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The Project Gutenberg eBook ofThéâtre de Hrotsvitha

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Title: Théâtre de Hrotsvitha

Author: Hrotsvitha

Translator: Charles Magnin

Release date: February 2, 2015 [eBook #48135]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Bibimbop, The Internet
Archive/Canadian Libraries and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
produced from scanned images of public domain material
from the Google Print project.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK THÉÂTRE DE HROTSVITHA ***

— Note de transcription —

Les erreurs clairement introduites par le typographe ont étécorrigées. Il y a unenote plus détailléeà la fin de ce livre.

L’original se présente avec le latin sur les pages de gauche, et latraduction en français à droite. Pour des raisons de place, il n’a pasété possible de garder cette présentation. Toutefois pour chaquedialogue, cliquer sur le symbole → renverra à l’autre version.

La Table des matières se trouveici.

THÉATRE
DE
HROTSVITHA
RELIGIEUSE ALLEMANDE
DU Xème SIÈCLE

TRADUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS AVEC LE TEXTE LATINREVU SUR LE MANUSCRIT DE MUNICH

PRÉCÉDÉ
D’une introduction et suivi de notes

PAR
Charles MAGNIN
Membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

A PARIS

CHEZ BENJAMIN DUPRAT
LIBRAIRE DE L’INSTITUT ET DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Rue du Cloître-Saint-Benoit, 77


1845

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR.

CAUSERIESET MÉDITATIONS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES. 2 vol. in-8o.

LES ORIGINES DU THÉATRE MODERNE, t. Ier, Introductioncomplète. 1 vol. in-8o.


DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS. (Présentationdes pièces, comités de lecture, censure dramatique),Revuedes Deux-Mondes, no du 1er septembre 1839; (Distributions des rôles,directeur de troupes, acteurs), no du 14 avril 1840; (Affiches, annonces,billets d’entrée), no du 1er novembre 1840.

LA COMÉDIE AU IVe SIÈCLE;QUEROLUS.Revue des Deux-Mondes,no du 15 juin 1835.

FRAGMENTS INÉDITS D’UN COMIQUE DU VIIe SIÈCLE.Bibliothèque de l’École des Chartes, t. Ier.

THÉATRE
DE
HROTSVITHA

DE L’IMPRIMERIE DE CRAPELET
RUE DE VAUGIRARD, No 9

THÉATRE
DE
HROTSVITHA
RELIGIEUSE ALLEMANDE
DU XE SIÈCLE

TRADUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS
AVEC LE TEXTE LATIN REVU SUR LE MANUSCRIT DE MUNICH

PRÉCÉDÉ
D’UNE INTRODUCTION ET SUIVI DE NOTES

PAR
CHARLES MAGNIN
MEMBRE DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

A PARIS
CHEZ BENJAMIN DUPRAT
LIBRAIRE DE L’INSTITUT ET DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
RUE DE CLOÎTRE SAINT-BENOÎT, No 7


1845

Εἰ Σαπφὼ δεκάτη Μουσάων ἐστὶν ἀδόντων,
Ῥοσβὶθ' ἑνδεκάτη Μοῦσα καταγράφεται.

Vilibaldus Birkhammer.

Rara avis in Saxonia visa est.

Henricus Bodo.

HROTSVITHA,
SON TEMPS, SA VIE ET SES OUVRAGES.


I.

Un recueil de drames portant la date duXe siècle et signé, comme celui-ci, d’un nomde femme, et, qui plus est, de religieuse,est un phénomène des plus remarquableset qui intéresse à la fois les mœurs, les lettreset la discipline de l’Église. Toutefois celivre, quelque singulier qu’il paraisse, n’estpoint une œuvre exceptionnelle, sans antécédentset sans analogues. Le théâtre de Hrotsvithaconfirme, au contraire, tout un ensemblede faits récemment étudiés et mis en lumière.[ii]

On avait cru jusqu’ici trop légèrementqu’entre leVIe et leXIIe siècle de notre èretoute représentation scénique avait été abolie,et qu’il fallait désespérer de rien trouverde ce genre en Europe, pendant toute la duréedu moyen âge. Dans une série de leçons présentées,il y a dix ans, à la Faculté des lettresde Paris, j’ai essayé d’établir la vérité contraire,en produisant un grand nombre detextes et de monuments jusque-là négligés ouinconnus. Chaque siècle ainsi patiemment interrogéest venu déposer de l’incessante activitédu génie scénique. La période féodaleelle-même, cet âge de concentration religieuseet de morcellement social, durant lequel ilsemble qu’il ne pût exister pour le drame nipoëte, ni scène, ni spectateurs, nous a fournile plus inattendu et le plus riche contingentthéâtral. C’est en pleine féodalité, au milieude la moins lettrée des époques obscures,dans leXe siècle, en un mot, à qui l’on refusegénéralement toute science, toute poésie,tout sentiment du beau, toute délicatesse depensée ou de langage, que s’est montré à nousle monument le plus considérable et le moinsimparfait de ce théâtre intermédiaire, dont on[iii]avait jusqu’ici méconnu l’existence, parcequ’on s’obstinait à le chercher par habitudedans des lieux et sous des formes qui depuislongtemps n’existaient plus.

Éclairé par l’étude des origines de la tragédiegrecque, que nous avons vue sortirdemi-lyrique des hiérons de Bacchus et des processionsdionysiaques[1], nous avons penséque duVIe auXIIe siècle le drame chrétiendevait se montrer dans les parvis ou sous lesarceaux mêmes de nos plus anciennes cathédrales.En effet, depuis la chute du polythéisme,et surtout depuis l’établissement desconquérants barbares dans les provinces romaines,les théâtres antiques avaient cessépeu à peu de recevoir la foule déshabituéedes spectacles sanglants ou obscènes qui charmaientla corruption payenne. La plupart deces édifices avaient été successivement transformésen citadelles contre les invasions desGoths, des Francs, des Sarrasins et des Normands.Plus tard, avec les pierres tirées deleurs ruines, la société chrétienne et barbareéleva les seules constructions dont elle eût[iv]besoin, à savoir, des donjons sur la crête descollines, pour l’aristocratie militaire; dans laplaine et dans les villes, des cathédrales etdes abbayes pour l’aristocratie intellectuelleet cléricale. A la place des cirques et des amphithéâtres,qui avaient autrefois réuni d’immensespopulations dans une même idéecomme dans une même enceinte, on vit s’éleverles églises aux larges nefs, véritables lieuxd’assemblée, ainsi que leur nom l’indique,qui recevaient, aux jours solennels, et réunissaient,sans les confondre, les fidèles detous les états, les barons et les clercs, leshommes d’armes et les artisans, les manantsdes cités et les serfs de la glèbe, et présentaientainsi, malgré la séparation profonde detoutes les classes, la chose dont le drame abesoin par-dessus toute autre, je veux dire,un grand auditoire prêt à s’unir dans unepensée sympathique et à palpiter sous uneémotion commune.

[1] VoyezLes origines du théâtre moderne; t. Ier, Introduction.

Il en fut de même et mieux encore dansl’enceinte des monastères, ces asiles privilégiés,qui s’ouvraient pourtant à toutes les conditions,et, à de certains jours, conviaient lesséculiers à leurs fêtes. A l’abri de ces sanctuaires[v]de la science, de la piété et des beaux-arts,le drame au moyen âge put se développerplus hardi, plus poétique, plus affranchide l’inflexibilité des rites. Que l’on compareles pièces de Hrotsvitha aux drames si sévèrementliturgiques qui, à cette époque et mêmeun peu plus tard, étaient offerts par le clergéà la dévotion populaire; que l’on rapproche,par exemple,Gallicanus ouCallimaque, cesœuvres presque laïques et à demi mondaines,du rigide et court Mystèredes Vierges sageset des Vierges folles, espèce deséquence dialoguéequ’a publiée M. Raynouard[2], etqu’on nous dise si ce dernier morceau n’a pas,dans sa concision toute hiératique, un caractèrede roideur ou, si l’on veut, de gravitésacerdotale, qui le distingue, de la manière laplus tranchée, des six drames que nous publions.Dans ceux-ci, on sent, à chaquescène, un auteur non-seulement nourri del’Écriture, des Pères et des agiographes,mais familier avec les vers de Plaute et deTérence, d’Horace et de Virgile; on sentun auteur qui écrit non pour être psalmodié[vi]du haut d’un jubé, mais pour être joué avecapparat dans la grande salle d’un noble Chapitre.En effet, nous savons, à n’en pasdouter, que c’est dans une illustre abbayesaxonne que furent représentés les drames deHrotsvitha, probablement en présence del’évêque diocésain[3] et de son clergé, devantplusieurs nobles dames de la maison ducalede Saxe et quelques hauts dignitaires de la courimpériale, sans compter, au fond de l’auditoire,la foule émerveillée des manants duvoisinage et (qui sait même?) plus loin, surles marches du grand escalier, quelquesserfs ou gens mainmortables de la riche etpuissante abbaye[4].

[2] Voy.Choix de poésies des troubadours, t. II, p. 139–143.
[3] L’abbaye de Gandersheim était placée sous la juridiction del’évêque d’Hildesheim.
[4] Pour les serfs de Gandersheim (mancipii utriusque sexus),voyez une charte de 973 donnée à cette abbaye par Othon Ier,et publiée par Leibnitz (Scriptor. rer. Brunsv., t. II, p. 375).

C’est une chose étrange à dire, et pourtantaussi vraie que singulière: l’abbaye de Gandersheimest auXe siècle, comme la royalemaison de Saint-Cyr auXVIIe, un sujet obligéd’étude pour tout historien sérieux du théâtre.Ce célèbre monastère a été pour l’Allemagne[vii]une sorte d’oasis intellectuelle, jetéeau milieu des steppes de la barbarie. Là fleurirentmieux qu’en aucun autre endroit dunord de l’Europe, la piété, les arts, la civilisationet la poésie. Cette sainte demeure,recommandable à tant de titres, a un droitparticulier à la vénération des amis des lettres.Je n’hésite pas, quant à moi, à la saluer, sinoncomme le plus ancien, du moins commeun des plus glorieux berceaux de l’art desLope de Vega, des Calderon et des Corneille.

II.

L’abbaye de Gandersheim ou de Gandesheim,de l’ordre de saint Benoît, a été fondéeou plutôt restaurée en 852[5], par un des[viii]arrière-petits-neveux de Witikind, Ludolfe,d’abord comte, puis duc de Saxe, lequel entrepritcette œuvre pieuse à la prière de sa femmeOda, princesse de race franque[6]. Le premiersiége de ce monastère fut à Brunshusen,ou Brunshausen; mais, dès 856, l’emplacementayant paru insuffisant, Ludolfe résolutde transférer cette sainte maison, à laquelleil avait confié cinq de ses filles[7], sur lesbords d’une rivière voisine, nomméeGanda,au milieu de bruyères et de forêts, devenuespeu à peu la ville de Gandersheim. Ludolfe,mort en 859[8], ne put achever cette entreprise,qui ne reçut son entière exécutionqu’en 881, par les soins et les libéralités de[ix]sa veuve. Celle-ci, âgée alors de soixante-troisans, se retira dans cet asile, et y vécut,après la mort de presque tous les siens,jusqu’à l’âge de cent sept ans. Ce monastèrene compte guère dans la liste de ses abbessesque des princesses du sang impérial ou ducal.Les trois premières, Hathumoda, Gerbergeet Christine, étaient toutes trois fillesdes fondateurs, et administrèrent l’illustreabbaye du vivant et d’après les conseils deleur mère. Il y a, si je ne me trompe, unrapport frappant, et qui n’est peut-être pasfortuit, entre cette vénérable centenaire, quivit disparaître presque tous les siens et ensevelitde ses mains affaiblies quatre de ses fillesmortes au service du Christ, et un des dramesque l’on va lire. Je veux parler de ladernière pièce du recueil, intituléeSapience,où nous voyons une mère, courbée par lesans, creuser la tombe de ses trois filles, mortespour la gloire de Jésus-Christ, et exhalerensuite pieusement son âme dans une ferventeprière.

[5] Voy.Annal. Quedlinburg., ap. Pertz.,Monumenta Germaniæ,t. V, p. 46.—A toutes les autorités originales que j’allègue pourl’histoire du monastère de Gandersheim et de ses abbesses, il fautajouter le livre de J. Chr. Harenberg, intituléHistoria ecclesiæGandersheim. diplomatica, Hannoveræ, 1734, qui les résume et lesdiscute, malheureusement avec plus de prolixité que de jugement etde critique. Cet ouvrage de 1758 pages in-folio est destiné à formerle supplément desScriptores rer. Brunsv. de Leibnitz.
[6] Voy. AgiiVit. Hathum., ap. Pertz.,Monum. German., t. VI,p. 167, et Hrotsvith.Carm. de primord. et construct. cœnob. Gandesheim.,v. 22.
[7] Voy. AgiiDialog., v. 553, ap. Pertz.,ibid., t. VI, p. 186.
[8] Le savant M. Pertz assigne (ibid., t. VI, p. 165 et 311), d’aprèslesAnnal. Xantenses, publiées par lui (ibid., t. II, p. 231),l’année 866 à la mort de Ludolfe, contrairement à plusieurstémoignages réunis par Leuckfeld dans sesAntiquitates Gandesheimenses,p. 20, lesquels fixent la mort du duc à l’année 859.

Lorsqu’en 874 (année funeste, signaléepar la peste et par la famine), la premièreabbesse de Gandersheim, Hathumoda, fut[x]rappelée à Dieu, à l’âge de trente-trois ans,il se passa dans l’intérieur de cette pieusemaison, un spectacle dont le souvenir doit occuperune place notable dans l’histoire littéraire.C’était alors l’usage aux obsèques desabbés et des abbesses, de réciter et souventmême d’improviser, sur leurs tombes, desdialogues funèbres, espèces denénies dramatiques,dont il nous est parvenu plus d’uncurieux exemple. A la mort de Hathumoda,Wichbert, d’abord moine au couvent deCorbie en Saxe, puis religieux dans l’abbayede Lampspring[9], et, enfin, évêque d’Hildesheim,Wichbert qui, en cette qualité,devait bientôt (en 881) faire la dédicace desnouvelles constructions de Gandersheim, etqui paraît avoir été allié par le sang à la maisonde Saxe[10], vint à Brunshusen présideraux funérailles de la jeune abbesse et échangeaavec les religieuses éplorées des gémissementset des consolations pieuses. Nous possédonsencore le dialogue, sorte de drame[xi]funéraire, où Wichbert remplit le principalrôle, sous le nom d’Agius, traduction grecquede son nom théotisque[11].

[9] Voyez Pertz,Monum. German., t. VI, p. 165.
[10] M. Pertz soutient même (ibidem) que Wichbert devait êtrefils de Ludolfe et d’Oda, et par conséquent frère de Hathumoda.Cette assertion est purement conjecturale.
[11] C’est l’opinion d’Eccard, qui a publié le premier ce poëme(Veterum monument. Quaternio, p. 27), opinion que combat BernardPez. Voyez AgiiDialog., inThesaur. anecdot. noviss., t. I, parsIIIe,p.LXXXIII et 311, et Pertz.,Monument. Germ., t. VI, p. 165,seqq.—Ce dialogue et le prologue en prose qui le précède contiennentplusieurs détails intéressants sur le monastère de Gandersheimet sur la famille ducale de Saxe.

Cependant Gerberge succéda à sa sœurHathumoda; mais la vocation de cette princesseeut à soutenir de bien pénibles épreuves.Elle était mariée au comte Bernhard,quand elle prit la résolution de se retirer àGandersheim, sous l’aile de sa sainte mère.Le rude Saxon vint l’y réclamer et menaçaitd’employer la violence. Forcé de partir pourune expédition militaire, il jura qu’à sonretour il saurait bien contraindre sa femme àrentrer dans le manoir commun et à partagerle lit conjugal; mais il fut tué avant la fin dela campagne. Dans cette aventure, racontéeavec complaisance par Hrotsvitha dans un deses ouvrages[12], il est difficile de ne pas reconnaîtrece qui lui a inspiré le choix de sa[xii]première pièce de théâtre. Il est vrai que,bien différent du comte Bernhard, Gallicanusrenonce volontairement à la possessionde sa fiancée; mais il n’en existe pas moinsentre la délicate situation de Constance etcelle de Gerberge, une frappante analogie,qui ne pouvait manquer de doubler, pour leschastes habitantes de Gandersheim, l’intérêtqu’offrait déjà par elle-même l’histoire deConstance et de Gallicanus.

[12]Carmen de primord. et construct. cœnobii Gandesh., v. 320, seqq.

Après vingt-deux ans de fonctions abbatiales,l’an 896, Gerberge alla rejoindre Hathumoda[13].Alors Christine, la plus jeune desfilles de la duchesse Oda, alors âgée de cent-unans, lui succéda. Six années après, en903[14], les descendantes directes des fondateursvenant à manquer, une savante religieuse[xiii]du monastère, nommée Hrotsvitha[15],fut élue quatrième abbesse. On a souventconfondu cette première Hrotsvitha avec lasimple nonne du même couvent, qui, soixanteans plus tard, rendit ce nom si célèbre. Suivantles uns, Hrotsvitha l’abbesse sortait dela seconde branche de la famille ducale deSaxe, et était fille du duc Othon l’Illustre,second fils de Ludolfe et père de l’empereurHenri l’Oiseleur[16]. Selon d’autres, Hrotsvithaétait fille d’un roi de Grèce[17]; origineromanesque, et d’autant moins vraisemblable,que les filles allemandes étaient seules[xiv]admises dans le couvent de Gandersheim.Au reste, quelle que fût sa naissance, cettepremière Hrotsvitha était digne par ses talentsde gouverner la noble abbaye. Elle excellaiten plusieurs sciences, notamment dansla logique et la rhétorique. Elle avait mêmecomposé un traité de logique fort estimé,qui ne nous est pas parvenu[18]. Il serait possibleque les Vies en prose de saint Willibaldet de saint Wunibald attribuées par CasimirOudin à l’illustre nonne Hrotsvitha[19], maisqui sont d’une main certainement plus ancienne,comme Oudin l’a reconnu ailleurs[20],fussent l’ouvrage de la première Hrotsvitha.Elle mourut en 906[21], d’autres disent en 926.

[13] Un ancien catalogue abbatial cité par Leuckfeld (Antiquit.Gandesh., p. 213) fait mourir Gerberge l’an 881, ne lui attribuantque sept années de gouvernement. D’autres historiens placent samort à l’an 883 ou 884. La date que j’ai adoptée a pour autoritéHrotsvith.Carm. de Constr. cœn. Gandesh., v. 480, et Thangmar.Vit. Bernw. episc. Hildesh., ap. Pertz.,Monum. German., t. VI, p. 763.
[14] Voy.Chron. episc. Hild. et abb. S. Mich. ap. Leibn.,Script.rer. Brunsv., t. II, p. 786.—M. Pertz assigne la date de 913 aulieu de 903 à la mort de la duchesse Oda, et celle de 919 à lamort de Christine (Carm. de Constr. cœnob. Gandesh. v. 530). Lesauteurs qu’il a suivis (Annal. Quedlinburg.,ibid., t. V, p. 45 etThangmar.Vit. Bernward. episc. Hild.,ibid., t. VI, p. 763) attribuentà Christine vingt-deux ans d’administration, comme à sa sœurGerberge. Christine, suivant moi, mourut en 903, la même annéeque sa mère et ne lui survécut que de sept mois et non sept ans,comme le dit Thangmar.—Leuckfeld (Antiq. Gand., p. 20) fait mourirOda en 898.—Cf. Leuckfeld,ibid., p. 216 et 217, et Gasp.Brusch.Chronolog. monast. German., p. 233, 499.
[15] Son nom se trouve écritRuitsuinda,Rotsuinda,Rothsmuda etde plusieurs autres manières plus ou moins fautives.
[16] Voy.Chronic. episcop. Hildesh. et abbat. S. Mich., ap. Leibn.Script. rer. Brunsv., t. II, p. 786. L’histoire ne donne au ducOthon l’Illustre qu’une fille nommée Adélaïde, morte abbesse deQuedlinbourg. D’autres chroniqueurs attribuent la même extractionà Luitgarde, qui succéda, comme abbesse, à Hrotsvitha.
[17] Selneccer,Pædagogia, part.I, titul.I,de usuris, cité parLeuckfeld,ibid., p. 217.
[18] Meibomius,Vita Roswithæ Panegyrico Oddonum præfixa,interScript. rerum German., t. I, p. 706.
[19]Supplem. de scriptor. ecclesiast. a Bellarmino omissis, ad ann.890.—Ces Vies ont été plusieurs fois imprimées. Voy. Mabillon,Sæcul. III. Sanctor. S. Bened., t. II, p. 176.
[20]Comment. de scriptor. ecclesiast., t. II, p. 508.
[21] Voy.Chron. episc. Hildesh. et abbat. monast. S. Mich. ap.Leibn., t. II, p. 786.—M. Pertz a adopté la date de 927 (Monum.Germ., t. VI, p. 302), d’après lesAnnal. Hild., publiées par lui (ibid.,t. V, p. 54), date que je crois fautive, quoiqu’elle ait des autorités.

Comme l’histoire de ces époques est rarementexempte de légendes superstitieuses,on a raconté que cette savante abbesse eut[xv]le pouvoir d’arracher au démon un pacte oucédule qu’un jeune imprudent avait souscritde son sang[22]. Cette tradition, glorieusepour Gandersheim et pour la mémoire de sonabbesse, me paraît avoir pu engager notreHrotsvitha à traiter deux fois indirectement cesujet fantastique dans ses légendes en vers.

[22] Selneccer,Pædagogia, parsIo, titul. I,de Usuris, ut supra.

L’abbaye de Gandersheim, dont l’abbesseavait le titre deFürstäbtin et siégeait à ladiète, a été sécularisée au commencementde ce siècle. Cependant, sa magnifique église,ainsi que les bâtiments du monastère et leursdépendances, sont encore debout. Il seraitbien désirable que la gravure se hâtât de reproduire,pendant qu’il en est temps, tousles détails de construction et de dispositiontant intérieures qu’extérieures de cette vénérableabbaye, à laquelle se rattachent tant etde si précieux souvenirs. Leuckfeld et Harenbergont joint à leurs volumineux ouvragessur Gandersheim quelques planches (vues,sceaux, cartes, etc.) qui, bien qu’insuffisantes,ne sont pourtant point sans intérêt.—Passonsmaintenant à Hrotsvitha.

[xvi]III.

Nous ne possédons guère sur la vie decette femme illustre d’autres renseignementsque ceux qu’elle nous fournit elle-même dansses ouvrages, et notamment dans ses préfaceset ses épîtres dédicatoires, dont elle est, parbonheur, assez prodigue. Cette merveille del’Allemagne a été pour la plupart de ses biographesune occasion d’erreurs d’autant plusgraves, que ses écrits, source à peu prèsunique où il soit possible de puiser aveccertitude, ont été plus longtemps moins étudiéset moins bien connus.

On ne s’accorde même pas sur son nom;les variantes sont nombreuses. Cependant, enplusieurs endroits du beau manuscrit deMunich, le seul qui nous reste, et qui paraîtde la fin duXe siècle ou du commencement duXIe siècle, c’est-à-dire, à peu près contemporain,elle se nomme elle-mêmeHrotsvith[23].[xvii]Henri Bodo, moine de Cluse, un des plus ancienshistoriens qui l’ait citée, l’appelleHrosvita[24],en élidant let médial. Il n’est donc pasdouteux que tel ait été son nom ou son surnom;je dis surnom, car elle-même traduit, avec unecertaine jactance poétique, cette sonore appellationdeHrotsvitha parclamor validus:«Ego clamor validus Gandesheimensis;»moila voix forte, la voix retentissante de Gandersheim.Tel paraît être, en effet, le sens duvieux motHruodsuind, d’où sont venusHrothsuit etHrotsuitha. Cette interprétationfournie par elle-même, et que confirme JacquesGrimm[25], détruit l’explication plus gracieuse,et moins solide, de J.-Chr. Gottsched,qui avait proposé de traduire le nomde Hrotsvitha parRose blanche[26], et renverse,du même coup, une autre hypothèse,[xviii]encore moins admissible du conseiller MartinFrédéric Seidel[27], qui prétend, d’aprèsKnesebeck (mais sans faire connaître l’ouvrageoù ce paradoxe est consigné), que l’Hinitial de Hrotsvitha n’est pas le signe d’aspirationajouté si fréquemment, au moyen âge,devant certains noms germaniques, tels queHrabanus, Hrodolphus, Hcarolus, mais l’abréviationdeHelena. Sur cette supposition,Seidel a soutenu que le nom de Hrotsvithacachait celui deHelena a Rossow, rattachantainsi notre auteur, à une ancienne famillesaxonne mentionnée dans la chronique d’Enzelt,mais que Gottsched ne croit pas remonter,à beaucoup près, auXe siècle. Cequ’il y a de plus étrange, c’est qu’une aussichimérique conjecture ait été reçue sans difficultédans un grand nombre d’histoires littérairesestimées, notamment dans celles deSaxius[28] et de Wachler[29].

[23] Voy. la notec[92] de la page 8 du présent volume.
[24] Henr. Bodo,Syntagm. de eccles. Gandeshian., ap. Leib., interScriptor. rer. Brunsv., t. III, p. 712.
[25]Lateinische Gedichte des X und XI Jh., 1838, p.IX.
[26] Voy.Nöthiger Vorrath zur Gesch. der deutschen dramatischenDichtkunst, t. II, p. 13.—Les Bollandistes ont accepté, en partie,cette étymologie: «Vixit Rosvitha sive Hroswitha, formato ab equispascendis vel rubro alboque coloribus nomine... (Acta Sanct.,Jun. t. V, p. 205).»—Harenberg en indique encore une autre. Voy.Hist. eccles. Gandersh. diplomatic., p. 589.
[27]Icones et elogia virorum aliquot præstantium, etc., 1670,in-fol.
[28]Onomast. litter., t. II, p. 157.
[29]Handb. der Gesch. d. Litter., nouv. édit., t. II, p. 254.

On s’est trompé d’une manière moins excusablesur le temps où elle a vécu. D’abord,[xix]il faut citer comme un mémorable exempled’infatuation nationale, l’opinion de l’AnglaisLaurent Humphrey, qui jaloux de conquérircette muse à sa patrie, n’a rien trouvéde mieux que de la confondre avec la poëtesseanglaise Hilda Heresvida, qui vécut auVIIe siècle[30]. Il ne servirait de rien à cecritique trop patriote, de prouver, comme ils’efforce en vain d’y parvenir, que Hildavivait auIXe siècle[31], puisque Hrotsvithane vécut pas plus auIXe siècle, comme le ditTrithème[32], qu’auXIIe, comme on pourraitl’induire de l’index scriptorum mediæ et infimæLatinitatis de notre illustre du Cange.

[30] Martin Fréd. Seidel et les autres écrivains qui ont réfuté cetteextravagante prétention de Laurent Humphrey, ont négligé de nousfaire connaître dans quel ouvrage de l’auteur elle est émise.
[31] Voy. pour Hilda, Beda,Histor. ecclesiast., lib.III, cap. 33.
[32] Trithème (Liber de script. ecclesiast., in-4o, 1512, p. 89)fait, ainsi que H. Bodo, Hrotsvitha contemporaine de JohannesAnglicus, «quæ doctrina sua papatum meruit,» c’est-à-dire, contemporainede la prétendue papesse Jeanne; ce qui revient à fairevivre Hrotsvitha vers l’an 854. Trithème a évité cette faute dansdeux autres ouvrages:De viris illustr. German., p. 129, Francf.,etAnnal. Hirsaugiens., t. I, p. 113.

Il résulte, avec la dernière évidence, d’unpoëme de Hrotsvitha (Historia sive panegyrisOddonum), qu’elle écrivait dans[xx]la dernière moitié duXe siècle. Il est plusdifficile de déterminer exactement la date desa naissance et celle de sa mort. Hrotsvithanous apprend elle-même[33] qu’elle vint aumonde longtemps après la mort d’Othon l’Illustre,duc de Saxe, père de Henri l’Oiseleur,arrivée le 30 novembre 912. Ailleurs(préface de ses légendes en vers), elle se ditun peu plus âgée que la fille de Henri, ducde Bavière, Gerberge II, sacrée abbesse deGandersheim l’an 959[34], et née, suivanttoutes les apparences, vers l’an 940[35]. Ilrésulte de ces deux indices combinés, queHrotsvitha a dû naître entre les années 912et 940, et beaucoup plus près de la secondedate que de la première, par conséquent,vers 930 ou 935[36]. La date de sa mort estencore plus incertaine. Un seul point esthors de doute, c’est qu’elle poussa sa carrièrefort au delà de l’an 968, puisque le[xxi]fragment qui nous reste duPanégyrique desOthons comprend les événements de cetteannée[37], et que postérieurement à ce poëme,Hrotsvitha en composa un autre sur la fondationdu monastère de Gandersheim[38]. CasimirOudin dit qu’elle mourut l’an 1001[39];elle aurait eu soixante-sept ans, si nous nenous sommes pas trompés dans nos précédentscalculs. Oudin fonde son opinion surce que Hrotsvitha a célébré les trois premiersOthons. Il est vrai que le premier livre dupoëme, le seul qui subsiste, finit à la mortd’Othon Ier; mais le titre même de l’ouvrage(Panegyris Oddonum), prouve que nousn’en possédons que la première partie. La secondedédicace adressée à Othon, roi desRomains, qui devint bientôt Othon II[40],[xxii]formait probablement le préambule du secondlivre, consacré aux actions de ceprince. Ajoutons qu’on lit dans une chroniquedes évêques d’Hildesheim[41], que Hrotsvithaa célébréles trois Othons. De ce dernierfait, s’il était bien établi, il résulteraitque notre auteur aurait vécu au delà de l’an1002, ce qui n’aurait, d’ailleurs, rien que detrès-vraisemblable.

[33]Carm. de primord. et construct. cœnob. Gandesh., v. 562, seqq.
[34] Voy.Annal. Hildesh., ap. Pertz.,Monum. German.; t. V,p. 92.—Cf. Leuckfeld,Antiq. Gandersh., p. 220.
[35] Le mariage du duc Henri, père de Gerberge II, est de 938.
[36] Cette opinion que j’ai émise dans laRevue des Deux-Mondesdu 15 novembre 1839, se trouve en partie confirmée par M. Pertzdans sesMonument. German., t. VI, p. 302.
[37] Dans la préface qui précède la première partie de ce poëme,Hrotsvitha s’en remet au jugement de l’archevêque de Mayence,Wilhelmus, fils d’Othon Ier, lequel mourut l’an 968.
[38] Il est certain que leCarmen de primordiis et construct. cœnobiiGandesheimensis est postérieur auPanégyrique des Othons, puisqueHrotsvitha y fait allusion à ce dernier poëme. Voyez v. 80 et 81.
[39]Comment. de script ecclesiast., t. II, p. 506.—Hrotsvithaserait morte la même année que l’abbesse Gerberge II. Voy.Annal.Hildesh., ap. Pertz.,Monum. German., t. V, p. 92.
[40] M. Pertz dans le titre de cette dédicace, qualifie ce princed’Othon II, empereur, prématurément, je crois. Voy.Monument.German., t. VI, p. 318.
[41]Chron. episc. Hildesh. et abb. monast. S. Mich., ap. Leibn.,interScriptor. rer. Brunsv., t. II, p. 787 et 788.

La vie de cette femme illustre avant sonentrée à Gandersheim nous est absolumentinconnue. Cependant, elle montre dans sesécrits trop de connaissance du monde et despassions, pour que nous puissions supposerqu’elle leur soit demeurée entièrement étrangère.Quant à sa vie monastique, elle-mêmenous en révèle quelques particularités fortsimples, mais qui sont intéressantes dansleur simplicité. Elle entra au monastère deGandersheim un peu après Gerberge, c’est-à-dire,avant 959, à l’âge d’environ vingt-troisans. Elle y perfectionna son éducation[xxiii]religieuse et littéraire. En effet, dans cettepieuse et docte maison, comme dans presquetoutes celles de l’ordre de saint Benoît, onmêlait à l’étude des Livres Saints la lecturedes chefs-d’œuvres de l’antiquité. Plusieursécrivains assurent que Hrotsvitha était verséedans les lettres grecques[42], ce dont il noussemble permis de douter. Elle parle avecune modestie naïve de ses premiers essaispoétiques. Dans la préface en prose placée àla tête de ses légendes, composées vers l’an960, elle sollicite l’indulgence pour les fautesqu’elle a pu commettre contre la prosodie,et la grammaire, alléguant pour excuse lasolitude du cloître, la faiblesse de son sexeetson âge encore éloigné de la maturité.Elle devait avoir à peu près vingt-cinq ans.«Elle ne s’est proposé, dit-elle, d’autre buten écrivant ses vers, que d’empêcher lefaible génie que lui a départi le ciel de croupir[xxiv]dans son sein et de se rouiller par sa négligence;elle a voulu le forcer à rendre,sous le marteau de la dévotion, un faibleson à la louange de Dieu.» Dans une invocationen vers élégiaques qui précède le premierde ses récits en vers (l’Histoire de lanativité de la Sainte Vierge), elle demandeà la mère de Dieu de lui délier la langue,et rappelle humblement, à cette occasion,l’exemple de l’ânesse de l’Ancien Testament,à laquelle Dieu daigna accorder laparole.

[42] Ces écrivains sont Henr. Bodo (Syntagma de eccles. Gandesh.,ap. Leibn.,Script. rer. Brunsv., t. III, p. 712); Trithème(Liber de script. ecclesiast., p. 89), Gesner (Bibliothec. univers.) et autres.—Cequi m’empêche d’admettre leur opinion, c’est que Hrotsvitha,qui travaille sans cesse sur des agiographes, emploie exclusivementdes légendes latines ou traduites du grec en latin.

Hrotsvitha mentionne avec reconnaissanceses deux principales maîtresses[43]. La premièrefut une religieuse de Gandersheim,nommée Rikkarde; la seconde, la jeune abbesseGerberge II, elle-même, qui, quoiquemoins âgée que son élève, avait cependantsur elle la supériorité d’éducation qui convenaità une princesse du sang impérial.Hrotsvitha lui a dédié respectueusement plusieursde ses ouvrages; mais bientôt l’écolière[xxv]surpassa ses maîtresses et même ses maîtres;car, si elle gémit dans la préface de son premierrecueil poétique d’être privée des conseilsdes hommes habiles, on verra dans l’épîtrequi précède ses comédies (Epistola adquosdam sapientes), que l’attention et lessuffrages des hommes les plus éminents ne luimanquèrent pas longtemps, et qu’elle reçutbientôt, de toutes parts, des encouragementset des éloges.

[43] Dans les couvents de l’ordre de saint Benoît, un frère, sousle titre deScholasticus oud’Écolâtre, présidait à l’instruction desmoines. Il paraît que cet article de la règle s’appliquait aux couventsde femmes, aussi bien qu’aux couvents d’hommes.

A tous les mérites qui placent Hrotsvithaau premier rang des femmes célèbres dumoyen âge, quelques écrivains ont voulujoindre un talent d’un autre genre. On litdans uneEncyclopédie musicale, dirigée parM. le docteur Gust. Schilling[44], un article,d’ailleurs très-incomplet, où l’on rangeHrotsvitha parmi les musiciens compositeursde l’Allemagne. L’auteur de cette notice prétendque son illustre compatriote a mis enmusique lePanégyrique des Othons, ainsique plusieurs récits héroïques, et il ajoute:«On a encore d’elle le martyre d’une sainte[xxvi]mis en vers et en musique.» Comme iln’existe, à ma connaissance, aucune trace denotation musicale dans le manuscrit de Hrotsvitha,il est fort à craindre que cette assertiondénuée de toutes preuves, ne soit le résultatd’une méprise. Hrotsvitha emploie fréquemment,en parlant de ses poésies, les expressionsmodulari,componere. Il est probableque le biographe dont nous parlons aura étéinduit en erreur par ces mots d’une significationfort complexe, et leur aura attribué lesens précis et technique qu’ils n’ont pointdans l’occasion présente. Hrotsvitha a bienassez de sa gloire réelle, sans qu’il soit besoinde lui en créer une imaginaire.

[44]Universal-Lexicon der Tunkunst, Stuttg., 1834–1839; 6 vol.in-8o.

Martin Frédéric Seidel, celui-là même qui,dans sesIcones et elogia virorum aliquotpræstantium, a si malheureusement transforméle nom de Hrotsvitha en celui de Helenaa Rossow, a joint à la notice de cette femmeillustre un portrait dont il ne fait pas connaîtrel’origine. Cette image, qui se retrouvedans Leuckfeld, dans Schurzfleisch[45], dans[xxvii]leDiarium theologicum[46] et même dans leMercure allemand de Wieland[47], n’en estpas pour cela plus authentique. Il nous a parusans intérêt de la reproduire, et nous avonsde beaucoup préféré emprunter la belle gravuresur bois qui se trouve à la tête de lapremière édition de Hrotsvitha, donnée parConrad Celtes, et qui représente l’illustrenonne dans l’habit de son ordre, offrant à genouxses poésies au vieil empereur Othon Ier.La ressemblance n’est probablement pas fortexacte; mais la scène a de l’intérêt et les traitsdu moins offrent, à un degré remarquable,le caractère ascétique et passionné, qui convientsi bien au temps et à la personne[48].

[45] A la tête de son édition des œuvres de Hrotsvitha, in-4o,1717, dont nous parlerons plus loin.
[46]Fortgesetzte sammlung von alt. und neuen theolog. Sachen,Leips., 1732, p. 678.
[47]Der neue deutsche Merkur, Weimar, april 1803, t. I, p. 258.
[48] On a attribué cette gravure et les six autres qui ornent l’éditionde 1501, à Albert Durer ou à Cranach. Ces planches ne portent nisignature ni monograme, et rien n’indique leur auteur avec certitude.Nous les avons fait réduire, pour les insérer dans notre édition.

[xxviii]IV.

Tous les ouvrages de Hrotsvitha (je pourraisme dispenser de le dire) sont écrits en latin,seule langue usitée auXe siècle en Occident,pour les compositions littéraires. Il existe deuxéditions de ses œuvres, qui toutes deux sontincomplètes. La première a été imprimée en1501 à Nuremberg, en un volume petit in-folio,par les soins de Conrad Celtes (Meissel),littérateur érudit[49] et poëte lauréat del’empereur Maximilien, le même à qui l’ondoit, dit-on, la découverte des fables dePhèdre et celle de la carte dite de Peutinger.La seconde édition donnée par Schurzfleisch,n’est que la réimpression de celle deConrad Celtes, augmentée de quelques éclaircissementsbiographiques et philologiques.Elle parut in-quarto, à Wittenberg, en 1717,et non en 1707, comme porte le titre.

[49] Je disCeltes, pour me conformer à l’usage; mais lui-mêmesignaitConradus Celtis. Le motCeltis, traduction du nom allemandMeissel, qui signifieburin, est, avec ce sens, d’une latinité très-douteuse.

[xxix]Celtes a reproduit assez fidèlement un beaumanuscrit de la fin duXe siècle ou du commencementduXIe, qu’il découvrit et copiadans un monastère de l’ordre de saint Benoît.Ce manuscrit a passé du couvent deSaint-Emméran de Ratisbonne, dans la bibliothèqueroyale de Munich, où il est aujourd’hui.Personne n’en a fait usage depuisCeltes, qui l’a publié en entier, jusqu’àM. Pertz, qui s’en est servi pour sa nouvelleédition duPanegyris Oddonum[50].M. Gust. Freytag, qui a donné en 1839 unenotice sur Hrotsvitha et une réimpressionde la comédie d’Abraham, a regretté d’enavoir perdu la trace[51].

[50] Voy.Monument. German., t. VI, p. 317.
[51]De Hrosvitha poetria, Vratislaviæ, 1839, in-8o, p. 5.

Ce précieux manuscrit est divisé en troislivres ou parties. Le premier livre renfermehuit poëmes ou légendes; le second contientnos six comédies en prose rimée. Puis vient unpoëme ou long fragment de poëme, intituléPanégyrique des Othons. Celtes, qui a reproduitce manuscrit avec assez d’exactitude,a eu pourtant le tort d’en changer sans[xxx]motif la disposition, qui nous paraît offrirl’ordre véritable et chronologique, dans lequelles productions de Hrotsvitha ont étécomposées. En effet, l’auteur montre dans lapréface duPanégyrique, qui termine le recueil,moins de timidité et de défiance enses talents que dans la préface de ses drames,et beaucoup moins surtout que dans la préfacede ses histoires en vers. Nous allons faire connaîtreen détail le contenu des trois parties.

Le premier livre,Opera carmine conscripta,se compose de huit récits, savoir:1oL’Histoire de la nativité de l’immaculéeVierge Marie, mère de Dieu, tirée du protévangilede saint Jacques, frère de Jésus[52];859 vers hexamètres léonins, comme le sonttous les hexamètres de Hrotsvitha; 2oL’Histoirede l’ascension de Notre-Seigneur, piècede 150 vers hexamètres, composée sur unrécit traduit du grec en latin par Jean l’Évêque;3oLa passion de saint Gandolfe,martyr; 564 vers élégiaques. L’auteur a employédans cette pièce un mètre moins grave[xxxi]que dans celles qui précèdent et qui suivent,sans doute parce que le sujet est plutôt comiquequ’héroïque. Gandolfe, qui vivait aumilieu duVIIIe siècle, sortait de la tige royaledes Burgondes. La sainteté du jeune princeétait si grande, qu’il reçut le don des miracles.Il épousa une fort belle femme, queHrotsvitha nommeGanea, probablement parallusion à ses mœurs dissolues. Elle s’abandonnabientôt à un clerc de la maison de sonmari. L’adultère fut prouvé par l’épreuve del’eau: Ganea se brûla la main et le bras, en lesplongeant dans une cuve d’eau tiède. Au lieud’accepter le pardon que lui offrait généreusementson mari, elle le fit assassiner à Varennesen Bourgogne. Plusieurs miracles opéréssur le tombeau de saint Gandolfe furentracontés à cette méchante femme, qui s’enmoqua en des termes fort immodestes: «Miracula,dit la légende,non secus ut ventriscrepitum existimavit.» Elle fut aussitôt puniede cet impur blasphème par un châtimentdigne de sa faute: «in pœnæ perfidiam(in pœnam perfidiæ)venter illi quoad viveretperpetuo crepabat.» Ce sujet de poésie singulier,surtout dans un couvent de femmes,[xxxii]prouve que le badinage et une gaieté, mêmeassez grossière, n’étaient pas entièrementbannis de ces pieux asiles[53]; 4oLe martyrede saint Pélage à Cordoue. Ce poëme, composéde 404 hexamètres, est le récit d’uneaventure que Hrotsvitha a mise en vers,d’après une relation orale qu’elle tenait d’unEspagnol, témoin de l’événement. Cette circonstancedénote des rapports remarquables,auXe siècle, entre l’Allemagne et les royaumesd’Espagne[54]. Aussi rencontre-t-on dans cettepièce quelqueshispanismes singuliers, entreautres, le motrostrum employé pourfacies.Le fait s’est passé du temps d’Abdalrahman,ou, comme nous disons, d’Abderame III.Lors de l’expédition de ce prince contre lespeuples de laGalice[55], entre les années[xxxiii]940 et 943, le père de Pélage ayant été faitprisonnier par les Maures, ce jeune hommeobtint d’être emmené captif à Cordoue, à laplace de son père; sa beauté l’exposa auxoutrages des Sarrasins. Ayant refusé de serviraux plaisirs infâmes de leur chef, il futprécipité du haut des remparts dans lefleuve. Recueilli vivant par des pêcheurs,il fut achevé par les soldats d’Abderame. Lepoëme de Hrotsvitha obtint une si grandecélébrité, qu’il a été cité par plusieurs agiographes,notamment par ceux d’Espagne etde Portugal[56]; il a été inséré en entier dans lerecueil des Bollandistes, sous la date du 4 février[57];5oLa chute et la conversion de Théophile,vidame ou archidiacre d’Adona en Cilicie,et nonen Sicile, comme le disent à tortles deux éditions de Celtes et de Schurzfleisch.[xxxiv]Cette légende est l’histoire d’un clerc qui,vers l’an 538, ayant été nommé très-jeune auxfonctions de vidame de l’église d’Antioche etrévoqué peu après, se voua au diable par dépitet par ambition. Cette aventure fantastique aété, pendant le moyen âge, le texte de beaucoupd’ouvrages d’imagination: tout le mondeconnaît leMiracle de Théophile, drame duXIIIe siècle, composé par le trouvère Rutbeuf[58].Lors de la sécularisation des sciencesauXVIe siècle, le clerc Théophile est devenule docteur Faust; 6oL’Histoire de la conversiond’un jeune esclave exorcisé par saintBasile. Dans ce poëme, composé de 249 vers,ce n’est pas par ambition, mais par amour,que l’esclave d’un habitant de Césarée se voueau diable. Éperdument amoureux de la fillede Proterius, que son père destinait au cloître,il parvint, avec l’aide de l’esprit malin, à sefaire aimer d’elle, et l’épousa au grand déplaisirde sa famille. Cependant, la jeune femme,s’étant bientôt aperçue que son mari n’osaitpas entrer dans l’église, devina la vérité. Elle[xxxv]sollicita aussitôt et obtint le divorce, et, suivantson premier dessein, embrassa la vie monastique.De son côté, le jeune homme, repentantde son crime, fut exorcisé par saintBasile, qui força le démon à rendre la céduleque l’imprudent avait souscrite. Cette histoireet la précédente devaient, comme on voit,rappeler agréablement aux pieuses habitantesde Gandersheim le miracle attribué à Hrotsvitha,leur quatrième abbesse; 7oL’Histoirede la passion de saint Denis; 266 vers hexamètres.Ce poëme est calqué sur la légendeque l’on peut lire dans les Bollandistes, sousla date du 9 octobre. La scène principale,c’est-à-dire le voyage miraculeux du saintdécapité, est peinte par Hrotsvitha en traitsqui ne manquent ni de poésie ni de grandeur;8oL’Histoire de la passion de sainteAgnès, vierge et martyre. Le sujet de cettepièce, composée de 459 vers et tirée d’unrécit de saint Ambroise[59], est plus scabreuxque celui d’aucun des poëmes précédents.Agnès, jeune Romaine d’une grandebeauté, avait embrassé le christianisme et[xxxvi]fait vœu de chasteté. Le fils du comte Simpronius,préfet de la ville, s’éprit de cettebelle chrétienne et, n’ayant pu la gagner nipar ses prières, ni par ses présents, tombadans une mélancolie, qui fit craindre pourses jours. Les médecins, ayant découvert lacause de son mal, en informèrent Simpronius,qui commanda, avec emportement, àla jeune Agnès de céder aux désirs de sonfils. Celle-ci étant restée inexorable, Semproniusla fit traîner au temple de Vesta, poury adorer le feu sacré. Sur le refus d’Agnès,il ordonna qu’on la dépouillât de ses vêtementset qu’on la conduisît dans un lieu deprostitution; mais au moment où on commençaità exécuter cet ordre, le ciel, pour garantirla pudeur d’Agnès, permit que ses cheveuxgrandissent, au point de tomber jusqu’àses pieds, comme un voile. Le fils du préfetl’ayant poursuivie dans cette demeure infâme,n’eut pas plus tôt porté la main sur elle, qu’iltomba mort à ses pieds. Le père, au désespoir,accusa la jeune vierge de magie. Agnès, pourse disculper, demande au ciel et obtient la résurrectiondu jeune insensé. Le père et le fils sefont chrétiens. Cependant, les prêtres païens[xxxvii]poursuivent la condamnation d’Agnès. Celle-ci,qui consent au martyre, meurt sous l’épéedu bourreau et va prendre place auprès de Jésus-Christ,dans le chœur immortel des vierges.

[52] Voy. J. Alb. Fabricius,Codic. apocryph. Novi Testam., t. I,p. 40, seqq.
[53] Cette histoire est très-sérieusement rapportée par les Bollandistes.Voy.Act. Sanctor., Maii t. II, p. 642, seqq.—Le Duchatcroit que Rabelais a fait allusion à cette légende (Pantagruel,liv. II, chap. 7), et il se permet lui-même, à cette occasion, unenote très-pantagruélique.
[54] Othon Ier entretint même des relations avec les califes de Cordoue.On peut lire dans Mabillon (Act. Sanctor. ordin. S. Benedicti,t. V, p. 404), le récit de l’ambassade de Jean, moine de Gorze,récit très-bien analysé par M. Ch. Romey dans le t. IV de sonHistoire d’Espagne, p. 213 et suiv.
[55] C’est l’expression de Hrotsvitha, v. 81.—Abderame III n’apoint fait d’expédition dans ce que nous appelons proprementlaGalice.—L’argument qui précède ce poëme n’est point de Hrotsvitha;il est, je crois, comme tous les arguments des légendes,l’œuvre d’une main plus récente et ordinairement peu exacte.
[56] Voyez, entre autres, dans Ambrosius Morales (Addit. ad diviEulogii opera, p. 112 seqq.), et surtout dans Jorge Cardoso (AgiologioLusitano, t. III, in-folio, p. 829–832), la légende de SamPayo, où l’auteur s’appuie de l’autorité de Hrotsvitha.
[57]Acta Sanctor., februar. t. I, p. 480, seqq.
[58] Voy. l’édition des œuvres de ce poëte donnée par M. AchilleJubinal, t. II, p. 79 et 105.
[59] Voy.Act. Sanct., Januar. t. II, p. 351, seqq.

Entre le premier livre et le second, ontrouve dans le manuscrit un court morceauen prose, servant à la fois d’épilogue aux récitsen vers, et de prologue aux drames. Cetavertissement, commun aux légendes et auxcomédies, semble indiquer que ces deux recueilsavaient été disposés pour la lecture parHrotsvitha elle-même, et rangés par elle dansl’ordre où les présente le manuscrit.

Lesecond livre (liber dramatica serie contextus),celui qui fait la matière du présentvolume, contient six comédies, toutes composées,comme l’auteur nous l’apprend danssa préface, à l’imitation de Térence. Ces piècessont:Gallicanus,Dulcitius,Callimaque,Abraham,Paphnuce,Sapience ou Foi,Espérance et Charité. Il est aisé de deviner,d’après le caractère des poésies qui précèdent,quelle doit être la couleur générale duthéâtre de Hrotsvitha. Honorer et recommanderla chasteté, tel est le but presque uniqueque s’est proposé la pieuse nonne. C’est à une[xxxviii]aussi louable intention qu’il faut attribuer cequ’il y a ordinairement d’un peu chatouilleuxdans les sujets qu’elle s’impose. Elle-mêmeexplique ingénument sa pensée dans la préfacedes comédies: elle a voulu, dit-elle,substituer d’édifiantes histoires de vierges pudiquesaux déportements des femmes païennes;elle s’est efforcée, dans la mesure de sonfaible génie, de célébrer les triomphes de lachasteté, particulièrement ceux où l’on voitla faiblesse des femmes l’emporter sur les passionsbrutales des hommes. Or, pour montrerces victoires féminines dans tout leur éclat,il était nécessaire que ces vertus de femmesfussent exposées aux plus grands périls. De làun choix de légendes, toutes au fond très-édifianteset très-morales, mais qui roulentla plupart sur des aventures propres à alarmerun peu la modestie. Il est juste d’ajouterque, si les sujets traités par Hrotsvithasont pris ordinairement dans un ordre defaits et d’idées qui semblent inquiétants pourla pudeur, la plume de la discrète religieusedemeure toujours aussi chaste et aussi réservéeque ses intentions sont candides et irréprochables.[xxxix]

La première de ces comédies, intituléeGallicanus, est tirée de deux légendes[60] etforme deux pièces ou, du moins, une pièceen deux parties. M. Villemain, qui le premiera cité les productions de Hrotsvitha dansune chaire française[61], a fait remarquer quel’action deGallicanus ne dure pas moins devingt-cinq ans. «C’est une pièce libre, ditl’illustre critique, écrite dans une prose assezcorrecte, et où il y a un sentiment vrai del’histoire[62].» Il a même fait à Hrotsvithal’honneur de traduire une scène entière deGallicanus, avec cette exactitude pleine d’élégance,dont il possède si bien le secret. Ils’agit, dans la première partie de la pièce,d’un général, homme consulaire, qui méritepar ses exploits la main de Constance, fille del’empereur Constantin, et qui, devenu chrétien,[xl]renonce à la possession de cette princesse,pour pouvoir se consacrer, commeelle, au célibat. C’est la contre-partie del’histoire du comte Bernhard et de l’abbessede Gandersheim, Gerberge Ire. La secondepartie, qui ne se lie qu’assez indirectementà la première, nous fait assister au martyre deJean et Paul, aumôniers de Constance, qui ontconverti Gallicanus au christianisme, et sontmis à mort, par ordre de l’empereur Julien.

[60] Voy. note 20, à la fin du volume.
[61] A la Faculté des lettres, en 1829.—Un peu avant les grandespréoccupations politiques de 1789, l’attention littéraire longtempsdédaigneuse des origines, commença à s’occuper de Hrotsvitha. En1785,Paphnuce était brièvement analysé dans un article duMercure,que reproduisit l’Esprit des Journaux. En 1788, don Maugerardadressa auJournal Encyclopédique une notice sur Hrotsvitha,que répéta encore l’Esprit des Journaux, dans le cahier d’avril 1788.
[62] Voy.Tableau de la littérature au moyen âge; t. II, p. 252.

Dulcitius, qui vient ensuite, est le seuldrame de Hrotsvitha qui, par la singularitéplaisante de divers incidents, ait quelque rapportavec ce que nous appelonscomédie. Eneffet, cet ouvrage, bien que composé, commetous ceux du même écrivain, dans une penséed’édification et de piété, remplit néanmoinsla plus indispensable des conditions imposéesà l’auteur comique, celle d’exciter le rire etla gaieté. On peut même dire qu’à cet égardDulcitius dépasse quelque peu les bornes dugenre. Cette pièce est plus qu’une comédie,c’est une farce religieuse, une bouffonneriedévote, une parade sacrée, qui se déploie,chose étonnante! sans trop de disparate, àcôté du martyre des trois héroïques sœurs,[xli]Agape, Chionie et Irène. Dans cette pièce, oùles prestiges et le merveilleux dominent, lespersécuteurs ne sont pas simplement représentés,selon l’usage, comme des bourreaux faroucheset sanguinaires, mais comme des hommesineptes, des niais en butte aux plus ridiculesillusions et livrés aux mystifications d’unemain cachée qui se joue d’eux. Certes, les burlesquesdéconvenues qui assaillent tour à tourDulcitius et Sisinnius, n’ont pas dû moins divertirla grave assemblée réunie au monastèrede Gandersheim, que les grotesques tribulationsqui pleuvent sur Monsieur de Pourceaugnacn’ont diverti, auXVIIe siècle, la courjoyeuse de Chambord et de Saint-Germain.

Cette bouffonnerie, dont la valeur poétiqueet littéraire n’est assurément pas très-grande,ne nous en paraît pas moins unmonument d’un intérêt considérable pourl’histoire du théâtre antérieur à la renaissance.Elle prouve jusqu’à l’évidence, que lespièces de Hrotsvitha n’étaient pas seulementdestinées à être lues, comme l’ont avancé quelquescritiques, notamment M. Price[63]; mais[xlii]qu’elles ont dû être représentées. En effet, toutle mérite comique de ce petit drame consisteen une suite de jeux de théâtre qui s’adressentbien plus aux yeux qu’à l’esprit. Peut-on voirautre chose qu’une parade calculée pour divertirdesspectateurs, dans la scène où le tristegouverneur de Thessalonique, noirci commeun Éthiopien par le contact des chaudronset des lèchefrites, méconnu par ses propresgardes, repoussé et gourmé par les huissiersdu palais, se demande avec une intrépiditéde bonne opinion vraiment risible, ce qu’ilmanque à sa toilette et s’il n’est pas vêtu deses habits les plus splendides? Certes, quandde futurs érudits viendront à lire, dans quelquesmille ans, les canevas de nos pièces bouffonnes,Le docteur barbouillé,Crispin médecin,ou ces farces de la comédie italiennedans lesquelles Arlequin ne manque jamaisde plonger son masque noir dans une jatte decrème, ils affirmeront, à coup sûr, que de pareilsjeux de scène ont été arrangés pour lesyeux et nullement pour la lecture. Eh bien!entre le comique deDulcitius et celui de nosarlequinades ou de nos comédies-féeries, laressemblance est complète.

[63] Voyez note12, à la fin du volume, p. 457.

[xliii]Le sujet de la troisième pièce, intituléeCallimaque,n’est pas moins singulier que celuidu drame précédent; mais il est d’une natureentièrement différente. C’est de tous les ouvragesde Hrotsvitha celui qui, par la délicatessepassionnée des sentiments, l’exaltationdu langage et le romanesque de la légende,se rapproche le plus du drame de nos jours.Poésie, mouvement, passion, couleur généraleplus empreinte des idées germaniques,tels sont les caractères qui recommandent ànotre examen cette originale et intéressanteproduction.

On a dit souvent que l’amour est un sentimentmoderne, né en Occident du mélangede la mysticité chrétienne et de l’enthousiasmenaturel aux races du Nord. Toujours est-ilbien remarquable que ce soit Hrotsvitha, unereligieuse allemande, contemporaine des deuxpremiers Othons, qui nous ait légué la premièreet une des plus vives peintures de cette passion,peinture sur laquelle près de neuf centsans ont passé et qu’on dirait d’hier, tant nousy trouvons déjà les subtilités, la mélancolie,le délire fébrile de l’âme et des sens, et jusqu’àcette fatale inclination au suicide et à l’adultère,[xliv]attributs presque inséparables de l’amourauXIXe siècle. Aussi, ne voit-on dansCallimaque aucun de ces jeunes ou vieuxdébauchés des comédies de Plaute et de Térence,qui se disputent une belle esclave oumarchandent une courtisane; ce que peintHrotsvitha dansCallimaque, c’est la passioneffrénée, aveugle, furieuse d’un jeune hommeencore païen, pour une jeune femme chrétienneet mariée, femme chaste, mais sensible,et qui craint sa propre faiblesse, au pointde demander en grâce à Dieu de la faire mourir,pour la soustraire aux dangers d’une tentationtrop vive. Et en même temps que lavertu élève de si délicats scrupules dans laconscience de Drusiana, l’amour bouillonnesi violemment dans les veines de Callimaque,qu’après la mort de celle qu’il aime, il ose,comme Roméo, violer sa tombe à peine ferméeet chercher les embrassements qu’ellelui a refusés vivante, dans la couche de pierreoù gisent ses restes inanimés. En vérité, quandcet ouvrage n’aurait d’autre mérite que denous montrer un échantillon des sentimentset des paroles qu’échangeaient, auXe siècle,les amants dans leurs tête-à-tête, et de soulever[xlv]ainsi un pan du voile qui nous a caché jusqu’icila vie intime et passionnée de ces tempsencore mal connus, ce drame, par cela seul,serait pour nous d’une valeur inappréciable.Toutefois, dansCallimaque la peinture despassions et des mœurs du temps est plutôtoccasionnelle et fortuite, que volontaire etdirecte. L’action de la pièce n’est point contemporainede l’écrivain. Drusiana est unehabitante d’Éphèse, disciple de l’apôtre saintJean et, par conséquent, elle est censée vivreà la fin duIer siècle. C’est par un procédé constammentsuivi par les dramatistes de tous lespays et de toutes les époques, que Hrotsvithaprête à ses personnages les idées et le langagequi avaient cours de son temps dans les relationsplus ou moins intimes des classes lesplus polies, langage qu’elle même avait dûparler, et certainement entendre bien desfois, si je ne me trompe, avant d’avoir étéchercher le repos du cœur sous les paisiblesvoûtes de l’abbaye de Gandersheim.

J’ai rapproché involontairement Roméo etCallimaque. C’est qu’en effet il est impossiblede n’être pas vivement frappé de plusieurspoints de ressemblance qui existent entre cette[xlvi]première exquisse du drame passionné et levéritable chef-d’œuvre du genre,Roméo etJuliette. Un simple coup d’œil suffit pourfaire apercevoir dans ces deux ouvrages desrapports, qui, pour être extérieurs et, enquelque sorte, matériels, n’en sont ni moinssurprenants ni moins notables. Ainsi le denoûmentdes deux pièces présente aux yeux untableau presque pareil. Dans l’un et l’autre,on voit un caveau sépulcral, unetombe de femme ouverte, une jeune morte,fraîche encore, dont le suaire a été écarté parla main égarée de son amant, un jeune hommeétendu mort au pied d’un cercueil. Sur le lieude cette scène douloureuse et tragique surviennent,dans l’un et l’autre drame, deuxhommes navrés de douleur, mais qui sontmaîtres de leurs passions: dans Shakespeare,le père de la jeune fille et le moine Laurence;dansCallimaque, le mari de la jeune défunteet l’apôtre saint Jean, qui, plus heureux quele franciscain, aura le double pouvoir de ressusciterDrusiana et Callimaque, et de rendrecelui-ci à la sagesse, aussi bien qu’à lavie. Ce sont là, il faut l’avouer, des coïncidencesde personnages et de situations incontestables,[xlvii]mais qui ne sont, après tout, peut-êtreque secondaires et accidentelles. Ce quimérite d’être vraiment et sérieusement remarqué,c’est le ton de mysticité sophistique,qui donne aux plaintes amoureuses de Callimaqueun air de si proche parenté avec cellesde Roméo. Chose étrange! la langue de l’amourauXe siècle est aussi raffinée, aussiquintessenciée, aussiprécieuse qu’auxXVI etXVIIes siècles! Ouvrez les deux pièces: ellescommencent l’une et l’autre par un entretiende l’amant mélancolique avec ses amis. Ehbien! dans ces deux scènes, l’affectation desidées et la recherche des expressions sont égalesdes deux parts. Seulement, dans le poëtede la cour d’Élisabeth, le jeune amoureux seperd enconcetti à la mode italienne, tandisque, dans Hrotsvitha, il s’épuise, suivant legoût de l’époque, en arguties scolastiques eten distinctions tirées de la doctrine desuniversaux.On serait vraiment tenté de conclurede cette ressemblance que la subtilitéde la pensée, aussi bien que le raffinementdu langage sont dans la nature même de cesentiment si tumultueux, si complexe, si indéfinissable,de ce sentiment qui ne serait[xlviii]plus l’amour, s’il cessait d’être une énigmede vie ou de mort pour le cœur sanglant etl’imagination bouleversée qui l’éprouvent.En résumé,Callimaque nous offre au plushaut degré ce qui constitue le caractère spécialet le charme particulier des comédies de cettefemme illustre, le mélange piquant d’uneculture demi-érudite et d’une langue à demibarbare.

Les deux pièces qui suivent,Abraham etPaphnuce, sont comme deux variantes d’unemême histoire. L’auteur a su pourtant y introduireles nuances les plus délicates. Lesujet d’Abraham est tiré d’une légende écriteauIVe siècle, et qu’Arnauld d’Andilly a traduitedans sesVies des Pères des déserts. Malgréla source respectable où a puisé l’auteur,l’action de ce drame pourra bien n’en pasparaître moins hasardée à quelques personnes,et choquera peut-être la pruderie de nosmœurs[64]. Un saint homme, un pieux solitairequi quitte son ermitage, s’habille encavalier, couvre sa tonsure d’un large chapeaumilitaire et se rend dans un lieu plus[xlix]que suspect, afin d’en retirer sa nièce, jeunesainte déchue, qui s’est envolée un matin desa cellule, pour mener la vie honteuse de courtisane;c’est là une étrange histoire! Et, cependant,cette pièce qui repose sur une donnéesi voisine de la licence, a été écrite parune religieuse enthousiaste de la chasteté,jouée par des religieuses, en présence degraves prélats, et n’a sans doute pas moinsédifié la noble assemblée réunie à Gandersheim,que les tragédies d’Esther et d’Athalien’ont édifié le pieux auditoire réuni à Saint-Cyr,autour de Louis XIV et de madame deMaintenon.

[64] J’exprimais ce doute en 1835, dans leThéâtre européen; nousnous sommes bien aguerris depuis cette époque.

On reconnaîtra, si je ne m’abuse, dansla comédie d’Abraham un enchaînement descènes bien liées, beaucoup de clarté dansl’action, un dialogue rapide et juste, un extrêmenaturel tant dans les sentiments quedans le langage, et, pour tout dire, beaucoupplus d’art que ne le suppose l’âge inculteoù vivait l’écrivain. La tristesse que lajeune pécheresse éprouve au milieu de sesdésordres, les larmes furtives qui lui échappentpendant le repas qu’elle devrait égayer,enfin la belle scène de la reconnaissance, au[l]moment où, retiré dans un réduit secret et lesportes bien closes, l’oncle jette à terre sonchapeau de cavalier et montre à sa nièce foudroyéeses cheveux blanchis dans le jeûne etles veilles, les paroles compatissantes du saintermite, la contrition profonde, les soupirsétouffés de la jeune pénitente, ce sont là desbeautés de tous les lieux et de tous les temps.En vérité, on reste confondu, quand onsonge qu’un dialogue si vrai et si touchant,sur un sujet si délicat et si mondain, a étéécrit, il y a plus de huit cents ans, par unesainte fille, modeste habitante d’un couventde la Basse-Saxe.

On verra dansPaphnuce, comme dansAbraham, un pieux ermite quitter sa solitude,pour aller, sous des habits séculiers,convertir une courtisane. Celle-ci, touchée decomponction, jette dans un brasier toutes sesrichesses mal acquises et pleure ses fautespendant trois ans, au fond d’une étroite cellule.Ce qui rend peut-être ce drame moins pathétiqueque le précédent, c’est qu’il n’existepas entre Thaïs et Paphnuce les mêmes liensd’affection et de parenté qu’entre Abrahamet Marie; mais l’auteur a su compenser cette[li]cause réelle d’infériorité par l’effusion la plusabondante des sentiments de la plus angéliquecharité. Je serais bien surpris que lamort de Thaïs ne parût pas à tous les lecteursune scène à la fois des plus naturelles et desplus touchantes. Je ne fais nulle difficulté deconvenir, en revanche, que dans aucune autrepièce, Hrotsvitha ne s’est montrée aussipédante et n’a étalé un appareil d’éruditionaussi formidable et aussi déplacé. Dans aucuneautre occasion, non plus, elle n’a aussibizarrement substitué les mœurs de son tempsà celles de l’époque où l’action du drame estsupposée avoir lieu; mais on me permettra defaire remarquer que certaines maladresses decomposition et quelques anachronismes decostume, ne sont dans des œuvres aussi anciennesque celles de Hrotsvitha, ni moinspiquantes ni moins instructives que ne le seraientdes beautés.

Le sujet de ces deux pièces, tout étrangequ’il peut paraître, a été traité de plusieursmanières par les modernes, et, si je l’ose dire,avec bien moins de délicatesse et de goût quepar Hrotsvitha. D’abord, dans la chaire, Barelette,le fameux prédicateur jacobin de la[lii]fin duXVe siècle, a fait usage, à sa façon, dela légende de saint Paphnuce[65]. Érasme, àson tour, a glissé dans sesColloques unepetite scène, demi-badine et demi-morale, intituléeAdolescens et scortum, laquelle roulesur le même texte. Enfin Decker, poëte anglaiscontemporain de Jacques Ier, a traité ce sujetsur le théâtre de Londres, sous le titre grossierdeThe honest whore. Dans cette pièce, commedans celle d’Abraham, un père (mais un pèrevéritable et selon la chair, et non pas seulementun père spirituel) franchit le seuil d’un lieu dedébauche, pour en arracher sa fille tombéeau dernier degré du vice et de l’abjection.S’il est vrai, comme on l’a dit souvent, quela comédie soit l’expression de la société, lacomparaison que nous sommes à portée defaire entre les deux pièces de Hrotsvitha, lecolloque d’Érasme et le drame de Decker,nous offrirait un moyen sûr et piquant d’apprécierla valeur morale des trois époques.Quant à moi, pour la pureté des sentiments,pour l’inspiration religieuse et la délicatesse[liii]du langage, les comédies d’Abraham et dePaphnuce me paraissent incontestablementsupérieures au bel esprit libertin et médiocrementsérieux d’Érasme, aussi bien qu’aucynisme déclamatoire et aux prédicationslourdement vertueuses du dramaturge anglais;de sorte que s’il nous fallait juger desXe,XVIe etXVIIe siècles par ces ouvrages, toutl’avantage (je le dis à regret, mais je le dissans hésiter) appartiendrait, suivant moi, auXe siècle.

[65] Henri Étienne, dans sonApologie pour Hérodote (t. III,ch. 34, p. 120, éd. de Le Duchat), n’a pas manqué de signaler cepassage de Barlette, lequel est d’une édification fort équivoque.

La sixième et dernière comédie, intituléeSapience, ouFoi, Espérance et Charité,m’avait semblé, au premier abord, offrir unesorte de création idéale, un drame allégorique,dans le genre de ceux qu’on a appelésplus tardmoralités. Je me trompais; Hrotsvitha,dans cette pièce, ne s’est pas départiede sa méthode habituelle. Ici, comme toujours,la prudente nonne s’est bien gardée derien inventer. Elle se contente de dramatiserles récits des légendaires desVe etVIe siècles,comme les grands dramatistes de la fin duXVIe siècle ont dramatisé les chroniqueurs et lesnouvellistes desXIVe etXVe siècles. Hrotsvithaconserve, comme eux, tout ce qu’elle a d’invention,[liv]pour l’employer dans l’ordonnancede ses pièces et le répandre dans les détails.Aussi, ce qu’il peut y avoir d’allégoriquedans le martyre de Sapience et de ses filles,appartient-il à l’imagination des agiographes.Nous voyons dans ce drame trois vierges, Foi,Espérance et Charité, arriver de Grèce à Rome,avec Sapience leur mère, pour y propager lechristianisme. L’empereur Hadrien essaie deramener, par des flatteries et des menaces,ces femmes au culte des idoles, mais vainement:après avoir résisté aux séductionset aux tortures, les trois jeunes filles périssentpar le fer. La mère rassemble leursmembres, et, aidée dans ce pieux officepar des matrones chrétiennes, elle les enterreà trois milles de Rome. Alors, elle ne formeplus qu’un vœu, celui de mourir en Jésus-Christ,après avoir achevé sa prière. Elleélève donc son âme vers le ciel dans unhymne magnifique, et exhale sa vie dans cettesublime aspiration. Cette dernière scène, d’uneffet religieux et grandiose, rappelle un peu,si j’ose le dire, le dénoûment d’Œdipe àColone.

Ou je me trompe, ou le théâtre, dont nous[lv]venons de donner une idée sommaire, a droitd’occuper une place éminente dans la littératuredu moyen âge. Ces six drames sont undernier rayon de l’antiquité classique, uneimitation préméditée et assez peu reconnaissable,j’en conviens, des comédies de Térence,sur lesquels le christianisme et la barbarieont déposé leur double empreinte;mais c’est précisément par ce qu’ils ont dechrétien et même de barbare, c’est-à-dire,par ce que leur physionomie nous offre demoderne, que ces drames m’ont paru mériterd’être recueillis à part et traduits avec soin,pour prendre rang à la suite du théâtre ancien,et à la tête des collections théâtrales detoutes les nations de l’Europe. Nous recommandonsseulement à ceux qui ne craindrontpas de braver la lecture de ce singulier monumentdramatique, de ne point oublier sa date.Pour être juste envers de pareilles œuvres, ilfaut les considérer avec l’affectueuse impartialitéd’antiquaire, que nous apportons, surtoutdepuis quelques années, devant les peinturesdes Cimabue, des Lucas de Leyde ou devantles statues de Sabina de Steinbach.

La IIIe partie du manuscrit de Munich ne[lvi]contient qu’un fragment de 837 vers, ayantpour titrePanegyris sive historia Oddonum.Ce poëme n’a été composé, comme le déclarel’auteur, sur aucun document écrit, maisd’après des rapports oraux et, pour ainsi dire,confidentiels. Ce sont, en quelque façon, desmémoires de la famille ducale et impériale deSaxe. Bien que les troubles excités dans l’Empirepar la révolte de Henri, duc de Bavière,surnomméRixosus, père de l’abbesse GerbergeII, contre son frère Othon Ier, aientété fort atténués par la plume officieuse deHrotsvitha, cette chronique en vers n’en offrepas moins un tableau intéressant, et véridiqueà beaucoup d’égards, des intrigues intérieuresqui, à la fin duXe siècle, agitèrentl’Empire et la maison de Saxe[66].

[66] LePanégyrique des Othons a été réimprimé plusieurs fois, depuisla première édition donnée par Celtes: 1o par Justus Ruberusdans sesScript. rerum German.; 2o par Henri Meibomius, avec lesWittechindi Annales, 1621, in-4o; 3o par H. Meibomius, neveu duprécédent, dans lesScript. rerum German.; 4o par M. Pertz danslesMonumenta Germaniæ, t. VI.

Outre ces divers ouvrages, contenus dansle manuscrit de Munich, et qu’ont reproduitsles deux éditions de Hrotsvitha (celle deCeltes et celle de Schurzfleisch), on a imprimé[lvii]d’après une copie plus récente, un poëme oufragment de poëme, de 837 hexamètres, surla fondation du monastère de Gandersheim(Carmen de constructione sive de primordiiscœnobii Gandesheimensis), chronique envers, précieuse pour l’histoire littéraire etmonastique desIXe etXe siècles[67]. Hrotsvithaentre dans son sujet par un récit étendu de lavie de deux vénérables patrons du monastère,saint Innocent et saint Athanase. Quelqueshistoriens, notamment Bodo, ont mentionnéce début du poëme, de manière à induire plusieurscritiques et, entre autres, Fabricius[68],à croire que Hrotsvitha avait composé une Vieen vers de ces deux saints pontifes, séparéede son poëme et aujourd’hui perdue[69]. Parune erreur du même genre, plusieurs biographes,[lviii]sur la foi de Trithème[70], ont signalécomme un ouvrage à part de Hrotsvitha, unlivre d’épigrammes qui, du moins sous cetteforme, ne nous est pas parvenu. Il est très-vraisemblable,comme l’a soupçonné Fabricius,que ces épigrammes ne sont autre choseque les préfaces et les dédicaces en vers queHrotsvitha a placées en tête de la plupart deses ouvrages, et qu’un manuscrit, qui n’existeplus, avait peut-être rassemblées[71].

[67] Ce poëme, imprimé pour la première fois par Leuckfeld danssesAntiquit. Gandesheimenses, l’a été, l’année d’après, par Leibnitzdans lesScriptor. rer. Brunsv., t. II, p. 319, puis par J. Chr. Harenberg(Histor. eccles. Gandesh., 1734, p. 469), et enfin parM. Pertz dans sesMonumenta Germaniæ, t. VI, p. 306.—Il estregrettable que Schurzfleisch n’ait pas ajouté ce poëme à son éditiondes œuvres de Hrotsvitha, donnée à Wittemberg, en 1717 et non1707, comme le titre le porte.
[68] Voy.Biblioth. Latin, mediæ et infima ætatis, t. II, p. 834.
[69]Syntagma de eccles. Gandesh., ap. Leibn.Script. rer. Brunsv.,t. III, p. 712.
[70] Trithem.,Liber de viris illustrib. German., p. 129, etChronic.Hirsing., t. I, p. 113.
[71] Cette opinion que j’émettais en 1839 dans laRevue des Deux-Mondes,a été confirmée par M. Pertz. Voy.Monumenta German.,t. VI, p. 303, n. 17.

C’est par la même absence de critique, queLeuckfeld, l’historien allemand du monastèrede Gandersheim, dans la liste des ouvragesen vers de Hrotsvitha, cite les huit légendeset le panégyrique des Othons, puis ajoute undixième ouvrage purement imaginaire, qu’ilintitule:De la chasteté des nonnes. Cetteerreur, répétée par divers critiques, vientd’une phrase ambiguë et mal comprise deHenri Bodo[72]. On a pris l’énoncé du caractère[lix]des productions de Hrotsvitha pourle titre d’un de ses ouvrages particuliers. Ilest trop certain, d’ailleurs, que Leuckfeld,compilateur laborieux, qui a donné judicieusementune large place à Hrotsvitha dans sesAntiquités de Gandersheim, n’avait lu quebien superficiellement les œuvres qu’il louait.Dans la liste des comédies de l’illustre nonne,il traduit le titre de la première,ConversioGallicani principis, parHistoire de la conversiond’un prince français[73].

[72]Syntagma de eccles. Gandesh., ap. Leibn., ut supra.
[73]Antiquit. Gandesheim., p. 274.

Tels sont les écrits moins connus que vantésde cette femme extraordinaire. Ils sont deceux qui honorent le plus son sexe, et qui,malgré quelques défauts inhérents à l’époqueoù elle a vécu, relèvent le mieux le Xe sièclede l’accusation de barbarie, qu’on lui a troplégèrement prodiguée. Un des anciens historiensde Gandersheim, que nous avons plusieursfois cité, Henri Bodo, termine le chapitrequ’il consacre à Hrotsvitha, par cetrait:Rara avis in Saxonia visa est[74].C’est trop peu dire. Cette dixième muse, cette[lx]Sapho chrétienne, comme la proclamaient àl’envi ses enthousiastes compatriotes duXVIesiècle, ne fut pas seulement une merveillepour la Saxe; elle est une gloire pour l’Europeentière: dans la nuit du moyen âge, onsignalerait difficilement une étoile poëtiqueplus pure et plus éclatante.

[74] Voy.Syntagm. de eccles. Gandesh., ap. Leibn., ut supra.

V.

Il ne me reste plus qu’à dire un mot de monpropre travail. En 1835, j’ignorais si le manuscrit,sur lequel Conrad Celtes a donnél’édition de 1501, existait encore. Ce savantéditeur avait négligé de faire connaître le nomdu couvent de l’ordre de saint Benoît, où ilavait découvert ce trésor. Jean Aventinus,dans la préface de saVie d’Henri IV, signalaet répara cet oubli; il apprit au monde savantque ce précieux recueil était conservé au couventde Saint-Emmeran à Ratisbonne. Guidéspar cette indication, Mabillon[75] et ensuite[lxi]Gottsched, purent voir et toucher ce manuscrit[76],dont ils ne firent d’ailleurs aucunusage. En 1835, M. Pol Nicard, le traducteurfrançais du Manuel d’archéologie d’OtfriedMüller, ayant fait un voyage en Allemagne,dans l’intention spéciale de visiter les muséeset les bibliothèques, voulut bien, à ma prière,s’informer à Ratisbonne de ce qu’étaient devenusles livres et manuscrits de Saint-Emmeran.Il apprit qu’ils avaient été transportés,vers l’année 1803, dans la bibliothèque royalede Munich, et il m’envoya sur-le-champ unedescription exacte et détaillée du manuscritde Hrotsvitha: il m’indiqua même un faitimportant, qui, si je ne me trompe, a éténégligé par tous ceux qui ont examiné ce manuscrit;je veux parler de deux fragments,l’un de treize vers élégiaques[77], l’autre detrente-cinq vers hexamètres, qui sont jetés,je ne sais pourquoi, à la suite des comédies,le premier au verso du feuillet 129, le secondau recto du feuillet 130. Ces vers sont encoreinédits.

[75] Voy.Ann. ordin. S. Benedicti, t. III, p. 588.
[76] En 1740. Voy.Nöthiger Vorrath zur Geschichte der deutschendramatischen Dichtkunst, t. II, p. 10.
[77] Il n’existe des cinq premiers vers que les lettres initiales.

[lxii]Grâce aux démarches de M. Nicard, secondéesde l’obligeante entremise de M. deMartius, j’obtins du bibliothécaire, M. Lichtenthaler,de pouvoir faire prendre une copieexacte, page pour page et ligne pour ligne,de la seconde partie de ce manuscrit, depuisle feuillet 78 jusqu’au feuillet 129, comprenanttoutes les comédies. Cette copie presquefigurative est la base du texte que jedonne aujourd’hui.

La comparaison attentive que j’ai été obligéde faire du manuscrit et de l’édition de Celtes,m’a convaincu que ce savant homme a apportéà ce travail beaucoup de soins et de lumières.Je n’ai eu à insérer dans mon texte qu’un petitnombre de lectures préférables à celles de lapremière édition. Pour permettre au lecteurd’apprécier la valeur de ces restitutions, j’aieu soin de donner toujours au bas des pagesla leçon du premier éditeur.

L’orthographe du manuscrit est tellementinconstante et si habituellement fautive, qu’ilétait impossible de la reproduire sans modification.L’ancien copiste, par exemple, supprimepresque constamment l’h dans les motsoù les Latins l’admettent, et il l’ajoute où[lxiii]elle ne doit pas être; il écrit souvent les adverbesterminés ene paræ et par une lesgénitifs de la première déclinaison, etc., etc.J’ai rétabli l’orthographe commune, avertissant,une fois pour toutes, de quelques incorrectionsconstantes du manuscrit, maissignalant en note, d’une manière spéciale,certaines anomalies singulières. J’ai, d’ailleurs,accepté l’orthographe du manuscrit,toutes les fois qu’elle était admissible et surtoutconstante. Par exemple, le manuscritporte, non pas une fois, mais toujours,neglegentia,neglegere; j’ai adopté cetteforme, quoique moins bonne quenegligentia,negligere, parce qu’elle est latine, et quetout porte à croire qu’elle a été celle de Hrotsvitha.Mais, quand le copiste n’a pas de règlesfixes et qu’il écrit le même mot, tantôtd’une façon et tantôt d’une autre, je me suiscru autorisé à n’employer que la meilleure.J’ai suivi le même système pour la ponctuationet les capitales. Le manuscrit m’ayantparu ne présenter à cet égard aucune règleappréciable, j’ai dû me conformer à l’usagecommunément reçu.

Quant à la traduction, je me suis efforcé[lxiv]de la rendre aussi fidèle et aussi littérale qu’ilétait possible de le faire, en respectant le géniede notre langue; je serais heureux qu’ellepût reproduire quelque chose de la grâce etde la délicatesse de l’original. Elle aura toujoursl’avantage d’être la première traductioncomplète de ce recueil théâtral. Gottsched n’atraduit que la première partie deGallicanusen allemand. J’ai eu à surmonter dans ce travail,surtout pour le rétablissement du texte,d’assez graves et assez nombreuses difficultés.Si les juges compétents en cette matière, soiten France, soit à l’étranger, croient mes effortsdignes de quelques éloges, je dois enreporter la meilleure partie aux conseils queje n’ai cessé de recevoir de mon ami et collègue,M. Louis Dubeux, qui m’a prêté encette occasion, comme en toutes, le secoursde la sagacité philologique la plus sûre et dusavoir le plus étendu.

4 juillet 1845.

THÉATRE DE HROTSVITHA.

HROTSUITHÆ
VIRGINIS ET MONIALIS GERMANICÆ,
GENTE SAXONICA ORTÆ,
INCIPIT
LIBER DRAMATICA SERIE CONTEXTUS[78].


Hujus omnem materiam, sicut et prioris, opusculisumsi ab antiquis libris sub certis auctorumnominibus conscriptis, excepta superius scriptapassione sancti Pelagii, cujus seriem martyrii quidam,ejusdem qua passus est indigena civitatis,mihi exposuit, qui ipsum pulcherrimum virorumse vidisse et exitum rei attestatus est veraciteragnovisse. Unde si quid in illis falsitatis dictandocomprehendi, non ex meo fefelli, sed fallentesincaute imitata fui.

PRÆFATIO IN COMŒDIAS[79].


Plures inveniuntur catholici, cujus nos penitusexpurgare nequimus[80] facti, qui, pro cultiorisfacundia sermonis, gentilium vanitatemlibrorum utilitati præferunt sacrarum Scripturarum.Sunt etiam alii sacris inhærentes paginis,qui licet alia gentilium spernant, Terentii[81] tamenfigmenta[82] frequentius lectitant, et, dumdulcedine sermonis delectantur, nefandarum notitiarerum maculantur. Unde ego,Clamor validusGandeshemensis, non recusavi illum imitaridictando, dum[83] alii colunt legendo; quo, eodemdictationis genere, quo turpia lascivarum incestafeminarum recitabantur, laudabilis sacrarum castimoniavirginum, juxta mei facultatem ingenioli,celebraretur. Hoc tamen facit non raro verecundarigravique rubore perfundi, quod, hujusmodispecie dictationis cogente, detestabilem inlicite[84]amantium dementiam et male dulcia colloquia[6]eorum, quæ nec nostro auditui[85] permittuntur,accommodari dictando mente tractavi et stili officiodesignavi. Sed, si[86] hæc erubescendo neglegerem,nec proposito satisfacerem, nec innocentiumlaudem adeo plene juxta meum posseexponerem, quia quanto blanditiæ amantium[87]ad illiciendum promptiores, tanto et superni adjutorisgloria sublimior et triumphantium victoriaprobatur gloriosior, præsertim cum feminea fragilitasvinceret, et virile[88] robur confusioni subjaceret.Non enim dubito mihi ab aliquibus objici,quod hujus vilitas dictationis multo inferior, multocontractior, penitusque dissimilis ejus, quem proponebamimitari; sit, sententiis concedo[89]: ipsistamen denuncio me in hoc jure reprehendi nonposse, quasi his vellem abusive assimilari, quimei inertiam longe præcesserunt in scientia sublimiori.Nec enim tantæ sum jactantiæ, ut vel extremisme præsumam conferre auctorum alumnis,sed hoc solum nitor, ut, licet nullatenus valeamapte, supplici tamen mentis devotione, acceptum indatorem retorqueam ingenium. Ideoque non sumadeo amatrix mei, ut pro vitanda reprehensione,Christi, qui in Sanctis operatur, virtutem (quocumqueipse dabit posse) cessem prædicare. Si[8]enim alicui placet mea devotio, gaudebo; si autem,vel pro mei abjectione, vel pro vitiosi sermonisrusticitate nulli placet, memet ipsam tamenjuvat quod feci; quia, dum proprii vilitatem laborisin aliis meæ inscientiæ opusculis heroico ligatamstrophio, in hoc dramatica junctam seriecolo[90], perniciosas gentilium delicias abstinendodevito.

[78] Legitur in codice (folio 77o verso):Explicit liber primus,incipit secundus dramatica serie contextus.
[79] Codex habet:Hrosvithæ illustris mulieris Germanicæ gente Saxonicaortæ in sex comœdias suas præfatio incipit fæliciter. Hic titulusscriptus est recentiore manu, quam Conradi Celtis esse putant BibliothecæRegiæ Monacensis custodes.
[80] Celtes et Schurzfleisch:nequivimus.
[81] Codex:Terrentii.—Celtes:Therencii.
[82] Codex:Fingmenta.
[83] Sic codex.—Celtes:quem.
[84] Celtes:illicite.
[85] Codex:autitui.
[86] Conjunctio conditionalissi, quæ in codice deest, ex Celte recepipostulante sensu.
[87] Codex:amentium.
[88] Codex et Celtes:virilis.—Schurzfleisch:virile.
[89] Celtes:eorum concedo sententiis.—Schurzfleisch:concedosententiis. Nihil tamen mutandum.

EPISTOLA EJUSDEM
AD
QUOSDAM SAPIENTES HUJUS LIBRI FAUTORES[91].

Plene sciis et bene moratis, nec alieno profectuiinvidentibus, sed, ut decet vere sapientes,congratulantibus, Hrotsuitha[92] nesciola, nullaqueprobitate idonea, præsens valere et perpesgaudere. Vestræ igitur laudandæ humilitatis magnitudinemsatis admirari nequeo, magnificæque,circa mei utilitatem, benignitatis atque dilectionisplenitudinem, condignarum recompensatione gratiarumremetiri non sufficio, quia, cum philosophicis[10]adprime studiis enutriti et scientia longeexcellentius sitis perfecti, mei opusculum vilismulierculæ, vestra admiratione dignum duxistis,et largitorem in me operantis gratiæ fraterno affectugratulantes laudastis, arbitrantes mihi inessealiquantulum scientiam artium, quarum subtilitaslonge præterit mei[93] muliebre ingenium. Deniquerusticitatem meæ dictatiunculæ hactenus vixaudebam paucis ac solummodo familiaribus meisostendere; unde pene opera cessavit dictandi ultraaliquid hujusmodi, quia, sicut pauci fuere, quime prodente perspicerent, ita non multi, qui, velquid corrigendum inesset enuclearent, vel ad audendum[94]aliquid huic simile provocarent. Atnunc, quia trium testimonium constat esse verum,vestris corroborata sententiis, fiducialius[95] præsumoet componendis operam dare, si quando Deusannuerit posse, et quorumcumque sapientium examensubire. Inter hæc diversis affectibus, gaudiovidelicet et metu, in diversum trahor. Deum namque,cujus solummodo gratia sum id quod sum,in me laudari cordetenus gaudeo; sed major quamsim videri timeo, quia utrumque nefas esse nonambigo, et gratuitum Dei donum negare, et nonacceptum accepisse simulare. Unde non denegopræstante gratia Creatoris per dynamin me artes[12]scire, quia sum animal capax disciplinæ, sed perenergiam[96] fateor omnino nescire. Perspicaxquoque ingenium divinitus mihi collatum esseagnosco, sed magistrorum cessante diligentia, incultumet propriæ pigritia inertiæ torpet neglectum.Quapropter, ne in me donum Dei annullareturob neglegentiam mei, si qua forte fila veletiam floccos de panniculis a veste philosophiæabruptis evellere quivi, præfato opusculo insererecuravi, quo vilitas meæ inscientiæ intermixtionenobilioris materiæ illustraretur, et largitor ingeniitanto amplius in me jure laudaretur[97], quantomuliebris sensus tardior esse creditur. Hæc mea indictando intentio, hæc sola mei sudoris est causa,neque simulando me nescita scire jacto, sed quantumad me tantum scio quod nescio. Quia enimattactu vestri favoris atque petitionis arundineomore inclinata libellum, quem tali intentione disposui,sed usque huc pro sui vilitate occultarequam in palam proferre malui, vobis perscrutandumtradidi, decet ut non minoris diligentia sollicitudiniseum emendando investigetis, quam propriiseriem laboris; et sic tandem ad normam rectitudinisreformatum mihi remittite, quo, vestrimagisterio præmonstrante in quibus maxime peccassempossim agnoscere.

[90] Celtes:in hac dragmatica junctura serie colo.
[91] Celtes addit:et emendatores priusquam libros suos ederet, quodnescio unde invexit.
[92] Scripturam hujus nominis nostræ ex pluribus poetriæ locisdedimus. Ita enim in præfationeSanctæ Mariæ, in fineAscentionisDomini, in præfationeGangolphi, in præfationePelagii et in præfationeProterii, teste G. H. Pertzio (Monumenta Germaniæ; Scriptorumtom. IV, p. 302, n. 1). Hic tantum, ni fallor,Hrotsvitcodex exhibet.
[93] Schurzfleisch:meum, nulla necessitate.
[94] Celtes:audiendum, male.
[95] Celtes:fiducialibus, absque sensu.
[96] Codex:energian, proenergeian, semigræce.
[97] Sic Celtes.—Codex habetlauderetur.

I.
GALLICANUS[98].

ARGUMENTUM IN GALLICANUM[99].


Conversio Gallicani principis militiæ, qui iturus ad bellumcontra Scythas, sacratissimam virginem ConstantiamConstantini imperatoris filiam desponsavit, sed in conflictuprælii nimium coartatus, per Joannem et Paulumprimicerios Constantiæ conversus, ad baptisma convolavit,cælibemque vitam elegit. Postea autem jubente Julianoapostata in exilium missus martyrio est coronatus.Sed et Joannes et Paulus eodem jubente clam occisi et indomo occulte sunt sepulti. Nec mora: percussoris filiusa dæmonio arreptus, patris commissum et martyrum confitendomeritum juxta eorum sepulchra salvatus, una cumpatre est baptizatus.

GALLICANUS.


DRAMATIS PERSONÆ[100].

CONSTANTINUS imperator.
GALLICANUS.
CONSTANTIA.
ARTEMIA.
ATTICA.
JOANNES.
PAULUS.
Principes.


SCENA PRIMA[101].


CONSTANTINUS[102].
Tædet me, Gallicane, morarum, quia gentem,quam scis Scytharum Romanæ solam resisterepaci nostrisque temere præceptis reluctari, belloprotrahis lacessere, cum pro tui strenuitate id[20]tibimet exercitii ad defensionem non ignores patriæservari[103].
GALLICANUS[104].
Tuis enim, o Auguste Constantine, obnixe manibuspedibusque semper insistens obsequiis,tuæ Augustalis excellentiæ votis effectu conabarrespondere operis, nec umquam me subtraxi faciendis.
CONSTANTINUS.
Si opus est monitu[105]? nam memoriæ fixumteneo. Unde monui hortando potius quam arguendo,morem ut geras.
GALLICANUS.
Id ipsum etiam studebo nunc.
CONSTANTINUS.
Gaudeo.
GALLICANUS.
Nec amore vitæ abduci potero, quin peragamquæ jubes.
CONSTANTINUS.
Placet, tuique in me benivolentiam laudo.
GALLICANUS.
Sed summa implendæ intentio servitutis summamexpetit recompensationem mercedis.
[22]CONSTANTINUS.
Nec injuria.
GALLICANUS.
Difficultas enim cujuscumque laboris tolerabiliusfertur, si haud[106] incerta accipiendæ spe mercedisrelevatur.
CONSTANTINUS.
Patet.
GALLICANUS.
Unde ineundi præmium periculi mihi, quæso,proponas in præsenti, quo inpigre dimicans sudorenon frangar certaminis, animatus spe retributionis.
CONSTANTINUS.
Quod dignissimum omnique videbatur senatuigratissimum[107] numquam tibi negabam aut negabopræmium, scilicet nostræ adeptionem familiaritatis,præcipuæque inter palatinos dignitatis.
GALLICANUS.
Fateor, sed id nunc haud molior.
CONSTANTINUS.
Si aliud expetas, oportet proferas.
GALLICANUS.
Immo aliud.
CONSTANTINUS.
Quid?
[24]GALLICANUS.
Si præsumo dicere....
CONSTANTINUS.
Et bene.
GALLICANUS.
Irasceris.
CONSTANTINUS.
Nullo modo.
GALLICANUS.
Certe.
CONSTANTINUS.
Non.
GALLICANUS.
Moveberis indignatione.
CONSTANTINUS.
Ne id vereare.
GALLICANUS.
Dicam, jussisti; Constantiam tui natam amo.
CONSTANTINUS.
Et merito. Decet enim[108] ut herilem filiam honorabiliterames et amabiliter honores.
GALLICANUS.
Interrumpis dicenda.
CONSTANTINUS.
Non interrumpo.
[26]GALLICANUS.
Ipsamque, si tua annuerit pietas, desponsaregestio.
CONSTANTINUS.
Non leve appetit præmium, sed summum vobisque,o principes, ante insolitum.
GALLICANUS.
Eh[109] heu! dedignatur; præscivi. Instate,quæso, mecum precibus.
PRINCIPES.
Decet tuam, imperator egregie, dignitatem, utpro sui reverentia hoc illi non abnuas.
CONSTANTINUS.
Si[110] abnuo quantum ad me; sed subtili primuminquisitione reor investigandum, an filiapræbeat assensum.
PRINCIPES.
Consequens est.
CONSTANTINUS.
Ibo, ipsamque, si velis, Gallicane, pro hac reappellabo.
GALLICANUS.
Ac libens.

[28]SCENA SECUNDA.


CONSTANTIA[111].
Dominus imperator adit nos solito tristior. Quidvelit vehementer admiror.
CONSTANTINUS.
Huc ades, o filia Constantia, paucis te volo.
CONSTANTIA.
Assum, domine mi; jube, quid velis.
CONSTANTINUS.
Anxietate cordis fatigor, gravique tristitia afficior.
CONSTANTIA.
Ut te venientem aspexi, tristitiam deprehendi,et licet causam ignorarem, conturbata pertimui.
CONSTANTINUS.
Tui causa contristor.
CONSTANTIA.
Mei?
CONSTANTINUS.
Tui.
CONSTANTIA.
Expaveo; quid est, domine mi?
[30]CONSTANTINUS.
Piget dicere, ne contristeris.
CONSTANTIA.
Multo magis contristor, si non dixeris.
CONSTANTINUS.
Gallicanus dux, cui frequens successus triumphorumprimum inter principes dignitatis adquisivitgradum, cujusque ope sæpissime indigemusad defensionem patriæ....
CONSTANTIA.
Quid ille?
CONSTANTINUS.
Desiderat te sponsam habitum ire.
CONSTANTIA.
Me?
CONSTANTINUS.
Te.
CONSTANTIA.
Mallem[112] mori.
CONSTANTINUS.
Præscivi.
CONSTANTIA.
Nec mirum, quia tuo consensu, tuo permissu,servandam Deo virginitatem devovi.
CONSTANTINUS.
Memini.
[32]CONSTANTIA.
Nullis enim suppliciis umquam potero compelli,quin inviolatum custodiam sacramentumpropositi.
CONSTANTINUS.
Convenit. Sed hinc coartor nimium, quia si,quod debet fieri paterno more, te in propositopermansum ire consensero, haud leve damnumpatiar in publica re. Si autem, quod absit, renitor,æternis cruciandus pœnis subjacebo.
CONSTANTIA.
Si enim divinum desperarem adesse auxilium,mihi quam maxime, mihi potissimum esset dolendum.
CONSTANTINUS.
Verum.
CONSTANTIA.
Nunc autem nullus relinquitur locus mœstitiæ,præsumenti de Domini pietate.
CONSTANTINUS.
Quam bene dicis, mea Constantia!
CONSTANTIA.
Si meum digneris captare consilium, præmonstraboqualiter utrumque evadere possis damnum.
CONSTANTINUS.
O utinam!
[34]CONSTANTIA.
Simula, prudenter peracta expeditione, ipsiusvotis te satisfacturum esse: et ut meum concordaricredat velle, suade, quo suas interim filiasAtticam ac Artemiam, velut pro solidandi pignoreamoris, mecum mansum ire, meosque primiceriosJoannem et Paulum secum faciat iter arreptumire.
CONSTANTINUS.
Et quid, si victor revertetur[113], mihi erit agendum?
CONSTANTIA.
Reor Omnipatrem prius esse invocandum, quoab hujusmodi intentione Gallicani revocet[114] animum.
CONSTANTINUS.
O filia, filia, quantum dulcedine tuæ alloquutionisamaritudinem dulcorasti mœsti patris, adeout pro hac re nulla post hæc movear sollicitudine.
CONSTANTIA.
Non est necesse.
CONSTANTINUS.
Eam, et Gallicanum læta promissione circumveniam.
CONSTANTIA.
Vade in pace, mi domine.

[36]SCENA TERTIA.


GALLICANUS.
Curiositate frangar, o principes, antequam,quid mis[115] senior Augustus tamdiu cum herilifilia agat, experiar.
PRINCIPES.
Suadet illi velle quæ desideras.
GALLICANUS.
O utinam prævaleret suasio!
PRINCIPES[116].
Forsitan prævalebit.
GALLICANUS.
Silete, quiescite, Augustus revertitur, non utabiit obscuro, sed vultu admodum sereno.
PRINCIPES.
Bona fortuna.
GALLICANUS.
Si enim, ut dicitur, speculum mentis est facies,serenitas faciei, mansuetudinem forte designat ejusanimi.
PRINCIPES.
Ita.

[38]SCENA QUARTA.


CONSTANTINUS.
Gallicane!
GALLICANUS.
Quid dixit?
PRINCIPES.
Procede, procede, vocat te.
GALLICANUS.
Dii propitii, favete!
CONSTANTINUS.
Perge securus, Gallicane, ad bellum. Reversurusenim accipies, quod desideras, præmium.
GALLICANUS.
Illudisne me?
CONSTANTINUS.
Si illudo?
GALLICANUS.
Me felicem, si unum scirem.
CONSTANTINUS.
Quid unum?
GALLICANUS.
Ejus responsum.
CONSTANTINUS.
Filiæ?
GALLICANUS.
Ipsius.
[40]CONSTANTINUS.
Injusta satis ratio in hac re verecundæ virginisresponsum quærere. Consequentia autem rerummonstrabit ejus assensum.
GALLICANUS.
Si hunc scirem, responsum flocci facerem.
CONSTANTINUS.
Licet, experiare.
GALLICANUS.
Exopto.
CONSTANTINUS.
Sui primicerios Joannem et Paulum tecum commoratumiri decrevit, usque in diem nuptiarum.
GALLICANUS.
Quam ob causam?
CONSTANTINUS.
Quo illorum ex confabulatione ipsius vitam,mores, consuetudinem, possis prænoscere.
GALLICANUS.
Bonum consilium, mihique quam maxime placitum.
CONSTANTINUS.
Scilicet tui filias secum versa vice desideratinterim mansum ire, quatinus illarum per sodalitatemtibi fiat morigera.
GALLICANUS.
Euax, Euax! Omnia meis respondent votis.
[42]CONSTANTINUS.
Fac ut adducantur citius.
GALLICANUS[117].
Statis, milites? Currite, abite, adducite filiasad obsequium sui dominæ.

SCENA QUINTA.


MILITES.
Assunt illustres Gallicani natæ, tuæ familiaritati,hera Constantia, pro sui pulchritudinis, sapientiæ,et probitatis perspicuitate satis aptæ.
CONSTANTIA.
Placet. (Introducuntur[118] honorifice.)—Amator virginitatiset inspirator castitatis, Christe, qui meprecibus martyris tuæ Agnetis a lepra paritercorporis et ab errore eripiens gentilitatis, invitastiad virgineum tui Genitricis thalamum, in quo tumanifestus es verus Deus, retro exordium natus aDeo Patre, idemque[119] verus homo ex Matre[44]natus in tempore, te veram et coæternam Patrisapientiam, per quam facta sunt omnia et cujusdispositione consistunt et moderantur universa,suppliciter exoro, ut Gallicanum, qui tui in meamorem surripiendo conatur extinguere, post tetrahendo ab injusta intentione revocare, suiquefilias digneris tibi assignare sponsas, et instillacogitationibus earum tui amoris dulcedinem, quatinusexecrantes carnale consortium pervenire mereanturad sacrarum societatem virginum.
ARTEMIA.
Ave, Constantia, imperialis hera.
CONSTANTIA.
Salvete, sorores, Attica et Artemia; state, state,ne procidatis, sed libate mihi osculum amoris.
ARTEMIA.
Tuum ad obsequium, domina, alacri mente venimus,tuæ ditioni summa devotione nos subjecimus,tantum, ut tua nobis abundet gratia.
CONSTANTIA.
Unum Dominum habemus in cœlis, cui debeturdevotio nostræ servitutis, in cujus fide et dilectionecondecet nos servata corporis integritate unanimiterperseverare, ut mereamur aulam cœlestispatriæ cum palma virginitatis introire.
[46]ARTEMIA.
In nullo reluctamur, sed testes in omnibus præceptisparere nitimur, præcipue in agnitione veritatiset servandæ proposito virginitatis.
CONSTANTIA.
Congrua satis responsio, vestraque ingenuitatecondigna, nec dubito, quin divinæ inspirationegratiæ ad credendum estis perventæ[120].
ARTEMIA.
Qui posset fieri, ut servientes idolis sanum saperemus,sine illustratione supernæ pietatis?
CONSTANTIA.
Stabilitas vestræ fidei spem mihi excitat de credulitateGallicani.
ARTEMIA.
Admoneatur tantum; haud dubium quin credat[121].
CONSTANTIA.
Advocentur Joannes et Paulus.

[48]SCENA SEXTA.


JOANNES.
Præsto sumus, hera, quos[122] vocasti.
CONSTANTIA.
Ite citi ad Gallicanum, et inhærentes ejus laterisuadete illi paulatim mysterium nostræ fidei, siforsan illum Deus dignetur per nos[123] lucrari[124].
PAULUS.
Deus det proventum! Nos adhibemus frequentationeshortamentorum.

SCENA SEPTIMA.


GALLICANUS.
Opportune advenitis, Joannes et Paule; suspensisdiu animis vestrum præstolabar adventum.
[50]JOANNES.
Ut vocem jubentis domnæ hausimus, tibi adobsequendum convolavimus.
GALLICANUS.
Multo magis vestro quam aliorum delector obsequio.
PAULUS.
Non immerito, nam vulgo dicitur:Qui dilectisobsequitur, et ipse fit dilectus[125].
GALLICANUS.
Verum.
JOANNES.
Dilectio mittentis heræ reconciliatur nos familiaritatituæ.
GALLICANUS.
Non nego. Convenite, congregamini, tribuni etcenturiones, omnesque mei juris milites. AssuntJoannes et Paulus, quorum detinebar absentia nepergerem.
TRIBUNI.
Præcede. (Collectim comitantur[126].)
GALLICANUS.
Capitolium et templa primum nobis intranda,numinaque deorum placanda sunt ritu sacrificiorum,quo prosperentur exitus[127] pugnæ.
[52]TRIBUNI.
Necesse.
JOANNES.
Subtrahamus nos interim.
PAULUS.
Decet.

SCENA OCTAVA.


JOANNES.
En, dux egreditur; ascendamus equos, offeramusnos obviam.
PAULUS.
Ac cito.
GALLICANUS.
Unde venitis? Ubi fuistis?
JOANNES.
Stravimus sarcinulas, præmisimus, quo expeditituum iter possimus comitari.
GALLICANUS.
Placet.

[54]SCENA NONA.


GALLICANUS.
O tribuni, proh Juppiter! aspicio innumerabilisexercitus legiones, variis armorum instrumentishorribiles.
TRIBUNI.
Hercle hostes!
GALLICANUS.
Resistamus fortiter et congrediamur viriliter.
TRIBUNI.
Si est utilis nostri congressio cum tantis?
GALLICANUS.
Et quid mavultis?
TRIBUNI.
Submittere colla.
GALLICANUS.
Nolit hoc Apollo!
TRIBUNI.
Ædepol faciendum. En, undiquesecus circumdamur,vulneramur, perimimur.
GALLICANUS.
Eh heu! quid erit, cum tribuni me spernunt,se tradunt?
[56]JOANNES.
Fac votum Deo cœli te christianum fieri, etvinces.
GALLICANUS.
Voveo, et opere implebo.
HOSTES[128].
Heus! rex Bradan, sperandæ fortuna victoriæalludit[129] nos. En, dextræ languescunt, vires fatiscunt[130];sed et inconstantia pectoris cogit nosdiscedere ab armis.
BRADAN.
Quid dicam ignoro; ipsa quam toleratis meurget passio. Restat ut nos duci tradamus.
HOSTES.
Alias non evademus.
BRADAN.
Dux Gallicane, noli in nostri perniciem sævire,sed parce et utere ut libet nostra servitute.
GALLICANUS.
Ne trepidetis, ne formidetis; sed datis obsidibusfacite vos tributarios imperatoris et vivitebeate sub Romana pace.
BRADAN[131].
Tuo arbitrio pendet quot qualesque accipere[58]quantumque pondus solvendi census nobis velisimponere.
GALLICANUS.
Solvite procinctum, mei milites; nemo lædatur,nemo perimatur; amplectamur fœderatos, quospublicos insectamur[132] inimicos.
JOANNES.
Quanto magis valet intenta precatio, quamhumana præsumptio!
GALLICANUS.
Verum.
PAULUS.
Quam efficax his aderit superna miseratio, quosDeo commendat humilis devotio!
GALLICANUS.
Perspicuum.
JOANNES.
Sed quod vovetur in perturbatione, solvendumest in tranquillitate.
GALLICANUS.
Assentio; unde quantocius baptizari[133] gestio,ac reliquum vitæ in Dei obsequio vacare.
PAULUS.
Justum.

[60]SCENA DECIMA.


GALLICANUS.
Ecce, in introitu nostro proruunt Romani urbicolæ,insignia laudum ferentes ex more.
JOANNES.
Consequens est.
GALLICANUS.
Sed nec nostræ, nec deorum fortitudini titulusdebetur triumphi.
PAULUS.
Nullo modo, sed vero Deo.
GALLICANUS.
Unde templa arbitror transeunda.
JOANNES.
Recte arbitraris.
GALLICANUS.
Et limina Apostolorum supplici confessione esseintranda.
PAULUS.
O te tali opinione felicem! Nunc testaris teverum christicolam.

[62]SCENA UNDECIMA.


CONSTANTINUS.
Admiror, o milites, cur Gallicanus tamdiu sesubtrahat nostris conspectibus.
MILITES.
Ut urbem intravit, gressum ad domum sanctiPetri concite tetendit, terratenusque prostratuspro recepta victoria grates impendit Altithrono.
CONSTANTINUS.
Gallicanus?
MILITES.
Ipse.
CONSTANTINUS.
Incredibile.
MILITES.
En, accedit; ipsum potes sciscitari.

[64]SCENA DUODECIMA.


CONSTANTINUS.
Diu te, Gallicane, sustinui, ut modum exitumqueexperirer prælii.
GALLICANUS.
Dicam digestim.
CONSTANTINUS.
Hoc interim parvi pendo, quo edisseras quodmagis exopto.
GALLICANUS.
Quid est?
CONSTANTINUS.
Cur iturus deorum templa et revertens intraresApostolorum tecta.
GALLICANUS.
Rogas?
CONSTANTINUS.
Curiose.
GALLICANUS.
Expono.
CONSTANTINUS.
Exopto.
GALLICANUS.
Fateor, sacratissime imperator, iturus, ut objecisti,[66]sacella intravi, meque dæmoniis et diis supplexcommisi.
CONSTANTINUS.
Hoc Romanis antiquitus fuit in more.
GALLICANUS.
Mala consuetudo.
CONSTANTINUS.
Pessima.
GALLICANUS.
Quo pacto tribuni cum suis legionibus advenere,meque euntem undiquesecus sepsere.
CONSTANTINUS.
Pomposo admodum apparatu egrediebaris.
GALLICANUS.
Promovimus, hostes impegimus, commisimus,victi sumus.
CONSTANTINUS.
Romani victi!
GALLICANUS.
Penitus.
CONSTANTINUS.
O res dira omnibusque seclis inaudita!
GALLICANUS.
Ego quidem nefanda sacrificia iteravi, nec aderantqui adjuvarent dii; sed invalescente congressioneplurimi ex nostris interiere.
[68]CONSTANTINUS.
Confundor audiendo.
GALLICANUS.
Tandem tribuni me spreverunt, se tradiderunt.
CONSTANTINUS.
Hostibus?
GALLICANUS.
Ipsis.
CONSTANTINUS.
Ah! quid fecisti?
GALLICANUS.
Quid possem facere, nisi fugam captare?
CONSTANTINUS.
Non.
GALLICANUS.
Etiam.
CONSTANTINUS.
Quantis tunc angustiis urgebatur constantiatui pectoris!
GALLICANUS.
Maximis.
CONSTANTINUS.
Et quomodo evasisti?
GALLICANUS.
Mis[134] familiares socii Joannes et Paulus suaseruntmihi votum fecisse Creatori.
[70]CONSTANTINUS.
Salubre.
GALLICANUS.
Experiebar. Ut os ad vovendum aperui, cœlestejuvamen sensi.
CONSTANTINUS.
Quo pacto?
GALLICANUS.
Apparuit mihi juvenis proceræ magnitudiniscrucem ferens in humeris, et præcepit ut strictomucrone illum sequerer.
CONSTANTINUS.
Quisquis ille erat, cœlitus missus fuerat.
GALLICANUS.
Comprobavi; nec mora, astiterunt mihi adextra lævaque milites armati, quorum vultumminime agnovi, promittentes auxilium sui.
CONSTANTINUS.
Cœlestis militia.
GALLICANUS.
Non ambigo. At ubi sequens præcedentem securus[135]inter medias hostium ingrederer acies,perveni ad regem eorum, nomine Bradan, quimox incredibili metu correptus, pedibusque meisprovolutus, se cum suis subdidit, professus censumprincipi Romani orbis finetenus solvendum.
[72]CONSTANTINUS.
Grates prosperitatis auctori, qui in se sperantesnon patitur confundi.
GALLICANUS.
Experimento didici.
CONSTANTINUS.
Vellem experiri quid deinde profugi actitarenttribuni.
GALLICANUS.
Maturabant reconciliari.
CONSTANTINUS.
Recepistin’ gratis?
GALLICANUS.
Ego illos[136] gratis, qui me periclis[137], qui seinimicis? haud ita.
CONSTANTINUS.
Et qui?
GALLICANUS.
Proposui promerendæ gratiæ pretium.
CONSTANTINUS.
Quale?
GALLICANUS.
Videlicet sectam christicolarum, quam quielegerit[138], gratiam susciperet priorem honoremque[74]ampliorem; qui vero spreverit[139], gratiasimul privaretur et militia.
CONSTANTINUS.
Recta propositio, tuaque auctoritate condigna.
GALLICANUS.
Ego quidem, baptismate imbutus, totum meDeo subjugavi, in tantum, ut tuæ quam præ omnibusdilexi abrenunciarem filiæ, quo abstinensconjugii placerem Virginis proli.
CONSTANTINUS.
Accede propius, ut irruam in tuos amplexus.Nunc quidem, nunc cogor tibi detegere quod adtempus studebam velare.
GALLICANUS.
Quid?
CONSTANTINUS.
Id videlicet, quod mea tuæque natæ eidemquam elegisti student religioni.
GALLICANUS.
Gaudeo.
CONSTANTINUS.
Tantoque servandæ virginitatis flagrant amore,ut nec minis nec blandimentis revocari possint[140]ab intentione.
GALLICANUS.
Perseverent, exopto.
[76]CONSTANTINUS.
Introeamus in palatium, ubi ipsæ commorantur.
GALLICANUS.
Præcede, sequar.
CONSTANTINUS.
Ecce, occurrunt cum Augusta Helena mei genitricegloriosa, omnibusque lacrimæ fluunt prægaudio.

SCENA TERTIA DECIMA.


GALLICANUS.
Vivite feliciter, o sanctæ virgines, perseverantesin Dei timore, decusque virginitatis inviolatumservate, quo dignæ inveniamini amplexibus Regisæterni.
CONSTANTIA.
Eo liberius servabimus, quo te non contra luctarisentimus.
GALLICANUS.
Non contra luctor, non renitor, non prohibeo;sed vestris in hoc votis libens concedo in tantum,ut nec te, o mea Constantia, quam haud segniter[78]emi vitæ pretio, aliud quam cœpisti vellecogam[141].
CONSTANTIA.
Hæc mutatio dextræ Excelsi.
GALLICANUS.
Si in melius mutatus non essem, tuæ promissioniassensum non præberem.
CONSTANTIA.
Amicus pudicitiæ virginalis et fautor totius bonævoluntatis, qui te ab injusta cogitatione[142] revocavit,meamque virginitatem sibi signavit, digneturnos pro corporali discidio quandoque associatumire in æterno gaudio.
GALLICANUS.
Fiat, fiat!
CONSTANTINUS.
Cum vinculum Christi amoris in unius nos societate[143]conjungat religionis, decet ut, quasigener Augustorum, honorifice nobiscum habitesintra palatium.
GALLICANUS.
Nulla magis est vitanda tentatio, quam oculorumconcupiscentia.
[80]CONSTANTINUS.
Refragari nequeo.
GALLICANUS.
Unde non expedit me frequentius virginem intueri,quam præ parentibus, præ vita, præ anima,a me scis amari.
CONSTANTINUS.
Ut libet.
GALLICANUS.
Ecce, habes quadruplicatum exercitum Christofavente et me laborante, patere ut[144] nunc militemImperatori, cujus juvamine vici, et cui debeoquidquid feliciter vixi.
CONSTANTINUS.
Ipsum decet laus et jubilatio, ipsi debet famulariomnis creatura.
GALLICANUS.
Sed illi potissimum, quis in necessitate largiuspræstat auxilium.
CONSTANTINUS.
Ut asseris.
GALLICANUS.
Partem possessionis, quæ ad filias pertinet, excipio,partemque ad susceptionem peregrinorummihi reservo. De reliquo[145] proprios servos libertatedonatos ditari, pauperumque necessitatesvolo sustentari.
[82]CONSTANTINUS.
Prudenter possessa disponis, nec expers fiesæternæ retributionis.
GALLICANUS.
Me ipsum etiam sancto viro Hilariano in urbeOstiensi[146] individuum sodalem ardeo associatumiri, quo ibidem reliquum vitæ in Dei laude pauperumquevacem susceptione.
CONSTANTINUS.
Simplex Esse, cui semper est posse, sinat tui esseprosperis successionibus juxta sui velle vigere,et perducat te ad gaudia æternitatis, qui regnat etgloriatur in unitate Trinitatis.
GALLICANUS.
Amen.
[98] Inscriptio hujus fabulæ, sicut et cæterarum, deest in codice.
[99] Hæc tria verba manu recentiore scripta sunt in codice.
[100] Hæc inscriptio nec in hac nec in cæteris Nostræ fabulis legitur.
[101] Scenarum partitio nusquam in codice notatur.
[102] Constantini nomen omittit codex.
[103] Celtes:servare.
[104] Codex:G. resp. id est,Gallicanus respondit. LitteræG. resp.recentiore manu exaratæ sunt in codice, qui in scribendis personarumnominibus compendiis semper utitur.
[105] Sæpe apud Nostram conjunctiosi vim habet interrogandi,dubitandi et etiam negandi.
[106] Codex et hic et ubiquehaut. Semel monemus noshaud daturosesse.
[107] Schurzfleisch:gravissimum, mendose.
[108] Verbumenim recentiore manu et pallidiori atramento scriptumest in codice.
[109] Ita sæpissime codex, et bene, ut puto.—Celtes:Heu! heu!
[110] Hic notandumsi cum notione negandi.—Celtes:non.
[111] Nomen integrum exstat in codice.
[112] Codex:Mallim.
[113] Ita codex.—Celtes:reverteretur.
[114] Celtes:revocaret.
[115] Sic codex.—Celtes:meus, nulla utilitate.
[116] Codex:P, superscripto recentiore manuPrincipes d, id est,Principes dicunt.—Celtes:Paulus, male.
[117] Sic Celtes.—In codice legiturC. (id estConstantinus) proG.(Gallicanus), librarii vitio.
[118] Sic codex.—Celtes:introducantur.—Hæc verba parenthesisnota inclusi, quia, ni fallor, ad sermonis seriem non pertinent,sed de iis quæ in scena aguntur nos monent.
[119] Codex:idemque quæ.
[120] Sic codex et Celtes.—Schurzfleisch:perventuræ.
[121] Codex:credat quin.
[122] Ita Celtes.—In codice legitur:quod.
[123] Sic codex.—Celtes nulla necessitate emendatvos.
[124]Lucrari est emendatio Celtis.—Codex habetluctari.
[125] Hæc verbaQui dilectis, etc., recepimus ex Celte.—Legitur incodice:quod dilectis ocius et ipse sit dilectus, sine sensu.
[126] Verbacollectim comitantur parenthesi inclusadidascaliam, id est,quid sit ludentibus agendum in scena, indicant; ut supra,pagin. 42.
[127] Codex mendose:exitum, quod Celtes dedit.
[128] Plenam vocem exhibet codex.
[129] Sic codex.—Celtes:illudit.
[130] Codex et Celtes:languescent et fatiscent.
[131] Codex:Hostes.—A Celte recipimusBradan.
[132] Celtes:insectabamur.
[133] Codex:batizari.
[134] Sic codex casco loquendi genere.—Celtes:mei.
[135] Sic codex.—Celtes:secutus, vitiosum sine dubio.
[136] Ita Celtes.—Codex:illas.
[137] Codex:periclas.—Celtes:periculis.
[138] Sic Celtes.—Codex:eligerit.
[139] Codex:spreverint.
[140] Codex:possunt.
[141] Sic codex.—Celtes:cogor, absque sensu.
[142] Celtes:intentione, quod verbum etiam in codice sua manuinscripsit.
[143] Codex:sociate.
[144] Sic codex.—Celtes omisitut et addiditme.
[145] Sic Celtes.—Codex:derelinquo.
[146] Hunc locum Bollandi auxilio restitui. Cf.Acta sanctorum, juniitom. V, p. 38.—Codex:ostensi.—Celtes:ostendi.

GALLICANI
PARS SECUNDA[147].


DRAMATIS PERSONÆ.

JULIANUS, imperator.
Consules.
Milites[148].


SCENA PRIMA.


JULIANUS[149].
Incommodum satis nostro probatur esse imperio,[86]quod christiani libero utuntur arbitrio, etjactant se leges debere sequi, quas accipiebanttemporibus Constantini.
CONSULES.
Turpe, si pateris.
JULIANUS.
Non patiar.
CONSULES.
Decet.
JULIANUS.
O milites, accingimini, et nudate christicolaspossessionibus propriis, objiciendo sententiamChristi dicentis: Qui non renunciaverit omnibusquæ possidet, N. P. T. M. V. E. S. P. T[150].
MILITES.
In nobis non erit mora.

SCENA SECUNDA.


CONSULES.
En, milites revertuntur.
JULIANUS.
Secundusne est vester reditus?
[88]MILITES.
Secundus.
JULIANUS.
Et cur tam citus?
MILITES.
Dicemus: Castella, quæ Gallicanus sibi retinuit,decrevimus intrasse, tuæque servituti usurpasse;sed, si quis ex nostris pedem admovit, leprosusseu energumenus[151] est factus.
JULIANUS.
Revertimini, ipsumque compellite vel patriamdeserere, vel idolis sacrificare.

SCENA TERTIA.


GALLICANUS.
Ne fatigemini, o milites, inutilia suadendo, quiain æstimatione æternæ vitæ flocci facio quicquidhabetur sub sole. Unde patriam desero et exulpro Christo Alexandriam peto, optans ibidemcoronari martyrio.

[90]SCENA QUARTA.


MILITES.
Gallicanus, ut jussisti, patria expulsus Alexandriampetiit, ibique a Rautiano[152] comite tentusgladio est peremptus.
JULIANUS.
O bene factum!
MILITES.
Sed Joannes et Paulus te fastidiunt.
JULIANUS.
Quid agunt?
MILITES.
Libere vagant[153], thesauros Constantiæ erogant.
JULIANUS.
Advocentur.
MILITES.
Assunt.

[92]SCENA QUINTA.


JULIANUS.
Non nescio vos, Joannes et Paule, a cunabulisAugustorum[154] mancipatos fuisse obsequio.
JOANNES.
Fuimus.
JULIANUS.
Unde decet ut meo inhærentes lateri serviatis inpalatio, in quo nutriti estis a puero.
PAULUS.
Haud serviemus.
JULIANUS.
Mihin’ non servietis?
JOANNES.
Diximus.
JULIANUS.
Num non videor[155] Augustus?
PAULUS.
Sed dissimilis prioribus.
JULIANUS.
In quo?
[94]JOANNES.
Religione et merito.
JULIANUS.
Vellem plenius audire.
PAULUS.
Volumus dicere: Gloriosissimi et famosissimiimperatores Constantinus, Constans et Constantius,quorum famulabamus imperio, fuere virichristianissimi, et gloriabantur se servos esseChristi.
JULIANUS.
Memini, sed non opto eos in hoc sequi.
PAULUS.
Deteriora imitaris. Qui ecclesias frequentabant,et excusso diademate prostrati Jesum Christumadorabant.
JULIANUS.
Ad hæc me non cogitis.
JOANNES.
Ideo illis es dissimilis.
PAULUS.
Nam quia adolebantur[156] Creatori, Augustalisapicem dignitatis ornabant et beatificabant insignibussuæ probitatis et sanctitatis, prosperisquead vota successionibus pollebant.
JULIANUS.
Certe ego.
[96]JOANNES.
Non simili modo, quia eos divina comitabaturgratia.
JULIANUS.
Frivola. Ego quondam stultus talia exercui, etclericatum in Ecclesia obtinui.
JOANNES.
Placetne tibi, o Paule, clericus?
PAULUS.
Diaboli capellanus.
JULIANUS.
At ubi nihil utilitatis inesse deprehendi, adculturam deorum me inflexi[157], quorum pietasme provexit ad fastigium regni.
JOANNES.
Abrupisti nostri orationem, ne audires justorumlaudem.
JULIANUS.
Quid ad me?
PAULUS.
Nihil; sed subjungendum est quod ad te. Postquamenim mundus eis non erat dignus habendis,suscepti sunt inter angelos, tibique infelix respublicarelinquebatur regenda.
JULIANUS.
Cur infelix juxta id temporis?
JOANNES.
Ex qualitate rectoris.
[98]PAULUS.
Reliquisti omnem religionem, et imitatus esidololatriæ[158] superstitionem. Pro hac iniquitate,et a tuis conspectibus et a tuorum societate nossubtraximus.
JULIANUS.
Licet satis multis[159] a vobis dehonestatus sim,adhuc tamen parcens audaciæ cupio vos inter primosin palatio extollere.
JOANNES.
Ne fatiga te, quia nec minis, nec blandimentiscogimur cedere.
JULIANUS.
Decem dierum dabo inducias, quo tandemresipiscentes ultro maturetis reconciliari gratiænostræ dignitatis. Sin autem, quod faciendum estfaciam, ne ultra[160] vobis ludibrio fiam.
PAULUS.
Quod facturus eris hodie perfice, quia nec adtui salutationem, nec ad palatium, nec ad culturamdeorum nos poteris revocare.
JULIANUS.
Abite, discedite, quæ monui perpetrate.
JOANNES.
Acceptas non flocci faciamus inducias, sed facultates[100]cœlo permittamus, nosque jejuniis et obsecrationibusDeo interim commendemus.
PAULUS.
Consequens est.

SCENA SEXTA.


JULIANUS.
Vade, Terentiane[161], sumtis tecum militibuscompelle Joannem et Paulum deo Jovi sacrificare.Si autem obstinato resisterint pectore, perimantur,non palam, sed nimium occulte, quia palatinifuere.

SCENA SEPTIMA.


TERENTIANUS.
Imperator Julianus cui servio misit vobis, Joanneset Paule, pro sui clementia aureum simulacrumJovis, cui thura gratis imponere debetis.Quod si nolueritis, capitalem sententiam subibitis.
[102]JOANNES.
Si Julianus sit tuus dominus, habeto pacem cumillo, et utere ejus gratia. Nobis non est alius nisiDominus[162] Jesus Christus, pro cujus amore desideramusmori, quo mereamur æternis gaudiisperfrui.
TERENTIANUS.
Quid tardatis, milites? stringite ferrum, et interficiteimperatoris deorumque rebelles; interfectosclam in domo sepelite, nullumque sanguinisvestigium relinquite.
MILITES.
Et quid dicemus rogati?
TERENTIANUS.
Simulate quasi exilio sint destinati.
JOANNES, PAULUS.
Te, Christe, cum Patre et Sancto Spiritu regnantem,unum Deum, sub hoc periculo invocamus,te moriendo laudamus; tu suscipe animas, pro tede lutea habitatione eliminatas.

[104]SCENA OCTAVA.


TERENTIANUS.
Eh heu, o christicolæ, quid patitur unicus filiusmeus?
CHRISTICOLÆ.
Stridet dentibus, sputa jacit, torquet insanalumina; nam plenus est dæmonio[163].
TERENTIANUS.
Væ patri! ubi agitatur?
CHRISTICOLÆ.
Ante sepulchra[164] martyrum Joannis et Paulihumi provolvitur, seque ipsorum precibus torquerifatetur.
TERENTIANUS.
Mea culpa, meum facinus. Nam meo hortatu,meo jussu ipse infelix impias manus in sanctosmartyres misit.
CHRISTICOLÆ.
Si te hortante deliquit, te compatiente pœnasluit.
TERENTIANUS.
Ego quidem parui jussis impiissimi imperatorisJuliani.
[106]CHRISTICOLÆ.
Ideo namque ipse divina perculsus est ultione.
TERENTIANUS.
Scio, eoque magis expaveo, quo nullum hostemDei servorum impunitum evasisse meminero.
CHRISTICOLÆ.
Recte.
TERENTIANUS.
Quid si curram et pœnitens sceleris sacris provolvartumulis?
CHRISTICOLÆ.
Veniam mereberis, si tamen baptismate mundaberis.

SCENA NONA.


TERENTIANUS.
Gloriosi testes Christi, Joannes et Paule, imitaminiexemplum magistri eadem jubentis, et oratepro persecutorum delictis. Este compatientes orbatipatris angustiis et misereamini furientis natimiseriis, quo ambo tincti fonte baptismatis perseveremusin fide Sanctæ Trinitatis.
[108]CHRISTICOLÆ.
Parce, Terentiane, lacrimis, et parce anxietati[165]cordis. En, filius tuus resipiscit et per martyrumsuffragia sanum recepit.
TERENTIANUS.
Gratias Regi æternitatis, qui suis militibus tantumpræstitit honoris, ut non solum animæ gaudentin cælo, sed etiam mortua in tumulis ossa variisfulgent miraculorum titulis, in testimonium suisanctitatis, præstante Domino Nostro Jesu Christo,qui vivit[166]....
[147] Hunc titulum addidi de meo.—Celtes et Schurzfleisch:actussecundus, quod pariter deest in codice.
[148] Codex exhibet tantum hæc personarum nomina, quibusCeltes et SchurzfleischTerentianum,Joannem etChristicolas addiderunt.
[149] Celtes perperam legitIn incommodum, etc., proJu.Incommodum(id estJulianus.Incommodum), ut legimus.
[150] Hæc sigla non congruunt ex omni parte cum verbis sanctiLucæ.Evang., XIV, 33.
[151] Codex:inerguminus.—Celtes:energuminus.—Schurzfleisch:energumenos.
[152] Sic codex.—Celtes et Schurzfleisch:Raucione.
[153] Celtes:vagantur.
[154] Codex:Augustiorum.
[155] Sic codex.—Celtes:videmur.
[156] Hæc est Celtis emendatio.—Codex:adolabantur.
[157] Celtes:deflexi.
[158] Codex librariorum vitio:idolatriæ, quod in suam editioneminvexit Celtes; id jam correxit Schurzfleisch.
[159] Sic legitur in codice.—Celtes:multum.
[160] Ita codex.—Celtes:ne ultro.—Schurzfleisch:non ultro.
[161] Codex:Terrentiane hic et infra.—Celtes:Terenciane.
[162] Hic Celtes addiditnoster.
[163] Celtes:dæmoniis.
[164] Ita codex.—Celtes:sepulchrum.
[165] Codex:baptimatis etaxietati, calami lapsu.
[166] Celtes addit:et regnat.—Inest in codice lacuna.

II.
DULCITIUS.


ARGUMENTUM IN DULCITIUM[167].


Passio sanctarum virginum Agapes[168], Chioniæ et Irenæ,quas sub nocturno silentio Dulcitius præses clam adiit,cupiens earum amplexibus saturari. Sed mox ut intravit,mente captus ollas et sartagines pro virginibus amplectendoosculabatur, donec facies et vestes horribili nigredineinficiebantur. Deinde Sisinnio comiti jussu imperatorispuniendas[169] virgines cessit, qui etiam miris modisillusus tandem Agapen et Chioniam concremari et Irenamjussit perfodi.

DULCITIUS.


DRAMATIS PERSONÆ.

DIOCLETIANUS.
AGAPE.
CHIONIA.
IRENA[170].
DULCITIUS.
MILITES.


SCENA PRIMA.


DIOCLETIANUS[171].
Parentelæ claritas, ingenuitas, vestrumque serenitaspulchritudinis exigit vos nuptiali lege primisin palatio copulari, quod nostri jussio annuerit[116]fieri, si Christum negare nostrisque diis sacrificiavelitis ferre.
AGAPE.
Esto securus curarum, nec te gravet nostrarumpræparatio nuptiarum, quia nec ad negationemconfitendi nominis, nec ad corruptionem integritatisullis rebus compelli poterimus.
DIOCLETIANUS.
Quid sibi vult ista quæ vos agitat fatuitas?
AGAPE.
Quod signum fatuitatis nobis inesse deprehendis?
DIOCLETIANUS.
Evidens magnumque.
AGAPE.
In quo?
DIOCLETIANUS.
In hoc præcipue, quod relicta vetustæ observantiareligionis, inutilem christianæ novitatemsequimini superstitionis.
AGAPE.
Temere calumniaris statum Dei omnipotentis.Periculum.
DIOCLETIANUS.
Cujus?
AGAPE.
Tui reique publicæ quam gubernas.
DIOCLETIANUS.
Ista insanit. Amoveatur.
[118]CHIONIA.
Mea germana non insanit, sed tui stultitiamjuste reprehendit.
DIOCLETIANUS.
Ista inclementius bacchatur, unde nostris conspectibusæque subtrahatur, et tertia discutiatur.
IRENA.
Tertiam rebellem tibique penitus probabis renitentem.
DIOCLETIANUS.
Irena, cum sis minor ætate, fito[172] major dignitate.
IRENA.
Ostende, quæso, quo pacto.
DIOCLETIANUS.
Flecte cervicem diis, et esto sororibus exemplumcorrectionis et causa liberationis.
IRENA.
Conquiniscant idolis, qui velint incurrere iramCelsitonantis, ego quidem caput regali unguentodelibutum non dehonestabo, pedibus simulacrorumsubmittendo.
DIOCLETIANUS.
Cultura deorum non adducit inhonestatem[173],sed præcipuum honorem.
[120]IRENA.
Et quæ inhonestas turpior, quæ turpitudo major,quam ut servos venereris ut dominos[174]?
DIOCLETIANUS.
Non suadeo tibi venerari servos, sed dominorumprincipumque deos.
IRENA.
Nonne is est cujusvis servus, qui ab artificepretio comparatur, ut emptitius?
DIOCLETIANUS.
Hujus præsumptio verbositatis tollenda est suppliciis.
IRENA.
Hoc optamus, hoc amplectimur, ut pro Christiamore suppliciis laceremur.
DIOCLETIANUS.
Istæ contumaces nostrisque decretis contraluctantescatenis inretiantur[175], et ad examen Dulcitiipræsidis[176] sub carcerali squalore serventur.

[122]SCENA SECUNDA.


DULCITIUS.
Producite, milites, producite quas tenetis incarcere.
MILITES.
Ecce quas vocasti.
DULCITIUS.
Papæ! quam pulchræ, quam venustæ, quamegregiæ puellulæ!
MILITES.
Perfecte[177] decoræ.
DULCITIUS.
Captus sum illarum specie.
MILITES.
Credibile.
DULCITIUS.
Exæstuo illas ad mei amorem trahere.
MILITES.
Diffidimus te prævalere.
DULCITIUS.
Quare?
MILITES.
Quia stabiles fide.
DULCITIUS.
Quid si suadeam blandimentis?
[124]MILITES.
Contemnunt.
DULCITIUS.
Quid si terream suppliciis?
MILITES.
Parvi pendunt.
DULCITIUS.
Et quid fiet?
MILITES.
Præcogita.
DULCITIUS.
Ponite illas in custodiam in interiorem officinæædem, in cujus proaulio ministrorum servanturvasa.
MILITES.
Ut quid eo loci?
DULCITIUS.
Quo a me sæpiuscule possint visitari[178].
MILITES.
Ut jubes.

[126]SCENA TERTIA.


DULCITIUS.
Quid agant[179] captivæ sub hoc noctis tempore?
MILITES.
Vacant hymnis.
DULCITIUS.
Accedamus propius.
MILITES.
Tinnulæ sonitum vocis a longe audiemus[180].
DULCITIUS.
Observate pro foribus cum lucernis; ego autemintrabo et vel optatis amplexibus me saturabo.
MILITES.
Intra, præstolabimur.

[128]SCENA QUARTA.


AGAPE.
Quid strepat pro[181] foribus?
IRENA.
Infelix Dulcitius ingreditur.
CHIONIA.
Deus nos tueatur!
AGAPE.
Amen.
CHIONIA.
Quid sibi vult collisio ollarum, caccaborum etsartaginum?
IRENA.
Lustrabo.—Accedite, quæso, per rimulas perspicite.
AGAPE.
Quid est?
IRENA.
Ecce, iste stultus mente alienatus æstimat senostris uti amplexibus.
AGAPE.
Quid facit?
IRENA.
Nunc ollas molli fovet gremio, nunc sartagineset caccabos amplectitur mitia libans oscula.
[130]CHIONIA.
Ridiculum!
IRENA.
Nam facies, manus ac vestimenta, adeo sordidata[182],adeo coinquinata, ut nigredo quæ inhæsitsimilitudinem Æthiopis exprimat.
AGAPE.
Decet, ut talis appareat corpore, qualis a diabolopossidetur in mente.
IRENA.
En, parat egredi[183]. Intendamus quid illo egredienteagant milites pro foribus expectantes.

SCENA QUINTA.


MILITES.
Quis hic egreditur dæmoniacus, vel magis ipsediabolus? Fugiamus.
DULCITIUS.
Milites, quo fugitis? State, expectate, ducite mecum lucernis ad cubile.
MILITES.
Vox senioris nostri, sed imago diaboli. Nonsubsistamus, sed fugam maturemus; phantasmavult nos pessumdare.
[132]DULCITIUS.
Ad palatium ibo, et quam abjectionem patiorprincipibus vulgabo.

SCENA SEXTA.


DULCITIUS.
Ostiarii, introducite me in palatium, quia adimperatorem habeo secretum.
OSTIARII.
Quid hoc vile ac detestabile monstrum, scissiset nigellis panniculis obsitum? Pugnis tundamus,de gradu præcipitemus, nec ultra huc detur liberaccessus.
DULCITIUS.
Væ, væ! Quid contigit? Nonne splendidissimisvestibus indutus, totoque corpore videor nitidus,et quicunque me aspicit velut horribile monstrumfastidit? Ad conjugem revertar, quo ab illa quiderga me actum sit experiar. En, solutis crinibusegreditur, omnisque domus lacrimis prosequitur.

[134]SCENA SEPTIMA.


CONJUX.
Heu, heu! mi senior, Dulciti! Quid pateris?Non es sanæ mentis? Factus es in derisum christicolis.
DULCITIUS.
Nunc tandem sentio me illusum illarum maleficiis.
CONJUX.
Hoc me vehementer confudit, hoc præcipuecontristavit, quod quid patiebaris ignorasti.
DULCITIUS.
Mando ut lascivæ præsententur puellæ, et abstractisvestibus publice denudentur, quo versavice quid nostra possint ludibria experiantur.

SCENA OCTAVA.


MILITES.
Frustra sudamus, in vanum laboramus. Ecce,vestimenta virgineis corporibus inhærent velut[136]coria. Sed et ipse qui nos ad exspoliandum urgebatpræses stertit sedendo, nec ullatenus excitaripotest a somno. Ad imperatorem adeamus, ipsiquererum quæ geruntur propalemus.

SCENA NONA.


DIOCLETIANUS.
Dolet[184] nimium quod præsidem Dulcitium audioadeo illusum, adeo exprobratum, adeo calumniatum.Sed, ne viles mulierculæ jactent[185] seimpune nostris diis deorumque cultoribus illudere,Sisinnium comitem dirigam ad ultionemexercendam.

SCENA DECIMA.


SISINNIUS.
O milites, ubi sunt lascivæ, quæ torqueri debent,puellæ?
[138]MILITES.
Affliguntur in carcere.
SISINNIUS.
Irenam reservate et reliquas producite.
MILITES.
Cur unam excipis?
SISINNIUS.
Parcens infantiæ. Forte facilius convertetur, sisororum præsentia non terrebitur.
MILITES.
Ita.

SCENA UNDECIMA.


MILITES.
Præsto sunt quas jussisti.
SISINNIUS.
Præbete assensum, Agape et Chionia, meisconsiliis.
AGAPE.
Si præbebimus?
SISINNIUS.
Ferte libamina diis.
[140]CHIONIA.
Vero et æterno Patri ejusque coæterno Filio,sanctoque amborum Paraclito, sacrificium laudissine intermissione libamus.
SISINNIUS[186].
Hoc vobis non suadeo, sed[187] pœnis prohibeo.
AGAPE.
Non prohibebis, nec umquam sacrificabimusdæmoniis.
SISINNIUS.
Deponite duritiam cordis, et sacrificate. Sinautem, faciam vos interfectum iri, juxta præceptumimperatoris Diocletiani.
CHIONIA.
Decet ut in nostri necem obtemperes jussis tuiimperatoris, cujus nos decreta contemnere noscis.Si autem parcendo moram[188] feceris, æquum estut tu interficiaris.
SISINNIUS.
Non tardetis, milites, non tardetis capere[189]blasphemas has, et in ignem projicite vivas.
MILITES.
Instemus construendis rogis et tradamus illasbacchantibus flammis, quo finem demus conviciis.
[142]AGAPE.
Non tibi, Domine, non tibi hæc potentia insolita,ut ignis vim virtutis suæ obliviscatur, tibi obtemperando.Sed tædet nos morarum. Ideo rogamussolvi retinacula animarum, quo extinctiscorporibus tecum plaudent in æthere nostri spiritus.
MILITES.
O novum, o stupendum miraculum! Ecce,animæ egressæ sunt corpore[190], et nulla læsionisreperiuntur vestigia; sed nec capilli, nec vestimentaab igne sunt ambusta, quo minus corpora.
SISINNIUS.
Proferte Irenam.
MILITES.
Eccam[191].

SCENA DUODECIMA.


SISINNIUS.
Pertimesce, Irena, necem sororum, et cave perireexemplo illarum[192].
[144]IRENA.
Opto exemplum earum moriendo sequi, quomerear cum his æternaliter lætari.
SISINNIUS.
Cede, cede meæ suasioni.
IRENA.
Haud cedam facinus suadenti.
SISINNIUS.
Si non cesseris, non citum tibi præstabo exitum,sed differam et nova in dies supplicia multiplicabo.
IRENA.
Quanto acrius torqueor, tanto gloriosius exaltabor.
SISINNIUS.
Supplicia non metuis; admovebo quod horrescis[193].
IRENA.
Quicquid irrogabis adversi, evadam juvamineChristi.
SISINNIUS.
Faciam te ad lupanar duci, corpusque tuum turpitercoinquinari.
IRENA.
Melius est ut corpus[194] quibuscumque injuriismaculetur, quam anima idolis polluatur.
SISINNIUS.
Si socia eris meretricum, non poteris polluta[146]ultra intra contubernium computari virginum.
IRENA.
Voluptas parit pœnam, necessitas autem coronam;nec dicitur reatus nisi quod consentit animus.
SISINNIUS.
Frustra parcebam, frustra miserebar hujus infantiæ.
MILITES.
Præscivimus; nullatenus ad deorum culturampotest flecti, nec terrore umquam potest frangi.
SISINNIUS.
Non ultra parcam.
MILITES.
Rectum.
SISINNIUS.
Capite illam sine miseratione, et trahentes cumcrudelitate ducite ad lupanar sine honore.
IRENA.
Non perducent.
SISINNIUS.
Quis prohibere poterit[195]?
IRENA.
Qui mundum sui providentia regit.
SISINNIUS.
Probabo.
[148]IRENA.
Ac citius libito.
SISINNIUS.
Ne terreamini, milites, fallacibus hujus blasphemæ[196]præsagiis.
MILITES.
Non terremur, sed tuis præceptis parere nitimur.

SCENA TERTIA DECIMA.


SISINNIUS.
Qui sunt hi qui nos invadunt? Quam similessunt militibus quibus Irenam tradidimus. Ipsi sunt.Cur tam cito revertimini? Quo tenditis tam anheli?
MILITES.
Te ipsum quærimus.
SISINNIUS.
Ubi est quam traxistis?
MILITES.
In supercilio montis.
SISINNIUS.
Cujus?
MILITES.
Proximi.
[150]SISINNIUS.
O insensati et hebetes, totiusque rationis incapaces!
MILITES.
Cur causaris? Cur voce et vultu nobis minaris?
SISINNIUS.
Dii vos perdant!
MILITES.
Quid in te commisimus? Quam tibi injuriamfecimus? Quæ tua jussa transgressi sumus?
SISINNIUS.
Nonne præcepi ut rebellem deorum ad turpitudinislocum traheretis?
MILITES.
Præcepisti, nosque tuis præceptis operam dedimusimplendis, sed supervenere duo ignoti juvenes,asserentes se ad hoc ex te missos, ut Irenamad cacumen montis perducerent.
SISINNIUS.
Ignorabam.
MILITES.
Agnoscimus.
SISINNIUS.
Quales fuerunt?
MILITES.
Amictu splendidi, vultu admodum reverendi.
[152]SISINNIUS.
Num sequebamini illos?
MILITES.
Sequebamur.
SISINNIUS.
Quid fecerunt?
MILITES.
A dextra lævaque Irenæ se locaverunt, et noshuc direxerunt, quo te exitus rei non lateret.
SISINNIUS.
Restat ut ascenso equo pergam, et qui fuerint,qui nos tam libere illuserunt, perquiram.
MILITES.
Properemus pariter.

SCENA QUARTA DECIMA.


SISINNIUS.
Hem! ignoro quid agam. Pessumdatus sum maleficiischristicolarum. En[197], montem circumeo,et semitam aliquoties repperiens, nec ascensumcomprehendere, nec reditum queo repetere.
[154]MILITES.
Miris modis omnes illudimur, nimiaque lassitudinefatigamur, et si insanum caput diutius viveresustines, te ipsum et nos perdes[198].
SISINNIUS.
Quisquis es meorum, strenue extende arcum,jace sagittam, perfode hanc maleficam.
MILITES.
Decet.
IRENA.
Infelix, erubesce, Sisinni, erubesce[199], tequeturpiter victum ingemisce, quia tenellæ infantiamvirgunculæ absque armorum apparatu nequistisuperare.
SISINNIUS.
Quicquid dedecoris accedit[200] levius tolero,quia te morituram haud dubito.
IRENA.
Hinc mihi quam maxime gaudendum, tibi verodolendum, quia pro tui severitate malignitatis inTartara damnaberis; ego autem martyrii palmamvirginitatisque receptura coronam, intrabo æthereumæterni Regis thalamum, cui est honor etgloria in sæcula.
[167] Titulus argumenti hujus fabulæ, sicut et cæterarum, manurecentiore scriptus est.
[168] Codex:Agapis, et ubique in recto casu:Agapes proAgape.
[169] Codex et Celtes:jussu per puniendas. In his verbis veræ lectionisvestigia latent: fortasse vocabulumimperatoris expressumfuerat compendio, unde librarius effecitper.
[170] Hoc nomen hic et ubique scribitur in codice cum aspirationisnota.
[171] Diocletiani nomen deest in codice.
[172] Codex:sito, quod jam correxit Celtes.
[173] Celtes:dehonestatem.
[174] Celtes:quam servos venerari ut dominos.
[175] Sic codex.—Celtes:inretientur.—Schurzfleisch:irretientur.
[176] Sic codex, hic et infra.—Celtes:præsulis, perperam.
[177] Codex:perfectæ.—Celtes:profecto.
[178] Celtes:videri.
[179] Sic codex.—Celtesagant mutavit inagunt, sicut infrastrepatinstrepit, male; nam sententia quamdam præ se fert ellipsim,quam conatus sum Gallice exprimere.
[180] Celtes:audimus.
[181] Sic codex.—Celtes:strepit præ.
[182] Celtes:sordida.
[183] Codex:ingredi, quod jam correxit Celtes.
[184] Celtes:doleo.
[185] Sic Celtes.—Codex:jactant.
[186] Codex:D., id est,Diocletianus, perperam.
[187] Sic Celtes.—Codex:si.
[188] Sic codex.—Celtes:morem, male.
[189] Hæc est emendatio Celtis.—Codex:caput.
[190] Codex:corpora.
[191] Sic codex, optime.—Celtes:Etiam.
[192] Celtes:earum.
[193] Sic codex, optime.—Celtes:horresces.
[194] Voxcorpus superscripta est in codice.
[195] Celtes:potest.
[196] Sic Celtes.—Codex:blasphemiæ.
[197] Sic Celtes.—Codex:in.
[198] Sic Celtes.—Codexperdis; sed retinendum duxiperdes propterverba similiter desinentia, quibus indulget quam maxime nostrapoetria.
[199] VerbaSisinni erubesce omittit Celtes.
[200] Sic codex.—Celtes:accidit.

III.
CALLIMACHUS.

ARGUMENTUM IN CALLIMACHUM.


Resuscitatio Drusianæ et Callimachi, qui eam non solumvivam, sed etiam præ tristitia atque excæcatione[201] inlicitiamoris, in Domino mortuam plus justo amavit, undemorsu serpentis male periit; sed precibus sancti Joannisapostoli una cum Drusiana resuscitatus, in Christo estrenatus.

CALLIMACHUS.

DRAMATIS PERSONÆ.

CALLIMACHUS[202].
AMICI.
DRUSIANA.
ANDRONICUS[203].
SANCTUS JOANNES.
FORTUNATUS.


SCENA PRIMA.


CALLIMACHUS[204].
Paucis vos, amici, volo.
AMICI.
Utere quantumlibet nostro colloquio.
CALLIMACHUS.
Si ægre non accipitis, malo vos interim sequestrarialiorum collegio[205].
[162]AMICI.
Quod tibi videtur commodum nobis est sequendum.
CALLIMACHUS.
Accedamus in secretiora loca, ne aliquis superveniensinterrumpat dicenda.
AMICI.
Ut libet.

SCENA SECUNDA.


CALLIMACHUS.
Anxie diuque gravem sustinui dolorem, quemvestro consilio relevari posse spero.
AMICI.
Æquum est ut communicata invicem compassionepatiamur quicquid unicuique nostrum utriusqueeventu fortunæ ingeratur.
CALLIMACHUS.
O utinam voluissetis meam passionem compatiendomecum partiri!
AMICI.
Enuclea quid patiaris, et, si res exigit, compatiemur;sin autem, animum tuum a nequam intentionerevocare nitemur[206].
[164]CALLIMACHUS.
Amo.
AMICI.
Quid?
CALLIMACHUS.
Rem pulchram, rem venustam.
AMICI.
Nec in solo, nec in omni. Ideo atomum quodamas per hoc nequit intellegi[207].
CALLIMACHUS.
Mulierem.
AMICI.
Cum mulierem dixeris, omnes comprehendis.
CALLIMACHUS.
Non omnes æqualiter, sed unam specialiter.
AMICI.
Quod de subjecto dicitur, non nisi de subjectoaliquo cognoscitur. Unde, si velis nos enarithmumagnoscere, dic primum usiam[208].
CALLIMACHUS.
Drusianam.
AMICI.
Andronici hujus principis conjugem?
[166]CALLIMACHUS.
Ipsam.
AMICI.
Erras, socie: est lota baptismate.
CALLIMACHUS.
Inde non curo, si ipsam ad mei amorem attraherepotero.
AMICI.
Non poteris.
CALLIMACHUS.
Cur diffiditis?
AMICI.
Quia rem difficilem petis.
CALLIMACHUS.
Num ego primus hujusmodi rem peto, et nonmultorum ad audendum provocatus sum exemplo?
AMICI.
Intende, frater: ea ipsa quam ardes, sancti Joannisapostoli doctrinam secuta, totam se devovitDeo, in tantum ut nec ad torum Andronici christianissimiviri jamdudum potuit revocari, quominus tuæ consentiet vanitati.
CALLIMACHUS.
Quæsivi a vobis consolationem, sed incutitismihi desperationem.
AMICI.
Qui simulat fallit, et qui profert adulationemvendit veritatem.
[168]CALLIMACHUS.
Quia mihi vestrum auxilium subtrahitis, ipsamadibo, ejusque animo mei amorem blandimentispersuadebo.
AMICI.
Haud persuadebis.
CALLIMACHUS.
Quippe vetar fatis.
AMICI.
Experiemur.

SCENA TERTIA.


CALLIMACHUS.
Sermo meus ad te, Drusiana, præcordialisamor.
DRUSIANA.
Quid mecum velis, Callimache, sermonibusagere vehementer admiror.
CALLIMACHUS.
Miraris?
DRUSIANA.
Satis.
CALLIMACHUS.
Primum de amore.
DRUSIANA.
Quid de amore?
[170]CALLIMACHUS.
Id scilicet quod te præ omnibus diligo.
DRUSIANA.
Quæ[209] vis consanguinitatis, quæve legalis conditioinstitutionis compellit te ad mei amorem?
CALLIMACHUS.
Tui pulchritudo.
DRUSIANA.
Mea pulchritudo?
CALLIMACHUS.
Immo.
DRUSIANA.
Quid ad te?
CALLIMACHUS.
Proh dolor! hactenus parum, sed spero quodattineat postmodum.
DRUSIANA.
Discede, discede, leno nefande; confundorenim diutius tecum verba commiscere[210], quemsentio plenum diabolica deceptione.
CALLIMACHUS.
Mea Drusiana, ne repellas te amantem tuoqueamori[211] cordetenus inhærentem, sed impendeamori vicem.
DRUSIANA.
Lenocinia tua parvi pendo, tuique lasciviam fastidio,sed te ipsum penitus sperno.
[172]CALLIMACHUS.
Adhuc non repperi occasionem irascendi, quiaquid mea in te agat dilectio forte erubescis fateri.
DRUSIANA.
Nihil aliud nisi indignationem.
CALLIMACHUS.
Credo te hanc sententiam mutatum ire.
DRUSIANA.
Non mutabo pro certo.
CALLIMACHUS.
Forte.
DRUSIANA.
O insensate et amens! Cur falleris? Cur te vacuaspe illudis? Quo pacto, qua dementia reris metuæ cedere nugacitati, quæ per multum temporisa legalis toro viri me abstinui?
CALLIMACHUS.
Proh Deum atque hominum fidem! si noncessaveris[212], non quiescam, non desistam, donecte captiosis[213] circumveniam insidiis.

[174]SCENA QUARTA.


DRUSIANA.
Eh heu! Domine Jesu Christe, quid prodest castitatisprofessionem subiisse, cum is amens meadeceptus est specie? Intende, Domine, mei timorem,intende quem patior dolorem. Quid mihi,quid agendum sit, ignoro. Si prodidero, civilisper me fiet discordia; si celavero, insidiis diabolicissine te refragari nequeo. Jube me in te,Christe, ocius mori, ne fiam in ruinam delicatojuveni.
ANDRONICUS.
Væ mihi infortunato! Ex improviso mortua estDrusiana. Curro, sanctumque Joannem advoco.

SCENA QUINTA.


JOANNES.
Cur nimium contristaris, Andronice? Curfluunt lacrimæ?
[176]ANDRONICUS.
Heu! heu! domine, tædeo vitæ propriæ.
JOANNES.
Quid pateris?
ANDRONICUS.
Drusiana, tui assecla....
JOANNES.
Estne homine[214] exuta?
ANDRONICUS.
Hem! est.
JOANNES.
Multum disconvenit ut pro his fundantur lacrimæ,quorum animas credimus lætari in requie.
ANDRONICUS.
Non dubitem licet quin, ut asseris, anima æternaliterlætetur corpusque quandoque incorruptumresuscitetur, hoc tamen me vehementer exurit,quod ipsa me præsente mortem ut adveniret optandoinvitavit.
JOANNES.
Agnovistin’[215] causam?
ANDRONICUS.
Agnovi, tibique enucleam, si quando ex tristitiahac convalescam.
JOANNES.
Accedamus, exequiasque diligenter celebremus.
[178]ANDRONICUS.
Marmoreum in proximo sepulchrum habetur,in quod funus ponatur; servandique cura sepulchriFortunato nostro relinquatur procuratori.
JOANNES.
Decet ut tumuletur honorifice. Deus lætificetanimam in requie.

SCENA SEXTA.


CALLIMACHUS.
Quid fiet, Fortunate, quia nec morte Drusianærevocari possum ab amore?
FORTUNATUS.
Miserabile.
CALLIMACHUS.
Pereo nisi me adjuvet tua industria.
FORTUNATUS.
In quo possum adjuvare?
CALLIMACHUS.
In eo ut vel mortuam me facias videre.
FORTUNATUS.
Corpus adhuc integrum manet, ut reor, quianon languore exesum, sed levi, ut experiebare,febre est solutum.
[180]CALLIMACHUS.
O me felicem, si numquam[216] experirer!
FORTUNATUS.
Si placabis muneribus, dedam illud tuis usibus.
CALLIMACHUS.
Quæ in præsenti ad manus habeo interim accipe,nec diffidas te multo majora accepturumfore.
FORTUNATUS.
Eamus cito.
CALLIMACHUS.
In me non erit mora.

SCENA SEPTIMA.


FORTUNATUS.
Ecce corpus: nec facies cadaverosa, nec membrasunt tabida; abutere[217] ut libet.
CALLIMACHUS.
O Drusiana, Drusiana, quo affectu cordis te colui,qua sinceritate dilectionis te viscera tenus amplexatusfui! Et tu semper abjecisti, meis votiscontradixisti. Nunc in mea situm est potestatequantislibet injuriis te velim lacessere.
[182]FORTUNATUS.
At, at! horribilis serpens invadit nos.
CALLIMACHUS.
Hei[218] mihi! Fortunate, cur me decepisti? Curdetestabile scelus persuasisti? En, tu moneris serpentisvulnere, et ego commorior præ timore.

SCENA OCTAVA.


JOANNES.
Accedamus, Andronice, ad tumulum Drusianæ,quo animam Christo commendemus prece.
ANDRONICUS.
Hoc decet tui sanctitatem, ut non obliviscarisin te confidentem.
JOANNES.
Ecce, invisibilis Deus nobis apparet visibilis inpulcherrimi similitudine juvenis.
ANDRONICUS.
Expavete[219].
[184]JOANNES.
Domine Jesu, cur juxta id loci dignatus es servistuis manifestari?
DEUS.
Propter Drusianæ[220] ejusque qui juxta sepulchrumillius jacet resuscitationem apparui, quianomen meum in his debet gloriari.
ANDRONICUS.
Quam subito receptus est cœlo!
JOANNES.
Ideo causam penitus non intellego.
ANDRONICUS.
Maturemus gressum; forte re[221] experieris inperventione quod asseris te minus intellegere.

SCENA NONA.


JOANNES.
In nomine Christi, quid est hoc quod videomiraculi? Ecce, aperto sepulchro corpus Drusianæ[186]foras est ejectum[222], juxta quod jacent duocadavera amplexu serpentis circumflexa.
ANDRONICUS.
Conjecto quid significet. Is ipse CallimachusDrusianam dum viveret inlicite amavit, quodilla ægre ferens in febrem præ tristitia incidit, etmortem ut adveniret invitavit.
JOANNES.
Hoc amor castitatis coegit!
ANDRONICUS.
Post cujus occasum hic amens infelicis languoremamoris et negati tædium conglomerans sceleris,tabescebat animo, eoque magis desiderioæstuabat.
JOANNES.
Miserabile!
ANDRONICUS.
Non ambigo quin hunc improbum servum mercedeconduceret, quo illi patrandi occasionemfacinoris præberet.
JOANNES.
O nefas incomparabile!
ANDRONICUS.
Ideo ambo, ut video, morte sunt consumpti,ne effectum administrarent sceleri.
JOANNES.
Nec injuria.
[188]ANDRONICUS.
In hoc tamen illud est ut maxime[223] admirandum,cur hujus qui pravum voluit resuscitatio,magis quam ejus qui consensit, divina sit voceprænuntiata, nisi quia forte hic carnali deceptusdelectatione deliquit ignorantia, iste autem solamalitia.
JOANNES.
Quanta Supernus Arbiter districtione cunctorumfacta examinat, quamque æqua lance singulorummerita pensat, id non obvium nec cuiquam explicabilefore potest, quia divini subtilitas judiciilonge præterit humani sagacitatem ingenii.
ANDRONICUS.
Ideo admirando deficimus[224], quia rerum quægeruntur causas docte internoscere nequimus.
JOANNES.
Eventus post facta docet persæpe rerum discrimina.
ANDRONICUS.
Verum age jam, beate Joannes, quod acturuses. Fac ut resuscitetur Callimachus, quo solvaturhujusmodi ambiguitatis[225] nodus.
JOANNES.
Reor prius invocato Christi nomine anguem[190]proturbandum[226], post vero Callimachum suscitandum[227].
ANDRONICUS.
Recte reris, ne ultra lædatur morsu serpentis.
JOANNES.
Discede[228] ab hoc, crudelis bestia, quia serviturusest Christo.
ANDRONICUS.
Licet inrationale sit animal, haud surda tamenaure quod jussisti obaudivit[229].
JOANNES.
Non mea sed Christi virtute paruit.
ANDRONICUS.
Ideo citius dicto evanuit.
JOANNES.
Deus incircumscriptus et incomprehensibilis,simplex et inestimabilis, qui solus es id quod es,qui diversa duo socians ex hoc et hoc hominemfingis, eademque dissocians unum quod constabatresolvis, jube ut reducto halitu disjunctaquecompagine rursus conliminata, Callimachus resurgatplenus, ut fuit, homo, quo ab omnibus magnificeris,qui solus miranda operaris.
[192]ANDRONICUS.
Amen.—Ecce, vitales auras[230] carpit, sed præstupore adhuc quiescit.
JOANNES.
Callimache, surge in Christi nomine, et utcumquese res habeat confitere; quantislibet obnoxiussis vitiis proferas, ne nos vel[231] in modico lateatveritas.
CALLIMACHUS.
Negare nequeo, quin patrandi causa facinorisaccesserim, quia infelici languore tabescebam,nec inliciti æstum amoris compescere poteram.
JOANNES.
Quæ dementia, quæ insania te decepit, ut castispræsumeres fragmentis alicujus injuriam conferredehonestatis?
CALLIMACHUS.
Propria stultitia hujusque Fortunati fraudulenta[232]deceptio.
JOANNES.
Num triplici infortunio adeo infelix effectus es,ut nefas quod voluisti perficere posses?
CALLIMACHUS.
Nullatenus. Licet non defuisset velle possibilitas,tamen omnino defuit posse.
JOANNES.
Quo pacto impediebaris?
[194]CALLIMACHUS.
Ut primum distracto tegmine conviciis tentavilacessere corpus exanime, iste Fortunatus, quifomes mali et incensor[233] extitit, serpentinis perfususvenenis periit.
ANDRONICUS.
O factum bene!
CALLIMACHUS.
Mihi autem apparuit juvenis aspectu terribilis,qui detectum corpus honorifice texit, ex cujusflammea facie candentes in bustum scintillæ transiliebant,quarum una resiliens mihi in faciemferebatur, simulque vox facta est dicens:Callimache,morere ut vivas! His dictis, exspiravi.
JOANNES.
Opus cœlestis gratiæ, quæ[234] non delectatur inimpiorum perditione.
CALLIMACHUS.
Audisti miseriam meæ perditionis, noli elongaremedelam tuæ miserationis.
JOANNES.
Non elongabo.
CALLIMACHUS.
Nam nimium confundor, corde tenus contristor,anxio[235], gemo, doleo super gravi impietatemea.
[196]JOANNES.
Nec immerito, quippe grave delictum haudleve pœnitudinis expectat remedium.
CALLIMACHUS.
O utinam reserarentur secreta meorum viscerumlatibula, quo interim amaritudinem quampatior doloris perspiceres, et dolenti condoleres!
JOANNES.
Congaudeo hujusmodi dolori, quia sentio tesalubriter contristari.
CALLIMACHUS.
Tædet me prioris vitæ, tædet delectationis iniquæ.
JOANNES.
Nec injuria.
CALLIMACHUS.
Pœnitetque deliquii[236].
JOANNES.
Et merito.
CALLIMACHUS.
Displicet omne quod feci in tantum, ut nullusamor, nulla voluptas sit vivendi, nisi renatus inChristo merear in melius transmutari.
JOANNES.
Non dubito quin superna gratia in te appareat.
CALLIMACHUS.
Ideo ne moreris, ne pigriteris lassum erigere,[198]mœrentem consolationibus attollere, quo tuomonitu, tuo magisterio, a gentili in christianum,a nugace in castum transmutatus virum, tuoqueducatu semitam arripiens veritatis, vivam juxtadivinæ præconium promissionis.
JOANNES.
Benedicta sit unica progenies Divinitatis, idemqueparticeps nostræ fragilitatis, qui te, fili Callimache,parcendo occidit et occidendo vivificavit,quo suum plasma mortis specie ab interitu liberaretanimæ.
ANDRONICUS.
Res insolita, omnique admiratione digna!
JOANNES.
O Christe, mundi redemptio, et peccatorumpropitiatio[237], qualibus laudum præconiis te talemcelebrem ignoro. Expaveo tui benignam clementiamet clementem patientiam, qui peccantes nuncpaterno more tolerando blandiris, nunc justa severitatecastigando ad pœnitentiam cogis.
ANDRONICUS.
Laus ejus divinæ pietati.
JOANNES.
Quis auderet credere, quisve præsumeret sperare,ut hunc, quem criminosis intentum vitiismors invenit et inventum abstulit, tui miseratioad vitam excitare, ad veniam dignaretur reparare?[200]Sit nomen tuum sanctum benedictum in sæcula,qui solus facis stupenda mirabilia.
ANDRONICUS.
Eia, sancte Joannes, et me consolari ne tardes.Nam conjugalis amor Drusianæ meam haud patiturmentem consistere, nisi et ipsam quantociusvideam resurrectum ire.
JOANNES.
Drusiana, resuscitet te Dominus Jesus Christus.
DRUSIANA.
Laus et honor tibi, Christe, qui me fecisti reviviscere.
CALLIMACHUS.
Sospitatis auctori grates, qui te, mea Drusiana,resurgere dedit in lætitia, quæ gravi cum tristitiadie fungebaris[238] extrema.
DRUSIANA.
Decet tui sanctitatem, venerande pater Joannes,ut resuscitato Callimacho, qui me inlicite amavit,et hunc resuscites, qui mei proditor funerisextitit.
CALLIMACHUS.
Ne dignum ducas, Christi apostole, hunc proditorem,hunc malefactorem, a vinculis mortisabsolvere, qui me decepit, me seduxit, meque adaudendum horribile facinus provocavit.
[202]JOANNES.
Non debes illi invidere gratiam divinæ clementiæ.
CALLIMACHUS.
Non est enim dignus resurrectione, qui auctorextitit perditionis alienæ.
JOANNES.
Lex nostræ religionis docet, ut homo hominidimittat, si ipse a Deo dimitti ambiat.
ANDRONICUS.
Justum.
JOANNES.
Quando etiam Dei unigenitus, idemque Virginisprimogenitus, qui solus innocens, solus immaculatus,solus sine veterni sorde[239] delicti inmundum venit, omnes sub gravi onere peccatidepressos invenit.
ANDRONICUS.
Verum.
JOANNES.
Scilicet nullum justum, nullum misericordiainveniret dignum, neminem tamen sprevit, neminemsuæ gratia pietatis privavit, sed se ipsum omnibus[240]tradidit, suique dilectam animam proomnibus posuit.
ANDRONICUS.
Si innocens non occideretur, nemo juste liberaretur.
[204]JOANNES.
Ideo in hominum non delectatur perditione,quos suo emptos meminit pretioso sanguine.
ANDRONICUS.
Gratias illi.
JOANNES.
Unde aliis Dei gratiam non debemus invidere,quam ex nullis præcedentibus meritis in nobis gaudemusabundare.
CALLIMACHUS.
Terruisti me monitu.
JOANNES.
Ne autem tuis videar reniti votis, non susciteturper me, sed per Drusianam, quia ad hoc implenduma Deo accepit gratiam.
DRUSIANA.
Divina substantia, quæ vere et singulariter essine materiæ forma[241], quæ hominem ad tui imaginemplasmasti, et plasmato spiraculum vitæ inspirasti,jube materiale corpus Fortunati reductocalore in viventem animam iterum reformari, quotrina nostri resuscitatio tibi in laudem vertatur,Trinitas veneranda.
JOANNES.
Amen.
DRUSIANA.
Expergiscere, Fortunate, et jussu Christi retinaculamortis disrumpe.
[206]FORTUNATUS.
Quis me apprehensa manu erexit? Quis vocemut resurgerem dedit?
JOANNES.
Drusiana.
FORTUNATUS.
Num me suscitavit Drusiana?
JOANNES.
Ipsa.
FORTUNATUS.
Nonne ante aliquot dies improvisa morte fueratconsumpta?
JOANNES.
At vivit in Christo.
FORTUNATUS.
Et cur manet Callimachus gravi vultu modestusnec perfurit solito more in amore Drusianæ?
JOANNES.
Quia a nequam intentione transmutatus, vereest Christi discipulus.
FORTUNATUS.
Non.
JOANNES.
Etiam.
FORTUNATUS.
Si, ut asseris, Drusiana me suscitavit, et CallimachusChristo credidit, vitam repudio mortemqueeligo sponte, quia malo non esse, quam in histantum abundanter virtutum gratiam sentiscere.
[208]JOANNES.
O admiranda diaboli invidia, o malitia serpentisantiqui, qui et protoplastis mortem propinavitet super justorum gloria semper gemit! Iste infelicissimusFortunatus diabolicæ amaritudinis felleplenissimus, comparatur malæ arbori amaros fructusfacienti. Unde excisus a collegio justorum etabjectus a consortio Deum timentium, mittaturin æterni ignem supplicii, cruciandus sine alicujusintermixtione refrigerii.
ANDRONICUS.
Ecce, turgescentibus serpentinis morsibus adoccasum rursus vergitur et citius dicto morietur.
JOANNES.
Moriatur, sitque incola gehennæ, qui propteralieni invidiam profectus recusavit vivere.
ANDRONICUS.
Terribile.
JOANNES.
Nihil terribilius invido, nihil scelestius superbo.
ANDRONICUS.
Uterque miserabilis.
JOANNES.
Una eademque persona utroque semper laboratvitio, quia neutrum sine altero.
ANDRONICUS.
Expone enucleatius.
[210]JOANNES.
Nam qui superbit, invidet, et qui invidet, superbit;quia mens invida, dum alienam laudemnec patitur audire, et in sui comparatione perfectioresambit vilescere, dedignatur subjici dignioribus,et superbe conatur præferri comparibus.
ANDRONICUS.
Patet.
JOANNES.
Unde iste miserrimus vulnerabatur mente, quiase his inferiorem æstimari non sustinuit, in quisampliorem Dei gratiam lucere non nescivit.
ANDRONICUS.
Nunc tandem intellego quod inter surgentesminime est computatus, quia ocius erat moriturus.
JOANNES.
Dignus est enim utraque morte, quia et commendatumfunus afficiebat injuria, et resurgentesinjusto insectabatur odio.
ANDRONICUS.
Infelix est mortuus.
JOANNES.
Recedamus, suumque diabolo filium relinquamus.Nos autem diem istum, et pro mirandaCallimachi mutatione, et pro utriusque resuscitatione,cum lætitia agamus, gratias ferentesDeo, æquo judici secretorumque discretissimo[212]cognitori, qui solus omnia subtiliter examinans,omnia recte disponens, unumquemque, juxtaquod dignum prænoscit, præmiis suppliciisveaptabit. Ipsi soli honor, virtus, fortitudo, et victoria,laus et jubilatio per infinita sæculorumsæcula. Amen.
[201] Sic Celtes emendavit optime.—Codex:execratione.
[202] Codex:Calimachus, unicol, et sic semper, quando compendioC non utitur. Semel quoqueChalimachum invenimus.
[203] Codex hic et ubique:Andronichus.
[204] Callimachi nomen deest in codice.
[205] Ita codex.—Celtes:colloquio.
[206] Sic Celtes.—Codex:revocari nitimur.
[207] Codex:nequ.... intellegi. Librarius vocemnequit interruptamreliquit. Hic et ubique Codex:intellegi, pere.—Celtes:nequimusintelligere.
[208] Ex GræcoΟὐσία, Latinis litteris. Codex:Usyam.
[209] Codex:quod.
[210] Sic codex.—Celtes:miscere.
[211] Codex:amore.
[212] Sic codex.—Celtes:consenseris.
[213] Codex:captuosis.
[214] Celtes:hominem.
[215] Celtes:Agnostin’.
[216] Sic codex et Celtes. Fortasse legendum:unquam.
[217] Sic codex.—Celtes:utere.
[218] Codex hic et passim:Ei, omissoh, quod librarius adscivit inquibusdam vocabulis aspiratione carentibus.
[219] Sic codex, optime.—Celtes:expaves.
[220] Sic codex.—Celtes:Drusianam.
[221] Celtes omittitre.
[222] Celtes:abjectum, perperam.
[223] Celtes:vel maxime.
[224] Sic codex.—Celtes:defecimus.
[225] Codex:ambiguitas, quod Celtes emendavit.
[226] Sic codex.—Celtes:perturbandum.
[227] Celtes:resuscitandum.
[228] Ita emendavit Celtes.—Codex:discedite, quod sententiænon congruit.
[229] Sic Celtes, bene.—Codex:obaudiunt.
[230] Codex:aures.
[231] Hoc verbum compendio scriptum et a Celte omissum posuiex codice.
[232] Codex:fraudolenta.
[233] Sic codex.—Celtes:incentor, parum feliciter.
[234] Codex:qui.
[235] Ita codex.—Celtes:anxior.
[236] Codex et Celtes:deliqui.—Schurzfleisch:delicti.
[237] Ita emendavit Celtes. Codex:propinatio.
[238] Codex:defungebaris, prodie fungebaris, omissai littera,quam Celtes superscripsit.
[239] Post verbumsorde codex additfuit, quod recte omisit Celtes.
[240] Celtes omittit vocemomnibus.
[241] Sic legitur in codice, ni fallor.—Celtes:materia forma.—Schurzfleisch:materia et forma.

IV.
ABRAHAM.

ARGUMENTUM IN ABRAHAM[242].


Lapsus et conversio Mariæ, neptis Abrahæ eremicolæ[243],quæ ubiXX annos solitariam vitam egit, corruptavirginitate sæculum repetiit et contubernio meretricumadmisceri non metuit; sed post biennium præfati Abrahæmonitis, illam sub amatoris specie quærentis, reducta,larga effusione lacrimarum continuaque exercitatione jejuniorum,vigiliarum atque orationum per vicenos annosemundavit maculas criminum.

ABRAHAM.


DRAMATIS PERSONÆ.

ABRAHAM.
EPHREM[244].
MARIA.


SCENA PRIMA.


ABRAHAM.
Tune, frater et coeremita Ephrem, commodumducis meæ adhuc confabulationi vacare, an quoadusque divinas expleas laudes, me vis præstolari?
EPHREM.
Nostrorum confabulatio ejus debet esse laudatio,qui se congregatis in suo nomine mediumspopondit interesse.
ABRAHAM.
Nihil aliud locuturus accessi, nisi quod divinævoluntati non nescio concordari[245].
[220]EPHREM.
Quare nec ad momentum quidem me subtraho,sed tuo affectui totum dedo.
ABRAHAM.
Quiddam agendum mihi exæstuat mente, in quotuum velle meis votis exopto respondere.
EPHREM.
Si unum cor unaque nobis anima jubetur esse,idem velle, idemque[246] cogimur nolle.
ABRAHAM.
Est mihi neptis tenella utriusque parentis solaminedestituta, in quam pro compassione orbitatisnimio affectu ducor, cujusque causa continua sollicitudinefatigor.
EPHREM.
Et quid tibi, triumphator sæculi, cum curis mundi?
ABRAHAM.
Id scilicet curo ne inmensa ejus serenitas pulchritudinisalicujus obfuscetur sorde coinquinationis.
EPHREM.
Hujusmodi cura si[247] est vituperanda?
ABRAHAM.
Spero.
EPHREM.
Cujus est ætatis?
[222]ABRAHAM.
Si unius rotatus mensurni[248] apponeretur,duas olympiades vitali aura vesceretur.
EPHREM.
Inmatura pupilla.
ABRAHAM.
Ideo non deest mihi cura.
EPHREM.
Ubi degit?
ABRAHAM.
In meis mansiunculis. Nam rogatu propinquorumnutriendam eam suscepi; sed ejus gazas pauperibuserogare decrevi.
EPHREM.
Despectio temporalium condecet animum cœlointentum.
ABRAHAM.
Exæstuo mente gestiens illam Christo desponsare[249]ejusque tirocinio mancipatum ire.
EPHREM.
Laudabile.
ABRAHAM.
Cogor nomine.
EPHREM.
Quid vocatur?
ABRAHAM.
Maria.
[224]EPHREM.
Ita est; tanti excellentiam nominis decet stemmavirginitatis.
ABRAHAM.
Non diffido quin, si nostris suaviter hortamentisprovocetur, ad cedendum facilis experiatur.
EPHREM.
Accedamus, ejusque cogitationi cœlibis[250] securitatemvitæ instillemus.

SCENA SECUNDA.


ABRAHAM.
O adoptatitia[251] filia, o meæ pars[252] animæ,Maria, cede meis paternis monitionibus meiquecomparis Ephrem saluberrimis institutionibus;enitere ut auctricem virginitatis, quam æquivocoæquiparas nomine, imiteris et castitate.
EPHREM.
Multum disconvenit, filia, ut quæ cum Deigenitrice Maria per mysterium nominis præemines[226]in axe inter sidera numquam casura, inferiormeritis in terræ volutes infimis.
MARIA.
Mysterium nominis ignoro; unde quid circuitioneverborum significes haud intellego.
EPHREM.
Maria interpretaturstella maris, circa quamvidelicet fertur mundus et vocatur populus.
MARIA.
Curmaris stella dicitur?
EPHREM.
Quia numquam occidit, sed navigantibus rectisemitam itineris dirigit.
MARIA.
Et qui posset fieri, ut ego tantilla ex lutea materiaconfecta eo attingerem meritis, quo mysteriumrutilat nominis?
EPHREM.
Illibata corporis integritate, puraque mentissanctitate.
MARIA.
Grandis est honoris hominem æquari astrorumradiis.
EPHREM.
Nam si incorrupta et virgo permanebis, angelisDei fies æqualis, quibus tandem stipata gravi corporisonere abjecto, pertransiens[253] aera supergradierisæthera, zodiacum percurres circulum, nec[228]subsistendo temperabis gressum, donec amplexarisamplexibus filii Virginis in lucifluo thalamo suiGenitricis.
MARIA.
Qui hæc parvi pendet asinum vivit. Unde præsentiadespicio, memet ipsam denego, quo merearascribi gaudiis tantæ felicitatis.
EPHREM.
Ecce nanciscimur in pectore infantili senilismaturitatem ingenii.
ABRAHAM.
Gratia Dei id est quod est.
EPHREM.
Negari[254] nequit.
ABRAHAM.
Sed licet Dei gratia sit illustrata, inbecillem tamenætatem suo uti non prodest arbitrio.
EPHREM.
Verum.
ABRAHAM.
Ideo faciam illi exiguam ab introitu cellulam meismansiunculis contiguam, per cujus fenestram psalteriumcæterasque divinæ legis paginas, illam crebriusvisitando, instruam.
EPHREM.
Convenit.
MARIA.
Tuo, pater Ephrem, interventui me committo.
[230]EPHREM.
Cœlestis sponsus, cujus affectu in tenella ætateinhæsisti, tueatur te, filia, ab omni fraude diaboli.

SCENA TERTIA.


ABRAHAM.
Frater Ephrem, si quid mihi utriusque casu fortunæingeritur, te primum adeo, te solum consulo.Unde ne sis adversus querimoniæ quam prosequor;sed fer opem dolori quem patior.
EPHREM.
Abraham, Abraham, quid pateris? Cur plus licitocontristaris? Numquam fuit fas eremicolæ conturbarisæcularium more.
ABRAHAM.
Incomparabilis luctus mihi contigit, intolerabilisdolor me afficit.
EPHREM.
Ne fatiga me longa verborum circuitione; sedquid patiaris expone.
ABRAHAM.
Maria, mis optiva filia, quam per bis bina lustrasumma diligentia nutrivi, summa solertia instruxi...
[232]EPHREM.
Quid illa?
ABRAHAM.
Hei mihi! periit.
EPHREM.
Qualiter?
ABRAHAM.
Miserabiliter; deinde evasit latenter.
EPHREM.
Quibus insidiis circumvenit eam fraus antiquiserpentis?
ABRAHAM.
Per inlicitum cujusdam simulatoris affectum, quimonachico adveniens habitu simulata eam visitationefrequentabat, donec indocile juvenilis ingeniumpectoris ad sui amorem inflexit, adeo ut perfenestram ad patrandum facinus exiliret[255].
EPHREM.
Contremisco auditu.
ABRAHAM.
At ubi ipsa infelix se corruptam sensit, pectuspulsavit, faciem manu laceravit, vestes scidit, capilloseruit, voces in altum ejulando dedit.
EPHREM.
Nec injuria, hujusmodi namque ruina toto lacrimarumfonte est lugenda.
ABRAHAM.
Lamentabatur namque se quod fuerat non esse.
[234]EPHREM.
Væ illi miseræ!
ABRAHAM.
Lugebat se nostris contraria monitis egisse.
EPHREM.
Ac valde.
ABRAHAM.
Deflevit se vigiliarum, orationum, jejuniiquesudores evacuasse.
EPHREM.
Si in tali compunctione perseveraret, salvafieret.
ABRAHAM.
Haud perseveravit, sed pejora prioribus apposuit.
EPHREM.
Viscera tenus conturbor totisque membris resolvor.
ABRAHAM.
Postquam enim hisce lamentis[256] se punivit,nimietate victa doloris præceps ferebatur in foveamdesperationis.
EPHREM.
Eh heu, quam gravis perditio!
ABRAHAM.
Et quia veniam desperavit posse promereri[257],sæculum repetere vanitatique elegit deservire.
[236]EPHREM.
Hem, par victoria spiritalibus in sorte eremitarumnequitiis antea fuit insolita.
ABRAHAM.
Sed nunc dæmonum sumus præda.
EPHREM.
Mirum qui fieri posset, ut te ignorante evaderet.
ABRAHAM.
Interim fueram consternatus mente ex ostensævisionis terrore, qua, si[258] mens non fuisset læva,mihi præfigurabatur ejus ruina.
EPHREM.
Vellem modum visionis audire.
ABRAHAM.
Putabam me ante fores[259] cellulæ stetisse, etecce draco miræ magnitudinis nimiique fœtoris,rapido impetu adveniens candidulam secus mecolumbam repperiens cepit, devoravit subitoquenon comparuit.
EPHREM.
Evidens visio.
ABRAHAM.
At ego, ubi expergiscens mente quæ videbamtractavi, verebar aliquam ecclesiæ imminere persecutionem,quæ fideles quosdam attraheret inerrorem.
[238]EPHREM.
Verendum erat.
ABRAHAM.
Unde prostratus in orationem præcognitori futurorumsupplicavi, ut mihi detegeret solutionemsomnii.
EPHREM.
Recte egisti.
ABRAHAM.
Tertia demum nocte, cum lassa sopori membradedissem, putabam eumdem draconem meis vestigiisdisruptum volutasse, ipsamque columbamabsque læsione emicuisse.
EPHREM.
Lætificor auditu, nec ambigo quin tua quandoquead te revertatur Maria.
ABRAHAM.
Postquam evigilans hujus solamine visionis temperabamtristitiam prioris, mentem recepi ut reminiscerer[260]alumnæ. Illud quoque si sine[261] tristitiamemini, quod ipsam in duorum intervallo dierumdivinæ innitentem laudi solito non sensi.
EPHREM.
Sero meministi.
ABRAHAM.
Fateor. Accessi, manu fenestram pulsavi, filiamsæpius nominando vocavi.
[240]EPHREM.
Ah, frustra vocasti.
ABRAHAM.
Hoc adhuc non sensi, sed cur neglegenter in divinisageret rogavi; sed nec levis tinnitum responsirecepi.
EPHREM[262].
Et quid[263] tunc fecisti?
ABRAHAM.
Ubi abesse quam querebam deprehendi, visceradiscutiebantur timore, membra contremueruntpavore.
EPHREM.
Nec mirum. Certe et ego id ipsum nunc patioraudiendo.
ABRAHAM.
Deinde flebilibus sonis auras pollui, rogitansquis lupus meam agnam raperet, quis latro meamfiliam captivaret?
EPHREM.
Jure conquestus fuisti ejus perditionem, quamnutrivisti.
ABRAHAM.
Tandem accesserunt qui veritatem scientesres[264] sese, ita ut tibi nunc exposui, habereipsamque vanitati dixerunt deservire.
EPHREM.
Ubi moratur?
[242]ABRAHAM.
Ignoratur.
EPHREM.
Quid fiet?
ABRAHAM.
Est mihi fidelis amicus qui civitates villasqueperagrans non quiescet, donec quæ illam terrasusceperit agnoscet.
EPHREM.
Quid si experietur?
ABRAHAM.
Habitum mutabo, ipsamque sub amatoris specieadibo, si forte meo monitu post grave naufragiumrevertatur ad pristinæ quietis portum.
EPHREM.
Etiam, quid fiet si carnium esus vinique haustusapponetur?
ABRAHAM.
Haud abrogabo, ne agnoscar.
EPHREM.
Recta prorsus laudabilique discretione uteris,si artioris frenos[265] observantiæ aliquantisperlaxabis, quo errantem Christo lucreris.
ABRAHAM.
Eo magis ad audendum incitor, quo te mihi inhac[266] concordari re experior.
EPHREM.
Qui clancula cordium cognoscit qua intentione[244]unaquæque res geratur intellegit, nec in discretissimoejus examine reus prævaricationis habetur,qui[267] a strictioris rigore conversationis ad tempusdescendendo imbecillioribus assimilari[268] nonrespuit, quo efficacius animam revocet quæ erravit.
ABRAHAM.
Tuum est interim me precibus adjuvare, ne impediardiabolica fraude.
EPHREM.
Ipsum summum bonum, sine quo nihil fit boni,faciat tuum velle in bono consummari.

SCENA QUARTA.


ABRAHAM.
Num ille est meus amicus, quem ante hoc bienniumpro inquisitu direxi Mariæ? Ipse est.
AMICUS.
Ave, venerande pater.
ABRAHAM.
Ave, affabilis amice; diu te sustinui, sed nuncadvenire desperavi.
[246]AMICUS.
Ideo moram feci, quia te ambigua re sollicitari[269]non præsumpsi. At ubi veritatem investigavi,reditum maturavi.
ABRAHAM.
Vidistin’ Mariam?
AMICUS.
Vidi.
ABRAHAM.
Ubi?
AMICUS.
Quam[270] dictu miserabile!
ABRAHAM.
Dic, obsecro.
AMICUS.
In domo cujusdam lenonis habitationem elegit,qui tenello amore illam colit; nec frustra: namomni die non modica illi pecunia ab ejus amatoribusadducitur.
ABRAHAM.
A Mariæ amatoribus?
AMICUS.
Ab ipsis.
ABRAHAM.
Qui sunt ejus amatores?
AMICUS.
Perplures.
[248]ABRAHAM.
Hei mihi, o bone Jesu! Quid hoc monstri est,quod hanc, quam tibi sponsam nutrivi, alienosamatores audio sequi?
AMICUS.
Hoc meretricibus antiquitus fuit in more, utalieno delectarentur in amore[271]?
ABRAHAM.
Affer mihi sonipedem delicatum et militaremhabitum, quo deposito tegmine religionis ipsamadeam sub specie[272] amatoris?
AMICUS.
Ecce omnia.
ABRAHAM.
Obsecro, affer et pileum, quo coronam velemcapitis.
AMICUS.
Hoc maxime opus est, ne agnoscaris.
ABRAHAM.
Quid si unum solidum, quem habeo, mecumafferam, quo stabulario pro mercede tribuam?
AMICUS.
Aliter ad colloquium Mariæ non potes pervenire.

[250]SCENA QUINTA.


ABRAHAM.
Salve, bone Stabulari[273].
STABULARIUS.
Quis loquitur? Hospes, salve.
ABRAHAM.
Estne apud te locus viatori ad pernoctandumaptus?
STABULARIUS.
Est plane; nostra hospitiola nulli sunt neganda.
ABRAHAM.
Laudabile.
STABULARIUS.
Intra, ut tibi præparetur cœna.
ABRAHAM.
Magna tibi pro hilari susceptione debeo, sedadhuc majora a te expeto.
STABULARIUS.
Quæ voles ut concessurum efflagita.
ABRAHAM.
Accipe vile munus quod defero, et fac ut perpulchra,quam tecum obversari[274] experiebar,puella nostro intersit convivio.
[252]STABULARIUS.
Cur illam desideras videre?
ABRAHAM.
Quia nimium delector in ejus agnitione, cujuspulchritudinem a pluribus laudari audiebam sæpissime.
STABULARIUS.
Quisquis laudator ejus formæ extitit, nihil fefellit.Nam prænitet venusta vultu præ ceteris mulieribus.
ABRAHAM.
Ideo ardeo in ejus amore.
STABULARIUS.
Miror te in decrepita senectute juvenculæ mulierisamorem spirare.
ABRAHAM.
Percerte nullius alius rei causa accessi, nisi eamvidendi.

SCENA SEXTA.


STABULARIUS.
Procede, procede[275], Maria, tuique pulchritudinemnostro neophyto ostende.
[254]MARIA.
Ecce venio.
ABRAHAM.
Quæ fiducia, quæ constantia mentis mihi posthæc, cum hanc, quam nutrivi in eremi latibulis,meretricio vultu ornatam conspicio? Sed non esttempus ut præfiguretur in facie quod tenetur incorde. Erumpentes lacrimas viriliter stringo, etsimulata vultus hilaritate internæ amaritudinemmœstitudinis contego.
STABULARIUS.
Fortunata Maria, lætare, quia non solum uthactenus tui coævi, sed etiam senio jam confectite adeunt, te ad amandum confluunt.
MARIA.
Quicumque me diligunt æqualem amoris vicema me recipiunt.
ABRAHAM.
Accede, Maria, et da mihi osculum.
MARIA.
Non solum dulcia oscula libabo, sed etiam crebrissenile collum amplexibus mulcebo.
ABRAHAM.
Hoc volo.
MARIA.
Quid sentio? Quid stupendæ novitatis gustandohaurio? Ecce, odor istius fragrantiæ prætenditfragrantiam mihi quondam usitatæ abstinentiæ.
[256]ABRAHAM.
Nunc, nunc simulandum, nunc lascivientismore pueri jocis instandum, ne et ego agnoscarpræ gravitate, et ipsa se reddat latibulis præ pudore.
MARIA.
Væ mihi infelici! Unde cecidi, et in quam perditionisfoveam corrui?
ABRAHAM.
Hic non est aptus querelæ locus, ubi convivarumconfluit conventus.
STABULARIUS.
Domna Maria, cur suspiria trahis? Cur madeslacrimis? Nonne per biennium hic conversabaris,et numquam ex te gemitus prorupit, numquamtristior sermo prodiit.
MARIA.
O utinam fuissem ante trium annorum spatiamorte absumpta, ne ad tanta devenirem flagitia.
ABRAHAM.
Non ut tua tecum[276] peccata plangerem adveni,sed ut tuo jungerer amori.
MARIA.
Levi compunctione permovebar, ideo talia fabar.Sed epulemur et lætemur, quia, ut monuisti,hic non est tempus peccata plangendi.
[258]ABRAHAM.
Affatim refecti, affatim sumus ebriati tua largitateadministrante, o bone Stabulari; da licentiama cœna surgendi, quo lassum corpus in stratumcomponam dulcique quiete recreem.
STABULARIUS.
Ut libet.
MARIA.
Surge, domne mi, surge; tecum pariter tendamad cubile.
ABRAHAM.
Placet. Nullatenus cogi possem ut te non comitanteexirem.

SCENA SEPTIMA.


MARIA.
Ecce triclinium ad inhabitandum nobis aptum;ecce lectus haud vilibus stramentis compositus.Sede, ut tibi detraham calciamenta, ne tu ipse fatigerisdiscalciando[277].
ABRAHAM.
Muni prius seris ostium, ne quis introeundi inveniataditum.
[260]MARIA.
Super hoc ne solliciteris; faciam ut nulli ad nostribuatur accessus facilis.
ABRAHAM.
Tempus ablato capitis velamine quis sim aperire.—Oadoptiva filia, o meæ pars animæ,Maria, agnoscisne me senem, qui te paternoamore nutrivi, qui te cœlestis Regis unigenitodesponsavi?
MARIA.
Hei mihi! Pater et magister meus Abraham estqui loquitur.
ABRAHAM.
Quid contigit tibi, filia?
MARIA.
Gravis miseria.
ABRAHAM.
Quis te decepit? Quis te seduxit?
MARIA.
Qui protoplastos prostravit.
ABRAHAM.
Ubi est angelica illa, quam in terris egisti, conversatio?
MARIA.
Prorsus perdita.
ABRAHAM.
Ubi est verecundia tua virginalis? Ubi continentiaadmirabilis?
MARIA.
Evacuata.
[262]ABRAHAM.
Quam mercedem, nisi resipiscas, pro jejuniorum,orationum, vigiliarum sudore ultra potessperare, cum velut lapsa ab altitudine cœli dimersaes in profundum inferni?
MARIA.
Eh heu!
ABRAHAM.
Quare me despexisti? Quare deseruisti? Quareeventum tuæ perditionis mihi non indicasti, quoego, cum dilecto meo Ephrem, dignam pro tepœnitentiam agerem?
MARIA.
Postquam lapsa in peccatis corrui, tuæ sanctitatipolluta proximare non præsumpsi.
ABRAHAM.
Quis umquam a peccato extitit immunis, nisisolus filius Virginis?
MARIA.
Nullus.
ABRAHAM.
Humanum est peccare, diabolicum in peccatisdurare, nec jure reprehenditur qui subito cadit,sed qui citius surgere neglegit.
MARIA.
Hei mihi infelici!
ABRAHAM.
Cur decidis? Cur in terra jaces immobilis? Erigereet quæ dicam percipe.
[264]MARIA.
Pavore concussa corrui, quia vim paternæ monitionisferre nequivi.
ABRAHAM.
Attende mei in te dilectionem et depone timorem.
MARIA.
Nequeo.
ABRAHAM.
Nonne tui causa desiderabilem eremi habitationemreliqui, omnemque[278] regularis observantiamconversationis pene evacuavi, in tantum utego verus eremicola, factus sum lascivientium conviva,et qui diu silentio studebam, jocularia verba,ne agnoscerer, proferebam? Cur demisso vultuterram inspicis? Cur respondendo mecum verbamiscere dedignaris?
MARIA.
Proprii conscientia reatus confundor. Ideo necoculos ad cœlum levare, nec sermonem tecumpræsumo conserere.
ABRAHAM.
Noli diffidere, filia, noli desperare; sed emergede abysso desperationis et fige in Deo spem mentis.
MARIA.
Enormitas peccatorum prostravit me in desperationisprofundum.
[266]ABRAHAM.
Peccata quidem tua sunt gravia, fateor[279]; sedsuperna pietas major est omni creatura. Undetristitias rumpe, datumque pœnitendi spatiolumpigritando noli neglegere, quatinus superabundetdivina gratia ubi superabundavit facinorum abominatio.
MARIA.
Si ulla promerendæ spes suæ veniæ inesset, studiumpœnitendi minime deesset.
ABRAHAM.
Miserere meæ quam pro te subii lassitudinis, etdepone perniciosam desperationem, quam omnibuscommissis non nescimus esse graviorem. Quienim peccantibus Deum misereri velle desperat,inremediabiliter peccat, quia sicut scintilla silicispelagus nequit inflammare, ita nostrorum acerbitaspeccaminum divinæ dulcedinem benignitatisnon valet immutare.
MARIA.
Non enim supernæ magnificentiam pietatis nego,sed proprii enormitatem sceleris considerando, addignæ satisfactionem[280] pœnitentiæ vereor nonsufficere.
ABRAHAM.
In me sit iniquitas tua; tantummodo revertere[268]ad locum unde existi, et ini secundo conversationem,quam deseruisti.
MARIA.
In nullo umquam tui renitor votis, sed quæ jubesobtemperanter amplector[281].
ABRAHAM.
Nunc fateor te vere meam[282] quam nutrivifiliam, nunc censeo te præ omnibus fore diligendam.
MARIA.
Aliquantulum auri vestiumque possideo, quodtua de his auctoritas decreverit expecto.
ABRAHAM.
Quæ acquisivisti peccando cum ipsis peccatissunt abjicienda.
MARIA.
Rebar pauperibus eroganda, seu sacris esse altaribusofferenda.
ABRAHAM.
Non satis acceptabile munus Deo esse comprobatur,quod criminibus adquiritur.
MARIA.
Nulla super his ultra sollicitudine fatigar.
ABRAHAM.
Matuta nitescit, lucescit, abeamus.
MARIA.
Tuum est, pater amande, ut ad instar boni[270]pastoris præcedas repertam ovem, et ego paribusincedens vestigiis subsequor præcedentem.
ABRAHAM.
Haud ita; sed ego pedibus incedam, te autemequo superponam, ne itineris asperitas secet tenerasplantas.
MARIA.
O, quem te memorem, quam tibi gratiarumimpendam recompensationem, qui me indignammiseratione non terrore cogis, sed miti condescensionead pœnitentiam hortaris?
ABRAHAM.
Nihil aliud a te expeto, nisi ut reliquum vitæinhærendo insistas Dei obsequio.
MARIA.
Spontanea mente inhæream, pro viribus insistamet, si facultas desit posse, numquam tamendeerit velle.
ABRAHAM.
Convenit ut, quo studio deserviebas vanitati, famulerisdivinæ voluntati.
MARIA.
Fiat, precor, tuis meritis, ut in me perficiaturvoluntas Divinitatis.
ABRAHAM.
Maturemus reditum.
MARIA.
Maturemus; nam me tædet morarum.

[272]SCENA OCTAVA.


ABRAHAM.
Quanta celeritate asperi difficultatem itineristranscurrimus!
MARIA.
Quod devote agitur, facile perficitur.
ABRAHAM.
Ecce tua deserta cellula.
MARIA.
Hei mihi! Ipsa mei sceleris est conscia, ideo ingrediformido.
ABRAHAM.
Et merito; fugiendus est quippe locus, in quohostem sequitur triumphus[283].
MARIA.
Et ubi me decernis compunctioni vacare?
ABRAHAM.
Ingredere in cellulam[284] interiorem, ne vetustusserpens decipiendi ultra inveniat occasionem.
MARIA.
Non contra luctor, sed quæ jubes amplector.
ABRAHAM.
Familiarem meum Ephrem accedam, quo ipse,[274]qui solus mecum tuæ condoluit perditioni, congaudeatinventioni.
MARIA.
Competit.

SCENA NONA.


EPHREM.
Num mihi aliquid affers gaudii?
ABRAHAM.
Ac magni.
EPHREM.
Placet, nec dubito quin Mariam nanciscereris.
ABRAHAM.
Nanciscebar plane; et gaudens reduxi ad ovile.
EPHREM.
Divinæ gratia visitationis factum, credo.
ABRAHAM.
Procul dubio.
EPHREM.
Vellem scire, qualiter juxta id temporis vitammoresque ordinaverit.
ABRAHAM.
Juxta meum velle.
[276]EPHREM.
Hoc illi expedit vel maxime.
ABRAHAM.
Quicquid ipsi agendum proposui, quamvis difficile,quamvis grave, haud abrogavit subire.
EPHREM.
Laudabile.
ABRAHAM.
Nam induta cilicio continuaque vigiliarum etjejunii exercitatione macerata, artissimæ legis observationecorpus tenerum animæ cogit[285] patiimperium.
EPHREM.
Æquum est ut iniquæ sordes delectationis eliminenturacerbitate castigationis.
ABRAHAM.
Quisquis ejus lamenta intellegit, mente vulneratur,quisquis compunctionem sentit et ipse compungitur.
EPHREM.
Solet fieri.
ABRAHAM.
Elaborat pro viribus, ut quibus causa fuit perditionisfiat exemplum conversionis.
EPHREM.
Consequens est.
[278]ABRAHAM.
Nititur ut quanto extitit fœdior, tanto appareatnitidior.
EPHREM.
Jucundor[286] audiendo, præcordialique[287] lætorgaudimonio.
ABRAHAM.
Et merito, nam phalanges angelicæ gaudentesDominum laudant super peccatoris conversione.
EPHREM.
Nec mirum; nullius namque justi magis delectaturperseverantia, quam impii pœnitentia.
ABRAHAM.
Unde in illa tanto justius laudatur, quanto ultraresipisci posse desperabatur.
EPHREM.
Congratulantes laudemus, laudantes glorificemusunigenitum et venerabilem, dilectum et clementemDei filium, qui non vult perire quos suisacro redemit sanguine.
ABRAHAM.
Ipsi honor, gloria, laus[288] et jubilatio per infinitasæcula. Amen.
[242] Hæc verba desunt in codice. Vid. supra, pag.112, not.a167.
[243] Codex et Celtes hic et semper:heremicolæ.
[244] Codex:Effrem, et sic semper.
[245] Sic codex.—Celtes:commodari.
[246] Verbanobis etque, a Celte omissa ex codice recepimus.
[247] Sic codex.—Celtes:non. Conjunctionemsi cum interrogationissensu restituimus.
[248] Codex:mansurni.—Ibi et ubiquemensurnus pro anni intervallousurpatur. Vide infraPaphnutium etSapientiam.
[249] Sic ex emendatione Celtis.—Codex:dispensari.
[250] Codex:cœlebis.
[251] Hæc est Plautina vox.—Celtes:adoptiva.—Codex:adoptitia.
[252] Sic Celtes.—Codex omittit hic voculammeæ, qua usus estpaulo infra.
[253] Celtis lectionem sequimur.—Codex:pertransies.
[254] Sic Celtes.—Codex:negare.
[255] Sic emendavit Celtes.—Codex:exilivit.
[256] Sic Gust. Freytag in nova hujus comœdiæ editione (Vratislaviæ,1839).—Codex et Celtes:his celamentis.
[257] Celtes:mereri.
[258] Codex et Celtes;quasi, male. Gust. Freytag exemit huncscrupulum, quem nos jam antea in nostra Gallica translatione vitavimus;vid.Théâtre européen, Paris, 1835, in-8o.
[259] Codex:foras.
[260] Codex:reminiscer.
[261] Hic conjunctiosi vim habet non solum dubitandi, sed etnegandi.
[262] Nomen hujus personæ et sequentis desunt in codice.
[263] Codex:quod.
[264] Celtes:rem.
[265] Codex:frenas.—Celtes:frena.
[266] Sic Celtes.—Codex:hoc, perperam.
[267] Celtes et Schurzfleisch:quia, perperam.
[268] Sic codex.—Celtes:assimulari.
[269] Celtes:sollicitare.
[270] Codex et Celtes:qua, absque sensu.
[271] Celtes omisitin.
[272] Sic codex.—Celtes:sub spem, male.
[273] Codex:stabularie.
[274] Codex et Celtes:observari.
[275] Sic codex.—Celtes non iterat vocemprocede.
[276] Celtes omittittecum.
[277] Codex:discalciendo.
[278] Particula encliticaque deest in Celtis editione.
[279] Celtes omisit verbumfateor.
[280] Codex:factisfactionem.
[281] Sic codex.—Celtes:amplectar.
[282] Verbummeam deest in Celte.
[283] Ita codex.—Celtes:triumphis et superiore versufugiendum.
[284] Sic codex optime.—Celtes:cellam.
[285] Sic codex.—Celtes:coegit.
[286] Codex hic et passim:Jocundor,jocunditas.—Celtes:Jocundior.
[287] Sic codex.—Celtes, Schurzfleisch et G. Freytag:Jocundioraudiendo precor, dialique lætor gaudimonio.
[288] Vocemlaus omittit Celtes.

V.
PAPHNUTIUS.

ARGUMENTUM IN PAPHNUTIUM[289].


Conversio Thaidis meretricis, quam Paphnutius eremita,æque ut Abraham, sub specie adiens amatoris convertitet data pœnitentia per quinquennium in angustacellula conclusit, donec digna satisfactione Deo reconciliata,quinta decima peractæ pœnitentiæ die, obdormivitin Christo.

PAPHNUTIUS.


DRAMATIS PERSONÆ.

PAPHNUTIUS.
DISCIPULI.
THAIS.


SCENA PRIMA.


DISCIPULI.
Cur obscurum, pater, vultum nec solito geris,Paphnuti, serenum?
PAPHNUTIUS.
Cujus cor contristatur, ejus et vultus obscuratur.
DISCIPULI.
Pro qua re contristaris?
PAPHNUTIUS.
Pro injuria Factoris.
DISCIPULI.
Quæ hæc injuria?
[286]PAPHNUTIUS.
Ipsam quam a propria patitur creatura ad suiimaginem condita.
DISCIPULI.
Terruisti nos dictu.
PAPHNUTIUS.
Licet illa impassibilis majestas affici non possitinjuriis, tamen, ut suum[290] nostræ fragilitatis metaphoricetransferam in Deum, quæ major injuriadici potest, quam, quod ejus imperio, cujus gubernaculismajor mundus obtemperanter subditur,solus minor contra luctetur?
DISCIPULI.
Quis est minor mundus?
PAPHNUTIUS.
Homo.
DISCIPULI.
Homo?
PAPHNUTIUS.
Porro.
DISCIPULI.
Quis[291] homo?
PAPHNUTIUS.
Omnis.
DISCIPULI.
Qui potest fieri?
PAPHNUTIUS.
Ut placuit Creatori.
[288]DISCIPULI.
Non sapimus.
PAPHNUTIUS.
Non obvium est perpluribus.
DISCIPULI.
Expone.
PAPHNUTIUS.
Intendite.
DISCIPULI.
Ac prompta mente.
PAPHNUTIUS.
Sicut enim major mundus ex quatuor contrariiselementis, sed ad votum Creatoris secundumharmonicam moderationem concordantibus perficitur,ita et homo non solum ab eisdem elementis,sed etiam ex magis contrariis partibuscoaptatur.
DISCIPULI.
Et quid magis contrarium quam elementa?
PAPHNUTIUS.
Corpus et anima, quia licet illa sint contraria,tamen sunt corporalia; anima autem[292] necmortalis, ut corpus, nec corpus spiritale[293], utanima.
DISCIPULI.
Ita.
[290]PAPHNUTIUS.
Si tamen dialecticos sequimur[294], nec illa contrariaesse fatemur.
DISCIPULI.
Et quis potest negare?
PAPHNUTIUS.
Qui dialectice scit disputare, quiausiæ nihil estcontrarium, sed receptatrix est contrariorum.
DISCIPULI.
Quid sibi vult quod dixisti, secundum harmonicammoderationem?
PAPHNUTIUS.
Id scilicet, quod, sicut pressi excellentesquesoni harmonice conjuncti quiddam perficiunt musicum,ita dissona elementa convenienter concordantiaunum perficiunt mundum.
DISCIPULI.
Mirum quomodo dissona concordari vel concordantiapossint dissona dici.
PAPHNUTIUS.
Quia nihil ex similibus componi videtur, nec exhis, quæ nulla rationis proportione junguntur, eta se omni substantia naturaque discreta sunt.
[292]DISCIPULI.
Quid est musica?
PAPHNUTIUS.
Disciplina una de philosophiæ quadruvio.
DISCIPULI.
Quid est hoc quod dicis quadruvium?
PAPHNUTIUS.
Arithmetica, geometrica, musica, astronomica.
DISCIPULI.
Cur quadruvium?
PAPHNUTIUS.
Quia, sicut a quadruvio semitæ, ita ab uno philosophiæprincipio harum disciplinarum prodeuntprogressiones rectæ.
DISCIPULI.
Veremur quiddam investigando rogitare de tribus,quia cœptæ scrupulum disputationis capedinementis vix penetrare quimus.
PAPHNUTIUS.
Difficile captu.
DISCIPULI.
Dic nobis de ea superficie tenus, cujus mentionemin præsenti fecimus.
PAPHNUTIUS.
Perparum dicere scio, quia eremicolis est incognita.
DISCIPULI.
Quid agit?
[294]PAPHNUTIUS.
Musica?
DISCIPULI.
Ipsa.
PAPHNUTIUS.
Disputat de sonis.
DISCIPULI.
Utrum est una, an plures?
PAPHNUTIUS.
Tres esse dicuntur; sed unaquæque rationeproportionis[295] alteri ita conjungitur, ut idemquod accidit uni non deest alteri.
DISCIPULI.
Et quæ distantia inter tres?
PAPHNUTIUS.
Prima dicitur mundana sive cœlestis, secundahumana[296], tertia, quæ instrumentis exercetur.
DISCIPULI.
In quo constat cœlestis?
PAPHNUTIUS.
In septem planetis et in cœlesti sphæra[297].
DISCIPULI.
Quomodo?
PAPHNUTIUS.
Eo videlicet quo illa quæ in instrumentis; quiatot spatia, pares productiones, eædem symphoniærepperiuntur in his quæ et in chordis.
[296]DISCIPULI.
Quid sunt spatia?
PAPHNUTIUS.
Dimensiones, quæ numerantur inter planetassive inter chordas.
DISCIPULI.
Et quid productiones?
PAPHNUTIUS.
Idem quod toni.
DISCIPULI.
Nec horum notitia nos tangit.
PAPHNUTIUS.
Tonus fit ex duobus sonis et possidet rationemepogdoi[298] numeri sive sesquioctavi.
DISCIPULI.
Quanto velocius præposita investigando satagimustransire, tanto difficiliora nobis non desinisapponere.
PAPHNUTIUS.
Hoc exigit hujusmodi disputatio.
DISCIPULI.
Edissere summotenus aliquantulum de symphoniis,quo saltim sciamus significationem nominis.
PAPHNUTIUS.
Symphonia dicitur modulationis temperamentum.
[298]DISCIPULI.
Quare?
PAPHNUTIUS.
Quia nunc quatuor, nunc quinque, nunc octosonis perficitur.
DISCIPULI.
Quia tres esse cognoscimus, singularum vocabuladinoscere cupimus.
PAPHNUTIUS.
Prima dicitur diatessaron, quasi ex quatuor, etpossidet proportionem epitritam sive sesquitertiam;secunda diapente, quæ constat ex[299] quinqueet est in ratione hemiolii sive sesquialteri;tertia diapason[300]; hæc fit in duplo, perficiturquesonitibus octo.
DISCIPULI.
Num sphæra et planetæ proferunt sonum, utmereantur comparationem chordarum?
PAPHNUTIUS.
Ac maximum.
DISCIPULI.
Cur non auditur?
PAPHNUTIUS.
Multifariam exponunt. Alii autumant non audiriposse propter assiduitatem; alii propteraëris spissitudinem. Quidam autem ferunt, quod[300]tanti enormitas sonitus artos aurium nequeat intraremeatus. Sunt etiam qui dicunt, quodsphæra tam jucundum, tam dulcem efferat sonum,ut si audiretur omnes in commune hominessemet ipsis neglectis omnibusque postpositis studiisducentem sonum ab oriente sequerentur inoccidentem.
DISCIPULI.
Præstat ut non audiatur.
PAPHNUTIUS.
Hoc a Creatore præsciebatur.
DISCIPULI.
Sit satis de ista, prosequere de humana.
PAPHNUTIUS.
Quid de illa?
DISCIPULI.
In quo percipiatur.
PAPHNUTIUS.
Non solum, ut dixi, in compagine corporis etanimæ, necnon in emissione nunc gravis, nuncclaræ vocis, sed etiam in pulsibus[301] venarumatque in quorumdam mensura membrorum,sicut in articulis digitorum, in quibus easdemproportiones mensurando repperimus, quas insymphoniis præmisimus, quia musica dicitur convenientianon solum vocum, sed etiam aliarumdissimilium rerum.
[302]DISCIPULI.
Si præsciremus[302] quod hujusmodi nodus quæstionistam difficilis ad solvendum esset insciis,maluissemus minorem mundum nescire, quamtantum difficultatis subire.
PAPHNUTIUS.
Nil officit quod elaborastis, cum ante ignorataexperti estis.
DISCIPULI.
Verum; sed tædet nos philosophicæ disputationis,quia nequimus[303] sensu emetiri scrupulumtuæ rationis.
PAPHNUTIUS.
Cur me illuditis, qui plane sum nescius, nonphilosophus?
DISCIPULI.
Et unde tibi hæc, quæ nos fatigando protulisti?
PAPHNUTIUS.
Tenuem scientiæ guttulam, quam de plenissciorum pateris[304] effluentem, non ad colligendumresidens, sed casu præteriens, repertamelambi, vobiscum communicare studui.
DISCIPULI.
Gratulamur tuæ benignitati, sed terremur sententiaApostoli dicentis:Nam stulta mundi elegitDeus, ut confunderet sophistica.
[304]PAPHNUTIUS.
Sive stultus sive sophista perversa operentur[305],confusionem a Deo merentur[306].
DISCIPULI.
Ita.
PAPHNUTIUS.
Nec scientia scibilis Deum offendit, sed injustitiascientis.
DISCIPULI.
Verum.
PAPHNUTIUS.
Et in cujus laudem dignius justiusque scientiaartium retorquetur, quam in ejus, qui scibile fecitet scientiam dedit?
DISCIPULI.
In nullius.
PAPHNUTIUS.
Quanto enim mirabiliori lege Deum omnia innumero et mensura et pondere posuisse quisagnoscit, tanto in ejus amore ardescit.
DISCIPULI.
Nec injuria.
PAPHNUTIUS.
Sed quid moror in istis, quæ nobis minimumofferunt delectationis?
DISCIPULI.
Enuclea nobis causam tui mœroris, ne diutiusfrangamur pondere curiositatis.
[306]PAPHNUTIUS.
Si quando experiemini, auditu non delectabimini.
DISCIPULI.
Haud raro contristatur qui curiositatem sectatur;sed tamen hanc nequimus superare, quiafamiliaris est fragilitati nostræ.
PAPHNUTIUS.
Quædam impudens femina moratur in hac patria.
DISCIPULI.
Res civibus periculosa.
PAPHNUTIUS.
Hæc miranda prænitet pulchritudine, et horrendasordet turpitudine.
DISCIPULI.
Miserabile! Quid vocatur?
PAPHNUTIUS.
Thais.
DISCIPULI.
Illa meretrix?
PAPHNUTIUS.
Ipsa.
DISCIPULI.
Ejus infamia nulli est incognita.
PAPHNUTIUS.
Nec mirum, quia non dignatur cum paucis adinteritum tendere, sed prompta est omnes lenociniissuæ formæ illicere, secumque ad interitumtrahere.
[308]DISCIPULI.
Lugubre.
PAPHNUTIUS.
Nec solum nugaces vilitatem suæ familiaris reidissipant illam colendo, sed etiam præpotentesviri pretiosæ varietatem supellectilis pessum dant,non absque sui damno hanc ditando.
DISCIPULI.
Horrescimus auditu.
PAPHNUTIUS.
Greges amatorum ad illam confluunt.
DISCIPULI.
Se ipsos perdunt.
PAPHNUTIUS.
Qui amentes, dum cæco corde quis illam adeatcontendunt, convicia congerunt.
DISCIPULI.
Unum vitium parat aliud.
PAPHNUTIUS.
Deinde inito certamine, nunc ora naresque pugnisfrangendo, nunc armis vicissim ejiciendo,decurrentis illuvie sanguinis madefaciunt liminalupanaris.
DISCIPULI.
O nefas detestabile!
PAPHNUTIUS.
Hæc injuria quam deflevi Factoris, hæc estcausa mei doloris.
[310]DISCIPULI.
Merito super hoc contristaris, nec dubitamus,quin tecum contristentur cives patriæ cœlestis.
PAPHNUTIUS.
Quid si illam adeam sub specie amatoris, siforte revocari possit ab intentione nugacitatis?
DISCIPULI.
Qui tuæ cogitationi instillavit velle, ipse præstetefficaciam posse.
PAPHNUTIUS.
Fulcite me interim precibus assiduis, ne supererinsidiis vitiosi serpentis.
DISCIPULI.
Qui regem prostravit tenebricolarum, largiaturtibi contra hostem triumphum.

SCENA SECUNDA.


PAPHNUTIUS.
Ecce juvenes in foro; illos primum adibo, etubi hanc quam quæro inveniam rogabo.
JUVENES.
En, ignotus quidam nos adit; experiemur quidvelit.
[312]PAPHNUTIUS.
Heus, Juvenes, qui[307] estis?
JUVENES.
Urbicolæ hujus civitatis.
PAPHNUTIUS.
Avete.
JUVENES.
Et tu salve, sive sis hujus patriæ indigena, siveadvena.
PAPHNUTIUS.
Advena nunc advenio.
JUVENES.
Cur advenis? Quid quæris?
PAPHNUTIUS.
Non est dicendum.
JUVENES.
Quare?
PAPHNUTIUS.
Quia mihi secretum.
JUVENES.
Melius ut proferas, quia si non es nostras, difficilepoteris aliquod[308] inter nos negotium absqueconsilio peragere incolarum.
PAPHNUTIUS.
Quid si dixero, et dicendo aliquod mihi[309] impedimentumexcitavero?
[314]JUVENES.
Non a nobis.
PAPHNUTIUS.
Lætis promissionibus cedo, vestræque fidei confidenssecretum enucleo.
JUVENES.
Nihil nostra de parte infidelitatis, nihil tibi obviabitcontrarietatis.
PAPHNUTIUS.
Quorumdam relatu comperi mulierem secusvos commorari omnibus amabilem, omnibus affabilem.
JUVENES.
Nosti ejus nomen?
PAPHNUTIUS.
Novi.
JUVENES.
Quid vocatur?
PAPHNUTIUS.
Thais.
JUVENES.
Ipsa nostratium est ignis.
PAPHNUTIUS.
Ferunt illam mulierem pulcherrimam, omniumesse delicatissimam.
JUVENES.
Qui retulere nihil fefellere.
PAPHNUTIUS.
Ipsius causa difficilis prolixitatem viæ surripui;ipsam ut viderem adveni.
[316]JUVENES.
Nullum tibi obstat impedimentum eam videndi.
PAPHNUTIUS.
Ubi moratur?
JUVENES.
Ecce, mansio in proximo.
PAPHNUTIUS.
Hæc quam indice proditis?
JUVENES.
Ipsa.
PAPHNUTIUS.
Illo pergam.
JUVENES.
Si placet, tecum pergemus.
PAPHNUTIUS.
Malo ire solus.
JUVENES.
Ut libet.

SCENA TERTIA.


PAPHNUTIUS.
Tu istæc intro, Thais, quam quæro?
THAIS.
Quis hic qui loquitur ignotus?
PAPHNUTIUS.
Amator tuus.
[318]THAIS.
Quicumque me amore colit[310], æquam vicemamoris a me recipit.
PAPHNUTIUS.
O Thais, Thais, quanta gravissimi itineris currebamspatia, quo mihi daretur copia tecumfandi, tuique faciem contemplandi.
THAIS.
Nec aspectum subtraho, nec colloquium denego.
PAPHNUTIUS.
Secretum nostræ confabulationis desiderat solitudinemloci secretioris.
THAIS.
Ecce cubile bene stratum et delectabile ad inhabitandum.
PAPHNUTIUS.
Estne hic aliud penitius, in quo possimus colloquisecretius?
THAIS.
Est etenim aliud occultum tam secretum, utejus penetral nulli præter me, nisi Deo, est[311]cognitum.
PAPHNUTIUS.
Cui Deo?
THAIS.
Vero.
[320]PAPHNUTIUS.
Credis illum aliquid scire?
THAIS.
Non nescio illum nihil latere.
PAPHNUTIUS.
Utrumne reris illum facta pravorum neglegere,an sui æquitatem servare?
THAIS.
Æstimo ipsius æquitatis lance singulorum meritapensari, et unicuique, prout gessit, sive supplicium,sive præmium servari.
PAPHNUTIUS.
O Christe, quam miranda tuæ circa nos benignitatispatientia, qui te scientes vides peccare ettamen tardas perdere!
THAIS.
Cur contremiscis mutato colore? Cur fluuntlacrimæ?
PAPHNUTIUS.
Tui præsumptionem horresco, tui perditionemdefleo, quia hæc nosti, et tantas animas perdidisti.
THAIS.
Væ, væ mihi infelici!
PAPHNUTIUS.
Tanto justius damnaberis, quanto præsumptuosiusscienter offendisti majestatem Divinitatis.
[322]THAIS.
Heu, heu, quid agis? Quid infelici minitaris?
PAPHNUTIUS.
Supplicium tibi imminet gehennæ, si permanebisin scelere.
THAIS.
Severitas tuæ correptionis concussit penetralpavidi cordis.
PAPHNUTIUS.
O utinam esses viscera tenus concussa timore,ne ultra præsumeres periculosæ delectationi assensumpræbere.
THAIS.
Et quis posthæc locus pestiferæ delectationi inmeo corde potest relinqui, ubi solum intestinimœroris amaritudo consciique reatus nova dominaturformido?
PAPHNUTIUS.
Hoc opto, quo resectis vitiorum spinis emergerepossit flumen[312] compunctionis.
THAIS.
O, si crederes, o, si sperares me sordidulam,millies millenis sordium oblitam offuscationibus,ullatenus posse expiari, seu ullo compunctionismodo veniam promereri!...
[324]PAPHNUTIUS.
Nullum enim grave peccatum, nullum tam immaneest delictum, quod nequeat expiari pœnitentiælacrimis, si effectus sequetur operis.
THAIS.
Ostende, quæso, mi pater, quo effectu operispromereri queam munus reconciliationis.
PAPHNUTIUS.
Contemne sæculum, fuge lascivorum consortiaamasionum.
THAIS.
Et quid mihi tunc erit agendum?
PAPHNUTIUS.
In secretum locum secedendum, in quo teipsam discutiendo possis lamentari enormitatemtui delicti.
THAIS.
Si hoc speras proficere, non addo momentummorulæ.
PAPHNUTIUS.
Non dubito quin prosit.
THAIS.
Da mihi aliquantuli spatium tempusculi, utproferam mammonam, quam male collectam diuservavi.
PAPHNUTIUS.
Ne solliciteris[313] pro ea. Non desunt, qui utenturinventa.
[326]THAIS.
Non ob id sollicitor, ut vel mihi servare, velamicis vellem dare; sed nec egenis conor dispensare,quia non arbitror pretium piaculi[314] aptumesse ad opus beneficii.
PAPHNUTIUS.
Recte arbitraris. Et quid de congestis actum iremeditaris?
THAIS.
Igni tradere et in favillam redigere.
PAPHNUTIUS.
Quamobrem?
THAIS.
Ne retineantur in mundo, quæ male adquisivinon absque mundi Factoris injuria.
PAPHNUTIUS.
O quam[315] mutata es ab illa, quæ prius eras,quando inlicito amore flagrabas, avaritiæ caloreæstuabas.
THAIS.
Fortasse mutabor in melius, si annuerit Deus.
PAPHNUTIUS.
Non est difficile immutabili ejus substantiæ resut libet mutare.
THAIS.
Ibo, et quæ cogitavi opere complebo.
[328]PAPHNUTIUS.
Vade in pace, citiusque ad me revertere.

SCENA QUARTA.


THAIS.
Convenite, properamini, nequam amatores mei.
AMATORES[316].
Vox Thaidis nos vocantis. Adventum maturemus,ne illam tardando offendamus.
THAIS.
Accelerate, accedite, ut queam vobiscum verbamiscere.
AMATORES.
O Thais, Thais, quid sibi vult rogus, quem construis?Cur pretiosarum varietatem divitiarumjuxta rogum congeris?
THAIS.
Rogatis?
AMATORES.
Admiramur satis.
THAIS.
Exponam citius.
[330]AMATORES.
Hoc optamus.
THAIS.
Aspicite.
AMATORES.
Quiesce, quiesce, Thais. Quid agis? Num insanis?
THAIS.
Non insanio, sed sanum sapio.
AMATORES.
Ut quid hæc perditio quadringentarum auri librarum,cum aliarum diversitate gazarum?
THAIS.
Omne quod injuste a vobis extorsi igne volocremari, ne ullus fomes vobis relinquatur sperandime ultra vestro amori cedendi.
AMATORES.
Subsiste paulisper, subsiste, et materiam tuæperturbationis detege.
THAIS.
Non subsisto, nec sermonem vobiscum confero.
AMATORES.
Cur dedignando nos fastidis? Num alicujus infidelitatisnos arguis? Nonne semper satisfecimustuis votis? Et tu iniquo odio nos gratis insectaris.
THAIS.
Dimittite, nolite vestem meam adtrahendo scindere.Sit satis, quod huc usque peccando vobis[332]consensi. Finis instat peccandi, tempusque nostridiscidii.
AMATORES.
Quo tendit[317]?
THAIS.
Ubi nemo vestrum posthac me videbit.
AMATORES.
Papæ! Quid hoc monstri est, quod nostri deliciæ[318]Thais, quæ divitiis affluere[319] semper laboravit,quæ mentem a lascivia numquam retraxitet se voluptati penitus dedit, tanta auri gemmarumqueinsignia absque retractatione perdidit, etnos sui amasiones dedignando sprevit subitoquenon comparuit?

SCENA QUINTA.


THAIS.
En, pater Paphnuti, venio ad obsequendum tibipromptissima.
PAPHNUTIUS.
Quia moram in veniendo fecisti, coartabarnimis verendo te iterum implicitam esse sæcularibusnegotiis.
[334]THAIS.
Ne id vereare, quia multo aliud mihi versatur[320]in mente. Nam res familiares juxta velle meumdisposui, meisque amasionibus publice abrenuntiavi.
PAPHNUTIUS.
Quia his abrenuntiasti, superno amatori jamnunc poteris copulari.
THAIS.
Tuum est mihi velut radio præscribere quid meoporteat factum ire.
PAPHNUTIUS.
Sequere me.
THAIS.
Sequar enim ambulatione; o utinam sequerer[321]et actione!

SCENA SEXTA.


PAPHNUTIUS.
Ecce cœnobium, in quo sacrarum virginumnobile commoratur collegium. Eo loci gestio temansum ire agendæ spatium pœnitentiæ.
THAIS.
Non contra luctor.
[336]PAPHNUTIUS.
Intrabo, et abbatissam[322] ductricem virginumpro tui susceptione placabo.
THAIS.
Quid jubes me interim agere?
PAPHNUTIUS.
Mecum pergere.
THAIS.
Ut jubes.
PAPHNUTIUS.
Ecce, abbatissa occurrit. Admiror quis illi nosadesse tam cito retulerit.
THAIS.
Fama, quæ nulla stringitur mora.

SCENA SEPTIMA.


PAPHNUTIUS.
Opportune occurris, illustris abbatissa, te ipsamquæro.
ABBATISSA.
Gratanter advenis, venerande pater Paphnuti;benedictus tui adventus, dilecte Dei.
[338]PAPHNUTIUS.
Beatitudinem æternæ benedictionis infundat tibigratia Omniparentis.
ABBATISSA.
Unde hoc mihi ut Sanctitas tua dignaretur invisereexiguitatem habitationis meæ?
PAPHNUTIUS.
Opus est tuo juvamine in aliqua sollicitandanecessitate.
ABBATISSA.
Jube solum modo levi famine quid me velisagere, et ego tui jussa complere tuisque votis studebopro viribus satisfacere.
PAPHNUTIUS.
Attuli capellam semivivam, dentibus luporumnuper abstractam, quam tui miseratione foveri,tui sollicitudine gestio mederi, quoadusque abjectahædinæ pellis austeritate, ovini velleris induaturmollitie.
ABBATISSA.
Exprime rem[323] enucleatius.
PAPHNUTIUS.
Istæc quam vides meretricio more vitam instituit.
ABBATISSA.
Miserabile.
PAPHNUTIUS.
Seseque totam lasciviæ dedit.
[340]ABBATISSA.
Semet ipsam perdidit.
PAPHNUTIUS.
At nunc, me hortante Christoque cooperante,frivola quæ sectabatur odiendo[324] refugit, etcastum sapit.
ABBATISSA.
Mutationis auctori grates.
PAPHNUTIUS.
Quia enim ægritudo animarum, æque ut corporum,contrariis[325] curanda est medelis, consequensest, ut hæc a solita sæcularium[326] inquietudinesequestrata sola in angusta retrudatur cellula, quoliberius possit discutere sui crimina.
ABBATISSA.
Hoc potissimum prodest.
PAPHNUTIUS.
Manda, ut quantocius cellula construatur.
ABBATISSA.
Parvo spatio perficiatur[327].
PAPHNUTIUS.
Nullus introitus, nullus relinquatur aditus, sedsolummodo exigua fenestra, per quam modicumpossit victum accipere, quem statutis diebus ethoris illi debebis[328] parce præbitum ire.
[342]ABBATISSA.
Vereor quod delicatæ teneritudo mentis ægrepatiatur difficultatem tanti laboris.
PAPHNUTIUS.
Ne id vereare: nam grave delictum forte desideratsperare remedium.
ABBATISSA.
Verum.
PAPHNUTIUS.
Tædet me magis morarum, quia timeo illamcorrumpi visitatione hominum.
ABBATISSA.
Cur tædium pateris? Cur illam non includis?Ecce cellula quam desiderasti est perfecta.
PAPHNUTIUS.
Placet. Ingredere, Thais, habitaculum tuis facinoribusdeflendis satis congruum.
THAIS.
Quam breve, quam obscurum et quam incommodumtenellæ mulieri ad inhabitandum!
PAPHNUTIUS.
Cur habitaculum execraris? Cur ingredi horrescis?Decet ut, quæ hactenus fuisti indomitevaga, nunc tandem in solitario refreneris loco.
THAIS.
Mens assueta lasciviæ haud raro impatiens estanterioris vitæ.
[344]PAPHNUTIUS.
Ideo debet habenis disciplinæ stringi, quoadusquedesinat contra luctari.
THAIS.
Quod jubet tua paternitas non recusat subitumire mea vilitas; sed quædam inopportunitas inesthuic habitationi difficilis ad sufferendum meæfragilitati.
PAPHNUTIUS.
Quæ hæc importunitas?
THAIS.
Erubesco dicere.
PAPHNUTIUS.
Ne erubescas, sed penitus detege.
THAIS.
Quid inopportunius[329], quidve poterit esse incommodius,quam quod in uno eodemque locodiversa corporis necessaria supplere debebo? Necdubium, quin ocius fiat inhabitabilis[330] præ nimietatefœtoris.
PAPHNUTIUS.
Formida perpetis crudelitatem gehennæ, et desinetransitoria pertimescere.
THAIS.
Fragilitas mei cogit me terreri.
PAPHNUTIUS.
Convenit ut malæ blandimentorum dulcedinemdelectationis luas molestia nimii fœtoris.
[346]THAIS.
Non recuso, non nego me sordidam non injuriafœdo sordidoque habitatum ire in tugurio;sed hoc dolet[331] vehementius, quod nullus est relictuslocus, in quo apte et caste possim tremendænomen Majestatis invocare.
PAPHNUTIUS.
Et unde tibi tanta fiducia, ut pollutis labiis præsumasproferre nomen impollutæ Divinitatis?
THAIS.
Et a quo veniam sperare, cujusve salvari possummiseratione, si ipsum prohibeor invocare, cui solideliqui, et cui uni devotio orationum debet offerri[332]?
PAPHNUTIUS.
Debes plane orare non verbis, sed lacrimis, nonsonoritate tinnulæ vocis, sed compuncti rugitucordis.
THAIS.
Et si vetar Deum verbis orare, quomodo possumveniam sperare?
PAPHNUTIUS.
Tanto celerius mereberis, quanto perfectius humiliaberis.Dic tantum: Qui me plasmasti, misereremei!
THAIS.
Opus est ejus miseratione, ne frangar[333] in dubiocertamine.
[348]PAPHNUTIUS.
Certa viriliter, ut possis triumphum obtinerefeliciter.
THAIS.
Tuum est pro me orare, ut merear palmam victoriæ.
PAPHNUTIUS.
Non opus est monitu.
THAIS.
Spero.
PAPHNUTIUS.
Tempus est optatas solitudinis repetam latebras[334],et caros visitem discipulos. Tuæ igitursollicitudini, tuæ pietati, venerabilis abbatissa,hanc captivam committo, ut et corpus delicatummediocriter foveas necessariis, et animam sufficienterreficias saluberrimis monitis.
ABBATISSA.
Ne solliciteris pro ea, quia eam materno affectufovebo.
PAPHNUTIUS.
Vadam.
ABBATISSA.
In pace.

[350]SCENA OCTAVA.


DISCIPULI.
Quis pulsat portam?
PAPHNUTIUS.
Ego[335].
DISCIPULI.
Vox Paphnutii patris nostri.
PAPHNUTIUS.
Amovete pessulum.
DISCIPULI.
O pater, salve.
PAPHNUTIUS.
Avete.
DISCIPULI.
Coartabamur nimium pro diutina absentia tui.
PAPHNUTIUS.
Juvat quod abfui.
DISCIPULI.
Quid actum est de Thaide?
PAPHNUTIUS.
Juxta meum velle.
DISCIPULI.
Ubi moratur?
PAPHNUTIUS.
In exigua cellula deflet sui commissa.
[352]DISCIPULI.
Laus sit summæ Trinitati.
PAPHNUTIUS.
Et benedictum nomen ejus tremendum nunc etper ævum.
DISCIPULI.
Amen.

SCENA NONA.


PAPHNUTIUS.
Ecce, tres mensurni pœnitentiæ Thaidis transiere,et ego ignoro utrumne Deo acceptabilis sitejus compunctio. Surgam, et vadam ad fratremmeum Antonium, quo mihi manifestetur per ejusinterventum.

SCENA DECIMA.


ANTONIUS.
Quid insperatæ jucunditatis accidit? Quid novigaudii mihi contigit? Num hic est frater et coeremicolameus Paphnutius? Ipse est.
[354]PAPHNUTIUS.
Sum etenim.
ANTONIUS.
Bene, frater, venisti, bene me adveniendo lætificasti.
PAPHNUTIUS.
Haud minus tripudio tui visu, quam tu meiadventu.
ANTONIUS.
Quæ hæc causa tam acceptabilis, tam gratanobis, quæ te huc duxit de tuis latibulis?
PAPHNUTIUS.
Enucleo[336].
ANTONIUS.
Hoc desidero.
PAPHNUTIUS.
Ante hoc triennium morabatur secus nos quædammeretrix nomine Thais, quæ non solum seseperditioni dedit, sed etiam perplures secum adinteritum trahere consuevit.
ANTONIUS.
Heu! gemenda consuetudo!
PAPHNUTIUS.
Hanc sub specie amatoris adii, et lascivientemanimum nunc suavibus hortamentis blandiendomulcebam, nunc acrioribus monitis minitandoterrebam.
[356]ANTONIUS.
Hoc temperamentum ejus lasciviæ fuit necessarium.
PAPHNUTIUS.
Tandem cessit, et spreta reprehensibili consuetudinecastitatem elegit, seseque in angustissimacellula concludi consensit.
ANTONIUS.
Delector audiendo in tantum, ut omnes præcordiorum[337]venæ intrinsecus exiliant gaudendo.
PAPHNUTIUS.
Decet tui sanctitatem; et ego quidem, licet supramodum gaudeam[338] de conversione, si[339] levitamen conturbor sollicitudine, eo quod vereor ejusteneritudinem ægre ferre diutinum laborem.
ANTONIUS.
Ubi adest vera dilectio, non deest pia compassio.
PAPHNUTIUS.
Unde tuam dilectionem efflagito, ut tu tuiquediscipuli mecum in orationibus concordando velitispersistere, quoadusque cœlitus demonstretur,utrumne benignitas divinæ miserationis ad indulgentiammollita sit pœnitentis lacrimis.
ANTONIUS.
Consentimus tuæ petitioni libenter.
[358]PAPHNUTIUS.
Nec dubito vos a Deo exauditum iri clementer.

SCENA UNDECIMA.


ANTONIUS.
Ecce, evangelica promissio in nobis est impleta.
PAPHNUTIUS.
Quæ hæc promissio?
ANTONIUS.
Ea videlicet, quæ consentientes in oratione promisitomnia impetrare posse.
PAPHNUTIUS.
Quid est?
ANTONIUS.
Paulo meo discipulo ostensa est quædam visio.
PAPHNUTIUS.
Voca illum.
ANTONIUS.
Paule, accede, et quæ vidisti Paphnutio expone.
PAULUS.
Videbam in visione lectulum candidulis palliolisin cœlo magnifice stratum, cui quatuor splendidulæ[340]virgines præerant, et quasi custodiendo[360]astabant; at ubi jucunditatem miræ claritatis aspiciebam,intra me dicebam: hæc gloria neminimagis congruit, quam patri et domino meo Antonio.
ANTONIUS.
Tali me non dignor beatitudine.
PAULUS.
Quo dicto intonuit vox divina dicens: «Non,ut speras, Antonio, sed Thaidi meretrici servandaest hæc gloria.»
PAPHNUTIUS.
Laus dulcedini tuæ miserationis[341], Christe,unice Dei, quod mei tristitiam tam pie dignatuses consolari.
ANTONIUS.
Dignus est laudari.
PAPHNUTIUS.
Ibo, et mei captivam visitabo.
ANTONIUS.
Tempus est ut illi et spem veniæ et solamenpromittas beatitudinis æternæ.

[362]SCENA DUODECIMA.


PAPHNUTIUS.
Thais, mea adoptiva filia, aperi fenestram, utte videam.
THAIS.
Quis loquitur?
PAPHNUTIUS.
Paphnutius pater tuus.
THAIS.
Unde mihi jucunditas tantæ lætitiæ, ut tu mepeccatricem digneris[342] visitare?
PAPHNUTIUS.
Licet per hoc triennium absens essem corpore,haud modicum tamen sollicitus sum[343] pro tuisalute.
THAIS.
Non dubito.
PAPHNUTIUS.
Expone mihi historiam tuæ conversationis, modumquecompunctionis.
THAIS.
Hoc possum exponere, quod non nescio menihil dignum Deo egisse.
PAPHNUTIUS.
Si Deus iniquitates observabit, nemo sustinebit.
[364]THAIS.
Si tamen quid fecerim vis scire, numerositatemmeorum scelerum intra conscientiam, quasi infasciculum collegi et pertractando mente semperinspexi, quo, sicut naribus numquam[344] molestiafœtoris, ita formido gehennæ non abesset visibuscordis.
PAPHNUTIUS.
Quia te compunctione punisti, ideo veniammeruisti.
THAIS.
O utinam!
PAPHNUTIUS.
Da manum, ut te educam.
THAIS.
Noli, pater venerande, noli me sordidulam hisimmunditiis abstrahere, sed sine in loco meis meritiscondigno mansum ire.
PAPHNUTIUS.
Tempus est ut levigato timore incipias vitamsperare, quia tui pœnitentia acceptabilis est Deo.
THAIS.
Ejus pietati laudem ferant omnes angeli, quianon sprevit humilitatem cordis contriti.
PAPHNUTIUS.
Esto stabilis in Dei timore, et permane in ejusdilectione; post quindecim namque dies hominem[366]exues[345], et tandem felici cursu peracto, supernafavente gratia, transmigrabis ad astra.
THAIS.
O utinam mererer pœnas evadere, vel saltimclementius exuri mitiori igne! Non est enim hocmei meriti, ut doner beatitudine interminabili.
PAPHNUTIUS.
Gratuitum Dei donum non pensat humanummeritum, quia si meritis tribueretur, gratia nondiceretur.
THAIS.
Unde laudet illum cœli concentus, omnisqueterræ surculus, nec non universæ animalis species,atque confusæ aquarum gurgites, qui non solumpeccantes patitur, sed etiam pœnitentibus præmiagratis largitur.
PAPHNUTIUS.
Hoc illi antiquitus fuit in more, ut mallet misereriquam ferire.

[368]SCENA TERTIA DECIMA.


THAIS.
Noli abire, pater venerabilis; sed adesto mihipro solatio in hora meæ dissolutionis.
PAPHNUTIUS.
Non abeo, non[346] discedo, donec anima superæthera plaudente corpus tradam sepulturæ.
THAIS.
En, incipio mori.
PAPHNUTIUS.
Nunc est tempus orandi.
THAIS.
Qui plasmasti me, miserere mei, et fac felicireditu ad te reverti animam quam inspirasti.
PAPHNUTIUS.
Qui factus a nullo vere es sine materia forma[347],cujus simplex esse hominem, qui non est id quodest, ex hoc et hoc fecit consistere, da diversaspartes hujus solvendæ[348] hominis prospere repetereprincipium sui originis, quo et anima cœlitus[370]indita cœlestibus gaudiis intermisceatur, et corpusin molli gremio terræ suæ materiæ pacifice foveatur,quoadusque pulverea favilla coeunte et vivaciflatu redivivos artus iterum intrante, hæc eademThaïs resurgat perfecta, ut fuit, homo, inter candidulasoves collocanda et in gaudium æternitatisinducenda; tu, qui solus es[349] id quod es, in unitateTrinitatis regnas et gloriaris per infinita sæculasæculorum[350].
[289] In hac inscriptione, quam manu sua Celtes superaddidit,Pafnuntius legitur. CodexPafnutium semper exhibet. Celtes aliquotiesin sua editione scribitPaffnuncium.
[290] Sic codex.—Celtes:affectus.
[291] Codex et Celtes:qui.
[292]Autem deest in Celte.
[293] Codex:spiritalis.
[294] Post vocemsequimur inest in codice unius verbi lacuna.
[295] Codex:proportationis.—Celtes:proportionationis.
[296] Sic codex.—Celtes:mundana, perperam.
[297] Codex:spera, hic et infra.
[298]Epogdoi est emendatio Celtis; Codex habet:epothoi.
[299] Hic parva inest in codice lacuna.
[300] Codex:diateseron etdiaposon.
[301] Sic Celtes.—Codex:impulsibus.
[302] Sic codex.—Celtes:præscissemus.
[303] Celtes:nescimus.
[304] Sic codex.—Celtes:puteis.
[305] Sic Celtes.—Codex:operantur.
[306] Codex et Celtes:meretur.
[307] Codex:quid.
[308] Codex:aliquid.
[309] Celtes omittitmihi.
[310] Celtes:amare colit, mendose.
[311] Sic codex optime.—Celtes:sit.
[312] Ita legendum in Codice, ni fallor.—Celtes:lacrima.
[313] Codex:sollicitaris.
[314] Codex:piaculii.
[315] Celtes:quantum.
[316] In codice tantum video A, quod legi potestAmantes, ut fecitCeltes; probabilius tamen legendumAmatores, ut in linea præcedente.
[317] Sic Codex.—Celtes:tendis.
[318] Codex:delicias.
[319] Codex et Celtes:effluere.
[320] Codex:versetur.
[321] Codex:sequer.
[322] Inest in codice signum parvæ lacunæ.
[323] Codex:exprimere.—Celtes:exprime, vocerem omissa.
[324] Sic Codex.—Celtes:obediendo.
[325] Celtes omittit vocemcontrariis.
[326] Sic Codex.—Celtes:a solito seculariumque.
[327] Celtes:perficietur.
[328] Celtes:debes.
[329] Celtes:importunius.
[330] Codex:inhabitaculum, ni fallor.
[331] Celtes:doleo.—Codex:dolet, optime.
[332] Sic Celtes.—Codex:offerre.
[333] Codex:frangor.
[334] Codex:latabras.
[335] Codex habet, ni fallor,Eh, eh.
[336] Sic codex.—Celtes:En valeo, quod non fert series colloquii.
[337] Codex:præcordiarum.
[338] Codex:gaudeo.
[339] Sic codex. Notandum estsi pronon, ut supra, p.238.
[340] Celtes:splendidæ.
[341] Vocemmiserationis omittit Celtes.
[342] Codex:dignaris.—Celtes:dignareris.
[343] Sic codex.—Celtes:fui.
[344] Inest in codice lacuna.
[345] Codex:exies.
[346] Sic codex.—Celtes:sed.
[347] Ita Codex.—Sic fortasse legendum erat supra (pag.204),ubisine materiæ forma legimus.
[348] Sic codex, optime.—Celtes:solvendi.
[349] Verbumes deest in codice.
[350] Hic CeltesAmen addidit.—Inter finem hujus fabulæ etinitium sequentis semissis paginæ vacat in codice.

VI.
SAPIENTIA.

ARGUMENTUM IN SAPIENTIAM.


Passio sanctarum virginum Fidei, Spei et Caritatis,quas, earumdem veneranda genitrice Sapientia præsenteet maternis admonitionibus ad tolerandas passiones hortante,Hadrianus[351] imperator diversis suppliciis interfecit;quarum etiam corpora martyrio consummata[352]sancta mater Sapientia collegit, et aromatibus conditaquinto ab urbe Roma milliario honorifice sepelivit. Ipsaquoque quadragesima die juxta earum sepulchra finitaoratione sacra spiritum præmisit cœlo.

SAPIENTIA.


DRAMATIS PERSONÆ.

ANTIOCHUS.
HADRIANUS[353].
SAPIENTIA.
FIDES.
SPES.
CARITAS.


SCENA PRIMA.


ANTIOCHUS[354].
Tuum igitur esse, o imperator Hadriane, prosperisad vota successionibus pollere tuique statumimperii feliciter absque perturbatione exoptansvigere, quicquid rempublicam confundere, quicquid[378]tranquillum mentis reor vulnerare posse,quantocius divelli penitusque cupio labefactari.
HADRIANUS.
Nec injuria; nam nostri prosperitas tui est felicitas,cum summos dignitatis gradus in dies tibiaugere non desistimus.
ANTIOCHUS.
Congratulor tuæ almitati; unde, si quid experioremergere, quod tuo potentatui videtur contraluctari, non occulo, sed impatiens moræ profero.
HADRIANUS.
Et merito, ne reus majestatis esse arguaris, sinon celanda celaveris.
ANTIOCHUS.
Hujusmodi commisso reatus numquam fui obnoxius.
HADRIANUS.
Memini; sed profer si quid scias novi.
ANTIOCHUS.
Quædam advena mulier hanc urbem Romam[355]nuper intravit comitata proprii fœtuspusiolis tribus.
HADRIANUS.
Cujus sexus sunt pusioli?
ANTIOCHUS.
Omnes feminei.
[380]HADRIANUS.
Num quid tantillarum adventus muliercularumaliquod[356] reipublicæ adducere poterit detrimentum?
ANTIOCHUS.
Permagnum.
HADRIANUS.
Quod?
ANTIOCHUS.
Pacis defectum.
HADRIANUS.
Quo pacto?
ANTIOCHUS.
Et quid[357] magis potest rumpere civilis concordiampacis, quam dissonantia observationis?
HADRIANUS.
Nihil gravius, nihil deterius, quod testatur orbisRomanus, qui undique secus christianæ cædis sordeest infectus.
ANTIOCHUS.
Hæc igitur femina, cujus mentionem facio, hortaturnostrates avitos ritus deserere et christianæreligioni se dedere.
HADRIANUS.
Num prævalet hortamentum?
ANTIOCHUS.
Nimium. Nam nostræ[358] conjuges fastidiendo[382]nos contemnunt adeo, ut dedignentur[359] nobiscumcomedere, quanto minus dormire.
HADRIANUS.
Fateor, periculum.
ANTIOCHUS.
Decet tui personam præcavere.
HADRIANUS.
Consequens. Advocetur, et in nostri præsentiaan velit cedere discutiatur.
ANTIOCHUS.
Vin’ me illam advocare?
HADRIANUS.
Volo percerte.

SCENA SECUNDA.


ANTIOCHUS.
Quid vocaris, o mulier advena?
SAPIENTIA.
Sapientia.
ANTIOCHUS.
Imperator Hadrianus jussit te in palatio præsentarisuis conspectibus.
[384]SAPIENTIA.
Palatium cum nobili filiarum comitatu intrarenon trepido, et minacem imperatoris vultum comminusaspicere non formido.
ANTIOCHUS.
Invisum genus christicolarum semper promptumest principibus ad resistendum.
SAPIENTIA.
Princeps universitatis, qui nescit vinci, non patitursuos ab hoste superari.
ANTIOCHUS.
Mitiga effluentiam verborum, et perge ad palatium.
SAPIENTIA.
Monstra viam præeundo, nos subsequimur accelerando.

SCENA TERTIA.


ANTIOCHUS.
Hic ipse est imperator, quem in solio residentemconspicis; præcogita quid loquaris.
SAPIENTIA.
Hoc prohibet Christi sententia, promittens nobisinsuperabilis sapientiæ dona.
[386]HADRIANUS.
Huc ades, Antioche.
ANTIOCHUS.
Præsto sum, domine.
HADRIANUS.
Num quid hæ sunt mulierculæ, quas deferebaspro christiana religione?
ANTIOCHUS.
Sunt plane.
HADRIANUS.
Uniuscujusque pulchritudinem obstupesco, sedet honestatem habitus satis admirari nequeo.
ANTIOCHUS.
Desine, o mi senior, admirari, et coge illas deosvenerari.
HADRIANUS.
Quid si illas primule aggrediar blanda alloquutione,si forte velint cedere?
ANTIOCHUS.
Melius est. Nam fragilitas sexus feminei faciliuspotest blandimentis molliri.
HADRIANUS.
Illustris matrona, blande et quiete ad culturamdeorum te invito, quo nostra perfrui possis amicitia.
SAPIENTIA.
Nec in cultura deorum tuis votis satisfacere,nec amicitiam tecum[360] gestio inire.
[388]HADRIANUS.
Adhuc mitigato furore nulla in te moveor indignatione,sed pro tua tuique filiarum salutepaterno[361] sollicitor amore.
SAPIENTIA.
Nolite, meæ filiæ, serpentinis hujus satanæ lenociniiscor apponere, sed meatim fastidite.
FIDES.
Fastidimus et animo contemnimus frivola.
HADRIANUS.
Quid murmurando loqueris?
SAPIENTIA.
Filias affabar paucis.
HADRIANUS.
Videris esse summis natalibus orta, sed tamenpatriam, genus, nomenque tuum ex te pleniuscupio ediscere.
SAPIENTIA.
Licet sanguinis superbia nobis sit parvi pendenda,tamen clara ex stirpe me originem non nego trahere.
HADRIANUS.
Credibile.
SAPIENTIA.
Nam eminentiores Græciæ principes fuere meiparentes, et vocor Sapientia.
[390]HADRIANUS.
Claritas ingenuitatis rutilat in facie, et Sapientianominis fulget in ore.
SAPIENTIA.
Frustra blandiris, non flectimur tuis suadelis.
HADRIANUS.
Dic cur adveneris, vel quare nostrates adiveris[362].
SAPIENTIA.
Nullius alius rei nisi agnoscendæ veritatis causa,quo fidem, quam expugnatis, plenius ediscerem,filiasque meas Christo consecrarem.
HADRIANUS.
Expone vocabula singularum.
SAPIENTIA.
Una vocatur Fides, altera Spes, tertia Caritas.
HADRIANUS.
Quot annos ætatis[363] volverunt?
SAPIENTIA.
Placetne vobis, o filiæ, ut hunc stultum arithmeticafatigem disputatione?
FIDES.
Placet, mater, nosque auditum præbemus libenter.
[392]SAPIENTIA.
O imperator, si ætatem inquiris parvularum, Caritasimminutum pariter parem mensurnorum[364]complevit numerum; Spes autem æque imminutum,sed pariter imparem; Fides vero superfluumimpariter parem.
HADRIANUS.
Tali responsione fecisti me quæ interrogabamminime agnoscere.
SAPIENTIA.
Nec mirum, quia sub hujus diffinitionis specienon unus cadit numerus, sed plures.
HADRIANUS.
Expone enucleatius, alioquin non capit meusanimus.
SAPIENTIA.
Caritas duas Olympiades jam volvit, Spes duolustra, Fides tres Olympiades.
HADRIANUS.
Et cur octonarius numerus, qui duabus constatOlympiadibus, et denarius, qui duobus lustrisperficitur, imminutus dicitur? Vel quare duodenarius,qui tribus Olympiadibus impletur, superfluusesse asseritur?
SAPIENTIA.
Omnis namque numerus imminutus dicitur,cujus partes conjunctæ minorem illo numero,cujus partes sunt, summæ quantitatem reddunt,[394]utVIII. Est autem octonarii medietasIV, parsquartaII, pars octavaI, quæ in unum redactæVII reddunt. Similiter denarius habet dimidiampartemV, quintam autemII, decimamveroI, quæ simul copulatæVIII colligunt. Econtrario autem superfluus dicitur, cujus partesaugendo crescunt, utXII. Est enim duodenariimedietasVI, pars tertiaIV, pars quartaIII, parssextaII, pars duodecimaI; hic cumulus redundatin sedecim. Ut autem principalem non præteream,qui inter inæquales intemperantias mediitemperamentum limitis sortitus est, ille numerusperfectus dicitur, qui suis æquus[365] partibus necaugetur, nec minuitur[366], utVI, cujus partes,id estIII,II,I, eumdem senarium restituunt. Similiquoque rationeXXVIII,CCCCXCVI,VIII milliaCXXVIII perfecti dicuntur.
HADRIANUS.
Et quid reliqui?
SAPIENTIA.
Omnes superflui, sive imminuti.
HADRIANUS.
Quis numerus pariter par?
SAPIENTIA.
Qui potest in duo æqualia dividi, ejusque parsin duo æqualia, partisque pars in duo æqualia acdeinceps per ordinem, donec in[367] insecabilem[396]incurrat unitatem, utVIII etXVI omnesque, quiab his in duplo fiunt.
HADRIANUS.
Et quis est pariter impar?
SAPIENTIA.
Qui in partes æquales recipit sectionem, ejusquepartes mox indivisibiles permanebunt, utXet omnes, qui ab imparibus in duplo fiunt. Hicnamque numerus superiori est contrarius, quia inillo[368] minor terminus divisione est solutus; inisto autem solus major terminus divisioni estaptus; in illo quoque omnes ejus partes nomineet quantitate sunt pariter pares; in isto autem, sidenominatio fuerit par, quantitas[369] impar, siquantitas par, denominatio impar.
HADRIANUS.
Nec terminum, quem dixisti, agnosco, nec denominationemseu quantitatem scio.
SAPIENTIA.
Quando quantilibet numeri digestim disponuntur,primus minor terminus et postremus majordicitur; quando autem divisionem faciendoquota pars sit numeri dicimus, denominationemfacimus; cum autem, quot in unaquaque parte[398]unitates[370] sint enumeramus, quantitatem exponimus.
HADRIANUS.
Et quis est impariter par?
SAPIENTIA.
Qui non solum unam recipit sectionem, sicutpariter par, sed etiam et secundam, aliquoties autemet tertiam vel plures, sed tamen usque ad indivisibilemnon perveniet unitatem.
HADRIANUS.
O quam scrupulosa et plectilis[371] quæstio existarum ætate infantularum est orta!
SAPIENTIA.
In hoc laudanda est supereminens Factoris sapientia,et mira mundi artificis scientia, qui nonsolum in principio mundum creans ex nihilo, omniain numero et mensura et pondere posuit, sedetiam in succedentium serie temporum et in ætatibushominum, miram dedit inveniri posse scientiamartium.
HADRIANUS.
Diu te sustinui ratiocinantem, quo te mihi efficeremobtemperantem.
SAPIENTIA.
In quo?
HADRIANUS.
In cultura deorum.
[400]SAPIENTIA.
In hoc utique non consentio.
HADRIANUS.
Si reniteris, tormentis afficieris.
SAPIENTIA.
Corpus quidem suppliciis lacessere poteris, sedanimum ad cedendum compellere non prævalebis.
ANTIOCHUS.
Dies abiit, nox incumbit, non est tempus altercandi,quia instat hora cœnandi.
HADRIANUS.
In custodiam juxta palatium ponantur, et triduanæinduciæ illis ad tractandum præstentur.
ANTIOCHUS.
Observate istas, o milites, omni sollicitudine,nullamque illis occasionem evadendi relinquite.

SCENA QUARTA.


SAPIENTIA.
O dulces filiolæ et caræ pusiolæ, nolite supercarceralis angustia custodiæ contristari, nolite imminentiumminis pœnarum terreri.
[402]FIDES.
Licet corpuscula pavescant ad tormenta, menstamen gliscit ad præmia.
SAPIENTIA.
Vincite infantilis teneritudinem ætatulæ maturisensus fortitudine.
SPES.
Tuum est nos precibus adjuvare, ut possimusvincere.
SAPIENTIA.
Hoc indesinenter exoro, hoc efflagito, ut perseveretisin fide, quam inter ipsa crepundia vestrissensibus non desistebam instillare[372].
CARITAS.
Quod sugentes ubera in cunabulis didicimusnullatenus oblivisci quibimus.
SAPIENTIA.
Ad hoc vos materno lacte affluenter alui, adhoc delicate nutrivi, ut vos cœlesti non terrenosponso traderem, quo vestri causa socrus æterniregis dici meruissem.
FIDES.
Pro ipsius amore sponsi promptæ sumus mori.
SAPIENTIA.
Delector ex vestra ratione[373] magis quam nectareædulcedinis gustamine.
[404]SPES.
Præmitte nos ante tribunal judicis, et experierisquantum ejus amor nobis attulerit temeritatis.
SAPIENTIA.
Hoc exopto ut vestra virginitate coroner, utvestro martyrio glorificer.
CARITAS.
Consertis palmulis incedamus, et vultum tyranniconfundamus.
SAPIENTIA.
Expectate donec instet hora vocationis nostræ.
FIDES.
Tædet nos morarum, tamen est expectandum.

SCENA QUINTA.


HADRIANUS.
Antioche, jube illas Græculas[374] nobis repræsentaricaptivas.
ANTIOCHUS.
Procede, Sapientia, teque cum filiabus imperatorirepræsenta.
[406]SAPIENTIA.
Pergite mecum, filiæ, constanter, et perseveratein fide unanimiter, ut possitis palmam perciperefeliciter.
SPES.
Pergimus, ipseque nobiscum comitetur, procujus amore ad mortem ducemur.
HADRIANUS.
Triduanas vobis inductas præstabat nostri serenitas,unde si quid tractaretis utilitatis, cedite jussionibusnostris.
SAPIENTIA.
Summum igitur utile tractavimus, id scilicet,ut non cedamus.
ANTIOCHUS.
Cur dignaris cum hac[375] contumace verba miscere,quæ te insolenti fatigat præsumptione?
HADRIANUS.
Debeone illam dimittere impunitam?
ANTIOCHUS.
Nequaquam.
HADRIANUS.
Et quid?
ANTIOCHUS.
Hortare puellulas, et si renitantur, infantiæ neparcas, sed fac ut illæ necentur, quo rebellis materfuneribus natarum acrius torqueatur.
[408]HADRIANUS.
Faciam quæ hortaris.
ANTIOCHUS.
Ita demum prævalebis.
HADRIANUS.
Fides, intuere venerabilem magnæ Dianæ imaginem,et fer sacræ deæ libamina, quo possis utiejus gratia.
FIDES.
O stultum imperatoris præceptum omni contemptudignum!
HADRIANUS.
Quid murmuras subsannando? Quem irridesfronte rugosa?
FIDES.
Tui stultitiam irrideo, tui insipientiam subsanno.
HADRIANUS.
Mei?
FIDES.
Tui.
ANTIOCHUS.
Imperatoris?
FIDES.
Ipsius.
ANTIOCHUS.
O nefas!
FIDES.
Quid enim stultius, quid insipientius videri potest,[410]quam quod hortatur nos contempto Creatoreuniversitatis venerationem inferre metallis?
[ANTIOCHUS.
Fides, insanis.
FIDES.
Antioche, mentiris[376]. ]
ANTIOCHUS.
Nonne hæc summa insania et magna est dementia,quod rerum principem dixisti insipientem?
FIDES.
Dixi et dico, dicamque quamdiu vixero.
ANTIOCHUS.
Breve tempus vivere, et cito debes consumimorte.
FIDES.
Hoc opto ut moriar in Christo.
HADRIANUS.
Duodecim centuriones alternando scindant flagrisejus membra.
ANTIOCHUS.
Nec injuria.
HADRIANUS.
O fortissimi centuriones, accedite meique injuriamvindicate.
ANTIOCHUS.
Justum.
[412]HADRIANUS.
Perquire, Antioche, anne velit cedere.
ANTIOCHUS.
Vin’ adhuc, Fides, solita conviciorum objectioneimperatorem dehonestare?
FIDES.
Cur solito minus?
ANTIOCHUS.
Quia prohiberis verberibus.
FIDES.
Verbera non compellunt me tacere, quia nulloafficior dolore.
ANTIOCHUS.
O infelix pertinacia, o contumax audacia!
HADRIANUS.
Corpus fatiscit per supplicia, et mens tumet superbia.
FIDES.
Erras, Hadriane, si reris me fatigari suppliciis.Non ego quidem, sed infirmi tortores deficiunt etsudore ob lassitudinem fluunt.
HADRIANUS.
Fac, Antioche, ut gemellæ pectoris particulæabscidantur[377], quo saltim rubore coerceatur.
ANTIOCHUS.
O utinam possit ullo coerceri modo!
HADRIANUS.
Forsan coercebitur.
[414]FIDES.
Inviolatum pectus vulnerasti, sed me non læsisti.En, pro fonte sanguinis, fons[378] erumpit lactis.
HADRIANUS.
In craticulam substratis ignibus assanda ponatur,quo vi vaporis enecetur.
ANTIOCHUS.
Digna est ut miserabiliter pereat, quæ tuæ jussionicontra luctari non trepidat.
FIDES.
Omne quod paras ad dolorem mihi vertitur inquietem; unde commode pauso in craticula, ceuin tranquilla navicula.
HADRIANUS.
Sartago plena pice et cera ardentibus rogis superponatur,et in ferventem liquorem hæc rebellismittatur.
FIDES.
Sponte insilio.
HADRIANUS.
Consentio.
FIDES.
Ubi sunt minæ tuæ? Ecce, illæsa inter ferventemliquorem ludens nato, et pro vi caumatis sentiomatutini refrigerium roris.
[416]HADRIANUS.
Antioche, quid ad hæc est agendum?
ANTIOCHUS.
Ne evadat providendum.
HADRIANUS.
Capite truncetur.
ANTIOCHUS.
Alioquin non vincetur.
FIDES.
Nunc est gaudendum, nunc in Domino exultandum.
SAPIENTIA.
Christe, triumphator diaboli invictissime, datolerantiam Fidei meæ filiæ.
FIDES.
O mater veneranda, dic vale ultimum tuæ filiæ,liba osculum tuæ primogenitæ, nec afficiare ullomœrore cordis, quia tendo ad bravium æternitatis.
SAPIENTIA.
O filia, filia, non confundor, non contristor, sedvale dico tibi exultando, et osculor os oculosquepræ gaudio lacrimando orans, ut sub ictu percussorisinviolatum serves mysterium tui nominis.
FIDES.
O uterinæ sorores, libate mihi osculum pacis, etparate vos ad tolerantiam futuri certaminis.
[418]SPES.
Adjuva nos oratione assidua, ut mereamur sequitua vestigia.
FIDES.
Este obtemperantes monitis nostræ sanctæ parentis,quæ nos hortabatur præsentia fastidire, quomeruissemus æterna percipere.
CARITAS.
Maternis libenter obtemperamus monitis, quoperfrui mereamur æternis bonis.
FIDES.
Percussor, accede, et injunctum tibi officiumme necando imple.
SAPIENTIA.
Abscisum morientis filiæ caput amplectendo,impressisque labris crebrius deosculando, congratulortibi, Christe, qui tantillulæ victoriam præstitistipuellæ.
HADRIANUS.
Spes, cede mei[379] hortamentis paterno affectutibi consulentis.
SPES.
Quid hortaris, quid consulis?
HADRIANUS.
Ut caveas pertinaciam imitari sororis, ne similibusintereas pœnis.
SPES.
O utinam admeruissem illam imitari patiendo,quo illi assimilarer in præmio!
[420]HADRIANUS.
Depone callum pectoris, et conquinisce turificandomagnæ Dianæ, et ego te propriæ prolis viceexcolo, atque extollo omni dilectione.
SPES.
Paternitatem tuam repudio, tua beneficia minimedesidero. Quapropter vacua spe deciperis, sime tibi cedere reris.
HADRIANUS.
Loquere parcius, ne irascar.
SPES.
Irascere, nec sollicitor.
ANTIOCHUS.
Miror, Auguste, quod ab hac vili puellula tamdiucalumniari pateris. Ego quidem disrumpor præ furore,quia illam audio tam temere in te latrare.
HADRIANUS.
Hactenus infantiæ parcebam: ultra non parcam;sed meritam ultionem inferam.
ANTIOCHUS.
O utinam!
HADRIANUS.
O lictores, adite et hanc rebellem usque ad internecionemcrudis nervis cædite.
ANTIOCHUS.
Decet ut severitatem sentiat tui furoris, quialenitatem parvi pendit pietatis.
[422]SPES.
Hanc pietatem exopto, hanc lenitatem desidero.
ANTIOCHUS.
O Sapientia, quid murmurando loqueris, stanssublevatis oculis juxta cadaver extinctæ prolis?
SAPIENTIA.
Invoco Omniparentem, quo eamdem tolerantiæperseverantiam, quam præstitit Fidei, præstet etSpei.
SPES.
O mater, mater! quam efficaces, quam exaudibilesexperior esse tui preces! Ecce, te oranteanheli tortores levatis dextris librant ictum, et egonullum doloris sentio tactum.
HADRIANUS.
Si flagra parvi pendis, acrioribus pœnis coartaberis.
SPES.
Infer, infer quicquid crudele, quicquid excogiteslethale. Quanto plus sævis, tanto magis victusconfunderis.
HADRIANUS.
In aera suspendatur, et ungulis laceretur, quoadusqueevulsis visceribus et nudatis ossibus deficiat[380]et membratim crepat.
[424]ANTIOCHUS.
Imperialis jussio, et congrua satis ultio!
SPES.
Vulpina fraude loqueris, et versipelli astutia,Antioche, adularis.
ANTIOCHUS.
Quiesce, infelix, verbositas tua nunc estfinienda.
SPES.
Non ut speras evenerit, sed tibi tuoque principinunc etiam confusio aderit.
HADRIANUS.
Quid sentio novæ dulcedinis? Quid odoror[381]stupendæ suavitatis?
SPES.
Decidentia frusta[382] mei lacerati corporis dantfragrantiam paradisiaci aromatis, quo nolens cogerisfateri me non posse suppliciis lædi.
HADRIANUS.
Antioche, quid enim mihi est agendum?
ANTIOCHUS.
Novis cruciatibus incumbendum.
HADRIANUS.
Æneum vas plenum oleo et adipe, cera atquepice, ignibus superponatur, in quod ligata projiciatur.
[426]ANTIOCHUS.
Si in jus Vulcani tradetur, forsitan evadendiaditum non nanciscetur.
SPES.
Hæc virtus Christo non est insolita, ut ignemfaciat mitescere mutata natura.
HADRIANUS.
Quid? Audio, Antioche, velut sonitum inundantisaquæ.
ANTIOCHUS.
Heu, heu, domine!
HADRIANUS.
Quid contigit nobis?
ANTIOCHUS.
Ebulliens fervor confracto vase ministros combussit,et illa malefica illæsa comparuit.
HADRIANUS.
Fateor, victi sumus.
ANTIOCHUS.
Penitus.
HADRIANUS.
Caput abscidatur.
ANTIOCHUS.
Alias non absumetur.
SPES.
O Caritas dilecta, o soror unica! Ne formidestyranni minas, ne trepides ad pœnas, nitere constantifide imitari sorores ad cœli palatium præcedentes.
[428]CARITAS.
Tædet me vitæ præsentis, tædet terrenæ habitationis,quod saltim ad modicum temporis separora vobis.
SPES.
Depone tædium et tende ad præmium. Nonenim diu separabimur, sed ocius in cœlo conjungemur.
CARITAS.
Fiat, fiat!
SPES.
Euge, mater illustris, gaude, nec tangaris demei passione materni affectus dolore; sed præferspem mœrori, cum me videas pro Christo mori.
SAPIENTIA.
Nunc quidem gaudeo, sed tunc tandem perfecteexultans gaudebo, quando tui sororculam pariconditione extinctam cœlo præmisero, et ego subsequarpostrema.
SPES.
Perennis Trinitas restituet tibi in ævum plenumabsque diminutione filiarum numerum.
SAPIENTIA.
Confortare, filia; percussor invadit nos evaginatogladio.
SPES.
Libens excipio gladium. Tu, Christe, suscipespiritum pro tui confessione nominis ejectum dehabitaculo corporis.
[430]SAPIENTIA.
O Caritas, soboles inclita, spes uteri mei unica,ne contristes matrem bonam tui certaminis consummationemexpectantem; sed sperne præsensutile, quo pervenias ad gaudium interminabile,quo tui germanæ fulgent coronis illibatæ virginitatis.
CARITAS.
Fulci me, mater, precibus sacris, quatinus merearinteresse illarum[383] gaudiis.
SAPIENTIA.
Exoro te finetenus in fide solidatum iri, necdubito tibi perenne tripudium donatum iri.
HADRIANUS.
Caritas, saturatus conviciis tui sororum, nimiumqueexacerbatus sum prolixa ratione[384] earum.Unde diu tecum non contendo, sed vel obtemperantemmei votis ditabo omnibus bonis, velcontra luctantem afficiam malis.
CARITAS.
Bonum cordetenus amplector, et malum omninodetestor.
HADRIANUS.
Hoc tibi potissimum salubre mihique est placabile,ideoque leve quiddam tibi præpono meæpietatis gratia.
[432]CARITAS.
Quid?
HADRIANUS.
Dic tantum:Magna Diana! et ego ultra adsacrificandum te non compello.
CARITAS.
Percerte non dico.
HADRIANUS.
Quare?
CARITAS.
Quia mentiri nolo. Ego quidem et sorores meæeisdem parentibus genitæ, hisdem sacramentisimbutæ sumus, una eademque fidei constantiaroboratæ. Quapropter scito nostrum velle, nostrumconsentire, nostrum sapere, unum idemqueesse, nec me in ullo umquam illis dissidere.
HADRIANUS.
O injuria, quod a tantilla etiam contemnor homullula!
CARITAS.
Licet tenella sim ætate, tamen gnara sum te argumentoseconfundere.
HADRIANUS.
Abstrahe illam, Antioche, et fac, ut suspensain equuleo atrociter verberetur.
ANTIOCHUS.
Vereor quod verbera non prævaleant.
[434]HADRIANUS.
Si non prævaleant, jube tribus continuis diebusac noctibus fornacem succendi et illam interbacchantes flammas projici.
CARITAS.
O judicem inpotentem, qui diffidit se absquearmis ignium octennem[385] infantem superareposse!
HADRIANUS.
Abi, Antioche, et injunctum officium perfice.
CARITAS.
Sævitiæ quidem tuæ satisfaciendo parebit, sedme minime nocebit, quia nec verbera mei corpusculumlacerare, nec flammæ comam vel vestespoterunt obfuscare.
HADRIANUS.
Experietur.
CARITAS.
Experiatur.

SCENA SEXTA.


HADRIANUS.
Antioche, quid pateris? cur tristior solito regrederis?
[436]ANTIOCHUS.
Quando causam tristitiæ experieris, haud minuscontristeris[386].
HADRIANUS.
Dic, ne celes.
ANTIOCHUS.
Illa lasciva, quam mihi cruciandam tradidisti,puellula me præsente flagellabatur, sed ne tenuisquidem cutis summotenus disrumpebatur. Deindeprojeci illam in fornacem, igneum colorem prænimio ardore exprimentem.
HADRIANUS.
Cur dissimulas loqui? Expone exitum rei.
ANTIOCHUS.
Flamma erupit, et quinque millia hominumcombussit.
HADRIANUS.
Et quid contigit illi?
ANTIOCHUS.
Caritati?
HADRIANUS.
Ipsi.
ANTIOCHUS.
Ludens inter flammivomos vapores vagabatur,et illa laudes Deo suo pangebat; illi etiam, quidiligenter inspexere, ferebant tres candidulos viroscum illa deambulasse.
[438]HADRIANUS.
Erubesco illam ultra videre, quia nequeo illamlædere.
ANTIOCHUS.
Restat ut perimatur gladio.
HADRIANUS.
Hoc fiat absque mora.

SCENA SEPTIMA.


ANTIOCHUS.
Detege duram, Caritas, cervicem, et sustinepercussoris ensem.
CARITAS.
In hoc non renitor tui votis, sed libens pareojussis.
SAPIENTIA.
Nunc, nunc, filia, gratulandum; nunc inChristo est gaudendum, nec est, quæ me[387]mordeat cura, quia secura sum de tua victoria.
CARITAS.
Imprime mihi, mater, osculum, et commendaiturum Christo spiritum.
[440]SAPIENTIA.
Qui te in meo utero vivificavit, ipse suscipiatanimam, quam cœlitus inspiravit.
CARITAS.
Tibi, Christe, gloria, qui me ad te vocasti cummartyrii palma.
SAPIENTIA.
Vale, proles dulcissima, et cum Christo jungerisin cœlo, memento matris jam matronæ effetæ[388]te parientis.

SCENA OCTAVA.


SAPIENTIA.
Convenite, illustres matronæ, et mearum cadaverafiliarum mecum sepelite.
MATRONÆ.
Corpuscula aromatibus condimus, et exequiashonorifice celebramus.
SAPIENTIA.
Grandis benignitas et mira pietas, quam mihiinpenditis meique mortuis.
[442]MATRONÆ.
Quæ tibi sunt commoda exequimur mente devota.
SAPIENTIA.
Non dubito.
MATRONÆ.
Ubi vis eligere locum sepulturæ?
SAPIENTIA.
Tertio miliario ab urbe, si vobis non displicetprolixitas.
MATRONÆ.
Non displicet, sed electa[389] funera sequi placet.

SCENA NONA.


SAPIENTIA.
Ecce locus.
MATRONÆ.
Hic nempe servandis reliquiis est aptus.
SAPIENTIA.
Flosculos uteri mei tibi, terra, servandos committo,quos tu materiali sinu foveto[390], donec inresurrectione majori reviridescant gloria. Et tu,[444]Christe, animas interim imple splendoribus, danspacificam requiem ossibus.
MATRONÆ.
Amen.
SAPIENTIA.
Grates vestræ humanitati pro solamine quodcontulistis meæ orbitati.
MATRONÆ.
Utrumne vis nos hic tecum morari?
SAPIENTIA.
Non.
MATRONÆ.
Cur non?
SAPIENTIA.
Ne ex meo commodo vobis ingeratur molestia.Sit satis, quod tres noctes mecum permansistis.Abite in pace, revertimini cum salute.
MATRONÆ.
Vis nobiscum abire?
SAPIENTIA.
Minime.
MATRONÆ.
Et quid meditaris agere?
SAPIENTIA.
Hic remanere, si forte veniat mea petitio et impleaturquod desidero.
MATRONÆ.
Quid petis? Quid desideras?
[446]SAPIENTIA.
Id solummodo, ut oratione completa moriar inChristo.
MATRONÆ.
Restat ut expectemus donec et te sepulturæ tradamus.
SAPIENTIA.
Ut libet.—Adonaï Emmanuel, quem retrotempora divinitas edidit Omniparentis, et in temporevirginitas[391] genuit matris, qui ex duabusnaturis unus Christus mirifice consistis, nec diversitatenaturarum unitatem personæ dividens,nec unitate personæ diversitatem naturarum confundens,tibi jubilet jucunda serenitas angelorumdulcisque harmonia siderum, te quoque collaudettotius scibilis rei scientia, omneque quodex elementorum formatur materia, quia tu, quisolus cum Patre et Spiritu Sancto es forma sinemateria[392], ex Patris voluntate et Spiritus Sancticooperatione non respuisti fieri homo passibilishumanitate, salva divinitatis impassibilitate; etut nullus in te credentium periret, sed omnisfidelis æternaliter viveret, mortem nostram nondedignatus es gustare tuaque resurrectione consumere.Te etiam perfectum Deum hominemqueverum recolo promisisse omnibus, qui, pro tuinominis veneratione, vel terrenæ usum possessionisrelinquerent, vel carnalium affectum propinquorum[448]postponerent, centenæ vicissitudinemercedis recompensari, et æternæ bravio[393] vitædebere donari; hujus spe animata promissi feciquod jussisti, sponte omittens[394] soboles quaspeperi. Unde, tu pie, promissa solvere ne moreris,sed fac me quantocius absolutam corporeisvinculis ex receptione filiarum lætificari, quas prote mactandas obtulisse non distuli, quo te illisagnum Virginis sequentibus et novum canticummodulantibus, ego jucunder audiendo, illarumquelætificer gloria, et quamvis non possim canticumvirginitatis dicere, te tamen cum illis merearæternaliter laudare, qui non ipse qui Pater,sed idem es quod Pater, cum quo et SpirituSancto unus dominus universitatis, unusque rexsummæ et mediæ atque imæ rationis regnas et dominarisper interminabilia immortalis ævi sæcula.
MATRONÆ.
Suscipe, Domine! Amen.

EXPLICIT LIBER DRAMATICA SERIE CONTEXTUS.

[351] Codex:Diocletianus.
[352] Codex:consummati.
[353] Codex:Adrianus et infraKaritas, et sic semper.
[354] Antiochi nomen deest in codice.
[355] Sic codex.—Celtes omittitRomam.
[356] Celtes:aliquid.
[357] Codex:quod.
[358] Sic codex.—Celtes:nostri.
[359] Codex:dedignantur.
[360] Celtes omittittecum.
[361] Codex:paterna.
[362] Codex:advenires etadires.Advenires est mendum librariorum,qui hoc vitio semel in textum invecto, aurium judicio fretiscripseruntadires, ut clausulæ sententiarum inter se consonarent.Advenires correxit Celtes, neglectoadires, cui tamen adhibendaerat eadem medicina.
[363] Vocemætatis omisit Celtes.
[364] Codex:mansurnorum, quod verbum haud semel sensumannorumusurpare vidimus.—Cf. pag. 352 et 354.
[365] Celtes:æquis, perperam.
[366] Codex:nec auget nec minuit.
[367] Celtes omisitin.
[368] Codex et Celtes:solus minor.—Vocemsolus, redundantemet sententiæ obstantem delevimus.
[369] Codex:quantas, hic et infra.
[370] Addidimus vocemunitates, quam argumentum postulat.
[371] Codex:plexilis.—Celtes:plexibilis, perperam.
[372] Sic Celtes.—Codex:instillasse.
[373] Celtes addit:o filiæ.
[374] VerbumGræculas recentiore manu scriptum est in codice.
[375] Codex:hanc.
[376] Verba parenthesi inclusa Celtes omisit.
[377] Sic codex.—Celtes:abscindantur.
[378] Verbumfons a librario omissum supplevi.—Celtes:unda.
[379] Codex et Celtes,meis.
[380] Sic codex.—Celtes:deficiet, male.
[381] Celtes:odoro.
[382] Sic codex et Celtes. Schurzfleisch:frustra, perperam.
[383] Sic codex.—Celtes:aliarum.
[384] Sic codex et Celtes.—Schurzfleisch:oratione.
[385] Codex:octuennem.
[386] Codex:contristaris.
[387] Verbumme omisit Celtes.
[388] Verbamatronæ effetæ recepi ex Schurzfleisch.—Codexhabetmatrona effecta, et Celtesmatronæ effectæ.
[389] Celtes:elata.
[390] Sic Celtes.—Codex:faveto.
[391] Codex:virginitatis.
[392] Cf. pag.368, not.b[347].
[393] Ita Celtes emendavit.—Codex:bravium.
[394] Sic Codex.—Celtes:amittens.

ICI COMMENCE
LE LIVRE DES ŒUVRES DRAMATIQUES
DE HROTSVITHA,
VIERGE ET RELIGIEUSE ALLEMANDE,
NÉE DE RACE SAXONNE.


J’ai puisé toute la matière du présent livre, commecelle du livre qui précède(1), dans divers anciens ouvrages,dont les auteurs sont bien authentiques. J’excepteseulement la passion de saint Pélage, que j’airacontée plus haut en vers. Les détails de ce martyrem’ont été rapportés par un habitant de la ville mêmeoù l’événement a eu lieu. Cet étranger véridique m’aassuré avoir vu Pélage, le plus beau des hommes, etavoir été témoin du dénouement de cette histoire. Sidonc il se glisse dans les compositions suivantes deschoses qui ne soient pas tout à fait conformes à lavérité, ce n’est pas de moi que viendra le mensonge;je n’aurai fait qu’imiter, à mon insu, des modèlestrompeurs(2).

PRÉFACE DES COMEDIES(3).


Il y a beaucoup de catholiques (et nous ne saurionsnous laver entièrement nous-même de ce reproche)qui, séduits par l’élégante politesse du langage, préfèrentla vanité des livres des gentils à l’utilité desSaintes Écritures. Il y a encore d’autres personnes,qui bien qu’attachées aux lettres sacrées et pleines demépris pour les autres productions païennes, ne laissentpas cependant de lire assez souvent les fictions deTérence, et gagnées par les charmes de la diction, salissentleur esprit de la connaissance d’actions criminelles.C’est pour ce motif que moi,la voix forte deGandersheim(4), je ne crains pas d’imiter dans mesécrits un poëte que tant d’autres se permettent de lire,afin de célébrer, dans la mesure de mon faible génie,la louable chasteté des vierges chrétiennes, en employantla même forme de composition qui a serviaux anciens pour peindre les honteux déportements desfemmes impudiques. Une chose, cependant, me rendconfuse et me fait souvent monter la rougeur au front,c’est qu’il m’a fallu par la nature de cet ouvrage, appliquermon esprit et ma plume à peindre le déplorabledélire des âmes livrées aux amours défendues etla décevante douceur des entretiens passionnés, touteschoses auxquelles il ne nous est même pas permis de[7]prêter l’oreille. Cependant si je m’étais interdit parpudeur, de traiter ces sujets, je n’aurais pu accomplirmon dessein, qui est de retracer, selon mon pouvoir,la gloire des âmes innocentes. En effet, plus les doucesparoles des amants sont propres à séduire, plus grandeest la gloire du secours divin et plus éclatant est lemérite de ceux qui triomphent, surtout lorsqu’on verrala fragilité de la femme victorieuse et la force del’homme domptée et couverte de confusion. Je nedoute pas que quelques personnes ne m’objectent quemon imparfait ouvrage, bien loin d’avoir les beautéset la grandeur de celui que je me suis proposé pourmodèle, en diffère même de tous points. Soit, je souscrisà ce jugement, et je déclare qu’on ne peut avecjustice m’accuser de vouloir me mettre induement auniveau de ceux qui, par la sublimité de leur talent,sont si fort au-dessus de ma faiblesse. Non, je n’ai pasun assez fol orgueil, pour oser me comparer mêmeaux derniers écoliers des auteurs anciens. Je tâcheseulement (quoique mes forces n’égalent point mondésir) d’employer avec un humble dévouement, à lagloire de celui qui me l’a donnée, la faible dose degénie que m’a départie sa grâce. Je ne suis point eneffet assez infatuée de moi-même, pour que, dans ledésir d’éviter le blâme, je m’abstienne de prêcher, partoutoù il me sera donné de le faire, la vertu duChrist, qui ne cesse d’opérer dans les Saints. Si cepieux dévouement plaît à quelques-uns, je m’en réjouirai;[9]et s’il ne plaît à personne, soit en raison demon peu de mérite, soit à cause des vices de mon stylegrossier, je me féliciterai pourtant encore de ce quej’aurai fait; car tandis que dans les autres productionsde mon ignorance j’ai mis en vers des légendes héroïques(5),ici, en me jouant dans une suite de scènesdramatiques, j’évite, avec une prudente retenue, lespernicieuses voluptés des gentils.

ÉPITRE DE LA MÊME
A
CERTAINS SAVANTS PROTECTEURS DE CE LIVRE.

A vous, hommes pleins de savoir et de vertu, quine portez point envie aux succès des autres et qui lesfélicitez, au contraire, comme il convient à de vraissages, Hrotsvitha, pauvre ignorante et humble pécheresse,offre des vœux de santé pour le présent et dejoie pour l’éternité. Je ne puis, en effet, assez admirerla grandeur de votre louable humilité ni rendre unassez digne et assez magnifique hommage à votre bienveillanceet à votre affection pour moi, quand je songeque, nourris dans les profondes études de la philosophieet pourvus, aussi excellemment que vous l’êtes, detoute la perfection du savoir, vous avez jugé dignede votre approbation l’humble ouvrage d’une simple[11]et modeste femme. D’ailleurs, en me congratulantavec une bonté fraternelle, c’est le dispensateur de lagrâce qui opère en moi, que vous avez loué, persuadésque ce peu de connaissance des arts que je possèdeest d’une portée bien supérieure à mon faible génieféminin. Aussi, jusqu’à ce jour, avais-je osé àpeine montrer à un petit nombre de personnes et seulementà mes plus intimes, la rusticité de mes chétivesproductions, d’où il est arrivé que je cessai presque derien composer en ce genre, parce que, comme il y avaitpeu de gens aux regards desquels je crusse devoir soumettremes ouvrages, il n’y en avait guère non plusqui m’indiquassent ce qu’il y avait en eux à corriger,ou qui m’engageassent à oser en entreprendre d’autresdu même genre. Mais à présent (puisqu’il est reconnuque dans le témoignage de trois personnes réside lavérité) rassurée par votre suffrage, je me sens assez deconfiance pour m’appliquer à écrire, si Dieu m’endonne le pouvoir, et pour ne plus craindre de subirl’examen de savants quels qu’ils soient. Cependant jesuis tiraillée par deux sentiments contraires, la joie etla crainte. D’une part, je me réjouis du fond de l’âmede voir louer en moi Dieu dont la grâce seule m’a faitece que je suis; d’une autre part, je crains qu’on ne mecroie plus grande que je ne suis; car je sais qu’il estégalement blâmable soit de nier les dons gratuits duciel, soit de feindre qu’on les a reçus, quand cela n’estpoint. Ainsi je ne nie pas qu’aidée de la grâce du Créateur,je n’aie acquis quelque connaissance des arts,par une puissance qu’il m’a prêtée, car je suis unecréature capable d’instruction; mais je confesse que jene saurais rien, livrée à mes seules forces(6). Je reconnais[13]aussi que Dieu m’a donné un esprit clairvoyant,mais inculte dès que viennent à lui manquerles soins des maîtres, et plongé alors dans la torpeuret l’abandon de sa paresse naturelle. Aussi pourque ma négligence n’anéantisse pas en moi les donsde Dieu, toutes les fois que par hasard j’ai pu recueillirquelques fils ou quelques légers débris arrachésdu vieux manteau de la philosophie, j’ai eugrand soin de les insérer dans le tissu du livre qui nousoccupe. J’espérais ainsi que la bassesse de mon ignoranceserait un peu relevée par le mélange d’une matièreplus noble, et que le suprême dispensateur dugénie serait loué en moi avec d’autant plus de raison,que l’intelligence de mon sexe passe pour être moinsactive. Telle est l’intention que j’ai eue en écrivant etla seule cause des sueurs et des fatigues que je me suisimposées. Je ne me vante pas faussement de savoir ceque j’ignore; au contraire, je sais seulement, quant àmoi, que je ne sais rien. Ainsi donc, puisque touchéepar votre bienveillance et par le désir que vous m’aveztémoigné, je viens, inclinée comme un roseau, présenterà votre examen ce livre que j’avais composé danscette intention, mais que jusqu’ici, à cause de son peude mérite, j’avais mieux aimé cacher que mettre enlumière; il convient que vous l’examiniez, et le corrigiezavec autant de soin et d’attention que vous leferiez pour un de vos propres ouvrages. Et quand vousserez enfin parvenus à le ramener à la règle du bongoût, renvoyez-le moi, afin qu’avertie par vos leçonsje puisse reconnaître quelles sont les principales fautesque j’ai commises.

I.
GALLICANUS.

ARGUMENT DE GALLICANUS.


Conversion de Gallicanus, prince de la milice, qui, surle point d’aller faire la guerre aux Scythes, obtient d’êtrefiancé à Constance, vierge consacrée à Dieu et fille del’empereur Constantin. Au plus fort de la mêlée, Gallicanus,près de succomber, se convertit par le conseil deJean et Paul, primiciers(7) de Constance. Il reçoit le baptêmeet se voue au célibat.—Quelques années plus tard,Gallicanus, exilé par Julien l’Apostat, reçoit la couronnedu martyre. Cependant Paul et Jean, mis à mort en secretpar ordre du même prince, sont inhumés clandestinementdans leur maison; mais peu après, le fils de l’exécuteur,dont le démon s’est emparé, ayant proclamé le meurtrecommis par son père et confessé le mérite des martyrs,est délivré de la possession et reçoit le baptême ainsique son père(8).

GALLICANUS.


PERSONNAGES.

CONSTANTIN, empereur.
GALLICANUS.
CONSTANCE, fille de Constantin.
ARTÉMIA,}filles de Gallicanus.
ATTICA,
JEAN et PAUL, primiciers de Constance.
Seigneurs de la cour.
BRADAN, roi des Scythes.}(9).
Tribuns.
Soldats romains.
Soldats scythes.
HÉLÈNE, mère de Constantin; personnage muet.

SCÈNE PREMIÈRE.

CONSTANTIN, GALLICANUS,Seigneurs.

CONSTANTIN.
Je suis fatigué, Gallicanus, de toutes ces lenteurs;vous tardez trop à attaquer les Scythes, ce peuple qui,vous le savez, refuse seul la paix de Rome et résistetémérairement à notre puissance. Vous n’ignorez pas[21]cependant qu’en considération de votre valeur, jevous ai réservé le commandement de l’armée chargéede la défense de la patrie.
GALLICANUS.
Auguste empereur, dévoué fermement et sans réserveà votre personne, j’ai fait de constants effortspour que ma conduite répondît par des effets aux vœuxde votre excellence auguste. Je n’ai jamais cherché àme soustraire à mes devoirs.
CONSTANTIN.
Est-il besoin de me le rappeler? Tous vos servicessont présents à ma mémoire. Aussi ai-je employé plutôtles exhortations que les reproches pour vous presserd’agir suivant mes vues.
GALLICANUS.
Je vais m’en occuper sur-le-champ.
CONSTANTIN.
Je m’en réjouis.
GALLICANUS.
Jamais le soin de ma vie ne m’empêchera d’exécutervos ordres.
CONSTANTIN.
Votre zèle me plaît. Je loue le dévouement que vousmontrez à ma personne.
GALLICANUS.
Mais ce zèle sans bornes que je voue à votre serviceattend une récompense qui lui soit proportionnée.
[23]CONSTANTIN.
Rien n’est plus juste.
GALLICANUS.
On affronte plus aisément la difficulté d’une entreprise,quelque grande qu’elle soit, quand on est soutenupar l’espoir d’une récompense assurée.
CONSTANTIN.
Cela est évident.
GALLICANUS.
Veuillez donc, de grâce, m’assurer, dès aujourd’hui,le prix des dangers que je vais courir, afin quetout entier à mon ardeur guerrière, je ne sois pointabattu par la sueur du combat, et trouve de nouvellesforces dans l’espoir de cette récompense.
CONSTANTIN.
Je ne vous ai jamais refusé, jamais je ne vous refuseraile prix que le sénat tout entier regarde commele plus désirable et le plus glorieux, l’admission dansmon intimité et les premières charges du palais.
GALLICANUS.
J’en conviens; mais ce n’est pas là aujourd’hui lebut de mon ambition.
CONSTANTIN.
Si vous désirez autre chose, il faut le déclarer.
GALLICANUS.
Oui, je désire autre chose.
CONSTANTIN.
Quoi?
[25]GALLICANUS.
Si j’ose le dire....
CONSTANTIN.
Vous ferez bien.
GALLICANUS.
Vous vous irriterez.
CONSTANTIN.
Point du tout.
GALLICANUS.
Cela est certain.
CONSTANTIN.
Non.
GALLICANUS.
Vous serez transporté d’indignation.
CONSTANTIN.
Ne le craignez pas.
GALLICANUS.
Eh bien! je parlerai, puisque vous l’ordonnez.J’aime Constance, votre fille....
CONSTANTIN.
Et il est juste, en effet, et convenable que vous aimiezrespectueusement la fille de votre maître, et la respectiezavec amour.
GALLICANUS.
Vous interrompez ma requête.
CONSTANTIN.
Je ne l’interromps pas.
[27]GALLICANUS.
Et je désirerais, si votre bonté daigne y consentir,la recevoir de vous pour fiancée.
CONSTANTIN,aux seigneurs de la cour.
Certes, il ne demande pas là une petite récompense:il aspire à une faveur inouïe et jusqu’ici, mes seigneurs,sans exemple parmi vous.
GALLICANUS.
Hélas! hélas! il me dédaigne! Je l’avais prévu. (Auxseigneurs.) Joignez, je vous prie, vos prières aux miennes.
LES SEIGNEURS.
Illustre empereur, il convient à votre dignité, eten considération de son mérite, de ne pas rejeter sademande.
CONSTANTIN.
Je ne la rejette pas, quant à moi; mais je croisdevoir apporter le plus grand soin à m’assurer duconsentement de ma fille.
LES SEIGNEURS.
Cela est juste.
CONSTANTIN.
Je vais me rendre auprès d’elle, et, si vous le désirez,Gallicanus, je la consulterai sur ce sujet.
GALLICANUS.
C’est là tout mon désir.

[29]SCÈNE II(10).

CONSTANCE, CONSTANTIN.

CONSTANCE,à part.
L’empereur notre maître vient vers nous plus tristeque de coutume. Je cherche avec un extrême étonnementce qu’il peut vouloir.
CONSTANTIN.
Approchez, Constance, ma fille, j’ai quelques motsà vous dire.
CONSTANCE.
Me voici, mon seigneur; dites, que me voulez-vous?
CONSTANTIN.
Je suis en proie à une grande anxiété de cœur, etj’éprouve une profonde tristesse.
CONSTANCE.
Tout à l’heure en vous voyant venir, je me suisaperçue de cette tristesse, et, sans en savoir la cause,j’en ai ressenti du trouble et de la crainte.
CONSTANTIN.
C’est à cause de vous que je m’afflige.
CONSTANCE.
De moi?
CONSTANTIN.
De vous.
CONSTANCE.
Vous m’effrayez. Qu’y a-t-il, mon seigneur?
[31]CONSTANTIN.
Je crains, en le disant, de vous affliger.
CONSTANCE.
Vous m’affligerez bien davantage en ne le disantpas.
CONSTANTIN.
Gallicanus, ce général(11) qu’une suite de triomphesa élevé au premier rang parmi les seigneurs dema cour, et dont l’aide nous est si souvent nécessairepour la défense de la patrie....
CONSTANCE.
Eh bien! Il....
CONSTANTIN.
Il désire vous avoir pour femme.
CONSTANCE.
Moi?
CONSTANTIN.
Vous-même.
CONSTANCE.
J’aimerais mieux mourir.
CONSTANTIN.
Je l’avais prévu.
CONSTANCE.
Cela ne peut vous étonner, puisqu’avec votrepermission et votre consentement, j’ai voué à Dieuma virginité.
CONSTANTIN.
Je me le rappelle.
[33]CONSTANCE.
Aucun supplice ne m’empêchera jamais de gardermon serment pur de toute atteinte.
CONSTANTIN.
Cette résolution est convenable; mais je me voispar là jeté dans une extrême perplexité. Car si, commele veut mon devoir de père, je vous permets d’exécutervotre dessein, la république n’en souffrira pas médiocrement;et si, au contraire, ce qu’à Dieu ne plaise!je mets obstacle à vos projets, je m’expose à souffrirles peines éternelles.
CONSTANCE.
Si je désespérais de l’assistance divine, ce serait moisurtout, moi, plus que nulle autre, qui aurais sujetde me livrer à la douleur.
CONSTANTIN.
C’est la vérité.
CONSTANCE.
Mais il ne peut y avoir de place pour la tristessedans un cœur qui se fie en la bonté divine.
CONSTANTIN.
Que vous parlez bien, ma Constance!
CONSTANCE.
Si vous daignez prendre mon conseil, je vous indiqueraiun moyen d’échapper à ce double danger.
CONSTANTIN.
Oh! plût au ciel!
[35]CONSTANCE.
Feignez d’être disposé à satisfaire les vœux de Gallicanus,aussitôt après l’heureuse issue de la guerre; et,pour lui faire croire que ma volonté s’accorde avec lavôtre, persuadez-le de laisser auprès de moi, pendantson absence, ses deux filles Attica et Artémia, commegage de l’amour qui nous doit unir; de son côté, qu’ilse fasse accompagner de Paul et Jean, mes primiciers.
CONSTANTIN.
Et que ferai-je s’il revient victorieux?
CONSTANCE.
Il nous faudra invoquer, avant son retour, le créateurde toutes choses, pour qu’il détourne Gallicanusde ce dessein.
CONSTANTIN.
O ma fille, ma fille! le charme de vos paroles asi bien adouci l’amer chagrin de votre père, que jen’éprouve plus désormais d’inquiétude à ce sujet.
CONSTANCE.
Il n’y a pas lieu d’en avoir.
CONSTANTIN.
Je vais rejoindre Gallicanus, et je le séduirai parcette agréable promesse.
CONSTANCE.
Allez en paix, mon seigneur.

[37]SCÈNE III.

GALLICANUS,Seigneurs.

GALLICANUS.
O princes, je mourrai de curiosité avant d’apprendrele résultat du long entretien de notre auguste seigneuravec sa fille, notre maîtresse.
LES SEIGNEURS.
Il l’engage à se rendre à vos désirs.
GALLICANUS.
Oh! puisse la persuasion prévaloir!
LES SEIGNEURS.
Elle prévaudra, nous l’espérons.
GALLICANUS.
Paix, silence! l’empereur revient, non plus le frontsoucieux, comme il est parti, mais avec un visage toutà fait serein.
LES SEIGNEURS.
La fortune est favorable!
GALLICANUS.
Si, comme on le dit, le visage est le miroir del’âme, la sérénité qui paraît sur le sien annonce lessentiments bienveillants de son cœur.
LES SEIGNEURS.
Nous le croyons.

[39]SCÈNE IV.

Les précédents, CONSTANTIN,Gardes.

CONSTANTIN.
Gallicanus!
GALLICANUS.
Qu’a-t-il dit?
LES SEIGNEURS,à Gallicanus.
Avancez, avancez; il vous appelle.
GALLICANUS.
Dieux propices! prêtez-moi votre aide!
CONSTANTIN.
Partez sans crainte pour la guerre, Gallicanus. Avotre retour, vous recevrez le prix que vous désirez.
GALLICANUS.
Ne vous jouez-vous pas de moi?
CONSTANTIN.
Pouvez-vous bien demander si je me joue?
GALLICANUS.
Mon bonheur serait au comble, si je savais seulementune chose.
CONSTANTIN.
Quelle est cette seule chose?
GALLICANUS.
Sa réponse.
CONSTANTIN.
La réponse de ma fille?
GALLICANUS.
Oui, d’elle-même.
[41]CONSTANTIN.
Il n’est pas juste de demander qu’une vierge pudiqueréponde à une telle question. La suite des événementsprouvera assez son consentement.
GALLICANUS.
Si je le savais, je m’inquiéterais fort peu de saréponse.
CONSTANTIN.
Vous en aurez la preuve.
GALLICANUS.
Je le souhaite avec ardeur.
CONSTANTIN.
Elle a décidé que ses primiciers Paul et Jeandemeureront auprès de vous, jusqu’au jour de vosnoces.
GALLICANUS.
Pour quelle raison?
CONSTANTIN.
Pour qu’en vous entretenant souvent avec eux,vous puissiez connaître à l’avance sa vie, ses mœurs,ses habitudes.
GALLICANUS.
Cette pensée est excellente et me plaît infiniment.
CONSTANTIN.
Elle désire aussi qu’à votre tour vous permettiez àvos deux filles d’habiter, pendant le même temps, auprèsd’elle, pour qu’elle apprenne dans leur société àfaire tout ce qui peut vous être agréable.
GALLICANUS.
Ah! bonheur! bonheur! Tout répond à mes vœux.
[43]CONSTANTIN.
Donnez ordre qu’on amène vos filles au plus vite.
GALLICANUS,aux Gardes.
Quoi! vous n’êtes pas partis, soldats? Allez, courez,amenez mes filles aux pieds de leur souveraine.

SCÈNE V.

CONSTANCE,Gardes;ensuite ATTICAET ARTÉMIA.

LES GARDES.
O Constance, notre maîtresse! Voici que se présententles illustres filles de Gallicanus qui, par l’éclatde leur beauté, de leur sagesse et de leur vertu, sonttout à fait dignes de votre intimité.
CONSTANCE.
Bien. (On les introduit avec honneur(12).)—O Christ! Amantde la virginité, toi qui souffles la chasteté dans noscœurs, et qui, exauçant les prières de ta sainte martyreAgnès, m’as préservée à la fois de la lèpre ducorps et des erreurs païennes; toi qui m’as montrépour exemple le lit virginal de ta mère, où tu t’esmanifesté vraiment Dieu; toi qui, avant le commencementdes choses, naquis de Dieu le père, et qui,[45]dans le temps, es né du sein d’une mère, homme véritable;je t’en supplie, vraie sagesse, co-éternelle àcelle du Père, qui créas, maintiens et gouvernes l’univers;fais que Gallicanus, qui veut éteindre, en sel’appropriant, l’amour que je te porte, renonce à soninjuste dessein et soit attiré vers toi; daigne aussiprendre ses filles pour épouses, et fais pénétrer goutteà goutte dans leurs pensées la douceur infinie de tonamour, en sorte qu’abhorrant tous liens charnels, ellesméritent d’être admises dans la société des vierges quite sont consacrées.
ARTÉMIA.
Salut, Constance, notre auguste maîtresse!
CONSTANCE.
Salut, mes sœurs, Attica et Artémia! Restez, restezdebout; ne vous prosternez point: donnez-moi plutôtle baiser d’amour.
ARTÉMIA.
Nous venons avec joie vous offrir nos hommages,madame; nous nous mettons, avec un entier dévouement,à votre discrétion, seulement pour jouir de laplénitude de vos grâces.
CONSTANCE.
Le Seigneur seul, qui est aux cieux, doit être servipar nous avec un dévouement d’esclave. L’amouret la fidélité que nous lui devons exigent qu’unies decœur avec lui, nous conservions la parfaite intégritéde notre corps, pour mériter d’entrer dans le palais dela céleste patrie, avec la palme des vierges.
[47]ARTÉMIA.
Nous n’opposons aucune résistance; au contraire,nous nous efforcerons d’obéir à tous vos préceptes, surtouten ce qui touche la connaissance de la vérité etla résolution de conserver notre pureté virginale.
CONSTANCE.
Cette réponse est convenable et tout à fait dignede votre vertu(13); aussi ne douté-je pas que parl’inspiration de la grâce divine, vous ne soyez déjàparvenues à croire.
ARTÉMIA.
Comment pourrions-nous, servantes des idoles,avoir aucune sage pensée, sans l’illumination de labonté céleste?
CONSTANCE.
La fermeté de votre foi me donne l’espoir que Gallicanusaussi croira bientôt.
ARTÉMIA.
Il ne faut que l’instruire, et il est certain qu’ilcroira.
CONSTANCE,aux Gardes.
Faites venir Jean et Paul.

[49]SCÈNE VI.

Les mêmes, PAULET JEAN.

JEAN.
Voici devant vous, madame, ceux que vous avezmandés.
CONSTANCE.
Allez sur-le-champ trouver Gallicanus, et, vousattachant à sa personne, instruisez-le peu à peu dumystère de notre foi. Peut-être Dieu daignera-t-il seservir de nous pour le gagner à lui.
PAUL.
Que Dieu nous donne le succès! Pour nous, nousoffrirons à Gallicanus de continuelles exhortations.

SCÈNE VII.

GALLICANUS, PAULET JEAN,LES TRIBUNS,L’ARMÉE ROMAINE.

GALLICANUS.
Vous arrivez à propos, Jean et vous Paul; je vous,attendais depuis longtemps avec inquiétude.
[51]JEAN.
Dès que nous avons entendu les ordres de notre souveraine,nous sommes accourus tous deux pour vousoffrir nos services.
GALLICANUS.
Je reçois vos offres de services avec beaucoup plusde joie que d’aucune autre part.
PAUL.
Ce n’est pas sans raison; car on dit vulgairement:Celui qui accueille bien nos amis devient notre amilui-même.
GALLICANUS.
Cela est vrai.
JEAN.
L’affection que vous porte la maîtresse qui nousenvoie nous conciliera votre bienveillance.
GALLICANUS.
Certainement.—Venez, tribuns et centurions, rassemblezles troupes! Venez vous tous, soldats, sousmes ordres! Voici Jean et Paul, dont l’absence m’empêchaitde me mettre en route.
LES TRIBUNS.
Précédez-nous. (Les tribuns suivent en troupe Gallicanus(14).)
GALLICANUS.
Montons d’abord au Capitole, entrons dans les temples,et apaisons la majesté des dieux par les sacrificesaccoutumés: c’est le moyen d’obtenir pour nos armesun heureux succès.
[53]LES TRIBUNS.
L’accomplissement de ces rites est nécessaire.
JEAN.
Retirons-nous en attendant.
PAUL.
La bienséance le commande.

SCÈNE VIII.

Les mêmes.

JEAN.
Voici le général qui sort du temple; montons àcheval et allons à sa rencontre.
PAUL.
Sans perdre un instant.
GALLICANUS.
D’où venez-vous? Où étiez-vous?
JEAN.
Nous venons de préparer nos bagages; nous lesavons envoyés devant, pour pouvoir vous accompagneren liberté.
GALLICANUS.
C’est bien.

[55]SCÈNE IX.

Les mêmes, BRADAN,SOLDATS SCYTHES.

GALLICANUS.
Par Jupiter! ô tribuns! j’aperçois les légions d’uneinnombrable armée. La diversité de leurs armes offreun spectacle effrayant(15).
LES TRIBUNS.
Par Hercule! ce sont les ennemis!
GALLICANUS.
Résistons avec courage et combattons en hommes.
LES TRIBUNS.
A quoi peut-il nous servir de combattre une tellemultitude?
GALLICANUS.
Et qu’aimez-vous mieux faire?
LES TRIBUNS.
Nous soumettre au joug.
GALLICANUS.
Qu’Apollon nous préserve de cette honte!
LES TRIBUNS.
Par Pollux! il faut bien le faire; voyez, nous sommesenveloppés de toutes parts: on nous blesse, on nousmassacre.
GALLICANUS.
Hélas! qu’arrivera-t-il si les tribuns méprisent mesordres et se rendent?
[57]JEAN.
Faites vœu au Dieu du ciel d’embrasser la religiondu Christ, et vous serez vainqueur(16).
GALLICANUS.
Je fais ce vœu et je l’accomplirai.
LES ENNEMIS.
Hélas! roi Bradan, la fortune qui nous avait montréla victoire, se joue de nous. Voyez, nos brasfaiblissent, nos forces s’épuisent; une incroyable faiblessede cœur nous force d’abandonner la bataille.
BRADAN.
Je ne sais que vous dire: le même mal dont vousvous plaignez me frappe. Il ne nous reste qu’à nousrendre au général romain.
LES ENNEMIS.
C’est notre unique voie de salut.
BRADAN.
Général Gallicanus, ne vous obstinez pas à notreperte; laissez-nous la vie, et disposez de nous commede vos esclaves.
GALLICANUS.
Cessez de craindre; ne tremblez point; donnez-moiseulement des otages, reconnaissez-vous tributairesde l’empereur, et vivez heureux sous la paixromaine.
BRADAN.
Vous n’avez qu’à fixer vous-même le nombre et la[59]qualité des otages, ainsi que le poids du tribut quevous exigez.
GALLICANUS.
Soldats, déposez vos armes; ne tuez, ne blessez personne;embrassons comme alliés ceux que nous combattionscomme ennemis publics.
JEAN.
Combien est plus efficace une prière fervente quetoute la présomption humaine!
GALLICANUS.
Cela est vrai.
PAUL.
Quel appui secourable la miséricorde divine accordeà ceux qui se recommandent à elle par unehumble dévotion!
GALLICANUS.
J’en ai la preuve évidente.
JEAN.
Mais le vœu qu’on a fait pendant la tourmente, ilfaut l’accomplir lorsque le calme est revenu.
GALLICANUS.
C’est bien mon sentiment. Aussi désiré-je d’être baptiséle plus tôt possible et de consacrer le reste de mavie au service de Dieu.
PAUL.
Ce sera justice.

[61]SCÈNE X.

Les mêmes.

GALLICANUS.
Voyez comme à notre entrée dans Rome tous lescitoyens accourent et nous apportent, selon l’usage,les insignes de la gloire(17).
JEAN.
Cet accueil est mérité.
GALLICANUS.
Ce n’est pourtant ni à notre valeur ni à la protectionde leurs dieux qu’est du l’honneur du triomphe.
PAUL.
Non, assurément; c’est au vrai Dieu.
GALLICANUS.
Je pense donc que nous devons passer devant lestemples, sans nous y arrêter....
JEAN.
Votre pensée est juste.
GALLICANUS.
Et entrer, au contraire, dans l’église des saintsapôtres en humbles confesseurs de la foi.
PAUL.
Oh! que vous êtes heureux de penser ainsi! Vousvenez de témoigner que vous êtes un vrai chrétien.

[63]SCÈNE XI.

CONSTANTIN,SOLDATS ROMAINS.

CONSTANTIN.
Je m’étonne, ô soldats! que Gallicanus se dérobeaussi longtemps à nos regards.
LES SOLDATS.
A peine entré dans Rome, il a porté ses pas versl’église de Saint-Pierre, et, prosterné jusqu’à terre, ila rendu grâce au Tout-Puissant, qui lui a donné lavictoire.
CONSTANTIN.
Gallicanus?
LES SOLDATS.
Lui-même.
CONSTANTIN.
Voilà qui est incroyable.
LES SOLDATS.
Il vient; vous pouvez l’interroger.

[65]SCÈNE XII.

Les mêmes, GALLICANUS.

CONSTANTIN.
Depuis longtemps je vous attendais, Gallicanus,pour apprendre de vous les circonstances et l’issue ducombat.
GALLICANUS.
Je vous les raconterai de point en point.
CONSTANTIN.
C’est pourtant là ce qui m’intéresse le moins. Dites-moid’abord ce que je désire surtout d’apprendre.
GALLICANUS.
Qu’est-ce?
CONSTANTIN.
Pourquoi en partant êtes-vous entré dans les templesdes dieux, et à votre retour avez-vous visité l’églisedes saints apôtres?
GALLICANUS.
Vous le demandez!
CONSTANTIN.
Avec la plus vive curiosité.
GALLICANUS.
Je vais vous l’expliquer.
CONSTANTIN.
Je le souhaite.
GALLICANUS.
Empereur très-sacré, à mon départ, je le confesse,[67]j’entrai dans les temples, comme vous m’en faites lereproche, et je me présentai aux dieux et aux démonsen suppliant.
CONSTANTIN.
Cette coutume a été de toute antiquité reçue chezles Romains.
GALLICANUS.
Coutume funeste.
CONSTANTIN.
Déplorable.
GALLICANUS.
Ensuite, les tribuns arrivèrent avec leurs légions etaccompagnèrent ma marche.
CONSTANTIN.
Vous êtes sorti de Rome dans un très-pompeuxappareil.
GALLICANUS.
Nous allâmes en avant, nous rencontrâmes les ennemis,nous combattîmes, et nous fûmes vaincus(18).
CONSTANTIN.
Les Romains vaincus!
GALLICANUS.
Complétement.
CONSTANTIN.
O événement cruel et dont aucun siècle n’offred’exemples!
GALLICANUS.
Je recommençai les sacrifices criminels; mais aucundieu ne vint à mon secours. Au contraire, la fureurdu combat ne fit que s’accroître, et beaucoup des nôtrespérirent.
[69]CONSTANTIN.
Ce récit me confond.
GALLICANUS.
Enfin, les tribuns cessèrent d’obéir à mes ordreset se rendirent.
CONSTANTIN.
A l’ennemi?
GALLICANUS.
A l’ennemi.
CONSTANTIN.
O ciel! et qu’avez-vous fait?
GALLICANUS.
Que pouvais-je faire que de prendre la fuite?
CONSTANTIN.
Non.
GALLICANUS.
Il est trop vrai.
CONSTANTIN.
Quelles angoisses dut alors souffrir votre courage?
GALLICANUS.
Les plus pénibles.
CONSTANTIN.
Et comment êtes-vous sorti de ce danger?
GALLICANUS.
Mes deux fidèles compagnons Jean et Paul me conseillèrentde faire un vœu au Créateur.
[71]CONSTANTIN.
Salutaire conseil!
GALLICANUS.
Je l’ai bien éprouvé. A peine avais-je ouvert labouche pour prononcer ce vœu, que je ressentis l’effetdu secours céleste.
CONSTANTIN.
Comment cela?
GALLICANUS.
Un jeune homme de haute stature m’apparut. Il portaitune croix sur son épaule et m’ordonna de le suivre,l’épée à la main.
CONSTANTIN.
Ce jeune homme, quel qu’il fût, était un envoyédu ciel.
GALLICANUS.
J’en eus bientôt la preuve. A l’instant même, je visà mes côtés des soldats dont le visage m’était inconnu,et qui me promettaient leur aide.
CONSTANTIN.
C’était la milice céleste.
GALLICANUS.
Je n’en doute point. Alors, suivant les pas demon guide, je pénétrai sans crainte au milieu desrangs ennemis, et je parvins jusqu’à leur roi, nomméBradan, qui, saisi tout à coup d’une incroyable terreur,et se jetant à mes pieds, se rendit avec les sienset s’engagea à payer un tribut perpétuel au maître dumonde romain.
[73]CONSTANTIN.
Grâces soient rendues à l’auteur de notre victoire,qui ne souffre pas que ceux qui mettent leur espoiren lui soient confondus.
GALLICANUS.
L’expérience me l’a bien prouvé.
CONSTANTIN.
Je voudrais savoir ce que firent ensuite les tribunsfugitifs.
GALLICANUS.
Ils s’empressèrent de se réconcilier avec moi.
CONSTANTIN.
Et les avez-vous reçus à merci?
GALLICANUS.
Moi! recevoir à merci des hommes qui m’avaientabandonné dans le péril, et s’étaient rendus à l’ennemi!non, certes.
CONSTANTIN.
Et que fîtes-vous?
GALLICANUS.
Je leur proposai un moyen d’obtenir leur pardon.
CONSTANTIN.
Lequel?
GALLICANUS.
Je déclarai que ceux qui embrasseraient la religionchrétienne rentreraient dans leur grade et recevraientmême de nouveaux honneurs; et que ceux qui s’y[75]refuseraient n’obtiendraient point leur grâce et seraientdégradés.
CONSTANTIN.
Cette condition était juste, et vous aviez le droitde l’imposer.
GALLICANUS.
Pour moi, purifié par les eaux du baptême, je mesuis donné si complétement à Dieu, que je renoncemême à votre fille, que j’aimais cependant plus quetoutes choses au monde, afin qu’en m’abstenant dumariage, je puisse plaire au fils de la Vierge.
CONSTANTIN.
Approchez, approchez, que je me jette dans vosbras! Aujourd’hui, Gallicanus, le moment est venu devous révéler ce que, pour un temps, j’ai dû couvrird’un voile.
GALLICANUS.
Et quoi?
CONSTANTIN.
Ma fille et les deux vôtres sont entrées dans la voiesainte que vous avez choisie.
GALLICANUS.
Je m’en réjouis.
CONSTANTIN.
Et elles ont un si ardent désir de garder leur virginité,que ni les prières, ni les menaces ne pourraientébranler leur résolution.
GALLICANUS.
Qu’elles y persévèrent! je le désire.
[77]CONSTANTIN.
Entrons dans l’appartement qu’elles occupent.
GALLICANUS.
Marchez devant, je vous suivrai.
CONSTANTIN.
Les voici; elles accourent, avec l’auguste Hélène,ma glorieuse mère. Elles versent toutes des larmes dejoie.

SCÈNE XIII.

Les mêmes, CONSTANCE, ATTICA, ARTÉMIA,HÉLÈNE, PAULET JEAN.

GALLICANUS.
Vivez heureuses, ô vierges saintes! Persévérez dansla crainte de Dieu, et conservez l’honneur intact devotre virginité! C’est ainsi que le monarque éternelvous jugera dignes de ses embrassements.
CONSTANCE.
Nous garderons notre virginité d’autant plus aisémentque nous vous voyons disposé à ne pas contrariernotre désir.
GALLICANUS.
Je n’y mets ni opposition, ni empêchement, niobstacle; au contraire, je cède si volontiers à vosvœux, que je ne souhaite rien tant que de vous voir[79]achever ce que votre volonté a entrepris, ô ma Constance!vous que j’ai achetée avec tant d’ardeur auxprix de mon sang.
CONSTANCE.
Dans ce changement apparaît la main du Très-Haut.
GALLICANUS.
Si Dieu ne m’avait changé et rendu meilleur, jene pourrais consentir à l’accomplissement de votrevœu.
CONSTANCE.
Que le protecteur de la pureté virginale, que lefauteur de toutes les bonnes résolutions, que celuiqui vous a fait renoncer à un mauvais dessein, et quis’est réservé ma virginité, daigne, pour prix de notreséparation corporelle, nous réunir un jour dans lesjoies de l’éternité.
GALLICANUS.
Puisse cela arriver!
CONSTANTIN.
A présent que le lien de l’amour du Christ nous unitdans une même communion, il convient qu’on voushonore comme gendre des Augustes, et que vous partagieznos honneurs en venant habiter avec nous dansle palais.
GALLICANUS.
Il n’y a pas de tentation plus à craindre que laséduction des yeux.
[81]CONSTANTIN.
Je ne puis le nier.
GALLICANUS.
Il n’est pas à propos que je voie trop souvent unevierge que j’aime, vous le savez, plus que mes parents,plus que ma vie, plus que mon âme.
CONSTANTIN.
Faites votre volonté.
GALLICANUS.
Aujourd’hui, grâce à Jésus-Christ et à mes soins,vous avez une armée quadruple. Permettez donc queje serve à présent sous le drapeau de l’Empereur,par la protection duquel j’ai vaincu, et à qui je doistout ce que j’ai eu de succès dans ma vie.
CONSTANTIN.
A lui sont dues la louange et les actions de grâces.Toute créature doit le servir.
GALLICANUS.
Surtout celles qu’il a assistées le plus généreusementdans les dangers.
CONSTANTIN.
Cela est vrai.
GALLICANUS.
De tout ce que je possède, je fais d’abord unepart de ce qui appartient à mes filles; je m’en réserveune autre pour le soulagement des pèlerins;avec le reste, je veux enrichir mes esclaves rendus à laliberté, et subvenir aux besoins des pauvres(19).
[83]CONSTANTIN.
Vous disposez sagement de vos richesses; aussi neserez-vous pas privé de la récompense éternelle.
GALLICANUS.
Quant à moi, je brûle de me rendre à Ostie, auprèsdu saint homme Hilarianus, et de me faire soncompagnon inséparable, afin de pouvoir passer là lereste de ma vie à louer Dieu et à soulager les pauvres.
CONSTANTIN.
Que l’Être unique, à qui la puissance ne manquejamais, vous permette d’exécuter heureusement vosprojets et de vivre selon sa volonté! Qu’il vous conduiseà la possession des joies éternelles, celui quirègne et se glorifie dans l’unité de la Trinité!
GALLICANUS.
Amen.

SECONDE PARTIE
DE GALLICANUS(20),
ou
LE MARTYRE DE JEAN ET PAUL.


PERSONNAGES.

JULIEN, empereur.
GALLICANUS.
TÉRENTIANUS.
JEAN et PAUL.
Les consuls.
Soldats romains.
Une troupe de chrétiens.
Le fils de Térentianus, personnage muet.


SCÈNE PREMIÈRE.

JULIEN,LES CONSULS,GARDES.

JULIEN.
Il m’est bien démontré que le malaise de notre[87]empire vient de l’extrême liberté dont jouissent leschrétiens, qui prétendent suivre les lois qu’ils ontreçues du temps de Constantin.
LES CONSULS.
Il serait honteux pour vous de le souffrir.
JULIEN.
Je ne le souffrirai pas.
LES CONSULS.
Vous agirez ainsi d’une manière convenable.
JULIEN.
Soldats! prenez les armes et dépouillez les chrétiensde ce qu’ils possèdent, en leur objectant lamaxime de Jésus-Christ qui a dit: «Celui qui nerenoncera pas pour moi à tout ce qu’il possède nepeut être mon disciple(21)
LES GARDES.
Nous vous obéirons sans retard.

SCÈNE II.

Les mêmes.

LES CONSULS.
Voici les soldats qui reviennent.
JULIEN.
Est-ce un heureux retour que le vôtre?
[89]LES GARDES.
Heureux.(22)
JULIEN.
Et pourquoi si prompt?
LES GARDES.
Nous allons vous le dire. Nous avions résolud’enlever les châteaux forts que Gallicanus possède,et de les occuper pour vous(23); mais à peine un desnôtres avait-il posé le pied sur le seuil, qu’il étaitfrappé tout à coup de lèpre ou de frénésie.
JULIEN.
Retournez, et forcez Gallicanus à quitter sa patrieou à sacrifier aux idoles.

SCÈNE III.

GALLICANUS,GARDES.

GALLICANUS.
Soldats, ne perdez pas vos peines à me donnerd’inutiles conseils; je ne fais, en comparaison de la vieéternelle, nul cas de tout ce qui existe sous le soleil.Je vais donc abandonner ma patrie; et, banni pour leChrist, je me rendrai à Alexandrie, où j’espère recevoirla couronne du martyre.

[91]SCÈNE IV.

JULIEN,GARDES.

LES GARDES.
Gallicanus exilé, suivant vos ordres, s’est retiré àAlexandrie. Arrêté dans cette ville par le comte Rautianus,il a péri par le glaive.
JULIEN.
Oh! la bonne action!
LES GARDES.
Mais Jean et Paul vous bravent.
JULIEN.
Que font-ils?
LES GARDES.
Ils parcourent librement les provinces et distribuentles trésors que leur a laissés Constance.
JULIEN.
Qu’on les fasse venir.
LES GARDES.
Les voici.

[93]SCÈNE V.

Les mêmes, PAULET JEAN.

JULIEN.
Je n’ignore pas, Jean et Paul, que, dès le berceau,vous avez été attachés au service des empereurs quim’ont précédé.
JEAN.
Nous l’avons été.
JULIEN.
Il convient dès lors que, toujours à mes côtés,vous serviez dans le palais, où vous avez été nourrisdès l’enfance.
PAUL.
Nous ne servirons pas.
JULIEN.
Refusez-vous de me servir?
JEAN.
Nous l’avons dit.
JULIEN.
Ne me reconnaissez-vous pas pour un Auguste?
PAUL.
Oui; mais pour un Auguste bien différent de sesprédécesseurs.
JULIEN.
En quoi?
[95]JEAN.
En religion et en mérite.
JULIEN.
Je souhaite que vous développiez plus amplementvotre pensée.
PAUL.
Nous voulons dire que les très-glorieux et très-renommésempereurs Constantin, Constant et Constance,dont nous étions les officiers, furent des princes très-chrétienset se glorifiaient de servir le Christ.
JULIEN.
Je ne l’ai pas oublié; mais je n’ai nulle envie desuivre en cela leur exemple.
PAUL.
Vous n’imitez que le mal. Ils fréquentaient les églises,et, déposant leur diadème, ils adoraient à genouxJésus-Christ.
JULIEN.
Vous ne me forcerez point d’agir comme eux.
JEAN.
Aussi ne leur ressemblez-vous pas.
PAUL.
En offrant leur encens au Créateur, ils rehaussaientla dignité impériale; ils la béatifiaient par l’éclat deleur vertu et de leur sainteté, et méritaient que lesuccès couronnât tous leurs vœux.
JULIEN.
Et moi de même.
[97]JEAN.
Par des moyens bien différents; car, eux, la grâcedivine les accompagnait.
JULIEN.
Niaiseries! Moi aussi, je fus assez simple jadis poursuivre de telles pratiques. J’ai été clerc dans l’Église.
JEAN.
Que t’en semble, Paul? Il a été clerc!
PAUL.
Chapelain du diable.
JULIEN.
Mais lorsque je vis qu’il n’y avait là rien à gagner,je me tournai vers le culte des dieux, dont la bonté m’aélevé au faîte du pouvoir.
JEAN.
Vous nous avez interrompus, pour ne pas entendrela louange des justes.
JULIEN.
En quoi cela me regarde-t-il?
PAUL.
En rien; mais ce que nous allons ajouter vous regarde.Lorsque ce monde ne fut plus digne de les posséder,Dieu les plaça dans le chœur des anges, et lamalheureuse république tomba sous votre pouvoir.
JULIEN.
Pourquoi l’appelez-vous à présent malheureuse?
JEAN.
A cause du caractère de son souverain.
[99]PAUL.
Vous avez déserté toute religion et imité les superstitionsde l’idolâtrie. Cette iniquité nous a obligés defuir votre présence et la société de vos courtisans.
JULIEN.
Quoique vous ayez manqué gravement au respectqui m’est dû, je veux bien encore pardonner à votreaudace, et désire vous élever au premier rang des dignitairesdu palais.
JEAN.
Ne vous fatiguez pas en vain! nous ne céderons niaux séductions ni aux menaces.
JULIEN.
Je vous accorde un délai de dix jours, pour quevous ayez le temps de revenir à résipiscence et deregagner notre faveur impériale. S’il en arrive autrement,je ferai ce qu’il conviendra pour ne pas vousservir plus longtemps de jouet.
PAUL.
Ce que vous méditez contre nous, faites-le dès cemoment, car vous ne nous ramènerez jamais ni àvotre cour, ni à votre service, ni au culte de vosdieux.
JULIEN.
Allez; retirez-vous, et obéissez à mes conseils.
JEAN.
Nous acceptons volontiers le délai que vous nousdonnez; mais c’est pour consacrer toutes nos facultés[101]au ciel et nous recommander à Dieu, dans cet intervalle,par les jeûnes et les prières.
PAUL.
Cette conduite est seule raisonnable(24).

SCÈNE VI.

JULIEN, TÉRENTIANUS.

JULIEN.
Allez, Térentianus, prenez avec vous quelques soldats,et forcez Jean et Paul de sacrifier au dieu Jupiter.S’ils s’obstinent dans leur refus, qu’ils soient mis àmort, non pas en public, mais aussi secrètement quevous pourrez, parce qu’ils ont exercé la charged’officiers du palais.

SCÈNE VII.

TÉRENTIANUS, PAULET JEAN,GARDES.

TÉRENTIANUS.
Paul, et vous Jean, l’empereur Julien, mon maître,vous envoie, dans sa clémence, cette statue d’or deJupiter, et vous ordonne de lui offrir de l’encens. Sivous refusez d’obéir, vous subirez la peine capitale.
[103]JEAN.
Puisque Julien est votre maître, vivez en paix aveclui et jouissez de ses faveurs. Quant à nous, nousn’avons nul autre maître que Notre Seigneur Jésus-Christ,pour l’amour duquel nous désirons mourir,afin de mériter une part des joies éternelles.
TÉRENTIANUS.
Que tardez-vous, soldats? tirez vos épées et tuezces rebelles aux dieux et à l’empereur. Quand ilsauront rendu le dernier soupir, inhumez-les secrètementdans cette maison, et ne laissez aucune tracedu sang versé.
LES GARDES.
Et que dirons-nous si l’on nous interroge?
TÉRENTIANUS.
Vous direz qu’ils ont été envoyés en exil.
JEAN ET PAUL.
O toi, Christ! qui règnes avec le Père et le Saint-Esprit,Dieu unique! nous t’invoquons dans ce périlnous proclamons tes louanges en expirant; daigne, ôDieu! recevoir nos âmes, qui pour toi sont chasséesde leur habitation de boue!

[105]SCÈNE VIII.

TÉRENTIANUS,TROUPE DE CHRÉTIENS.

TÉRENTIANUS.
Hélas! ô chrétiens? quel mal a saisi mon filsunique?
LES CHRÉTIENS.
Il grince les dents; sa bouche écume; il rouleles yeux comme un insensé. Il est la proie du démon.
TÉRENTIANUS.
Malheur à son père! Et en quel lieu souffre-t-il cestourments?
LES CHRÉTIENS.
Auprès des tombeaux des martyrs Jean et Paul. Ilse roule par terre, et déclare que leurs prières sont lacause de ses tortures.
TÉRENTIANUS.
C’est ma faute, c’est mon crime; car à ma voix etpar mon ordre, l’infortuné a porté ses mains impiessur les saints martyrs.
LES CHRÉTIENS.
Si vous avez partagé la faute par vos conseils, vouspartagez le châtiment par vos souffrances.
TÉRENTIANUS.
Hélas! je n’ai fait qu’obéir aux ordres de l’impieJulien.
[107]LES CHRÉTIENS.
Lui-même a été frappé par la colère divine.
TÉRENTIANUS.
Je le sais, et ma frayeur en redouble; car jen’ignore pas que nul ennemi des serviteurs de Dieun’est demeuré impuni.
LES CHRÉTIENS.
La justice le voulait ainsi.
TÉRENTIANUS.
Si, en expiation de mon crime, j’allais me jeter àgenoux devant les saints tombeaux?
LES CHRÉTIENS.
Vous mériteriez votre pardon, pourvu que vousfussiez purifié par le baptême.

SCÈNE IX.

TÉRENTIANUS,TROUPE DE CHRÉTIENS,le fils de Térentianus.

TÉRENTIANUS.
Glorieux confesseurs du Christ, Jean et Paul,suivez l’exemple et le commandement de votre maître,et priez pour les péchés de vos persécuteurs. Compatissezaux angoisses d’un père qui craint d’être privéde son enfant; ayez pitié des souffrances d’un filstombé dans la frénésie; faites que tous les deux, purifiéspar les eaux du baptême, nous persévérions dansla foi de la sainte Trinité.
[109]LES CHRÉTIENS.
Séchez vos larmes, Térentianus, et calmez les angoissesde votre cœur. Voyez, votre fils a recouvré lasanté et la raison par l’intercession des martyrs(25).
TÉRENTIANUS.
Grâces soit rendues au roi de l’éternité qui accordetant de gloire à ses soldats, que non-seulement leursâmes se réjouissent au ciel, mais qu’au fond du sépulcreleurs os inanimés opèrent encore les plus éclatantsmiracles, en témoignage de leur sainteté, et parla grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit etrègne dans tous les siècles. Amen(26).

II.
DULCITIUS.

ARGUMENT DE DULCITIUS.


Martyre des saintes vierges Agape, Chionie et Irène.Le gouverneur Dulcitius va trouver furtivement cespieuses filles pendant le silence de la nuit, dans une intentioncriminelle; mais à peine est-il entré, que, perdanttout à coup la raison, il saisit, au lieu des vierges,des marmites et des poêles à frire, et les couvre de baisers,au point que son visage et ses vêtements en sonthorriblement noircis. Ensuite, par ordre de Dioclétien, illivre les pieuses vierges au comte Sisinnius, chargé de lespunir. Celui-ci, ayant été à son tour le jouet des plusétonnantes illusions, fait enfin brûler Agape et Chionie,et percer Irène à coups de flèches(27).

DULCITIUS.


PERSONNAGES.

DIOCLÉTIEN.
AGAPE.
CHIONIE.
IRÈNE.
DULCITIUS, gouverneur de Thessalonique.
SISINNIUS.
La femme de Dulcitius.
Huissiers du palais impérial.
Gardes.
Suivantes de la femme de Dulcitius.


SCÈNE PREMIÈRE.

DIOCLÉTIEN, AGAPE, CHIONIE, IRÈNE,GARDES.

DIOCLÉTIEN.
L’illustration de votre famille, votre haute naissance,l’éclat de votre beauté, exigent que vous soyezunies par les lois de l’hymen aux premiers officiersde mon palais. Ma puissance ne s’opposera pas à ce[117]qu’il en soit ainsi, pourvu que vous consentiez à renierle Christ et à sacrifier à nos dieux.
AGAPE.
Vous pouvez vous épargner de pareils soucis et nepas vous fatiguer des apprêts de nos noces, car rienau monde ne pourra nous forcer à renier un nomque nous devons confesser, ni à souiller notre puretévirginale.
DIOCLÉTIEN.
Que signifie, Agape, la folie qui vous agite?
AGAPE.
Quel signe de folie découvrez-vous en moi?
DIOCLÉTIEN.
Un signe évident et considérable.
AGAPE.
En quoi suis-je folle?
DIOCLÉTIEN.
D’abord en ce que, renonçant à la pratique de notreantique religion, vous suivez les nouveautés futiles dela superstition chrétienne.
AGAPE.
Votre témérité calomnie la majesté du Dieu tout-puissant.Il y a péril!
DIOCLÉTIEN.
Pour qui?
AGAPE.
Pour vous et pour la république que vous gouvernez.
DIOCLÉTIEN.
Cette fille extravague; qu’on l’éloigne!
[119]CHIONIE.
Ma sœur n’extravague point; elle blâme votre égarementinsensé; elle a raison.
DIOCLÉTIEN.
Cette seconde ménade est encore plus violente quela première; qu’on l’éloigne aussi de ma présence, etinterrogeons la troisième.
IRÈNE.
Vous trouverez la troisième également rebelle à vosordres et prête à vous résister opiniâtrement.
DIOCLÉTIEN.
Irène, bien que tu sois la dernière en âge, deviensla première en dignité.
IRÈNE.
Montrez-moi comment, je vous prie.
DIOCLÉTIEN.
Courbe la tête devant nos dieux, et sois pour tessœurs un exemple qui les corrige et les sauve.
IRÈNE.
Que ceux qui veulent encourir la colère du Très-Hautse souillent en sacrifiant aux idoles; moi, je nedéshonorerai pas ma tête, sur laquelle a coulé l’onctiondu Roi céleste, en l’abaissant aux pieds de cesvains simulacres.
DIOCLÉTIEN.
Le culte des dieux, loin d’apporter la honte, honoreextrêmement ceux qui le pratiquent.
[121]IRÈNE.
Y a-t-il bassesse plus honteuse, y a-t-il turpitudeplus grande que de rendre à des esclaves l’hommageque l’on doit aux maîtres?
DIOCLÉTIEN.
Je ne vous engage pas à adorer des esclaves, maisles dieux des maîtres et des princes.
IRÈNE.
N’est-il pas l’esclave du premier venu, le dieu qu’unartisan vend comme une marchandise pour un vilprix?
DIOCLÉTIEN.
Il faut que les supplices mettent fin à ce présomptueuxverbiage.
IRÈNE.
Notre souhait, notre désir le plus ardent est de subirles plus cruelles tortures pour l’amour du Christ.
DIOCLÉTIEN.
Que ces femmes opiniâtres, qui luttent contre nosédits, soient chargées de chaînes et retenues dans leshorreurs d’un cachot, pour être examinées par le gouverneurDulcitius.

[123]SCÈNE II.

DULCITIUS, AGAPE, CHIONIE, IRÈNE,GARDES.

DULCITIUS.
Amenez, soldats, amenez ici vos prisonnières.
LES GARDES.
Voici celles que vous demandez.
DULCITIUS.
Dieux! qu’elles sont belles! que ces jeunes filles ontde grâces et d’attraits!
LES GARDES.
Elles sont d’une beauté parfaite.
DULCITIUS.
Je suis épris de leurs charmes.
LES GARDES.
Cela est facile à croire.
DULCITIUS.
Je brûle de les amener à partager mon amour.
LES GARDES.
Il nous paraît douteux que vous réussissiez.
DULCITIUS.
Pourquoi?
LES GARDES.
Parce qu’elles sont inébranlables dans la foi.
DULCITIUS.
Qu’importe, si je les persuade par de douces paroles?
[125]LES GARDES.
Elles les méprisent.
DULCITIUS.
Et si je les effraie par les supplices?
LES GARDES.
Elles les dédaignent.
DULCITIUS.
Que faire donc?
LES GARDES.
C’est à vous d’y penser.
DULCITIUS.
Enfermez-les dans la salle intérieure de l’office, dontle vestibule contient les ustensiles de cuisine.
LES GARDES.
Pourquoi dans ce lieu?
DULCITIUS.
Pour que je puisse les visiter plus fréquemment.
LES GARDES.
Nous obéissons à vos ordres.

[127]SCÈNE III.

DULCITIUS,GARDES.

DULCITIUS.
Que peuvent faire nos captives à cette heure de lanuit?
LES GARDES.
Elles s’occupent à chanter des hymnes.
DULCITIUS.
Approchons.
LES GARDES.
Nous pourrons entendre dans l’éloignement le sonde leurs voix argentines.
DULCITIUS.
Restez en observation devant cette porte avec vosflambeaux; moi, j’entrerai et je jouirai de leurs embrassementstant désirés.
LES GARDES.
Entrez; nous vous attendrons.

[129]SCÈNE IV.

AGAPE, CHIONIE, IRÈNE.

AGAPE.
Quel bruit entends-je à la première porte?
IRÈNE.
C’est le misérable Dulcitius qui entre.
CHIONIE.
Dieu nous protége!
AGAPE.
Amen.
CHIONIE.
Que signifie ce cliquetis de marmites, de chaudronset de poêles qui s’entre-choquent?
IRÈNE.
Je vais voir ce que c’est.—Approchez, je vousprie; regardez à travers les fentes de la porte.
AGAPE.
Qu’y a-t-il?
IRÈNE.
Voyez! cet insensé a perdu la raison; il croit jouirde nos embrassements.
AGAPE.
Que fait-il?
IRÈNE.
Tantôt il presse tendrement des marmites sur sonsein, tantôt il embrasse des chaudrons et des poêlesà frire, et leur donne d’amoureux baisers.
[131]CHIONIE.
Cela est risible!
IRÈNE.
Déjà son visage, ses mains, ses vêtements, sonttellement salis et noircis, qu’il ressemble tout à faità un Éthiopien.
AGAPE.
Il est juste que son corps apparaisse aussi noir queson âme possédée du démon(28).
IRÈNE.
Voici qu’il se dispose à s’en aller; examinons ce quevont faire, quand il sortira, les soldats qui l’attendentà la porte.

SCÈNE V.

DULCITIUS,GARDES.

LES GARDES.
Quel est ce démoniaque, ou plutôt ce démon quisort? Fuyons!
DULCITIUS.
Soldats, où fuyez-vous? Restez, attendez; conduisez-moiavec vos flambeaux à ma demeure.
LES GARDES.
C’est la voix de notre seigneur, mais c’est l’imagedu diable. Ne nous arrêtons pas, pressons notre fuite;ce fantôme veut notre perte.
[133]DULCITIUS.
Je cours au palais, et j’apprendrai aux princes commenton m’outrage.

SCÈNE VI.

DULCITIUS,LES HUISSIERS DU PALAIS.

DULCITIUS.
Huissiers, introduisez-moi dans le palais; j’ai à parleren particulier à l’empereur.
LES HUISSIERS.
Quel est ce monstre affreux et dégoûtant, couvertde haillons noirs et déchirés? Gourmons-le, et précipitons-ledu haut des degrés; il ne faut pas qu’il pénètreplus avant.
DULCITIUS.
Malheur, malheur à moi! Qu’est-il arrivé? Nesuis-je pas paré des vêtements les plus riches(29)?toute ma personne n’est-elle pas éclatante? Et cependanttous ceux que j’aborde témoignent à ma vue autantde dégoût qu’à l’aspect d’un monstre horrible.Je vais retourner auprès de ma femme; j’apprendraid’elle ce qui m’est arrivé. Mais la voici; elle accourt lescheveux épars, et toute sa maison la suit en larmes.

[135]SCÈNE VII.

DULCITIUS,la femme de Dulcitius,GARDES.

LA FEMME DE DULCITIUS.
Hélas! hélas! mon seigneur, à quel mal êtes-vousen proie? Vous n’avez plus votre raison, Dulcitius.Vous êtes devenu un objet de risée pour les chrétiens.
DULCITIUS.
Oui, je le sens enfin; j’ai été le jouet des maléficesde ces femmes.
LA FEMME DE DULCITIUS.
Ce qui me confondait surtout, ce qui me contristaitle plus, c’est que vous ne connussiez pas votre mal.
DULCITIUS,aux gardes.
J’ordonne qu’on expose en place publique ces fillesimpudiques, qu’on leur arrache leurs vêtements etqu’on les livre nues à tous les regards, afin qu’ellessachent, à leur tour, quels outrages nous pouvonsleur faire subir.

SCÈNE VIII.

DULCITIUS,endormi sur son tribunal,GARDES.

LES GARDES.
Nous nous fatiguons en vain; nos efforts sont inutiles:les vêtements de ces vierges tiennent à leur[137]corps autant que leur peau. Et voilà que notre chef,Dulcitius lui-même, qui nous pressait de les dépouiller,s’est endormi et ronfle sur son siége, sansqu’il y ait moyen de le réveiller. Allons trouver l’empereuret informons-le des choses qui se passent.

SCÈNE IX.

DIOCLÉTIEN,seul.

 
Il m’est pénible d’apprendre que le gouverneur Dulcitiusait été en butte à tant d’insultes, d’outrages et decruelles déceptions. Mais pour que ces misérablesfemmelettes ne puissent pas se vanter d’insulter impunémentnos dieux et se jouer de ceux qui les adorent,je chargerai le comte Sisinnius d’être l’exécuteur dema vengeance.

SCÈNE X.

SISINNIUS,GARDES.

SISINNIUS.
Soldats, où sont les filles impudiques qui doiventsubir la torture?
[139]LES GARDES.
Elles sont dans cette triste prison.
SISINNIUS.
Mettez à part Irène, et amenez ici les autres.
LES GARDES.
Pourquoi exceptez-vous une d’elles?
SISINNIUS.
Par pitié pour son jeune âge. Peut-être sera-t-elleconvertie plus aisément, si la présence de ses sœursne l’intimide pas.
LES GARDES.
Cela est certain.

SCÈNE XI.

Les précédents, AGAPE, CHIONIE.

LES GARDES.
Voici celles que vous demandez.
SISINNIUS.
Agape et vous, Chionie, suivez mes conseils.
AGAPE.
Nous pourrions suivre vos conseils!
SISINNIUS.
Offrez des libations aux dieux.
[141]CHIONIE.
Nous offrons un continuel sacrifice de louanges àDieu, le père véritable et éternel, à son fils coéternelet à leur saint Paraclet.
SISINNIUS.
Ce n’est point là ce que je vous conseille; je vousle défends même sous les peines les plus sévères.
AGAPE.
Vos défenses sont impuissantes; jamais nous ne sacrifieronsaux démons.
SISINNIUS.
Que votre cœur dépose son endurcissement; sacrifiezaux dieux, sinon je vous ferai mettre à mort, suivantl’ordre de l’empereur Dioclétien.
CHIONIE.
Il faut bien, lorsque votre empereur ordonne notremort, que vous lui obéissiez, vous qui savez que nousméprisons ses édits; si même la pitié vous faisait tarderà lui obéir, il serait juste qu’on vous punît de mort.
SISINNIUS.
Ne tardez pas, soldats! ne tardez pas à saisir cesblasphématrices, et jetez-les vivantes dans un brasier.
LES GARDES.
Hâtons-nous de construire un bûcher et livrons-lesà la fureur des flammes, afin de mettre un terme à leurinsolence.
[143]AGAPE.
Non, Seigneur, non, ce ne serait pas un effetsans exemple de votre pouvoir que d’ordonner au feud’oublier sa violence et de le forcer à vous obéir. Maistout ce qui nous retient ici-bas nous est à charge. Nousvous supplions donc de rompre les liens qui enchaînentnos âmes, afin que nos corps étant consumés, nous nousréjouissions avec vous dans les régions célestes.
LES GARDES.
O prodige nouveau et inexplicable! les âmes de cesfemmes viennent de quitter leurs corps, sans qu’onpuisse apercevoir aucune trace de lésion. Ni leurscheveux, ni leurs vêtements n’ont été atteints par lefeu, encore moins leurs corps.
SISINNIUS.
Faites approcher Irène.
LES GARDES.
La voici.

SCÈNE XII.

Les mêmes, IRÈNE.

SISINNIUS.
Redoutez, Irène, le sort de vos sœurs et craignez depérir en les prenant pour exemple.
[145]IRÈNE.
Je souhaite suivre leur exemple et mourir pour mériterde me réjouir éternellement avec elles.
SISINNIUS.
Cède, cède à mes conseils.
IRÈNE.
Je ne céderai point à qui me conseille le crime.
SISINNIUS.
Si tu t’obstines dans tes refus, je ne t’accorderaipas une mort prompte; mais je la différerai, et chaquejour je multiplierai et renouvellerai tes supplices.
IRÈNE.
Plus cruelles seront mes tortures, plus grande serama gloire.
SISINNIUS.
Tu ne crains pas les supplices; mais j’en emploieraiun dont tu as horreur.
IRÈNE.
J’échapperai, avec l’aide du Christ, à tout ce quevous inventerez contre moi.
SISINNIUS.
Je te ferai conduire dans un lieu de débauche, oùton corps sera souillé par les plus honteuses impuretés.
IRÈNE.
Il vaut mieux que mon corps soit livré à toutes sortesd’outrages, que mon âme salie par le culte des idoles.
SISINNIUS.
Si tu deviens la compagne des courtisanes, tu ne[147]pourras plus, ainsi déshonorée, être comptée dans laphalange des vierges.
IRÈNE.
La volupté attire le châtiment, mais la nécessitédonne la couronne céleste. On n’est déclaré coupableque pour des fautes auxquelles l’âme a consenti(30).
SISINNIUS.
En vain je l’épargnais; en vain j’avais pitié de sonenfance.
LES GARDES.
Nous savions bien que rien ne la pourrait forcer àadorer les dieux, et que la terreur ne pourrait jamaisla vaincre.
SISINNIUS.
Je ne l’épargnerai pas plus longtemps.
LES GARDES.
Vous ferez bien.
SISINNIUS.
Saisissez-la sans pitié, traînez-la sans miséricorde etconduisez-la honteusement dans un lieu de prostitution.
IRÈNE.
Ils ne m’y conduiront pas.
SISINNIUS.
Qui pourra les en empêcher?
IRÈNE.
Celui dont la providence régit le monde.
SISINNIUS.
Nous verrons.
[149]IRÈNE.
Et plus tôt que tu ne le voudras.
SISINNIUS.
Soldats, ne vous laissez pas effrayer par les faussesprédictions de cette blasphématrice.
LES GARDES.
Elle ne nous effraie point; nous nous efforçonsd’exécuter vos ordres.

SCÈNE XIII.

SISINNIUS,ensuiteLES GARDES.

SISINNIUS.
Quels sont ces hommes qui accourent vers nous?Combien ils ressemblent aux soldats à qui j’ai livréIrène! Ce sont eux. (Aux gardes.) Pourquoi revenez-voussi vite? où courez-vous si hors d’haleine?
LES GARDES.
C’est vous que nous cherchons.
SISINNIUS.
Et où est celle que vous avez emmenée?
LES GARDES.
Sur la crête de la montagne.
SISINNIUS.
De quelle montagne?
LES GARDES.
De la montagne voisine.
[151]SISINNIUS.
O hommes stupides et insensés, qui avez perdu touteraison!
LES GARDES.
Pourquoi ces reproches? Pourquoi cette voix et cevisage menaçants?
SISINNIUS.
Que les dieux vous foudroient!
LES GARDES.
Quel crime avons-nous commis contre vous? quelleinjure vous avons-nous faite? en quoi avons-noustransgressé vos ordres?
SISINNIUS.
Ne vous ai-je pas ordonné de traîner dans un lieud’ignominie cette fille rebelle à nos dieux?
LES GARDES.
Oui, et nous étions occupés à vous obéir, quand deuxjeunes inconnus survinrent et nous assurèrent quevous les aviez envoyés pour conduire Irène au sommetde la montagne.
SISINNIUS.
Vous me l’apprenez.
LES GARDES.
Nous le voyons.
SISINNIUS.
Quel aspect avaient ces inconnus?
LES GARDES.
Leurs vêtements étaient éclatants, leurs traits imposantset graves.
[153]SISINNIUS.
Ne les suivîtes-vous pas?
LES GARDES.
Oui, nous les suivîmes.
SISINNIUS.
Qu’ont-ils fait?
LES GARDES.
Ils se placèrent aux deux côtés d’Irène, et nous envoyèrentici pour vous informer de la conclusion decette affaire.
SISINNIUS.
Il ne me reste plus qu’à monter à cheval et àchercher qui ose se jouer aussi insolemment de nous.
LES GARDES.
Courons-y également.

SCÈNE XIV.

Les précédents, IRÈNE.

SISINNIUS,à cheval.
Qu’est-ce? je ne sais que faire; je suis ensorcelépar les chrétiens. Voyez, je tourne incessammentautour de cette montagne, et si je parviens à trouverun sentier, je ne puis ni monter ni revenir sur mespas(31).
[155]LES GARDES.
Nous sommes tous le jouet des enchantements lesplus étranges; la fatigue nous accable. Si vouslaissez vivre plus longtemps cette tête écervelée, vouscauserez votre perte et la nôtre.
SISINNIUS.
Qu’un des miens bande fortement son arc, décocheune flèche et perce cette odieuse magicienne.
LES GARDES.
C’est là ce qui convient.
IRÈNE.
Rougis, malheureux Sisinnius, rougis de te voirhonteusement vaincu et de n’avoir pu triompher quepar la force et par les armes, de l’enfance d’une faiblevierge.
SISINNIUS.
Je me résigne sans beaucoup de peine à cette honte,parce que je suis sûr que tu vas mourir.
IRÈNE.
C’est pour moi un très-grand sujet de joie, et c’endoit être un d’affliction pour toi; car, à cause de tacruauté, tu seras damné dans le Tartare(32). Moi, aucontraire, j’irai recevoir la palme du martyre, et paréede la couronne de la virginité, j’entrerai dans la couchecéleste du Roi éternel, à qui appartiennent l’honneuret la gloire dans tous les siècles.

III.
CALLIMAQUE.

ARGUMENT DE CALLIMAQUE.


Résurrection de Drusiana et de Callimaque. Cette jeunefemme étant morte dans le Seigneur, Callimaque, quil’avait aimée vivante, désolé de l’avoir perdue et aveuglépar une passion coupable, l’aima encore dans le tombeauplus qu’il ne devait. De là sa mort misérable causée parla morsure d’un serpent; mais, grâce aux prières del’apôtre saint Jean, il est ressuscité, ainsi que Drusiana,et renaît dans le Christ(33).

CALLIMAQUE.


PERSONNAGES.

CALLIMAQUE, jeune habitant d’Éphèse.
Les amis de Callimaque.
DRUSIANA.
ANDRONIQUE, mari de Drusiana.
L’apôtre SAINT JEAN.
FORTUNATUS, esclave d’Andronique.
DIEU.


SCÈNE PREMIÈRE.

CALLIMAQUE,SES AMIS.

CALLIMAQUE.
Je voudrais, mes amis, vous dire quelques mots.
LES AMIS.
Usez de notre entretien aussi longtemps qu’il vousplaira.
CALLIMAQUE.
Je préfère, si cette proposition ne vous déplaîtpas, vous mettre à l’abri de la foule des importuns.
[163]LES AMIS.
Nous sommes prêts à faire tout ce qui vous paraîtracommode.
CALLIMAQUE.
Gagnons des lieux moins ouverts, afin que personnene vienne interrompre ce que j’ai à vous dire.
LES AMIS.
Comme il vous conviendra.

SCÈNE II.

Les précédents.

CALLIMAQUE.
Je suis depuis longtemps atteint d’une peine profondeque vos conseils pourront adoucir, j’espère.
LES AMIS.
Il est juste que la communauté de nos sympathiesnous fasse tous compatir à ce que la fortune apportede bien ou de mal à chacun de nous.
CALLIMAQUE.
Oh! plût à Dieu que vous voulussiez prendre unepart de ma souffrance en y compatissant!
LES AMIS.
Apprenez-nous quels sont vos chagrins; et, si leurgravité l’exige, nous y compatirons: sinon, nousferons nos efforts pour distraire votre esprit d’unepréoccupation funeste.
[165]CALLIMAQUE.
J’aime.
LES AMIS.
Qu’aimez-vous?
CALLIMAQUE.
Une chose belle et pleine de grâces.
LES AMIS.
Ce sont là des attributs; et les attributs ne s’appliquentni à un seul ordre d’objets, ni à tous les individusd’un même ordre(34). Aussi ne peut-on savoirpar votre réponse l’être particulier que vous aimez.
CALLIMAQUE.
Eh bien! je me servirai du motfemme.
LES AMIS.
Employer le motfemme, c’est les comprendretoutes.
CALLIMAQUE.
Non pas toutes généralement, mais une en particulier.
LES AMIS.
Ce qu’on dit d’unsujet ne peut s’entendre qued’unsujet déterminé. Si donc vous voulez que nousconnaissions lesattributs, dites-nous d’abord quelleest lasubstance.
CALLIMAQUE.
Drusiana.
LES AMIS.
La femme du prince Andronique?
[167]CALLIMAQUE.
Elle-même.
LES AMIS.
Vous délirez, notre ami; elle a été purifiée par lebaptême.
CALLIMAQUE.
Je m’en inquiète peu, si je puis l’amener à m’aimer.
LES AMIS.
Vous ne le pourrez pas.
CALLIMAQUE.
Pourquoi cette défiance?
LES AMIS.
Parce que vous entreprenez une chose difficile.
CALLIMAQUE.
Suis-je le premier qui tente une aventure de cegenre, et de nombreux exemples ne me provoquent-ilspas à tout oser?
LES AMIS.
Écoutez, frère: celle pour laquelle vous brûlez suitla doctrine de l’apôtre saint Jean; elle s’est vouée toutentière à Dieu, à tel point que rien, depuis longtemps,n’a pu la rappeler dans le lit de son époux Andronique,chrétien zélé. Encore bien moins consentira-t-elleà satisfaire vos désirs frivoles.
CALLIMAQUE.
Je vous ai demandé des consolations, et vous enfoncezle désespoir dans mon cœur!
LES AMIS.
Dissimuler, c’est tromper, et celui qui flatte vendla vérité.
[169]CALLIMAQUE.
Puisque vous me refusez votre secours, j’irai trouverDrusiana, et par mes discours passionnés je persuaderaià son cœur de m’accorder son amour.
LES AMIS.
Vous n’y parviendrez pas.
CALLIMAQUE.
C’est qu’alors j’aurai les destins contraires(35).
LES AMIS.
Nous verrons à l’épreuve.

SCÈNE III.

CALLIMAQUE, DRUSIANA(36).

CALLIMAQUE.
C’est à vous que je parle, Drusiana, à vous monplus cher et mon plus cordial amour.
DRUSIANA.
Je cherche avec surprise, Callimaque, ce que vousvoulez de moi en m’adressant la parole.
CALLIMAQUE.
Vous le cherchez avec surprise?
DRUSIANA.
Oui, vraiment.
CALLIMAQUE.
Je veux, avant tout, vous parler de mon amour.
DRUSIANA.
Que voulez-vous dire par votre amour?
[171]CALLIMAQUE.
Je veux dire que je vous chéris plus que toutes chosesau monde.
DRUSIANA.
Quels sont les liens étroits du sang, quels sont lesnœuds formés par les lois qui vous portent à m’aimer?
CALLIMAQUE.
Votre beauté.
DRUSIANA.
Ma beauté!
CALLIMAQUE.
Oui, certes.
DRUSIANA.
Quel rapport y a-t-il entre ma beauté et vous?
CALLIMAQUE.
Hélas! il y en a eu bien peu jusqu’à ce jour; maisj’espère qu’il en sera bientôt différemment.
DRUSIANA.
Loin de moi! loin de moi! odieux suborneur! jerougis d’échanger plus longtemps des paroles avecvous. Je sens que vous êtes rempli des ruses du démon.
CALLIMAQUE.
Ma Drusiana, ne repoussez pas un homme qui vousaime, un homme qui vous est attaché de toute sonâme! Répondez plutôt à son amour.
DRUSIANA.
Je ne fais pas le moindre cas de votre langage corrupteur;je n’ai que du dégoût pour vos désirs lascifs,et je méprise profondément votre personne.
[173]CALLIMAQUE.
Je n’ai pas voulu jusqu’ici me livrer à la colère,parce que je pense que peut-être la pudeur vous empêched’avouer l’effet que ma tendresse produit survous.
DRUSIANA.
Votre tendresse n’excite en moi que l’indignation.
CALLIMAQUE.
Je crois que vous ne tarderez pas à changer de sentiment.
DRUSIANA.
Je n’en changerai jamais, soyez-en certain.
CALLIMAQUE.
Peut-être.
DRUSIANA.
O homme insensé! amant égaré! pourquoi te trompertoi-même? pourquoi t’abuser par un vain espoir?Par quelle raison, par quel aveuglement peux-tuespérer que je cède à tes folles avances, moi qui depuislongtemps me suis abstenue de partager la couchede mon légitime époux?
CALLIMAQUE.
J’en atteste Dieu et les hommes, Drusiana! si tune cèdes pas à mon amour, je n’aurai ni repos ni relâche,que je ne t’aie enveloppée et prise dans mespiéges.

[175]SCÈNE IV.

DRUSIANA, ANDRONIQUE.

DRUSIANA,se croyant seule.
Hélas! Seigneur Jésus-Christ! que me sert d’avoirfait profession de chasteté, puisque ma beauté n’en apas moins séduit ce jeune fou? Voyez mon effroi,Seigneur; voyez de quelle douleur je suis pénétrée.Je ne sais ce que je dois faire: si je dénonce l’audacede Callimaque, je causerai des discordes civiles;si je me tais, je ne pourrai, sans votre secours,éviter ces embûches diaboliques. Ordonnez plutôt, ôChrist! que je meure en vous bien vite, afin que jene devienne pas une occasion de chute pour ce jeunevoluptueux! (Elle meurt).
ANDRONIQUE.
Infortuné que je suis! Drusiana vient de trépassersubitement. Je cours appeler saint Jean.

SCÈNE V.

ANDRONIQUE, JEAN.

JEAN.
Pourquoi vous affligez-vous avec tant d’excès, Andronique?pour quelle raison coulent vos larmes?
[177]ANDRONIQUE.
Hélas! hélas! seigneur! la vie m’est devenue unfardeau.
JEAN.
Quel malheur vous a frappé?
ANDRONIQUE.
Drusiana, votre élève....
JEAN.
A-t-elle quitté son enveloppe humaine?
ANDRONIQUE.
Hélas! vous l’avez dit.
JEAN.
Il n’est nullement convenable de verser des pleurssur la mort de ceux dont nous croyons les âmes heureusesdans le repos céleste.
ANDRONIQUE.
Bien que je ne doute pas que son âme, comme vousl’assurez, ne goûte les joies éternelles, et que soncorps inaccessible à la corruption ne ressuscite unjour, cependant une chose me pénètre de douleur:c’est que par ses vœux elle ait, devant moi, invité lamort à venir la prendre.
JEAN.
Avez-vous su quel a été son motif?
ANDRONIQUE.
Je l’ai su, et je vous l’apprendrai, si jamais je parviensà me guérir de ma tristesse.
JEAN.
Allons, et employons tous nos soins à célébrer sesobsèques.
[179]ANDRONIQUE.
Il y a non loin d’ici un tombeau de marbre; nous ydéposerons ses restes. Je chargerai Fortunatus, un demes serviteurs, du soin de garder ce monument.
JEAN.
Il est convenable que Drusiana soit inhumée avechonneur. Puisse Dieu donner à son âme la joie et lerepos!

SCÈNE VI.

CALLIMAQUE, FORTUNATUS(37).

CALLIMAQUE.
Qu’arrivera-t-il de tout ceci, Fortunatus? La mortmême de Drusiana ne peut éteindre mon amour.
FORTUNATUS.
Votre situation est digne de pitié.
CALLIMAQUE.
Je meurs si ton adresse ne me vient en aide.
FORTUNATUS.
En quoi puis-je vous aider?
CALLIMAQUE.
En faisant que je la voie, quoique morte.
FORTUNATUS.
Son corps, je le pense, est encore intact, parce qu’iln’a pas été flétri par de longues souffrances, et qu’ellea, vous le savez, été enlevée par une fièvre légère.
[181]CALLIMAQUE.
O plût à Dieu que j’en pusse faire l’épreuve!
FORTUNATUS.
Si vous me payez généreusement, je livrerai lecorps de Drusiana à vos désirs.
CALLIMAQUE.
Prends d’abord tout ce que j’ai sous la main, et soissûr que tu recevras de moi beaucoup plus ensuite.
FORTUNATUS.
Allons vite à la tombe.
CALLIMAQUE.
Ce n’est pas moi qui tarderai.

SCÈNE VII.

Les précédents, DRUSIANA,couchée dans son cercueil.

FORTUNATUS.
Voici le corps. (Écartant le linceul.) Ces traits ne sont pasceux d’une morte; ces membres ont toute la fraîcheurde la vie; faites d’elle selon vos désirs.
CALLIMAQUE.
O Drusiana! Drusiana! quelle tendresse de cœur jet’avais vouée! comme je t’aimais sincèrement et dufond de mes entrailles! Et toi, tu m’as toujours repoussé!toujours tu as contredit mes vœux! (Il l’enlève horsde la tombe.) Maintenant il est en mon pouvoir de poussercontre toi mes violences aussi loin que je voudrai.
[183]FORTUNATUS.
Ah! ah! un horrible serpent s’élance sur nous!
CALLIMAQUE.
Malheur à moi! Fortunatus, pourquoi m’as-tu séduit?pourquoi m’as-tu conseillé ce crime détestable?Voici que tu meurs sous la blessure de ce serpent, etmoi j’expire avec toi de terreur.

SCÈNE VIII.

JEAN, ANDRONIQUE,ensuite DIEU.

JEAN.
Andronique, allons au tombeau de Drusiana, afinde recommander son âme au Christ par nos prières.
ANDRONIQUE.
Il est digne de votre sainteté de ne pas oubliercelle qui avait mis toute sa confiance en vous.
(Dieu apparaît.)
JEAN.
Voyez! le Dieu invisible se montre à nous sousune forme visible. Il a pris les traits d’un très-beaujeune homme.
ANDRONIQUE,aux spectateurs(38).
Tremblez!
[185]JEAN.
Seigneur Jésus! pourquoi avez-vous daigné vousmanifester en ce lieu à vos serviteurs?
DIEU.
C’est pour la résurrection de Drusiana et de ce jeunehomme étendu près de sa tombe, que je vous apparais.Mon nom doit être glorifié en eux.
ANDRONIQUE,à Jean.
Avec quelle promptitude il est remonté au ciel(39)!
JEAN.
Je ne comprends pas entièrement la cause de toutceci.
ANDRONIQUE.
Hâtons notre marche; peut-être, quand nous seronsarrivés, trouverons-nous, à la vue des faits, l’explicationde ce que vous assurez ne pas bien comprendre.

SCÈNE IX.

Les précédents, les trois corps de DRUSIANA,de FORTUNATUS et de CALLIMAQUE.

JEAN.
Au nom du Christ, quel prodige vois-je ici? Lesépulcre est ouvert, le corps de Drusiana a été jeté[187]hors de sa tombe; à côté gisent deux cadavres enlacésdans les nœuds d’un serpent!
ANDRONIQUE.
Je devine ce que cela signifie. Durant sa vie, lejeune Callimaque aima Drusiana d’un amour criminel.Drusiana en fut contristée; le chagrin qu’elle enconçut la fit tomber dans la fièvre, et elle invita lamort à venir la visiter.
JEAN.
L’amour de la chasteté a-t-il pu la pousser jusque-là?
ANDRONIQUE.
Après la mort de celle qu’il aimait, ce jeune insensé,tourmenté à la fois par l’amour et par le chagrin den’avoir pu commettre le crime qu’il méditait, s’abandonnaau désespoir et sentit s’irriter le feu de ses désirs.
JEAN.
Obstination déplorable!
ANDRONIQUE.
Je ne doute pas qu’il n’ait séduit à prix d’argent ceméchant esclave, pour obtenir de lui l’occasion d’accomplirson dessein criminel.
JEAN.
O forfait sans exemple!
ANDRONIQUE.
Aussi, tous les deux, je le vois, ont-ils été frappésde mort, afin de les empêcher de consommer leur entreprisescélérate.
JEAN.
Juste châtiment!
[189]ANDRONIQUE.
Ce qui dans tout ceci m’étonne le plus, c’est que lavoix de Dieu ait plutôt annoncé la résurrection de celuidont la volonté fut coupable, que celle de l’hommequi n’a été que son complice; cela vient peut-être dece que l’un, entraîné par les séductions de la chair,a failli sans discernement, tandis que l’autre a péchépar pure méchanceté.
JEAN.
Avec quel scrupule l’Arbitre suprême juge les actionshumaines, et dans quelle juste balance il pèse lesmérites de chacun, c’est ce qu’il est difficile de savoir,et ce que personne ne peut expliquer; car le mystèredes jugements divins passe de bien loin la sagacitéde l’esprit de l’homme.
ANDRONIQUE.
Aussi n’avons-nous pas pour les jugements de Dieuassez d’admiration: nous voyons les événements; maisla science nous manque pour en discerner les causes.
JEAN.
Ce n’est d’ordinaire qu’après les faits accomplis quel’événement nous révèle le secret des choses.
ANDRONIQUE.
Mais, faites donc, bienheureux Jean, ce que vousavez reçu la mission de faire: ressuscitez Callimaque,pour que nous arrivions au dénoûment de cette mystérieuseaventure.
JEAN.
Je pense devoir invoquer d’abord le nom du Christ[191]pour chasser le serpent; ensuite je ressusciterai Callimaque.
ANDRONIQUE.
Vous avez raison; c’est le moyen qu’il ne soit pasblessé de nouveau par la morsure du reptile.
JEAN,au serpent.
Éloigne-toi de ce jeune homme, bête cruelle! caril doit dorénavant servir le Christ.
ANDRONIQUE.
Quoique cette brute soit sans raison, son oreille aumoins n’est pas sourde; elle a entendu votre ordre.
JEAN.
Ce n’est pas à ma puissance, mais à celle du Christqu’elle a obéi.
ANDRONIQUE.
Aussi a-t-elle disparu plus vite que la parole(40).
JEAN.
Dieu infini et que nul espace ne peut contenir; êtresimple et incommensurable, qui seul es ce que tu es;qui, réunissant deux substances dissemblables, as del’une et de l’autre créé l’homme, et qui, désunissantces deux principes, sépares ce qui formait un tout;ordonne que le souffle de vie rentre dans ce corps,que l’union rompue se rétablisse, et que Callimaqueressuscite homme parfait comme auparavant, afinque tu sois glorifié par toutes les créatures, toi quipeux seul opérer de tels miracles!
[193]ANDRONIQUE.
Amen.—Tenez! voici Callimaque qui respire l’airvital! Seulement la stupeur le retient encore immobile.
JEAN.
Callimaque, au nom du Christ, levez-vous! et quoique vous ayez fait, confessez-le; à quelques tentationscoupables que vous ayez succombé, proclamez-les,pour que la vérité ne nous reste en rien cachée.
CALLIMAQUE.
Je ne puis nier que je ne sois venu ici dans une intentioncriminelle. J’étais consumé par une mélancoliefuneste et je ne pouvais apaiser le feu de mon amourillicite.
JEAN.
Quelle démence, quelle frénésie s’était emparée devous, pour oser vouloir faire subir à ces chastes restesun si honteux outrage?
CALLIMAQUE.
J’étais entraîné par ma propre folie et par les suggestionscaptieuses de ce Fortunatus.
JEAN.
Avez-vous eu, trois fois infortuné, le malheur deparvenir à commettre le mal que vous désiriez?
CALLIMAQUE.
Nullement. J’ai eu la possibilité de vouloir; mais lepouvoir d’exécuter m’a tout à fait manqué.
JEAN.
Quel obstacle vous arrêta?
[195]CALLIMAQUE.
A peine avais-je écarté le suaire et essayé d’odieuxattentats sur le corps inanimé de Drusiana, que ceFortunatus, le fauteur et l’instigateur du crime, péritsous le venin d’un serpent.
ANDRONIQUE.
O punition bien méritée!
CALLIMAQUE.
Alors m’apparut un jeune homme d’un aspect terrible;sa main recouvrit respectueusement le corps;de sa face rayonnante jaillirent des étincelles sur letombeau; une d’elles atteignit mon visage, et en mêmetemps se fit entendre une voix qui dit: «Callimaque,meurs pour vivre!» Ayant ouï ces mots, j’expirai.
JEAN.
Bienfait de la grâce céleste, qui ne se complaît pasdans la perte des impies!
CALLIMAQUE.
Vous avez entendu la misère de ma chute, daignezne pas ajourner le remède de votre miséricorde.
JEAN.
Je ne l’ajournerai point.
CALLIMAQUE.
Car je suis confus et contristé jusqu’au fond del’âme, je souffre, je gémis, je pleure sur mon horriblesacrilége.
[197]JEAN.
Ce n’est pas sans raison; un aussi grave délit exigele remède d’une pénitence qui ne soit point légère.
CALLIMAQUE.
Oh! plût à Dieu que je pusse vous ouvrir les plusprofonds replis de mon cœur! vous y verriez l’amertumedu regret que je souffre, et vous compatiriez àma douleur.
JEAN.
Je me réjouis de cette douleur; car je sens que latristesse vous est salutaire.
CALLIMAQUE.
Je n’ai que dégoût pour ma vie passée, je n’ai quedégoût pour les voluptés coupables.
JEAN.
Ce n’est point à tort.
CALLIMAQUE.
Je me repens du crime que j’ai commis.
JEAN.
La raison le veut.
CALLIMAQUE.
J’ai tant de déplaisir de ce que j’ai fait, que je nepuis éprouver ni le désir ni le bonheur de vivre, àmoins que, renaissant en Jésus-Christ, je ne mérite dedevenir meilleur.
JEAN.
Je ne doute pas que la grâce d’en-haut ne se manifesteen vous.
CALLIMAQUE.
Ne tardez donc pas, ne différez pas à relever mon[199]abattement, à adoucir ma tristesse par vos consolations,afin qu’aidé de vos avis et sous votre direction,de gentil je devienne chrétien, et que de débauché jedevienne chaste; et qu’entré, sous votre conduite,dans le chemin de la vérité, je vive selon les préceptesde la promission divine.
JEAN.
Béni soit le fils unique de Dieu, qui a bien vouluparticiper à notre faiblesse, et dont la clémence, ômon fils Callimaque, vous a tué et en vous tuant vousa vivifié! Béni soit celui qui, par ce faux semblantde trépas, a délivré sa créature de la mort del’âme!
ANDRONIQUE.
Chose inouïe et digne de toute notre admiration!
JEAN.
O Christ! rédemption du monde, holocauste offertpour nos péchés! je ne sais par quelles louanges assezéclatantes te célébrer dignement. J’adore avec crainteta bénigne clémence et ta clémente patience, toi quitantôt traites les pécheurs avec une bonté de père,tantôt les châties avec une juste sévérité et les forces àla pénitence.
ANDRONIQUE.
Gloire à sa divine miséricorde!
JEAN.
Qui aurait osé le croire? qui l’aurait espéré? Lamort surprend ce jeune homme tout occupé de satisfaireses désirs coupables; elle l’enlève au moment ducrime, et ta miséricorde, ô Seigneur! daigne le rappelerà la vie et lui rendre des chances de pardon![201]Béni soit ton saint nom dans tous les siècles, ô toi quiseul opères de si admirables prodiges!
ANDRONIQUE.
Et moi donc, bienheureux Jean! ne tardez pas à meconsoler; car la tendresse conjugale que je porte àDrusiana ne permet à mon âme aucun repos, jusqu’àce que je l’aie vue, elle aussi, ressuscitée au plus vite.
JEAN.
Drusiana, que Jésus-Christ, notre Seigneur, vousressuscite!
DRUSIANA.
Gloire et honneur à toi, Christ, qui me fais revivre.
CALLIMAQUE.
O ma Drusiana! grâces soient rendues à celui quivous sauve, à celui qui vous fait renaître dans la joie,vous qui aviez atteint votre dernier jour dans la tristesse.
DRUSIANA.
O mon vénérable père, bienheureux Jean, il estdigne de votre sainteté qu’après avoir ressuscité Callimaquequi m’aima d’un amour coupable, vous ressuscitiezaussi l’esclave qui lui a livré mon corpsenseveli.
CALLIMAQUE.
Apôtre du Christ, ne croyez point qu’il soit dignede vous de délivrer des liens de la mort ce traître, cemalfaiteur qui m’a trompé, qui m’a séduit, qui m’aprovoqué à oser cet horrible attentat.
[203]JEAN.
Vous ne devez point lui envier la grâce de la clémencedivine.
CALLIMAQUE.
Non, il n’est pas digne de la résurrection celui quifut cause de la perte de son prochain.
JEAN.
La loi de notre religion nous enseigne qu’un hommedoit remettre ses offenses à un autre homme, s’il souhaiteque Dieu lui remette les siennes(41).
ANDRONIQUE.
Cela est juste.
JEAN.
Car le fils unique de Dieu, le premier né de laVierge, qui seul est venu au monde innocent, immaculéet exempt de la tache du péché originel, a trouvétous les hommes courbés sous le lourd fardeau dupéché.
ANDRONIQUE.
Cela est vrai.
JEAN.
Certes, il ne pouvait rencontrer aucun juste, aucunhomme digne de sa miséricorde; cependant il ne méprisapersonne, il n’excepta personne de sa grâce et desa charité; mais il s’offrit lui-même pour tous, et donnasa vie précieuse pour le salut de tous.
ANDRONIQUE.
Si l’innocent n’eût pas été mis à mort, nul hommen’eût été justement sauvé.
[205]JEAN.
Aussi ne se réjouit-il pas de la perte des hommes,lui qui se rappelle les avoir rachetés de son sang précieux.
ANDRONIQUE.
Grâces lui soient rendues!
JEAN.
C’est pourquoi nous ne devons pas envier aux autresla grâce divine, que nous voyons avec joie abonderen nous, sans que nous l’ayons méritée.
CALLIMAQUE.
Votre remontrance m’a effrayé.
JEAN.
Néanmoins, pour ne pas paraître repousser vosdésirs, cet homme ne sera pas ressuscité par moi, maispar Drusiana, qui a reçu de Dieu le pouvoir de lefaire.
DRUSIANA.
Substance divine, qui seule es vraiment immatérielleet sans forme! toi qui as créé et modelé l’hommeà ton image(42), et qui as inspiré à ta créature le soufflede vie, permets que le corps matériel de Fortunatus recouvresa chaleur et redevienne une âme vivante, afinque notre triple résurrection tourne à ta louange, vénérableTrinité!
JEAN.
Amen.
DRUSIANA.
Réveillez-vous, Fortunatus, et, par l’ordre duChrist, rompez les liens de la mort!
[207]FORTUNATUS.
Qui me prend par la main et me relève? qui a parlépour me faire revivre?
JEAN.
Drusiana.
FORTUNATUS.
Quoi! c’est Drusiana qui m’a ressuscité?
JEAN.
Elle-même.
FORTUNATUS.
N’avait-elle pas succombé, il y a quelques jours, àune mort imprévue?
JEAN.
Oui, mais elle vit en Jésus-Christ.
FORTUNATUS.
Et pourquoi Callimaque a-t-il ce maintien grave etmodeste? pourquoi ne laisse-t-il pas éclater, selon sacoutume, son amour effréné pour Drusiana?
JEAN.
Parce que, renonçant à cette mauvaise pensée, ils’est transformé en un vrai disciple du Christ.
FORTUNATUS.
Non; cela n’est pas.
JEAN.
Il en est ainsi.
FORTUNATUS.
Eh bien! si, comme vous l’assurez, Drusiana m’aressuscité, et si Callimaque croit au Christ, je rejettela vie, et fais volontairement choix de la mort; carj’aime mieux ne pas exister que de sentir continuellementen eux une telle abondance de grâce et de vertus.
[209]JEAN.
O étonnante envie du démon! ô malice de l’antiqueserpent, qui fit goûter la coupe de la mort à nos premierspères, et qui ne cesse de gémir sur la gloire desjustes! Ce malheureux Fortunatus, tout rempli d’unfiel diabolique, ressemble à un mauvais arbre quine produit que des fruits amers. Qu’il soit donc retranchédu collége des justes et rejeté de la sociétéde ceux qui craignent le Seigneur; qu’il soit précipitédans le feu de l’éternel supplice, pour y être torturésans un seul intervalle de rafraîchissement.
ANDRONIQUE.
Voyez comme les blessures que le serpent lui a faitesse gonflent: il tourne de nouveau à la mort; il trépasseraplus vite que je n’aurai parlé.
JEAN.
Qu’il meure, et devienne un des habitants de l’enfer,lui qui, par haine du bonheur d’autrui, a refuséde vivre.
ANDRONIQUE.
Punition effroyable!
JEAN.
Rien n’est plus effroyable que l’envieux; nul n’estplus criminel que le superbe.
ANDRONIQUE.
L’un et l’autre sont misérables.
JEAN.
Un seul et même homme est toujours en proie à cesdeux vices, parce qu’ils ne vont jamais l’un sans l’autre.
ANDRONIQUE.
Expliquez-vous plus clairement.
[211]JEAN.
Oui, le superbe est envieux et l’envieux est superbe,parce qu’un esprit rongé par l’envie, ne pouvant souffrird’entendre l’éloge d’autrui et désirant voir déprimerceux qui le surpassent en perfection, dédaigned’être placé au-dessous des plus dignes et s’efforce orgueilleusementd’être mis au-dessus de ses égaux.
ANDRONIQUE.
Évidemment.
JEAN.
De là vint que ce misérable se trouva blessé au fonddu cœur, et ne put supporter l’humiliation de sereconnaître inférieur à ceux dans lesquels il voyaitbriller avec plus d’éclat la grâce divine.
ANDRONIQUE.
Je comprends enfin, maintenant, pourquoi Dieun’avait pas compté Fortunatus au nombre de ceux quidevaient ressusciter; c’est qu’il devait mourir presqueaussitôt.
JEAN.
Il méritait ce double trépas, d’abord pour avoiroutragé une sépulture qui lui était confiée, ensuitepour avoir poursuivi de sa haine injuste ceux quiétaient ressuscités.
ANDRONIQUE.
Le malheureux a cessé de vivre.
JEAN.
Retirons-nous et laissons le démon reprendre sonfils. Nous, cependant, pour célébrer dignement laconversion merveilleuse de Callimaque et cette doublerésurrection, passons ce jour dans la joie(43), rendantgrâces à Dieu, ce juge équitable, ce pénétrant[213]scrutateur de toutes les consciences, qui seul voit tout,et, disposant toutes choses comme il convient, distribueraà chacun, selon qu’il l’en aura reconnu digne,les récompenses ou les châtiments. A lui seul l’honneur,la vertu, la force, la victoire! à lui seul la gloireet le triomphe pendant la durée infinie des siècles!Amen.

IV.
ABRAHAM.

ARGUMENT D’ABRAHAM.


Chute et conversion de Marie, nièce d’Abraham, ermite.Marie, après avoir vécu vingt années en solitude, selaisse séduire, rentre dans le siècle, et ne craint pas dese mêler à une troupe de courtisanes. Au bout de deuxans, les prières d’Abraham, qui s’était présenté à ellecomme un amant, la rappellent à la vertu. Elle effaça pardes larmes abondantes, par des jeûnes, des veilles et desprières continuées pendant vingt ans, les souillures deses péchés(44).

ABRAHAM.


PERSONNAGES.

ABRAHAM,}ermites.
ÉPHREM(45),
MARIE, nièce d’Abraham.
Un ami d’Abraham.
Un hôtelier.

SCÈNE PREMIÈRE.

ABRAHAM, ÉPHREM.

ABRAHAM.
Éphrem, mon frère et le compagnon de ma solitude,vous convient-il de vous entretenir avec moi, oudois-je attendre que vous ayez fini de louer le Seigneur?
ÉPHREM.
La conversation doit avoir pour unique objet, entrenous, la louange de celui qui a promis de se trouver aumilieu de ceux qui s’assemblent en son nom.
ABRAHAM.
Je ne suis venu que pour m’entretenir de ce que jesais être agréable à la divine volonté.
[221]ÉPHREM.
C’est pourquoi je ne différerai pas cet entretien d’unseul moment, et je me donne tout à votre désir.
ABRAHAM.
Un projet fermente dans mon esprit, et je souhaiteardemment que votre volonté réponde à mes vœux.
ÉPHREM.
Avec un même cœur, avec une même âme, nousdevons vouloir ou ne vouloir pas les mêmes choses.
ABRAHAM.
J’ai une nièce toute jeune, privée de l’appui de sonpère et de sa mère. La compassion que m’inspire sonisolement me donne pour elle la plus vive affection, etj’éprouve à son sujet de continuelles inquiétudes.
ÉPHREM.
Que vous font les soucis du monde, à vous qui aveztriomphé du siècle?
ABRAHAM.
Mon seul souci est que l’éclatante beauté de manièce ne soit un jour ternie par la souillure du péché.
ÉPHREM.
Peut-on blâmer une telle crainte?
ABRAHAM.
J’espère que non.
ÉPHREM.
Quel est son âge?
[223]ABRAHAM.
Qu’une révolution de douze mois s’accomplisse, etelle aura respiré l’air vital pendant deux olympiades.
ÉPHREM.
Votre pupille est loin de la maturité.
ABRAHAM.
Aussi ne suis-je pas sans inquiétude.
ÉPHREM.
Où habite-t-elle?
ABRAHAM.
Dans mon ermitage; car, à la prière de ses parents,je l’ai prise chez moi pour l’élever; de plus,j’ai résolu de distribuer ses richesses aux pauvres.
ÉPHREM.
Le mépris des biens temporels convient à un esprittourné vers le ciel.
ABRAHAM.
Je brûle du désir de fiancer ma nièce au Christ etde la soumettre à sa discipline.
ÉPHREM.
Ce désir est louable.
ABRAHAM.
Le nom qu’elle porte m’en fait une loi.
ÉPHREM.
Quel est son nom?
ABRAHAM.
Marie.
[225]ÉPHREM.
Il est vrai que la couronne de la virginité sied bienà l’excellence d’un tel nom.
ABRAHAM.
Je ne doute pas que, si nous lui adressons de doucesexhortations, nous ne la trouvions facile à céder ànos conseils.
ÉPHREM.
Allons près d’elle, et tâchons de faire comprendre àson esprit la paisible douceur du célibat.

SCÈNE II.

Les précédents, MARIE.

ABRAHAM.
O ma fille adoptive! ô partie de mon âme! Marie,cède à mes avis paternels et aux instructions salutairesde mon compagnon Éphrem; tâche d’imiter par lachasteté la patronne de la virginité, à qui tu ressemblesdéjà par le nom.
ÉPHREM.
Il ne convient pas, ma fille, que vous qui, par lemystère de votre nom, vous élevez sur l’axe du mondeprès de Marie, la mère de Dieu, au milieu des astresqui ne doivent jamais tomber, vous rampiez, inférieure[227]en mérite, parmi les plus infimes créatures dela terre.
MARIE.
J’ignore le mystère de mon nom; de là vient que jene puis comprendre ce que signifient les circonlocutionsdont vous vous servez(46).
ÉPHREM.
Marie signifiel’étoile de la mer, autour de laquelleroule le monde, et sont appelés les peuples.
MARIE.
Pourquoi l’appelle-t-onl’étoile de la mer?
ÉPHREM.
Parce qu’elle ne se couche jamais et indique auxnavigateurs le sentier du droit chemin.
MARIE.
Et comment pourrait-il se faire que moi, si faiblecréature, formée de boue, je pusse atteindre aux méritesdont brille le mystère de mon nom?
ÉPHREM.
Vous le pourrez par une virginale pureté de corpset une entière sainteté d’esprit.
MARIE.
C’est un honneur bien grand pour un être mortel,que d’égaler les rayons des astres(47).
ÉPHREM.
Oui, si vous restez vierge et pure, vous deviendrezl’égale des anges de Dieu. Entourée de leur phalange,quand vous aurez déposé votre grossière enveloppecorporelle, traversant les airs, franchissant les nuages,[229]vous parcourrez le cercle du zodiaque et ne vous arrêterezque dans les bras du fils de la Vierge, sur lacouche radieuse de sa mère.
MARIE.
Qui ne sait pas apprécier ce bonheur vit comme labrute(48); aussi je méprise les biens terrestres, et jerenonce à moi-même, pour mériter d’être admise àjouir d’une si grande félicité.
ÉPHREM.
En vérité, nous trouvons dans le cœur de cette enfantla maturité d’esprit d’un vieillard.
ABRAHAM.
C’est à la grâce divine qu’elle le doit.
ÉPHREM.
On ne peut le nier.
ABRAHAM.
Mais, bien qu’elle soit éclairée par la grâce, il n’estpas bon, cependant, que, dans un âge aussi faible,elle soit abandonnée à sa propre volonté.
ÉPHREM.
Cela est vrai.
ABRAHAM.
Je lui construirai, auprès de mon ermitage, unecellule dont l’entrée sera très-étroite, et par la fenêtrede laquelle je lui apprendrai, dans mes fréquentes visites,les psaumes et les autres parties de la loi divine.
ÉPHREM.
Cela est convenable.
MARIE.
Éphrem, mon père, je m’abandonne à votre direction.
[231]ÉPHREM.
Que l’époux céleste à l’amour duquel vous vous êtesvouée dans un âge si tendre, vous protége, ma fille,contre toutes les ruses du démon!

SCÈNE III.

ABRAHAM, ÉPHREM.

ABRAHAM.
Éphrem, mon frère, si quelque coup de la bonne ou dela mauvaise fortune vient à m’atteindre, c’est vous queje vais trouver le premier, vous seul que je consulte.Ne repoussez donc pas les plaintes que je profère; maisassistez-moi dans ma douleur.
ÉPHREM.
Abraham, Abraham, quel chagrin éprouvez-vous?pourquoi cette tristesse qui passe toutes les bornes? Unsolitaire doit-il être agité des mêmes troubles que lesséculiers?
ABRAHAM.
Un immense sujet de deuil m’a frappé, une douleurintolérable m’accable.
ÉPHREM.
Ne me fatiguez pas par de longs détours; dites-moice que vous souffrez.
ABRAHAM.
Marie, ma fille adoptive, que j’ai pendant quatrelustres nourrie avec tant de soin, instruite avec tantde zèle...
[233]ÉPHREM.
Eh bien? Elle....
ABRAHAM.
Hélas! elle est perdue.
ÉPHREM.
Comment?
ABRAHAM.
D’une manière déplorable. Après sa faute, elle s’estéchappée secrètement.
ÉPHREM.
De quels piéges l’a donc environnée la ruse de l’antiqueserpent?
ABRAHAM.
Il s’est servi de la passion perverse d’un imposteurqui, lui rendant souvent d’hypocrites visites sous unhabit de moine(49), a enfin amené le cœur rétif decette jeune fille à partager son amour; elle en est venueà s’échapper par la fenêtre pour commettre le crime.
ÉPHREM.
Ce récit me fait frémir.
ABRAHAM.
Mais lorsque l’infortunée se sentit perdue, elle sefrappa la poitrine, se meurtrit le visage, déchira sesvêtements, s’arracha les cheveux et jeta des cris lamentables.
ÉPHREM.
Ce n’était pas sans raison; une ruine semblabledoit être pleurée par un torrent de larmes.
ABRAHAM.
Elle gémissait de n’être plus ce qu’elle avait été.
[235]ÉPHREM.
Malheur à elle!
ABRAHAM.
Elle pleurait d’avoir agi contrairement à nos préceptes.
ÉPHREM.
Oui, grandement.
ABRAHAM.
Elle répandait d’abondantes larmes, en pensantqu’elle avait perdu le fruit de ses veilles, de ses jeûneset de ses prières.
ÉPHREM.
Si elle persévérait dans un tel repentir, elle seraitsauvée.
ABRAHAM.
Elle n’y a point persévéré; mais à une premièrefaute elle a ajouté des fautes plus graves.
ÉPHREM.
Je suis troublé jusqu’au fond du cœur; tous mesmembres perdent leur force.
ABRAHAM.
Après s’être punie par ses larmes, vaincue par l’excèsde la douleur, elle se précipita dans l’abîme du désespoir.
ÉPHREM.
Hélas! quelle perte funeste!
ABRAHAM.
Désespérant de mériter jamais son pardon, elle estrentrée dans le siècle, et a résolu de se faire un instrumentdes vanités du monde.
[237]ÉPHREM.
Hélas! jamais jusqu’à ce jour les mauvais esprits n’avaientremporté une pareille victoire sur un solitaire.
ABRAHAM.
Nous sommes maintenant la proie des démons.
ÉPHREM.
Il est étonnant qu’elle ait pu s’échapper à votreinsu.
ABRAHAM.
J’avais déjà l’esprit troublé; déjà une vision effrayante,si mon esprit n’eût pas été frappé d’aveuglement(50),me présageait la ruine de Marie.
ÉPHREM.
Je voudrais entendre les détails de cette vision.
ABRAHAM.
Il me semblait que j’étais devant la porte de ma cellule,lorsqu’un dragon énorme et qui répandait l’odeurla plus fétide, s’abattit avec impétuosité sur une jeuneet blanche colombe qui se trouvait auprès de moi, lasaisit, la dévora et disparut aussitôt.
ÉPHREM.
Cette vision était bien claire.
ABRAHAM.
A mon réveil, réfléchissant à ce que j’avais vu, jecraignis que l’Église ne fût menacée d’une persécutionqui fît tomber quelques fidèles dans l’erreur.
[239]ÉPHREM.
Cela était à craindre.
ABRAHAM.
Ensuite, me prosternant pour prier, je suppliaicelui dont la prescience connaît l’avenir, de me découvrirles suites que devait avoir ce songe.
ÉPHREM.
Vous avez bien agi.
ABRAHAM.
Enfin, la troisième nuit, lorsque je reposais dansle sommeil mes membres fatigués, je crus voir le mêmedragon rouler mort à mes pieds et la colombe reparaîtreà mes yeux sans la moindre blessure.
ÉPHREM.
Ce récit me comble de joie; car je ne doute pas quevotre chère Marie ne revienne un jour près de vous.
ABRAHAM.
A mon réveil, en me rappelant ce songe, je meconsolais du malheur que me présageait le premier.Je me recueillis alors pour penser à ma pupille. Je mesouvins aussi, non sans tristesse, que depuis deuxjours je ne l’entendais plus chanter, selon sa coutume,les louanges du Seigneur.
ÉPHREM.
Ce souvenir était bien tardif.
ABRAHAM.
Je l’avoue. Je m’approchai, je frappai de la mainà la fenêtre de Marie, je l’appelai plusieurs fois en lanommant ma fille.
[241]ÉPHREM.
Hélas! vous l’appeliez en vain.
ABRAHAM.
Cette idée ne me vint pas encore; je lui demandaila cause de sa négligence à remplir ses devoirs pieux;mais je ne reçus pas le plus faible murmure pourréponse.
ÉPHREM.
Que fîtes-vous alors?
ABRAHAM.
Dès que je m’aperçus que celle que je cherchaisétait absente, mes entrailles furent émues de crainte,tout mon corps trembla.
ÉPHREM.
On ne peut s’en étonner; moi aussi j’éprouve le mêmetrouble en vous écoutant.
ABRAHAM.
Puis je remplis les airs de cris lamentables, demandantquel loup m’avait ravi mon agneau, quel brigandretenait ma fille captive?
ÉPHREM.
Vous déploriez avec raison la perte de celle que vousavez nourrie.
ABRAHAM.
Enfin arrivèrent des gens qui, sachant la vérité,me dirent ce que je vous ai raconté et m’apprirentqu’elle s’était faite la servante des vaines passions dusiècle.
ÉPHREM.
Où demeure-t-elle?
[243]ABRAHAM.
On l’ignore.
ÉPHREM.
Que ferez-vous?
ABRAHAM.
J’ai un ami fidèle qui parcourt les villes et les campagneset ne prendra pas de repos, qu’il n’ait apprisquelle terre a reçu Marie.
ÉPHREM.
Et s’il découvre sa retraite?
ABRAHAM.
Je changerai d’habits et j’irai la trouver sous l’extérieurd’un amant; j’essaierai si mes exhortationspeuvent la faire rentrer, après ce triste naufrage,dans le port de son premier repos.
ÉPHREM.
Bien; mais que ferez-vous si on vous offre à mangerdes viandes et à vider des coupes de vin?
ABRAHAM.
Je ne refuserai point, de peur d’être reconnu.
ÉPHREM.
Ce sera user d’un sage et louable discernement, quede relâcher pour quelques moments le frein étroit de ladiscipline, afin de regagner une âme à Jésus-Christ.
ABRAHAM.
Je m’enhardis d’autant plus à tenter cette entreprise,que votre pensée se trouve sur ce point conforme à lamienne.
ÉPHREM.
Celui qui connaît les replis des cœurs sait l’intention[245]qui dirige chacune de nos actions; dans son examenéquitable, il ne regarde point comme coupable deprévarication celui qui, s’affranchissant pour un momentde la rigueur d’une stricte observance, ne dédaignepoint de s’assimiler aux créatures les plus faibles,afin de ramener plus sûrement une âme égarée.
ABRAHAM.
C’est à vous cependant de m’aider de vos prières,pour empêcher que la malice du démon n’entrave mesdesseins.
ÉPHREM.
Que l’être souverainement bon, sans lequel aucunechose bonne n’est faisable, permette que votre projettourne à bien!

SCÈNE IV.

ABRAHAM,un ami d’Abraham.

ABRAHAM.
Ne vois-je pas cet ami que j’envoyai il y a plus dedeux ans à la recherche de Marie? C’est lui-même.
L’AMI.
Salut, mon vénérable père!
ABRAHAM.
Salut, obligeant ami! Je vous ai attendu longtemps,mais j’avais fini par désespérer de votre retour.
[247]L’AMI.
J’ai tardé ainsi, parce que je ne voulais pas prolongervotre inquiétude par des renseignements incertains;mais aussitôt que j’ai eu découvert la vérité, j’aihâté mon retour.
ABRAHAM.
Avez-vous vu Marie?
L’AMI.
Je l’ai vue.
ABRAHAM.
Où?
L’AMI.
Quelle chose déplorable à dire!
ABRAHAM.
Dites-la moi, je vous en supplie.
L’AMI.
Elle a choisi pour demeure la maison d’un hommequi fait un métier honteux; cet homme a pour ellebeaucoup de soins et d’attachement, et ce n’est passans raison, car chaque jour il reçoit de grosses sommesdes amants de Marie.
ABRAHAM.
Des amants de Marie!
L’AMI.
Oui.
ABRAHAM.
Et qui sont ces amants?
L’AMI.
Ils sont très-nombreux.
[249]ABRAHAM.
Hélas! ô bon Jésus! quelle monstruosité! Celle quej’avais élevée pour être ton épouse se livre, me dit-on,à des amants étrangers!
L’AMI.
Ce fut de tout temps la coutume des courtisanes dese plaire à l’amour des étrangers.
ABRAHAM.
Procurez-moi un cheval léger et un habit militaire;je veux déposer mon vêtement de religion, et me présenterà elle sous les dehors d’un amant.
L’AMI.
Voici tout ce que vous m’avez demandé.
ABRAHAM.
Apportez-moi encore, je vous prie, un grand chapeaupour voiler ma tonsure.
L’AMI.
Cette précaution est surtout nécessaire, pour quevous ne soyez pas reconnu.
ABRAHAM.
Si j’emportais avec moi une pièce d’or que je possède,afin de payer l’hôtelier?
L’AMI.
Autrement vous ne pourriez parvenir à converseravec Marie.

[251]SCÈNE V.

ABRAHAM,L’HÔTELIER.

ABRAHAM.
Salut, bon hôtelier.
L’HÔTELIER.
Qui me parle? Hôte, salut.
ABRAHAM.
Avez-vous de la place pour un voyageur qui veutpasser la nuit chez vous?
L’HÔTELIER.
Oui, sans doute; nous ne devons refuser notrehumble hôtellerie à personne.
ABRAHAM.
C’est très-louable.
L’HÔTELIER.
Entrez, on va vous préparer à souper.
ABRAHAM.
Je vous dois beaucoup pour ce gracieux accueil;mais j’ai à vous demander un plus grand service.
L’HÔTELIER.
Dites ce que vous désirez, vous l’obtiendrez, à coupsûr.
ABRAHAM.
Acceptez ce petit présent que je vous offre, et faitesen sorte que cette très-belle fille qui, je le sais, demeurechez vous, vienne prendre place à notre table.
[253]L’HÔTELIER.
Pourquoi avez-vous envie de la voir?
ABRAHAM.
Parce que je me fais une grande joie de connaîtrecette femme dont j’ai entendu louer si souvent labeauté.
L’HÔTELIER.
Ceux qui vantent ses charmes ne mentent point; carpar les grâces de son visage elle éclipse toutes lesautres femmes.
ABRAHAM.
De là vient que je brûle d’amour pour elle.
L’HÔTELIER.
Je m’étonne que vous puissiez, vieux et décrépitcomme vous êtes, soupirer d’amour pour une jeunefemme.
ABRAHAM.
Il est très-certain que je ne suis venu ici que pour lavoir(51).

SCÈNE VI.

Les précédents, MARIE.

L’HÔTELIER.
Avancez, avancez, Marie, et faites admirer votrebeauté à ce néophyte.
[255]MARIE.
Me voici.
ABRAHAM,à part.
De quelle constance, de quelle fermeté d’esprit nedois-je pas m’armer, quand je vois celle que j’ai nourriedans la solitude de mon ermitage, chargée desparures d’une courtisane? Mais il n’est pas temps quemon visage révèle ce qui se passe dans mon âme. Jeretiens avec un mâle courage mes larmes prêtes à s’échapper,et je couvre sous une feinte gaieté la profondeamertume de ma douleur.
L’HÔTELIER.
Heureuse Marie, réjouissez-vous, car, non-seulement,comme de coutume, les jeunes gens de votreâge, mais les vieillards eux-mêmes vous recherchentet accourent en foule pour vous témoigner leur amour.
MARIE.
Tous ceux qui m’aiment reçoivent de moi en retourun amour égal.
ABRAHAM.
Approchez, Marie, et donnez-moi un baiser.
MARIE.
Non-seulement je vous donnerai les plus doux baisers,mais je caresserai et j’entourerai de mes bras cecol que les ans ont courbé.
ABRAHAM.
Volontiers.
MARIE,à part.
Quelle est l’odeur que je sens? quel est le parfumextraordinaire que je respire? Cette saveur particulièreme rappelle celle de mon ancienne abstinence.
[257]ABRAHAM,à part.
C’est à présent qu’il faut feindre, à présent qu’ilfaut me livrer à de joyeux ébats comme un jeuneétourdi, de peur que ma gravité ne me fasse reconnaître,et que la honte ne la pousse à rentrer dans saretraite.
MARIE.
Hélas! malheureuse! D’où suis-je tombée? et dansquel abîme de perdition ai-je roulé?
ABRAHAM.
Ce lieu où se rassemble la foule des convives n’estpas fait pour entendre des plaintes.
L’HÔTELIER.
Dame Marie, pourquoi soupirez-vous? pourquoiversez-vous des larmes? N’habitez-vous pas ici depuisdeux ans? et jamais je ne vous ai entendu gémir;jamais je n’ai remarqué que vos propos aient été plustristes.
MARIE.
Oh! plût à Dieu que la mort m’eût enlevée il y atrois ans! Je ne serais point descendue à une vie aussicriminelle.
ABRAHAM.
Je ne suis pas venu pour pleurer vos péchés avecvous, mais pour partager votre amour.
MARIE.
Un léger repentir m’attristait et me faisait ainsiparler; mais soupons et livrons-nous à la joie; car,comme vous m’en faites souvenir, ce n’est ni le momentni le lieu de pleurer mes péchés. (Ils se mettent à table.)
[259]ABRAHAM.
Nous avons largement soupé, largement bu, grâceà votre libérale hospitalité, ô digne hôtelier. Permettez-moide me lever de table, pour aller étendredans un lit mon corps fatigué et refaire mes forcespar un doux repos.
L’HÔTELIER.
Comme il vous plaira.
MARIE.
Levez-vous, mon seigneur, levez-vous; je vais merendre avec vous dans la chambre à coucher.
ABRAHAM.
Je le désire; rien ne m’aurait fait sortir d’ici, si vousn’aviez dû m’accompagner.

SCÈNE VII.

MARIE, ABRAHAM.

MARIE.
Voici une chambre où nous serons commodément;voici un lit qui n’est point composé de pauvres matelas.Asseyez-vous, que je vous épargne la fatigued’ôter votre chaussure.
ABRAHAM.
Fermez d’abord les verroux avec soin, pour quepersonne ne puisse entrer.
[261]MARIE.
Que cela ne vous inquiète pas; je saurai faire ensorte que personne n’arrive aisément jusqu’à nous.
ABRAHAM,à part.
Il est temps maintenant d’ôter le grand chapeau quicouvre ma tête et de montrer qui je suis. (Haut.) O mafille d’adoption! ô moitié de mon âme, Marie, reconnaissez-vousen moi le vieillard qui vous a nourrieavec la tendresse d’un père et qui vous a fiancée aufils unique du Roi céleste?
MARIE.
O Dieu! c’est mon père et mon maître Abraham quime parle! (Elle demeure frappée de crainte(52).)
ABRAHAM.
Que t’est-il arrivé, ma fille?
MARIE.
Un grand malheur.
ABRAHAM.
Qui t’a trompée? qui t’a séduite?
MARIE.
Celui qui a fait tomber nos premiers pères.
ABRAHAM.
Où est la vie angélique que tu menais sur la terre?
MARIE.
Tout à fait perdue.
ABRAHAM.
Où est ta pudeur virginale? où est ton admirablechasteté?
MARIE.
Perdue!
[263]ABRAHAM.
Si tu ne rentres dans la voie du salut, quel prixpeux-tu espérer recevoir de tes jeûnes, de tes veilles,de tes prières, lorsque, tombée de la hauteur du ciel,tu t’es comme noyée dans les profondeurs de l’enfer?
MARIE.
Hélas!
ABRAHAM.
Pourquoi m’as-tu méprisé? pourquoi m’as-tu abandonné?pourquoi ne m’as-tu pas instruit de ta chute?Aidé de mon cher Éphrem, j’aurais fait pour toi unecomplète pénitence.
MARIE.
Après que je fus tombée dans le péché, souilléecomme je l’étais, je n’osai plus m’approcher de votresainteté.
ABRAHAM.
Qui jamais fut exempt de péché, si ce n’est le filsde la Vierge?
MARIE.
Personne.
ABRAHAM.
Pécher est le propre de l’humanité; ce qui est dudémon, c’est de persévérer dans ses fautes. On doitblâmer non pas celui qui tombe par surprise, maiscelui qui néglige de se relever aussitôt.
MARIE.
Malheureuse que je suis! (Elle se prosterne.)
ABRAHAM.
Pourquoi te laisses-tu abattre? pourquoi rester ainsiimmobile, prosternée à terre? Relève-toi et écoute ceque je vais dire.
[265]MARIE.
Je suis tombée frappée de terreur; je n’ai pu soutenirle poids de vos remontrances paternelles.
ABRAHAM.
Songe, ma fille, à ma tendresse pour toi, et cessede craindre.
MARIE.
Je ne puis.
ABRAHAM.
N’est-ce pas pour toi que j’ai quitté mon désert siregrettable et renoncé à l’observance de presque toutediscipline régulière? n’est-ce pas pour toi, que moi,véritable ermite, je me suis fait le compagnon de tablede gens débauchés? Moi, qui depuis si longtempsm’étais voué au silence, n’ai-je pas proféré des parolesjoviales pour ne pas être reconnu? Pourquoi baisser lesyeux et regarder la terre? pourquoi dédaignes-tu deme répondre et d’échanger avec moi tes pensées?
MARIE.
La conscience de mon crime m’accable; je n’oselever les yeux vers le ciel, ni mêler mes paroles auxvôtres.
ABRAHAM.
Ne te défie pas ainsi du ciel, ma fille; ne désespèrepas; mais sors de cet abîme de désespoir et metston espérance en Dieu.
MARIE.
L’énormité de mes péchés m’a plongée dans le plusprofond désespoir.
[267]ABRAHAM.
Vos péchés sont bien grands, je l’avoue; mais lamiséricorde divine est plus grande que toutes leschoses créées(53). Bannissez donc cette tristesse,et profitez du peu de temps qui vous est donné pourvous repentir; car la grâce divine abonde où ont leplus abondé l’abomination et les désordres.
MARIE.
Si on avait le moindre espoir de mériter son pardon,on ne manquerait pas de se livrer avec ardeur à lapénitence.
ABRAHAM.
Ayez pitié, ma fille, des fatigues auxquelles je mesuis exposé pour vous; renoncez à ce funeste découragementqui est, je le déclare, plus coupable quetoutes les fautes; car celui qui désespère de la miséricordede Dieu envers les pécheurs, commet unpéché irrémissible. En effet, comme l’étincelle quijaillit du caillou ne peut embraser la mer, l’amertumede nos péchés ne saurait altérer la douceur de laclémence divine.
MARIE.
Je ne nie pas la grandeur de la bonté suprême;mais quand je considère l’énormité de mon crime,j’ai peur qu’il n’y ait pas de pénitence qui puissesuffire à l’expier.
ABRAHAM.
Je me charge de votre iniquité; seulement retournez[269]au lieu que vous avez quitté et reprenez le genrede vie que vous avez abandonné.
MARIE.
Je ne m’opposerai jamais à aucun de vos désirs;j’obéis respectueusement à vos ordres.
ABRAHAM.
Je vois bien à présent que j’ai retrouvé ma fille,celle que j’ai nourrie; à présent c’est vous que je doischérir par-dessus toutes choses.
MARIE.
Je possède un peu d’or et quelques vêtements précieux;j’attends ce que votre autorité décidera à cetégard.
ABRAHAM.
Ce que vous avez acquis par le péché, il faut l’abandonneravec le péché.
MARIE.
Je pensais à distribuer ces objets aux pauvres oubien à les offrir aux saints autels.
ABRAHAM.
Le produit du crime n’est certainement point uneoffrande agréable à Dieu(54).
MARIE.
Je ne me préoccuperai plus de cette idée.
ABRAHAM.
L’aurore paraît; le jour est venu; partons.
MARIE.
C’est à vous, père chéri, de précéder, comme le[271]bon pasteur, la brebis que vous avez retrouvée, etmoi, marchant derrière, je suivrai vos traces.
ABRAHAM.
Il n’en sera pas ainsi; j’irai à pied et vous monterezsur mon cheval, de peur que l’aspérité du chemin neblesse la plante de vos pieds délicats(55).
MARIE.
Oh! comment vous louer dignement? par quelle reconnaissancepayer tant de bonté? Loin de me forcerau repentir par la terreur, vous m’y amenez, moi indignede pitié, par les plus douces, par les plus tendresexhortations.
ABRAHAM.
Je ne vous demande rien autre chose que de demeurerfidèle au Seigneur pendant le reste de votre vie.
MARIE.
Je m’attacherai à Dieu de toute ma volonté, de toutesmes forces; et si le pouvoir me manque, du moinsjamais la volonté ne me manquera.
ABRAHAM.
Il convient maintenant de servir Dieu avec la mêmeardeur que vous aviez mise au service des vanités dumonde.
MARIE.
Je demande à Dieu que, par vos mérites, sa volontés’accomplisse en moi.
ABRAHAM.
Hâtons notre retour.
MARIE.
Oui, hâtons-le; car tout délai m’est pénible.

[273]SCÈNE VIII.

Les mêmes.

ABRAHAM.
Avec quelle rapidité nous avons surmonté les difficultésde ce rude voyage(56)!
MARIE.
Ce qu’on fait avec dévotion se fait aisément.
ABRAHAM.
Voici votre cellule déserte.
MARIE.
Hélas! elle fut témoin et confidente de mon crime,je n’ose y entrer(57).
ABRAHAM.
Vous avez raison; il convient de fuir un lieu où letriomphe a été du côté de l’ennemi.
MARIE.
Et où m’ordonnez-vous de faire pénitence?
ABRAHAM.
Entrez dans cette cellule plus retirée, afin que levieux serpent ne trouve plus désormais l’occasion devous tromper.
MARIE.
Je ne résiste pas, et je me soumets à vos ordres.
ABRAHAM.
Je vais aller trouver mon compagnon Éphrem, afin[275]qu’il se réjouisse avec moi de ce que je vous ai retrouvée,lui qui seul a pleuré avec moi votre perte.
MARIE.
Cela est juste.

SCÈNE IX.

ABRAHAM, ÉPHREM.

ÉPHREM.
M’apportez-vous d’heureuses nouvelles?
ABRAHAM.
Oui; de très-heureuses.
ÉPHREM.
Je m’en félicite; je ne doute pas que vous n’ayez retrouvéMarie.
ABRAHAM.
Je l’ai retrouvée, en effet, et je l’ai ramenée avecjoie au bercail.
ÉPHREM.
C’est l’œuvre de l’assistance divine; je le crois.
ABRAHAM.
Il n’en faut pas douter.
ÉPHREM.
Je voudrais savoir de quelle manière elle a maintenantréglé ses mœurs et sa vie.
ABRAHAM.
Suivant ma volonté.
[277]ÉPHREM.
Rien ne peut lui être plus utile.
ABRAHAM.
Elle s’est soumise à tout ce que je lui ai ordonné defaire, quelque difficile, quelque pénible que cela fût.
ÉPHREM.
Cette obéissance est digne d’éloge.
ABRAHAM.
Revêtue d’un cilice, se mortifiant par des veilles etpar un jeûne continuel, elle observe la discipline laplus austère et force son corps délicat à subir l’empirede l’âme.
ÉPHREM.
Il est juste que les souillures d’une volupté criminellene puissent se laver que par les plus rudes macérations.
ABRAHAM.
Quand on l’entend gémir, on a le cœur déchiré;quand on voit son repentir, on se livre soi-même àla contrition.
ÉPHREM.
Il en est presque toujours ainsi.
ABRAHAM.
Elle travaille de toutes ses forces à devenir pour lemonde un exemple de conversion, comme elle a étéune cause de chute.
ÉPHREM.
Cela est bien pensé.
[279]ABRAHAM.
Plus elle a été souillée, plus elle s’efforce de se montrerpure.
ÉPHREM.
Ce récit me comble de joie et fait pénétrer la satisfactionjusqu’au fond de mon cœur.
ABRAHAM.
Et avec raison, car les phalanges angéliques se réjouissentet louent le Très-Haut pour la conversiond’un pécheur.
ÉPHREM.
On ne peut s’en étonner, car Dieu ressent peut-êtremoins de joie de la persévérance du juste que du repentirde l’impie.
ABRAHAM.
Aussi devons-nous louer d’autant plus la bonté duSeigneur envers Marie, que nous espérions moinsqu’elle pût revenir jamais à la vertu.
ÉPHREM.
Félicitons et louons, louons et glorifions l’unique, levénérable, le bien-aimé et le clément fils de Dieu,qui ne veut pas laisser périr ceux qu’il a rachetés deson sang divin.
ABRAHAM.
A lui honneur, gloire, louange et jubilation pendantles siècles sans fin! Amen.

V.
PAPHNUCE.

ARGUMENT DE PAPHNUCE.


Conversion de la courtisane Thaïs, que l’ermite Paphnuceva trouver, comme Abraham, sous les dehors d’unamant. Paphnuce la convertit et lui impose pour pénitencede rester pendant cinq ans renfermée dans uneétroite cellule. Thaïs, par cette juste expiation, est réconciliéeà Dieu, et, quinze jours après avoir accompli sapénitence, elle s’endort dans le Christ(58).

PAPHNUCE.


PERSONNAGES.

PAPHNUCE, ermite.
Disciples de Paphnuce.
THAÏS, courtisane.
Jeunes gens, amoureux de Thaïs.
ANTOINE et PAUL, ermites de la Thébaïde.
Une abbesse.


SCÈNE PREMIÈRE.

PAPHNUCE,LES DISCIPLES.

LES DISCIPLES.
Pourquoi ce sombre visage, Paphnuce notre père?Pourquoi ne nous montrez-vous pas un air serein,comme de coutume?
PAPHNUCE.
Celui dont le cœur est contristé ne peut montrerqu’un sombre visage.
LES DISCIPLES.
Quelle est la cause de votre tristesse?
PAPHNUCE.
L’injure qu’on fait au Créateur.
LES DISCIPLES.
De quelle injure parlez-vous?
[287]PAPHNUCE.
De celle que lui fait souffrir sa propre créature,formée à son image.
LES DISCIPLES.
Vos paroles nous ont effrayés.
PAPHNUCE.
Quoique son impassible majesté ne puisse être atteintepar aucun outrage, cependant, s’il m’est permisde transporter métaphoriquement à Dieu les sentimentspropres à notre faible nature, quelle plus sensibleinjure peut-on lui faire, que de mettre le mondemineur en révolte contre sa volonté, quand le mondemajeur obéit avec soumission à sa toute-puissance?
LES DISCIPLES.
Qu’est-ce que le monde mineur(59)?
PAPHNUCE.
L’homme.
LES DISCIPLES.
L’homme?
PAPHNUCE.
Sans doute.
LES DISCIPLES.
Quel homme?
PAPHNUCE.
L’homme en général.
LES DISCIPLES.
Comment cela peut-il se faire?
PAPHNUCE.
Comme il a plu au Créateur.
[289]LES DISCIPLES.
Nous ne comprenons pas.
PAPHNUCE.
C’est qu’en effet cette matière n’est pas accessible àtous les esprits.
LES DISCIPLES.
Expliquez-nous cela.
PAPHNUCE.
Prêtez-moi votre attention.
LES DISCIPLES.
Oui, et la plus complète.
PAPHNUCE.
Comme le monde majeur est formé de quatre élémentsopposés, mais qui, par la volonté du Créateur,s’accordent entre eux selon les lois de l’harmonie,de même l’homme est composé non-seulement deces quatre éléments, mais d’autres parties, qui sontencore plus contraires entre elles.
LES DISCIPLES.
Et qu’y a-t-il de plus contraire que les éléments?
PAPHNUCE.
Le corps et l’âme. Car les éléments, bien que contraires,ont cependant un point commun, qui est d’êtrematériels; au lieu que l’âme n’est pas mortelle commele corps, ni le corps spirituel comme l’âme.
LES DISCIPLES.
Cela est vrai.
[291]PAPHNUCE.
Cependant, si nous suivons la méthode des dialecticiens,nous ne conviendrons pas même que le corpset l’âme soient contraires.
LES DISCIPLES.
Et qui peut le nier?
PAPHNUCE.
Ceux qui sont exercés aux discussions de la dialectique.Rien, suivant eux, n’est contraire à lasubstance (οὐσία), qui est le réceptacle de tous les contraires.
LES DISCIPLES.
Qu’entendiez-vous tout à l’heure par cette expression:suivant les lois de l’harmonie(60)?
PAPHNUCE.
Le voici. Comme les sons graves et les sons aigus(61)produisent un résultat musical, s’ils sont unis suivantdes rapports harmoniques, de même des éléments dissonantsforment un seul monde, s’ils sont convenablementmis d’accord.
LES DISCIPLES.
Il est étonnant que des choses dissonantes puissentconcorder, ou qu’il soit possible d’appeler concordantesdes choses dissonantes.
PAPHNUCE.
C’est que rien ne peut se composer d’éléments semblables,non plus que d’éléments qui n’ont entre euxaucun rapport de proportion et qui diffèrent entièrementde substance et de nature.
[293]LES DISCIPLES.
Qu’est-ce que la musique?
PAPHNUCE.
Une des sciences du quadrivium de la philosophie.
LES DISCIPLES.
Qu’appelez-vousquadrivium?
PAPHNUCE.
L’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie(62).
LES DISCIPLES.
Pourquoi ce nom dequadrivium?
PAPHNUCE.
Parce que, comme d’un carrefour, d’où partentquatre chemins, ces quatre sciences découlent directementd’un seul et même principe de philosophie.
LES DISCIPLES.
Nous n’osons pas vous questionner sur les troisautres sciences; car à peine la faible portée de notreesprit peut-elle atteindre la hauteur de la discussionque vous avez commencée.
PAPHNUCE.
Cela est, en effet, d’une difficile intelligence.
LES DISCIPLES.
Donnez-nous quelques notions superficielles de lascience dont nous nous occupons en ce moment.
PAPHNUCE.
Je ne saurais vous en parler que très-succinctement,car elle est peu connue des solitaires.
LES DISCIPLES.
De quoi s’occupe-t-elle?
[295]PAPHNUCE.
La musique?
LES DISCIPLES.
Oui.
PAPHNUCE.
Elle traite des sons.
LES DISCIPLES.
Y en a-t-il une ou plusieurs?
PAPHNUCE.
On en compte trois, mais qui sont tellement liéesentre elles par des rapports de proportion, que ce quiest dans l’une ne peut manquer d’être dans les autres.
LES DISCIPLES.
Et quelle différence y a-t-il entre les trois?
PAPHNUCE.
La première se nomme la musique du monde oumusique céleste, la seconde la musique humaine, etla troisième l’instrumentale(63).
LES DISCIPLES.
En quoi consiste la céleste?
PAPHNUCE.
Dans les sept planètes et la sphère céleste.
LES DISCIPLES.
Comment cela?
PAPHNUCE.
Parce qu’il en est de la musique céleste comme del’instrumentale. Car on trouve dans les planètes et dansla sphère le même nombre d’intervalles, les mêmes degréset les mêmes consonnances que dans les cordes.
[297]LES DISCIPLES.
Qu’est-ce que les intervalles?
PAPHNUCE.
Les espaces appréciables qui sont entre les planètesou entre les cordes.
LES DISCIPLES.
Et les degrés?
PAPHNUCE.
La même chose que les tons(64).
LES DISCIPLES.
Nous n’avons aucune notion de ceux-ci.
PAPHNUCE.
Le ton se compose de deux sons: il est proportionnelau nombreepogdous ousesquioctave (c’est-à-diredans le rapport de 9 à 8).
LES DISCIPLES.
Plus nous faisons d’efforts pour comprendre et franchirrapidement vos premières propositions, plus vousnous en apportez sans cesse d’une difficulté croissante.
PAPHNUCE.
Cela est inévitable dans ces sortes de discussions.
LES DISCIPLES.
Dites-nous quelques mots des consonnances en général,pour qu’au moins nous sachions le sens de ceterme.
PAPHNUCE.
La consonnance est une certaine combinaison harmonique(65).
[299]LES DISCIPLES.
Comment cela?
PAPHNUCE.
Parce qu’elle est composée tantôt de quatre, tantôtde cinq, et tantôt de huit sons.
LES DISCIPLES.
A présent que nous savons qu’il y a trois consonnances,nous voudrions connaître le nom de chacuned’elles.
PAPHNUCE.
La première se nommediatessaron, comme forméede quatre sons; elle est en proportionépitrite ousesquitierce(dans le rapport de 4 à 3). La seconde se nommediapente, ou composée de cinq sons; elle est en proportionhémiole ousesquialtère (dans le rapport de 3à 2). La troisième se nommediapason; elle est en raisondouble (c’est-à-dire formée par l’union de la quarteet de la quinte)(66), et se compose de huit sons.
LES DISCIPLES.
La sphère et les planètes rendent-elles donc dessons, pour qu’on puisse les comparer aux cordes?
PAPHNUCE.
Oui, et des sons très-forts.
LES DISCIPLES.
Pourquoi ne les entendons-nous pas?
PAPHNUCE.
On en donne plusieurs raisons. Les uns pensentqu’on ne peut entendre les sons de la sphère céleste àcause de leur continuité. Les autres croient que cela[301]vient de la densité de l’air. Quelques-uns pensent qu’unaussi énorme volume de son ne peut pénétrer dans notreétroit conduit auditif(67). Quelques personnes enfinsoutiennent que la sphère produit un son si doux, sienchanteur, que si les hommes pouvaient l’entendre, ilsse réuniraient en foule, négligeraient toutes leurs affaires,et, s’oubliant eux-mêmes, suivraient le sonconducteur de l’Orient en Occident.
LES DISCIPLES.
Il vaut mieux ne pas l’entendre.
PAPHNUCE.
La prescience du Créateur en a jugé ainsi.
LES DISCIPLES.
Cela peut suffire sur la musique céleste; passons àla musique humaine.
PAPHNUCE.
Que voulez-vous en savoir?
LES DISCIPLES.
En quoi elle consiste.
PAPHNUCE.
Non-seulement elle consiste, comme je vous l’ai dit,dans l’union du corps et de l’âme, ainsi que dansl’émission de la voix tantôt grave et tantôt aiguë; maison la retrouve encore dans la pulsation des artères etdans la mesure de certains membres, tels que les articulationsdes doigts, qui nous offrent, quand nous lesmesurons, les mêmes proportions que nous avonssignalées dans les consonnances; car la musique estnon-seulement la convenance des voix, mais encorecelle des autres choses dissemblables.
[303]LES DISCIPLES.
Si nous avions prévu que le nœud de cette questiondût être si difficile à dénouer pour des ignorants, nousaurions mieux aimé ne rien savoir du monde mineur,que de nous jeter dans de telles difficultés.
PAPHNUCE.
La peine que vous avez prise n’est rien, à présentque vous savez ce que vous ignoriez auparavant.
LES DISCIPLES.
Il est vrai; mais nous n’avons aucun goût pour lesdiscussions philosophiques. Notre intelligence ne peutsaisir la subtilité de votre argumentation.
PAPHNUCE.
Pourquoi vous moquez-vous? je ne suis qu’un ignorant,et non pas un philosophe.
LES DISCIPLES.
Et d’où avez-vous tiré ces connaissances dont nousn’avons pu suivre l’exposition sans fatigue?
PAPHNUCE.
C’est une faible goutte que, par hasard et sans m’êtreassis au banquet de la science, j’ai vue, en passant,tomber de la pleine coupe des sages; je l’ai recueillie,et j’ai voulu vous en faire part.
LES DISCIPLES.
Nous rendons grâce à votre bonté; mais cettemaxime de l’Apôtre nous effraie: «Dieu choisit lesinsensés suivant le monde, pour confondre les prétendussages(68)
[305]PAPHNUCE.
Sages ou insensés mériteront d’être confondus devantle Seigneur, s’ils font le mal.
LES DISCIPLES.
Sans doute.
PAPHNUCE.
Toute la science qu’il est possible d’avoir n’est pasce qui offense Dieu, mais l’injuste orgueil de celui quisait.
LES DISCIPLES.
Cela est vrai.
PAPHNUCE.
Et à quoi la connaissance des arts serait-elle plusjustement et plus dignement employée qu’à la louangede celui qui a créé tout ce qu’on peut savoir, et quinous fournit la matière et l’instrument de la science?
LES DISCIPLES.
On n’en saurait faire un meilleur emploi.
PAPHNUCE.
Car mieux l’homme comprend par quelle loi admirableDieu a réglé le nombre, la proportion et l’équilibrede toutes choses, plus il brûle d’amour pour lui.
LES DISCIPLES.
Et c’est avec justice(69).
PAPHNUCE.
Mais pourquoi m’appesantir sur ce sujet, qui nousapporte peu de plaisir?
LES DISCIPLES.
Apprenez-nous la cause de votre tristesse, pour quenous ne soyons pas oppressés plus longtemps sous lepoids de la curiosité.
[307]PAPHNUCE.
Quand vous m’aurez entendu, vous n’aurez pas lieude vous réjouir.
LES DISCIPLES.
Trop souvent on ne trouve qu’un chagrin au fondde la curiosité satisfaite(70). Toutefois, nous ne pouvonssurmonter la nôtre: car c’est un défaut inhérentà la faiblesse humaine.
PAPHNUCE.
Une femme impudique habite dans notre pays.
LES DISCIPLES.
C’est un grand danger pour les habitants.
PAPHNUCE.
Cette femme, en qui brille une admirable beauté,se souille des impuretés les plus horribles.
LES DISCIPLES.
Malheur déplorable! Quel est son nom?
PAPHNUCE.
Thaïs.
LES DISCIPLES.
Thaïs, la courtisane?
PAPHNUCE.
Elle-même.
LES DISCIPLES.
Sa vie infâme est connue de tous.
PAPHNUCE.
Il ne faut pas s’en étonner, car il ne lui suffit pasde courir à sa perte avec un petit nombre d’amants;il n’y a personne qu’elle ne s’efforce de séduire parses charmes et d’entraîner à sa perte.
[309]LES DISCIPLES.
Calamité funeste!
PAPHNUCE.
Non-seulement les étourdis dissipent avec elle le peude biens qui leur reste; mais les riches citoyens de laville consument ce qu’ils possèdent de plus précieux,pour l’enrichir à leurs dépens.
LES DISCIPLES.
Cela fait frémir d’horreur.
PAPHNUCE.
Des troupeaux d’amants affluent chez elle.
LES DISCIPLES.
Ils se perdent eux-mêmes.
PAPHNUCE.
Ces insensés, aveuglés par leurs désirs, se disputentl’entrée de sa maison, et s’emportent en querelles.
LES DISCIPLES.
Un vice en engendre un autre.
PAPHNUCE.
Puis ils en viennent aux mains; tantôt ils se meurtrissentle visage à coups de poing, tantôt ils se repoussentles uns les autres par les armes et inondent desang le seuil de cette demeure impure.
LES DISCIPLES.
O excès détestables!
PAPHNUCE.
Voilà l’injure au Créateur que je déplorais; voilàla cause de ma douleur.
[311]LES DISCIPLES.
Ce n’est pas sans motif que vous vous affligez, etnous ne doutons pas que les citoyens de la patrie célesten’en soient contristés comme vous.
PAPHNUCE.
Si j’allais la trouver sous les dehors d’un amant,peut-être pourrais-je l’amener à renoncer à ces désordres?
LES DISCIPLES.
Puisse celui qui a versé ce dessein dans votre penséevous donner le pouvoir de l’accomplir!
PAPHNUCE.
Prêtez-moi cependant l’appui de vos prières assidues,pour que je puisse vaincre les ruses du serpentmaudit.
LES DISCIPLES.
Que celui qui a terrassé le roi des habitants desténèbres vous fasse triompher de l’ennemi du genrehumain!

SCÈNE II.

PAPHNUCE,LES AMANTS DE THAÏS.

PAPHNUCE.
J’aperçois des jeunes gens dans le forum. Je vais lesaborder et leur demander où je trouverai celle que jecherche.
LES JEUNES GENS.
Cet inconnu semble vouloir nous aborder; voyonsce qu’il nous veut.
[313]PAPHNUCE.
Holà! jeunes gens, qui êtes-vous?
LES JEUNES GENS.
Des habitants de cette ville.
PAPHNUCE.
Je vous salue.
LES JEUNES GENS.
Nous vous saluons aussi, qui que vous soyez, étrangerou citoyen.
PAPHNUCE.
Je suis étranger.
LES JEUNES GENS.
Pourquoi venez-vous ici? que cherchez vous?
PAPHNUCE.
Ce n’est pas une chose à dire.
LES JEUNES GENS.
Pourquoi?
PAPHNUCE.
C’est mon secret.
LES JEUNES GENS.
Vous feriez mieux de nous parler avec confiance;car, n’étant pas de cette ville, vous aurez de la peineà faire ce que vous désirez, sans les conseils des habitants.
PAPHNUCE.
Et si je parle, et qu’en parlant j’élève un obstacle àmes desseins?
[315]LES JEUNES GENS.
Aucun ne viendra de nous.
PAPHNUCE.
Je cède à vos promesses bienveillantes et me fie àvotre loyauté. Je vais vous communiquer mon secret.
LES JEUNES GENS.
Vous ne rencontrerez de notre part ni infidélité nientrave.
PAPHNUCE.
J’ai appris, par de nombreux rapports, qu’il habiteparmi vous une femme que tout le monde est forcéd’aimer, et qui est affable pour tout le monde.
LES JEUNES GENS.
Savez-vous son nom?
PAPHNUCE.
Oui.
LES JEUNES GENS.
Comment s’appelle-t-elle?
PAPHNUCE.
Thaïs.
LES JEUNES GENS.
C’est le feu qui embrase nos concitoyens.
PAPHNUCE.
On la dit la plus belle et la plus voluptueuse detoutes les femmes.
LES JEUNES GENS.
Ceux qui vous ont ainsi parlé d’elle ne vous ontpas trompé.
PAPHNUCE.
C’est pour elle que j’ai supporté la longueur d’unpénible voyage. Je ne suis venu que pour la voir.
[317]LES JEUNES GENS.
Rien ne s’oppose à ce que vous la voyiez.
PAPHNUCE.
Où demeure-t-elle?
LES JEUNES GENS.
Voyez, son logis est tout proche.
PAPHNUCE.
Est-ce cette maison que vous me montrez du doigt?
LES JEUNES GENS.
Oui.
PAPHNUCE.
J’y vais.
LES JEUNES GENS.
Si vous voulez, nous vous accompagnerons.
PAPHNUCE.
Je préfère y aller seul.
LES JEUNES GENS.
Comme il vous plaira.

SCÈNE III.

PAPHNUCE, THAIS.

PAPHNUCE.
Êtes-vous ici dedans, Thaïs, vous que je cherche?
THAÏS.
Qui est là? quel inconnu me parle?
PAPHNUCE.
Un homme qui vous aime.
[319]THAÏS.
Quiconque m’aime est payé de retour.
PAPHNUCE.
O Thaïs! Thaïs! quel long et pénible voyage j’aientrepris, pour avoir le bonheur de vous parler et decontempler votre beauté!
THAÏS.
Je ne me dérobe point à vos regards; je ne refusepas de m’entretenir avec vous.
PAPHNUCE.
Une conversation aussi intime que celle que je désiredemande un lieu plus solitaire.
THAÏS.
Voici une chambre bien meublée, et qui offre uneagréable habitation.
PAPHNUCE.
N’y a-t-il pas un réduit plus retiré, où nous puissionscauser plus secrètement?
THAÏS.
Oui, il y a encore dans ce logis un lieu plus reculé,et si secret, qu’avec moi il n’y a que Dieu qui le connaisse.
PAPHNUCE.
Quel Dieu?
THAÏS.
Le vrai Dieu.
[321]PAPHNUCE.
Vous croyez donc que Dieu sait quelque chose dece qui nous concerne?
THAÏS.
Je n’ignore pas que rien ne lui est caché.
PAPHNUCE.
Pensez-vous qu’il reste indifférent aux actions despécheurs, ou qu’il les juge, au contraire, avec équité?
THAÏS.
Je crois que, dans la balance de sa justice, il pèseles actions de tous les hommes, et qu’il dispense lechâtiment ou la récompense à chacun suivant sesœuvres.
PAPHNUCE.
O Christ! combien ta bonté pour nous est admirableet patiente! Ceux même qui te connaissent, et quetu vois pécher, tu tardes encore à les punir.
THAÏS.
Pourquoi tremblez-vous et changez-vous de couleur?Pourquoi versez-vous des larmes?
PAPHNUCE.
Votre présomption me fait horreur, je déplore votrechute; car vous saviez ces vérités, et, cependant, vousavez perdu un si grand nombre d’âmes!
THAÏS.
Malheur, malheur à moi!
PAPHNUCE.
Vous serez damnée, avec d’autant plus de justice quevous avez, avec une plus grande présomption, offensésciemment la Majesté divine!
[323]THAÏS.
Hélas! hélas! que dites-vous? Quelles menacesadressez-vous à une malheureuse femme?
PAPHNUCE.
Les supplices de l’enfer vous atteindront, si vouspersévérez dans le crime.
THAÏS.
La sévérité de vos réprimandes ébranle profondémentmon cœur effrayé.
PAPHNUCE.
Oh! plût à Dieu qu’une si grande terreur pénétrâtjusqu’au fond de vos entrailles, que vous n’eussiezplus l’audace de céder à de dangereuses voluptés!
THAÏS.
Et quelle place peut-il rester à présent pour lesplaisirs corrompus dans un cœur où règnent sanspartage un repentir amer et l’épouvante nouvelleque m’inspirent des crimes dont je connais l’énormité?
PAPHNUCE.
Ce que je souhaite, c’est que, coupant les épines duvice, vous fassiez couler sur vos fautes le torrent dela componction.
THAÏS.
Oh! si vous pouviez croire, oh! si vous pouviezespérer qu’une pécheresse souillée, comme je le suis,par la fange de mille et mille impuretés, pût jamaisexpier ses crimes et mériter son pardon par une pénitence,quelque dure qu’elle fût!...
[325]PAPHNUCE.
Il n’est point de péché si grave, point de crime siénorme, que ne puissent expier les larmes du repentir,pourvu qu’elles soient suivies d’œuvres effectives.
THAÏS.
Montrez-moi, je vous prie, mon père, par quellesœuvres méritoires je puis obtenir le bienfait de ma réconciliation.
PAPHNUCE.
Méprisez le siècle, et fuyez la compagnie de vosamants dissolus.
THAÏS.
Et que me faudra-t-il faire ensuite?
PAPHNUCE.
Vous retirer dans un lieu solitaire, où, en faisantvotre examen intérieur, vous puissiez pleurer sur l’énormitéde votre péché.
THAÏS.
Si vous espérez que cela puisse être utile à mon salut,je ne tarde pas un seul instant.
PAPHNUCE.
Je ne doute pas que cela ne vous soit utile.
THAÏS.
Accordez-moi seulement un court délai, pour réunirles richesses que j’ai si mal acquises et que j’ai troplongtemps conservées.
PAPHNUCE.
Ne vous inquiétez pas de ces choses; il ne manquerapas de gens qui s’en serviront, quand ils les auronttrouvées.
[327]THAÏS.
Je ne m’inquiète de ces biens ni pour les garder, nipour les donner à mes amis: je ne songe pas même àles distribuer aux indigents; car je ne crois pas quele prix de ce qui demande une expiation puisse êtreconvenablement employé en bonnes œuvres(71).
PAPHNUCE.
Vous avez raison. Et qu’avez-vous résolu de faire deces monceaux de richesses?
THAÏS.
Je veux les livrer aux flammes et les réduire encendres.
PAPHNUCE.
Pourquoi?
THAÏS.
Pour ne rien laisser dans le monde de ce que je n’aiacquis qu’en péchant et en outrageant le Créateur dumonde.
PAPHNUCE.
Oh! que vous êtes différente de cette Thaïs quibrûlait naguère de passions impures, et qui était altéréed’or(72)!
THAÏS.
Peut-être deviendrai-je meilleure, si cela plaît à Dieu.
PAPHNUCE.
Il n’est pas difficile à son essence immuable de changertoutes choses à son gré.
THAÏS.
Je vais mettre à exécution le projet que j’ai conçu.
[329]PAPHNUCE.
Allez en paix, et hâtez-vous de revenir vers moi.

SCÈNE IV.

THAÏS,SES AMANTS.

THAÏS.
Venez tous ici; accourez, amants insensés!
LES AMANTS.
C’est la voix de Thaïs qui nous appelle; allons vite,pour ne pas l’offenser par nos lenteurs.
THAÏS.
Approchez! accourez! j’ai à échanger avec vousquelques paroles.
LES AMANTS.
O Thaïs! Thaïs! que signifie ce bûcher que vousélevez? Pourquoi y entassez-vous ce nombre infinid’objets précieux?
THAÏS.
Vous le demandez?
LES AMANTS.
Nous sommes frappés de surprise.
THAÏS.
Je vais vous le dire sans délai.
[331]LES AMANTS.
Nous le désirons.
THAÏS.
Regardez! (Elle met le feu au bûcher.)
LES AMANTS.
Arrêtez! arrêtez, Thaïs! que faites-vous? Avez-vousperdu la raison?
THAÏS.
Je ne l’ai pas perdue; je l’ai recouvrée!
LES AMANTS.
Pourquoi sacrifiez-vous ainsi quatre cents livres d’oret tant de richesses de toutes sortes?
THAÏS.
Je veux consumer dans les flammes tout ce que j’aiarraché de vous par de mauvaises actions, afin qu’ilne vous reste plus la moindre espérance de me voirjamais céder à votre amour.
LES AMANTS.
Arrêtez, un moment! arrêtez! et découvrez-nous lacause du trouble où vous êtes.
THAÏS.
Je ne veux ni rester, ni vous parler plus longtemps.
LES AMANTS.
D’où viennent ces dédains et ce mépris? Nous reprochez-vousquelque infidélité? N’avons-nous pastoujours satisfait vos désirs? et voilà que vous nousaccablez injustement d’une haine imméritée!
THAÏS.
Laissez-moi; ne déchirez pas mes vêtements pourme retenir! Qu’il vous suffise que jusqu’à ce jour j’aie[333]consenti à pécher avec vous. Il est temps de mettre unterme à mes fautes. Le moment de nous séparer estvenu.
LES AMANTS.
Où va-t-elle?
THAÏS.
Dans un lieu où nul d’entre vous ne me verra.
LES AMANTS.
Grand Dieu! quel est ce prodige? Thaïs, nos délices,elle qui ne songeait qu’à s’enrichir, elle quin’eut jamais d’autre pensée que le plaisir, et quis’était livrée tout entière à la volupté, voilà qu’ellesacrifie sans retour tant de monceaux d’or et de pierreries!Elle nous méprise, nous ses amants, et nous aprivés tout à coup de sa présence!

SCÈNE V.

THAÏS, PAPHNUCE.

THAÏS.
Me voici, Paphnuce mon père. Je viens à vous touteprête à vous obéir.
PAPHNUCE.
Votre retard commençait à m’inquiéter; je craignaisque vous ne vous fussiez engagée de nouveaudans les distractions du siècle.
[335]THAÏS.
N’ayez pas cette crainte: les pensées qui roulentdans mon esprit sont bien différentes. J’ai disposé dema fortune comme je le voulais, et j’ai renoncé publiquementà mes amants.
PAPHNUCE.
Puisque vous avez renoncé à eux, vous pouvezmaintenant vous unir à votre amant qui est au ciel.
THAÏS.
C’est à vous de me tracer, comme avec une règle,la conduite que je dois tenir.
PAPHNUCE.
Suivez-moi.
THAÏS.
Mes pas vous suivront, et plût à Dieu que je pussevous suivre de même par mes actions!

SCÈNE VI.

Les précédents.

PAPHNUCE.
Vous voyez ce monastère; il est habité par un noblecollége de vierges consacrées à Dieu. C’est là que jedésire que vous passiez le temps de votre pénitence.
THAÏS.
Je ne résiste point à vos ordres.
[337]PAPHNUCE.
Je vais entrer et prier l’abbesse, directrice de cettemaison, de vouloir bien vous y recevoir.
THAÏS.
Que dois-je faire en attendant?
PAPHNUCE.
Entrez avec moi.
THAÏS.
J’obéis.
PAPHNUCE.
L’abbesse vient à notre rencontre. Je ne comprendspas qui l’a si promptement instruite de notre arrivée.
THAÏS.
C’est la renommée, dont nul retard n’arrête lacourse.

SCÈNE VII.

Les mêmes, L’ABBESSE.

PAPHNUCE.
Je vous rencontre à propos, illustre abbesse; c’estvous que je cherche.
L’ABBESSE.
Vous êtes le bien-venu, Paphnuce notre vénérablepère. Bénie soit votre arrivée, vous que chérit le Seigneur!
[339]PAPHNUCE.
Que la grâce du souverain Créateur répande survous la béatitude de sa bénédiction éternelle!
L’ABBESSE.
D’où me vient ce bonheur, que votre Sainteté daignavisiter aujourd’hui mon humble habitation?
PAPHNUCE.
J’ai besoin de votre assistance dans une nécessitépressante.
L’ABBESSE.
Vous n’avez qu’à m’apprendre, d’un mot, ce quevous désirez de moi; je m’empresserai de vous obéiret de satisfaire à vos vœux, selon mon pouvoir.
PAPHNUCE.
Je vous apporte une chèvre demi-morte, que j’aiarrachée à la dent du loup; je vous prie de lui accorder,pour la guérir, votre miséricordieuse sollicitude,jusqu’à ce qu’elle ait échangé sa rude peau de chèvrecontre une douce toison de brebis.
L’ABBESSE.
Expliquez-vous plus clairement.
PAPHNUCE.
Cette femme que vous voyez a mené la vie d’unecourtisane.
L’ABBESSE.
Cela est déplorable.
PAPHNUCE.
Elle s’est abandonnée tout entière aux plaisirs sensuels.
[341]L’ABBESSE.
Elle s’est perdue elle-même.
PAPHNUCE.
Mais enfin, par mes conseils, et avec le secours duChrist, elle n’a plus à présent que de l’aversion pourles vanités qui la séduisaient, et elle a résolu de vivrechaste.
L’ABBESSE.
Grâces soient rendues à l’auteur de cette conversion!
PAPHNUCE.
Les maladies de l’âme, comme celles du corps,se guérissent par l’emploi des contraires. Il faut doncque cette pécheresse, séquestrée des agitations dusiècle, soit renfermée seule dans une cellule étroite,où elle puisse, avec plus de loisir, méditer sur ses fautes.
L’ABBESSE.
Rien n’est plus utile.
PAPHNUCE.
Donnez des ordres pour qu’une cellule soit construitele plus tôt possible.
L’ABBESSE.
Elle le sera dans un court délai.
PAPHNUCE.
Il faut n’y laisser ni entrée, ni sortie, mais seulementune petite fenêtre, par laquelle elle puisse recevoirun peu de nourriture, que vous lui ferez donnerdiscrètement à des jours et des heures marqués.
[343]L’ABBESSE.
Je crains que la faiblesse de cette femme habituéeau luxe n’ait peine à supporter la rigueur d’une pénitenceaussi dure.
PAPHNUCE.
N’ayez pas cette inquiétude: il faut pour de grandesfautes recourir à des remèdes proportionnés.
L’ABBESSE.
Cela est vrai.
PAPHNUCE.
Ce qui m’inquiète davantage, ce sont les délais;je crains qu’elle ne retombe dans la société corrompuedes hommes.
L’ABBESSE.
Pourquoi cette inquiétude? Que ne la renfermez-vous?La cellule que vous avez demandée est prête.
PAPHNUCE.
Tant mieux. Entrez, Thaïs, dans ce réduit, oùvous pourrez convenablement pleurer vos désordres.
THAÏS.
Que cette cellule est étroite et obscure! Que ce séjourest incommode pour une femme délicate!
PAPHNUCE.
Pourquoi maudissez-vous cette habitation? Pourquoifrémissez-vous d’y entrer? Indomptée jusqu’à cejour, vous avez erré sans contrainte; il convient aujourd’huique vous receviez un frein dans la solitude.
THAÏS.
L’âme accoutumée aux plaisirs des sens ne peut sedéfendre de quelques retours vers sa première vie.
[345]PAPHNUCE.
C’est pourquoi les rênes de la discipline doivent laretenir, jusqu’à ce que la révolte ait cessé.
THAÏS.
Avilie, comme je le suis, je ne refuse pas d’obéiraux ordres de votre paternité; mais il y a dans cettehabitation un inconvénient bien difficile à supporterpour ma faiblesse.
PAPHNUCE.
Quel est cet inconvénient?
THAÏS.
Je rougis de le dire.
PAPHNUCE.
Ne rougissez pas, et parlez sans détour.
THAÏS.
Qu’y a-t-il de plus pénible, de plus révoltant qued’être forcée de satisfaire dans un même lieu à toutesles nécessités corporelles? Il est certain que cette cellulesera bientôt infecte et inhabitable.
PAPHNUCE.
Craignez les douleurs de la torture éternelle, et neredoutez pas les maux passagers.
THAÏS.
C’est ma faiblesse qui me force à craindre.
PAPHNUCE.
Il est convenable que vous expiiez par des incommoditésrebutantes la mollesse et les jouissances coupablesde votre vie passée.
[347]THAÏS.
Je ne résiste pas: je conviens qu’il est juste que,souillée par l’impureté, j’habite une fosse impure et fétide.Je gémis seulement de voir qu’il ne me resteraaucune place où je puisse convenablement et décemmentinvoquer le nom de la redoutable Majesté.
PAPHNUCE.
Et d’où vous vient cette présomption d’oser prononcerde vos lèvres salies le nom de la Divinité sanstache?
THAÏS.
Et de qui puis-je espérer mon pardon? qui me sauverapar sa miséricorde, s’il m’est défendu d’invoquercelui contre qui seul j’ai péché, et à qui seul je doisoffrir mes prières ferventes?
PAPHNUCE.
Vous devez prier non par des paroles, mais par deslarmes; non par le son plaintif de votre voix, maispar le râle de votre cœur repentant.
THAÏS.
S’il n’est pas permis à ma voix de prier Dieu, commentpuis-je espérer mon pardon?
PAPHNUCE.
Vous l’obtiendrez d’autant plus vite, que votre humilitésera plus parfaite. Dites seulement: «O monCréateur, ayez pitié de moi!»
THAÏS.
J’ai bien besoin qu’il m’accorde sa pitié, pour n’êtrepas vaincue dans ce périlleux combat.
[349]PAPHNUCE.
Combattez avec courage, et vous obtiendrez uneheureuse victoire.
THAÏS.
C’est à vous de prier pour me faire obtenir lapalme du triomphe.
PAPHNUCE.
Cette recommandation n’est pas nécessaire.
THAÏS.
J’ai l’espérance. (Elle entre dans la cellule.)
PAPHNUCE.
Il est temps de reprendre le chemin désiré de masolitude, et d’aller revoir mes disciples chéris. Vénérableabbesse, je confie cette captive à votre sollicitudeet à votre charité. Je vous prie de lui donner le nécessaire,avec un peu d’indulgence pour son corps délicat,et de régénérer abondamment son âme par vossalutaires exhortations.
L’ABBESSE.
Soyez sans inquiétude, j’aurai pour elle une tendresseet des soins de mère.
PAPHNUCE.
Je pars.
L’ABBESSE.
Allez en paix(73).

[351]SCÈNE VIII.

PAPHNUCE,LES DISCIPLES.

LES DISCIPLES.
Qui heurte à la porte?
PAPHNUCE.
Moi.
LES DISCIPLES.
C’est la voix de Paphnuce notre père!
PAPHNUCE.
Otez le verrou.
LES DISCIPLES.
Salut, ô notre père!
PAPHNUCE.
Salut.
LES DISCIPLES.
La durée de votre absence nous inquiétait beaucoup.
PAPHNUCE.
Je me félicite de m’être absenté.
LES DISCIPLES.
Qu’avez-vous fait de Thaïs?
PAPHNUCE.
Ce que j’avais projeté.
LES DISCIPLES.
Où l’avez-vous conduite?
PAPHNUCE.
Dans une étroite cellule, où elle pleure ses péchés.
[353]LES DISCIPLES.
Gloire à la sainte Trinité!
PAPHNUCE.
Et que béni soit son nom redoutable, maintenantet dans tous les siècles!
LES DISCIPLES.
Amen.

SCÈNE IX.

PAPHNUCE,seul.

 
Il y a trois ans(74) que Thaïs subit sa pénitence,et j’ignore si son repentir est agréable à Dieu. Je vaisaller trouver mon frère Antoine, afin que, par sonintervention, la vérité se manifeste à moi.

SCÈNE X.

Le même, ANTOINE.

ANTOINE.
Quel bonheur inespéré! quel sujet imprévu de joie!ne vois-je pas Paphnuce, mon frère et mon compagnonde solitude? C’est lui-même.
[355]PAPHNUCE.
C’est moi, en effet.
ANTOINE.
Vous êtes le bien-venu, mon frère, votre bonne arrivéeme comble de joie.
PAPHNUCE.
Je ne suis pas moins joyeux de vous voir que vousne l’êtes de ma venue.
ANTOINE.
Quel événement si heureux, si agréable pour nous,vous a fait sortir de votre retraite et vous amène ici?
PAPHNUCE.
Je vais vous le dire.
ANTOINE.
Je le souhaite.
PAPHNUCE.
Il y a plus de trois ans qu’une courtisane nomméeThaïs était venue s’établir dans notre voisinage. Non-seulementelle courait à sa perte, mais elle entraînaitune foule d’âmes à la mort.
ANTOINE.
Oh! déplorable désordre!
PAPHNUCE.
J’allai la trouver sous les dehors d’un amant. Tantôtje m’efforçais de ramener par de douces remontrancesce cœur livré à la volupté, tantôt je l’effrayaispar d’énergiques conseils et de terribles menaces.
[357]ANTOINE.
Un semblable mélange était bien approprié à cegenre de faiblesse(75).
PAPHNUCE.
Elle céda enfin, et, renonçant à ses habitudes honteuses,elle se voua à la chasteté et consentit à s’enfermerdans une étroite cellule.
ANTOINE.
Ce que vous m’apprenez me cause tant de satisfaction,que toutes les fibres de mon cœur en ont tressaillide joie.
PAPHNUCE.
De tels sentiments sont dignes de votre sainteté.Pour moi, quoique je me réjouisse infiniment de cetteconversion, j’éprouve cependant une fort grave inquiétude.Je crains que cette femme délicate n’ait tropde peine à supporter une pénitence si longue.
ANTOINE.
La vraie charité est toujours accompagnée d’unepieuse compassion.
PAPHNUCE.
Je vous demande ces tendres sentiments pour Thaïs.Daignez, vous et vos disciples, unir vos prières auxmiennes, jusqu’à ce que le ciel nous fasse connaître siles larmes de notre pénitente ont attendri et amené àl’indulgence la miséricorde divine.
ANTOINE.
Nous consentons bien volontiers à votre demande.
[359]PAPHNUCE.
Dieu dans sa clémence vous exaucera, j’en suiscertain.

SCÈNE XI.

Les mêmes,ensuite PAUL.

ANTOINE.
Déjà la promesse évangélique s’est accomplie ennous.
PAPHNUCE.
Quelle promesse?
ANTOINE.
Celle qui nous assure qu’en unissant nos prièresnous pourrons tout obtenir de Jésus-Christ(76).
PAPHNUCE.
Qu’est-il arrivé?
ANTOINE.
Mon disciple Paul vient d’avoir une vision.
PAPHNUCE.
Appelez-le.
ANTOINE.
Paul, approchez, et racontez à Paphnuce ce quevous avez vu.
PAUL.
J’ai vu dans le ciel un lit magnifique, tendu de blanc,auprès duquel se tenaient debout et comme en sentinelle,quatre jeunes vierges brillantes de clarté. En admirantcette réjouissante splendeur, je disais à part moi:[361]une telle gloire n’appartient à personne autant qu’àmon père et à mon maître Antoine.
ANTOINE.
Je ne me crois pas digne d’une semblable béatitude.
PAUL.
A peine avais-je achevé cette réflexion, qu’une voixdivine et tonnante me dit: «Ce n’est pas à Antoine,comme tu l’espères, mais à Thaïs la courtisane, quecette gloire est réservée.»
PAPHNUCE.
Grâces soient rendues à la douceur de ta miséricorde,Christ, fils unique de Dieu, qui as daigné accordercette consolation à ma tristesse!
ANTOINE.
Louons le Seigneur; il en est digne.
PAPHNUCE.
Je vais visiter ma captive.
ANTOINE.
Le temps est venu de lui faire espérer son pardonet de la consoler par la promesse de la béatitude éternelle.

[363]SCÈNE XII.

PAPHNUCE, THAÏS.

PAPHNUCE.
Thaïs! ma fille adoptive! ouvrez votre fenêtre, queje vous voie.
THAÏS.
Qui me parle?
PAPHNUCE.
Paphnuce, votre père.
THAÏS.
D’où me vient un si grand bonheur, que vous daigniezme visiter, moi, pauvre pécheresse?
PAPHNUCE.
Quoique depuis ces trois ans j’aie été absent decorps, je n’ai pas moins éprouvé une constante sollicitudepour votre salut.
THAÏS.
Je n’en doute pas.
PAPHNUCE.
Exposez-moi l’histoire de votre régime intérieur etles degrés de votre repentir.
THAÏS.
Je ne puis vous dire qu’une seule chose, c’est queje sais n’avoir rien fait qui soit digne du Seigneur.
PAPHNUCE.
Si Dieu scrutait toutes nos iniquités, nul ne pourraitsoutenir cet examen.
[365]THAÏS.
Si cependant vous voulez savoir ce que j’ai fait: j’airéuni dans ma pensée, comme en un faisceau, la multitudede mes fautes; je n’ai pas cessé de les contempleret de les repasser dans mon esprit. Aussi, commel’odeur infecte de ma cellule ne quittait point mes narines,de même la crainte de l’enfer ne s’est pas éloignéeun moment des yeux de ma conscience.
PAPHNUCE.
Parce que vous vous êtes punie vous-même par lerepentir, vous avez mérité votre pardon.
THAÏS.
Oh! plût au ciel!
PAPHNUCE.
Donnez-moi la main, que je vous aide à sortir.
THAÏS.
Non, mon vénérable père! non, ne me retirez pasde ce fumier, souillée comme je suis: laissez-moi dansce lieu bien digne de mes mérites.
PAPHNUCE.
Le temps est venu pour vous de déposer la crainteet de commencer à espérer la vie éternelle, car votrepénitence est agréable à Dieu.
THAÏS.
Que tous les anges louent sa miséricorde, puisqu’iln’a pas repoussé l’humble repentir d’un cœur contrit!
PAPHNUCE.
Persistez dans la crainte de Dieu et maintenez-vousdans son amour; car lorsque quinze jours se serontécoulés, vous dépouillerez votre enveloppe humaine,et, votre course ici-bas étant heureusement achevée,[367]vous irez, avec le secours de la grâce suprême, habiterles astres.
THAÏS.
Oh! puissé-je échapper aux tourments de l’enfer, oudu moins être brûlée par des flammes moins ardentes!car je ne saurais obtenir par mes mérites la béatitudeéternelle.
PAPHNUCE.
La grâce, ce don gratuit de la divinité, ne pèse pointle mérite des hommes; car, si elle n’était accordéequ’aux mérites, on ne l’appellerait pas la grâce(77).
THAÏS.
Que le concert des cieux, que tous les arbrisseauxde la terre, que toutes les espèces d’animaux, que lesgouffres même des lacs et des mers s’unissent pourlouer celui qui non-seulement supporte les pécheurs,mais qui prodigue encore généreusement des récompensesgratuites à ceux qui se repentent!
PAPHNUCE.
Il a, de toute éternité, préféré la miséricorde auxchâtiments(78).

[369]SCÈNE XIII.

Les mêmes.

THAÏS.
Ne me quittez pas, mon vénérable père! restez auprèsde moi, pour me consoler à l’heure où mon corpsva se dissoudre.
PAPHNUCE.
Non, je ne m’en irai point, je ne m’éloignerai point,jusqu’au moment où votre âme se sera élancée triomphanteau ciel, et où j’aurai livré votre corps à la sépulture.
THAÏS.
Voici que je commence à mourir.
PAPHNUCE.
C’est à présent l’heure de prier.
THAÏS.
Vous qui m’avez formée, ayez pitié de moi, et permettezque l’âme que vous avez soufflée dans mon seinretourne heureusement vers vous.
PAPHNUCE.
Toi qui n’as point eu de créateur, forme vraimentimmatérielle, dont l’essence simple a formé de diversesparties l’homme qui n’est pas, comme toi, celui quiest, permets que les éléments dont cette créature humaineest composée rejoignent sans obstacle le principede leur origine; que l’âme venue du ciel participe[371]aux joies célestes, et que le corps trouve une couchepaisible au sein de la terre d’où il est sorti, jusqu’aujour où cette poussière se réunissant et le soufflede la vie animant de nouveau ces membres, cettemême Thaïs ressuscitera, créature complète commeautrefois, pour prendre place parmi les blanchesbrebis du Seigneur et entrer dans la joie de l’éternité(79);ô toi, qui seul es ce que tu es, qui règnes dansl’unité de la Trinité, et qui es perpétuellement glorifiédans les siècles des siècles.

VI.
SAPIENCE.

ARGUMENT.


Passion des vierges saintes, Foi, Espérance et Charité,que l’empereur Hadrien(80) fait périr par divers supplicessous les yeux de Sapience, leur vénérable mère, qui lesexhorte, au nom de l’autorité maternelle, à supporterles tortures. Dès que le martyre est consommé, la saintemère réunit les corps de ses filles, les embaume et leurdonne une sépulture honorable à cinq milles de Rome.Elle-même, au bout de quarante jours, rend son âmeau ciel, en prononçant auprès de leurs tombes les derniersmots d’une pieuse oraison(81).

SAPIENCE,
ou
FOI, ESPÉRANCE ET CHARITÉ.


PERSONNAGES.

ANTIOCHUS, préfet de Rome(82).
HADRIEN, empereur.
SAPIENCE, princesse grecque.
FOI,}filles de Sapience.
ESPÉRANCE,
CHARITÉ,
Matrones romaines.
Soldats etBourreaux, personnages muets.

SCÈNE PREMIÈRE.

ANTIOCHUS, HADRIEN.

ANTIOCHUS.
Dans mon désir, ô empereur Hadrien, de voir toutsuccéder au gré de vos vœux et les fondements devotre empire à l’abri des perturbations, je m’efforced’arracher promptement et d’anéantir dans leurs racines[379]toutes les causes de troubles qui pourraientébranler la république et porter atteinte au calme devotre esprit.
HADRIEN.
Et vous n’avez pas tort; car votre bonheur est attachéà ma prospérité. Je vous élève, chaque jour, à deplus grands honneurs.
ANTIOCHUS.
J’en rends grâces à votre bonté paternelle. Aussià peine vois-je surgir quelque obstacle à votre pouvoir,que, loin de le dissimuler, je vous le dénoncesans retard.
HADRIEN.
Et vous agissez comme il convient pour n’être pasaccusé de lèse-majesté, en cachant ce qui ne doit pointêtre caché.
ANTIOCHUS.
Je n’ai jamais eu à craindre une pareille accusation.
HADRIEN.
Assurément; mais dites-moi si vous ne savez rien denouveau.
ANTIOCHUS.
Une femme étrangère est arrivée depuis peu dansRome, accompagnée de trois jeunes enfants qui sontnés d’elle.
HADRIEN.
De quel sexe sont ces enfants?
ANTIOCHUS.
Tous trois du sexe féminin.
[381]HADRIEN.
Pensez-vous que l’arrivée de ces faibles femmespuisse amener quelques résultats nuisibles à la république?
ANTIOCHUS.
Oui; de très-grands.
HADRIEN.
Lesquels?
ANTIOCHUS.
Le renversement de la paix publique.
HADRIEN.
Comment?
ANTIOCHUS.
Et qu’y a-t-il de plus capable de rompre la concordecivile que les différences de religion?
HADRIEN.
Il n’y a rien de plus fâcheux, rien de plus funeste,comme le prouve assez la situation du monde romain,qui est partout souillé par des flots impurs de sangchrétien.
ANTIOCHUS.
Cette femme donc, que je vous signale, exhorte lescitoyens à abandonner le culte de nos ancêtres et à sevouer à la religion chrétienne.
HADRIEN.
Est-ce que ses exhortations font des prosélytes?
ANTIOCHUS.
Beaucoup trop; car déjà nos femmes nous traitentavec tant de hauteur et de mépris, qu’elles ne daignent[383]plus prendre place à nos tables, encore bienmoins partager nos lits.
HADRIEN.
Je l’avoue, le péril est sérieux.
ANTIOCHUS.
C’est votre devoir, empereur, de veiller au salut del’État(83).
HADRIEN.
J’en conviens. Qu’on appelle cette femme, et nousverrons si, en ma présence, elle ne consent pas à sesoumettre.
ANTIOCHUS.
Vous désirez que je la fasse venir?
HADRIEN.
Oui, sans aucun doute.

SCÈNE II.

ANTIOCHUS, SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCEETCHARITÉ.

ANTIOCHUS.
Quel est votre nom, femme étrangère?
SAPIENCE.
Je me nomme Sapience.
ANTIOCHUS.
L’empereur Hadrien vous ordonne de comparaîtredevant lui dans son palais.
[385]SAPIENCE.
Je n’ai aucune crainte d’entrer dans le palais, avecla noble escorte de mes filles; et je ne redoute nullementde voir de près le visage menaçant de l’empereur.
ANTIOCHUS.
Cette odieuse race des sectateurs du Christ est toujoursprête à résister aux princes.
SAPIENCE.
Le prince de l’univers, qui l’emporte sur tous, nepermet pas que ses serviteurs soient vaincus par l’ennemi.
ANTIOCHUS.
Trêve à ce flux de paroles, et venez sur-le-champ aupalais.
SAPIENCE.
Marchez devant, et montrez-nous la route; nousvous suivrons en toute hâte.

SCÈNE III.

Les mêmes, HADRIEN,GARDES.

ANTIOCHUS,à Sapience.
Voici l’empereur en personne: vous le voyez assissur son trône. Pesez bien vos paroles.
SAPIENCE.
Les préceptes du Christ nous défendent d’user detelles précautions et nous promettent, en retour, ledon d’une invincible sagesse(84).
[387]HADRIEN.
Approchez, Antiochus.
ANTIOCHUS.
Me voici à vos ordres, seigneur.
HADRIEN.
Sont-ce là les femmes que vous m’avez dénoncéescomme chrétiennes?
ANTIOCHUS.
Oui, ce sont elles.
HADRIEN.
Je suis frappé de leur beauté, et je ne puis surtoutassez admirer la sage dignité de leur maintien.
ANTIOCHUS.
Cessez, ô mon seigneur, de vous livrer à l’admiration,et forcez-les d’adorer les dieux.
HADRIEN.
Si je commençais à leur demander avec douceur sielles ne voudraient pas céder?
ANTIOCHUS.
C’est là le meilleur moyen; car la fragilité de leursexe ne cède jamais plus facilement qu’à l’impressiondes douces paroles.
HADRIEN.
Illustre matrone, je vous invite doucement et sanscolère à revenir au culte des dieux; vous pourrez parlà jouir des avantages de mon amitié.
SAPIENCE.
Je n’ai envie ni de satisfaire vos désirs en revenantau culte de vos dieux, ni de contracter avec vous aucuneamitié.
[389]HADRIEN.
Jusqu’ici je retiens ma colère, et loin de donnercours à mon indignation, je montre une affectueuseet paternelle sollicitude pour votre bien et celui de vosenfants.
SAPIENCE.
Gardez-vous, mes filles, d’ouvrir vos cœurs auxfallacieuses et sataniques paroles de ce serpent tentateur;méprisez-les, à mon exemple.
FOI.
Nous dédaignons et nous méprisons de toute notreâme ces propos frivoles.
HADRIEN.
Que murmurez-vous?
SAPIENCE.
J’adressais quelques mots à mes filles.
HADRIEN.
Vous me semblez d’une haute naissance; mais jevoudrais que vous me fissiez connaître plus complétementvotre patrie, votre famille et votre nom.
SAPIENCE.
Quoiqu’il faille mépriser l’orgueil du sang, je nenie pas, néanmoins, que je ne sois sortie d’une soucheillustre.
HADRIEN.
Je le crois volontiers.
SAPIENCE.
J’ai eu, en effet, pour parents les plus grands princesde la Grèce(85). Mon nom est Sapience.
[391]HADRIEN.
L’éclat de votre naissance brille dans tous vos traits,et la vertu dont vous portez le nom éclate sur votrevisage.
SAPIENCE.
En vain vous me flattez; nous ne céderons pas à vosséductions.
HADRIEN.
Dites-moi ce qui vous amène et pourquoi vous venezparmi nos concitoyens.
SAPIENCE.
La seule cause de mon voyage est le désir de connaîtrela vérité, d’apprendre plus à fond la croyanceque vous combattez, et de consacrer mes filles auChrist.
HADRIEN.
Apprenez-moi le nom de chacune d’elles.
SAPIENCE.
La première s’appelle Foi, la seconde Espérance etla troisième Charité.
HADRIEN.
Combien ont-elles accompli d’années?
SAPIENCE.
Ne vous plaît-il pas, ô mes filles! que je fatigue cetesprit grossier par quelques problèmes d’arithmétique(86)?
FOI.
Oui, ma mère, et nous vous prêterons l’oreille avecgrand plaisir.
[393]SAPIENCE.
O empereur! puisque vous désirez savoir l’âge deces jeunes filles, Charité a accompli un nombre d’annéesdiminué pairement pair; Espérance un nombreaussi diminué, mais pairement impair; Foi, au contraire,un nombre superflu et impairement pair.
HADRIEN.
Par une semblable réponse, vous me laissez complétementignorer ce que je vous demandais.
SAPIENCE.
Cela n’est pas étonnant, car une définition de cettesorte ne s’applique pas à un seul nombre, mais à plusieurs.
HADRIEN.
Expliquez-vous avec plus de clarté; sans cela, monesprit ne vous peut comprendre.
SAPIENCE.
Charité a vu la révolution de deux olympiades,Espérance de deux lustres et Foi de trois olympiades.
HADRIEN.
Et pourquoi appelez-vous diminué le nombre huit,qui forme deux olympiades, ainsi que le nombre dix,qui compose deux lustres? Enfin, pourquoi le nombredouze, qui contient trois olympiades, reçoit-il le nomde superflu?
SAPIENCE.
C’est qu’on appelle diminué tout nombre dont lesparties additionnées forment un total inférieur aunombre qu’elles composent, comme 8, par exemple; carla moitié de 8 est 4, le quart 2 et le huitième 1; or 4, 2 et1 réunis font 7. De même, la moitié de 10 est 5, le cinquième[395]2, le dixième 1; additionnez, vous obtiendrez8. On appelle, au contraire, superflu le nombredont les parties additionnées forment un total supérieurà ce nombre même, comme 12. En effet, la moitiéde 12 est 6, le tiers 4, le quart 3, le sixième 2, ledouzième 1, lesquels additionnés donnent 16. Et pourne point passer sous silence le nombre principal, quitient le milieu entre les deux inégalités contraires, onappelle parfait le nombre que ses parties additionnéesreproduisent exactement, sans différence en plus nien moins, comme 6, dont les parties, c’est-à-dire 3,2 et 1, forment le nombre 6. Par la même raison, 28,496 et 8128 sont des nombres parfaits(87).
HADRIEN.
Et les autres nombres?
SAPIENCE.
Sont ou superflus ou diminués.
HADRIEN.
Quel est le nombre pairement pair?
SAPIENCE.
Celui qu’on peut diviser en deux parties égales, quielles-mêmes peuvent se diviser en deux autres parties,et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on atteigne l’unité indivisible,[397]comme 8, 16 et les nombres qu’on obtienten doublant ceux-là.
HADRIEN.
Et quel est le nombre pairement impair?
SAPIENCE.
Celui qu’on peut diviser en parties égales, lesquellessont indivisibles, comme 10 et tous les nombres qu’onobtient en doublant un nombre impair; car ce nombreest d’une nature contraire à celui dont nous venonsde parler, en ce sens que dans le premier (le pairementpair), le terme mineur est divisible, et quedans le second (le pairement impair), le terme majeurpeut seul être divisé. De plus, dans celui-là toutesles parties sont pairement paires, quant à la dénominationet à la quantité des parties; et dans celui-ci,lorsque la dénomination est paire, la quantité des partiesest impaire, et si la quantité des parties est paire,la dénomination est impaire.
HADRIEN.
Je ne sais ce que signifie le mot terme que vous venezd’employer, ni ceux de dénomination ou de quantitédes parties.
SAPIENCE.
Lorsque des nombres aussi grands qu’on voudra sontrangés dans un ordre croissant, le premier est appeléterme mineur et le dernier terme majeur; et lorsquefaisant une division nous disons que tel nombre formetelle partie d’un autre nombre, nous faisons une dénomination(88);et quand nous énumérons combien il y a[399]d’unités dans chaque partie, nous exposons ce qu’onappelle la quantité des parties.
HADRIEN.
Et quel est le nombre impairement pair?
SAPIENCE.
Celui qui est non-seulement divisible une fois, maisdeux fois, trois fois et plus, comme le nombre pairementpair, et dont cependant la division ne peut descendrejusqu’à l’unité indivisible.
HADRIEN.
Oh! quelle difficile et inextricable question s’est élevéeà propos de l’âge de ces petites filles!
SAPIENCE.
C’est en cela qu’il faut admirer la suprême sagessedu Créateur et la science merveilleuse de l’auteur del’univers, qui non-seulement au commencement deschoses a créé le monde du néant, et en a disposé toutesles parties avec nombre, équilibre et mesure; mais quiencore nous a permis d’arriver à l’admirable connaissancedes arts, à travers la série des temps et des générationsqui se succèdent.
HADRIEN.
Longtemps j’ai supporté vos divagations, dans l’espoirque je vous trouverais plus docile.
SAPIENCE.
A quoi?
HADRIEN.
Au culte des dieux.
[401]SAPIENCE.
Je n’y consens pas, assurément.
HADRIEN.
Si vous résistez, vous subirez la torture.
SAPIENCE.
Vous pourrez tourmenter mon corps par des supplices;mais vous n’aurez pas le pouvoir de forcer monâme à fléchir.
ANTIOCHUS.
Le jour disparaît, la nuit étend ses voiles; ce n’estplus le moment de discuter, car l’heure du souper estvenue.
HADRIEN.
Qu’on enferme ces femmes dans la prison attenanteau palais. Je leur accorde trois jours pourréfléchir.
ANTIOCHUS.
Soldats! veillez soigneusement sur elles, et ne leurlaissez aucune occasion de s’évader.

SCÈNE IV.

SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCEET CHARITE.

SAPIENCE.
O mes tendres filles, enfants bien aimées! que leséjour de cette étroite prison ne vous contriste pas!que les menaces d’un prochain supplice ne vous inspirentpoint d’effroi!
[403]FOI.
Nos faibles corps pourront pâlir devant les tortures;mais nos âmes ne cesseront d’aspirer à la récompensecéleste.
SAPIENCE.
Que la maturité de votre courageuse raison triomphede la faiblesse enfantine de votre âge.
ESPÉRANCE.
C’est à vous de nous aider de vos prières, pour quenous puissions vaincre.
SAPIENCE.
Ma prière continuelle et la plus instante est de vousvoir persévérer dans la foi, qu’au milieu même desjouets de l’enfance je n’ai cessé de faire pénétrer dansvotre entendement.
CHARITÉ.
Ce qu’enfants à votre mamelle nous avons appris dansnotre berceau, nous ne pourrons jamais l’oublier.
SAPIENCE.
Je vous ai nourries de mon lait maternel, je vousai prodigué les plus tendres soins, dans la pensée devous donner, non à un époux terrestre, mais à l’épouxcéleste, et de mériter, à cause de vous, le titre de belle-mèredu roi éternel.
FOI.
Pour l’amour de cet époux, nous sommes toutesprêtes à mourir.
SAPIENCE.
J’ai plus de plaisir à vous voir dans cette dispositionqu’à savourer le plus doux nectar(89).
[405]ESPÉRANCE.
Envoyez-nous devant le tribunal du juge, et vousverrez combien l’amour de cet époux nous donnerad’intrépidité.
SAPIENCE.
Mon plus vif désir est de me parer de la couronnede votre virginité et de la gloire de votre martyre.
CHARITÉ.
Marchons en enlaçant nos mains, et faisons rougirle front du tyran!
SAPIENCE.
Attendez que vienne l’heure où l’on nous appellera.
FOI.
Quoique les retards nous soient pénibles, nous devonsnous résigner à attendre.

SCÈNE V.

HADRIEN, ANTIOCHUS,ensuite SAPIENCE,FOI, ESPÉRANCEET CHARITÉ.

HADRIEN.
Antiochus, faites venir devant nous ces captivesgrecques.
ANTIOCHUS.
Approchez, Sapience, et comparaissez devant l’empereuravec vos filles.
[407]SAPIENCE.
Marchez courageusement avec moi, mes filles;unies de cœur, persévérez dans la foi, afin de pouvoirobtenir heureusement la palme du martyre.
ESPÉRANCE.
Marchons; nous aurons à nos côtés pour compagnoncelui pour l’amour duquel on nous mène à lamort.
HADRIEN.
Notre Sérénité vous a accordé trois jours; si vousavez su mettre ce délai à profit, cédez à nos ordres.
SAPIENCE.
Ce délai nous a été très-profitable; il nous a affermiesdans la résolution de ne vous point obéir.
ANTIOCHUSà Hadrien.
Pourquoi daignez-vous parler à cette femme obstinée,qui vous fatigue de son insolente présomption?
HADRIEN.
Dois-je donc la renvoyer impunie?
ANTIOCHUS.
Non, assurément.
HADRIEN.
Et que ferai-je?
ANTIOCHUS.
Exhortez ces jeunes filles; et si elles vous résistent,sans pitié pour leur âge, faites-les périr. La vue de lamort de ses enfants sera le plus cruel supplice pourcette mère rebelle.
[409]HADRIEN.
Je ferai ce que vous me conseillez.
ANTIOCHUS.
Vous n’avez que ce moyen de la dompter.
HADRIEN.
Foi, regardez cette image vénérable de la grandeDiane, et offrez des libations à la déesse, afin d’obtenirsa protection.
FOI.
O l’absurde commandement de l’empereur, et biendigne de tout mon mépris!
HADRIEN.
Que murmurez-vous d’un air railleur? De qui vousmoquez-vous, en fronçant le sourcil?
FOI.
Je me ris de votre sottise, je me moque de votrefolie.
HADRIEN.
De ma folie?
FOI.
De votre folie.
ANTIOCHUS.
De la folie de l’empereur?
FOI.
De lui-même.
ANTIOCHUS.
O crime!
FOI.
Que peut-on voir de plus absurde, de plus insensé?[411]Il nous exhorte à adorer un vil métal, au mépris duCréateur de l’univers!
ANTIOCHUS.
Foi, vous extravaguez.
FOI.
Antiochus, vous mentez.
ANTIOCHUS.
N’est-ce pas le comble de l’extravagance et du délire,que de traiter d’insensé le maître du monde?
FOI.
Je l’ai dit, je le répète, et je le redirai aussi longtempsque je vivrai.
ANTIOCHUS.
Ce temps sera court; vous allez mourir sur-le-champ.
FOI.
Je ne souhaite que la mort en Jésus-Christ.
HADRIEN.
Que douze centurions lui déchirent les membres àcoups de fouet; s’ils sont fatigués, qu’ils se relayent.
ANTIOCHUS.
Elle mérite ce châtiment.
HADRIEN.
Braves centurions! approchez, et vengez l’insultequ’elle m’a faite.
ANTIOCHUS.
La justice le commande.
[413]HADRIEN.
Demandez-lui, Antiochus, si elle veut céder.
ANTIOCHUS.
Foi, persistez-vous à vouloir insulter l’empereuravec vos torrents d’injures accoutumées?
FOI.
Pourquoi moins à présent que d’ordinaire?
ANTIOCHUS.
Parce que les coups de fouet vous en empêcheront.
FOI.
Vos coups ne peuvent me contraindre au silence,car ils ne me font aucun mal.
ANTIOCHUS.
O déplorable obstination! incorrigible audace!
HADRIEN.
Son corps succombe sous les supplices, et son âmeest toujours gonflée d’orgueil.
FOI.
Vous vous trompez, Hadrien, si vous croyez lassermon courage par les tortures; ce n’est pas moi, cesont vos faibles bourreaux qui succombent; la fatigueinonde leurs membres de sueur.
HADRIEN.
Antiochus, ordonnez qu’on lui coupe les seins;peut-être que la honte la fera céder.
ANTIOCHUS.
O plût aux dieux qu’il y eût un moyen de la contraindre!
HADRIEN.
Peut-être se soumettra-t-elle.
[415]FOI.
Vous avez déchiré mon chaste sein; mais vous nem’avez pas blessée. Voyez, au lieu de sang, il en jaillitune source de lait.
HADRIEN.
Qu’on l’étende sur un gril placé au-dessus d’unfeu ardent, pour que la violence de la chaleur labrûle et l’étouffe.
ANTIOCHUS.
Elle est digne de la mort la plus misérable, cettefille obstinée, qui ne craint pas de résister à vos ordres.
FOI.
Tout ce que vous inventez pour me faire souffrir sechange pour moi en douceur et en repos. Je me trouveaussi commodément étendue sur ce gril que dans unebarque tranquille.
HADRIEN.
Mettez sur ce brasier ardent une chaudière pleinede poix et de cire, et plongez cette fille rebelle dansle liquide bouillant.
FOI.
Je m’y précipite moi-même.
HADRIEN.
J’y consens.
FOI.
Que deviennent vos menaces? Voyez, je nage enme jouant et sans blessure dans ce liquide enflammé.Au lieu de brûlures, je ressens la douce fraîcheur dela rosée du matin.
[417]HADRIEN.
Antiochus, que faire après cela?
ANTIOCHUS.
Il faut empêcher qu’elle n’échappe.
HADRIEN.
Qu’on lui tranche la tête.
ANTIOCHUS.
Vous ne pourrez la vaincre autrement.
FOI.
Le moment est venu de me réjouir, et de triompherdans le Seigneur.
SAPIENCE.
Christ, vainqueur tout-puissant du démon, donneà ma fille la force de supporter jusqu’au bout la douleur.
FOI.
O ma vénérable mère! dites un dernier adieu àvotre enfant; donnez un baiser à l’aînée de vos filles,et ne vous abandonnez à aucune tristesse de cœur, carje vais recevoir la couronne de l’éternité.
SAPIENCE.
O ma fille, ma fille! je n’éprouve ni trouble, nichagrin; au contraire, je te dis adieu avec allégresse;je baise tes yeux et tes joues en pleurant dejoie, et je prie le ciel que, sous le fer du bourreau,tu conserves intact le mystère de ton nom.
FOI.
O mes sœurs sorties du même sein! donnez-moi lebaiser de paix, et préparez-vous à soutenir le combatqui approche.
[419]ESPÉRANCE.
Aidez-nous continuellement de vos prières, pourque nous méritions de suivre vos traces.
FOI.
Soyez dociles aux conseils de notre sainte mère, quinous a toujours enseigné le mépris des biens présents,pour mériter de jouir de ceux qui n’ont pas de fin.
CHARITÉ.
Nous obéissons de grand cœur aux avis de notremère, qui nous feront obtenir la félicité éternelle.
FOI.
Avance, bourreau, et remplis l’office qui t’est imposé,en me donnant la mort.
SAPIENCE.
O Christ! en embrassant la tête coupée de ma filleexpirante, en la couvrant de mes plus tendres baisers,je vous remercie d’avoir accordé la victoire à cettefaible vierge.
HADRIEN.
Espérance, cédez à mes exhortations; je vous leconseille avec les sentiments d’un père.
ESPÉRANCE.
A quoi m’exhortez-vous? Que me conseillez-vous?
HADRIEN.
Je vous conseille de ne pas imiter l’obstination devotre sœur, afin de ne point mourir dans les mêmessupplices.
ESPÉRANCE.
Puisse Dieu m’accorder d’imiter son courage, pourque j’obtienne un prix égal au sien!
[421]HADRIEN.
Déposez cette dureté de cœur, prosternez-vous etoffrez de l’encens à la grande Diane; et je vous élèveaux honneurs et je vous comble de tendresse, commemes propres enfants.
ESPÉRANCE.
Je répudie les sentiments de père que vous m’offrez;vos bienfaits n’excitent nullement mes désirs; aussivous flattez-vous d’un vain espoir, si vous pensez queje vous cède.
HADRIEN.
Ménagez vos paroles, pour ne pas m’irriter.
ESPÉRANCE.
Je me soucie peu de votre colère.
ANTIOCHUS.
Je m’étonne, auguste empereur, de vous voir supportersi longtemps les injures de cette jeune fille.Pour moi, je sens éclater ma fureur, quand je l’entendsaboyer aussi insolemment contre vous.
HADRIEN.
Jusqu’ici j’ai eu pitié de son enfance; mais je nel’épargnerai pas davantage, et je lui infligerai le châtimentqu’elle mérite.
ANTIOCHUS.
Oh! plût aux dieux!
HADRIEN.
Licteurs, approchez et déchirez à coups de fouetcette fille rebelle, jusqu’à ce qu’elle expire.
ANTIOCHUS.
Il convient qu’elle ressente les effets de votre sévérité,puisqu’elle dédaigne le bienfait de votre indulgence.
[423]ESPÉRANCE.
Je souhaite cette douceur; je désire cette indulgence.
ANTIOCHUS.
O Sapience, quelles paroles murmurez vous, les yeuxlevés au ciel, et debout auprès du corps inanimé devotre fille?
SAPIENCE.
J’invoque le Créateur de l’univers pour qu’il accordeà Espérance autant de fermeté et de courage qu’il ena donné à sa sœur.
ESPÉRANCE.
O ma mère, ma mère! j’éprouve en ce momentcombien vos prières sont efficaces. Elles sont exaucées:voyez, pendant que vous priez, les bourreauxhors d’haleine me frappent à coups redoublés, et jene sens aucune atteinte.
HADRIEN.
Si vous êtes insensible aux coups de fouet, nousvous infligerons des supplices plus pénétrants.
ESPÉRANCE.
Employez, employez tout ce que vous pourrez inventerd’atroce et de mortel! plus vous aurez étécruel, plus grande sera la confusion de votre défaite.
HADRIEN.
Qu’on la suspende en l’air, et qu’on la déchireavec des ongles de fer, jusqu’à ce que, les entraillesarrachées et les os mis à nu, elle expire membre parmembre.
[425]ANTIOCHUS.
Ordre digne d’un empereur, et punition proportionnéeau délit!
ESPÉRANCE.
Antiochus, vous parlez avec la fausseté du renard,et vous flattez avec l’astuce du caméléon.
ANTIOCHUS.
Silence, malheureuse! il est temps de mettre fin àvotre bavardage.
ESPÉRANCE.
L’événement trompera votre espoir. Vous et votremaître, vous allez être couverts de confusion.
HADRIEN.
Qu’est ceci? Je sens une odeur nouvelle et suave; jerespire un parfum d’une surprenante douceur.
ESPÉRANCE.
Les lambeaux de mon corps déchiré exhalent lesplus délicieux aromes du Paradis, pour vous contraindreà confesser, en dépit de vous-même, que vos supplicesme trouvent invulnérable.
HADRIEN.
Antiochus, que dois-je faire?
ANTIOCHUS.
Il faut avoir recours à de nouvelles tortures.
HADRIEN.
Qu’on pose sur ce brasier un vase d’airain remplid’huile et de graisse, de cire et de poix, et qu’on l’yplonge, les pieds et les mains liés.
[427]ANTIOCHUS.
Si on la livre au pouvoir de Vulcain, peut-être netrouvera-t-elle pas d’issue pour lui échapper.
ESPÉRANCE.
Le Christ a prouvé souvent qu’il a le pouvoir d’ôterau feu sa violence et de changer sa nature.
HADRIEN.
Qu’est-ce? Antiochus, j’entends comme le bruitd’un torrent qui cause une inondation.
ANTIOCHUS.
Hélas! hélas! seigneur.
HADRIEN.
Que nous est-il arrivé?
ANTIOCHUS.
L’eau bouillante a fait éclater le vase; elle a brûlévos serviteurs, et cette magicienne est demeurée sansblessure.
HADRIEN.
Je le confesse, nous sommes vaincus.
ANTIOCHUS.
Complétement.
HADRIEN.
Qu’on lui tranche la tête.
ANTIOCHUS.
C’est le seul moyen de lui ôter la vie.
ESPÉRANCE.
O Charité! ô ma sœur bien-aimée et maintenantunique, ne vous effrayez pas des menaces de ce tyran;ne redoutez pas les supplices; tâchez d’imiter l’inébranlablefidélité de vos sœurs, qui vous précèdentdans le palais du ciel.
[429]CHARITÉ.
Je n’ai que dégoût pour la vie présente, dégoûtpour cette habitation terrestre, qui me sépare encorede vous pour un peu de temps.
ESPÉRANCE.
Oubliez ces dégoûts, et ne pensez qu’à la palme quevous allez cueillir; car nous ne serons pas longtempsséparées, et nous allons tout à l’heure être réuniesdans le ciel.
CHARITÉ.
Arrive, arrive ce moment!
ESPÉRANCE.
Courage et joie, ô mon illustre mère! Que la douleurde mon martyre n’afflige pas votre cœur maternel.L’espoir doit l’emporter sur la tristesse, quand vousme voyez mourir pour le Christ.
SAPIENCE.
Oui, je me livre à la joie; mais cette joie pourtantne sera complète que lorsque j’aurai envoyé au cielvotre plus jeune sœur, morte pour la même cause quevous, et que je vous suivrai la dernière.
ESPÉRANCE.
La Trinité immortelle vous rendra pour l’éternitéautant de filles que vous en aurez perdu.
SAPIENCE.
Affermissez votre courage, ma fille; le bourreaus’élance vers nous l’épée nue.
ESPÉRANCE.
Je me livre avec joie au glaive; et vous, Christ,recevez mon âme, qui, pour confesser votre nom, estchassée de son habitation corporelle.
[431]SAPIENCE.
O Charité, ma sainte fille, aujourd’hui uniqueespoir de mes flancs, n’affligez pas votre mère, quiattend une heureuse issue du combat que vous allezsoutenir. Méprisez le bien-être présent, pour parvenirà la joie éternelle, dans laquelle déjà vos sœurs resplendissentcouronnées de leur virginité sans tache.
CHARITÉ.
Mère, soutenez-moi par vos saintes prières, jusqu’aumoment où j’aurai mérité de partager les joiesde mes sœurs!
SAPIENCE.
Je demande à Dieu que vous persévériez jusqu’aubout dans la foi, et je ne doute pas que vous ne soyezadmise aux fêtes éternelles.
HADRIEN.
Charité, je suis excédé de l’insolence de vos sœurset fort courroucé de leurs prolixes arguties. Je nedisputerai donc pas longuement avec vous. Si vousobtempérez à mes désirs, je vous comblerai de toutessortes de biens; si vous me résistez, je vous accableraide mille maux.
CHARITÉ.
C’est le bien que j’embrasse de toute mon âme; j’aile mal en horreur.
HADRIEN.
Rien ne peut vous être plus salutaire et n’est pluspropre à m’apaiser. Aussi, dans ma clémence, jen’exigerai de vous qu’une chose très-facile.
[433]CHARITÉ.
Quoi?
HADRIEN.
Dites seulement: «Grande Diane!» et je ne vousforce plus à lui sacrifier.
CHARITÉ.
Très-certainement je ne le dirai pas.
HADRIEN.
Pourquoi?
CHARITÉ.
Parce que je ne veux point mentir. Mes sœurs etmoi, nous sommes nées des mêmes parents, nousavons reçu l’onction des mêmes sacrements; nousnous reposons fermes et constantes dans une seule etmême foi. Sachez donc que nous n’avons aussi qu’uneseule volonté, une seule et même manière de sentiret de connaître nos devoirs, et que jamais je ne diffèreraid’elles en rien.
HADRIEN.
O honte! une si jeune et si faible créature mebrave!
CHARITÉ.
Quoique je sois d’un âge bien tendre, je suis cependantassez savante pour vous confondre par mesarguments.
HADRIEN.
Emmenez-la, Antiochus; faites-la hisser sur un chevalet,et qu’on la batte de verges sans pitié.
ANTIOCHUS.
Je crains que les coups ne puissent point la faire céder.
[435]HADRIEN.
S’il en est ainsi, que pendant trois jours et troisnuits on tienne une fournaise continuellement allumée,et qu’on la jette au milieu des flammes.
CHARITÉ.
O impuissance de ce juge, qui craint de ne pouvoirvaincre un enfant de huit ans sans le secours du feu!
HADRIEN.
Allez, Antiochus, et exécutez l’ordre dont je vousai chargé.
CHARITÉ.
Oui, il obéira et fera ce que votre cruauté exige;mais il ne me causera aucun mal: car les coups nepourront déchirer mon faible corps, et les flammes nenoirciront ni mes cheveux ni mes vêtements.
HADRIEN.
C’est ce qu’il faudra voir.
CHARITÉ.
Soit; vous verrez.

SCÈNE VI.

HADRIEN, ANTIOCHUS.

HADRIEN.
Antiochus, quel mal vous est-il arrivé? Pourquoirevenez-vous plus triste que de coutume?
[437]ANTIOCHUS.
Vous ne serez pas moins affligé que moi, quandvous connaîtrez la cause de ma tristesse.
HADRIEN.
Parlez, ne me cachez rien.
ANTIOCHUS.
Cette fille impudente que vous m’aviez donnée àtorturer, a été flagellée en ma présence; mais elle n’apas même eu l’épiderme effleuré. Ensuite, je l’ai faitjeter dans une fournaise, que l’excès de la chaleuravait fait devenir rouge....
HADRIEN.
Pourquoi hésitez-vous à continuer. Exposez-moi lafin de tout ceci.
ANTIOCHUS.
La flamme s’est élancée, et a consumé cinq millehommes.
HADRIEN.
Et que lui est-il arrivé?
ANTIOCHUS.
A Charité?
HADRIEN.
Oui.
ANTIOCHUS.
Elle se promenait, comme en se jouant, au milieudes tourbillons de flammes et de fumée, et chantaitles louanges de son Dieu. Ceux qui l’ont observée avecle plus d’attention, prétendaient que trois jeunes hommesvêtus de blanc se promenaient avec elle.
[439]HADRIEN.
Je rougirais de la rappeler en ma présence, puisqueje n’ai pas le pouvoir de la punir.
ANTIOCHUS.
Il ne reste plus qu’à la faire périr par le glaive(90).
HADRIEN.
Faites-le sans différer.

SCÈNE VII.

ANTIOCHUS, CHARITÉ, SAPIENCE,LE BOURREAU.

ANTIOCHUS.
Charité, découvrez votre tête aussi dure que lemarbre, et livrez-la à l’épée du bourreau.
CHARITÉ.
Pour cela, loin de vous résister, j’obéis avec joie àvos ordres.
SAPIENCE.
C’est à présent, ma fille, à présent qu’il faut nousréjouir dans le Christ. Pour moi, je n’ai plus aucunsouci au cœur, assurée comme je le suis de votrevictoire.
CHARITÉ.
Donnez-moi un baiser, ma mère, et recommandezau Christ mon âme qui doit retourner vers lui.
[441]SAPIENCE.
Que celui qui vous a donné la vie dans mes entraillesdaigne reprendre votre âme, souffle céleste, qu’il afait descendre en vous.
CHARITÉ.
Gloire vous soit rendue, ô Christ, qui m’appelez àvous avec la palme du martyre!
SAPIENCE.
Adieu, ma fille bien-aimée; et, lorsque dans leciel tu seras l’épouse du Christ, souviens-toi de tamère, qui t’a enfantée quand déjà tes sœurs aînéesavaient épuisé ses forces.

SCÈNE VIII.

SAPIENCE,MATRONES ROMAINES,les corps des trois jeunes filles.

SAPIENCE.
Venez, illustres matrones, et ensevelissez avec moiles restes mortels de mes filles.
LES MATRONES.
Nous répandons des aromates sur ces corps délicats,et nous leur rendons les honneurs funèbres.
SAPIENCE.
Grande est la bonté, admirable est la compassionque vous me témoignez à moi et à mes mortes.
[443]LES MATRONES.
Nous faisons avec dévouement tout ce qui peut allégervotre peine.
SAPIENCE.
Je n’en doute pas.
LES MATRONES.
Quel lieu avez-vous choisi pour la sépulture?
SAPIENCE.
Un lieu à trois milles de Rome, si la longueur duchemin ne vous effraie pas.
LES MATRONES.
Nullement; nous désirons les suivre jusqu’à l’endroitque vous avez choisi.

SCÈNE IX.

Les mêmes.

SAPIENCE.
Voici le lieu.
LES MATRONES.
Il est convenable pour conserver leurs reliques.
SAPIENCE.
O terre! je te confie ces tendres fleurs nées de mesentrailles; conserve-les avec tendresse dans ton seinformé de même matière qu’elles, jusqu’au jour de larésurrection, où elles reverdiront, je l’espère, avec[445]plus de gloire. Et toi, Christ, remplis, en attendant,leurs âmes des splendeurs célestes, et donne paix etrepos à leurs ossements!
LES MATRONES.
Amen.
SAPIENCE.
Je rends grâces à votre humanité pour les consolationsque vous m’avez données, après la mort de mesenfants.
LES MATRONES.
Voulez-vous que nous restions ici avec vous?
SAPIENCE.
Non.
LES MATRONES.
Pourquoi ce refus?
SAPIENCE.
De peur que l’intérêt que vous me témoignez nevous cause trop de fatigue. N’est-ce pas assez quevous ayez passé trois nuits avec moi? Allez en paix,et retournez chez vous heureusement.
LES MATRONES.
Ne voulez-vous pas revenir avec nous à Rome?
SAPIENCE.
Nullement.
LES MATRONES.
Et qu’avez-vous dessein de faire?
SAPIENCE.
De rester ici, pour voir si ma prière et mes vœuxseront exaucés.
LES MATRONES.
Que demandez-vous? que désirez-vous?
[447]SAPIENCE.
Seulement de mourir en Jésus-Christ, aussitôt quej’aurai fini ma prière.
LES MATRONES.
Notre devoir est d’attendre, jusqu’à ce que nousvous ayons donné aussi la sépulture.
SAPIENCE.
Faites selon votre désir.—Adonaï Emmanuel, toiqu’avant le commencement des temps la divinité duCréateur de toutes choses a engendré, et qui, dans letemps, es né du sein d’une vierge; toi, dont les deuxnatures forment miraculeusement un seul Christ, sansque la diversité de ces natures détruise l’unité de tapersonne, ni que l’unité de ta personne confonde ladiversité des natures; ô Christ! que l’aimable sérénitédes anges et la douce harmonie des astres te réjouissent!Que la science de tout ce qu’on peut savoiret que tout ce qui est composé de la matière des éléments,se réunissent pour te louer! car, seul avec lePère et le Saint-Esprit, tu es une forme immatérielle.Par la volonté du Père et la coopération du Saint-Esprit,tu n’as pas dédaigné de te faire homme, passiblecomme homme, et impassible comme Dieu. Etpour qu’aucun de ceux qui croient en toi ne périssent,et que tous, au contraire, jouissent de la vie éternelle,tu n’as pas dédaigné d’approcher, comme un denous, tes lèvres de la coupe de mort et de consommerles prophéties par ta résurrection. Dieu parfait, hommevéritable, je me rappelle que tu as promis à tous ceuxqui, par respect pour ton saint nom, renonceraient[449]à la jouissance des biens terrestres et te préféreraientaux affections de parenté charnelle, qu’ils seraientrécompensés au centuple et recevraient pour couronnele don de la vie éternelle(91). Encouragée parcette promesse, j’ai fait ce que tu avais ordonné, et j’aiperdu sans murmure les enfants à qui j’avais donné lejour. Ne tarde donc pas, ô Christ, de tenir fidèlementta promesse; fais qu’au plus tôt délivrée des liens corporels,j’aie la joie de voir mes filles reçues dans le ciel,elles que, sans balancer, je t’ai offertes en sacrifice,espérant que tandis qu’elles te suivraient, ô agneaude la Vierge, et chanteraient le nouveau cantique,j’aurais la joie de les entendre et de jouir de leurgloire; espérant même que, bien que je ne puissechanter comme elles le cantique de virginité, je pourraisau moins mériter de te louer avec elles éternellement;ô toi qui n’es point le Père, mais qui es demême nature que lui; qui, avec le Père et le Saint-Esprit,es le seul maître de l’univers, et qui, régulateurunique du système supérieur, moyen et inférieur,règnes et gouvernes pendant la durée infinie dessiècles(92)! (Elle expire.)
LES MATRONES.
Recevez-la, Seigneur, dans votre sein! Amen.

FIN.

NOTES
ET
ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


PROLOGUE.

Note 1, Page 3.

Par ces motsle livre qui précède, Hrotsvitha désigne lerecueil de ses légendes en vers, qui remplit les 76 premiersfeuillets de ses œuvres dans le manuscrit de la bibliothèqueroyale de Munich. Ce court avertissementoccupe dans le manuscrit une partie du verso de lapage 77, entre le premier livre, qui contient les légendes,et le second qui contient les drames. Conrad Celtes, enintervertissant l’ordre du manuscrit et en commençantson édition par les comédies, a détruit le sens de cepetit morceau, qui précède chez lui le poëme sur lesOthons, tandis qu’il était destiné à lier le livre des légendesà celui des drames, et devait servir tout à la fois d’épilogueau premier et deprologue au second.

Note 2, Page 3.

Si nous avons placé ici cette espèce d’avis aux lecteurs,c’est surtout pour constater, par la déclarationmême de Hrotsvitha, qu’elle n’a aucune prétention àl’invention des sujets qu’elle traite. Bien au contraire,comme tous les poëtes des époques religieuses, elle s’interditsoigneusement de rien inventer, dans la craintede profaner ce qu’elle vénère. Elle se contente de reproduire,en les ornant avec discrétion, les récits les plusaccrédités des agiographes. Aussi, pourrons-nous très-aisément[454]reconnaître et indiquer les sources authentiquesoù elle a puisé les sujets de ses six drames.

PRÉFACE DES COMÉDIES.

Note 3, Page 5.

Nulle part l’auteur ne donne à ses pièces le nom decomédies.C’est une main plus moderne, probablement cellede Conrad Celtes, qui a inséré dans le manuscrit les motsPræfatio in comœdias. On sait, d’ailleurs, que dans le latindu moyen âge le motcomœdia avait un sens très-étenduet très-complexe, et qu’il s’appliquait plus ordinairementà un récit épique qu’à une action en dialogue. De là le titredecommedia donné par Dante à son épopée.

Note 4, Page 5.

Le manuscrit porte partoutGandesheim, et nous avonsrespecté cette orthographe dans le texte; mais nous avonsdans la traduction adoptéGandersheim, dont l’usage aprévalu.

Note 5, Page 9.

Il faut se garder de confondre ce que Hrotsvitha appelleses vers héroïques, c’est-à-dire, les huit histoires qu’ellea tirées des légendes, et qui composent le premier livrede ses œuvres, avec le poëme ou panégyrique des Othons,dont un fragment de 837 vers forme la dernière partie dumanuscrit de Munich.

ÉPITRE A CERTAINS SAVANTS.

Note 6, Page 11.

Nous trouvons, dès ces premières pages, un exemplefrappant du pédantisme et des subtilités aristotéliques,[455]dans lesquels se complaît la docte religieuse. On voitcombien elle affectionne la langue de l’école, et qu’elle nes’abstient même pas de la terminologie la plus prétentieusementscolastique.

GALLICANUS.

Note 7, Page 17.

Le primicier (primus in cera, ou le premier sur letableau) était, au Bas-Empire, le chef de la chapelleimpériale. Il en fut de même chez les princes francs etsaxons. Cette dignité répondait à celle de l’officier appelédepuis grand aumônier. Alcuin, dans sa 42e lettre,donne à Angelbert le titre de primicier du palais du roiPépin. Hrotsvitha suppose Paul et Jean tous les deux primiciersde la princesse Constance, quoiqu’il ne pût yavoir, ce nous semble, auprès d’une même personne,qu’un seul primicier. Notre auteur n’a pas suivi dans cedétail l’autorité des Actes. Ceux-ci font de Paul lepræposituset de Jean leprimicerius de la princesse Constance.

Note 8, Page 17.

L’histoire de la conversion de Gallicanus par Paul etJean est consignée dans les récits de plusieurs agiographesque les Bollandistes ont discutés et insérés dans leur collection,sous la date du 24 juin. VoyezActa Sanctorum,Junii t. V, p. 35. On ne peut douter que Hrotsvitha n’aiteu sous les yeux une de ces relations. La légende ayantpour titreActa præfixa passioni S. S. Johannis et Pauli,présente non-seulement une complète ressemblance quantà l’ordre des faits, mais jusqu’à des phrases entières empruntéestextuellement par notre auteur. La seconde partie,qui se rapporte à la résistance des deux frères Paulet Jean et à la réaction tentée par l’empereur Julien, est[456]tirée d’une relation qu’on peut lire dans les Bollandistes,sous la date du 25 juin (Acta Sanctorum, Junii t. V,p. 158). On la trouve également dans le martyrologeromain, dansBede,Usuardus,Ado, etc.

Note 9, Page 19.

J’ai dans cette pièce et dans les suivantes complété laliste des personnages, qui est très-abrégée dans le texte.J’ai, de plus, coupé le dialogue en scènes, et indiqué aucommencement de chacune d’elles, le nom des acteursqui y figurent, suivant l’usage actuel.

Note 10, Page 29.

Jamais l’auteur n’indique le lieu de la scène, qui d’ailleurschange fort souvent. L’usage des tapisseries, très-répanduauXe siècle, rendait les changements de décorationsassez faciles. J’ajouterai qu’alors, comme auxXVIe etXVIIe siècles, l’imagination des spectateurs dut suppléerfacilement à l’imperfection de la mise en scène. Les gravespersonnages réunis pour ces pieux divertissements dansla grande salle du Chapitre de Gandersheim, ne durentpas se montrer plus exigeants que les turbulents spectateursdu théâtre duGlobe à Londres ou du théâtreDelPrincipe à Madrid.

Note 11, Page 31.

Peut-être serais-je entré davantage dans l’esprit et lacouleur de l’original, en traduisantGallicanus dux parle duc Gallicanus. En effet, Hrotsvitha se sert volontiersdes qualifications introduites par la chancellerie byzantineet par les usages de la féodalité.[457]

Note 12, Page 43.

Les notes indicatives du jeu des acteurs, que les grammairiensgrecs appelaientdidascalies, se rencontrent,comme on sait, fort rarement dans les ouvrages dramatiquesanciens. Ces indications de mise en scène sont égalementfort peu nombreuses dans le théâtre de Hrotsvitha.Cependant, nous en signalerons dansGallicanusdeux, qui ont échappé à Celtes. Nous attachons, pour notrepart, une grande importance à cesdidascalies, parcequ’elles prouvent, de la manière la plus formelle, queces drames n’ont pas été écrits seulement pour la lecture,comme le prétend M. Price, un des récents éditeurs deWarton (History of English poetry, édit. de 1824, t. II,p. 68).

Note 13, Page 47.

Le motingenuitas a deux sens: vertu, puis noblesse derace. J’ai préféré dans ce passage la première de ces significations,parce que l’humilité toute chrétienne de la princessequi l’emploie, ne permet pas de supposer qu’elleattachât un grand prix aux avantages de la naissance. Parla raison contraire, dans la dernière comédie de Hrotsvitha,intituléeSapience, où l’empereur Hadrien se sert dumême mot, j’ai cru devoir préférer la seconde acception.Voyez p.390.

Note 14, Page 51.

Voici une nouvelle indication d’un jeu de théâtre.

Note 15, Page 55.

Le lieu de la scène change ici brusquement; nous passons,en un clin d’œil, des rues de Rome dans les campagnesde la Thrace, près de Philippopolis, où, suivant les[458]Actes et Eusèbe (Vit. Constantini, lib. IV, cap. 5–7)eut lieu la bataille gagnée par Gallicanus sur les Sarmates.On voit que Hrostvitha n’a imité de Térence ni l’unitéde lieu, ni l’unité de temps. La nouvelle forme de dramequ’elle emploie, est, en quelque sorte, narrative et calquéesur les légendes. Cette forme a commencé, chose remarquable,à se montrer dans les premiers essais dramatiques,tirés des traditions chrétiennes ou bibliques, etelle est restée celle de Lope de Vega, de Calderon, deShakespeare et de Schiller.

Note 16, Page 57.

C’est ici une allusion au fameuxlabarum de Constantin:In hoc signo vinces.

Note 17, Page 61.

Hrotsvitha, toujours préoccupée de plaire aux yeux,ménage aux spectateurs l’appareil d’un triomphe romain.

Note 18, Page 67.

C’est le mot de Jules César renversé:Veni, vidi, vici.

Note 19, Page 81.

Ce projet de répartition charitable est emprunté textuellementaux Actes; mais il n’est pas moins surprenant queHrotsvitha n’ait ajouté aux dispositions de Gallicanus aucunelibéralité pour les églises ou les couvents. Une semblableréserve a lieu d’étonner de la part d’une religieuse,qui écrivait un peu avant l’an 1000. Nous aurons occasionde renouveler cette remarque.[459]

DEUXIÈME PARTIE DE GALLICANUS.

Note 20, Page 85.

Le premier éditeur de Hrotsvitha, Conrad Celtes, a intitulécette seconde partieActus secundus, sans y être autorisépar aucune indication du manuscrit. J’ai rejetécette division, avant même d’avoir eu sous les yeux lacopie du manuscrit de Munich (voy.Revue des Deux-Mondes,numéro du 15 novembre 1839 etBiographie universelle,supplément, t. 67, p. 388). Je pensais, commeJ. Chr. Gottsched (Nöthiger Vorrath zur Geschichte derdeutschen dramatischen Dichtkunst, t. II, p. 19), quel’histoire de Gallicanus et le martyre de Jean et Paul formaientdeux drames séparés, 1o parce qu’il y a dans lemanuscrit, avant le martyre de Jean et Paul, une nouvelleliste de personnages; 2o que le soi-disant premieracte se termine par la formule finaleamen, qui dans lespièces religieuses du moyen âge correspond auplauditedes comédies païennes. J’ajoute que les Actes de Gallicanuset de Jean et Paul, qui sont réunis en une mêmerelation, ont été cependant coupés dans lesActa Sanctorumet séparés par l’intervalle d’un jour dans les cérémoniesde l’Église. Je pense, en définitive, que Hrotsvithaa tiré de cette légende complexe, non pas un drame endeux actes, mais deux pièces, qui se suivent à peu prèscomme dans Shakspeare les diverses parties de Henri IV.Si même je n’ai pas fait deGallicanus et dumartyre deJean et Paul deux œuvres entièrement distinctes, c’estque ces deux pièces ont un argument qui leur est communet qui les lie, jusqu’à un certain point, l’une àl’autre.[460]

Note 21, Page 87.

Cette raillerie sacrilége de l’empereur Julien est motpour mot dans la légende.

Note 22, Page 89.

Les gardes parlent ici par antiphrase, selon la coutumesuperstitieuse des anciens, qui avaient grand soin de supprimertoutes paroles de mauvais augure.

Note 23, Page 89.

Ces détails sont empruntés aux mœurs féodales. Hrotsvithasongeait aux forteresses des vassaux indépendants.

Note 24, Page 101.

Cette scène a été fidèlement et élégamment traduite parM. Villemain, dans sonTableau de la littérature au moyenâge (Paris, 1830, t. II, p. 252). C’est un modèle achevé,que nous aurions été heureux de pouvoir suivre de loin.«Hrotsvitha, dit l’éloquent critique, fait habilement parlerJulien. Il y a là un sentiment vrai de l’histoire. Julienne se montre pas un féroce et stupide persécuteur commel’auraient imaginé les légendaires duVIe siècle....» Je regretted’avoir à atténuer un peu cet éloge donné à Hrotsvithapar un aussi excellent juge; mais la vérité m’oblige àdire que les meilleurs traits du dialogue entre Julien etles deux martyrs appartiennent au légendaire.

Note 25, Page 109.

Ce passage soudain de la frénésie à la raison offrait àla religieuse chargée de représenter le fils de Térentianusl’occasion d’un jeu muet, qui devait être plein d’énergieet d’expression. Hrotsvitha, en ne mettant pas une seule[461]parole dans la bouche du jeune démoniaque, a montrécombien elle se reposait sur la puissance de la pantomime,et prouvé, une fois de plus, qu’elle ne cherchait pas moinsà faire impression sur les yeux que sur l’esprit.

Note 26, Page 109.

Nous avons ajouté la formule finale, qui manque dansle manuscrit.

DULCITIUS.

Note 27, Page 113.

Le sujet de la seconde pièce de Hrotsvitha est pris danslesActes du martyre des trois sœurs (Acta trium sororum),légende fort répandue au moyen âge dans les églises grecqueet latine. Le recueil des Bollandistes contient sousla date des 3 et 5 avril (Aprilis t. I, p. 245 et 250): 1o unenotice des divers agiographes latins et grecs qui ont racontéen prose et même en vers la passion des trois vierges,mises à mort à Thessalonique l’an 290, par ordre deDioclétien; 2o le récit latin de ce martyre, extrait des Actestrès-anciens de sainte Anastasie. Hrotsvitha, dans le dramequ’on va lire, a suivi pas à pas, selon sa coutume, la relationqu’elle avait sous les yeux. Seulement, elle insisteavec une prédilection marquée, sur tout ce qui pouvait exciterle rire, et développe de préférence les suites grotesquesde l’incontinence du gouverneur Dulcitius. C’est, jecrois, en raison de cette prédominance de la partie comique,que Hrotsvitha a donné pour titre à cette comédie,non pas le nom vénéré des trois héroïques sœurs, maiscelui du malencontreux magistrat, dont les déconvenuesjettent une si étrange gaieté dans cette pièce tragi-comique.[462]

Note 28, Page 131.

Ce rapprochement bizarre du corps noirci de Dulcitiuset de la noirceur de son âme est pris textuellement de lalégende.

Note 29, Page 133.

Toutes les mésaventures plaisantes qui assaillent Dulcitius,la méprise des gardes, la colère des huissiers etjusqu’à l’imperturbable et risible confiance qu’il montredans l’élégance de sa toilette, sont autant de traits d’excellentcomique fournis par le légendaire.

Note 30, Page 147.

Cette belle parole se lit dans les Actes.

Note 31, Page 153.

C’est ici pour la seconde fois que nous voyons un chevalintroduit sur la scène. DansGallicanus, Paul et Jeanmontent à cheval pour rejoindre le général. Plus loin,nous verrons Abraham chevauchant avec sa nièce. Onpensera peut-être qu’il dut être assez difficile aux novicesde Gandersheim de représenter le comte Sisinnius demandantà grands cris un cheval, comme Richard III dansShakespeare, et poursuivant sur sa monture rétive l’innocenteIrène. Mais il ne faut pas oublier que le cheval deSisinnius ne fait que tourner, comme dans un manége,ce qui simplifiait beaucoup les difficultés de cet exerciceéquestre.—D’ailleurs, la présence des animaux dans lesdivertissements hiératiques n’était point une chose rare aumoyen âge. L’ânesse de Balaam, celle de notre Seigneurle jour des Rameaux, le bœuf et l’âne auprès de la crêcheà Noël, étaient les accessoires habituels et nécessaires descérémonies ecclésiastiques. Quelquefois, il est vrai, par[463]respect pour les saints lieux, ces animaux ne figuraientqu’en effigie. Du Cange a extrait d’un ancien rituel la mentiond’une ânesse peinte, qu’on plaçait, le dimanche desRameaux, auprès du maître-autel,Asina depicta propteraltare. De nombreux témoignages nous prouvent que dessimulacres représentant le bœuf et l’âne faisaient jadis partiedu mobilier de toute église épiscopale ou monastique.On voit donc, sans que j’insiste ici davantage, que la miseen scène deDulcitius ne dépassait pas les moyens d’exécutiondont le drame hiératique était auXe siècle en mesurede disposer.

Note 32, Page 155.

L’emploi des expressions tirées des superstitions païennesest assez fréquent dans les auteurs ecclésiastiques. Onen trouve des exemples jusque dans nos offices. Ce mélange,toutefois, ne se rencontre que rarement dans lesécrits de Hrotsvitha.

CALLIMAQUE.

Note 33, Page 159.

L’aventure romanesque et touchante qui fait le sujet deCallimaque, est racontée dans leVe livre d’un ouvrage dontFabricius a publié une rédaction latine parmi les apocryphesdu Nouveau Testament (Codices apocryph. Nov.Test., t. II, p. 542); je veux parler de l’histoire apostoliqued’Abdias, premier évêque de Babylone, ou d’unpseudo-Abdias, traduite en latin par Jules Africain.

Note 34, Page 165.

La docte religieuse prête ici au jeune amoureux età ses amis le jargon même de l’école. Ce langage sophistiquéqui nous semble si pédantesque, devait être du[464]meilleur air et un signe d’élégance et de bon ton, à cetteépoque où régnait la scolastique.

Note 35, Page 169.

La citation de Virgile qui termine l’entretien de cesétudiants est bien dans le goût et dans les habitudes despersonnages.

Note 36, Page 169.

Il est impossible de ne pas reconnaître dans la scèned’amour qu’on va lire, et surtout dans les faux-fuyantspudiques qu’emploie Drusiana, pour cacher d’assez tendressentiments sous la colère, les premiers essais tentésdans un genre qui défraie presque uniquement la littératuremoderne, et dont on trouverait difficilement desexemples dans l’antiquité, même en les demandant auxpoëtes élégiaques.

Note 37, Page 179.

Quoique les unités soient moins complétement violéesdansCallimaque que dans les autres pièces de Hrotsvitha,et que l’action ne sorte pas de l’enceinte de la villed’Édesse, il n’y a guère de scène, cependant, qui n’amèneun changement de lieu.

Note 38, Page 183.

Cette apostrophe aux spectateurs, que Celtes a faitdisparaître par une correction malheureuse, est unepreuve nouvelle et décisive qui témoigne de la représentationde ces drames.

Note 39, Page 185.

Voilà un jeu de scène qui ne peut que donner une idéefort avantageuse de l’habileté du machiniste de Gandersheim.[465]

Note 40, Page 191.

Je ne puis laisser passer sans remarque ce nouveaucompliment adressé par l’auteur aux talents du machiniste.

Note 41, Page 203.

Ce sont presque les belles paroles du duc de Guise ausiége de Rouen, si heureusement transportées par Voltairedans le dénoûment d’Alzire:

Des dieux que nous servons connais la différence:
Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance;
Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner,
M’ordonne de te plaindre et de te pardonner.

Note 42, Page 205.

Il échappe ici à la docte théologienne une sorte decontradiction dans les termes; mais le texte est douteux,et il faut peut-être lire, comme j’ai fait plus loin,pages368 et446.

Note 43, Page 211.

Cette invitation à passer le reste de la journée dans lajoie m’avait porté à penser que ce drame avait été fait etreprésenté à l’occasion d’une réjouissance séculière, peut-êtrepour célébrer le mariage de quelque noble protecteurde l’abbaye. Mais on trouve absolument la même conclusiondans la légende. En apprenant que Fortunatus asuccombé aux morsures du serpent, saint Jean s’écrie:«Habes filium tuum, diabole!» et le narrateur ajoute:«Illam diem cum fratribus lætam exegit (Abdias,Histor.apostol. lib. V, inter FabriciiCodic. apocryph. Nov. Testam.,t. I, p. 557).»[466]

ABRAHAM.

Note 44, Page 217.

Ce drame, le plus pathétique que nous ait laissé Hrotsvitha,est tiré d’Actes que nous possédons tant en grecqu’en latin, et qui portent le nom de saint Éphrem. Plusieursmodernes, entre autres, Vossius et Arnauld d’Andilly,lequel a traduit cette touchante histoire dans sesVies des Pères des déserts (t. I, p. 271 et 547), l’ont attribuéà saint Éphrem, le solitaire, qui devint diacred’Édesse et qui vivait auIVe siècle. D’autres pensent queles Actes d’Abraham et de Marie sont l’œuvre d’un autreÉphrem un peu postérieur à celui qui, avant d’être diacre,avait été le maître et le compagnon d’Abraham.Voyez, à la date du 16 mars, lesActa Sanctorum (Martiit. I, p. 433).—L’action se passe, d’après les agiographes,tantôt dans une solitude voisine de Lampsaque, sur lesbords de l’Hellespont, tantôt dans la ville d’Assos, qui n’enest distante que de deux journées.

Note 45, Page 219.

C’est bien ici Éphrem, le solitaire devenu diacre, donton peut lire la vie dans Arnauld d’Andilly (Pères des déserts,t. I, p. 294). On attribue à cet ermite plusieursconversions de courtisanes, qui ont beaucoup de ressemblanceavec l’histoire de Paphnuce et de Thaïs.—Hrotsvithadonne à Éphrem un rôle bien plus important quela légende, laquelle ne le cite qu’une ou deux fois enpassant.

Note 46, Page 227.

Le caractère de Marie est plus encore que celui deDrusiana, une création de Hrotsvitha. Il est tracé avec[467]beaucoup de naturel et de goût. La légende avait très-peufait, et notre auteur a développé ce germe avec unevéritable science du cœur féminin. Dès les premiers motsque cette jeune fille prononce, on sent dans ses repartiesaux exhortations mystiques d’Éphrem, une sorte de matérialitéet de sensualité naïves, présage de chute.

Note 47, Page 227.

Il y a dans cette pensée comme un éclair de coquetterieprécoce, qui me semble un trait exquis de naturel.

Note 48, Page 229.

Le texte dit tout crumentasinum vivit. Cette jeunefille a quelque chose de positif et de matériel, jusquedans l’exaltation religieuse.

Note 49, Page 233.

On pourrait voir dans ce passage une satire indirectedes moines auXe siècle, si cette particularité ne se trouvaitdans la légende:nomine dumtaxat monachus.

Note 50, Page 237.

Hrotsvitha ne laisse guère échapper l’occasion de repassersur la trace de Virgile.

Note 51, Page 253.

Je ne puis m’empêcher de faire remarquer combien ily a d’art délicat et de grâce pudique dans les paroles àdouble sens que le bon anachorète prononce durant cettescène et la suivante.[468]

Note 52, Page 261.

La légende indique ici énergiquement le jeu de scène.Elle nous montre Marieperterrefacta... lapidis instar immobilis.—Lasituation développée dans cette scène estune des plus pathétiques que l’on ait jamais mise authéâtre.

Note 53, Page 267.

Ces belles paroles, qui ne sont qu’indiquées dans lelégendaire, rappellent par la pensée, comme par le mouvement,les vers tant applaudis de l’Hamlet de Ducis, etque disait si admirablement Talma:

Votre crime est horrible, exécrable, odieux;
Mais il n’est pas plus grand que la bonté des cieux.

Note 54, Page 269.

Voilà un blâme formel des dons pieux, regardés commeexpiatoires. La légende est en cet endroit beaucoup moinsexplicite que le drame. Hrotsvitha reviendra encore sur ceblâme; voyezPaphnuce, p.327 et note71.

Note 55, Page 271.

Encore un doux souvenir de Virgile. Marie aura bienraison tout à l’heure de remercier le bon ermite de satendre compassion. Il est impossible de prêcher la pénitenceà un cœur de femme avec une plus douce, pluscharitable et plus consolante onction.

Note 56, Page 273.

L’auteur ne dit qu’un mot et ne décrit pas la scène,sans doute parce que le voyage se faisait sous les yeux desspectateurs. La légende, qui n’avait pas la ressource de la[469]représentation, a soin de nous montrer Marie placée surle cheval d’Abraham, tandis que le vieillard marche devant,conduisant par la bride la monture de sa nièce, àpeu près comme on peint le bon saint Joseph et la Vierge,dans les tableaux de la fuite en Égypte.

Note 57, Page 273.

Cette crainte pudique, qu’inspire à Marie la vue du lieuoù elle a failli, est un trait charmant de délicatesse féminine;il appartient en propre à Hrotsvitha.

PAPHNUCE.

Note 58, Page 283.

Le succès que n’a pu manquer d’obtenir la comédie sitouchanted’Abraham, a probablement engagé Hrotsvithaà donner un pendant à cet ouvrage, que l’argumentqu’on vient de lire rappelle avec complaisance. Il lui aété facile de trouver dans les agiographes la légende dePaphnuce, autre ermite convertisseur de pécheresses,légende qui se rapproche et diffère assez de la précédente,pour que Hrotsvitha ait pu entreprendre de lamettre en scène, sans craindre de se répéter. Cette histoired’une autre Madeleine repentante, si propre à intéresseret à toucher un monastère de femmes, a étébrièvement racontée par un écrivain grec antérieur auVe siècle (voyez Sirlet.,Græc. Menol., ap. Canis.,Antiq.lection., t. II). Une version latine, dont on ne connaît pasl’auteur, a pris place dans le recueil des Bollandistes, sousla date du 8 octobre (Act. Sanctor., octobr. t. VI, p. 223).Enfin, Arnauld d’Andilly a traduit en français cette courtelégende dans sesVies des Pères des déserts (t. I, p. 541).L’action se passe pendant la première moitié duIVe siècle,[470]d’abord en Égypte, dans l’ermitage de Paphnuce, à l’entréedu désert, puis dans une ville voisine, que notreauteur ne nomme pas, mais que plusieurs agiographesdisent être Alexandrie. Plus tard, Hrotsvitha transportela scène dans la Thébaïde, où saint Antoine s’était retiréavec quelques disciples.

Note 59, Page 287.

Les discussions dont cette scène est remplie nous montrentbeaucoup moins un paisible ermitage duIVe siècle,où un simple religieux enseigne d’humbles disciples,qu’une bruyante école duXe siècle, devant laquelle unsubtil controversiste étale les arguties les plus abruptes dela scolastique naissante. En effet, Hrotsvitha, comme lesauteurs dramatiques de tous les temps, n’a guère peintque son propre siècle, en croyant faire revivre les sièclespassés. Mais, à notre point de vue, de pareils tableaux,vrais en eux-mêmes, et dont la date seule est fautive,n’en sont pas d’un moindre intérêt.

Note 60, Page 291.

Hrotsvitha prend prétexte du motharmonie, jeté danssa pédantesque digression sur le monde majeur et lemonde mineur, pour faire montre de tout ce qu’elle avaitpu apprendre sur la musique, telle qu’on l’enseignait dansles écoles monastiques.

Note 61, Page 291.

Tous ces détails techniques ont été tirés par Hrotsvithades écrivains alors les plus autorisés. On peut voir l’explicationdes motssoni excellentes dans le chapitre IX deMartianus Capella et dans Remigius Altisiodorensis (ap.Gerbert.,Scriptor. de musica, t. I, p. 65). On trouvera la[471]définition des motspressi soni dans le chap. VI du traitéDe musicæ disciplina d’Aurelianus Reomensis, écrivainduIXe siècle, recueilli par Gerbert (Loco citato, p. 35).Notre auteur emploie presque toujours textuellement lesexpressions de Boëce, qui traite de la musique non-seulementdans ses trois livresDe musica, mais dans plusieursendroits de son arithmétique.

Note 62, Page 293.

Il est singulier que Hrotsvitha qui définit le quadrivium,ne parle pas du trivium. Le quadrivium renfermait,comme on vient de le voir, l’arithmétique, la géométrie,la musique et l’astronomie. Le trivium comprenait lagrammaire, la dialectique et la rhétorique. Cette divisiondes études au moyen âge se retrouve à peu près dans notredivision actuelle ensciences etlettres. La réunion dutrivium et du quadrivium constituait les sept arts libéraux,dont Cassiodore, Boëce et Martianus Capella ont traitéavec étendue. Je vois déjà dans Boëce le mot quadrivium(Arithmet., lib. I, cap. 1); d’ailleurs, le partagedes arts libéraux en sept branches est de beaucoup antérieurauVe siècle. On se rappelle la LXXXVIIe épîtrede Sénèque qui commence ainsi: «De liberalibus studiisquid sentiam scire desideras.» Il fallait que ces notionsélémentaires fussent quelque peu tombées dans l’oubli àla fin duXe siècle, pour que Hrotsvitha ait pensé qu’il pouvaity avoir quelque mérite à les rappeler si hors de propos.

Note 63, Page 295.

Cette bizarre division de la musique en céleste, humaineet instrumentale n’est point, comme on pourraitcroire, une poétique fantaisie de Hrotsvitha; on latrouve dans tous les écrivains dogmatiques alors accrédités.Voyez, entre autres, Boëce (De musica, lib. I,[472]cap.II) et Aurelianus Reomensis (ap. Gerbert.,Loc. cit.,p. 32).

Note 64, Page 297.

Ici doctrine et nomenclature sont tirés de MartianusCapella: «Sonum, id est tonum, productionem vocavi(lib. IX, § 955).»

Note 65, Page 297.

Censorinus donne de la consonnance (Symphonia)une définition beaucoup plus claire que Hrotsvitha:«Symphonia, dit-il, est duarum vocum inter se junctarumdulcis concensus (De die natali, cap.X, § 5).»Suivant Cassiodore: «Symphonia est temperamentumsonitus gravis ad acutum vel acuti ad gravem modulamenefficiens (De musica, p. 430, ed. 1589).» C’estévidemment de cette définition abrégée que Hrotsvitha aformé la sienne, qui a le double défaut d’être obscure etincomplète.—Le motmodulatio qu’elle emploie, a ici unesignification tout à fait différente de celle qu’a reçue cheznous le motmodulation. Cette expression offre dans Hrotsvithale même sens que dans Martianus Capella, quandil dit: «Modulatio est soni multiplicis expressio.»

Note 66, Page 299.

Cette théorie mathématique des accords et des intervallesest tirée presque textuellement de Censorinus (Dedie natali), de Macrobe (Somnium Scipionis), de MartianusCapella, de Cassiodore, Boëce, saint Isidore de Séville,etc. Je trouve dans leMystère de l’Incarnation et de lanativité, représenté à Rouen en 1474, une scène curieuse,que M. Onésime le Roy a citée dans sesÉtudes sur lesMystères, et dont on pourrait croire le dessin et les détails[473]imités de Hrotsvitha, s’ils n’étaient tout simplementpuisés aux mêmes sources. Un berger mélomane, nomméLudin, s’obstine à donner à un berger ignorant la leçonde musique suivante:

LUDIN.
...............Premièrement
Pour avoir de chant l’instrument,
Dont vient mainte joyeuseté,
Tu trouveras dyapenté
Qui contient troys tons et demy.
ANATHOT.
Ludin, par ma foy, mon amy.
Se je y entons ne blanc ne bis;
Mais parle moi de nos brebis,
Et de ce qu’il leur appartient.
LUDIN.
Puis deux tons et demy contient
Dyatessaron. Qui assemble
Les deux consonnances ensemble,
Il peut dyapason trouver.
ANATHOT.
Autant en sçay je comment hier.
LUDIN.
Numérables proportions
Ont grans participations
A ceux-cy, car avec Dupla
Tres grande conveniance ha
Dyapason. Puis me souvient
Qu’a dyatessaron convient
Sexquitercia, et après
De sexquialtera est près
Celle qu’on dit dyapenthé.
ANATHOT.[474]
Qu’est-ce que tu m’as raconté?
Je n’entends rien à tels propos;
Et seroient droitement bons mots
A garir les fievres quartaines, etc., etc.

L’édition imprimée de ce Mystère cite à la marge,comme autorité, quelques extraits de l’arithmétique deBoëce, abrégée par maître Johannes de Muris.

Note 67, Page 301.

Paphnuce, ou plutôt Hrostvitha, expose ici l’opiniondes Pythagoriciens sur l’harmonie des sphères célestes.Cette poétique hypothèse, adoptée par Platon, a pénétrédans quelques écrivains ecclésiastiques. Je ne saurais diresi c’est par cette dernière voie qu’elle est parvenue àHrotsvitha. On la trouve exposée dans une foule d’écrivains.Je ne citerai que Porphyre (De vit. Pythag.), Héraclidede Pont (Allegor. Homeric.), le pseudo-Aristote(De cœlo, lib. II, cap.IX), Cicéron (Somnium Scipionis),Chalcidius (in Platonis Timœum), Censorinus, saint Basile(Homel. III,in hexaemeron), saint Ambroise, (Lib.Hexaem., cap.II), saint Anselme (De imag. mundi, lib. I,cap.XXIII).

Note 68, Page 303.

Allusion à ces paroles de saint Paul: «Quæ stulta suntmundi elegit Deus, ut confundat sapientes.»Epist. I adCorinth., cap.I, v. 27.

Note 69, Page 305.

C’est là, il faut l’avouer, une assez belle apologie de lascience et bien imprévue dans un siècle si généralementaccusé de barbarie.[475]

Note 70, Page 307.

Cette réflexion aussi fine qu’heureusement expriméesemble échappée à la plume d’un moraliste moderne.

Note 71, Page 327.

Cette pensée vraiment chrétienne est une nouvelle etbien remarquable censure des fondations, par lesquelleson croyait obtenir le pardon de tous les crimes. Hrotsvithaa déjà fait entendre le même blâme dansAbraham.Voyez p.269 et note54.

Note 72, Page 327.

Il semble que Virgile soit le guide de Hrotsvitha, commede Dante. Le souvenir du poëte ne l’abandonne jamaislongtemps. Elle s’empresse de revenir à lui, dès qu’elle entrouve l’occasion.

Note 73, Page 349.

La scène qu’on vient de lire, où Paphnuce recommandeThaïs pénitente aux soins de la supérieure d’un couventde femmes, ne retrace en rien les usages monastiques duIVe siècle. Mais cet entretien nous offre en échange unexemple curieux des formules de pieuse courtoisie, aveclesquelles devaient s’aborder et converser un abbé et uneabbesse dans le siècle et dans la patrie des Othons.

Note 74, Page 353.

Il pourra paraître singulier que je traduiseecce tresmensurni paril y a trois ans; mais, ainsi que j’en ai fait laremarque dans les notes latines, le motmensurnus signifiedans Hrotsvitha,la révolution complète de douze mois.[476]Cela est surtout évident dans le présent passage dePaphnuce.Un peu plus bas, en effet (p. 354), Hrotsvithaexpliqueecce tres mensurni, parante hoc triennium.

Note 75, Page 357.

En reportant notre pensée sur la scène à laquelle il estfait ici allusion, nous ne pouvons nous empêcher de remarquerque ce mélange dedouces remontrances et d’énergiquesconseils se rapporte avec beaucoup plus de vérité àla conversion de Marie par Abraham. C’est seulement,comme nous le verrons tout à l’heure, en assistant lapécheresse agonisante, que Paphnuce montrera enverselle toute sa tendresse de cœur.

Note 76, Page 359.

Hrotsvitha me paraît s’être plutôt rappelé ici le sensque les paroles de saint Matthieu: «Ubi sunt duo vel trescongregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum.»Evangil., cap.XVIII, v. 20.—Il est presque impossible de signalertous les emprunts que notre auteur fait au Nouveauet à l’Ancien Testament. Par exemple, un peu plus loin(p. 362), on lit:Si Deus iniquitates observabit, nemosustinebit. C’est une allusion au verset 3 du psaumeCXXIX:«Si iniquitates observaveris, Domine; Domine, quis sustinebit?»

Note 77, Page 367.

On voit que notre auteur suivait les opinions de saintAugustin sur la grâce.

Note 78, Page 367.

Cette théologie miséricordieuse, qui se retrouve danstoutes les pièces de Hrotsvitha, prouve que la barbarie desmœurs n’avait pas pénétré dans les doctrines.[477]

Note 79, Page 371.

Voilà une belle et consolante prière, et qui aurait étébien digne d’être prononcée au chevet des agonisantesdans les monastères de femmes.

SAPIENCE.

Note 80, Page 375.

Au lieu du nom d’Hadrien, le manuscrit porte ici le nomde Dioclétien. J’ai pensé qu’il ne fallait voir dans cettevariante qu’une faute de copiste, et j’ai rétabli dans l’argumentle premier nom qu’on lit dans tout le cours de lapièce. Cependant, cette leçon acquiert un certain intérêt,quand on voit dans la dissertation préliminaire des Bollandistes«qu’on ne sait pas bien si le martyre des troissœurs Foi, Espérance et Charité a eu lieu à Rome ou àNicomédie, ni même si cet événement s’est passé du tempsd’Hadrien ou sous le règne de Dioclétien.»

Note 81, Page 375.

Les noms significatifs des principaux acteurs de ce dramem’avaient d’abord induit à croire queFoi, Espérance etCharité, filles de Sapience, étaient une pièce allégoriquedu genre de nos anciennesmoralités, plutôt que la miseen action d’une légende. Je m’étais trompé. Un assezgrand nombre d’auteurs grecs et latins ont mentionnél’histoire de cette mère intrépide et de ses trois jeunesfilles. Les Bollandistes, à la date du 1er août (Acta Sanctor.,August. t. I, p. 16), donnent une notice des écrivains quiont parlé de ces courageuses héroïnes, et regrettent que,hors leur martyre, on ignore ce qui les concerne. Eneffet, tous les agiographes, sauf le déclamateur Métaphraste,n’ont accordé qu’un très-petit nombre de lignes[478]à cette histoire. Hrotsvitha a eu rarement moins de secours.Il faut encore remarquer qu’elle a un soin particulierde faire parler chaque personnage suivant le caractèreque son nom suppose.

Note 82, Page 377.

C’est le titre que les légendes donnent à Antiochus.

Note 83, Page 383.

N’y a-t-il pas là un souvenir lointain de l’ancienne formuleCaveant consules?

Note 84, Page 385.

Ce commandement est tiré de saint Marc, chapitreXIII,v. 11, et de saint Luc, chapitreXII, v. 11 et 12.—Il estjuste de faire observer que si Hrotsvitha se montre verséedans la lecture d’Horace et de Virgile, elle ne l’est pasmoins dans celle de l’Écriture Sainte.

Note 85, Page 389.

Cette circonstance semble prouver que la légende deSapience ou de Sophie et de ses filles est d’origine hellénique.

Note 86, Page 391.

Hrotsvitha retombe ici dans une de ces digressions pédantesquesoù elle aime tant à se jeter en écolière émerveilléede son savoir de fraîche date. Ce ne sont pas cettefois des lambeaux de philosophie scolastique, comme dansCallimaque, ni une exposition technique de la science musicale,comme dansPaphnuce. Nous allons assister, bongré, mal gré, à une leçon sur la théorie des nombres. Il[479]semble que Hrotsvitha ait eu à cœur de prouver sa compétencedans presque toutes les branches dutrivium et duquadrivium. Elle a, d’ailleurs, laissé percer cette ambitiondans la préface de ses comédies, sous une formule modestementorgueilleuse: «Pour que ma négligence, a-t-elledit, n’anéantisse pas en moi les dons de Dieu, toutes les foisque, par hasard, j’ai pu recueillir quelques fils ou légersdébris du vieux manteau de la philosophie, j’ai eu grandsoin de les insérer dans le tissu de mon ouvrage (Épîtreà certains savants, p. 13).» Il est impossible de tenirplus exactement ses résolutions. La savante religieuse nelaisse, en effet, échapper aucune occasion de se parerdu bonnet doctoral, ou plutôt elle s’en affuble, commeici, sans même avoir pour excuse la moindre apparenced’occasion.

Note 87, Page 395.

Toute cette théorie des nombres se trouve dans Boëce,qui lui-même l’avait prise ailleurs. Il n’y a pas jusqu’àces quatre nombres parfaits cités pour exemple, qui nesoient dans Boëce (Arithm., lib. I, cap. 20).—Un jeunemathématicien de Franche-Comté, M. Grillet, me communiquesur ce passage la note suivante. «Les nombresparfaits dans l’ordre où l’on vient de les lire (6, 28,496, 8128) sortent de la formule 2n (2n+1-1) laquelledonne des nombres parfaits, toutes les fois que (2n+1-1)est un nombre premier. On conçoit, d’ailleurs, que lesarithméticiens du moyen âge se soient arrêtés à ces quatrenombres, car le plus petit que la formule fournit ensuiteest 33,550336, pour n = 12.»

Note 88, Page 397.

Il est nécessaire d’interpréter ici la définition de la dénomination.Quand on dit qu’un nombre est la moitié, le[480]tiers, etc., d’un autre nombre, cela signifie que le premierentre exactement deux fois, trois fois dans le second. Cesont ces nombres de fois que Hrotsvitha considère, quandelle dit plus haut que la dénomination des parties est pairementpaire, paire ou impaire.

Note 89, Page 403.

Encore une sorte de réminiscence mythologique.

Note 90, Page 439.

On voit par la lecture des agiographes que le seul instrumentqui eût action sur les martyrs et qui pût leurdonner sûrement la mort, c’était l’épée. Tous les Actesnous montrent les saints confesseurs insensibles aux autressupplices.

Note 91, Page 449.

C’est ici une allusion aux paroles de saint Matthieu, plutôtqu’une citation textuelle. Voy.Evang., cap.XIX, v. 29.

Note 92, Page 449.

Ce dénoûment me paraît avoir un frappant caractère desolennité et de grandeur. Cette vieille mère éplorée, cetteHécube calme et chrétienne, qui, après avoir enterré deses mains ses trois filles offertes au ciel, se retire à l’écartet n’émet qu’un vœu, celui de mourir après une courteet fervente prière, et qui meurt comme elle l’a souhaité,me semble rappeler un autre grand et noble type dematernité courageuse, la vénérable duchesse Oda, quiconsacra cinq de ses filles à Dieu, en vit mourir quatreet, ne devançant la dernière que de peu de mois, descendit,en priant, dans la tombe. Hrotsvitha, dans sonpoëme sur la fondation du monastère de Gandersheim, a[481]rappelé avec émotion la glorieuse vieillesse d’Oda et lestombeaux de la mère et des filles:

Oda nimis felix, nostri spes et dominatrix,
Quum decies denos septem quoque vixerat annos,
Vitam fine bono consummans transit ad astra,
Exspectans spe felici tempus redeundi
Flatus, atque resurgendi de pulvere pleni
Corporis in tumulo, quod nunc sub tegmine duro
Juxta natarum requiescit busta suarum.
.....................................
Christina.........................
Jungitur in lucis patria pacisque perennis
Ejus germanis.......................
Quas matri cunctas in cœlo consociatas,
Alme Pater, tecum præsta gaudere per ævum.

Je me figure que Hrotsvitha et ses compagnes, en attendantla béatification de leur digne fondatrice, aimaient àla glorifier par anticipation, sous le nom et sous les traitsde Sapience.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.


Hrotsvitha, son temps, sa vie et ses ouvragesPagesI-LXIV
Prologue3
Préface des comédies5
Épître à certains savants9
Gallicanus (1re partie)15
Gallicanus (2e partie)85
Dulcitius111
Callimaque157
Abraham215
Paphnuce281
Sapience373
Notes et éclaircissements451–481

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

ERRATA.

Pages 4,ligne 17, hujus modi,lisez hujusmodi.
8,ligne 4, uvat,lisez juvat.
12,notea, energeiam,lisez energeian.
13,ligne 9, soin de l’insérer,lisez soin de les insérer.
19,noteb, nullibi,lisez nusquam.
20,ligne 14, idipsum,lisez id ipsum.
50,noteb, uncis inclusa,lisez parenthesi inclusa.
51,noteb, quid sit agendum in scena a ludentibus,lisez quid sit ludentibus agendum in scena.
51,noteb, pagin. 40,lisez pagin. 42.
83,ligne 6, et me faire,lisez et de me faire.
86,notea, congrunt,lisez congruunt.
201,ligne 17, qui avez,lisez qui aviez.
201,ligne 27, biens de la mort,lisez liens de la mort.
210,lignes 18 et 19, commandatum,lisez commendatum.
446,ligne 14, jucundase renitas,lisez jucunda serenitas.
477,ligne 14, eu a lieu,lisez a eu lieu.
480,ligne 27, de peu d’années,lisez de peu de mois.

— Note de transcription détaillée —

Cette version électronique comporte les corrections suivantes:

La gravure de la page 288 est dupliquée en page 354, comme dans l’original.

Les errata à la fin du livre ont été appliqués.

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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™
Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution ofelectronic works in formats readable by the widest variety ofcomputers including obsolete, old, middle-aged and new computers. Itexists because of the efforts of hundreds of volunteers and donationsfrom people in all walks of life.
Volunteers and financial support to provide volunteers with theassistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’sgoals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection willremain freely available for generations to come. In 2001, the ProjectGutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secureand permanent future for Project Gutenberg™ and futuregenerations. To learn more about the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation and how your efforts and donations can help, seeSections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit501(c)(3) educational corporation organized under the laws of thestate of Mississippi and granted tax exempt status by the InternalRevenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identificationnumber is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation are tax deductible to the full extent permitted byU.S. federal laws and your state’s laws.
The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and upto date contact information can be found at the Foundation’s websiteand official page at www.gutenberg.org/contact
Section 4. Information about Donations to the Project GutenbergLiterary Archive Foundation
Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespreadpublic support and donations to carry out its mission ofincreasing the number of public domain and licensed works that can befreely distributed in machine-readable form accessible by the widestarray of equipment including outdated equipment. Many small donations($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exemptstatus with the IRS.
The Foundation is committed to complying with the laws regulatingcharities and charitable donations in all 50 states of the UnitedStates. Compliance requirements are not uniform and it takes aconsiderable effort, much paperwork and many fees to meet and keep upwith these requirements. We do not solicit donations in locationswhere we have not received written confirmation of compliance. To SENDDONATIONS or determine the status of compliance for any particular statevisitwww.gutenberg.org/donate.
While we cannot and do not solicit contributions from states where wehave not met the solicitation requirements, we know of no prohibitionagainst accepting unsolicited donations from donors in such states whoapproach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot makeany statements concerning tax treatment of donations received fromoutside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
Please check the Project Gutenberg web pages for current donationmethods and addresses. Donations are accepted in a number of otherways including checks, online payments and credit card donations. Todonate, please visit: www.gutenberg.org/donate.
Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works
Professor Michael S. Hart was the originator of the ProjectGutenberg™ concept of a library of electronic works that could befreely shared with anyone. For forty years, he produced anddistributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network ofvolunteer support.
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