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Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°44 (octobre-décembre 1996)
L'accueil des réfugiés civils espagnols
de 1936 à 1940 ;
Un exemple : la région Centre
1. Parmi lesquels le Cher, l'Indre, l'Indre-et-Loire, le Loir-et-Cher et le Loiret. L'Eure-et-Loir étant dans les 14 départements de « 2e urgence ». Jeanine Sodiné Loustau, L'Immigration politique espagnole en région Centre (Cher, Eure-et-Loir, Indre, Loir-et-Cher, Loiret) de 1936 à 1946, thèse sous la dir. de Mme Bachoud, Paris VII, 1995, 925 pp.
2. L'Indre-et-Loire sera exclu en 1938 et 1939 des départements d'accueil.
3. En 1935, la SDN ayant refusé de les prendre en subsistance, le gouvernement Laval ordonne la fermeture des centres et les Sarrois sont mis en demeure de pourvoir à leurs besoins.
Conflit interne, la guerre civile espagnole qui éclate en juillet 1936 provoque, dès août 1936, un déplacement de population qui en février 1939 va atteindre une ampleur jamais égalée à l'époque contemporaine, et n'entre pas dans les schémas classiques de l'immigration ou des demandes d'asile.
Devant les vagues successives les gouvernements élaborent une politique à court terme, allant au gré des circonstances d'une surveillance étroite à la mise au travail, de la liberté d'opter pour un rapatriement au renvoi des « inaptes et inutiles ». De Léon Blum à Paul Reynaud, deux principes régissent la politique : réduire les frais au minimum et assurer l'ordre public. Au fil des mois, la conception du droit d'asile devient de plus en plus étroite. En 1936, aux préoccupations prioritaires du maintien de l'ordre et de la protection sanitaire des Français, qui prévalent jusque-là dans l'accueil des étrangers, se superpose celle d'assurer un hébergement temporaire loin de la frontière et de réduire au minimum les frais de transport : soit 44 départements entre Loire et Garonne. En 1937, le gouvernement Léon Blum édicté une série de mesures devant régir l'accueil des populations évacuées de la zone Nord. Toutefois, elles ne sont le reflet que d'une préoccupation à court terme et ne règlent pas les problèmes locaux comme en témoignent les échanges de correspondance entre les préfets des 31 départements dits de « première urgence1 ». Leurs interrogations quant aux modalités d'hébergement et de financement soulignent l'absence d'une politique d'accueil cohérente ; tout ne devait être que provisoire et il leur faudra gérer un provisoire qui perdurera au-delà de 1937 En 1939, il se prolongera au-delà de la fin de la guerre civile pour ne s'achever qu'en juin 1940 devant l'invasion allemande qui met un terme à l'hébergement dans les centres de civils à la charge de l'État.
Les mouvements vers la région Centre2, se déroulent en quatre
vagues et correspondent aux phases principales de la guerre : modérés en 1936 et 1938 (1 143 et 444 personnes), ils se caractérisent en 1937 et surtout en 1939, par leur soudaineté, leur ampleur (5 564 et 13 112) et leur composition. Ils ont effectivement comme caractéristique commune d'être dans leur très grande majorité ceux de femmes, d'enfants, de vieillards et d'invalides, démunis de ressources, soit a priori une population apolitique qu'en 1939 on ne souhaite pas garder au-delà de la fin du conflit.
Les modalités d'hébergement
Les modalités d'hébergement varient de 1936 à 1939 au sein d'un même département, allant de l'ato- misation à la concentration et vice versa. Les arrivées inopinées de 1936 provoquent peu de problèmes d'ordre organisationnel qui ne puissent être résolus, même à Orléans où la municipalité attend encore le remboursement d'une créance (avance consentie pour l'hébergement en 1934 de 235 Espagnols venus chercher refuge après les mouvements révolutionnaires astu- riens et catalans). Cité « taudis » Biray à Châteauroux, écoles, établissements de cure et hospices, hébergent ces premiers venus. Toutefois, déjà se profilent des difficultés si le séjour vient à se prolonger, si d'autres arrivées surviennent. Les problèmes débutent en 1937 avec la crainte de devoir obérer les finances locales, l'absence de locaux publics ou privés habitables, et la très discrète coopération de l'armée et des administrations civiles. Le principe de l'hébergement collectif dans des camps à charge de l'État est écarté, le gouvernement ne voulant pas renouveler l'expérience sarroise3. Les conditions de débarquement et d'évacuation des ports de l'Atlantique désorganisent les plans hâtivement dressés par les préfets mis ainsi dans l'obligation de procéder à des regroupements : camps de remonte, camp militaire
désaffecté, ancienne prison, abritent les civils en Eure-et-Loir, Indre et Loir- et-Cher, tandis que 60 communes du Cher et 41 du Loiret doivent faire appel à leurs maigres ressources locales : hospices, maisons inhabitées, logements vacants d'instituteurs. En 1938, les anciens haras de Châteaufer, aux aménagements « rudimentales », puis l'abbaye de Noirlac, regroupent les 162 réfugiés du Cher, tandis que l'ex-caseme Jardon d'Issoudun reçoit dans l'Indre les 383 nouveaux venus.
Les problèmes propres à l'accueil immédiat, à l'hébergement, à la surveillance sanitaire, sont multipliés en 1939 où plus de 13 000 personnes arrivent entre le 29 janvier et le 8 février. Malgré, depuis 1936, les avertissements des diplomates, rien n'est prévu pour accueillir des réfugiés. Les pouvoirs publics ne s'écartent pas des priorités affichées jusque-là, à savoir, surveiller, inciter au rapatriement ou à la réémigration. La méconnaissance des flux tant sur le plan numérique que sur le plan sanitaire, ainsi que leur cadence, pèsent dans le processus d'accueil. Sans déroger aux instructions ministérielles — élaborées dans (mais aussi à cause de) un climat d'hostilité à l'allogène et de tensions internationales — , les procédures d'accueil vont être appliquées avec plus ou moins de rigueur.
En l'absence d'un organisme politique de coordination, l'arrivée massive, par des températures inclémentes, de femmes, d'enfants et de vieillards physiquement affaiblis et de ce fait réceptifs à la maladie, démunis de ressources, posent de graves problèmes. Prévenus à la dernière extrémité, préfets et municipalités, avec le secours des populations parent au plus pressé : abriter autant que faire se peut du froid et de l'humidité, soigner et nourrir sans s'écarter des instructions données et réitérées par leur ministre de tutelle et plus tardivement par son homologue de la Santé, et sans s'écarter des limites fixées par un budget parcimonieusement calculé.






















