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Cinq ans jour pour jour après avoir pris ses fonctions de secrétaire général du parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), le 11 mars 1990, au cours d'une séance plenière du comité central, Mikhaïl Sergeevitch Gorbatchev discuta de l'abandon du rôle dirigeant du parti, garanti par la constitution. Quelques jours auparavant la loi sur la propriété privée des moyens de production - en langage soviétique "propriété des citoyens de l'URSS ' - avait été approuvée par le soviet suprême. Avec ces deux mesures, deux piliers du léninisme tombaient. Vingt- quatre heures après l'adoption de la loi sur la propriété, la commission idéologique du comité central publia ses thèses pour le 120e anniversaire de la naissance de Lénine, le 22 avril 1990. On y constate que le fondateur de l'Etat soviétique était convaincu de ce que le nouveau système social ne pouvait pas être basé sur la "contrainte", sur le non-respect de la "diversité des intérêts sociaux et nationaux", sur "des interdictions et sur l'égalitarisme de caserne ". Lénine, lit-on dans ces thèses, fut tout au contraire un partisan du socialisme conçu comme "le régime des coopérateurs civilisés". Il n'a pas conçu un socialisme sans principe démocratique, sans responsabilité civique, sans discipline et sans "la stricte autorité de la loi "; de plus, il a mis en garde contre le danger de la bureaucratie (1). Comme n'importe quel lecteur soviétique pouvait le constater, Lénine était "gorbat- chevien", et ce ne fut donc une surprise pour personne que Gorbatchev lui-même soit chargé par le bureau politique de prononcer le discours principal à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Lénine.
Le jour même où, en mars 1990, le congrès des députés du peuple approuva l'institutionnalisation d'une nouvelle présidence forte et abolit le rôle dirigeant du parti, l'historien et député réformateur Iouri Afanassiev, parlant au nom du Groupe interrégional, critiqua Lénine pour avoir "élevé la violence, la terreur de masse en principe d'Etat". Dans son intervention retransmise par toutes les stations de la télévision soviétique, il alla plus loin : "De plus, no-
*Phrase extraite d'un discours aux délégués de l'organisation du parti de Perm, le 16 décembre 1988, cité par Le Monde du 20 décembre 1988 et par Peter Reddaway dans The New York Review of Books du 17 août 1989, p.19. Il est significatif que la version de ce discours publiée dans le livre de A-N. Jakovîev, Realizm - zemlja perestrojki (Moscou, 1990, pp.383-395) ne contienne pas cet extrait.
NB-Les noms propres russes figurant dans le texte sont transcrits selon les règles phonétiques françaises alors que, dans les références bibliographiques signalées en note, ils sont indiqués dans la forme qu'ils portent sur le document cité ; les caractères cyrilliques sont transcrits selon les règles internationales.
1-K 120-letiju so dnja rozdenija V.l. Lenina, Izvestija, 7 mars 1990.
Nous n'avons probablement pas plus de deux à trois ans pour prouver que le socialisme tel qu'il a été formulé par Lénine peut fonctionner. " Alexandre N.lakovlev, décembre 1988*
tre chef et fondateur Lénine éleva l'illégalité en principe politique de l'Etat" (2).
L'année précédente déjà, le jour du 119e anniversaire de la naissance de Lénine, Marc Zakha- rov, directeur renommé du théâtre moscovite des "Jeunes de la ligue de Lénine" (Komsomol), avait plaidé dans une des émissions les plus populaires de la télévision, "Vzgljad" ("Regard"), pour qu'on en finît une fois pour toutes avec le "culte païen" du leader : le corps de Lénine devait être transféré hors du mausolée et enterré "normalement" ; le mausolée devait être transformé en panthéon de l'histoire russe. Plus tard, au mois de juin 1989, lors d'une séance du congrès des députés du peuple retransmise dans le pays entier par la télévision nationale, le philosophe et député Iouri Kariakine demanda que les "reliques" de Lénine soient enlevées du mausolée, qu'il soit traité comme un être "humain", que soit respecté son dernier souhait d'être enterré simplement aux côtés de sa mère, au cimetière Vol- kov à Leningrad. "Le mausolée, s'écria Karjakine, n'est pas celui de Lénine; aujourd'hui, comme avant, il reste le mausolée de Staline" (3). Si l'intervention de Zakharov avait eu pour résultat le licenciement du président de la télévision soviétique, le discours de Kariakine amena Gorbatchev à se rendre au mausolée avec une délégation de députés du peuple.
Alors qu'en Europe centrale et orientale les premières statues de Lénine commençaient à tomber, en Union soviétique les réactions les plus courageuses s'exprimaient encore par des lettres de lecteurs publiées dans des journaux radicaux comme Ogonek, demandant que l'argent prévu pour l'érection de nouvelles statues de Lénine soit plutôt consacré aux personnes âgées ou sans ressources. Mais au printemps dernier, la construction à Vladivostok d'une statue démesurée de Lénine (haute de 33 mètres, elle devait dominer tout le port et coûter 15 millions de roubles) fut abandonnée en plein milieu des travaux. C'est donc un phénomène récent en URSS et désormais il ne se passe pas de semaine sans que l'on apprenne qu'une statue du fondateur de l'Etat soviétique a été déboulonnée, notamment en Géorgie et en Azerbaïdjan où débuta ce "vandalisme", puis tout dernièrement en Ukraine. Au printemps
2-Izvestija, 14 mars 1990, p.2. Pour une critique encore plus acerbe de Lénine par Afanas'ev, voir son interview dans Der Spiegel, 14, 1990, pp.202-210.
3-Izvestija, 4 juin 1989, p.6.






















