de drogues illicites(94,1 % des expérimentateurs de cocaïne, 95 %d'héroïne et 96 % d'ecstasy).

S'agissant de polyconsommation, si l'usagerépété d'alcool, tabac et/ou cannabis est relativementfréquent 23 (* ) (15 % des 18-44 ans), l'usage répété deplusieurs drogues illicites hors cannabis est circonscrit à unetrès faible population de toxicomanes particulièrementstigmatisés. Mais c'est parmi les consommateurs de cannabis que l'ontrouve la plus grande proportion d'expérimentateurs de substancesillicites.

A la fin de l'adolescence, près de 80 % des jeunesont expérimenté plusieurs substances psychoactives, mais ils'agit la plupart du temps d'alcool, de tabac et/ou de cannabis. Cependant,comme chez les adultes, il existe un petit groupe d'expérimentateursd'un relativement grand nombre de substances illicites, le cannabisapparaissant encore comme la substance qu'ils ont presque tousessayée.

S'agissant de polyconsommation chez les jeunes, l'usagerépété d'alcool, tabac et/ou cannabis est trèsrépandu (15 % des filles et 28 % des garçons de18 ans), notamment par l'association de l'usage de cannabis àl'usage de l'une au moins des deux autres substances (6,8 % desgarçons de 18 ans consomment de façonrépétée du cannabis avec de l'alcool et du tabac,15,8 % du cannabis avec du tabac, mais 1 % seulement du cannabis etde l'alcool).

La polyconsommation, notamment de drogues illicites,est un phénomène particulièrement développédans les lieux festifs et parmi les consommateurs abusifs oudépendants . Elle a généralement pour objet demodifier, par un usage concomitant ou différé, les effetsd'autres substances déjà consommées, en vue soit de lesamplifier quantitativement et « qualitativement » (cannabispour l'héroïne, cocaïne pour l'ecstasy), soit de leséquilibrer en les corrigeant mutuellement (cocaïne pour l'alcool,ecstasy pour le LSD), soit de les réduire afin notamment decontrôler les effets négatifs apparaissant dans la phase de« descente » (cannabis pour le crack, héroïnepour l'ecstasy).

Les conséquences sanitaires et sociales de lapolyconsommation sont particulièrement alarmantes : plus de lamoitié des usagers de drogues ayant recours au système de soinssont des polytoxicomanes. Les opiacés sont surreprésentésdans ces polyconsommations « àproblème » ; ils sont associés à l'alcool,au cannabis, aux médicaments psychotropes et à lacocaïne.

On constate par ailleurs une polyconsommationinvolontaire, notamment en ce qui concerne les drogues de synthèse, dontles composants sont souvent inconnus des consommateurs, et peuvent contenirplusieurs substances psychoactives dont les interactions peuvent êtrepotentiellement très dangereuses . On estime ainsi que seulementdeux tiers des pilules d'ecstasy ne contiennent que le produitdésiré (la MDMA généralement), dont le dosage estd'ailleurs fort variable (de 1 à 30). Le dernier tiers contient dessubstances très diverses : médicaments, le plussouvent ; produits inoffensifs ne servant qu'à donner du poids(lactose, bicarbonate, amidon), mais aussi lessive, kétamine(anesthésiant pour animaux), voire poisons comme la strychnine ou lamort-aux-rats...

M. Renaud Trouvé a résumé devant lacommission le phénomène de polyconsommation en expliquant que« les gens ne consomment plus une substance ou ne passent plusdans cette fameuse gradation décrite à une époque quicommençait par le cannabis et qui se terminait àl'héroïne (...). A l'heure actuelle, on peut entrer en toxicomanie(...) par n'importe quelle porte, sachant que c'est une questiond'opportunité. On peut constater que la plupart des jeunes ou destoxicomanes consomment souvent plusieurs produits associés ou defaçon séquentielle, (ce qui) pose des problèmes de fond etde toxicologie obscurs pour le moment ».

(4) Une recherche de la performance à travers l'usagede drogues

Ce phénomène prend une ampleur grandissante. Dessubstances illicites en soi, ou bien licites mais détournées deleur usage normal ou acquises selon des moyens illicites, sont utiliséesdésormais, ni pour le plaisir immédiat, ni pour l'oubli duréel qu'elles procurent, mais parce qu'elles permettent d'augmentersensiblement ses capacités, notamment intellectuelles ouprofessionnelles. La frontière entre médicaments, drogue etproduit dopant tend à se brouiller, comme celle entre licite etillicite.

Il s'inscrit dans un phénomènesocioéconomique plus large de « course à laperformance » et de croissance exponentielle des rendements attendusqu'a analysé le sociologue Alain Ehrenberg devant la commission :« Les exigences d'action et de décision se sont largementaccrues pour toutes les couches sociales. (...) aujourd'hui, pour trouver unemploi, même précaire, il faut faire preuve de motivation, decapacités de présentation de soi, avoir des projets, etc . Or, drogues illicites et médicaments psychotropes sont souventutilisés pour se désinhiber et être finalement à lahauteur du culte de la performance, qui est exigée aujourd'hui pourrester dans la socialité. (...). La réalité quotidienne dela dépression est nouée à ces normes qui poussent audépassement de soi, pour le meilleur et pour le pire, sur lemodèle de la compétition sportive. C'est à ce sentimentd'insuffisance, de ne pas être à la hauteur, que répondentbien souvent, pour les gens, médicaments et psychotropes. C'est pourquoile mot « dopage » est sociologiquement un mot cléd'aujourd'hui ».

Le problème se pose naturellement d'abord dansle cadre professionnel. L'usage de produits, licites ou illicites, en vued'augmenter ses performances tend à y augmenter considérablement,posant la question de l'usage de drogues sur le lieu de travail . Ledocteur Michel Hautefeuille range ainsi parmi les nouvelles formes d'addictionles « dopés du quotidien », salariésayant des responsabilités professionnelles et recourant àcertains produits stupéfiants afin de gérer leur stress oud'améliorer leurs performances.

Le scénario est souvent identique :l'intéressé, bien inséré socialement etprofessionnellement, commence par utiliser des médicaments psychotropespour « assurer » professionnellement, puis« dérape » lorsque ceux-ci deviennent insuffisant enayant recours à des drogues illicites qu'il se met à consommer endehors des périodes de travail.

(5) Un rôle croissant des nouvelles technologies

Les liens entre drogues et nouvelles technologies concernentà la fois l'usage et le trafic. « Les progrès de latéléphonie mobile et la disposition du réseau internetfacilitent grandement les activités de trafic des organisationsspécialisées et les rendent, par certains aspects, moinsvulnérables aux attaques de la police, de la douane, de la gendarmerieet de la justice » a indiqué M. Bernard Petit, chefde l'OCRTIS, devant la commission.

S'agissant de la consommation, le réseauélectronique peut d'abord être utilisé pour se fournirdirectement : toute la gamme des produits stupéfiants est en effetproposée sur des centaines, voire des milliers de sites à traversle monde échappant par principe à tout contrôlenational . Ces sites offrent aux consommateurs non seulement la« panoplie » des drogues illicites classiques, maiségalement, cela a été évoqué, des drogues« exotiques », ou encore des drogues de synthèsetelles que le gamma hydroxyde butyrate (GHB), encore appelé« drogue des violeurs ». « Vous avez80 sites sur la drogue des violeurs sur internet (sur lesquels) on vousexplique comment l'utiliser pour soumettre votre victime et aboutir au faitcriminel qu'est le viol » a indiqué un expert enpharmacie et toxicologie devant la commission.

Internet peut également être utilisé pourobtenir des renseignements sur les méthodes de mise au point decertaines drogues, qu'elles soient naturelles ou chimiques. M. BernardLeroy indique avoir listé 800 sites de ce type. M. JacquesFranquet, premier vice-président de l'OICS, a reconnu devant lacommission qu'on trouvait aujourd'hui sur internet « tous lesmodes de culture du cannabis, toutes les recettes possibles pour fabriquer del'ecstasy ».

* 15 Lacommission a pu mesurer, lors de son déplacement à Saint-Martin,les ravages de cette drogue dans les ruelles les plus sordides du quartier dughetto à Marigot, qui est squatté par les crackés.

* 16 Cessubstances et procédés dont l'usage est interdit ou restreintsont fixés par un arrêté ministériel du 2février 2000 reprenant la liste établie par le Comiténational olympique (CIO).

* 17 Lacommission a constaté, lors de son déplacement aux Pays-Bas, queces comprimés fabriqués dans des « kitchenlabs » rudimentaires empruntaient aussi des logos de grandes firmesautomobiles ou de vêtements de luxe.

* 18 OEDT,Objectif drogues, L'usage récréatif de drogues : undéfi majeur pour l'Union européenne, novembre-décembre2002.

* 19 Lacommission d'enquête a pu le constater lors de son déplacement auxPays-Bas en visitant un « kitchen lab » reconstituéde l'Unité des drogues synthétiques à l'est d'Eindhoven,à condition de disposer des précurseursnécessaires.

* 20 Enquête Espad (1999) réalisée auprès de 12 000élèves du second degré de 14 à 19 ans.

* 21 Sondaged'opinion réalisé à la demande de la Directiongénérale Justice et affaires intérieures de la Commissioneuropéenne par The european opinion research group (EORG) dansl'ensemble des pays européens entre le 27 avril et le 10 juin2002.

* 22 Au sensretenu par l'OFDT et l'OEDT, un tel usage se définit comme laconsommation de cannabis ou d'ecstasy plus de dix fois par mois, ou de droguesdures (héroïne ou cocaïne).

* 23 Défini comme le cumul des consommations répétéesd'alcool (plus de dix fois par mois), de tabac (au moins une cigarette par jourau cours des trente derniers jours) et le cannabis (plus de dix consommationsau cours de l'année).

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