L'EUROPE PROTESTANTE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES
I. De la Révocation comme génocide
La Révocation de l'Édit de Nantes, en 1685, impose à l'histoire de la France la souillure d'un authentique génocide. Génocide culturel, par la suppression radicale d'une des composantes maî¬ tresses de la spiritualité nationale depuis le 16e siècle. Mais aussi génocide au sens le plus cruellement matériel du terme, extermina¬ tion par la soldatesque, par le fer et par le feu, par la répression systématique, d'une communauté nombreuse et prospère, à qui le droit à l'existence est dénié de la manière la plus brutale. Des régions entières, l'Aunis, la Saintonge, le Poitou, les Cévennes, ont été rava¬ gées, les grandes villes privées d'une partie essentielle de leurs for¬ ces vives, des populations considérables, dépouillées de leurs biens, se sont trouvées acculées à la révolte ou à l'exil, ou encore à un asservissement spirituel pire que l'esclavage matériel. La terreur se prolonge des dizaines d'années, prisons et bagnes, la chiourme pour les hommes, le cachot pour les femmes, la potence pour les prédi-cants ; les enfants, enlevés aux parents, sont soumis à un impitoyable lavage de cerveau dans les institutions catholiques créées à cet effet.
Pendant un siècle, de la Révocation de 1685 à l'Edit de tolérance de 1787, les protestants demeurés envers et contre tout sur le terri¬ toire national ont dû subsister sous un régime d'inexistence juridique, privés de tout droit civil à la vie et à la mort, résistants et clandestins obligés de recourir à toutes sortes de subterfuges et camouflages pour préserver une sécurité en marge de la légalité. Comparé à la Révocation, le massacre de la Saint-Barthelémy (1572) n'est qu'un crime imparfait, sursaut passionnel et meurtrier, mais limité dans le temps et dans l'espace. La Révocation n'est pas un pogrom, suscité par la passion d'un moment. C'est une entreprise longuement préparée, calculée de sang-froid par un pouvoir absolu dont l'action se développe au long des années avec une impitoya¬ ble rigueur.
Crime parfait. Le génocide a été mené à bien avec tant d'énergie persévérante que la chrétienté réformée a été effacée de la réalité française. Le souvenir et le ressentiment du crime ont été abolis
DIX-HUITIÈME SIÈCLE, 17 (1985)
