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The Project Gutenberg eBook ofL'Illustration, No. 0012, 20 Mai 1843

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Title: L'Illustration, No. 0012, 20 Mai 1843

Author: Various

Release date: February 4, 2011 [eBook #35166]

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0012, 20 MAI 1843 ***



Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.
Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.
Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.
pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.

N° 12. Vol. I.--SAMEDI 20 MAI 1843.
Bureaux, rue de Seine. 33.


                Le prince de Metternich1

SOMMAIRE.

Le prince de Metternich Portrait. Une soirée chez le prince deMetternich.--Courrier de Paris.--Horticulture. Exposition des produitsde l'Horticulture à l'Orangerie de la Chambre des Pairs.Cinqgravures. --La Vengeance des Trépassés par F. G. Nouvelle (fin).--Duprogrès de l'idée morale dans l'histoire de l'humanité.--Beaux-Arts..Salon de 1843.Translation de la sainte case de la Vierge, par Devéria;l'Enfant et le Chien, par Maindrom; un Convoi de Blessés, par Charlet;un Ménestrel, par Couture; Statue de Duquesne, par Dantan aîné.-La finde Don Juan (dix-septième chant).--La Phrénologie, chansonnette. Musiquede M. G. Héquet, paroles de M. Durandeau.Gravure.--Théâtres.Mademoiselle de La Vallière; l'Homme de Paille; les Cuisines.Une scènede mademoiselle de La Vallière; Porte St-Martin.--Bulletinbibliographique.--Modes.Gravure.--Napoléon adoré dans un templechinois.--Amusement des Sciences.--Rébus.

Note 1:(retour) Ce portrait de M. de Metternich est gravé d'après letableau de Lawrence. Aujourd'hui M. de Metternich n'est plus aussi jeuneque lorsqu'il posait devant l'illustre artiste anglais. Mais aucun desportraits lithographiés depuis en Allemagne n'était assez satisfaisantpour pouvoir être préféré.

Depuis bien des années. M. de Metternich occupe en Autriche la premièreplace. Plusieurs princes se sont succédé sur le trône, et il est demeuréchef du cabinet, poursuivant avec impassibilité toutes les conséquencesde son système politique. La monarchie autrichienne, telle qu'elleexiste aujourd'hui, est son oeuvre. C'est grâce à lui qu'elle s'estrelevée sur les ruines du Saint-Empire Romain, et que, depuis 1813jusqu'à nos jours, elle a joué un si grand rôle dans les affaires del'Europe.

Clément Wenceslas, comte de Metternich-Winneburg-Ochsenhausen, est né àCoblentz, le 15 mai 1773, d'une des meilleures familles du pays. A l'âgede quinze ans il fut envoyé à l'Université de Strasbourg, où il eut pourcondisciples le comte de Loewestine et Benjamin Constant. Le mouvementrévolutionnaire éclatait au moment où il achevait sa philosophie. Ilcompléta ses études en Allemagne, parcourut la Hollande et l'Angleterre,et revint à Vienne pour épouser, à l'âge de vingt et un ans, la fille dufameux prince de Kaunitz. M. de Metternich, destiné à la carrière de ladiplomatie, assista d'abord comme simple secrétaire au congrès deRadstadt, puis il accompagna le comte de Stadion dans ses missions enPrusse et en Russie. Il allait être nommé ambassadeur à Pétersbourglorsque, le traité de Presbourg changeant tout à fait la situation del'Autriche en Europe, il fut envoyé à Paris. Dans ce poste difficile, M.de Metternich se conduisit avec habileté. Convaincu que le meilleurmoyen de reconquérir quelque influence en Europe était de conserver unestricte neutralité, tout en demeurant dans une alliance étroite avecNapoléon, il s'attacha par-dessus toutes choses à plaire autout-puissant Empereur: c'était la politique adoptée par la cour deVienne, et il y réussit à merveille. Tout en M. de Metternich plaisait àNapoléon, qui cherchait alors à reconstituer en France une cour et unenoblesse. M. de Metternich joignait aux avantages de la naissance desmanières élégantes, de la politesse, une physionomie noble etdistinguée; jeune, brillant, d'un esprit fin, d'une parole facile, ilétait aussi ce que l'on appelle un homme à bonnes fortunes; ilparaissait à toutes les fêtes de la cour; on admirait le luxe de seséquipages et de sa maison. Ses formes séduisantes avaient gagnéNapoléon, qui, tout en regrettant de le voir si jeune, car il n'avaitalors que trente-trois ans, l'accueillait avec faveur, et se plaisait àle regarder comme l'expression du système français en Autriche.

On espérait à Vienne pouvoir conclure une alliance étroite entre laFrance et l'Autriche; on rappelait en toute occasion le traité de 1756Au milieu de ces rêves, Napoléon partit pour la fameuse entrevued'Erfurth. Dans les plans qui y furent agités, on sacrifiait l'Autrirhe.Dès lors le cabinet de Vienne prêta l'oreille aux insinuations del'Angleterre, et se prépara sourdement à rompre le traité de Presbourg,à l'aide des subsides de la Grande-Bretagne M. de Metternich eut pourmission de couvrir les préparatifs militaires, et s'en acquitta si bienque, lorsque l'Autriche se déclara, Napoléon, furieux d'avoir été silongtemps trompé, donna l'ordre au ministre de la police d'enlever M. deMetternich, qui était demeuré à Paris, et de le faire conduire debrigade en brigade jusqu'à la frontière. Fouché adoucit cet ordrebrutal, et se contenta de faire accompagner l'ambassadeur autrichien parun seul capitaine de gendarmerie.

Deux mois après, la victoire avait prononcé: leMoniteur proclamaitquela maison de Lorraine avait cessé de régner, et l'Autrichesubissait la paix qu'il plaisait à l'Empereur de lui donner par letraité de Vienne. M. de Metternich, durant toute cette campagne, étaitresté au quartier-général de son souverain, avec le titre de ministred'État. Il tenait pour la paix. La nécessité fit prévaloir son opinion,et l'empereur d'Autriche crut être agréable à Napoléon et témoigner dela loyauté avec laquelle il voulait remplir ses engagements, en nommantM. de Metternich chancelier d'État, c'est-à-dire premier ministre, avecla direction des Affaires étrangères: M de Metternich avait trente-sixans. Alors éclata la pensée qui a dirigé la politique de l'Autrichejusqu'à la retraite de Moscou: reconquérir par une alliance étroite avecla France ce qu'elle avait perdu par la guerre. Le mariage de Napoléonavec une archiduchesse d'Autriche fut le premier acte de cettepolitique. Bientôt après des mécontentements éclatent entre la France etla Russie, et M. de Metternich négocie et conclut avec Napoléon, pourl'Autriche, une alliance offensive et défensive. Mais c'est quand ladésastreuse retraite de Russie fut porté le premier coup à la fortune deNapoléon, que se développa l'habileté de M. de Metternich: l'on voitalors avec combien d'adresse, de fermeté, il s'efforce de relever sonpays et de lui rendre son rang parmi les grandes puissances. Il seraittrop long d'analyser ici les négociations suivies par ce ministre depuisce moment jusqu'à la ruine de l'Empire français.

En 1813, M. de Metternich ne voulait sûrement pas la ruine de Napoléon,mais seulement substituer à son immense puissance une balance européennequi mit l'Autriche, la Prusse et la Russie dans un état d'indépendance àl'égard de la France. Napoléon découvrit clairement pour la premièrefois ces intentions de M. de Metternich dans des conférences à Dresde. Ilse révoltait contre l'audace des peuples qu'il avait tant de foisécrasés. Les prétentions de M. de Metternich l'irritaient violemment;cédant à un mouvement de colère, il lui dit: «Metternich, combienl'Angleterre vous donne-t-elle pour jouer ce rôle contre moi?» M. deMetternich pâlit, et ne répondit pas; mais comme Napoléon, dans lavivacité de ses gestes, avait laissé tomber son chapeau, il ne se baissapas pour le ramasser, comme il l'eût fait par étiquette dans toute autrecirconstance. Cette parole outrageante contribua peut-être à la ruine del'Empereur. Des ce moment M de Metternich prêta l'oreille aux sentimentsdes populations allemandes, et promit la coopération de l'arméeautrichienne, forte de 200,000 hommes, au plan de campagne tracé parBernadotte dans le congrès de Trachenberg.

Au milieu des longues et difficiles négociations qui amenèrent la chutede Napoléon et la restauration des Bourbons. M. de Metternich s'appliquasurtout à relever la maison d'Autriche de l'état de faiblesse etd'abaissement où l'avait plongée sa lutte contre la France, et à luicréer une puissance nouvelle qui put contre-balancer l'empire que laPrusse exerçait sur l'Allemagne du nord Ce fut là le but de tous sesefforts dans le congrès de Vienne, qu'il présida en quelque sorte; et ily réussit en gagnant à l'Autriche la Lombardie et les bords de la merAdriatique. Depuis lors. M. de Metternich s'est appliqué exclusivement àmaintenir intacte son oeuvre ébranlée par de fréquentes secousses.Comprimer le mouvement libéral qui agitait les populations italiennes,arrêter les progrès de la Russie; c'est à cela que s'est réduite toutela politique de M. de Metternich au dedans et au dehors. Jusqu'ici lesuccès a couronné ses efforts.

Dans l'administration intérieure de l'Autriche, M. de Metternich semblepersuadé que la liberté civile est nécessaire pour tous, mais que lespeuples ne doivent avoir que juste assez de liberté politique pour netroubler ni l'esprit ni la durée des gouvernements Les circonstancesl'ont cependant maintes fois détourné de ces principes déjà peutolérables. La monarchie autrichienne se compose d'éléments hétérogènesentre lesquels il n'y a jamais eu ni alliance complète ni fusion: cesont la Bohème, la Pologne, la Hongrie, le Tyrol, l'Italie; et certes onne peut voir là des éléments d'ordre et de durée: aussi, dansl'administration intérieure, il règne un système de défiance etd'oppression effrayant. La police est le principal ressort dugouvernement, peut-être le seul, et il n'y a, dans cette immense etpuissante monarchie, ni lumières, ni moralité, ni force véritables.

La vie privée de M. de Metternich a été traversée par bien des malheursdomestiques, que les distractions du monde n'ont pas toujours pueffacer. On le dit bon, affable, et ses ennemis mêmes ne lui refusentpas les qualités qui font l'honnête homme. Le tracas des affaires n'apas empêché M. de Metternich de cultiver son esprit et des talentslittéraires fort distingués. Avec une remarquable facilité d'expression,il a un goût pur, une manière noble d'exprimer sa pensée, même dans sesnotes diplomatiques, on le sens est presque toujours caché sous desphrases techniques. C'est à lui que l'on doit l'introduction dans lesprotocoles de cette forme qui en appelle toujours à la postérité, despassions et des progrès contemporains. M de Metternich possède àmerveille notre langue, il en connaît toutes les délicatesses, et il laparle avec beaucoup de pureté. Les personnes qui l'approchèrent lorsquela maladie de sa femme l'appela à Paris, en 1825, furent surprises detrouver en lui presque de la vanité littéraire. Il connaissait tous nosbons auteurs, jugeait les contemporains avec une remarquable sagacité,et on avait peine à concevoir que ce grand politique eût trouvé leloisir d'étudier les plus futiles productions de la littératurecontemporaine de notre pays. On dit que M. de Metternich a préparé desmémoires étendus, appuyés de pièces justificatives, et qu'à l'exemple duprince de Hardenberg, il les a écrits en français.

A cette esquisse biographique nous ajouterons l'article suivant, quinous est communiqué par un étranger tout à fait digne de foi.

UNE SOIRÉE CHEZ LE PRINCE DE METTERNICH.

Les Allemands ou les étrangers qui sont présentés chez le prince deMetternich le voient rarement, s'ils se retirent avant minuit.L'archichancelier se montre quelquefois dans ses salons vers onzeheures, mais il ne fait que les traverser; jamais il ne s'arrête auprèsd'un de ses hôtes, il ne prend part à aucune conversation.

Minuit est l'heure ordinaire de son apparition fixe; car, à moins quedes raisons majeures n'appellent des ambassadeurs étrangers chez luipendant la journée, il les reçoit, et il traite toujours les affairesd'État dans le courant de la soirée. Ces audiences sont, du reste,basées complètement sur le système de la secte des péripatéticien... cartant qu'elles durent, M. de Metternich ne cesse pas de se promener dansun salon contigu au salon de réception, dont les portes restent fermées,et ne s'ouvrent que pour laisser entrer et sortir les ministres ouambassadeurs étrangers.

De temps à autre, vous le voyez entr'ouvrir cette porte, que l'on peutappeler avec raison la porte ministérielle, saluer le diplomate qu'ilcongédie, et, après avoir parcouru de son oeil fixe et impassible lecercle ordinairement rangé autour de sa femme, faire signe à celui dontil requiert la présence, et disparaître de nouveau avec le nouvel élu.Cela dure ainsi jusqu'à onze heures et demie, et a lieu tous les soirs,à l'exception du dimanche, jour de ses grandes réceptions, où la fouleencombre sept ou huit vastes salons, et où le prince parle à tout lemonde, sans rien dire à personne.

Pendant la semaine, au contraire, quand l'heure des audiences est passéeet qu'il ne veut plus s'occuper d'affaires il vient s'asseoir à la tablede thé, rit et plaisante avec ceux qui s'y trouvent, puis se met àcauser et à raconter des anecdotes des premières années de sa carrièrepolitique, et principalement de celles qu'il a passées comme ambassadeurà la cour de Napoléon. Naturellement, au bout de quelques instants, iltient seul le dé de la conversation, et souvent entraîné peu à peu parses souvenirs, il passait une heure ou deux au milieu de nous, nousprocurant ainsi à tous le plaisir d'une soirée aussi agréablequ'intéressante et dont il faisait tous les frais.

M. de Metternich est le seul ministre de l'Europe qui, par le grand étatde sa maison, l'éclat avec lequel il représente son souverain, lanoblesse de ses manières, l'étendue de sa puissance et le respect qu'ilinspire, nous rappelle aujourd'hui la grandeur passée de Richelieu et deMazarin, la profonde habileté de Ximenès et l'éclat de Buckingham.

Visite-t-il, dans le courant de l'été, ses domaines, on le voit suivi,dans ses voyages, par toute la chancellerie d'État; sort-il même del'empire pour aller à Johannesberg, il amène toujours avec lui unedouzaine des principaux conseillers auliques, deux fois autant desecrétaires; et pendant ces excursions, les courriers d'État ne font quesillonner nuit et jour la distance qui sépare Vienne de la résidencemomentanée du ministre suprême.

Une des ailes de son château de Koenigswarth, près de Carlsbad, où il serend tous les ans, a été reconstruite de manière à loger toute lachancellerie impériale; aussi, si on y entre pendant le séjour duprince, on peut se croire transporté à Vienne, dans les bureaux duministère des Affaires étrangères.

Je rencontrai un jour, entre Pilsen et Plass, terre du princedix-huitvoilures impériales, attelées chacune de quatre chevaux de poste, et jem'imaginai d'abord que j'allais voir passer l'empereur ou l'impératricequi se rendait à Prague ou à Toeplitz. Grand fut mon étonnement quandj'appris la vérité: c'était la chancellerie d'État; elle allaits'établir à Koenigswarth, et précédait de vingt-quatre heures SonAltesse, qui se rendait pour un mois ou six semaines à sa maison decampagne. Arrivé à la première poste, je dus attendre cinq heures avantde pouvoir continuer ma route; tous les chevaux disponibles avaient étémis en réquisition pour le transport de messieurs les conseillersauliques, secrétaires, chefs de division, de bureau, etc., etc. Lesministres français et anglais n'étalent jamais un pareil luxe, etcependant le budget de l'Autriche est plus faible de deux tiers quecelui de tous les gouvernements à bon marché.

Mais ce n'est point de l'homme d'État que je veux parler c'est del'homme privé. Sous ce rapport, le prince de Metternich est aussiremarquable qu'il peut l'être comme diplomate. Personne, en effet, nesaurait être plus aimable, n'a de plus belles manières que lui; personnen'est plus gracieux et plus simple dans son intimité; personne, enfin,ne saurait engager et soutenir une conversation avec plus d'esprit.

M. de Metternich s'exprime toujours en français; car cette langue sembleseule être admise dans son hôtel, et le prince la parle avec autant depureté que le plus rigide des grammairiens. J'ai fréquenté son salonpendant bien des années, et jamais je n'ai entendu un mot d'allemandprononcé ni par lui ni par sa femme.

En relisant dernièrement le journal de mon séjour en Allemagne, j'y aitrouvé l'anecdote suivante. Je n'ai rien voulu changer aux paroles duprince, que j'ai transcrites mot pour mot, cinq minutes après l'avoirquitté, selon mon habitude, Je puis donc garantir leur authenticité.

Le 17 février 1838, il y avait chez le prince une grande réception enl'honneur de Hussein-Khan, ambassadeur extraordinaire de Perse auprès dela cour de Saint-James. Après un séjour à Vienne de peu de durée,pendant lequel on avait cherché à profiter de sa présence pour jeter lesfondements d'une espèce de ligne soi-disant commerciale, qui devaitrenverser l'influence russe au profit de l'Autriche et de l'Angleterre,irritées de l'affaire d'Hérat, le khan se résolut à poursuivre sonvoyage, dans l'espoir de rencontrer en route les passe-ports anglais quelord Melbourne lui avait refusés jusqu'alors. Cet ambassadeur était untrès-bel homme, et sa beauté mâle était encore relevée par la richessede ses cachemires et l'éclat des pierreries dont son costume orientalétait chamarré. Ces trois avantages, la beauté, les cachemires et lespierreries, mais particulièrement les deux derniers, ne contribuèrentpas peu à lui procurer une vogue inouïe, et il n'eut guère quel'embarras du choix dans la distribution de ses faveurs aux ravissantesbeautés de la haute société viennoise.

Certes, le baron Huzar,dolmetch, ou interprète de la cour impérialedepuis la disgrâce du savant Hammer, a dû se trouver dans la nécessité detransmettre à l'illustre khan plus d'une déclaration qui n'avait pasbesoin d'être embellie par des métaphores orientales pour éblouir etséduire l'envoyé extraordinaire du shah Mahmoud. C'est ainsi qu'entremille autres exemples de la manière directe dont on s'adressait au coeurdu Persan, dont l'enveloppe seule était depierre, et qui se laissaitaisément enivrer par les regards séduisants des houris de Vienne, je merappelle, à un dîner que M. de Tatischeff, ambassadeur russe, donna àl'ambassadeur persan, avoir vu passer très-chevaleresquement deuxmagnifiques émeraudes de la veste de Hussein dans la main mignonne d'unejolie princesse. Celle-ci fixait déjà depuis longtemps, sur ces deuxbelles pierres, un regard dans lequel se concentrait toute la puissanced'attraction magnétique dont elle était capable, quand enfin elledéclara à Huzar qu'elle s'extasiait d'autant plus devant l'éclat de cesmerveilles de l'Orient, qu'elle en avait jusqu'alors inutilement cherchédeux pareilles pour compléter une parure que son tout-puissant mari luiavait donnée. Aussitôt que l'interprète eut traduit cette remarquedésintéressée, le galant Persan tira son poignard enrichi de rubis,coupa les deux émeraudes, et les offrit à sa jolie voisine. Cette scènecurieuse eut lieu en plein dîner, devant une vingtaine de personnes.

J'ajouterai même qu'avant le départ de Hussein plus de quatre centsturquoises, toutes fort belles, avaient passé des mains du khan danscelles de la même princesse.

Or, cette soirée était la dernière à laquelle le khan devait assister;aussi une foule immense se pressait-elle dans les salons del'archichancelier, et un grand nombre de personnages de distinction sefirent-ils présenter à l'ambassadeur persan, dans l'espoir peut-être deprofiter des derniers jours qu'il devait encore passer à Vienne. Lelion de la soirée s'étant enfin retiré vers minuit, la foule commençaà se dissiper, et une demi-heure après il ne restait plus que cinq ousix personnes. Nous nous rendîmes autour de la table de thé, où l'onservit le petit souper habituel, et le prince vint prendre sa placeparmi nous. Il n'y avait alors dans le salon que l'archichancelier et safemme; la jeune princesse Herminie Metternich, âgée de dix-neuf ans; lamarquise de Villa-Franca; le vieux marquis d'Alcoida, premier ministrede Ferdinand VII; le baron de Neumann, conseiller aulique, et moi.

La conversation roula d'abord sur les événements de la soirée et sur lekhan, qui en avait été le principal ornement. Tout à coup le prince, quis'était contenté de déguster sa tasse de crème sucrée mêlée avec del'eau chaude, son souper de chaque soir, prit enfin la parole: «Eneffet, dit-il, le Persan devait être harassé, car il y avait fouleautour de lui; c'est lui qu'on est venu voir. Quant à moi, le plus grandnombre de mes hôtes n'a pas songé un instant à s'inquiéter si j'étaisabsent ou présent; j'ai été complètement éclipsé par le Persan, et commeje me trouve maintenant en petit comité (ajouta-t-il en souriant),certain que personne de vous ne trahira ma déconfiture, j'avoueraifranchement ici qu'il m'a relégué ce soir parmi les inconnus dontpersonne ne s'occupe.

« Du reste, son succès doit l'avoir mis sur les dents, car toutconcourut à le fatiguer: d'abord la chaleur occasionnée par la foule quiencombrait les salons, puis la grande quantité de personnes qui lui ontété présentées, et auxquelles il a fallu dire, ou desquelles il a falluentendre quelque chose; puis, par-dessus tout, les immenses succès qu'ila eus; car il a eu les succès les plus enragés qu'un homme puisseavoir.»

Ici le prince se permit d'articuler quelques noms propres, et lesaccompagna de révélations que nous nous garderons bien de répéter.

Après ces détails intimes, M. de Metternich, enfoncé dans son fauteuilet balançant légèrement sa jambe droite sur son genou gauche, saposition habituelle quand il raconte: «Néanmoins, continua-t-il, il n'ajamais voulu s'en aller, quoique je l'y aie souvent engagé, par amitiépour lui; mais c'est ce médecin anglais qui l'accompagne, et qui a unegrande influence sur lui, qui l'en a empêché. Il paraît que cet homme,qu'en dit très-habile, se plaisait dans cette foule. Je ne lui envie pasce goût, qui n'est certes pas le mien. Quant à ce pauvre Huzar, il estvenu me dire qu'il était tellement fatigué de traduire de l'allemand etdu français en persan, et du persan en allemand et en français, qu'il nese sentait plus capable de prononcer un mot, et pouvait à peine encoreme souhaiter une bonne nuit. Allez, mon cher, lui dis-je, allez vouscoucher; vous avez mérité le sommeil qui va bientôt vous transporter enrêve parmi les houris de l'Orient.

« Je vous avouerai, du reste, que les Orientaux ont toujours éprouvé unegrande attraction pour moi; j'en ai connu plusieurs, ils m'ont tousaimé, et je vais vous en citer un trait: Quand j'étais ambassadeur àParis, j'avais un collègue persan, dont le caractère était le plusintraitable du monde, et personne n'avait de pouvoir sur lui que moi.Or, un matin, on m'annonça la visite de son médecin, qui entra, touteffaré, dans mon cabinet... Je vous en supplie, me dit-il, courez chezl'ambassadeur persan, il va commettre quelque folie, et il n'y a plus quevous qui puissiez lui faire entendre raison. Mais, de grâce, courezvile.

--De quoi s'agit-il donc? lui demandai-je.

--Écoutez, me dit le médecin: Je me rends ce matin chez lui commed'ordinaire, lorsque je vois, en entrant, une longue file de grandsgaillards l'épée nue à la main. Étonné, je demande à l'ambassadeur ceque signifient ces apprêts; et il me répond, avec le plus grandsang-froid possible, qu'il va faire couper la tête à un de sesgens.--Comment, couper la tête! lui dis-je; mais à quoi pensez-vousdonc? Vous n'en avez pas le droit, c'est contraire aux lois dupays.--Mais je ne sais pas vraiment qui peut m'en empêcher, répondit-il;cet homme est à moi, il a mérité la mort; je lui ferai couper la tête,cela ne regarde personne, et je suis dans mon droit. Enfin, j'aiinutilement épuisé tous les raisonnements auprès de cet entêté; il estimpossible de le faire changer de résolution; il n'y a que vous quipuissiez empêcher cet acte barbare Que dirait l'Empereur?

« L'affaire était grave en effet; je courus aussitôt chez mon collègue,qui terminait les derniers préparatifs d'une exécution capitale. Jel'abordai avec un ton d'autorité que j'étais habitué à prendre vis-à-visde lui dans son propre intérêt, et je lui déclarai qu'il ne ferait pascouper la tête à son domestique; que tout s'y opposait, que l'Empereurserait furieux, et que moi personnellement, comme ambassadeur et commeson ami, je le lui défendais.

--Puisque vous me le dites, je ne le ferai pas, me répondit le Persanavec son calme habituel. Je sortais fier de l'influence que j'exerçaissur mon honorable collègue, quand il ajouta: «Je vais donc renvoyer lecoupable en Perse, et là je lui ferai couper le cou.» C'étaitl'ultimatum de sa clémence.

« Une autre fois, j'assistais à un grand concert donné par l'Empereurdans la salle des Maréchaux; comme je commençais à m'ennuyer et que lachaleur devenait insupportable, je quittai ma place et je sortis de lasalle sans avoir été aperçu. Je me mis à parcourir les appartements quiétaient ouverts, et où je pouvais espérer trouver un peu d'air frais.Après avoir traversé plusieurs pièces, je parvins enfin dans la salle duTrône. Mais en y pénétrant, que vois-je? mon Persan, les jambes croiséessous lui à l'orientale, commodément assis sur le trône de l'Empereur.

« Chassé comme moi par la chaleur excessive du concert, il avait cherchéun refuge dans cette salle, et le trône du grand Napoléon lui avait parul'endroit le plus convenable pour s'y reposer en caressant sa barbe.

«A ce spectacle, je faillis éclater de rire; cependant je me retins etje m'avançai vers le Persan d'un air solennel et passablement effaré:«Mais, mon cher, lui dis-je, quelle imprudence vous commettez! vousignorez donc à quel danger vous vous exposez? Déguerpissez au plus vite;car, si l'on vous apercevait, et si l'Empereur apprenait que vous avezosé monter sur son trône, il vous feraitcouper la tête!...» Non,jamais je n'oublierai l'effet de cette menace sur mon malheureuxcollègue, ni la frayeur dont il fut saisi, ni sa figure grotesque quandil sauta, d'un seul bond, à bas du trône, et quand, retroussant seslongues robes de cachemire et de soie, il se sauva à travers lesappartements, victime d'une panique épouvantable. Il parait, du reste,que les Orientaux ne peuvent, s'accoutumer à se laisser couper le cou,malgré leur fréquent usage de ce moyen expéditif, car j'ai toujoursremarqué que la menace de ce supplice faisait sur eux bien plus grandeffet que sur les Européens. Peut-être aussi cela provient-il de ce quechez eux la menace ne précède l'exécution que d'un instant, tandis quechez nous l'exécution suit bien rarement la menace. Quoi qu'il en soit,le Persan s'était sauvé comme s'il avait vu le glaive fatal suspendu sursa tête.

« Le concert venait de finir; j'allai au-devant de l'Empereur, qui serendait, suivi de la cour, dans les grands appartements, et n'eus riende plus pressé que de lui raconter mon aventure, «Sire, lui dis-je enl'abordant, je viens de chasser un usurpateur du trône de VotreMajesté.» Il rit beaucoup de la frayeur de l'ambassadeur du shah, etnous nous mimes à sa recherche; Napoléon se promettait de s'amuserencore à ses dépens. Mais il fut impossible de le trouver; on lecherchait, on le demandait vainement; personne ne l'avait vu; enfin,nous commencions à ne savoir trop que penser de cette disparition, quandje l'aperçus tout à coup blotti derrière une perte, et s'y cachant aussibien que possible. Je le montrai à Napoléon, qui se dirigea vers lui dece pas saccadé et imposant qu'il prenait quand i! était mécontent. LePersan, en le voyant ainsi venir, les sourcils froncés et les yeuxirrités, crut que sa dernière heure était arrivée. Malheureusementl'Empereur ne put pas garder son sérieux, la figure grotesquement sibouleversée de mon pauvre ami lui arracha un grand éclat de rire, etnous primes tous part à son hilarité.

«Cependant mon collègue ne fut pas toujours aussi heureux. A la suite del'expédition deGardanne, il reçut un jour l'ordre de quitter Parisdans quarante-huit heures. Aussitôt il accourut chez moi, fort désolé,me disant qu'il lui était impossible de partir si promptement; sa caisseétait vide, et il avait beaucoup de dépenses à payer. Il finit par meprier de lui avancer l'argent dont il avait besoin. Je n'étais pastenté, je l'avoue, de lui prêter une grosse somme; je l'engageaid'écrire au ministre des Affaires étrangères, en lui faisant connaîtresa position.--Puisqu'on vous renvoie si brusquement, lui dis-je, on doitau moins vous procurer l'argent qui vous est nécessaire.--On m'a refusé,me répondit-il, et on m'enjoint impérieusement de quitter Paris dans ledélai indiqué.--Quelle somme voulez-vous que je vous prête'?--25.000francs, me répondit-il.--J'envoyai alors (se tournant vers sa femme)Florette, que tu n'as pas oubliée sans doute, avec une lettre, chez monbanquier. C'était M. Laffitte. Je remis à mon pauvre ami la somme qu'ilm'avait demandée. Il m'adressa une quantité innombrable deremerciements, plus métaphoriques les uns que les autres, et promit deme renvoyer mon argent de Constantinople.--De Constantinople ou deTéhéran, lui dis-je, cela m'est indifférent. Prenez votre temps, et nevous gênez pas.

« Il partit très-content, et, franchement, je ne comptais plus revoirmon argent.

« Cependant, quelque temps après, je reçus une lettre de l'internonce àConstantinople, qui m'annonçait qu'il était chargé de me faire remettre25.000 francs, me priant de lui faire savoir où je désirais les toucher.C'était l'argent de mon honnête Persan, et ce pauvre homme avait pousséla délicatesse si loin, qu'il avait calculé les variations du change surConstantinople avec tant de minutie, que, loin de rien perdre, je croismême que j'y gagnai.

«Cela lui a mal réussi.

«Ali-Shah, qui régnait alors, était un homme extrêmement avare; noncontent des présents que les souverains étrangers lui envoyaient par sesambassadeurs, il trouvait encore moyen d'accaparer ceux que les envoyésrecevaient eux-mêmes des cours où ils étaient accrédités.Donnez-les-moi, disait-il, afin que je vous les garde; ils seront plusen sûreté dans mon trésor. On les lui remettait, sinon il vous lesprenait et la tête aussi; mais jamais le trésor ne se rouvrait pourlaisser sortir ce précieux dépôt. Or, mon infortuné collègue ayant étérenvoyé de la cour de France. Napoléon s'était bien gardé d'envoyer desprésents à Ali-Shah; mais l'ambassadeur, en habile courtisan qui connaîtle faible de son maître, en avait expédié un grand nombre peu de tempsavant son renvoi. Il les avait achetés de son propre argent; aussi,quand il les retrouva à Constantinople, heureux de saisir l'occasion dese libérer envers moi, il s'empressa d'en vendre jusqu'à concurrence dela somme qu'il me devait, puis il porta ceux qui lui restaient dans lescoffres d'Ali. Mais le shah, furieux d'une telle perte, fit appliquer àson ambassadeur cent coups de bâton sur la plante des pieds, pour avoirosé vendre des présents qui lui avaient été primitivement destinés.Ainsi la vertu fut encore une fois diablement mal récompensée.......

« Les moeurs ne sont pas encore aujourd'hui très-douces dans ce pays; carje faisais dernièrement des propositions à Hussein,et l'on sait que jene suis pas exigeant dans mes propositions. Cependant dès que je leseus formulées au khan:--Oh! non, s'écria-t-il, jamais je n'oseraiprendre cela sur moi, le shah me ferait crever les yeux......--Creverles yeux! Bon Dieu, mon cher Hussein, que le ciel me garde d'être caused'un pareil malheur! S'il en est ainsi, laissons là toute l'affaire etn'en parlons plus.... Du reste, ajouta-t-il en s'adressant à la joliemarquise de Villa-Franca, il était tellement enchanté de moi, que, nesachant comment m'exprimer son attachement, il m'a fait offrir unedélicieuse Circassienne qu'il mène partout avec lui. Je l'ai bienremercié; mais je lui ai dit que je craignais la jalousie de Mélanie (safemme), ce qui me forçait de refuser... bien à contre-coeur.» Aprèscette plaisanterie le prince se leva, et comme il était une heure etdemie, chacun se retira.

Edward G.
(Travels in Austria.)



Courrier de Paris.

On a beau vivre dans ce pays prodigieux qui s'appelle Paris, être enquelque sorte le fils de la maison, à tout moment on y trouve dessurprises; on y fait des découvertes comme si l'on débarquaitfraîchement de Limoges avec l'innocence de M. de Pourceaugnac. Je neparle pas seulement des étonnements réservés aux différentes nations,aux peuplades diverses qui composent l'univers parisien, quand parhasard elles se visitent et voyagent les unes chez les autres. Il existeà Paris des espèces qui, ne s'étant jamais vues, tombent dans une extaseréciproque en se rencontrant, et se regardent avec, de grands yeuxouverts et stupéfaits. Prenez unlion sorti de quelque élégantetanière de la rue Saint-Georges, un lion complètement enharnaché: pattesvernies, fourrure flottante et à larges basques, face velue, crinière àtout vent, mâchoire armée d'un cigare, griffes jaune paille; faitespasser le magnifique animal dans la rue de Charonne ou sur la placeMaubert, on se mettra aux fenêtres et sur les portes, et les petitsenfants regarderont les mères d'un air moitié riant, moitié voisin despleurs. Qu'un philosophe du quartier Mouffetard, en costume del'endroit, se trouve à son tour égaré au boulevard des Italiens, il yfera sensation. Qu'est-ce? dira-t-on; comment appelez-vous cela? d'oùcela sort-il? Les femmes Chaussée-d'Antin pur sang hâteront le paseffrayées à l'aspect de cette race inconnue, et les hommes seproposeront de consulter, en rentrant au logis, leur dictionnaired'histoire naturelle.

Rien de plus simple et de plus facile à expliquer: Paris passe pour uneville unie et compacte, eh bien! point du tout: Paris est un mondedivisé par des espaces immenses: les habitudes, le travail, les moeursvariant par couches d'habitants et par quartiers, font de Paris unesorte de vaste continent où le nord ne ressemble pas au midi, oùl'orient ignore l'occident. Telles parties de la ville sont aussiétrangères l'une à l'autre que si elles étaient Tobolsk et Cadix;celle-là est pour celle-ci une terre perdue, une île inabordable. Unnaturel de la rue de la Paix se décidera plus difficilement àentreprendre un voyage à la Montagne Sainte-Geneviève, qu'une ascensionau Mont-Blanc. Il y a des Parisiens qui ont traversé tous les ponts dumonde, excepté le pont de la Cité; il y en a qui courent à toutes lesextrémités de l'Europe, et que vous ne décideriez pas à sortir un matinde leurs pantoufles et de leur robe de chambre, pour aller à Vaugirardou à l'Estrapade, le jour où ils ont ce courage, vous jugez qu'en effetils voyagent en pays de découvertes; et peu s'en faut qu'ils ne seprennent pour des Vasco de Gama et des Christophe Colomb.

Mais à quoi bon aller au-delà des ponts et faire invasion dans lesrégions parisiennes reculées et mystérieuses? Paris vous en dispense; ilvous fait des surprises sous vos yeux même, à votre porte, chaque jouramène quelque changement ou quelque métamorphose; le soir on se coucheavec un magnifique et bruyant café en perspective; le lendemain on metle nez à la fenêtre, et le joyeux bazar a fait place à un lugubremagasin de deuil. Voici un boulevard montueux et malaisé; attendez, ils'aplanit comme un parquet, et vous y marchez de plain-pied. Êtes-vousresté huit jours sans passer dans la rue voisine, vous la trouvezdémolie; huit jours après elle est reconstruite. Les plus grandsprodiges à Paris se font par le plâtre et la pierre de taille; on y sèmedu moellon, et de tous côtés il pousse des maisons et des rues. On bâtitsous vos pieds, on bâtit sur votre tête; la ville ressemble à uneplâtrière, à un four à chaux, à un atelier de maçonnerie.--Il estcertain, pour peu que cette pousse effroyable de maisons continue ets'étende, que les entrepreneurs de bâtiments seront obligés d'inventerune machine à bâtir des locataires.

Une des plus étonnantes conquêtes de la truelle, c'est assurément cetterue audacieuse qui va relier l'église Saint-Eustache à la place Royale.Le champ de bataille était vaste et difficile à parcourir; eh bien! déjàla formidable rue a fait d'immenses brèches dans les flancs desquartiers Saint-Martin et Saint-Denis, qui lui opposaient les épaisbataillons de leurs carrefours étroits et boueux et de leurs noiresmaisons. Du côté du Marais, la rue nouvelle s'étend orgueilleusement surdeux lignes parallèles, et l'oeil commence à se perdre dans lesprofondeurs de son horizon; vers le marché Saint-Denis, des masures endébris, des murs pantelants annoncent, par leur aspect délabré,l'approche de la rue conquérante qui se fait passage à travers lesdécombres et les ruines; mais elle n'abat que pour relever: elle nedétruit que pour reconstruire avec magnificence. Avant un an, au lieu deces baraques malsaines et de ces ruelles hideuses, la rue Rambuteau, serejoignant par ses deux extrémités, facilitera les communications,adoucira la distance, jettera l'air et le jour dans ces quartierspopuleux et sombres, et étalera, non sans coquetterie, la double haie deses blanches maisons. Cette fois, je l'avoue, on doit de lareconnaissance à la pierre de taille; le maçon, en cette occasion, joue,sans le savoir, un rôle de philosophe et de médecin: il rapproche, ilcivilise, il assainit. Mais suivez-le ailleurs, vers quelque autre pointde la ville: il détruit ici ce qu'il faisait là-bas, interceptant larespiration et le jour par de monstrueuses montagnes de pierre et deplâtre, et enlevant chaque matin, à la ville, quelques derniers espacesd'air libre et de perspective. Si bien qu'un moment viendra où Paris,n'ayant plus une échappée de terre ni de ciel pour y reposer sa vue parhasard, vivra resserré et étouffé entre deux maisons à six étages.

Sur le boulevard Poissonnière, un vaste jardin, au fond un magnifiquehôtel, résistaient depuis long-temps à cette invasion, et semblaient semoquer des entrepreneurs et des architectes à tant la toise. C'était lejardin de M. Rougemont de Lowenberg. Les passants le regardaient avecenvie, ou plutôt avec une sorte de vénération, le voyant intact etincorruptible dans un siècle où les hôtels de grande origine, les Biron,les Richelieu, ne se font pas scrupule de se vendre à beaux denierscomptants, et de se convertir en boutiques. On admirait, à travers lesgrilles dorées, l'immuable persévérance de ces allées régulières, de cesgazons tondus suivant la mode ancienne, de ces arhres coiffés au goût duvieux jardin français. L'hôtel de M. Rougemont de Lowenberg, avec ceparterre pour avant-garde, ressemblait à ces bastions imprenables quitiennent bon quand toute la ville est rendue et que le reste de lacitadelle a capitulé. N'était-ce pas d'ailleurs un passe-temps original,une véritable vanité de millionnaire et de banquier, que d'abandonnernégligemment, en plein air, ce terrain inutile, tandis que tout à côtéchaque morceau se vendait au poids de l'or? Pendant plus de vingt ans,M. Rougemont de Lowenberg a laissé ainsi deux ou trois millions sedessécher au soleil. Il n'a fallu rien moins que la mort pour mettre àla raison ce jardin entêté. Les héritiers de M. Rougemont ne l'ont pasencouragé dans une plus longue résistance; et, ma foi, ne se trouvantplus appuyé sur la vertu de ses maîtres, il s'est laissé aller aupenchant et aux vices du siècle; deux déesses toutes-puissantes etsingulièrement adorées de ce temps-ci, la spéculation et la boutique,viennent de mettre le pied dans les allées vaincues et soumises, foulantet déracinant la pelouse, abattant les têtes vénérables de quelquesarbres centenaires. L'hôtel est mort du même coup qui a détruit lejardin; maintenant ce n'est plus que confusion et ruines De cettecendre, il ne renaîtra pas un phénix, à coup sur, mais un magasin dedraps, un épicier, un restaurateur, un bottier, un marchand decomestibles: l'utile à la place de l'agréable, si proche parent del'inutile.

Puisque nous flânons sur les boulevards et à travers les rues, envéritable badaud de Paris, parlons un peu des trottoirs; s'occuper destrottoirs pour les trottoirs eux-mêmes, le plaisir ne serait pas grand.Que vous importe ces petits sentiers étroits, revêtus de grès ou d'asphalte,qui côtoient, d'un air monotone, le flanc des boutiques et desmaisons? La matière est dure, et les fleurs de l'esprit y pousseraientdifficilement. Mais une circonstance particulière rehausse le trottoiret lui donne une importance accidentelle: M. le préfet de police adaigné récemment jeter les yeux sur lui,--y trouvant, ce jour-là, ungrand désordre et une grande anarchie, le prévoyant magistrat vientd'expédier au peuple des trottoirs une charte à leur usage: cette charten'est pas octroyée; elle ne procède point par ordre et sous forme dedroit souverain; figurez-vous une charte bénévole qui conseille et nedit pas: Je veux! Or, ce qu'elle conseille, le voici: Prenez toujours ladroite du trottoir! On devine le résultat de ce système bien simple et àla portée de toutes les jambes: les passants allant et venant chacun parsa droite, la foule ne se ruera plus dans ce pêle-mêle inextricable oùelle égarait ses bras, ses pieds et ses têtes, se coudoyant, sepoussant, se renversant, se heurtant nez contre nez, et enfin, comme ditOedipe,

Se disputant du pas le frivole avantage.

La foule se diviserait en deux flots distincts, l'un descendant, l'autremontant, sans mélange de flots mutinés et contraires, et chacun d'eux,d'un mouvement calme et uniforme, arriverait tranquillement à sonembouchure, et se jetterait dans son bras de mer, sans rencontrefâcheuse. Voilà la grande harmonie que rêve M. le préfet de police. Jevous demande bien pardon, monsieur le préfet, mais vous faites là uneentreprise plus difficile à exécuter que le dessèchement de l'Océan. Vosintentions sont louables, on ne saurait le nier: vous voulez que tout lemonde ait place au trottoir; vous proclamez l'égalité des Parisiensdevant le trottoir; vous entendez que ceux-ci ne soient pas obligés d'endescendre pour faire place à ceux-là: sans compter les chocs violents,les yeux éborgnés, les chapeaux renversés, les pieds écrasés, les côtesmeurtries, les glissades et les culbutes sur le pavé, quelquefois sousles roues, grotesques ou tristes accidents ordinaires à la multitudeindisciplinée des grandes villes; telle est, dis-je, le tohu-bohupérilleux que vous avez l'honnêteté de vouloir réglementer. Votreillusion est respectable, ô édile philanthrope! mais que vous connaissezpeu le peuple auquel vous avez affaire! Si vous étiez Anglais, soit: sivous étiez Allemand, encore mieux; si même il s'agissait de l'Auvergnat,du Périgourdin, du Franc-Comtois, on pourrait s'entendre; mais obligerParis de marcher toujours à droite! allons donc! vous n'y pensez point!A moins d'attacher à chaque passant quatre gendarmes de service, vousn'y parviendrez pas. Paris est la ville du monde qui obéit le plus auhasard et à la fantaisie: à droite aujourd'hui, à gauche demain, tel estson tempérament, telle est sa vie; et puis le lendemain, au beau milieude la chaussée! A défaut de ses trottoirs, son histoire politique etmorale est là pour le prouver. Vous ne le corrigerez pas plus de sescaprices, qu'on ne corrige un charmant enfant gâté. Paris préfère centfois, au risque de se démettre une jambe ou un bras, le désordre de sesrues, à l'ordre régulièrement monotone que vous lui proposez. Paris secroirait en procession avec vous, allant par bandes solennelles à unenterrement, et il en mourrait d'ennui et de chagrin. Pour quelquescoups de coude de plus ou de moins, votre charte-trottoirs ôterait àParis son allure vive et hasardeuse, son air leste et cavalier: il nes'écraserait plus le bout des pieds, mais il se marcherait sur lestalons. Qu'il aille donc, le chapeau légèrement incliné, le nez au vent,l'oeil mutin, le pied leste et fantasque, regardant les hommes face àface et avisant les jolies femmes sous le nez, qu'il aille et qu'iltrotte comme Dieu l'a fait!

L'affaire des trottoirs et de M. le préfet de police est le fait le plusgrave et le plus intéressant de la semaine. On peut lui opposercependant la discussion sur la loi des sucres; ces deux événements ontoffert plus d'une analogie. La confusion du trottoir s'est reproduite auparlement; la gauche, la droite et le centre, ont marché pêle-mêle etd'un pied confus. Le sucre indigène et le sucre colonial allaient etvenaient, celui-ci poussant celui-là, et réciproquement. Plus d'unorateur a brisé l'un, taillé l'autre, et de tous côtés, d'ici et de là,du milieu et des extrémités, on s'est jeté les morceaux à la tête.

Cette grande bataille à coups de canne, mêlée de betterave, ne pouvaitmanquer de faire tort aux derniers moments du Salon de 1843. Lacuriosité publique, tout entière absorbée dans ce duel à mort de sucre àsucre, s'est montrée très-froide et très-peu empressée à donnerl'extrême-onction à nos sculpteurs et à nos peintres: le Louvre a ferméses portes et le Salon a rendu le dernier soupir en présence d'un petitnombre de témoins; personne ne paraissait regretter bien vivement ledéfunt, et nul oeil n'a versé des larmes. Que voulez-vous? le Salonvivait depuis deux mois; quelqu'un ou quelque chose qui vit deux mois àParis, court le risque de mourir abandonné; d'abord on est pleind'ardeur et d'enthousiasme: la ville, curieuse et impatiente, seprécipite, c'est à qui arrivera le premier; elle pourrait jouir de lamerveille paisiblement, et chacun à son tour, mais le beau plaisir!Assiéger les portes, forcer les consignes, s'entasser sur l'escalier,s'engouffrer dans les salles au risque d'y mourir, voilà le vraibonheur! La nouveauté, et non l'opinion, est la reine du monde. Le Salonde 1843 a eu cette destinée: à sa naissance, peu s'en est fallu que lafoule ne l'étouffât dans ses embrassements; il a disparu l'autre jour aumilieu de l'indifférence universelle; parlez-lui maintenant duPeintrede Meissonnier, ou duTintoret de Louis Cogniet. Paris ne saura plusce que vous voulez lui dire, et sifflera un air.

Si le Salon du Louvre est fermé, il vous reste le Louvre des victimes.Le bazar Bonne-Nouvelle a ouvert charitablement ses portes aux toiles etaux cadres frappés d'ostracisme par le jury d'examen. Charitablement estle mot, et vraiment ces proscrits ne méritent pas autre chose que lacharité. On a dit que M. Bertin et autres académiciens, membres du juryprescripteur, avaient fait de leurs propres mains les peintures exposéesau bazar, pour prouver leur justice et se donner une excuse sansréplique; pour moi, je serais tenté de le croire; malheureusementl'Exposition du Louvre m'a enlevé la douceur de cette opinion.Voyez-vous, là-bas, ces nez, ces jambes et ces bras? c'est à faire peuraux petits enfants; et quelle couleur! quel dessin! quelle composition!quel style! Le jury est pris en flagrant délit; s'il a chassé desborgnes et des manchots, il a évidemment admis plus d'un aveugle et plusd'un cul-de-jatte. Donc, les manchots et les borgnes ont raison de seplaindre et de réclamer leur droit de cité. Pourquoi ces caresses d'unepart et de l'autre ces soufflets?

Après tout, cette question du jury est une question inextricable;retournez l'institution sous toutes ses faces, chaque année elleexcitera les mêmes griefs et les mêmes ressentiments. Où trouver untribunal impeccable et qui ne blesse personne? Vous le choisiriez parmiles anges, parmi les dieux, vous lui donneriez pour présidents la sageMinerve elle-même et Thémis à l'inflexible, balance, Apollon et lechoeur des Muses (style classique), qu'Apollon, Thémis et Minerveauraient fort à faire. Un les traiterait certainement d'ignorants, decuistres et d'académiciens. Quoi qu'on fasse, il y aura tous les ans àla porte du Louvre, et après la bataille d'un jury quelconque, descentaines de tableaux ou de statues étendus à terre et jetant les hautscris: malheureux soldats cruellement blessés dans leur amour-propre etfaisant entendre le long gémissement de cette blessure douloureuse. Vousen concluez qu'il faut supprimer toute espèce de contrôle et que toutjury est bon à décapiter; et vous demandez une exposition universelle aunom de la liberté de l'art; soit! élevez votre musée sur la place LouisXV ou sur le carré Marigny, mais ayez soin de mettre cette inscriptionau frontispice:Supplément à l'Exposition des Produits de l'Industriefrançaise.

Le Salon étant enterré, Paris aura besoin de quelque autre distractionet de quelques menus plaisirs, mais Paris en manque-t-il jamais? Il abeau les dévorer par douzaines, avec un incroyable appétit, ceux-cidisparaissent, ceux-là les remplacent. Ainsi l'ogre parisien, cet ogreinsatiable, ne risque jamais de mourir de faim.

L'Académie royale de Musique prépare, pour la collation de saseigneurie, une friandise en trois actes, assaisonnée de forceentrechats. Mademoiselle Carlotta Grisi se charge de l'accommodement. Cedélicat ballet a pour titrela Péri. Tout l'Opéra y voltigera; onparle avec admiration d'un pas d'abeilles. Mille récits merveilleuxcourent et bourdonnent à sa louange. Les plus jolies danseuses sortirontce jour-là de leur ruche et exécuteront des pas doux comme le miel. Maisgare aux frelons!

A qui se fier? Nous pleurions l'autre jour Lucile Grahn de tout notrecoeur, lui tressant les plus charmantes couronnes de roses et de cyprès,et voilà que Lucile Grahn ressuscite; elle a fait une chute de cheval,pas davantage! Après cette chute, la sylphide s'est relevée plus légèreet plus rapide. On écrit donc aussi despuffs datés deSaint-Pétersbourg. Enfin Lucile Grahn se porte à ravir; elle aural'agrément de lire son oraison funèbre en parfaite santé. Et Dieu ensoit loué! Réjouissez-vous, sylphides! quittez vos habits de deuil,battez des ailes, et courez sur la verdure et sur la rosée, en bandesjoyeuses! Lucile Grahn, votre soeur, en est quitte pour une entorse etune égratignure!


Horticulture.

EXPOSITION DES PRODUITS DE L'HORTICULTURE
A L'ORANGERIE DE LA CHAMBREDES PAIRS.


Rosiers, Pivoines, Uncidiums, Iris, Oreiller d'Ours deMM. Cels, Chauvière, Paillet, Margotin, Durand, etc.--Vases en terrecuite
de M. Pollet.


Fruits et Légumes conserves de Jamin, etc.--Citrons etOranges de l'orangerie de
Montgeron.--Tulipes de Tripet
.

L'horticulture, en France, a subi de bien nombreuses révolutions; sonhistoire, si quelqu'un s'avisait de l'écrire, aurait, comme toutes leshistoires, ses rapports intimes avec les moeurs publiques et lesévénements publics. Sans remonter plus loin que le grand siècle, le goûtde nos jardins de cette époque a été universel. Tandis que la perruque àla Louis XIV faisait le tour du monde, il n'y avait pas de grandseigneur en Europe qui ne voulût avoir un jardin dit fiançais, avec seslongues ligne» droites, ses ifs bizarrement façonnés, ses lugubrescompartiments de buis, et le fatras mythologique de ses statues: c'étaitla mode. Puis sont venus les jardins à la chinoise, adoptésd'enthousiasme en France sous le nom de jardins anglais, remplacésaujourd'hui par les jardins paysagers, dont les types les plus beauxsont en Bavière. Un chapitre à part sur les vicissitudes de nos jardinspublics offrirait un bon nombre d'anecdotes plus ou moins piquantes: parexemple, peu de personnes savent, en France, que Robespierre a dessinéde sa main et fait exécuter sous ses yeux les deux parterres renfermésdans les massifs des Tuileries. Les sièges de marbre qu'il y fit placersont aussi construits sur ses dessins. A les considérer sous le point devue allégorique, ces sièges, placés là par un homme qui ne devait pass'y asseoir, sont un emblème assez triste de son destin politique. Parisa vu dans ces parterres, sans y donner une bien grande attention,briller les premières tulipes de collection dont la culture fut importéeen France par M. Tripet, durant la réunion momentanée de la Hollande àl'empire français. La paix a favorisé le développement du goût del'horticulture, devenu de nos jours le délassement de prédilection d'ungrand nombre d'hommes éclairés, pris dans toutes les classes de lahiérarchie sociale. De ce goût universel pour les fleurs et leur culturesont nées les sociétés d'horticulture. Elles conservent chez chaquepeuple leur caractère national: les Français y cherchent du plaisir, lesAnglais du profit; les Belges, demi-Anglais, demi-Français, y cherchentplaisir et profit. Essayons d'esquisser l'historique de cette gracieuseinstitution.

L'antiquité païenne avait ouvert la voie: Flore et ses fêtes résumaienttout ce que les cérémonies païennes avaient de grâce et de poésie,jusqu'à ce que Rome dissolue eût souillé ce culte, comme tout le reste,de ses débauches monstrueuses.

Au moyen âge, la chevalerie, malgré ses formes galantes, versait trop desang pour donner aux fleurs beaucoup d'attention; çà et là, quelquesmoines élevaient dans les jardins des cloîtres un petit nombre de fleursvulgaires: autour des châteaux, la place du parterre était envahie parles fossés et les fortifications. Les républiques municipales d'Italie,malgré les troubles de leur existence orageuse, créèrent les premiersjardins consacrés à l'étude de la botanique; celui de l'Université dePadoue est du quinzième siècle, il passe pour le plus ancien del'Europe. Ce fait bien constaté fait présumer un degré de lumières queconfirme le goût des arts alors si répandu en Italie. Les châteauxitaliens eurent sans doute des parterres ornés long-temps avant qu'ilfût question de rien de semblable ailleurs en Europe. Toutefois aucunmonument de cette époque ne donne lieu de croire que les amis del'horticulture en Italie aient eu alors la pensée de s'assembler pours'éclairer mutuellement, pour jouir en commun des dons les plus gracieuxde la nature.


    Pelargonium Zampa, ou Carlianium.

C'est en Belgique, sous un ciel souvent brumeux, où la rareté des beauxjours est proverbiale à bien plus juste titre encore que sous le climatde Paris, c'est à Bruxelles que, vers la lin des troubles du seizièmesiècle, quand les Pays-Bas se reposèrent d'une lutte longue et sanglantesous l'autorité paternelle de la maison d'Autriche, que se fonda lapremière société d'horticulture, sous le nom de Confrérie deSainte-Dorothée. Cette confrérie brillait d'un grand éclat vers lemilieu du siècle suivant; ses statuts, révisés en 1660, constatent sonantiquité déjà plus que séculaire à cette époque. On voit figurer sur laliste des confrères des noms de jardiniers de profession, pêle-mêle avecdes noms d'artistes, de magistrats, de grands seigneurs et de princes.La confrérie de Sainte-Dorothée se soutint, chose bien digne deremarque, jusqu'après l'invasion française; le registre porte des nomsde confrères admis pendant l'année 1794, date significative qui en ditbeaucoup sur les moeurs et le caractère du peuple belge. Emportée enfinpar le torrent révolutionnaire, la confrérie, détruite en apparence,conserva toujours un reste d'existence cachée; quelques anciensconfrères se voyaient, se concertaient, s'occupaient en commun de laculture des fleurs, aspirant au moment de rétablir leur confrérie. Cemoment se fit long-temps attendre. Sous l'Empire on avait trop d'autreschoses à faire; enfin, sous la domination hollandaise, en 1822, ce quirestait de l'ancien noyau de l'antique confrérie de Sainte-Dorothée sereconstitua, sous le titre de Société de Flore, sur de larges bases;c'est aujourd'hui l'une des sociétés d'horticulture les plusFlorissantes de la Belgique, où ses réunions sont très-nombreuses; lesserres qu'elle a fait construire sont citées parmi les plus belles del'Europe. Cet exposé rapide était dû, comme un hommage, à la premièreréunion d'hommes ayant pour but de propager le goût et la culture desfleurs. Nos lecteurs voudront probablement savoir pourquoi la confrériedes Amis de l'Horticulture en Belgique s'était placée sous l'invocationde sainte Dorothée; nous satisferons leur juste curiosité à cet égard.La légende de sainte Dorothée rapporte que, dans une de ses visions, unange lui présenta une corbeille pleine de fleurs dont chacune était unsymbole; l'ange et sa corbeille figurent d'obligation sur toutes lesreprésentations de sainte Dorothée. Telle est la tradition qui faisaitconsidérer cette sainte comme la patronne de tous ceux qui s'occupaienten Belgique de la culture des fleurs. Le jour de sa fête, l'église étaitparée des plus belles fleurs que chacun s'empressait d'y apporter; cefurent les premières exhibitions publiques de fleurs, empreintes, selonl'esprit du temps, d'un caractère religieux.

En France, les jardiniers ont adopté saint Fiacre pour patron. Ce saintvivait dans un temps ou, le sacerdoce n'étant point un état, tous ceuxqui appartenaient à l'Église et n'avaient point de patrimoine prenaienthonnêtement un métier pour vivre. Saint Fiacre occupait dans l'Église lerang de diacre; il était en outre jardinier de profession: le patronagedes jardiniers lui revenait de droit, au même titre que celui descordonniers à saint Crépin, et celui des voleurs au bon larron.

Deux paroisses, de Paris, Sainte-Marguerite faubourg Saint-Antoine, etSaint-Médard faubourg Saint-Marceau célèbrent encore tous les ans avecpompe, le .30 du mois d'août, la fête de saint Fiacre; les plus bellesfleurs et les plus beaux fruits de la saison y sont présentés àl'offrande par de jeunes jardinières, vêtues de blanc, en présence detoute la population jardinière du 8e et du 11e arrondissement.


Exposition des produits de l'Horticulture à l'Orangerie
de la Chambre des Pairs.

Dans le Midi, la corporation des jardiniers s'est placée sousl'invocation de sainte Madeleine. Nous n'avons pu découvrir quel rapportles fleurs et le jardinage pouvaient avoir avec la légende de cettesainte.

En France, les sociétés d'horticulture ont peu de passé; la Sociétéroyale d'Horticulture de Paris est une des plus anciennes, sinon la plusancienne de France: sa fondation ne remonte qu'à l'année 1827. Ellecompte parmi ses membres les hommes les plus haut placés dansl'aristocratie de naissance et d'argent. Le nombre de ses membres estillimité; chacun d'eux paie une rétribution annuelle de 20 fr. Unnouveau règlement tend à rendre à l'avenir les choix plus sévères qu'ilsne l'ont été par le passé. La concorde et l'harmonie, nous regrettons dele dire, n'ont pas toujours régné au sein de la Société royaled'Horticulture de Paris. Un grand nombre d'horticulteurs de professionont formé, sous le nom de Cercle des Conférences horticoles de la Seine,une société séparée, qui n'admet dans son sein que des horticulteurs. Lapremière exposition du Cercle des Conférences horticoles a eu lieu aumois de septembre de l'année dernière dans l'orangerie des Tuileries,qu'elle remplissait en entier. Cette exposition offrait un caractèretout spécial d'utilité jointe à l'agrément; jamais Paris n'avait vu desfruits aussi variés, aussi parfaits que ceux qui s'y trouvaient offertsà l'admiration des amateurs. Un millionnaire, qui nous avait prié de l'yconduire (ce n'était point un Anglais), ne comprenait pas que, sa bourseà la main, il ne lui fût pas permis de mordre, pour son argent, dans cesbelles poires, dont jamais il n'avait vu ni rêvé les pareilles: il lesaurait payées 20 fr., 40 fr. la pièce; mais elles n'étaient point àvendre, malheureusement, ce qu'il ne pouvait réussir à se persuader, augrand amusement des exposants.

La Société d'Horticulture de Rouen date de la même époque que celle deParis; c'est une des mieux organisées de France. Nous avons vu à Rouen,en septembre 1838, une exposition de fleurs par les soins de cetteSociété;seize mille fleurs de dahlia figuraient à cette exposition.Deux pyramides, hautes chacune de quatre mètres, avaient été forméesavec les plus belles de ces fleurs; chacune en contenaitdouze cents,toutes différentes les unes des autres. Rien de plus riche, de plusféerique, de plus éblouissant que ces pyramides vues à la lueur d'uneprofusion de becs de gaz. L'une des deux pyramides était dédiée auxsociétés françaises d'horticulture, l'autre aux sociétés étrangères. Aunombre des amateurs les plus distingués dont s'honore la Sociétéd'Horticulture de Rouen, nous nous plaisons à citer monseigneurl'archevêque de cette ville; la collection de plantes rares de ce digneprélat est une des plus remarquables de France.


                      (Brassia Cawini.)

Lille, Caen, Orléans. Angers, Nantes et presque toutes nos grandesvilles ont des sociétés d'horticulture; d'autres, comme Lyon, ontseulement une société d'agriculture, dont une section s'occupespécialement d'horticulture Enfin, des villes du cinquième ordre, commeMeaux, et de toutes petites villes, comme Meulan, ont des société?d'horticulture dont les travaux et les succès rivalisent avec ceux dessociétés établies dans les grandes cités.

En Angleterre, les sociétés d'horticulture sont tellement multipliées,qu'on ne pourrait s'expliquer leur existence si l'on ne savait qu'ellessont presque toutes des spéculations; sur quoi ne spécule-t-on pas enAngleterre? Le nombre des sociétés d'horticulture était en 1838 de centtrente; il est aujourd'hui de plus de deux cents; chacune de cessociétés a son exposition annuelle. Mais ce n'est pas tout beaucoup departiculiers possédant un local convenable ouvrent, à différentesépoques de l'année, des expositions de fleurs ou le public est admis enpayant, et en payant fort cher: les exposants paient aussi pour le droitd'apporter leurs collections de fleurs. A York, la société philosophiquedu Yorkshire avant ouvert le local de ses séances à une exposition defleurs, avait fixé le prix d'entrée à 1 fr. 25 c. de quatre à six heuresde l'après-midi, et à 2 fr. 50 c. de midi à quatre heures, afin d'offriraux genscomme il faut l'attrait d'une société moins mêlée. Chacun desexposants qui apportaient des dahlias et d'autres plantes, payait 9 fr.50 c., celui qui n'apportait que des dahlias au nombre de quarante-huitet au-dessous, payait 6 fr. 25 c: enfin, la taxe de celui qui n'exposaitque des fleurs autres que des dahlias, était de 2 fr. 50 c. seulementNous citons ces chiffres pour donner une idée de ce que les expositionsde fleurs peuvent faire circuler d'argent dans un pays où, comme lefaisait remarquer dernièrement un journal, le voyageur allant de villeen ville pourrait trouver une exposition de fleurs à visiter pour chaquejour de l'année.

Des sommes importantes sont distribuées tous les ans en prix etencouragements divers aux différentes branches de l'horticulture; cesprix ne sont pas toujours disputés avec toute la loyauté possible. Il ya des exemples de dahlias couronnés comme nouveaux et à fleursparfaites, qui n'étaient autre chose que des fleurs factices; on avaitinséré avec beaucoup d'art des fleurons de forme régulière dans lecalice commun, à la place des fleurons défectueux. Les fraudes du mêmegenre sont très-fréquentes, et les juges des concours, quelle que soitleur expérience, ont beaucoup de peine à les reconnaître.

Cette année, l'exposition de la Société royale d'Horticulture de Paris aété des plus brillantes; le vaste local de l'Orangerie de la Chambre desPairs était entièrement rempli de fleurs remarquables par leur rareté,leur élégance ou la beauté de leur végétation.

Madame la duchesse d'Orléans a voulu ajouter, cette année, aux prixdécernés sur les fonds de la Société, une médaille d'or de la valeur de200 francs, sans destination spéciale, s'en remettant au jury del'exposition du soin d'en disposer. Cette médaille a été obtenue par M.Tripet-Leblanc pour sa collection de 700 tulipes.

Les regards des connaisseurs se sont principalement arrêtés sur ununcidium papilio, admirable orchidée provenant des cultures de M.Lhomme, jardinier en second du jardin de l'École de Médecine, rued'Enfer. Nous avons donné un dessin de cette fleur dans un de nosprécédents numéros. La partie la plus brillante de l'expositionappartenait à MM. Cels frères; les plantes de toute nature qu'ilsavaient apportées et dont plusieurs paraissaient pour la première foisdans une exhibition publique en Europe, l'emportaient en nombre, envariété et en beauté de végétation sur tout le reste de l'exposition.Nous donnons à nos lecteurs le dessin d'après nature d'une des plusbelles plantes exposées par MM. Cels, la brassia Cawini, appartenant àla famille des orchidées.

Les pelargoniums étaient nombreux à l'exposition; la beauté descollections exposées montre les progrès de la culture de ce beau genre.Nous reproduisons le pelargonium zampa, ou carliana, des cultures de M.Chauvière, l'un des plus beaux de tous ceux qui figuraient cette année àl'exposition.

Les masses de rhododendrums, d'azalées, de cinéraires, de calcéolaires,de rosiers, de pensées, témoignent du goût toujours croissant du publicpour les fleurs de collection.

Dans une allocution pleine d'intérêt, M. Héricart de Thury, écartant lesfleurs de rhétorique toujours déplacées à propos et en présence de tantde belles fleurs naturelles, s'est contenté de faire ressortirquelques-uns de ces faits dont nul ne peut contester l'éloquence. C'estainsi qu'il a rappelé à l'assemblée, dont bien des membres auront hésitésans doute à le croire sur parole, que les plantes réunies dansl'orangerie du Luxembourg pour l'exposition dépassaient la valeur de300,000 francs, sur lesquels la collection seule de MM. Cels en valaitplus de 30,000. Nous croyons, nous, que MM. Cels, en donnant pour 30,000francs les plantes qu'ils avaient apportées à l'exposition, auraientfait un très-mauvais marché, et que l'ensemble des plantes exposéesvalait plus de 400,000 francs, chiffre qui dit assez à lui seul l'étatavancé et progressif de l'horticulture en France.

Outre les prix décernés comme encouragement à divers genres de culturesspéciales, la Société royale d'Horticulture a aussi accordé desmédailles à divers objets d'art accessoires relatifs à l'horticulture,parmi lesquels nous avons remarqué des vases en terre cuite de formesélégantes et variées, dont nous reproduisons ceux qui nous ont paru demeilleur goût.

Beaucoup de transactions particulières ont eu lieu pendant le cours del'exposition. Nous y avons remarqué un grand nombre de riches Anglais:ils pourront dire dans leur patrie que nous aussi nous savons cultiverles fleurs.


La Vengeance des Trépassés.

NOUVELLE.

(Suite et fin.--Voyez pages 73, 89, 105, 121, 137 et 166.)

§ VIII.--Le camaldule.

Lorsqu'on va de Subiaco à Rome, on remarque à gauche de la route uneéminence revêtue d'arbres de toute espèce, des buis, des pins, deschênes, des mélèzes. Du milieu de cette touffe de verdure, on voits'élever le toit du couvent, surmonté d'un campanile qui le partage endeux moitiés égales, et ses murs blancs percés d'une ligne de petitesfenêtres serrées au niveau de la cime des arbres. La maison, posée ausommet d'un amas de roches, est d'un accès difficile; il n'y a point desentier tracé, et à chaque instant l'on est arrêté par des courantsd'une eau limpide et torrentueuse qu'entretient en ces lieux l'épaisseurdes ombrages. C'est dans cette solitude que saint Benoit vint, aucommencement du sixième siècle, se réfugier loin du monde et destentations. On montre encore la caverne qu'il habitait, et où il conçutcette règle fameuse au moyen de laquelle son ordre ne tarda pas àcouvrir l'Europe.

Il était environ cinq heures du soir; on était dans les grands jours del'été. Deux hommes descendaient ensemble du couvent: un religieux et unpaysan d'une trentaine d'années; le camaldule en pouvait bien avoir dixou douze de plus que son compagnon.

«Vous dites donc, mon ami, que vous êtes envoyé par madame l'abbesse deSainte-Claire?

--Oui, mon père, pour vous prier de venir confesser la soeurSainte-Léonore qui se meurt.»

A ce nom, le moine ne put s'empêcher de tressaillir, il se remit etreprit froidement:

« Comment se fait-il qu'on s'adresse à moi? L'aumônier du couvent est-ilmalade?

--Oh! mon Dieu, non: il se porte à ravir; je lui ai encore servi lamesse aujourd'hui, car je suis à la fois jardinier et sacristain ducouvent. Mais c'est la soeur Sainte-Léonore qui vous a demandéelle-même.

--Elle me connaît donc?

--Apparemment... Prenez garde, mon père; voici un courant plus largeque les autres. Mettez vos pieds sur les pierres, après moi; donnez-moila main..... là..... bon.

--Je ne sors cependant guère du couvent. Voici, je crois, la secondefois que cela m'arrive depuis huit ans que j'y suis entré.

--Oh! cela ne fait rien, mon père. La renommée de votre sainteté arépandu votre nom dans tout le pays.

--Et cette pauvre soeur Sainte-Léonore, elle est donc bien mal?

--Désespérée, à ce que disent les médecins. Mais je ne saurais lecroire, puisqu'elle peut venir tous les jours dans mon jardin s'asseoirsous les orangers, c'est-à-dire qu'on l'y apporte dans un fauteuil; maisc'est égal, je dis que si elle était à sa fin, comme on le prétend, onne la sortirait pas de son lit.

--Cela dépend du genre de sa maladie. Qu'a-t-elle?

--Ah! ne me le demandez pas, mon père; je n'en sais rien, et je penseque personne n'en sait davantage, à commencer par le docteur. C'est biensingulier! Figurez-vous qu'elle a toujours la tête enveloppée d'un grandvoile de toile blanche qu'elle ne lève jamais, comme si la lumière luifaisait mal aux yeux. Elle ne parle presque pas, et c'est avec unepetite voix si faible, si faible!... Enfin, moi, qui lui ai parléplusieurs fois, je ne l'ai pas encore vue! Je veux dire que je n'ai pasvu son visage, en sorte que je ne saurais vous rendre compte si elle estbelle ou laide, jeune ou vieille. Pourtant, à sa voix, je la juge plutôtjeune que vieille.

--Y a-t-il long-temps qu'elle est chez les nonnes de Sainte-Claire?

--Elle y était avant moi, et voilà... combien?... sept ans que j'y suis;oui, sept ans, à la Saint-Martin.--Prenez garde à ce bourbier; sautez,mon père... bien!--Je disais donc à la Saint-Martin. SoeurSainte-Léonore, à ce qu'on m'a conté, y était arrivée un ou deux ansplus tôt. Elle fut amenée en grande cérémonie par l'archevêque-cardinalde... de... j'oublie toujours ce diable de nom! (Pardon, mon père; jen'ai pas l'habitude de jurer.) Le vieux Grégorio, mon prédécesseur, enavait conclu que c'était quelque femme d'importance, peut-être une damede la cour, qui s'était convertie... Mais vous allez la voir et enapprendre bien plus que je ne puis vous en dire, car nous voici aucouvent.

«Ma soeur, continua le jardinier, en s'adressant à la converse qui vintles recevoir, voici le révérend fra Cristoforo que soeur Sainte-Léonoreattend avec impatience; conduisez-le, s'il vous plaît, auprès d'elle. Jeretourne à ma bêche et à mon arrosoir.»

La converse s'inclina avec les marques d'un profond respect, etconduisit le religieux en silence. Elle lui fit traverser des salles,des corridors, et l'introduisit dans un jardin qui n'était pas le grandjardin de la communauté, mais un petit jardin particulier qu'on appelaitle jardin de l'abbesse. C'était un ancien préau que l'on avaittransformé en jardin; un vieux cloître à colonnes de marbre blancl'enfermait par les quatre côtés. Ce cloître, dégradé en plusieursendroits, au point que le lierre, les framboisiers et les rosierssauvages y croissaient librement et eussent fermé le passage à quiaurait voulu en faire le tour, faisait ressortir, par son air dedélabrement, l'état brillant du parterre entretenu avec le soin le plusminutieux. Les allées étaient sablées d'un sable fin et doré; les buisdes bordures étaient irréprochables; les massifs de fleurs et d'arbustesétaient disposés avec une coquetterie dont l'art se dissimulait aupremier coup d'oeil; tout dans cette enceinte respirait le calme, lebien-être religieux; l'on y sentait cette mélancolie vague ettranquille, inséparable des plaisirs de la retraite, et dont le charme,lorsqu'on l'a goûté, se fait regretter au milieu des joies turbulentesdu monde. Il semblait que le vent retint son haleine de peur de dérangerquelque chose aux aimables symétries de ce séjour. Le seul bruit qu'on yentendît était le murmure d'un jet d'eau qui s'élançait d'une coupe demarbre placée au centre du jardin. Autour de ce jet d'eau étaientdisposées des caisses d'orangers fleuris, à l'ombre desquels fraCristoforo aperçut la malade assise, immobile et voilée, telle que songuide la lui avait dépeinte.

Il prit un siège auprès d'elle, et, après quelques paroles, la converseles ayant laissés seuls, soeur Sainte-Léonore commença sa confession,mais sans lever son voile, qui tombait assez bas pour lui cacherentièrement les bras et les mains.

Lorsqu'il lui eut donné l'absolution, fra Cristoforo lui demanda:

«Est-il possible, ma soeur, que vous soyez aussi mal qu'on le dit?

--Mon père, répondit-elle, les médecins assurent que je ne passerai pascette nuit, et je le sens encore mieux qu'ils ne peuvent le dire.

--Et vous accomplirez sans regret ce sacrifice?

--Sans aucun regret.

--Je vous félicite, ma fille, de ces dispositions. La mort n'est, eneffet, cruelle que pour ceux qui survivent.

--Je ne laisserai personne ici-bas pour me pleurer.

--Quoi! êtes-vous absolument sans famille, sans amis?

--Absolument! Je suis indifférente et inconnue à toute la terre.

--Cependant, ma soeur, je ne sais si c'est une illusion, mais il mesemble avoir déjà entendu votre voix.

--Vraiment! dit la mourante avec un peu d'émotion, vous croyez lareconnaître?

--Mais j'ai beau chercher dans ma mémoire, je ne puis me rappeler enquel temps ni en quelle circonstance cette voix a frappé mon oreille.

--Vous vous trompez sans doute.

--Non!... non... je ne me trompe pas. Si vous vouliez m'aider, peut-êtreje parviendrais à fixer ce souvenir confus...»

La malade, sans rien dire, tira lentement sa main droite de dessous sonvoile et la posa sur ses genoux; cette main était recouverte d'un gantnoir.

« O ciel! s'écria le moine: Rachel!... Êtes-vous Rachel ou Aminé?

--J'étais Rachel, don Christoval. J'ai demandé et reçu au baptême le nomde Léonor, parce que vous aimiez ce nom. Je suis aujourd'hui la soeurSainte-Léonore.

--Rachel! Léonor! O Dieu!... Laissez-moi revoir ces traits... »

Elle arrêta le bras qui touchait son voile:

« Vous ne les reverriez pas: ils sont détruits. Ma beauté d'autrefoisn'existe plus que dans votre mémoire; ne la chassons pas de ce dernierasile. Vous avez reconnu ma voix, vous ne reconnaîtriez pas mon visage:la lèpre l'a envahi! Don Christoval, je suis une lépreuse! Reculez-vousun peu, de crainte de respirer l'air que je respire; car mon souffleempoisonne et donne la mort!

--Infortunée! Quoi, l'arrêt d'en haut qui pesait sur votre famille nevous a pas épargnée!.... Mais par quel miracle vous retrouvé-je ici,chrétienne, religieuse? Comment sortites-vous du souterrain où je vousfrappai de mon poignard? Que sont devenus votre père, votre oncle, votresoeur?

--Ils ont satisfait à la justice des hommes; j'espère que Dieu auraaccepté leur supplice en expiation de leurs crimes. Les alguazilsenvoyés sur la dénonciation du meunier pour fouiller notre demeure,m'avaient également saisie; mais le tribunal me déclara innocente et merelâcha. Qu'eussé-je fait en Espagne? Je vins en Italie; j'abjurai entreles mains de l'archevêque d'Urbino, et c'est lui qui me fit entrer dansce couvent, où j'ai vécu de l'espoir d'être un jour réunie à vous dansla vie future; car je vous aimais, don Christoval; et pourquoi lecacher, puisque cet amour n'a rien que de pur? je vous aime encore; jemeurs en vous aimant!

--Funeste amour! il a causé tous vos malheurs.

--Que dites-vous, don Christoval? c'est lui qui m'a portée jadis à vousdélivrer; il a sauvé ma vie, la vôtre et celle de votre Léonor; c'estpar lui que je suis devenue chrétienne, et vous l'appelez funeste amour!Heureux amour, au contraire! Vous le voyez bien, c'est encore lui quifait luire une consolation sur le bord de ma fosse. Mais c'est assez,c'est trop vous parler de moi, parlons de vous; racontez-moi votrehistoire et cette de cette charmante Léonor, dont j'ai pris le nom, nepouvant lui prendre le bonheur qu'elle avait de vous plaire et d'unirson sort au votre.

Don Christoval fit ce pénible récit, durant lequel il crut entendresouvent la pauvre Rachel sangloter sous son voile.

Lorsqu'il eut terminé: «Vous avez été, lui dit-elle, tendrement chéride deux femmes, et le ciel vous a permis d'entrevoir le bonheur aveccelle des deux que vous aimiez. Ne vous plaignez pas; soyez sûr qu'ilest des destinées plus cruelles que la vôtre. Quant à moi, j'ai le coeurplein de reconnaissance pour le moment de joie que Dieu me permet degoûter avant de quitter la terre; je n'espérais pas tant.

--Écoutez, Léonor, car je veux désormais ne vous donner que ce nom: cemoment peut se prolonger au-delà de cet entretien. Après tant demalheurs, le ciel veut peut-être nous accorder la douceur de les pleurerensemble. Votre maladie n'est point incurable, ou, si elle l'est, onsaura reculer la catastrophe qui doit la terminer. Ni vos liens ni lesmiens ne sont indissolubles: je vais me jeter aux genoux du Saint-Pèreet lui demander notre liberté. Je dois avoir encore en Espagne des amispuissants; je les ferai intervenir. Vous viendrez avec moi; je seraivotre frère et vous serez ma soeur; je vous soignerai, je vous guériraipeut-être.... »

En cet endroit, don Christoval fut interrompu par le tintement d'uneclochette. Il se retourna et vit marcher dans le croître un prêtre ensurplis portant une espèce de petite cassette en vermeil. Il étaitprécédé de deux enfants de choeur dont l'un sonnait cette clochette àintervalles égaux: l'autre portait une lanterne allumée au bout d'unlong bâton.

«Adieu, dit la soeur Sainte-Léonore, je vais recevoir l'extrême-onction;adieu, Christoval; mais nous nous reverrons.... Voulez-vous me serrer lamain? il n'y a pas de danger. »

Don Christoval saisit en pleurant cette main, et s'efforçait del'approcher de ses lèvres; mais la malade la retira brusquement avec unmouvement d'effroi. «Merci, dit-elle, merci, mon ami, je suis déjàheureuse, et bientôt je le serai encore plus.»

La soeur converse s'était rapprochée avec deux hommes dont l'un était lejardinier qui avait emmené don Christoval. Ils enlevèrent avecprécaution le fauteuil de la malade, et rejoignirent le petit cortègearrêté sous le cloître pour les attendre. Rachel, sur les épaules de sesporteurs, se retourna à demi: «Priez pour moi,» dit-elle à donChristoval, tombé à genoux sur la place que venait de quitter lamourante. Il demeura quelques secondes abîmé dans sa douleur, etlorsqu'il revint à lui et put regarder, tout avait disparu.

Fra Cristoforo se releva, et, son capuchon rabattu sur les yeux, iltraversa de nouveau le couvent de Sainte-Claire et reprit tout seul lechemin des camaldules.
F. G.



Sur le progrès de l'idée morale

DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ.

De tout temps la civilisation a eu ses détracteurs, qui l'ont accuséed'être la mère de tous les fléaux et de tous les vices, et qui, au nomd'une morale austère, méprisant ses pompes, ses magnificencesintellectuelles, et ce qu'on nomme communément ses bienfaits, n'ontvoulu voir en elle que l'infâme corruptrice de tous les bons sentimentshumains. Évoquant sans grande magie le fantôme d'un idéal de l'humanitéprimitive, ils se sont plu à l'orner de toutes les vertus, de toutes lesgrâces, de toutes les richesses naturelles, et ils lui ont procuré untriomphe facile sur l'homme réel et civilisé. D'un autre côté, lespartisans de la civilisation ont traité de paradoxes et de rêveries tousles arguments des moralistes rétrospectifs; ils ont vivement raillé cetamour exclusif du sauvage, et n'ont pas eu de peine à prouver quel'homme primitif n'était pas aussi amiable qu'on voulait bien le dire,et qu'outre le léger défaut qu'il a généralement de manger les gens, onpouvait encore remarquer en lui, sous une plus rude écorce, tous lesvices d'orgueil, de luxure, de perfidie, dont on attribuait gratuitementla paternité à la civilisation.

Mais, dans ces termes, le débat est-il véritablement vidé? lacivilisation est-elle suffisamment défendue lorsqu'on a montré qu'ellen'est point une cause de démoralisation, et ne reste-t-il pas, pourqu'elle gagne véritablement le procès, à faire voir que son influence,au contraire, est toute morale, et qu'il ne dépend pas d'elle quel'homme atteigne le mieux et le parfait? Il ne s'agit pas, en effet,pour que la question soit entendue, de chercher lequel a le plus devices de l'homme primitif et de l'homme civilisé. Il est certain que lesvices résultant, dans leur principe, des appétits, de l'organisation del'homme, et, dans leur application, du libre exercice de la volontéhumaine, le plus ou le moins dans le degré de civilisation ne peutmodifier radicalement ni leur développement ni leur essence. Que si lacivilisation, par les progrès du luxe et de l'industrie, ouvre quelquesvoies plus agréables et plus faciles à quelques vices humains, elle aaussi, par le progrès des lumières, des lois qui répriment beaucoup devices impunis dans l'état sauvage, que si, par quelques-uns de seseffets, elle favorise certains penchants de la mauvaise nature, elleintroduit dans l'intelligence mille notions excellentes sur la justice,le bien et le mal, et tout à fait propres à assurer un bon usage dulibre arbitre. En se maintenant sur ce terrain, on demeurerait doncéternellement dans les étroites limites d'une discussion négative, dontl'unique résultat serait d'établir une sorte de balance, de livre dedoit et avoir entre la civilisation et l'état sauvage, en laissant àchacun le soin de choisir, selon son goût, entre le pagne et laredingote, entre le wig-wam et la maison, le casse-tête et le pistolet,la chair du guerrier de la tribu ennemie et la dinde truffée. Il fautdonc, avant tout, éliminer de la discussion tout ce qui tient à lanature humaine, tout ce qui en est la conséquence nécessaire; et sanscesser de demander à la civilisation, pour la reconnaître une chosegrande, utile, admirable, d'exercer une salutaire influence, n'attendonspas, n'exigeons pas d'elle qu'elle change le coeur de l'homme. Ne laregardons ni comme une fée Urgande, dont la bienfaisante baguette nesème que perles, que rubis et que fleurs; ni comme une fée Dentue, dontl'effroyable grimoire n'enfante que montagnes inaccessibles, ravins etreptiles hideux; voyons-la travailler sur cet inaltérable fonds del'être humain, dont elle n'est qu'une des puissances; mais n'espéronspas que l'effet puisse dénaturer sa cause, que la civilisation, produitdu génie de l'homme, le change essentiellement.

Or, si on considère la civilisation en elle-même, et sans lui attribuerdes résultats qui ne sont pas les siens, ce qui frappe surtout, ce quifrappe et ce qui console, c'est le progrès constant de l'idée moraledans l'humanité. Si corrompus que les temps paraissent à l'observateurdans le détail des faits publics et des actes privés, que la société sedébatte dans la fange des moeurs les plus inouïes, non-seulement la loimorale n'est pas éteinte, mais, en quelque sorte et quelque hardi quecela puisse paraître, elle triomphe dans la sphère surhumaine ou ellehabite, et elle est proclamée avec plus de netteté que jamais. La preuveen est facile à administrer: Qu'on mette en regard la loi desDouze-Tables, cette loi de l'âge d'or des moeurs romaines, et lalégislation de l'empire, cet âge d'avilissement, de décomposition,d'agonie: c'est à peine si, dans la première, le sentiment de l'humanitése fait jour. La loi du talion, cet absurde semblant de justice; ledroit de vie et de mort attribué aux pères, cette iniquité héroïque; ledroit de vendre ses enfants, cette infamie légale; toutes ou presquetoutes les dispositions dénotent l'enfance de l'esprit, la barbarie ducoeur, et cependant il y avait quelque chose d'incontestablement purdans les moeurs de la nation. Au contraire, dans la législationimpériale qui présidait à tant d'excès sans nom, équité, humanité,profonde connaissance de la nature humaine, habile répartition despeines selon les délits, répression juste et morale de toutes les fautesque peut atteindre l'action publique.

Un autre exemple plus proche de nous montre, d'une manière biensensible, que la loi morale progresse toujours avec la civilisation,lors même que le spectacle des moeurs ferait croire à la stagnation, oumême, au dire des pessimistes, à la décadence. Certes, pourl'observateur impartial, il n'y a pas une différence fortementcaractérisée entre les moeurs du siècle de Louis XIV et les moeurs dunôtre. Toute compensation faite, quelques vices d'alors remplacés pard'autres vires, quelques vertus du grand siècle oubliées, mais aussiquelques autres acquises qu'il ne pratiquait pas, il ne paraît pas quesur ce chapitre il y ait lieu à se lamenter ni à se réjouir. D'un autrecôté, il est constant que depuis cette époque la civilisation a marché.Si elle s'est arrêtée en quelques-unes de ses branches, le grandmouvement de 89 a donné à la sève de l'arbre une agitation salutaire,qui lui a l'ait produire une foule de rameaux inconnus. En outre, leluxe et ses raffinements ont fait des pas considérables, et parconséquent favorisé l'amollissement des habitudes. Toutefois, la loimorale que reconnaît notre siècle est de beaucoup supérieure à celle quirégissait le siècle du grand roi. On peut le montrer par une infinitéd'exemples. Je me bornerai à en citer un seul, mais qui me paraîtdécisif. A l'appui de la même thèse, on a souvent invoqué la légèretéavec laquelle madame de Sévigné a parlé de ces paysans bretons «qui,dit-elle, ne se lassent pas de se faire pendre, légèreté qu'ondéclarait être incompatible avec nos moeurs actuelles. Mais l'exemple mesemble mal choisi; car, outre que nous avons vu de nos jours, sinonpendre, du moins fusiller beaucoup plus de révoltés qu'on n'en avait vudu temps de Louis XIV, il ne semble point prouvé que quelque bellearistocrate n'ait, à la façon de madame de Sévigné, traité comme unaccident très-indifférent lesmésaventures des révoltés vaincus. Ontrouve dans les mémoires de Dangeau quelque chose de bien plus frappant,de bien plus incompréhensible dans nos moeurs, et, partant, de bien plusirrécusable en faveur de ce qu'on veut démontrer. Voici ce qu'on litdans le journal de cet écho de la cour de Versailles:

«Aujourd'hui, le roi a donné un homme qui s'est tué à madame ladauphine; elle espère en tirer beaucoup d'argent.»

Voilà une phrase dont tous les mots sont français! dont aucuneexpression n'a vieilli, dont la construction est parfaitement claire etirréprochable; cependant il nous est impossible, à nous, hommes de notretemps, de comprendre cette phrase, si nous ne nous dépouillons enquelque sorte du caractère contemporain pour nous faire un moment lessujets du grand roi. Il paraît que cette phrase se rapporte à la mortd'un graveur, qui, après avoir passé de longues années à la Bastillepour avoir gravé quelques caricatures contre madame de Montespan, selaissa aller au désespoir et se suicida. Une coutume alors en vigueurattribuait au roi la fortune des suicidés. Par l'homme qui s'est tué etque le roi donne à madame la dauphine, Dangeau entend donc les biens del'infortuné graveur; et après cette atroce métonymie, il ajoute avec leplus imperturbable sang-froid: «Elle espère en tirer beaucoup d'argent.»

Ainsi, voilà un monarque illustre sur lequel l'histoire porte sans doutedes jugements fort divers, mais à qui elle reconnaît de grandes etnobles parties de caractère. Voilà une princesse, la dauphine, dont labonté, la piété, les moeurs sont vantées, et l'un, sans sourciller,gratifie sa fille d'un cadavre, et l'autre s'en félicite parce que lecadavre lui rapporte;, beaucoup d'argent. Il se rencontre à leur cour unhonnête homme, borné si l'on veut, mais dont le caractère paisible et laprobité n'ont jamais été contestés, qui écrit cette nouvelle comme ilécrirait unreversis du roi. Évidemment, dans le siècle où se passentde telles choses, où la loi les consacre, où les moeurs les supportentcomme une mesure indifférente, le sentiment de l'humanité est étouffésous des principes de convention, et il ne vit que sous l'empire d'uneéquité factice. La civilisation, cet ardent apôtre des idées d'humanitéet de justice, n'est encore, dans un pareil temps, qu'à la moitié de sacourse. Et, en effet, nous, les petits-fils du dix-septième siècle, nousjouissons de toutes les conquêtes que la civilisation a faites dans lechamp de la liberté, de l'égalité, ces imprescriptibles droits de lanature humaine. On peut voir encore dans notre âge des gens hériter deceux qu'ils assassinent; on y peut constater toutes les vilenies de lacupidité ou de l'abus de la force, mais elles sont obligées à desvoiles, à des ménagements, à des transactions, qui les déguisent et lesaffaiblissent; mais le sentiment moral est bien plus puissant, bien plusrépandu, et je ne doute pas qu'au dernier degré de l'échelle un banditne pût écrire sans un tremblement intérieur la phrase que le marquis deDangeau écrivait en toute sûreté de conscience; en la lisant, il n'yaurait pas une seule fibre des coeurs contemporains qui ne s'émûtd'indignation et d'horreur.

Ainsi marche la lumière morale, comme une colonne de feu de plus en plusriche en lumière, à la tête de l'humanité, éclairant de plus en plus lespeuples, les améliorant dans les limites de In nature humaine, etformant comme l'esprit visible de l'humanité elle-même dans le seinmobile des générations qui se succèdent, héritage qu'elles setransmettent comme un patrimoine légué par les ancêtres, et que les filspieux doivent agrandir et féconder pour le confier, à leur tour, aupieux labeur de leurs descendants.



Beaux-Arts.--Salon de 1843

PREMIER ARTICLE..

Voyez pages 41, 56, 68, 88 et 120

TABLEAUX ET SCULPTURES.


Translation de la sainte case de la Vierge, par Devéria.

M. Devéria Achille.--Translation de la sainte case de la Vierge.--Lamythologie chrétienne a souvent fait le désespoir des poètes, et depuisDante jusqu'à l'auteur desMartyrs, ils se sont épuisés à décrire cettemilice céleste, qui, malgré ses doubles ailes et ses brûlantes auréoles,ne les inspirait pas comme autrefois les nymphes profanes, simplementcouronnées de feuillages. Mais, en revanche, la peinture doit de bellesactions de grâces aux anges, aux chérubins, aux têtes ailées: l'originaln'existant pas, la copie pourra se recommencer jusqu'à la lin dessiècles, sans monotonie d'ailleurs, à moins qu'un ange ne descendelui-même un jour dans l'atelier d'un peintre, et ne lui révèle enfinl'archétype lumineux, vainement cherché par les imaginations humaines.

M. A. Devéria a pris pour sujet la légende merveilleuse deNotre-Dame-de-Lorette: quatre anges transportent à travers les airs lamaison que la Vierge habitait à Nazareth; sur le faîte. Marie est assiseelle-même avec l'enfant Jésus, pour choisir le lieu ou elle établiracette précieuse demeure. Autour de la Madone brillent de larges rayonsou plutôt des lames d'or disposées en éventail, et inscrites elles-mêmesdans un cercle lumineux tout semé de têtes d'anges: enfin, un choeurd'innombrables étoiles remplit le ciel et accompagne la pérégrinationaérienne de la sainte case.

M. Devéria a su rendre, avec la richesse ordinaire de son pinceau, lemagnifique voyage dont la légende d'ailleurs lui imposait tous lesdétails. La figure de la Vierge est particulièrement belle et sereine;peut-être même l'immobilité des draperies a-t-elle été exagérée par lepeintre, les anges vont vite, s'il faut en croire Milton: nous devrionssentir le vent de leur course, et, comme il est dit dansle Paradisperdu, l'air devrait êtrevanné par les plumes de leurs ailes Lesanges qui supportent la sainte case, dans le tableau de M. A. Devéria,ressemblent presque à d'heureuses cariatides gracieusement sculptéessous la divine maison: leurs ailes ne s'agitent point, leurs piedss'entre-croisent comme pour le repos; on dirait que tout le saintcortège fait une halte et s'arrête pour prendre haleine.--Cette critiqued'ailleurs, n'infirme en rien les éloges que nous avons donnés à lasavante exécution de cette grande toile, reléguée à l'extrémité de lagrande galerie, tandis que l'on voit au salon carré plusieurs tableauxreligieux d'une complète insignifiance.


Un Convoi de blessés, par Charlet.

M. Charlet.--Un Convoi de blessés.--M. Charlet est avant tout, unhomme d'esprit; ses dessins, ses tableaux ne sont proprement que del'esprit visible aux yeux, de l'esprit mis en couleur; sur ses toiles,il y a telle figure qui vaut mieux qu'un vaudeville, tel nez rouge oubleu qui touche à la haute comédie. Duclos croyait émettre une profondevérité lorsqu'il disait: «L'esprit sert à tout, et ne supplée jamais àrien.» M. Charlet dément chaque jour l'apophthègme du moraliste;assurément M. Charlet n'est ni un grand peintre ni un grand dessinateur,il le sait bien lui-même il ne s'en inquiète guère, certain que sonesprit enrichira la plus pauvre et la plus terne de ses couleurs,harmonisera ses tons les plus disparates, adoucira les plus crus, sauramême donner de la correction aux lignes incorrectes, et de lavraisemblance aux invraisemblables.

Pour décrire le tableau de M. Charlet, il faudrait avoir sa verveintarissable, il faudrait analyser chaque groupe chaque figure isolée,chaque trait pris à part: nous laissons cette tâche difficile à l'espritde nos lecteurs, en plaçant sous leurs yeux une gravure qui reproduitfidèlement la toile de M. Charlet.


    (L'Enfant et le Chien, groupe en marbre, par Maindron.)

M. Maindron.--L'Enfant et le Chien, groupe en marbre.--Nous avonsdéjà, dans un précédent article, rendu justice à la grâce parfaite, à lavérité touchante de ce groupe: nous ne saurions mieux prouver combiennos éloges étaient légitimes, qu'en illustrant aujourd'hui l'oeuvreelle-même. Peut-être notre copie suffira-t-elle à donner une idée dumodèle.

M. Couture.--Un Ménestrel.--Le bachelier de la gaie science, dugentil savoir, est assis sur une pierre, les jambes à demi croisées;deux belles jeunes filles l'écoutent, le sourire sur les lèvres et dansles yeux; et des enfants, petits pâtres quelque peu déguenillés, sepressent autour du maestro, qui leur déduit lesleys d'amors ouflorsdu guay saber.


                              (Un Ménestrel, par Couture)

Chacun s'est arrêté devant ce tableau, d'une belle couleur et d'unetouche vigoureuse; chacun a loué la vérité gracieuse des figures et desposes, l'originalité charmante des diverses physionomies. Cependant latoile de M. Couture n'est pas irréprochable, il s'en faut de beaucoup.La tête du ménestrel rappelle celle de l'enfant prodigue, et peut-être,par cela même, convient-elle assez peu sur les épaules d'un troubadour.Un défaut plus grave dépare surtout le tableau de M. Couture: sesfigures semblent poser isolément, comme elles faisaient dans l'atelier,elles regardent le spectateur plutôt qu'elles ne se regardent entreelles, et paraissent chacune exclusivement occupée de son sourireparticulier, de son expression individuelle. Nous épargnons à M. Couturequelques autres critiques de détail que lui ont déjà faites plusieursfeuilletons. Au total, ce tableau, qui est évidemment l'oeuvre d'unjeune homme, et ressemble beaucoup à une ébauche, annonce cependant desqualités solides et un talent remarquable, et nous ne doutons pas que M.Couture ne tienne un des premiers rangs aux future expositions.


             Statue de Duquesne,
       petit modèle, par Dantan aîné.

M. Dantan aîné.--Petit modèle de sa grande statue deDuquesne.-L'uniforme d'un amiral n'est pas beaucoup plus favorable à lastatuaire que celui d'un adjoint au maire ou d'un officier de santé M.Dantan a su néanmoins tirer parti de ces vêtements peu pittoresques; lapose de Duquesne est belle et fière, sans rodomontade ni crânerie: pourpeu que l'amiral voulût quitter son habit d'ordonnance et ses oripeauxofficiels, il pourrait bien faire une statue héroïque. Le modèle estd'ailleurs exécuté dans de si petites proportions, qu'on ne saurait,sans témérité, en rien conclure entre la statue colossale qui décore unedes places de Dieppe.

Nous ne voulons point terminer notre revue du Salon de 1843, sans direquelques mots au moins de plusieurs tableaux remarquables dont nousn'avons pas encore parlé, et que nous regrettons surtout de ne pouvoirillustrer. Il entre aussi dans notre pensée de réparer maints oublis dela critique et, d'autre part, d'adoucir quelques-uns de ses jugementsles plus sévères.

M. Rodolphe Lehmann.--Vendangeuse italienne.--M. Lehmann ne s'estpeut-être pas assez défendu des réminiscences, et sa vendangeuserappelle un peu sa moissonneuseChiarruccia. Cette simple étudecependant vaut elle seule un grand tableau; elle révèle un pinceau desplus vigoureux et des plus riches; la force surtout domine dans la têteet le corsage, et la beauté lui semble subordonnée; c'est une chaudecréation, que l'on dirait avoir été conçue et accomplie sous le soleilbrûlant de Naples ou de Rome. M. Rodolphe Lehmann a sans doute, commeLéopold Robert, long-temps et mûrement étudié les maîtres italiens, etnous ne doutons pas que sa puissante couleur et son riche dessin ne luiassurent une place distinguée parmi nos peintres, qui pèchent si souventpar la pâleur, la mollesse et la pauvreté des formes.

M. Poirot, dont le nom se rattache aux plus beaux travaux del'expédition de Morée, est au premier rang parmi les peintres qui ont eule courage de ne point abandonner le genre architectural. M. lecapitaine Baccuet, qui vient après lui, à distance respectueuse, nous adonné l'Arc de Djimilah comme souvenir de l'expédition scientifique etartistique d'Algérie M. Cassel se maintient au rang qu'il avait conquispar sonChrist au Jardin des Oliviers. M. Menn est un peintre del'école de Rubens, que Rubens ne désavouerait pas parmi ses meilleursélèves.Le Cimetière arabe, de M. Léon Vinit, était dignement placédans le salon carré,Le départ de Guillaume le Conquérant, de M.Lebon, et leJean Bart, de M. Vester, sont deux toiles remarquables.Les charmants intérieurs de M. Couder méritent aussi une mentionparticulière. Enfin, M. Penguilly-l'Haridon continue hardiment Callotdans son spirituel dessin desFourberies de Scapin: c'est à lui qu'onpeut appliquer le fameux vers:

Ille Calotanae referens deliria dextrae....

Nous avons déjà mentionné avec grands éloges les portraits de MM.Hippolyte Flandrin, Belloc et Couture; il nous reste à parler encore dequelques portraitistes distingués.

M. Guignet a soutenu dignement la juste réputation que lui avaientfaite ses précédents portraits, et surtout celui du sculpteur Pradier.M. Guignet ne se contente pas de donner à ses portraits une ressemblancesaisissante, incontestable lors même qu'on ne connaît pas le modèle,mais il sait aussi heureusement disposer ses figures; il drapeélégamment le corps, et sauve autant que possible la vulgarité de nosvêtements modernes. Chacun des portraits de M. Guignet est à lui seulune habile et heureuse composition: le musicien a une lyre à ses pieds,l'historien s'appuie sur un in-folio, et ces attributs allégoriques sontsi habilement dessinés, si ingénieusement peints, qu'ils semblentrelever encore et ennoblir la figure que le peintre a représentée. M.Guignet possède en outre le secret d'accuser vigoureusement les lumièrespar l'intensité de ses ombres, et de faire ainsi vivement ressortir sesportraits; enfin l'architecture, qui forme d'habitude le fond de sestableaux, contribue à donner aux modèles une sorte de grandeur et dedignité romaine; disons d'ailleurs que ces modèles se prêtentd'ordinaire à ce genre de portraithéroïque. M. Guignet a sur lesautres portraitistes un grand avantage: il peint le plus souvent desfigures bien connues, aimées du publie, des artistes célèbres, desécrivains distingués; ainsi, cette année, chacun s'arrêtait avec plaisirdevant le portrait de M. Théodose Burette, et le peintre semblait, envérité, fort redevable à l'historien.

M. Guignet jeune s'est montré digne de son frère, et saRetraite desdix mille, surtout en l'absence de Decamps, méritait d'être comptéeparmi les belles pages d'histoire du salon.

M. Bonne-Grâce a peint un des plus spirituels professeurs de laSorbonne, M. Gérusez. C'est encore là pour le peintre une de ces bonnesfortunes dont nous parlions tout à l'heure à propos de M. Guignet. Laressemblance n'est pas d'ailleurs le seul mérite de ce double portrait(M. Gérusez y est peint avec son jeune fils); le dessin et la couleurméritent des éloges.

Madame Pensotti se recommande aussi par un excellent portrait, celuide madame Faustin Hélie, femme du criminaliste.

M. Rudder a modestement intituléTête d'étude un des portraits lesplus simples et les plus nobles de l'exposition. M. Brian, le sculpteur,doit aussi marquer honorablement parmi les portraitistes: ses deuxexcellents bustes, surtout celui de M. E. Pelletan, valent mieux quebien des statues colossales. Les portraits de M. Coelès valent mieux, ànotre avis, que son tableau historique.

Enfin, nous croyons devoir une mention toute spéciale àM. Grevedon. MGrevedon, comme chacun sait, est un de nos lithographes les plusdistingués; ses innombrables portraits, populaires entre tous, révèlentun talent remarquable qui lui eût, sans aucun doute, assuré une placehonorable dans la peinture, s'il n'avait préféré être le premier dans leportrait lithographie. Cette année-ci, cependant, M. Grevedon a envoyéau Salon deux portraits peints, entre autres celui d'une jeune etcharmante Espagnole. Il est fort surprenant que les journaux n'aient pasdaigné dire un mot d'éloge ou de blâme sur ces deux portraits, que lenom seul de l'auteur recommandait à l'attention, je dirai même à labienveillance de la critique. Pour notre part, nous félicitonssincèrement M. Grevedon de cette double tentative, qui nous semblecouronnée d'un très-beau succès.

Quelques mots sur les paysagistes.--Nous passerons à dessein soussilence la nouvelle églogue de M.Corot, nous réservant de parler dece peintre, à propos de l'exposition du boulevard Bonne-Nouvelle, qu'ila bien voulu honorer d'un de ses paysages.

M. Ed. Bertin peint toujours une nature grave, pensive, stoïquejusqu'à l'affectation; il semble qu'il y ait une ostentation desévérité, une âpreté calculée, dans ces arbres ébranchés par la tête etmonstrueux par la base, dans ces rochers gris et volcaniques dégarnis deplantes et de mousses, et faisant saillie à tous les coins du paysage,comme la charpente osseuse sur un corps amaigri. La prétention se voitsous la simplicité: c'est le manteau troué de Diogène.

Les tableaux de M. Bertin ressemblent à ces livres qu'on ne peut lire etgoûter que dans certaines dispositions de tristesse morale et demélancolie contemplative: c'est une campagne ascétique, et au lieu dupâtre qui l'habite solitairement, nous y placerions plutôt saint Paul ousaint Augustin. Il y a, par exemple, tel chapitre desConfessions quise passerait volontiers dans ces paysages désolés du M. Bertin.M.Gaspard Lacroix.--Ce n'est plus la nature austère, pensive etdépouillée de M. Ed. Bertin, ni l'aspect indécis, voilé, transparent despaysages deDiaz ou deNanteuil; c'est une nature réelle, précise,vue avec de très-bons yeux, et prise sur le fait, à ciel découvert. Lespaysages de G. Lacroix ont un aspect printanier; ils offrent unevégétation luxuriante et touffue: toutes les plantes en sont réellementanimées, sans qu'on y voie aucun des mille animaux qui peuplent lestableaux de Breughel; mais à coup sûr on sent que d'invisibles insectesfourmillent sous ces gazons vigoureux:

La mousse épaisse et verte abonde au pied des chênes.

Peut-être pourrait-on reprocher à M. Lacroix un excès de curiositéd'artiste. Il semble qu'il soit épris du soleil et de la verdure, moinspour la tiédeur des rayons ou la fraîcheur de l'ombre, que pour lesjolis effets de lumière, pour les contrastes heureux de jour etd'obscurité. Le charme des détails fait oublier au peintre non-seulementl'impression, mais encore l'harmonie de l'ensemble.

M. H. Blanchard met dans toutes ses toiles un excès de propreté quinuit à la vérité et même à la vraisemblance; jamais ses terrains n'ontun grain de poussière, ses rochers semblent toujours lavés, sesfeuillages toujours frais et luisants comme après une pluie deprintemps. Ce défaut est surtout sensible dans le petit paysage que M.Blanchard a exposé cette année: les gazons y paraissent tondus etpeignés, les feuilles époussetées et soigneusement arrosées, les chèvreset les moutons feignent de brouter cette herbe, mais en réalité ils nefont que la lécher.

M. Blanchard rachète d'ailleurs ce défaut, qui contrarie tantl'impression poétique, par des qualités éminentes d'exécution, parl'harmonie de sa couleur, le choix heureux de ses sujets et l'excellentedistribution de la lumière.--Il lui faudrait seulement un peu plus defantaisie.

M. Alp. Teytaud mérite peut-être, après.M. Hostein, la premièreplace parmi les paysagistes de cette année, moins encore parce qu'il adéjà produit que par les promesses que semble faire son beau talent. M.Teytaud est un paysagiste très-idéaliste; il paraît avoir fait une étudeprofonde du Poussin et s'inspire sans cesse du sentiment triste etsévère de ce maître. Ses paysages sont entièrement composés: le peintreréunit sur une seule toile des arbres, des plantes, des eaux qu'il aobservées, étudiées dans le nord, dans le midi, dans les montagnes etdans les plaines. Par suite de ce système, il arrive que l'artiste tentequelquefois un mélange, une synthèse impossible.--Ce qui domine surtoutdans les toiles de M. Teytaud, c'est le sentiment du repos: ses eauxsemblent glacées, il n'y a pas un souffle d'air dans ses feuillages. «Unpaysage sans vent, disait Jean Paul, c'est une tapisserie verte clouéesur une muraille.» Malgré toutes ces critiques, nous saluons volontiersl'avènement de M. Teytaud, et nous espérons qu'il passera les espérancesque ses amis et ses admirateurs ont d'abord conçues vis-à-vis de sespremières toiles.

Nous devons signaler aussi avec éloges une vallée un peu pâle et un peuchimérique de.M. Lessieur, et un petit paysage deM. GabrielBourret, sous ce titre:Vue des mares en Normandie. Les deux toilesse recommandent par des mérites divers, et annoncent deux artistesdistingués, dont le talent se révélera mieux encore aux prochainesExpositions. N'oublions pas enfin un charmant tableau de M. Dounault,les Paysagistes en voyage, déjà illustré parla France littéraire,et donnons une mention honorable aux paysages si fins et si francs à lafois de Léon Fleury.


La fin de Don Juan.

NOTE PRÉLIMINAIRE.

On commence à se préoccuper assez vivement, en Angleterre, de laprochaine publication des huit derniers chants duDon Juan de lordByron.

On sait que cette épopée si étrange, ce défi moqueur jeté à la sociétéhumaine, et surtout à la société anglaise, semblait arrêtée à jamais auseizième chant, sans que rien pût faire supposer que le grand poète eûtlaissé quelque part les huit derniers chants qu'il avait promis à sonoeuvre, ou au moins les matériaux préparés, les fragments qui pourraientla compléter.

Cependant, au commencement de cette année, le bruit se répandit que M.Gaspard Nicolini, de Gênes, qui avait eu avec lord Byron des relationsassez intimes avant son dernier départ pour la Grèce, avait en sapossession de nombreux papiers, parmi lesquels se trouvent les dernierschants duDon Juan.

Ces pièces importantes, que M. Nicolini refusa de communiquer à ThomasMoore, et ne songea même pas à présenter à lady Byron, parvinrentbientôt en Angleterre, où leur publication se prépare avec activité.

C'est cette publication préparée qui a pu être communiquée à l'un de noscollaborateurs. Nous donnons ici la traduction qu'il a faite, pour notreCollection, du premier chant de cette suite.

Il nous serait difficile de justifier de l'authenticité de ces détailset de cette origine; nous ne combattrons point les doutes qu'ilspourraient soulever, et nous ne nous trouvons aucunement en mesure derépondre aux critiques, aux réclamations qu'ils pourraient nous attirer.

Ce qui est plus nécessaire, peut-être, c'est, au commencement de cettepublication, qui se lie si étroitement aux derniers chants du poème, derappeler en peu de mots les noms et les circonstances qui se rencontrentdans la première partie de cette extraordinaire épopée.

Don Juan, après avoir promené son adolescence et sa jeunesse en Espagneet en Orient, au milieu des aventures les plus poétiques, s'échappe dusérail, se rend au camp des Russes et assiste au siège d'Ismail. A cesiège, si admirablement peint par le grand poète, Juan sauve de la mortune jeune fille de dix ans; c'est Leila, qu'il n'abandonnera plusdésormais, et qu'il emmène avec lui en Russie, où le général Souwarowl'envoie donner à Catherine la nouvelle de la victoire. A peine arrivé àla cour, Juan devient le favori de la czarine. Tout comblé d'honneurs etde richesses, il tombe malade, et, pour recouvrer la santé dans unclimat plus doux, Catherine l'envoie avec une mission secrète enAngleterre. C'est alors que se lit cette piquante satire de la sociétéanglaise et de Londres, dans laquelle Byron semble s'être tant complu.Don Juan arrive bientôt au château de lord Henry et de sa noble épouse,lady Adeline. La fête de Noël survient: lady Adeline a réuni pour cetemps de fêtes la fleur de l'aristocratie anglaise et la foule desvoisins du château. De là des peintures charmantes, parmi lesquelleséclatent surtout celles de la charmante et naïveAurora, de l'altièreet audacieuseduchesse de Fitz-Fulke, que poursuit avec la plusridicule assurance un jeune fat, lord Fitz-Plantagenet. Juan, qu'agiteune triple et vague tendresse pour ces trois femmes, Adeline, Aurora etla duchesse, est surpris pendant la nuit par l'apparition d'un fantômecouvert des habits d'un moine, qui le regarde fixement et disparaît.C'est lemoine noir, le sujet d'une tradition et d'une légendedomestique, que le lendemain Adeline chante à don Juan. La curiositél'excite, et la nuit suivante il épie le retour du moine noir. Sonattente n'est pas trompée: le fantôme apparait dans l'obscurité d'uncorridor; mais, voulant pousser la chose à bout, Juan surmonte unepremière frayeur, court au moine, l'atteint; mais, au lieu d'un êtresurnaturel, il reconnaît, au milieu d'une atmosphère parfumée et desboucles abondantes de cheveux blonds, le ravissant fantôme desafolâtre excellence, la duchesse de Fitz-Fulke.

Tels sont les derniers mots et la dernière circonstance du seizièmechant. Là se termine ou plutôt s'arrête ce poème; là aussi commence ledix-septième chant dont nous donnons la traduction2.

Note 2:(retour) En marge du manuscrit se trouvaient également huit stances d'un autrecommencement du dix-septième chant, et lord Byron paraît avoir renoncé àce début; mais nous avons pensé qu'il y avait quelque intérêt à donnerici cette importante variante.

DON JUAN.

CHANT DIX-SEPTIÈME.

I. Ne froncez pas le sourcil, Murray, vous le Jupiter des livres, depeur que don Juan ne meure à ce signe. ET pourquoi le libraire deslibraires s'indignerait-il? s'agit-il donc encore d'unorageuxmystère?3 Ô très-grand et très-bon Murray! n'allez pas frissonnercomme faisait don Juan en face du fantôme espiègle de la duchesse deFitz-Fulke, lorsqu'il touchait un sein palpitant et que ses doigtstressaillaient sur les battements de ce noble coeur.

II. Vous aussi, Gifford4, vous vous indignez! Eh quoi! ne voilà-t-ilpas encore l'ombre du grand Johnson qui se dresse sévère et élargissantlus sphères de ses yeux vides? Elle aussi, laRevue d'Édimbourg, meten riant ses fers infamants au feu de sa forge, prête à en stigmatisermes vers!

Note 3:(retour)Cain, mystère qui avait suscité de grands embarras à Murray,libraire de Byron.
Note 4:(retour)Gifford, ami de lord Byron, et chargé de réviser ses ouvrages.

I.


Heroes are men, and man is heav'n knows what,

A yea, and else a nay, a Gordian riddle,

An Alexander perhaps may cut the knot

Some future day, and thus, just in the middle

Of all our ruminatings on our lot,

Show us that all our reasoning is but fiddle-

Faddle, and all our boasted hard-earned knowledge,

Is even less than what I learnt at college.


II


Heroes are more than men; mine's more than any.

If he's a hero who can love and hate.

As few can do, yet look just like the many;

Who has a mind so poised by the weight

Of his own worth, that e'en without a penny,

Or one poor menial slave to grace his state,

He'd feel as soaring and as proud of heart,

As Rothschild's self or even Bonaparte.


III.


How many heroes never had a name!

How many that have had one have none now!

Renown like Fortune is a fickle dame,

Nor lights her halo up on ev'ry brow.

And yet who is there would not feel her flame!

E'en I myself sometimes would, I avow:

And should not like to see Oblivion's finger

One day snuff out what might around me linger.


IV.


Yet after all, as I've said already,

Fame is but fume, a motion of the mind,

A very pleasant draught, but somewhat heady,

As many oft have found and yet may find;

Its only fault is that it makes unsteady

Our very best resolves and seems design'd,

Just like most good things as Champaign and Hock;

Only to make us go off on half-cock.


V.


Now Juan was a hero as I've said,

Or shall be one which will do quite as well,

'Tis not alone the "unforgotten dead"

The Poet can embalm within his spell.

A Pitt or Luther, when his soul has sped,

Is but a name like him of whom I tell.

The shade 'twixt real and fictitious glory,

Is living in history or in a story.


VI.


But Juan was a hero, or at least,

Felt like a hero 'neath her grace's look,

I will not say he made himself a beast,

Such as Sterne tells us he did, in his book,

When near Maria (true Sterne was a priest.

And as a priest some strange vagaries took).

But this I know that Juan then did feel.

If not a beast-like, yet a priest-like zeal.


VII


And sad it is to think he should feel so,

My candid reader, both for you and me.

For if things take a natural course you know,

Why they may chance to shock your modesty,

If you have any: yet, indeed, I trow

To be without it is almost an oddity,

'Tis common now-a-days; though folks 'tis said

Ne'er fail to doff it when they go to bed.


VIII.


So Juan felt beneath her grace's eye

As, I have sung, and I confess his feeling

Acts strongly on my own, I can't tell why;

But as I like plain, honest, upright dealing,

I'll e'en confess I'm half afraid to try

Another line; my pen's, like Juan, reeling;

For 'tis indeed an awkward situation,

Might end in.... heav'ns!--now don't say what--flirtation.

(Qu'il y songe! ce Briarée aux cent plumes!)5 et puis (tenez votrerire, mes amis) le masque du pudiqueLittle6 se couvre, à la penséede ce qui va arriver, de je ne sais quel rouge qu'il nomme de larougeur.

Note 5:(retour) LaRevue d'Édimbourg. Voir la satire de Byron intitulée:EnglishBards and Scotch reviewers.
Note 6:(retour)Little. Thomas Moore a publié, sous ce pseudonyme, des poèmes unpeu plus qu'anacréontiques.

III. Croyez-vous donc, Gifford, aux faits nécessaires? avez-vous partagécette insigne folie des probabilités qui réduisent l'avenir au calcul,mathématisant avec du hasard, et additionnant le fortuit, comme ils fontde leurs X? Oh! ne savez-vous pas, Gifford, mon maître, qu'il y a desabîmes entre les deux idées qui vont se succéder, et qu'entre letressaillement de la main de don Juan et ce qui d'avance fait rougirLittle, il y a un monde, et peut-être la fin du monde?

IV. Oui, la fin du monde; à tout prendre, ce serait une merveilleusefaçon de sortir de cette anxiété, et ce ne serait pas de trop pourapaiser le courroux de Johnson et rendre au sourcil de Murray sa courbehabituelle. N'en plaisantez pas, Gifford, le moyen n'est pas tropexagéré pour me sauver de cet embarras; car ce moyen fera bien d'autreschoses: il tuera du même coup Babylone et une fourmi, un Walter Scott etun Southey7. Pardon, Scott!

Note 7:(retour)Southey. Le poète Laurent, ennemi de Byron.

V. Il coupera par le milieu, au même moment, la parole d'un Fox et lagrimace d'un *****, le coup d'épée de Napoléon (qui n'en donna jamais)et le coup de bâton de polichinelle, le flot de l'Océan qui tonne, et laroulade de la cantatrice; que de choses incomplètes, Gifford! que deVoltaires manqués! que de grandeurs inachevées! que de petitesseséteintes à ce moment suprême! Décidément, voici la fin du monde.

VI. Au dernier vers de la dernière stance du seizième chant de don Juan,il arriva ceci, que la terre fut détruite. Une comète ardente s'étaitabattue sur elle et s'était comme engravée dans les profondeurs creuséespar sa chute. L'astre avait enroulé le globe de ses cheveux de feu etl'en éteignait de toutes parts. La terre poussa d'horribles mugissementsde douleur, les planètes en furent troublées dans leur marche, et dansleurs cercles reculés Jupiter et Saturne en furent émus.

VII. L'incendie avait éclaté dans l'Asie. On eût dit d'une mer de feuqui montait sans cesse, entraînant dans ses flots rouges les villes quifondaient comme la cire, se brisant contre les montagnes, se soulevantjusqu'à leurs crêtes et lançant en vapeur leurs glaciers éternels; etquand elles étaient desséchées, les montagnes se brisaientd'elles-mêmes, s'entrouvraient et tombaient, comme la chaux que l'eauvient de dissoudre, dans cette mer enflammée, qui les dévorait.

VIII. Puis l'Afrique, ses déserts de sable, surpris par le souffle defeu qui venait, se calcinèrent en une contrée de cristal; mais cettemétamorphose fut courte. L'incendie accourut à la suite de son souffle,et les plaines vitrifiées se réduisirent en cendres. L'Europe péritaussi tout entière: les glaces du pôle bouillonnèrent, et, s'étantdissipées, laissèrent à nu l'axe de fer sur lequel la terre avaitincessamment pivoté jusqu'à ce moment de douleur et de mort.

IX. Car les convulsions de la nature étaient grandes. Pour l'homme, sadouleur n'était rien, sa voix était soudainement étouffée, et il ne luiétait pas même laissé le temps d'invoquer ses dieux. Car aux vapeursapprochantes de l'incendie, ils mouraient frappés, dissous en cendresimpalpables, comme si le feu les eût déjà atteints. Les temples et leursdieux étaient aussi consumés avec les pensées, les ambitions, les amourset les haines.

X Alors, la mer de feu, vainqueur du pôle aux extrémités de l'Afrique,se déploya devant l'Océan. Ce fut une bataille terrible. Les deuxennemis face à face s'armèrent de toute leur puissance: l'incendieélevait ses mille pyramides, l'Océan lui opposait jusque dans la nue sesvagues gigantesques. Tous deux s'entrelaçaient, et tandis que lesflammes traversaient les vagues et brûlaient au milieu d'elles, ailleursc'étaient les vagues qui s'abattaient sur les flammes pour les écraseret les éteindre.

XI. L'Océan rugissait furieux aux affreux sifflements de son ennemi;mais les embrasements de la terre qui se consumait fournissaient sansrelâche à celui-ci des forces nouvelles. La mer, au contraire,s'affaiblissait de plus en plus en vapeurs; ses vagues retombaientbrûlantes dans son sein; les rives de feu la pressaient et marchaient enavant. Sa force l'abandonna, elle se reposa calme, comme un martyrrésigné à la mort; elle n'opposa plus rien aux faux vainqueurs, et,exhalant ses derniers soupirs, elle laissa à nu ses profondeurspalpitantes et calcinées.

XII. Il n'y eut plus de mer! il n'y eut plus de combat! L'incendie,agrandi de sa victoire, passa. Il dévora les îles; l'Amérique toutentière se tordit comme une corde au feu; les volcans eux-mêmesn'étaient pas épargnés. Comme si l'incendie céleste eût dédaigné dereconnaître ces flammes décolorées et froides de la terre, il insultaità leur inertie, il mettait le feu à leurs feux et il enflammait leursflammes.

XIII. C'en était fait de la terre: un vêtement de feu l'enveloppait detoutes parts; ses entrailles brûlaient aussi et dardaient jusqu'auxcieux les métaux liquéfiés. Cependant ce squelette consumé parl'incendie implacable s'amoindrissait de plus en plus; les flammeselles-mêmes s'affaiblissaient autour de ce globe de cendres et rampaienthumbles et expirantes; il n'y avait plus rien à dévorer. L'incendievainqueur succomba sur le corps de sa victime, et sa dernière flamme seperdit dans les airs avec un bruit léger.

XIV. Alors vint un grand vent... Il brisa ce noyau de cendres et ledissipa en nuages obscurs dans l'espace. Il ne resta plus rien de laterre, pas même la ruine qui marque ce qui a été. Rayée du nombre desmondes, elle disparut; son atmosphère fut anéantie aussi, et les sphèresdes autres planètes, se rapprochant avec une grande secousse, envahirentla sienne et formèrent un nouvel ordre.

XV. Don Juan et la folle duchesse de Fitz-Fulke avaient aussi disparuavec les débris de la terre, et remarquez l'immense développement quedonna cet incendie à maJuanude ou à maJuaneida, comme il vousplaira de l'intituler, car mes personnages ne vont plus désormais rampersur la terre, mais leurs âmes immatérielles se répandront dans l'universavec leur coquetterie et leurs amours.

XVI. Il n'y aura plus de terre, mais il y aura l'espace. Adeline ira àtire-d'aile se réfugier dans l'anneau de Saturne, et s'y balancer commeune goutte de rosée à la fleur qui vacille avec elle; l'âme de don Juanpoursuivra la folle immatérialité de la duchesse au travers des étoiles,tandis que le jaloux Fitz-Plantagenet enfourchera quelque comète errantepour atteindre ces âmes amoureuses.

XVII. Car la scène serait élargie; elle aurait l'univers pour lieu et letemps pour durée: la virginale Aurora irait aussi promener ses rêveriesau milieu des cieux, et absorbée dans les tendres idées qu'elle nedémêle pas bien elle-même, elle s'en irait préoccupée et pensive,heurter une étoile qui fuirait effrayée du choc..... Mais c'en est assez,je suis harassé de cette poésie, et me voici de retour dans le corridorde Norman-Abbey.

XVIII. Don Juan, comme vous le savez, venait de sentir sa main palpitersur la taille palpitante de la duchesse, lorsque..... tout à coup unbruit se fit entendre à l'extrémité du corridor. Aussitôt sa mainretombe d'elle-même. La duchesse se dresse froide et inquiète, et leursyeux, qui ne voyaient pas dans l'obscurité, se tournèrent cependant versle bruit, comme pour le regarder et le mieux entendre.

XIX. Et maintenant, ô Little, très-pudibond Little vous comprenez que lafin du monde n'était point nécessaire pour rassurer votretimidité.--Tous deux écoutant, retenant leur haleine: ils aspiraient, lecou tendu les moindres parcelles du bruit, les plus légers atomes quitroublaient la silencieuse sérénité de cette nuit.--Ils crurent entendrequelques pas, et bientôt après un faible rayon de lumière vintscintiller à leurs yeux.

XX. Mais déjà la duchesse avait deviné ce qu'elle n'avait pu voir, carles femmes sont toutes ainsi; elles ont un vingtième sens qui devine etpressent; il y a dans elles de l'instinct et de l'inspiration duprophète, quand l'homme raisonne encore, elles savent déjà. LadyFitz-Fulke, pour échapper à quelque sotte catastrophe, avait doncpoursuivi son rôle de fantôme et, glissant comme une ombre, avaitdisparu.

La suite à un prochain numéro.



La Phrénologie

CHANSONNETTE.


Parole» de M. Durandeau

Musique de M G Héquet.



(Agrandissement)


Théâtres.

Mademoiselle de La Vallière, drame en cinq actes et en vers, deM.Adolphe Dumas.--L'Homme de Paille.--Les Cuisines.

On ne reprochera pas à M. Adolphe Dumas de manquer de hardiesse; aucunfait ne l'a intimidé, aucun nom ne l'a fait reculer: ni les amours, niles intrigues de Versailles, ni la cour, ni le ciel, ni Dieu, ni le roi;Anne d'Autriche, Montespan, Soissons, Henriette d'Orléans, Louis XIV,Molière, Guise, Condé, Bossuet, Fontainebleau et les Carmélites, la vieet la mort, M. Adolphe Dumas a tout mis intrépidement dans son drame. Ila été réprimandé de cette audace par plus d'un critique rigide. Commentavez-vous pu tenter une telle entreprise? lui a-t-on dit. Comment vousêtes-vous senti assez de vérité et de puissance, pour faire agir etparler de tels hommes et de telles femmes? Qui vous a dévoilé le secretde tant de génies puissants et de tant de coeurs amoureux? Quoi! en mêmetemps, la tendresse de La Vallière, la fiére passion de Louis XIV, leregard profond et mélancolique de Molière, la grande voix chrétienne deBossuet! y songez-vous? Par quel art donner leur vie propre, leurssentiments véritables, leur langage réel à tous ces morts, sidiversement curieux et célèbres?

La réponse de M. Adolphe Dumas est concluante.--On n'a pas besoin des'inquiéter si fort: la vérité, il s'en débarrasse comme d'un bagageinutile, la ressemblance, c'est la chose dont il s'est médiocrementsoucié. Les noms de ses personnages sont réels, il est vrai, mais lespersonnages ne le sont pas, ou ne le sont guère. En un mot, M. AdolpheDumas a suivi la mode du drame capricieux; il a ouvert un champ libre àl'imagination. Sous l'enseigne de l'histoire, le poète établit unmagasin de fantaisie; l'histoire, pour M. Adolphe Dumas, est leprétexte, la fantaisie est la réalité; ou plutôt, comme l'a dit un autreDumas, l'histoire est le clou que l'auteur a planté dans la muraillepour y attacher--son chapeau? Non pas, mais son drame.

Qu'on ne s'étonne donc de rien de la part de M. Adolphe Dumas: Louis XIVlève sa canne sur un ambassadeur: la fantaisie! Guise se laisse insulteren pleine cour par un comédien: la fantaisie! Mademoiselle de LaVallière dit en présence du roi, à madame de Soissons: «Vous en avezmenti!» la fantaisie! Bossuet donne la main à Molière et fraterniseavec lui: la fantaisie! Molière est duelliste, insolent, et rudement demorale et de vertu: la fantaisie! Que vous dirai-je? de fantaisie enfantaisie, on arrive, avec M. Adolphe Dumas, a visiter un Versailles etun siècle de Louis XIV à peu près fantastiques. Si vous en demandez laraison au poète: «Car tel est notre bon plaisir,» dira-t-il. Querépondre à cela, sinon que le bon plaisir a mené plus d'un roi et plusd'un poète à l'abîme?

Le drame de M. Adolphe Dumas commence par une scène charmante, etcelle-là a bien pu se passer en 1660, en plein dix-septième siècle, dansla cour jeune, galante et amoureuse de Louis XIV. M. Dumas n'est pastoujours dans la supposition; il a d'agréables lueurs de vérité.--Madamede Soissons, madame Henriette d'Orléans, Athénaïs de Mortemart, sontréunies dans une salle voisine de l'appartement de la reine mère. Quefont-elles? eh! que peuvent-elles faire, si ce n'est de parler du roi?Louis est jeune, tendre, beau, magnifique. Comment toutes ces âmesamoureuses, toutes ces têtes ardentes ne songeraient-elles pas d'abordau roi, c'est-à-dire à la grâce, au plaisir, à la puissance? Elles ysongent donc, elles en rêvent; le nom de Louis est sur leurs lèvres;l'image de Louis est dans leur coeur. Mais qui aimera-t-il? quichoisira-t-il? Louis a passé la nuit dans la galerie: pour quels beauxyeux? Il a ramassé un mouchoir échappé d'une blanche main;... mais dequelle main?--Cependant là-bas, modestement assise et le front baissé,voyez-vous cette blonde jeune fille? elle se tait, tandis que les autresjettent étourdiment leurs espérances et leurs amours au vent; son regardest plein d'un feu voilé; leurs regards hardis étincellent; elle ne ditrien, mais que quelqu'un s'écrie:

Si Louis, jeune et roi, n'était pas jeune et roi, Laquelle de fousquatre, enfin, l'aimerait?

Moi! murmure-t-elle. Vous avez reconnu La Vallière, et c'est La Vallièreen effet.

Nous passerons sur un sermon de la reine Anne d'Autriche. N'attristonspas nos amours par la rigidité et les regrets des douairières. Le roisurvient; et, pour le coup, tous les yeux et tous les coeurs de cesdemoiselles et de ces dames se tournent de son côté. «Je l'ai vu lapremière,» dit La Vallière tout bas. Parmi res belles impatientes etambitieuses de plaire, laquelle le regard du Louis cherche-t-ilfurtivement? La Vallière. La douce fille, pour cacher son trouble,dessine un lis,

Un lis?--Le lis royal!--Bien faible, car il plie; On baiserait la main,tant la fleur est jolie.

Ainsi se passent ces heures galantes, en coups d'oeil furtifs, endouceurs, en soupirs; puis, on parle de plaisirs et de fêtes. Versaillessera demain le théâtre enchanté des plus rares merveilles; Benserade està l'oeuvre, et M. de Molière achèvela Princesse d'Élide.

Mais voici Molière en personne; il entre chez le roi, comme s'il étaitle roi lui-même. Monsieur d'Orléans, le frère de Sa Majesté, n'avait pasle même privilège; s'il s'en fût avisé, Louis XIV l'aurait réprimandévertement. Quoi qu'il en soit, écoutez Molière:

.... Oui, sire, Poquelin! Ce nom vaut bien le nom d'un bâtard orphelin,D'un duc dégénéré, d'un bourgeois gentilhomme; Mon père est tapissier,mon père est un brave homme, Et son fils fera voir un jour, au plusmoqueur, Que la noblesse vient de l'esprit et du coeur.

Que dites-vous de Molière parlant, à Versailles, de ce ton haut etprovoquant? C'en est fait; M. Adolphe Dumas nage en pleine fantaisie, etnous en verrons bien d'autres. A compter de cette entrée de Molière, ilfaut renvoyer l'histoire chez elle; M. Adolphe Dumas n'en veut plusentendre parler. Il a besoin de l'étrangler et de s'en défaire, poursatisfaire, à son aise, tous ses caprices; l'histoire est donc morte etenterrée; n'en parlons plus Molière et Louis XIV s'arrangent àmerveille; deux amis intimes ne feraient pas mieux; deux camaradesn'agiraient pas, l'un envers l'autre, avec plus de laisser-aller.Molière confie à Louis XIV ses peines et ses jalousies, et les trahisonsde sa femme:

A Toulouse j'ai fait rencontre, par hasard, D'une fille, un enfant qu'onnommait la Béjard. Je lui donne mon nom, seul bien dont je dispose, Sile nom de Molière est jamais quelque chose. Enfin, j'aurais donnél'avenir glorieux Et les siècles futurs pour un amour heureux; Sire, ehbien! mon bonheur, dans sa robe adultère, Tous les soirs se déchire auxregards du parterre.

A son tour, Louis XIV n'est pas en reste avec Molière; Molière est ledépositaire de l'amour du roi pour La Vallière; mais, le plus étonnantde l'aventure, c'est que Poquelin fait de la morale au roi, et, qu'àpart lui, il prend la résolution de soustraire la colombe au vautourroyal. Un allié, sur lequel, certes, vous ne comptez pas, se range ducôté de Molière dans cette entreprise. Bossuet, de moitié avec l'auteurduTartufe, défend La Vallière contre les attaques de Louis. «Vousêtes un brave homme, dit Molière à Bossuet.--Donnez-moi la main,» répondBossuet à Molière. N'est-ce pas étrange? Et la fantaisie n'est-elle pasquelquefois une muse par trop singulière?

La Vallière ne joue pas un rôle moins original; qu'elle consulteBossuet, rien de mieux; qu'elle écoute sa voix prévoyante, je n'ai rienà y redire; mais que La Vallière appelle Molière son frère et son ami,voilà qui dépasse ma tolérance. Quoi qu'il en soit, malgré Bossuet etmalgré Molière, son frère et ami, La Vallière succombe; elle succombe,non sans excuse! Une tentative de fuite et de violents combats attestentqu'elle ne s'est pas rendue lâchement. Cette pauvre La Vallière est bienà plaindre, en vérité, et je suis tenté de l'absoudre; quelle vertuaurait résisté davantage? et comment se soustraire au regard enivrant dece roi de vingt ans et à l'éblouissant éclat de cette cour si pleined'ardeurs et de poésie? Molière lui-même, ce Molière dont M. AdolpheDumas fait un si rude prédicateur, n'a-t-il pas aidé à cette chute de lavertu? n'est-ce pas lui qui a dit à mademoiselle de La Vallière, dans leprologue de laPrincesse d'Élide.

Soupirez librement pour un amour fidèle,

Et bravez ceux qui voudraient vous blâmer:

Un coeur tendre est aimable, et le nom de cruelle

N'est pas un nom à se faire estimer.

Dans le temps où l'on est belle,

Rien n'est si beau que d'aimer.

D'ailleurs La Vallière commence déjà à expier sa faute: elle essuie lesviolences de madame de Soissons, et la reine-mère la traite avec dureté.Louis XIV, à en croire M. Dumas, n'est pas le seul ouvrier de cettechute: un certain marquis de Santa-Fior, marquis de contrebande, undrôle, un Scapin, lui a facilité les voies. Ce Santa-Fior, fils originalet fantasque, né du cerveau de M. Adolphe Dumas, ne manque ni de verveni d'esprit; mais il devance les temps, et transporte à la cour de 1669le baron de Wormspire, beau-père de Robert-Macaire de 1835.

Santa-Fior ou Louis, peu importe, La Vallière est vaincue, on ne sauraitplus en douter: voyez-la tendrement suspendue au bras de son royalamant, et écoutant ses douces paroles:

Blonde comme un soleil, belle comme le jour,

Je passerai ma vie à te parler d'amour.

--Où voulez-vous aller?--Sous ces ombrages silencieux, dit l'amant;c'est là que mon père, Louis XIII, aimait à s'asseoir:

C'est là qu'il est venu, seul avec La Fayette,

Comme toi toujours tendre et toujours inquiète.

On trouverait encor leurs chiffres amoureux.

--Que voulez-vous?--Chercher.--Quoi chercher?--Des heureux:

Louis XIII gravant des chiffres amoureux sur les arbres peut sembler unpeu bien hasardé, mais les vers sont jolis.

Tandis que La Vallière soupire, Molière est insulté par les marquis; quedis-je, par les marquis, non point seulement par les Acaste et lesClitandre, mais par un Guise en personne. C'est ici,--lecroiriez-vous?--que Molière met le poing sur la hanche, se pose enbretteur, et provoque M. de Guise: M. de Guise consent à se battre, poursurcroît de merveille; mais le roi survient, et dérange le combat:

La royauté, ce soir, soupe avec le génie.

Voyons, monsieur, soyez de notre compagnie.

A ces mots, le roi s'assied à une table magnifiquement servie, et donneprès de lui place à Molière: le banquet est splendide et splendidementilluminé: princes et ducs, duchesses et marquises y prennent part, surl'ordre de Louis.

M. Adolphe Dumas agrandit et orne singulièrement le petiten cas denuit que le roi fit partager, dit-on, à Molière au nez des courtisans.Louis boit à Molière et à Corneille; Molière riposte en buvant au roi.Soit, Mais que dites-vous de ce qui suit? Louis XIV oblige Guise dechoquer le verre avec Molière et que fait Molière? Molière se levant, leverre à la main, porte à Guise et à la noblesse assise à cette table, letoast incroyable que voici:

A votre oncle Mayenne, assassin d'Henri Trois!

Et, comme si j'étais encore sur mon théâtre,

A sa soeur, votre tante, assassin d'Henri Quatre!

Sire, permettez-moi, c'est un duel entre nous;

Il faut que tout ceci se passe devant vous.

Nous autres gens de coeur, nous autres gens de lettres,

Nous sommes las des beaux, sire, et des petits-maîtres.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais qui donc êtes-vous? C'est une raillerie.

Des danseurs!... O héros de la chevalerie:

Charlemagne et Roland, voilà les héritiers

De ceux de Roncevaux et de ceux de Poitiers.

Mais, n'allons pas si haut, ombres chères et vaines!

Votre sang est trop vieux et n'est plus dans leurs veines,

Mais qui donc êtes-vous? un frondeur, un ligueur;

Des Guises balafrés sur un front sans rougeur,

Les hommes avilis de nos guerres civiles,

Les restes écumés des troubles de nos villes,

Qui s'en vont, quand Paris n'est plus à ravager,

Avec Condé, porter la France à l'étranger!



Théâtre de la Porte-Saint-Martin.--Mademoiselle de LaVallière.--Scène du troisième acte: Molière portant un toast auxnobles.

Et Guise ne s'indigne que médiocrement à ces apostrophes fanfaronnes; etLouis XIV d'applaudir et d'encourager Molière. Mais, en vérité, oùsommes-nous? où allons-nous? Quoi! c'est là Versailles? quoi! c'est leroi? quoi! c'est Molière? Il serait si facile de répondre à cettedéclamation de ce Poquelin sans pareil, qu'après tout il se trompe, quela noblesse de Louis XIV n'était pas encore la noblesse honteuse eténervée de la Régence et de Louis XV, et que les hommes qui se faisaienttuer bravement dans les fossés de Strasbourg ou de Dôle, ajoutantl'Alsace et la Franche-Comté à la France, n'étaient pas de si indigneshéritiers de ceux de Poitiers et de Roncevaux.

Mais déjà tout est dit: l'amour de Louis XIV pour La Vallière s'éteintpeu à peu et s'en va; la possession a produit la satiété. La Vallièreaime toujours, aimera toujours; Louis n'aime déjà plus. En vain ilcherche à dissimuler cet abandon par un semblant de tendresse, LaVallière a lu dans cette âme rassasiée. La galanterie contrainte, lafroideur, les impatiences du roi ne font que confirmer son infidélité;Montespan a pris la place de La Vallière.

La pauvre victime abandonnée ne songe plus qu'à la retraite et à lapénitence. Appuyée d'un côté sur Bossuet et de l'autre sur Molière, ellese décide à rompre avec le monde et à cacher sa douleur et son repentirdans quelque pieux asile; La Vallière ira aux Carmélites.--En même tempsqu'il nous montre La Vallière brisée par la trahison d'un homme, M.Adolphe Dumas nous fait voir Molière tué par l'infidélité d'une femme:ici Louis XIV ensevelissant dans une retraite austère La Vallièrevivante; là, la Béjart ouvrant à Molière, mort de chagrin, une tombeprématurée. Et ainsi, tous deux s'acheminent en même temps vers lasépulture: l'une aux Carmélites, l'autre au cimetière Montmartre. VoiciLa Vallière sur la route du couvent; voilà les restes inanimés deMolière qui passent, et le peuple s'émeut et s'agite autour d'eux.--Parun dernier retour de tendresse, Louis XIV veut arrêter La Vallière; maisBossuet l'empêche de retenir aux corruptions du monde cette âme, quicourt se racheter vers Dieu.--Le roi obéit à Bossuet, et cependant saluele cercueil de Molière:

Bénissez ce cercueil, Molière est un grand homme,

Aussi grand que tous ceux de la Grèce et de Rome.

Il était au théâtre, il était comédien,

Mais après tout, Molière était homme de bien.

Et la toile tombe.

Si vous pouvez vous isoler de toute préoccupation historique; si vous nefaites cas ni de la vérité des caractères, ni de la vérité des moeurs etdu temps, le drame de M. Adolphe Dumas pourra se faire absoudre; il estsemé de jolis vers, de vers élégants, de vers tendres, de sentimentsénergiques; mais si vous croyez à Molière, à Bossuet, à lavraisemblance, au bon sens de l'histoire, le drame court le risque d'unjugement sévère. Il paraît que le public ne croit à rien de tout cela,car il a beaucoup applaudi M. Dumas, et court avec curiosité à laPorte-Saint-Martin.

M. Adelphe Dumas répondra aux critiques par le grand et terribleargument du succès. Le succès est quelque chose en effet, mais le succèsn'est pas tout. M. Adolphe Dumas est un homme de trop d'esprit et detrop de talent pour ne pas vouloir mettre complètement d'accord, dans unprochain drame, et ceux qui ne voient que le fait du succès, et ceuxqui, dans le succès même, demandent et regrettent quelque chose.

La semaine a été pauvre en vaudevilles: le théâtre du Palais-Royal et lethéâtre des Variétés ont seuls donné signe de vie: l'un a mis au mondeL'Homme de Paille, l'autre a saupoudré de gros mots cinq petits actesintitules:Les Cuisines L'homme de paille, cela se devine, est uneespèce de paravent qui sert à cacher les peccadilles d'un vaurien. M. deChampvilliers a des vices et des maîtresses: il craint que cette viedésordonnée lui enlève une veuve et une dot qu'il veut épouser; il prendM. Gambriac pour éditeur responsable. Tout ce qui lui tombe sur le dos,duels, dettes, intrigues, c'est de Gambriac qui en est cause. Gambriaccependant s'aperçoit du rôle de dupe qu'un lui fait jouer, et comme iln'est pas niais, il prend sa revanche et enlève au mystificateur la dotet la veuve. De la gaieté et quelque traits d'esprit, que faut-ildavantage à un vaudeville?

Le théâtre des Variétés nous mené, comme Colletel, de cuisine encuisine: cuisine de la grisette, cuisine du portier, cuisine desInvalides, cuisine à 32 sous, cuisine du Pont-Neuf, cuisinemillionnaire; par-ci, par-là le sel manque; mais le public avait faim ila pris ce repas en cinq services, d'assez bonne grâce: l'appétit rendindulgent Les auteurs sont, d'une part. MM. Marc Michel et Labiche: del'autre, MM. Cormon et Dupeuty. Le tout forme un quadrille.

Bulletin bibliographique

Études sur les Réformateurs ou Socialistes modernes, par M.M. LouisReybaud. Tome second.--Paris, 1843. Guillaumin. 7 fr. 50.

Ce volume complète l'examen que M. Louis Reybaud s'était proposé defaire des diverses sectes ou théories qui ont cherché, depuis l'originedu siècle, à s'emparer de l'attention et à se créer un auditoire. Il estle résumé et la critique de quelques vues collectives, comme le premiervolume était le résumé de quelques inspirations individuelles.

Le chapitre 1er, qui a pour titre:La Société et le Socialisme, formeune espèce d'introduction. M. Louis Reybaud ne croit pas, ainsi quecertains détracteurs de l'ordre social essaient de le prouver, «que lesefforts des générations, le travail des siècles, n'aient abouti qu'àtransformer notre globe en un vaste dépôt de mendicité ou en uneléproserie immonde.» Dans son opinion, les sociétés modernes ont étécalomniées; elles sont au-dessus des sociétés anciennes, commeintelligence, comme bien-être. La misère, le vice et le crime, ces troisfléaux, accessoires obligés de toute civilisation humaine, n'augmententpas, ils diminuent. Notre siècle vaut mieux sous tous les rapports queles siècles qui l'ont précédé. Est-ce à dire pour cela qu'il n'y aitrien à faire? Nullement. Sans doute, ce monde, que le christianisme abien jugé, sera éternellement le siège de la souffrance; et quand onsonge qu'aucune classe ne se dérobe à cette loi, que les plus puissantscomme les plus humbles lui paient un égal tribut, on s'étonne de voirencore tant de cerveaux en quête de cette chimère que l'on nomme laperfection absolue. Mais si le mal qui afflige l'humanité ne peut pas seguérir radicalement, du moins doit-on chercher des remèdes partiels etdes moyens d'atténuation. C'est ce qu'a fait M Louis Reybaud. Ainsi, ildemande l'abolition de la prostitution indirecte, en commandite,collective ou enrégimentée; l'établissement du régime cellulaire dansles prisons; la destruction du compagnonnage; la création de conseils deprud'hommes, etc.; mais il recommande surtout aux classes laborieuses desavoir se contenir et se conduire. «Ce qui manque à l'ouvrier, dit-il,c'est l'esprit de calcul et de prévoyance. Avec le temps son éducationse complétera. Il a eu ses jours d'enfance et d'adolescence, il aura sapériode de maturité. C'est à lui d'entrevoir déjà cet avenir et d'yaspirer, pour s'en montrer digne, il faut qu'il éteigne en lui lesprétentions inquiètes et sans but, la soif des réformes impossibles, lebesoin d'agitations ruineuses. Il a pour lui le titre de noblesse dessociétés modernes, le travail; soldat de l'armée industrielle, sonavancement est dans ses mains, et il n'est point de haut grade auquel ilne puisse prétendre. »

Comme on le voit par ce passage que nous venons de citer, M. LouisReybaud ne s'agite pas dans un cercle d'illusions et ne court jamaisaprès des fantômes; aussi n'hésite-t-il pas à se déclarer l'adversairede tous les socialistes en général, c'est-à-dire de tous les rêveurs quicultivent avec plus ou moins de succès l'art d'improviser des sociétésirréprochables. Du reste, il n'a pas de luttes sérieuses à soutenir; satâche se borne pour ainsi dire à enregistrer les noms des morts. On aoffert à la société, durant ces dernières années, tant de recettes duparfait bonheur, que, fort embarrassée de choisir, elle est restée cequ'elle était, mêlée de mauvais et de bon, s'appuyant sur le passé enregardant vers l'avenir. Les écoles et les églises nouvelles se sontéteintes peu à peu dans le choc des rivalités et les défaillances del'isolement. Toutefois, si le socialisme avoué est fini ou bien près definir, il veut laisser une dernière empreinte dans le monde scientifiqueet littéraire. M. Louis Reybaud a donc cru devoir signaler troiscatégories d'écrivains qui, plus ouvertement que les autres, ontsacrifié ou sacrifient encore aux chimères et aux déclamations dusocialisme: les statisticiens, les philosophes et les romanciers.Quelques pages éloquentes et que tous les honnêtes gens approuverontvengent la société des calculs mensongers de quelques statisticiens, deserreurs prétentieuses de certains philosophes et des divagationsintéressées de la plupart de nos romanciers. «Si les enfants perdus dela philosophie, du roman et de la statistique veulent continuer cettecroisade insensée, ajoute M. Louis Reybaud en terminant, la société leslaissera achever leur suicide sans s'émouvoir, sans s'irriter. A unedémence obstinée et volontaire, elle ne doit répondre que par la pitiéet le dédain. Tout ce qu'il lui reste à faire, c'est de souhaiter à sesdétracteurs un peu de ce bon sens, présent du ciel, et dont il est plusavare qu'on ne se l'imagine; le bon sens quitte toujours les hommes quis'enivrent d'eux mêmes et de leurs idées: c'est le premier châtiment deleur vanité et la cause d'une irrémédiable impuissance. »

Les chapitres suivants ne sont pour ainsi dire que le développement decette espèce d'introduction. M. Louis Reybaud analyse et critiquesuccessivement les systèmes des principaux socialistes contemporains.Son second chapitre est consacréaux idées et aux sectes communistes,le troisième auxChartistes, le quatrième àJérémie Bentham etauxUtilitaires, le cinquième auxHumanitains. Cette suite de déviationset d'écarts auxquels notre temps est en butte, M. Louis Reybaud lesrattache, dans sa conclusion, à deux causes dominantes: les inspirationsde l'orgueil et les calculs de l'intérêt.--Cependant, il est trop justepour les confondre dans une même condamnation: il fait une réserve enfaveur des Utilitaires, qu'il traite peut-être trop sévèrement, et chezlesquels des qualités supérieures s'unissent à des intentionssaines,--et en faveur des Humanitaires, qui, au milieu de bien desfolies, ont su néanmoins se tenir en garde contre la provocation directeet la déclamation turbulente.

Dans la courte préface de ce deuxième volume, M. Louis Reybaud a crudevoir répondre à un reproche auquel il avait raison de s'attendre: «Ontrouvera, dit-il, que le ton de ce deuxième volume est plus sévère quene l'était celui du premier, et que je n'ai aujourd'hui que du blâmepour des tentatives auxquelles je n'ai pas refusé naguère desencouragements et des éloges. J'irai au-devant d'une explication, etelle sera courte. Je croyais alors ces aberrations sans danger; je suisconvaincu maintenant, après en avoir mieux étudié les effets, qu'ellessont dangereuses. Sans doute, au premier coup d'oeil, ces excursionsdans le domaine de l'imagination peuvent être regardées soit comme unediversion innocente, soit comme un exercice utile à la pensée. L'esprithumain doit agiter des problèmes, même sans espoir de les résoudre, etsouder l'inconnu, fut-ce avec témérité. Dans tous les temps il s'estproduit des hommes qui se vouaient à cette tâche ingrate, et dont lesconvictions méritaient le respect. Leurs rêves ne troublaient nin'empêchaient rien, et leur candeur commandait l'indulgence. Cependant,quand les chimères prennent trop d'ambition et aspirent à de tropgrandes destinées, un autre devoir est tracé aux écrivains, c'est deramener les esprits au sentiment des réalités et d'assigner des limitesà la fantaisie. Voilà ou nous en sommes aujourd'hui, et pourquoi je mesuis armé de plus de rigueur. Il m'a semblé que ces doctrinesaventureuses n'éclairaient aucune question et les dénaturaient toutes;que, sans profit pour elles-mêmes, elles nuisaient aux notions les plussaines, les mieux vérifiées; que, par la déclamation et la jactance,elles agissaient sur quelques têtes ardentes et crédules, et que, sansfaire précisément un grand mal, elles étouffaient et paralysaient lebien qui aurait pu se faire.»

Le second volume desRéformateurs contemporains obtiendra, nous ensommes certain, un aussi grand succès que le premier, couronné,--est-ilnécessaire de le rappeler?--par l'Académie française.--Les qualités dontM Louis Reybaud avait donné des preuves si éclatantes se sont encoreperfectionnées: le style est devenu plus net et plus vigoureux,l'argumentation plus serrée et plus claire, la critique plus mordante etplus juste. Nous laisserons les sectes attaquées par M Louis Reybaud sedéfendre si elles l'osent ou si elles le peuvent; mais, tout en espérantque, la plupart d'entre elles ne se relèveront pas du rude coup quivient de leur être porté, nous ne pouvons nous empêcher de regretter queleur vainqueur ait parfois... un peu trop de raison.

L'excès en tout est un vilain défaut,

a dit le poète. Que M. Louis Reybaud profite désormais de cet avis;qu'il prenne garde, en combattant les pessimistes, de deveniroptimiste.--Nous l'engagerons beaucoup à lire trois charmants volumespubliés à la librairie Paulin sous ce titre:Jérôme Paturot à larecherche d'une position sociale et politique--Cette spirituellecritique des vices et des ridicules de notre époque lui prouvera, s'ilpouvait jamais en douter, que tout n'est pas pour le mieux dans lemeilleur des mondes possibles.

Les Colonies françaises, Abolition immédiate de l'Esclavage; parVictor Schoelcher. 1 vol. in-8.--Paris, 1842,Pagnerre. 6 fr.

«Emancipation des noirs, tel est notre premier voeu, dit M. VictorSchoelcher au début de son introduction; prospérité des colonies, telest notre second voeu. Nous demandons l'une au nom de I humanité,l'autre au nom de la nationalité; toutes deux au nom de la justice. »Bien qu'il ait paru il y a plus d'un an, cet ouvrage de M. VictorSchoelcher a donc conservé un intérêt d'actualité, car la Chambre desDéputés s'occupe en ce moment d'une loi qui intéresse au plus haut degréla prospérité des colonies, et la question de l'émancipation des noirs,toujours pendante, va enfin être soumise,--assure-t-on,--àl'appréciation et au vote de la législature.

M. Victor Schoelcher n'a traité avec une étendue suffisante qu'une seuledes deux graves questions qu'il semblait se proposer de résoudre. Sansdoute, dans son introduction, il indique en passant quelques moyens derégénérer les colonies; mais la pensée qui le préoccupe avant toutes lesautres ne lui permet pas de s'arrêter longtemps à cespréliminaires.--L'auteur desColonies françaises est le plus sincèreet le plus zélé de tous les abolitionnistes français. Ce grand acted'humanité et de justice auquel il a consacré sa fortune et sa vieentière,--l'émancipation des noirs,--il désire si ardemment le voirs'accomplir, qu'il lui tarde, dès les premières lignes, d'appelerl'esclavage dans la lice et de lui déclarer une guerre à mort.

D'abord M. Victor Schoelcher examine la condition présente des nègres,En les suivant dans les diverses phases de leur existence actuelle, ilespère pouvoir préjuger de leur existence future, et trouver la solutiondu problème colonial.--Puis, cette étude achevée,--et elle a été faited'après nature sur les lieux mêmes, --il expose et réfute l'opinion descréoles sur la nature de leurs esclaves noirs; il signale l'existence etles effets déplorables du préjugé de couleur--Le terrain ainsi exploré,il y marche suis trop de crainte de s'égarer, et il aborde la questionde l'esclavage.

Après avoir longuement discuté les divers moyens proposés pour amenerl'abolition de l'esclavage, M. Victor Schoelcher déclare que, dans sonopinion, celui qui offre le plus de chances favorables estl'émancipation en masse pure et simple.» Cette émancipation, dit-il, apour elle la convenance, l'utilité, l'opportunité; ses résultatsimmédiats seront pour les nègres faits libres; la probabilité de sesheureuses conséquences finales doit fixer les colons sur la réalité deses avantages. Il n'est pas vrai que le travail libre soit impossiblesous les tropiques; il ne s'agit que de savoir déterminer les moyens del'obtenir. Toute la question se réduit donc là: organiser le travaillibre.»

En conséquence, M. Victor Schoelcher expose dans le vingt-cinquième etdernier chapitre de son ouvrage unEssai de législation propre àfaciliter l'émancipation en masse et spontanée. Sans doute il n'a pasla prétention de construire le code des provinces d'outremer; mais ilmanquerait de véracité, «s'il dissimulait sa confiance dans les moyensqu'il indique pour laver les terres coloniales de la tache qui lessouille, sans mettre en péril leur société, pour substituer sanstrouble, ou du moins sans violence, le brillant ordre libre à l'ignobleordre esclave.»

Chants de l'Exil: parLouis Delattre. 1 vol. in-18. --Paris, 1843.Gosselin. 3 fr. 50 c.

La plupart des poésies contenues dans ce recueil sont nées sur la terreétrangère, en Italie, en Allemagne, en Belgique en Russie, et surtout enSuisse. «Elles sont, dit leur auteur, le fruit de mes voyages dans cesdivers pays, et presque toutes ont été inspirées par le spectacle desgrandes scènes de la nature.»

LesChants de l'Exil se divisent en deux parties: la première et laplus considérable se compose de poésies objectives, narratives, épiques,légendes et ballades; la seconde contient les poésies intimes.

M. Louis Delattre prie la critique de ne pas condamner ses efforts, etle public d'accueillir avec indulgence ce volume, où il ajeté tout ceque son âme a d'énergie et de douleur, de colère et d'amour. Nousaccédons d'autant plus volontiers à sa demande, que nous avons remarquéçà et là, en parcourant ce volume, des vers qui nous ont paru mériternos éloges. Puisse le public se montrer aussi bienveillant, et recevoiravec reconnaissance les dons de M. Louis Delattre!--Nous nous borneronsà faire une seule observation, qui s'adresse généralement à tous lesjeunes gens qui se prétendent poètes: pourquoi se croient-ils obligésd'imprimer tout ce qu'ils composent, et ne comprennent-ils pas qu'ilfaut songer quelquefois au fond autant qu'à la forme?--Quel mérite etquelle utilité y a-t-il à écrire et à publier des vers comme ceux-ci, parexemple, qui commencent la première strophe de la première pièce deChants de l'Exil:

L'azur de l'éternelle voûte

Sourit à l'homme jeune encor,

Et l'espérance, sur sa route,

Sème des fleurs de pourpre et d'or.

Ou bien encore, à la seconde strophe:

Aux plaines, aux forêts profondes,

Un vaisseau verse ses trésors

Les cygnes voguent sur ses ondes,

La violette orne ses bords.

Ne serait-il pas temps, enfin, de renoncer à tout ce verbiageinsignifiant, qui n'a plus même l'intérêt de la nouveauté? Et quand unjeune écrivain veut que le public reçoive avec indulgence tout ce queson âme a d'énergie et de douleur, de colère et d'amour, ne devrait-ilpas, en vérité, se montrer plus sérieusement digne des suffrages qu'ilambitionne?

Le Hachych; 1 vol. in-18.--Paris, 1843.Paulin. 3 francs.

Le hachych est une plante de l'Orient qui a la même forme, le mêmeaspect, la même odeur que le chanvre. A en croire les savants del'expédition d'Égypte, c'est du chanvre dont les propriétés se sontaffaiblies dans le Nord. Le hachych produit des effets extraordinairessur toutes les personnes qui en prennent une infusion. Il exalte leursidées dominantes, il leur montre d'une manière claire leurs plans lesplus compliqués se débrouillant sans difficulté, leurs projets les pluschers se réalisant sans obstacle; il leur procure l'intuition précise dece qu'ils cherchent; «enfin, dit l'auteur du petit livre qui a pris pourtitre le nom de cette plante remarquable, il leur fait savourer par lapensée la possession anticipée et sans mélange de tout ce qui estsuivant leurs goûts, leurs voeux, leurs passions habituelles, ou plutôtsuivant leurs désirs et la direction de leurs pensées au moment où lehachych agit sur eux. C'est ce qui explique les effets différents qu'onen rencontre; car ils varient beaucoup suivant les individus et mêmesuivant les dispositions du moment..»

Il y a quelques mois, douze convives réunis à Marseille autour de latable d'un médecin causaient entre eux de la condition et des besoins dela société actuelle. Un jeune docteur qui arrivait d'Égypte les engageaà prendre une infusion de hachych au lieu de café. «C'est le remède àla nostalgie, au découragement, aux déceptions de toute espèce, leurdit-il. J'ai pensé qu'en France j'en aurais encore besoin pendant bienlongtemps; c'est pourquoi j'en ai rapporté une ample provision, et jevous en offre. Essayez-en, quand ce ne serait que par curiosité. Querisquez-vous? Une petite dose, une seule tasse de cette précieuseinfusion ne peut vous donner que de la gaieté, des consolations; vosprévisions les plus agréables se transformeront, pour un moment, enréalités; vous posséderez le don de seconde vue; vous serez élevés aurang des prophètes. »

Quelques-uns des convives cédèrent aux instances du jeune docteur; maisl'auteur anonyme duHachych, se défiant de sa susceptibilité nerveuse,se contenta d'abord de fumer un peu de hachych mêlé avec du tabactrès-doux, pendant que la discussion continuait bruyante, confuse etbientôt inextricable; puis, se sentant trop agité, il avala une grandetasse de cette bienheureuse infusion. Enfin il se retira Mais à peinefut-il couché, il tomba dans un profond sommeil, et il fit un rêveétrange qu'il raconte aujourd'hui au public. Il parcourut successivementl'Abyssinie, l'Inde, le Tibet, la Chine, le Japon, les coloniesanglaises de l'Australie et tout l'archipel de l'Océanie. Arrivé enAmérique par la Californie, il traversa les montagnes Rocheuses sur unrailway. Il passa un des premiers par le canal de Panama; ayantensuite débarqué au cap de Bonne-Espérance, il visita toute l'Afriquecentrale, Tombouctou et les montagnes de la Lune, et il revint àAlexandrie en descendant le Nil-Blanc et les cataractes.--Le canal decommunication du Nil avec la Mer-Rouge par Suez était alors en pleineactivité: un chemin de fer reliait Bagdad, Saint-Jean-d'Acre et leCaire.--Surpris de toutes ces améliorations, il s'embarqua pour reveniren France sur un navire qui marchait par l'électricité.--Quand il arrivaà Marseille, il ne fit pas quarantaine, et à l'entrée de la Canebière ilvit la foule attroupée autour d'une immense affiche, au haut de laquelleil lut en gros caractères: Bande du congrès ibergallitale, 27 juillet1843.

Ici doit s'arrêter notre analyse. Révéler le mot de l'énigme seraitfaire tort au livre dont nous venons de résumer la première partie. Siquelques-uns des lecteurs del'Illustration désirent savoir ce queseront la France et l'Europe dans cent ans, quelles révolutionspolitiques, sociales, économiques, un siècle verra s'accomplir, selonles utopies assez raisonnables d'un médecin célèbre qui désire garderl'anonyme, ils n'ont qu'à se procurer un exemplaire duHachych.--L'ouvrage de M. le docteur..... les fera jouir,--sans lesendormir toutefois,--de rêves étranges dont la réalisationtrès-désirable ne leur semblera pas impossible.

Le Jardin des Plantes, description et moeurs des mammifères de laMénagerie et du Muséum d'Histoire naturelle, parM. Boitard; précédéd'une notice historique, anecdotique et descriptive du Jardin, parJ.Janin. Nouvelle édition avec lesfigures coloriées, illustrée de 400gravures sur acier, sur cuivre et sur bois, planches à l'aquarelle,etc.; publiée en 64 livraisons, à 50 c.--Le volume complet, figuresnoires, 16 fr.--Dubochet et Cie..

Les figures qui représentent les sujets que l'histoire naturelle a pourbut de décrire ne remplissent qu'en partie leur destination, si elles sebornent à donner la forme sans y joindre la couleur. LeJardin desPlantes, dont MM. Dubochet et comp. avaient publié une première éditionavec les figuresen noir, paraît aujourd'hui avec les figurescoloriées, amélioration dont le public se montrera certainementreconnaissant. La perfection des dessins faisait regretter qu'on n'eutpas rendu la représentation des animaux plus complète, et les éditeursont cédé à de nombreuses observations en faisant colorier les figuresdans cette nouvelle édition.

L'auteur duJardin des Plantes. M. Boitard, a réuni dans ce volume cequ'on chercherait vainement ailleurs: l'histoire morale, qu'on nouspasse cette expression, des animaux, leur instinct, leur intelligence,leurs habitudes quelquefois si extraordinaires, leur caractère, leursruses, les singularités de leurs actions, leurs affections, leurshaines, leurs moyens d'attaque et de défense, leur industrie, leurstravaux si merveilleux quand on les compare aux facultés qu'ilspossèdent pour les exécuter; en un mot, leurs moeurs sauvages ousociales.

Cet intéressant travail est précédé d'une introduction, dans laquelle M.Jules Janin a raconté, avec son style pittoresque et animé, l'histoireduJardin des Plantes, et esquissé les scènes diverses dont il estchaque jour le théâtre.

Enfin, le Jardin des Plantes ne serait qu'un excellent livre d'histoirenaturelle et ne justifierait pas son titre spécial si le dessin et lagravure n'y avaient ajouté tout ce qui attire les regards et lacuriosité des visiteurs et des promeneurs: monuments, constructions,sites pittoresques, tableaux délicieux, connus de tous ceux qui ontvisité le Jardin des Plantes, bons à rappeler à ceux qui lesconnaissent, à faire connaître à ceux qui n'ont pu les visiter.


Modes.

Ce n'est pas à l'incommodité déjà soufferte de la chaleur que nousdevons ces jolies et étranges coiffures qu'Alexandrine, dans son goûtartistique, a prises aux modes italiennes; c'est à l'incommodité prévuede la chaleur prochaine. On va bientôt partir pour la campagne: lesfemmes qui ne connaissent pas les capelines sont menacées du chapeau àla suissesse, à bords ronds et plats, à calotte de chapeau, coiffuredont les jeunes pensionnaires mêmes sont lasses et qu'il était bientemps de renouveler.

Alexandrine a rencontré la plus heureuse de toutes les innovations, lechapeau de paille primitif, souple, léger, naïf de forme; elle y a pincéquelques ornements d'un style pittoresque, petites bouffettes de rubanou de velours, et, selon la mode italienne, des fleurs posées avec unesorte d'ingénuité contre les cheveux.

Les capelines sont de ces créations que l'artiste conçoit dans ses joursd'inspiration, et qui plaisent à toutes les femmes d'un goût distingué,comme tout ce qui sort de la vulgarité sans tomber dans la bizarrerie.De plus, il n'existe pas de chapeau qui gêne moins la personne, quicharge moins la tête et préserve mieux le visage.

L'une de nos figurines porte une robe de batiste à double manche. Sontablier de taffetas vert-myrte entoure une partie de sa taille: son colplat est en fine toile de Hollande.

L'autre, à manches demi-longues plates, a une robe de nankin. Son col,soutenu par une cravate écossaise, est en linon rayé, et ses mitainessont en taffetas.

Mayer enferme dans la scie noire, pure ou gros-bleu, les petites mainsles plus élégantes de Paris, de Londres et de Saint-Pétersbourg. Quandune nouveauté sort des magasins de la rue de la Paix, elle a bientôtfait le tour du monde. C'est dire qu'il suffit de s'appuyer d'une telleautorité pour recommander aveuglément une innovation. Les mitaines detaffetas sont comme celles de velours, d'autant plus recherchées que M.Mayer ne peut en faire autant qu'il lui en est demandé.

La douairière est une ombrelle commode pour la campagne. Sa canne estutile pour débarrasser la marche des herbes et des branches que l'onrencontre dans le parc, sous les avenues ombreuses ou dans la prairie àhautes fleurs. La marquise y est insuffisante, et l'anglaise gêne lamain sans aucun avantage.



Napoléon adoré dans un temple chinois.--Dessin fait par un témoinoculaire.


Amusements des sciences.

Le succès des rébus nous a donné l'idée d'ajouter à ces problèmesd'autres questions, quelquefois moins amusantes, mais plus instructives,sur toutes sortes de sujets. Nous poserons donc, chaque semaine, desquestions de ce genre, dont nous donnerons les solutions la semainesuivante. En voici quelques-unes:

I. Comment pourra-t-on faire, dans une balance ordinaire, toutes lespesées possibles d'un nombre entier de grammes avec la série des poids1, 2, 4, 8, 16, 32, etc., grammes? La série de ces poids allant jusqu'à1,024 grammes, quel est le plus grand poids que l'on puisse évaluerdirectement?

II. Une personne ayant un cruchon de huit litres d'un excellent vin,voudrait en donner exactement la moitié à un ami; mais elle n'a, pour lemesurer, que deux autres vases, l'un de cinq, l'autre de trois litres.Comment doit-elle s'y prendre: l° pour mettre quatre litres dans le vasede cinq; 2° pour les laisser dans le vase de huit litres?

III. On prend une boule d'ivoire ou de bois bien sphérique et bienhomogène sur laquelle on trace, comme sur un globe céleste ou terrestre,des pôles, un équateur, des cercles de longitude et de latitude. Onlance ce globe au hasard, et, après chaque jet, on marque soigneusementson point de contact avec le sol, lorsqu'il est parvenu au repos. Ondemande les valeurs vers lesquelles tendront les moyennes des longitudeset des latitudes?







Rébus.

EXPLICATION DU DERNIER REBUS.

Ci-gît Raphaël.













*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0012, 20 MAI 1843 ***
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