Title: Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)
Author: Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc
Release date: December 28, 2009 [eBook #30785]
Language: French
Credits: Produced by Michel Laglasse, Rénald Lévesque and the Online
Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net.
PARIS
B. BANCE, ÉDITEUR
RUE BONAPARTE, 13.
MDCCCLXI
DAIS, s. m. C'est le nom que l'on donne à des pierres saillantes, plusou moins ornées de sculptures, qui sont destinées à couvrir des statuesà l'extérieur et même à l'intérieur des édifices religieux et civils dumoyen âge. Les artistes de cette époque ne trouvaient pas qu'il fûtconvenable d'adosser une figure de saint ou de personnage célèbre à unmur, sans préserver sa tête de la pluie ou de la poussière par une sortede petit auvent tenant à la construction. Ce n'est guère qu'à dater duXIIe siècle, cependant, que les dais furent, presque sans exception,placés au-dessus des statues extérieures. Quelquefois, à cette époque,comme par exemple sur la face du porche de l'église de Moissac, les daisne sont qu'une assise basse, une dalle taillée sur ses faces en formed'arcades (1). Néanmoins, on voit dans des monuments du XIIe siècle desdais richement décorés déjà et qui figurent de petits monumentssuspendus au-dessus des statues. L'église du Saint-Sauveur de Dinan, desdeux côtés du portail, nous montre deux dais, importants comme masse etdélicatement travaillés, qui couvrent des figures de saints. Taillésdans un granit friable, ils sont malheureusement très-altérés par letemps. Quelquefois les statues étant adossées à des colonnes, les daistiennent également à leur fût. Alors la colonne, la statue, son supportet le dais sont taillés dans un seul morceau de pierre. Au portail royalde la cathédrale de Chartres on remarque, suspendus sur la tête desfigures du XIIe siècle qui décorent les trois portes, plusieurs daisd'un beau style; nous donnons ici (2) l'un d'eux.
Les dais nous fournissent souvent des motifs variés de couronnementsd'édifices, c'est-à-dire certaines parties de ces édifices qui sontpresque toujours détruites ou modifiées. Il est à remarquer, mêmependant les XIIe et XIIIe siècles, que ces petits modèles reproduisentgénéralement des exemples d'édifices antérieurs à l'époque où les daisont été sculptés. Ce fait peut être observé au-dessus des statues de laporte centrale du portail occidental de la cathédrale de Paris (3). Cesdais figurent encore des coupoles, des combles plats comme on n'enfaisait plus alors dans cette partie de la France.
Les dais qui protégent les statues du XIIe siècle et du commencement duXIIIe, placées dans les ébrasements des portails, sont taillés sur unmodèle différent. Chaque statue possède son cul-de-lampe et son daisparticuliers. Cependant il est à cette règle une exception fortremarquable à la porte de la Vierge de la façade occidentale deNotre-Dame de Paris. Les statues qui décorent les deux ébrasements decette porte sont surmontées d'une série de dais tous pareils qui formentau-dessus de la tête de ces statues un abri d'un style peu commun. Lasculpture de la porte de la Vierge est, d'ailleurs, empreinte d'uncaractère original, et nous ne connaissons rien de cette époque (1215 à1220) qui puisse lui être comparé comme grandeur de composition et commebeauté d'exécution. Voici (4) comment sont disposés ces dais formant unesorte d'entablement au-dessus des chapiteaux des colonnettes placéesentre et derrière les statues, et ne se confondant pas avec ceschapiteaux mêmes, ainsi que cela se pratiquait alors.
Les monuments religieux de la Bourgogne sont presque tous dépouillés deleurs statues extérieures. Dans cette province, la révolution du derniersiècle a mutilé les églises avec plus d'acharnement que dansl'Île-de-France et les provinces de l'Ouest. Jetant bas les statues, larage des iconoclastes n'a pas respecté davantage ce qui lesaccompagnait, et les sculptures des portails ont été non-seulementbrisées, mais coupées au ras des murs, ainsi qu'on peut le voir à Semur,à Beaune, à Notre-Dame de Dijon. Le peu de dais qui restent ducommencement du XIIIe siècle, dans cette province, font regretter qu'onles ait presque partout détruits, car ces rares exemples sontadmirablement composés et sculptés. On en jugera par l'exemple que nousdonnons ici (5), et qui provient du portail de la petite église deSaint-Père-sous-Vézelay. Ce dais était peint comme toute la sculpture duportail. La statue était adossée à la colonnette A, dont le chapiteauest pénétré par le dais.
À cette époque déjà, les dais bourguignons sont surmontés d'édicules enforme de pyramide ou de tour, posés sur l'assise engagée dans labâtisse. Cette superfétation ne se trouve que plus tard dans lesédifices de l'Île-de-France et de la Champagne.
Vers le milieu du XIIIe siècle, au moment où l'architecture devient plusdélicate, l'ornementation plus fine, les dais sont souvent d'une extrêmerichesse de sculpture; alors ce sont de petits châteaux couronnés detours crénelées, avec leur donjon. À l'intérieur de la Sainte-Chapellede Paris, au-dessus des douze apôtres adossés aux piliers, on voit desdais crénelés dont les tourelles sont percées de fenêtres remplies deverres bleus ou rouges. Mais les dais les plus remarquables, en cegenre, que nous connaissions, existent au-dessus des figures de la portedu nord de la cathédrale de Bordeaux (6)1.
Jusqu'à cette époque, ainsique nous l'avons fait remarquer tout à l'heure, les dais d'une mêmeordonnance de statues juxtaposées sont variés dans leur forme et leurdimension; mais, à dater du milieu du XIIIe siècle, les dais d'une mêmerangée de figures sont habituellement semblables et forment une ceintured'arcatures uniformes, ainsi qu'on le peut voir au portail occidental dela cathédrale de Reims (7); cependant ils ne sont pas encore surmontésde hautes pyramides, si ce n'est en Bourgogne, où l'on voit déjà, aumilieu du XIIIe siècle, quelques dais terminés en façons de pinacles ouclochetons.
Pendant le XIVe siècle les dais prennent beaucoupd'importance, se couvrent de détails, sont taillés en forme de petitesvoûtes précieusement travaillées; quelquefois, dans les ébrasements desportails, sous les porches, ils figurent une arcature saillantedécoupée, portée de distance en distance sur des pilettes très-déliées,entre lesquelles sont alors posées les figures. On voit des pinaclesainsi disposés sous le porche occidental non-terminé de l'égliseSaint-Urbain de Troyes (8), sous le porche de l'église de Semur enAuxois. Alors, au lieu de poser sur des culs-de-lampe, les statues sontdebout, sur une saillie continue A, recevant les pilettes B, figure 8;elles s'abritent ainsi sous une galerie profonde, peuvent prendre desmouvements variés, se toucher, faire partie d'une même scène, commel'Adoration des Mages, la Présentation au temple, le Baptême deJésus-Christ, etc. Cette disposition nouvelle se prêtait au sentimentdramatique que cherchait déjà la statuaire à cette époque.
Au-dessus des statues isolées, posées soit à l'intérieur, soit àl'extérieur des édifices, au XIVe siècle, les dais sont généralementsurmontés de riches pyramides à jour qui n'offrent rien de particulieret ressemblent à toutes les terminaisons des clochetons d'alors (voyezPINACLE).
Sans changer notablement les formes de ces dais du XIVe siècle, le XVesiècle ne fait que les exagérer; les dais se voient encore dansl'architecture du XVIe siècle au-dessus des figures; ils sont refouillésà l'excès, couverts de détails sans nombre: tels sont ceux du portail dela cathédrale de Tours, ceux de l'église de Saint-Michel de Dijon. Ilparaît inutile de donner des exemples de ces derniers détails qui sontentre les mains de tout le monde. Les stalles en bois des choeurs deséglises étaient surmontées de dais qui préservaient les religieux dufroid. Ces dais ont une grande importance comme ouvrage de menuiserie(voyez STALLE). Quelquefois des statues assises du Christ ou de lasainte Vierge, dépendant de retables ou posées dans les tympans desportails ou même des pignons d'églises, sont sculptées sous un daisporté sur des colonnes, disposé comme un cyborium. Ces sortes decouronnements accompagnant des figures sacrées méritent toutel'attention des artistes, car ils fournissent des exemples de cesdécorations intérieures de sanctuaires, détruites en France,aujourd'hui, sans exception. Un retable fort curieux, du commencement duXIIe siècle, et qui fut, il y a quelques années, l'objet d'un procèsentre l'État et un conseil de fabrique qui avait vendu cet objet à unmarchand de curiosités (procès gagné par l'État, et à la suite duquel lebas-relief fut réintégré dans l'église de Carrières-Saint-Denis, prèsParis), se compose de trois sujets: d'une Annonciation, d'un Baptême deJésus-Christ, et, au centre, d'une figure assise de la Vierge tenantl'Enfant sur ses genoux. La Vierge est surmontée d'un dais figurant laJérusalem céleste, porté sur deux colonnes (9).
À la cathédrale deChartres, dans le tympan de la porte de droite du portail royal, on voitaussi une Vierge dans la même attitude, surmontée d'un dais. À lacathédrale de Paris, la porte Sainte-Anne présente au sommet de sontympan un dais magnifique protégeant la statue assise de la Mère deDieu. L'article ARCHE d'alliance, duDictionnaire, donne un dessin dudais posé au-dessus de la statue adossée au trumeau de la porte de laVierge (même édifice).
DALLAGE, s. m. De tout temps et dans tous les pays on a employé, pourrevêtir les aires des rez-de-chaussées, soit dans les édifices publics,soit dans les habitations particulières, des pierres plates, dures,polies, jointives, sans ordre ou avec symétrie. La plupart des carrièresde pierres calcaires possèdent des bancs supérieurs minces, d'unecontexture compacte, propres à ce genre de pavage. Les Romains avaientemployé comme dallages des matières précieuses telles que le marbre, leporphyre, le granit, le jaspe même, et cela avec une prodigalitésingulière. Il existe encore quelques-uns de ces dallages qui se fontremarquer par la grande et simple ordonnance du dessin et la beauté desmatières employées: tels sont les dallages du Panthéon de Rome, de labasilique du Forum de Trajan. Les architectes du moyen âge nepossédaient pas, comme les Romains, ces matières précieuses, et leseussent-ils possédées, qu'ils n'avaient plus les facilités pour lestailler en grands morceaux et les polir. Lorsqu'ils voulurent décorerles aires des édifices, ils adoptèrent donc des moyens plus simples etsurtout moins dispendieux. Dès l'époque byzantine les Grecs avaientessayé de décorer les surfaces planes, verticales ou horizontales deleurs monuments au moyen d'incrustations de marbres de couleur ou demastics colorés dans des plaques de marbre blanc ou de pierre calcaire.On obtenait ainsi des dessins d'une grande richesse, très-variés ettrès-fins, avec des matières faciles à se procurer; ce n'était plusqu'une affaire de main-d'oeuvre. Ces procédés furent employés en Francedès le XIIe siècle, et peut-être même avant cette époque, bien que lesexemples nous manquent absolument. Grégoire de Tours parle de pavagesd'églises d'une grande magnificence; mais il est à croire que cesdallages étaient faits conformément aux procédés antiques, peut-êtremême avec des débris de monuments romains, ou se composaient degrossières mosaïques comme on en trouve encore un si grand nombre sur lasurface de la France (voyez MOSAÏQUE).
Pendant le moyen âge, en France, la mosaïque ne fut employée quetrès-rarement, et ces sortes de pavages, composés de petits morceaux depierres dures formant des entrelacs, connus sous le nom d'opusAlexandrinum, si communs en Italie et en Sicile, ne se rencontrentqu'exceptionnellement; encore sont-ils évidemment importés d'Italie. Onvoit de ces pavages dans le sanctuaire de l'église abbatiale deWestminster, à Londres, et dans celui de l'église deSaint-Benoît-sur-Loire. Cette importation ne fut point imitée par nosarchitectes clercs ou laïques. Ceux-ci adoptèrent de préférence lesdallages en pierre calcaire dure; et lorsqu'ils voulurent les décorer,ils gravèrent des dessins sur leur surface, qu'ils remplirent de plomb,ou de mastics colorés en noir, en vert, en rouge, en brun, en bleu clairou sombre. Deux causes contribuèrent à détruire ces dallages: d'abord lepassage fréquent des fidèles qui usaient leur surface avec leurschaussures, puis l'usage admis généralement, à dater du XIIIe siècle,d'enterrer les clercs et même les laïques sous le pavé des églises.Ainsi beaucoup de dallages anciens furent enlevés pour faire place à despierres tombales qui, à leur tour, composaient une riche décorationobtenue par les mêmes procédés de gravures et d'incrustations (voy.TOMBES).
Les plus anciens fragments de dallages gravés que nous possédionsproviennent de l'église de Saint-Menoux, près Moulins. Ces fragments (1et 1 bis) datent du XIIe siècle; ils sont en pierre blanche incrustéed'un mastic résineux noir. Le morceau de dallage (fig. 1) formait lefond; celui (fig. 1 bis), la bordure.
Les nombreux fragments de dallages gravés et incrustés que l'on voitencore dans l'ancienne cathédrale de Saint-Omer, et qui ont été publiéspar M. E. Wallet2, nous présentent le spécimen le plus complet de cessortes d'ouvrages qui, autrefois, décoraient l'aire des choeurs et deschapelles absidales des principales églises de France. Ces fragmentsappartiennent évidemment à diverses époques3; déplacés aujourd'hui,ils faisaient originairement partie des dallages du choeur et deplusieurs chapelles, et ne furent pas tous exécutés à la fois.Conformément à la méthode employée dans la sculpture du moyen âge,chaque dalle, sauf quelques exceptions, inscrit un dessin complet, etl'ensemble de la composition était obtenu au moyen de la juxtapositionde ces dalles. Ainsi le dallage était travaillé et terminé à l'atelieravant la pose. Les dessins sont très-variés; plusieurs de ces dalles,qui appartiennent à la fin de la première moitié du XIIIe siècle,représentent des guerriers à cheval, couverts seulement de l'écu ettenant un pennon à leurs armes. Quelques inscriptions se lisent encoreautour des figures et indiquent que ce pavage a été fait au moyen dedons, chaque dalle ayant été donnée par le personnage représenté.
Voici (2) l'une de ces pierres gravées, autour de laquelle on lit cetteinscription:
+ EGIDIUS FILIUS FULCONIS DE SANCTA ALDEGUNDE DEDIT ISTUMLAPIDEMIN HONORE BEATI AUDOMARI.
Les fonds sont bruns ainsi que l'inscription, et les traits de la figureet du cheval sont rouges. D'autres plaques de pierre provenant de lamême décoration composée d'une réunion de carrés représentent desfigures grotesques, des ornements, des personnages assis sur un trône.Une suite de dalles d'une dimension plus petite, et qui paraissentappartenir au commencement du XIIIe siècle, représentent les Artslibéraux, un zodiaque avec les travaux de l'année4. Une troisièmesérie nombreuse de petits carreaux de pierre renferme un nombreconsidérable d'animaux fantastiques et d'ornements d'un beau caractèredont le dessin remonte à la fin du XIIe siècle ou au commencement duXIIIe. M. E. Wallet5 a essayé de reconstituer les compositionsd'ensemble de ces dalles, et il les sépare au moyen de bandes formées depetits carreaux de marbre noir. Nous ne pensons pas que cetterestauration puisse être admise, d'abord parce que, dans les dallagesgravés dont nous possédons des ensembles encore existants, comme ceux deSaint-Nicaise de Reims, de Saint-Denis et de Canterbury, on ne trouverien qui justifie cette hypothèse; puis, parce qu'en exécution lecontraste de ces bandes pleines avec ces dessins déliés produit le plusfâcheux effet, ainsi que nous avons été à même de le reconnaître. Lesbandes pleines, noires ou rouge sombre, se marient parfaitement avec lescarrelages en terres cuites émaillées (voy. CARRELAGE) dont les tonssont vifs et brillants et qui sont de même matière que ces bandes; maiscette harmonie ne peut exister entre des pierres dont les fines gravuressont remplies de mastics colorés et des carreaux de marbre noir dontl'aspect est toujours dur et froid. Les bandes de carreaux noirsdétruisent absolument l'effet des gravures. À défaut d'un grand nombrede monuments existants, nous possédons les dessins de feu Percier surl'église abbatiale de Saint-Denis; ces dessins nous donnent une quantitéde dallages composés de pierres gravées, et aucun de ces dallages neprésente de ces bordures ou encadrements de pierres de couleur; il estcertain, au contraire, que les architectes ont voulu obtenir dans leursdallages cette harmonie tranquille des tapis qui convient si bien à unesurface horizontale faite pour marcher. Il est déplaisant de poser lespieds sur un pavé dont les tons violents font croire à des saillies etdes creux; les artistes des XIIe et XIIIe siècles avaient assezl'instinct des effets de coloration dans les édifices, pour éviter cesdéfauts avec soin.
Les dallages gravés qui décoraient l'aire de plusieurs des chapellesabsidales de l'église abbatiale de Saint-Denis en France étaient fortbeaux. Ils existent encore en partie, ont été rétablis à leur ancienneplace, ou sont reproduits dans l'Album de feu Percier.
Nous donnons ici (3) une portion du dallage de la chapelleSainte-Osmane. La marche de l'autel, dont notre planche laisse voir uneportion en A, représente les quatre Vertus, avec un encadrementd'ornements très-délicats composés de quatre-feuilles contenant desanimaux fantastiques.
Autour de cette marche, relevée de 0,14 c. au-dessus du pavé de lachapelle, se développent des sujets dans des médaillons circulairesreprésentant les travaux et plaisirs des douze mois de l'année (voy.ZODIAQUE). Cet encadrement, relevé par des fonds noirs, se détache surun fond plus simple composé de grands quatre-feuilles avec rosettes,entre lesquels sont gravés des animaux symboliques, des chassesentremêlées de feuillages. Une fine bordure B encadre l'ensemble decette composition. On remarquera combien l'aspect décoratif de ce richedallage est délicat, sans être confus; l'artiste a eu le soin de faireles ornements de la marche de l'autel sur une échelle beaucoup pluspetite que ceux du fond du dallage, afin de donner à cette marcherelevée quelque chose de particulièrement précieux. À distance, ledessin général se comprend, et de près il attire les yeux par lacombinaison gracieuse des gravures, qui sont toutes remplies de masticnoir. Quelquefois, comme dans la chapelle de Saint-Pérégrin de la mêmeéglise, le dallage se compose d'un dessin uniforme entouré d'une bordureou d'une inscription (4).
Ce dallage, dont nous donnons ci-contre unfragment au quart de l'exécution, est de même en liais. Le fond desfleurs de lis est noir, le fond des rosaces vert olive, les rosettesrouges ainsi que l'inscription; de petits cubes de verre dorés incrustésen A égayent l'ensemble de la coloration un peu sombre6.
Les dessins des dallages de Saint-Denis sont d'une grande pureté; lesfigures sont tracées de main de maître et d'un style très-remarquable.Tous ces dallages appartiennent aux restaurations commandées par saintLouis dans l'ancienne abbatiale; c'est dire qu'ils datent du milieu duXIIIe siècle. Les gravures sont faites dans du liais (cliquart) fortdur, intaillées de cinq millimètres environ et remplies de mastics noir,rouge, vert sombre, bleu glauque et brun. Par places sont incrustées desplaques de verre coloré ou blanc verdâtre, peint et doré par-dessous enmanière de fixés, ou encore de ces petits cubes de pâte dorée comme dansla figure précédente. Quelques-uns de ces beaux dallages ont été réparéset remis en place; leur effet est celui produit par un tapis d'un tontrès-doux et harmonieux.
Il existe encore, dans l'église de Saint-Remy de Reims, une portion dudallage qui autrefois couvrait l'aire du choeur de l'église deSaint-Nicaise de la même ville. Ce dallage date des premières années duXIVe siècle et représente des scènes de l'Ancien Testament, inscritesdans des compartiments carrés (5). Chaque dalle porte un sujet, et celuique nous avons choisi figure Moïse, Aaron et Hur, pendant la bataillelivrée par Israël contre Amalech7. Là les traits gravés sont remplisde plomb sans autre coloration. Il n'est pas besoin de dire que cessortes de dallages coûtaient fort cher, et qu'on ne pouvait les placerque dans des églises riches, dans les sanctuaires et quelques chapellesprivilégiées. Souvent on se contentait de dallages unis ou composés decarreaux noirs et blancs. Alors les dessins sont variés, les carreaux àl'échelle du monument et généralement de petite dimension.
La cathédrale d'Amiens conserve encore presque tout son dallage du XIIIesiècle, qui ne consiste qu'en petites dalles carrées de 0,32 c. (unpied) de côté, noires et blanches, formant à chaque travée un dessindifférent. Voici (6) une de ces combinaisons. Pour juger de l'effet dece dallage, fort détérioré aujourd'hui, il faut monter dans les galerieset le regarder de haut et à distance; les compartiments sonttrès-heureusement combinés; dans la nef, ils étaient interrompus par ungrand labyrinthe également formé de carreaux noirs et blancs (voy.LABYRINTHE). Ces dallages, d'une date ancienne, sont assez peu communs.On en trouve des débris d'une époque plus récente dans beaucoup depetites églises trop pauvres pour avoir pu remplacer ces anciens pavés.
L'église d'Orbais (Marne) possède un dallage du XVe siècle (7), composéde petits carreaux de marbre noir de 0,14 c. de côté et de dallesbarlongues blanches posées de façon à figurer une sorte de natte d'unbon effet. Ces dessins, si simples qu'ils soient, ne sont jamaisvulgaires. Les dallages étaient employés non-seulement dans les édificespublics, mais aussi dans les habitations privées. La plupart desgrand'salles des châteaux, des évêchés, des hôtels de ville étaientpavées en grandes dalles de pierre dure. Souvent même, dans leschâteaux, ces dallages étaient décorés d'incrustations de pierres decouleur ou de mastics, ou encore les dalles alternaient avec les stucspeints.
Dans un compte de la construction du château de Bellver, dansl'île Mayorque8, il est question des pavages de cette habitationseigneuriale, «faits de stucs composés de chaux vive, de plâtre et degrandes pierres mélangées de couleur; le tout si bien poli qu'on eût pucroire ces aires composées de marbre et de porphyre.» Les anciensavaient compris l'importance des pavages comme moyen de décorer lesintérieurs des édifices, et le moyen âge ne fit que suivre et perpétuercette tradition. En effet, il faut avoir perdu lesens décoratif,dirons-nous, pour souffrir, dans un intérieur décoré de sculptures, depeintures et de vitraux colorés, des dallages gris, uniformes de ton,qui, par la surface étendue qu'ils occupent, prennent une valeur telleque toute ornementation des parements, si riche qu'elle soit, estdétruite, ou tout au moins refroidie. Les dallages colorés sont une desplus splendides et plaisantes décorations qu'on puisse imaginer. EnFrance comme en Italie, le moyen âge ne manqua jamais d'employer cettesorte de décoration trop rarement appliquée aujourd'hui9.
Note 3:(retour) M. Vitet, dans un rapport au ministre de l'intérieur (1830), regarde ces dalles comme appartenant à la fin du XIIe siècle. M. Hermand ne les croit pas antérieures à 1260. Le fait est qu'elles n'appartiennent pas toutes à la même époque; quelques-unes de ces dalles ont tous les caractères du dessin du commencement du XIIIe siècle; d'autres sont plus récentes.
Note 9:(retour) Ce n'est que depuis le dernier siècle que l'on a cessé d'employer les dallages colorés dans les édifices, et, sous Louis XIV encore, de magnifiques pavages ont été exécutés; nous citerons entre autres ceux de la grande chapelle de Fontainebleau et du choeur de la cathédrale de Paris: ce dernier est un chef-d'oeuvre. Il est restauré et replacé.
DALLAGEemployé comme couverture. Lorsqu'on eut l'idée de remplacerles charpentes qui couvraient les salles et les vaisseaux par desvoûtes, on pensa d'abord à protéger l'extrados de ces voûtes par desdalles ou de grandes tuiles posées à bain de mortier; ce système decouverture s'appliquait parfaitement d'ailleurs sur les voûtes enberceau plein cintre ou composées d'arcs brisés. Dans le midi de laFrance, en Provence, sur les bords du Rhône et dans le Centre, on voitencore des nefs d'église dont les voûtes sont ainsi couvertes par desdalles superposées (8).
Mais on reconnut bientôt que, si bien exécutésque fussent ces dallages, et si bonnes que fussent les pierresemployées, ces pierres cependant, par l'effet de la capillarité,absorbaient une grande quantité d'eau et maintenaient sur les voûtes unehumidité permanente; on reconnut aussi que, du moment que les dallesétaient isolées de l'extrados, l'effet de la capillarité cessait, ou dumoins que l'humidité ne se communiquait plus aux voûtes. On songea donc,vers le commencement du XIIIe siècle, à poser les dallages sur des arcsau-dessus des voûtes, de manière à laisser l'air circuler entre ledessous des dalles et l'extrados des voûtes, et à combiner ces dallagesde manière à éviter autant que possible les joints découverts. Lesconstructeurs reconnurent aussi que les dallages ayant une pente assezfaible, il était nécessaire d'activer l'écoulement des eaux pluvialessur leur surface pour éviter les détériorations de la pierre surlaquelle la pluie ne s'écoule pas rapidement. En conséquence, ils eurentle soin de tailler la surface extérieure des dalles en forme de cuvette(9).
Par ce moyen, l'eau réunie au milieu de chaque dalle se trouvaitformer un volume assez considérable pour produire un écoulement rapide,même pendant ces pluies fines qui, bien plus que les ondées, pénètrentet détruisent les matériaux calcaires. Les joints de ces sortes dedallages n'étaient pas assez relevés cependant pour ne pas être baignéspendant les averses; on donna donc bientôt un profil décidé aux rebordsdes dalles, afin de relever entièrement le joint et ne plus l'exposerqu'aux gouttes d'eau tombant directement du ciel. C'est ainsi que sontexécutés les dallages des terrasses de la cathédrale de Paris posés surdes arcs et complétement isolés des voûtes (10). Ces grandes dalles sontencore légèrement creusées en canal dans leur milieu, afin de précipiterl'écoulement des eaux en formant dans ces milieux de petits ruisseaux.En outre, le recouvrement A de chaque dalle est taillé en mouchette,ainsi que l'indique le profil A', pour éviter que les eaux en bavant surles bords ne viennent, par l'effet de la capillarité ou d'un ventviolent, à remonter dans le lit E.
Les dallages des terrasses de Notre-Dame de Paris reposent (comme lefait voir notre fig. 10) sur des pannes en pierre dure B, portées surdes arcs bandés de distance en distance et suivant la projectionhorizontale donnée par les arcs des voûtes, afin de ne pas multiplierles poussées. Au sommet et à l'extrémité inférieure de la pente, lesdalles s'appuient sur le chéneau D et sur une assise saillante Cincrustée dans le mur.
Un ouvrier s'introduisant sous ces dallages, au moyen de trappesménagées à cet effet et percées ainsi que l'indique le tracé G, on peutsurveiller ces voûtes, les réparer, les reconstruire même à couvert,s'assurer de l'état des joints des dalles, enlever celles-ci et lesremplacer facilement si elles viennent à se détériorer. Certes,l'apparence extérieure de l'architecture demande chez l'architecte ungoût sûr, une parfaite connaissance des ressources de son art; mais cessoins apportés dans la combinaison des parties de la construction quicontribuent essentiellement à la conservation des édifices et à leurfacile entretien ne sauraient trop être recommandés, car c'est à cetteattention dans les moindres détails que l'on reconnaît le véritablemaître de l'oeuvre, celui dont l'esprit embrasse à la fois et lesconceptions d'ensemble et l'organisation intime de l'édifice qu'ilconstruit. Sous ce rapport, il faut avouer, encore cette fois, que nousavons beaucoup à prendre à ces artistes méconnus des siècles passés.
On trouve aussi des exemples de dallages dont la combinaison est moinssimple, mais est plus propre encore à éviter l'entretien, en ce qu'aucunjoint n'est découvert. Ce sont des dallages combinés à peu près commel'étaient les couvertures en marbre ou en terre cuite des édifices grecsde l'antiquité. Des arcs légers (11) sont espacés de façon à recevoirdes rangs de dalles creuses superposées; sur les rangées de dallesservant de canal sont posés d'autres rangs de dalles formant unrecouvrement complet, comme le fait voir le profil A. Dans ces sortes dedallages, il n'est besoin nulle part de mastic ou de mortier pourcalfeutrer les joints sont tous masqués. On trouve de ces sortes dedallages sur les bas-côtés de l'église de Chaumont (Haute-Marne) et surceux de l'église collégiale de Poissy. Toutefois ces dallages sontchers, en ce qu'ils obligent de multiplier les arcs et exigent destailles nombreuses.
DALLES, s. f. (voy. DALLAGE).Dalles tumulaires (voy. TOMBEAU).
DAMIER, s. m. Le damier est un ornement d'architecture fréquemmentemployé, pendant le XIIe siècle, pour décorer les bandeaux, lesarchivoltes, les corniches des édifices en pierre; il forme, avec lesbillettes et lesdents-de-scie (voy. ces mots), des découpuresgéométriques qui rompent la monotonie des moulures horizontales ouconcentriques par des jeux d'ombre très-simplement obtenus sans avoirrecours à la sculpture. C'est surtout dans l'Île-de-France, leSoissonnais et en Normandie que l'on trouve l'emploi des damiers à daterde la fin du XIe siècle jusqu'au commencement du XIIIe. L'église deNotre-Dame de Paris était couronnée, dans sa partie supérieure, par unebelle corniche composée de quatre rangées de damiers, dont trois sontencore en place autour de l'abside.
Voici (1), en A, comment sont taillés ces damiers, dont chaque rang estpris dans une assise de 0,25 c. de hauteur.
Quelquefois deux rangs de damiers sont taillés dans une seule assise B.Ils décorent alors la tablette supérieure d'une corniche, un bandeau ouun archivolte. Les damiers couvrent aussi, en Normandie, des parementsde murs, des rampants de contre-forts; alors ils figurent desessentesoubardeaux de bois. C'était un moyen peu dispendieux de donner de larichesse aux tympans, aux surfaces des murs dont l'aspect paraissaittrop froid.
DAUPHIN, s. m. Bouche inférieure d'un tuyau de descente se recourbantpour jeter les eaux dans un caniveau. Dès le XIIIe siècle, les tuyaux dedescente en plomb furent employés (voy. CONDUITE, CONSTRUCTION); maisnous ne connaissons pas de dauphins affectant la forme qui leur a donnéce nom avant le XVIe siècle. On voit encore un dauphin en fonte de ferde cette époque attaché à la base d'une maison située en face le portailroyal de la cathédrale de Chartres. La fig. 1 en donne une copie.Lorsque des tuyaux de descente sont appliqués à des édifices des XIIIeet XIVe siècles, les dauphins (c'est-à-dire les bouches inférieures deces tuyaux) se composent d'une pierre évidée de façon à détourner leseaux dans le caniveau qui les doit recevoir.
DÉCORATION, s, f. Il y a dans l'architecture deux genres de décoration:la décoration fixe, qui tient aux édifices, et la décoration d'emprunt,appliquée à l'occasion de certaines solennités. La décoration fixe,surtout pendant le moyen âge, étant inhérente à la structure, il n'y apas lieu de lui consacrer ici un article spécial, et nous renvoyons noslecteurs à tous les mots qui traitent des parties des édificessusceptibles d'être ornées, et notamment aux articles SCULPTURE etSTATUAIRE. Quant à la décoration temporaire, elle fut appliquée de touttemps. Les anciens décoraient leurs temples de fleurs, de feuillages etde tentures à certaines occasions, et les chrétiens ne firent en celaque suivre leur exemple. Il ne paraît pas que, pendant le moyen âge, onait fait dans les églises des décorations temporaires qui pussentchanger les dispositions et la forme apparente de ces édifices.C'étaient des tentures accrochées aux piliers ou aux murs, desguirlandes de feuillages, des écussons armoyés, quelquefois cependantdes échafauds tapissés destinés à recevoir certains personnages etsurtout des exhibitions des pièces composant les trésors si riches desabbayes et des cathédrales. On trouvera, dans leDictionnaire duMobilier, des détails sur ces sortes de décorations. Ce que l'on doitobserver dans les décorations temporaires employées autrefois, c'est lesoin apporté par les décorateurs dans le choix de l'échelle desornements. Ceux-ci sont toujours en proportion relative avec le monumentauquel on les applique. La plupart de nos décorations temporairesmodernes, par suite de la non-observation de cette règle essentielle,détruisent l'effet que doit produire un édifice, au lieu de l'augmenter.
DÉLIT (voy. LIT.).
DENT-DE-SCIE, s. f. Terme employé pour indiquer un genre d'ornement quel'on voit naître au XIe siècle et qui est fort usité pendant le XIIe,surtout dans les provinces de l'Île-de-France, de la Normandie et del'Ouest. Les dents-de-scie servent à décorer particulièrement lesbandeaux, les corniches et les archivoltes. Les plus anciennes sonthabituellement larges, formant des angles droits, et portant une faiblesaillie (1). Bientôt elles se serrent, deviennent aigües(2), sedétachent vivement sur un fond parallèle à leur face A, ou sur un fondtaillé en biseau B. Vers la fin du XIIe siècle, les angles rentrants etsaillants sont tronqués D.
Quelquefois, lorsque les dents-de-scie de cette époque ont une petitedimension, particulièrement dans les monuments de l'Ouest, elles sonttaillées encore à angles droits G. Les dents-de-scie doublées ouchevauchées sont taillées ainsi que l'indique la figure 3, de façon àprésenter un rang de pointes passant sur l'autre. Dans les archivoltes,souvent plusieurs rangs de dents-de-scie sont superposés, s'alternant etformant les sailles indiquées en E.
Conformément à la méthode employéepar les architectes du moyen-âge, chaque rang de dents-de-scie étaitpris dans une hauteur d'assise, les joints verticaux tombant dans lesvides. Comme ces ornements étaient taillés avant la pose et que lesappareilleurs ne voulaient pas perdre de la pierre, il en résultait queles dents-de-scie étaient souvent inégales en largeur, puisqu'il fallaittoujours comprendre un certain nombre de dents entières dans une pierre,quelle que fût sa longueur. Mais ces irrégularités ne paraissent pasavoir préoccupé les architectes; il faut dire cependant qu'elles sontbeaucoup plus prononcées dans les édifices bâtis avec parcimonie, commeles églises de village, par exemple, que dans des monuments importants.Les dents-de-scie appartiennent bien au moyen âge; rien dans lesédifices romains ne pouvait donner l'idée de cet ornement, qui donnetant de vivacité aux profils, aux bandeaux, et qui fait si bien valoirles parties nues de l'architecture (voy. Bâtons-rompus, zigzags).
DEVIS, s. m.Devise. Au XIVe siècle, on appelaitdevis oudeviseun projet graphique accompagné d'une description écrite indiquant untravail à faire10 et l'estimation de ce travail.
Le devis fait, on procédait à une adjudication au rabais, à peu prèscomme cela se pratique de nos jours, si ce n'est que, pour concourir àl'adjudication, il fallait faire partie d'un corps de métier, et qu'ilne suffisait pas de se présenter aux autorités compétentes avec uncertificat délivré, souvent, par complaisance. Les devis étaient faitsou en bloc ou détaillés: s'ils étaient faits en bloc, à la suite de ladescription des travaux à exécuter, il était dit que ces travauxvalaient tant; s'ils étaient détaillés, chaque article de l'ouvrageétait suivi d'une estimation. Les séries de prix jointes aux devisn'étant pas encore en usage, les adjudications étaient de véritablesforfaits. Nos archives départementales conservent encore un grand nombrede ces sortes de marchés. Nous ne savons si, au XIIIe siècle, le maîtrede l'oeuvre faisait le devis général de tout l'ouvrage qui lui étaitcommandé; ce qui est certain, c'est que, pendant les XIVe et XVesiècles, chaque chef de corps de métiers était souvent appelé à faire undevis de la portion des travaux qui le concernait. Ce devis fait, ilsoumissionnait l'ouvrage à forfait; mais alors il n'y avait pasd'adjudication, c'est-à-dire de concurrence entre gens de même état.
Note 10:(retour) «Guillaume de Longueil, vicomte d'Auge, au sergent de la sergenterie de Pont-l'Évesque, vous mandons que la taache de machonerie qu'il est convenant faire au pont au pain, dont mencion est faite au deviz, vous fachiez crier à rabais accoustumé par touz les lieux de vostre sergenterie où l'on a accoustumé à faire iceulz cris... L'an mil ccc IIIIXX et dix-neuf.» MARCHÉ,coll. Millin.
DIABLE, s. m.Deable. Ange déchu, personnification du mal. Dans lespremiers monuments du moyen âge, on ne trouve pas de représentations dudiable, et nous ne saurions dire à quelle époque précise les sculpteursou peintres ont commencé à figurer le démon dans les bas-reliefs oupeintures. Les manuscrits grecs des VIIe et VIIIe siècles quireprésentent des résurrections font voir les morts ressuscitants; maisles peintres n'ont figuré que les esprits célestes, le diable est absentde la scène.
Une bible latine du IXe ou Xe siècle11, ornée denombreuses vignettes au trait, nous montre Job assis sur les ruines desa maison; l'ange du mal lui parle (1); il est nimbé et armé d'ailes;dans sa main gauche, il tient une cassolette pleine de feu; les onglesde ses pieds sont crochus: c'est une des plus anciennes représentationsdu diable que nous connaissions. Ici le démon conserve les attributs desa puissance première. Dans la sculpture du XIe siècle, en France, lediable commence à jouer un rôle important: il apparaît sur leschapiteaux, sur les tympans; il se trouve mêlé à toutes les scènes del'Ancien et du Nouveau-Testament, ainsi qu'à toutes les légendes desaints. Alors, l'imagination des artistes s'est plue à lui donner lesfigures les plus étranges et les plus hideuses: tantôt il se présentesous la forme d'un homme monstrueux, souvent pourvu d'ailes et de queue;tantôt sous la forme d'animaux fantastiques.
Les chapiteaux de l'église de Vézelay, qui datent de la fin du XIesiècle, sont remplis de ces représentations de l'esprit du mal. Voicil'un d'eux, qui figure l'homme riche orgueilleux, arraché de son palaispar trois démons (2): c'est une des nombreuses visions de saint-Antoine,que le sculpteur a représenté priant.
À l'article CHAPITEAU, nous avons donné une représentation du démonchassé du veau d'or par Moïse, provenant de la même église: c'est unedes plus énergiques figures que nous connaissions de cette époque. Dansces images primitives, le diable agit ou conseille: lorsqu'il agit, ilprend la forme d'un être humain plus ou moins difforme, pourvu d'aileset quelquefois d'une queue terminée par une tête de serpent, ses membressont grêles, décharnés, ses mains et ses pieds volumineux, sa chevelureébouriffée, sa bouche énorme, il est nu; lorsqu'il conseille, il prendla figure d'un animal fantastique, sirène, dragon, serpent, crapaud,basilic (oiseau à queue de serpent), chien à tête d'homme. Au XIIesiècle déjà, les auteurs des bestiaires s'étaient évertués à faire, desanimaux réels ou imaginaires, des figures symboliques des vertus et desvices (voy. BESTIAIRE); alors, dans les sculptures ou peintures,lorsqu'on voulait représenter un personnage sous l'influence d'unemauvaise passion, on l'accompagnait d'un de ces animaux, symbole decette mauvaise passion. Dans le musée du moyen âge de la villed'Avignon, nous voyons un fragment de chapiteau en marbre blanc, du XIIesiècle, représentant Job auquel sa femme et ses amis viennent faire desreproches. À côté d'Eliut, l'un des amis de Job, est une sirène quisemble le conseiller (3).
Or la sirène, pendant le moyen âge, est le symbole de la fausseté, de ladéception. Sur les portails des églises de cette époque, les vices sontparfois personnifiés (voy. VICE), et les personnages qui figurent lesvices sont accompagnés de diables qui se plaisent à les tourmenter. Lesdiables apparaissent aussi dans les paraboles et légendes, comme dans laparabole du mauvais riche, par exemple, et dans les légendes desaint-Antoine et de saint-Benoît, qui ont eu, disent ces légendes, avecle diable, des rapports si fréquents. Il serait assez inutile de copierici de nombreux exemples de ces figures monstrueuses; nous nouscontenterons d'indiquer les caractères donnés aux représentations dudiable pendant les périodes diverses du moyen âge. Pendant la périoderomane, le diable est un être que les sculpteurs ou peintres s'efforcentde rendre terrible, effrayant, qui joue le rôle d'une puissance aveclaquelle il n'est pas permis de prendre des libertés. Chez lessculpteurs occidentaux du XIIIe siècle, laïques fort avancés commeartistes, l'esprit gaulois commence à percer. Le diable prend uncaractère moins terrible; il est souvent ridicule, son caractère estplus dépravé qu'effrayant, sa physionomie est plus ironique que sauvageou cruelle; parfois il triche, souvent il est dupé. La scène du Pèsementdes âmes, qui occupe une place principale dans le drame du Jugementdernier, nous montre un diable qui s'efforce, avec assez peu de loyauté,de faire pencher l'un des plateaux de la balance de son côté. Les démonsqui accompagnent les damnés semblent railler la troupe des malheureuxentraînés dans les enfers; quelques-uns de ces subalternes de l'arméedes ténèbres ont même parfois un air de bonhomie brutale qui peut fairecroire à des accommodements. Cependant l'ensemble des scènes infernalessculptées au commencement du XIIIe siècle a toujours un aspectdramatique fait pour émouvoir. À la porte centrale de la cathédrale deParis, par exemple, tout le côté occupé par les démons et les âmes quileur sont livrées, à la gauche du Christ, est sculpté de main de maître;quelques épisodes sont rendus d'une façon émouvante (voy. JUGEMENTDERNIER). Parmi les voussures chargées de démons et de damnés sembletrôner un diable supérieur; il est couronné (4). Sa taille est entouréed'un serpent; il est assis sur un tas de personnages, parmi lesquels onvoit un évêque et un roi. Ce diable souverain est gras, lippu; il estpourvu de mamelles gonflées et semble se reposer dans son triomphe. Àcôté de lui sont représentées des scènes de désordre, de confusion, dedésespoir, rendues avec une énergie et un talent d'exécution vraimentremarquables. Les peintres et sculpteurs du moyen âge ont admis unetrinité du mal, en opposition avec la trinité divine (voy. TRINITÉ). Dèsla fin du XIIIe siècle, le diable, dans la sculpture et la peinture,perd beaucoup de son caractère féroce; il est relégué au dernier rang,il est bafoué et porte souvent la physionomie de ce rôle; dans beaucoupde légendes refaites à cette époque, il est la dupe de fraudes pieuses,comme dans la célèbre légende du moine Théophile et celle du serrurierBiscornet, qui fit, dit-on, les pentures des portes de la cathédrale deParis. Ce serrurier, qui vivait au XIVe siècle, fut chargé de ferrer lestrois portes principales de Notre-Dame12. Voulant faire unchef-d'oeuvre, et fort empêché de savoir comment s'y prendre, il sedonne au diable, qui lui apparaît et lui propose de forger les pentures,à une condition, bien entendu, c'est que lui Biscornet, par un marché enrègle, écrit, livrera son âme aux esprits des ténèbres. Le marché estsigné, le diable se met à l'oeuvre et fournit les pentures. Biscornet,aidé de son infernal forgeron, pose les ferrures des deux porteslatérales; mais quand il s'agit de ferrer la porte centrale, la chosedevient impossible, par la raison que la porte centrale sert de passageau Saint-Sacrement. Le diable n'avait pas songé à cette difficulté; maisle marché ne pouvant être entièrement rempli par l'une des parties,Biscornet redevient possesseur de son âme, et le diable en est pour sesferrures des deux portes.
On le voit, vers la fin du moyen âge, le diable a vieilli et ne faitplus ses affaires. Les arts plastiques de cette époque ne font quereproduire l'esprit de ces légendes populaires dont nous avons suivi lesdernières traces sur le théâtre des marionnettes, où le diable, malgréses tours et ses finesses, est toujours battu par Polichinelle.
Le grand diable sculpté sur le tympan de la porte de la cathédraled'Autun, au XIIe siècle, est un être effrayant bien fait pour épouvanterdes imaginations neuves; mais les diablotins sculptés sur lesbas-reliefs du XVe siècle sont plus comiques que terribles, et il estévident que les artistes qui les façonnaient se souciaient assez peu desméchants tours de l'esprit du mal.
Note 12:(retour) Ces pentures datent de la fin du XIIe siècle ou des premières années du XIIIe, et l'histoire du serrurier Biscornet est un conte populaire; il ne fait qu'indiquer la tendance des esprits, au XIVe siècle, à ne plus voir dans le diable qu'une puissance déchue, dont on avait facilement raison avec un peu d'adresse.
DIEU. Le moyen âge représentait Dieu, dans les monuments religieux, parses oeuvres; il n'était figuré que dans les scènes de l'AncienTestament, dans la création, lorsqu'il parle à Adam, à Caïn, à Noé,lorsqu'il apparaît à Moïse. Dans la nouvelle loi, le Christ représenteseul la divinité. S'il existe des images de Dieu le Père, elles setrouvent avec le Fils et le Saint-Esprit (voy. TRINITÉ). Ce n'est qu'àl'époque de la Renaissance que les artistes sculpteurs ou peintres fontintervenir Dieu le Père dans les scènes qu'ils représentent13.Cependant on voit quelquefois, au-dessus des tympans des portails desXIIIe, XIVe et XVe siècles, représentant le Christ dans sa gloire, aujour du jugement, Dieu le Père en buste, bénissant; il est nimbé dunimbe crucifère, porte une longue barbe, sa chevelure tombe sur sesépaules. À la fin du XVe siècle Dieu le Père est habituellement coifféde la tiare à triple couronne, comme un pape. Nous ne connaissons pasune seule statue des XIIIe et XIVe siècles représentant Dieu le Père; laseule personne divine prenant une place principale dans les édificesreligieux est le Christ homme ou le Christ triomphant (voy. CHRIST). LaVierge Marie et son Fils occupent tous deux l'imagination et la main desartistes (voy. VIERGE SAINTE). Il semble que Dieu leur ait délégué toutesa puissance sur les êtres créés.
DÔME, s. m. S'emploie (improprement) pour coupole.Duomo, en italien,s'entend pour cathédrale, église épiscopale; comme beaucoup d'églisescathédrales d'Italie sont surmontées d'une ou de plusieurs coupoles, ona pris la partie pour le tout: on dit le dôme des Invalides, le dôme duPanthéon; on devrait dire la coupole des Invalides ou du Panthéon (voy.COUPOLE).Il duomo di Parigi, pour un Italien, c'est l'égliseNotre-Dame de Paris, laquelle, comme on sait, n'est pas surmontée d'unecoupole.
DONJON, s. m.Dongun,doignon,dangon14 Le donjon appartientessentiellement à la féodalité. Ce n'est pas lecastellum romain, cen'est pas non plus leretrait, la dernière défense de la citadelle despremiers temps du moyen âge. Le donjon commande les défenses du château,mais il commande aussi les dehors et est indépendant de l'enceinte de laforteresse du moyen âge, en ce qu'il possède toujours une issueparticulière sur la campagne. C'est là ce qui caractériseessentiellement le donjon, ce qui le distingue d'une tour. Il n'y a pasde château féodal sans donjon, comme il n'y avait pas, autrefois, deville forte sans château, et comme, de nos jours, il n'y a pas de placede guerre sans citadelle. Toute bonne citadelle doit commander la villeet rester cependant indépendante de ses défenses.
Au moyen âge, il en était de même du château, et le donjon était auchâteau ce que celui-ci était à la ville. Les garnisons du moyen âgepossédaient une défense de plus que les nôtres: chassées de la cité,elles se retiraient dans le château; celui-ci pris, elles se réfugiaientdans le donjon; le donjon serré de trop près, elles pouvaient encorecourir la chance de s'échapper par une issue habilement masquée ou depasser à travers les lignes de circonvallation, la nuit, par un couphardi. Mais cette disposition du donjon appartenant à la forteresseféodale n'était pas seulement prise pour résister ou échapper à l'ennemidu dehors, elle était la conséquence du système féodal. Un seigneur, sipuissant qu'il fût, ne tenait sa puissance que de ses vassaux. Au momentdu péril, ceux-ci devaient se rendre à l'appel du seigneur, se renfermerau besoin dans le château et concourir à sa défense; mais il arrivaitque ces vassaux n'étaient pas toujours d'une fidélité à toute épreuve.Souvent l'ennemi les gagnait; alors le seigneur trahi n'avait d'autrerefuge que son donjon, dans lequel il se renfermait avec ses gens à lui.Il lui restait alors pour dernière ressource, ou de se défendre jusqu'àl'extrémité, ou de prendre son temps pour s'échapper, ou de capituler.
Nous l'avons dit ailleurs (voy. CHÂTEAU), le système de la défensedes places, pendant la féodalité, n'était qu'une série de moyensaccumulés par la défiance, non-seulement envers un ennemi déclaré, maisenvers les garnisons mêmes. C'est pourquoi l'étude des forteresses decette époque fournit un sujet inépuisable d'observations intéressantes;la défiance aiguise l'esprit et fait trouver des ressources. En effet,si quelques châteaux présentent des dispositions d'ensemble à peu prèssemblables, les donjons offrent, au contraire, une variété infinie, soitdans la conception générale, soit dans les détails de la défense. Lesseigneurs, pouvant être à chaque instant en guerre les uns avec lesautres, tenaient beaucoup à ce que leurs voisins ne trouvassent pas,s'ils venaient l'attaquer, des défenses disposées comme celles qu'ilspossédaient chez eux. Chacun s'ingéniait ainsi à dérouter son ennemi,parfois l'ami de la veille; aussi lorsqu'un seigneur recevait ses égauxdans son château, fussent-ils ses amis, avait-il le soin de les logerdans un corps de bâtiment spécial, les recevait-il dans la grand'salle,dans les appartements des femmes, mais ne les conduisait-il quetrès-rarement dans le donjon, qui, en temps de paix, était fermé,menaçant, pendant qu'on se donnait réciproquement des témoignagesd'amitié. En temps de paix, le donjon renfermait les trésors, les armes,les archives de la famille, mais le seigneur n'y logeait point; il nes'y retirait seulement, avec sa femme et ses enfants, que s'il luifallait appeler une garnison dans l'enceinte du château. Comme il nepouvait y demeurer et s'y défendre seul, il s'entourait alors d'un plusou moins grand nombre d'hommes d'armes à sa solde, qui s'y renfermaientavec lui. De là, exerçant une surveillance minutieuse sur la garnison etsur les dehors (car le donjon est toujours placé en face du pointattaquable de la forteresse), ses fidèles et lui tenaient en respect lesvassaux et leurs hommes, entassés dans les logis; à toute heure pouvantsortir et rentrer par des issues masquées et bien gardées, la garnisonne savait pas quels étaient les moyens de défense, et naturellement leseigneur faisait tout pour qu'on les crût formidables. Il est difficilede trouver un plus beau programme pour un architecte militaire; aussiles donjons, parmi les édifices du moyen âge, sont-ils souvent deschefs-d'oeuvre de prévoyance. Nous avons trouvé dans ces constructions,peu connues généralement ou incomplétement étudiées, des dispositionsqui demandent un examen attentif, parce qu'elles mettent en lumière undes côtés de la vie féodale15.
La raison première qui fit élever des donjons fut l'invasion normande.Lesvillæ mérovingiennes devaient fort ressembler auxvillæromaines; mais quand les Normands se jetèrent périodiquement sur lecontinent occidental, les seigneurs, les monastères, les rois et lesvilles elles-mêmes, songèrent à protéger leurs domaines par des sortesde blockhaus en bois que l'on élevait sur le bord des rivières et autantque possible sur des emplacements déjà défendus par la nature. Cesforteresses, dans lesquelles, au besoin, on apportait à la hâte ce qu'onpossédait de plus précieux, commandaient des retranchements plus oumoins étendus, composés d'un escarpement couronné par une palissade etprotégé par un fossé. Les Normands eux-mêmes, lorsqu'ils eurent prisl'habitude de descendre sur les côtes des Gaules et de remonter lesfleuves, établirent, dans quelques îles près des embouchures, ou sur despromontoires, des camps retranchés avec une forteresse, pour mettre leurbutin à l'abri des attaques et protéger leurs bateaux amarrés. C'estaussi dans les contrées qui furent particulièrement ravagées par lesNormands que l'on trouve les plus anciens donjons, et ces forteressesprimitives sont habituellement bâties sur plan rectangulaire formant unparallélogramme divisé quelquefois en deux parties.
Sur beaucoup de points des bords de la Seine, de la Loire, de l'Eure, etsur les côtes du Nord et de l'Ouest, on trouve des restes de ces donjonsprimitifs; mais ces constructions, modifiées profondément depuisl'époque où elles furent élevées, ne laissent voir que des soubassementssouvent même incomplets. Il paraîtrait que les premiers donjons, bâtisen maçonnerie suivant une donnée à peu près uniforme, ont été faits parles Normands lorsqu'ils se furent définitivement établis sur lecontinent (voy. CHÂTEAU); et l'un des mieux conservés parmi ces donjonsest celui du château d'Arques près de Dieppe, construit, vers 1040, parGuillaume, oncle de Guillaume le Bâtard. En disant que le donjond'Arques est un des mieux conservés, il ne faut pas croire que l'ontrouve là un édifice dont les dispositions soient faciles à saisir aupremier coup d'oeil. Le donjon d'Arques, réparé au XVe siècle, appropriéau service de l'artillerie à feu au XVIe siècle, mutilé depuis larévolution par les mains des habitants du village qui en ont enlevé toutce qu'ils ont pu, ne présente, au premier aspect, qu'une masse informede blocages dépouillée de leurs parements, qu'une ruine ravagée par letemps et les hommes. Il faut observer ces restes avec la plusscrupuleuse attention, tenir compte des moindres traces, examiner lesnombreux détours des passages, les réduits; revenir vingt fois sur leterrain, pour se rendre compte des efforts d'intelligence dont lesconstructeurs ont fait preuve dans la combinaison de cette forteresse,l'une des plus remarquables à notre avis.
Disons d'abord un mot de la bâtisse. Ici, comme dans la plupart desédifices militaires de l'époque romane, la construction est faitesuivant le mode romain, c'est-à-dire qu'elle se compose d'un blocagecomposé de silex noyés dans un bain de mortier très-dur et grossier,parementé de petites pierres d'appareil de 0,15 c. à 0,20 c. de hauteurentre lits, sur 0,20 c. à 0,32 c. de long. Ce parement est en calcaired'eau douce provenant de la vallée de la Sie, d'une bonne qualitéquoique assez tendre, mais durcissant à l'air16. Nous devons réclamertoute l'attention de nos lecteurs pour nous suivre dans la descriptionsuivante, que nous allons essayer de rendre aussi claire que possible.
La fig. 1 donne le plan du rez-de-chaussée du donjon d'Arques qui setrouve situé près de la porte méridionale du château (voy. CHÂTEAU, fig.4). En A est l'entrée avec son pont volant, sa double défense B, enforme de tour intérieure, avec large mâchicoulis commandant la porte A.Un long couloir détourné conduit dans la cour intérieure. En C était unpetit poste, sans communication directe avec l'intérieur du donjon, maisenclavé dans son périmètre. Pour pénétrer dans le fort, il fallait sedétourner à gauche et arriver à la porte D. Cette porte franchie, ontrouvait une rampe à droite avec une seconde porte E percée à travers uncontre-fort; puis, en tournant à main gauche, on montait un degrétrès-long E', direct et assez roide. Nous y reviendrons tout à l'heure.Le long du rempart du château en F, et masquée du dehors par le reliefdu chemin de ronde crénelé, on arrive à une autre porte G très-étroite,qui donne entrée dans une cage d'escalier, contenant un degré central sedétournant à main gauche, formant une révolution complète et arrivant àun palier I, d'où, par une rampe tournant à droite dans l'épaisseur dumur, on monte au second étage, ainsi que nous allons le voir. Les deuxsalles basses JJ n'avaient aucune communication directe avec le dehors(le couloir L ayant été ouvert au XVe siècle) et n'étaient même pas encommunication entre elles.
On devait descendre dans ces deux salles basses par des escaliers ouéchelles passant par des trappes ménagées dans le plancher du premierétage. Ces salles étaient de véritables celliers propres à contenir desprovisions. En K est un puits de plus de 80 mètres de profondeur et dontl'enveloppe est maçonnée jusqu'à la hauteur du plancher du second étage.N'omettons pas de signaler l'escalier M taillé dans le roc (craie) etdescendant par une pente rapide jusqu'au fond du fossé extérieur.Signalons aussi l'escalier N qui passe par-dessus le couloir d'entrée B;son utilité sera bientôt démontrée.
Voyons le plan du premier étage (2). On ne pouvait arriver à cet étageque par l'escalier à vis O, communiquant de ce premier étage au second,c'est-à-dire qu'il fallaitdescendre au premier étage après être montéau second; ou bien, prenant l'escalier N (mentionné tout à l'heure)passant à travers la tour commandant l'entrée B, montant un degré,tournant à main droite, dans un étroit couloir avec rampe, on entraitdans l'antisalle P, et de là on pénétrait dans une des salles J' dupremier étage du donjon. Quant à la salle J'', il fallait, pour yarriver, se résoudre à passer par une trappe ménagée dans le plancher dusecond étage. Tout cela est fort compliqué; ce n'est rien encorecependant. Essayons de nous souvenir de ces diverses issues, de ne pasperdre la trace de ces escaliers et de ces couloirs, véritable dédale.
Arrivons au second étage (3). Là encore existe le mur de refend noninterrompu, interdisant toute communication entre les deux salles dudonjon. Reprenons la grande rampe E' que nous avons abandonnée tout àl'heure; elle arrive droit à un palier sur lequel, à main gauche,s'ouvre une porte entrant directement dans la salle J''''. Mais il nefaut pas croire qu'il fût facile de gravir cette longue rampe: d'abord,à droite et à gauche existent deux trottoirs R, de plein pied avec lepalier supérieur, qui permettaient à de nombreux défenseurs d'écraserl'assaillant gravissant ce long degré; puis plusieurs mâchicoulisouverts dans le plancher supérieur de cet escalier faisaient tomber unepluie de pierres, de poutres, d'eau bouillante sur les assaillants. Dela cage d'escalier à révolution que nous avons observée à droite dansles plans du rez-de-chaussée et du premier étage, par la rampe détournéeprise aux dépens de l'épaisseur du mur, on arrive au couloir S, qui, parune porte, permet d'entrer dans la salle J''''. De sorte que si, parsurprise ou autrement, un ennemi parvenait à franchir la rampe E', lesdéfenseurs pouvaient passer par le couloir S, se dérober, descendre parla cage de l'escalier I (plan du rez-de-chaussée), sortir par la porteG, aller chercher l'issue M communiquant avec le fossé; ou encoreremonter par l'escalier N, la tour B (plan du premier étage), rentrerdans la salle J' par l'antisalle P, prendre l'escalier à vis et sejoindre à la portion de la garnison qui occupait encore la moitié dudonjon. Si, au contraire, l'assaillant, par la sape ou l'escalade (cequi n'était guère possible), s'emparait de la salle J''' (plan dudeuxième étage, fig. 3), les défenseurs pouvaient encore se dérober ensortant par l'antisalle P' et en descendant les rampes T communiquant,ainsi que nous l'avons vu, soit avec la salle J' du premier étage, soitavec l'escalier N. Ou bien les défenseurs pouvaient encore monter oudescendre l'escalier à vis O, en passant à travers le cabinet V. Dupalier T on descendait au terre-plein U commandé par des meurtrièrespercées dans les couloirs SS'.
De tout ceci on peut admettre déjà que la garnison du donjon étaitdouble dans les deux étages (premier et second); que ces deux fractionsde la garnison n'avaient pas de communication directe entre elles; que,pour établir cette communication, il fallait monter au troisième étageoccupé par le commandant, et que, par conséquent, si l'un des côtés dudonjon était pris, la garnison pouvait se réunir à la partie supérieure,reprendre l'offensive, écraser l'assaillant égaré au milieu de celabyrinthe de couloirs et d'escaliers, et regagner la portion déjàperdue.
Le troisième étage (4) est entièrement détruit, et nous ne pouvons enavoir une idée que par les dessins de 1708, reproduits dans l'ouvrage deM. Deville17. Ces dessins indiquent les mâchicoulis qui existaientencore à cette époque dans la partie supérieure et la dispositiongénérale de cet étage, converti en plate-forme depuis le XVe siècle,pour placer de l'artillerie à feu. M. Deville ne paraît pas reconnaîtrede l'âge des voûtes qui couvraient encore en 1708 le second étage.
Cependant les profils des arcs de ces voûtes (5) font assez voirqu'elles appartiennent aux restaurations de la fin du XVe siècle.Primitivement, les étages du donjon, conformément à la méthode normande,n'étaient séparés que par des planchers en bois dont on trouve lestraces sur les parois intérieures. Le plan de la plate-forme, donné dansles dessins de 1708, fait assez voir que le mur de refend n'existaitplus au troisième étage. C'était de cet étage, en effet, que lecommandement devait se faire et la défense s'organiser avec ensemble.
Ce plan donc (fig. 4) indique une seule salle X, avec un poteau central,destiné à soulager la charpente supérieure; un réduit Y, qui pouvaitservir de chambre au commandant; les mâchicoulis percés dans la chambreZ, au-dessus de la grande rampe de l'escalier; les deux mâchicoulisaa, auxquels on arrivait par les deux baiesbb; le couloircc dedéfense, pris dans l'épaisseur du mur au-dessus des arcs de cesmâchicoulis, et les mâchicoulis d'angledd. Dans ce plan, on voitaussi la défense de la traversee qui commandait le dehors etpermettait de voir ce qui se passait dans le fossé du côté de la porte.Enf est une cheminée et enh un four, car le donjon contenait unmoulin (à bras probablement). Nous ne possédons sur la disposition del'étage supérieur crénelé que des données très-vagues, puisqu'en 1708cet étage était détruit; nous voyons seulement, dans un compte deréparations de 1355 à 138018, que des tourelles couvertes de plombterminaient cet étage; ces tourelles devaient être des échauguettes pourabriter les défenseurs, ainsi qu'il en existe encore au sommet du donjonde Chambois19.
Le plan de cet étage, que nous donnons (6), indique enl, l' deux échauguettes; l'échauguettel' montrant son mâchicoulisi ouvert sur la rampe du grand escalier; de plus, enm, on aperçoitles ouvertures des autres mâchicoulis commandant les rentrants descontre-forts. Celuim' s'ouvrait sur la rampe inférieure du grandescalier, montant derrière un simple mur de garde non couvert, tracé enD' dans le plan du rez-de-chaussée, fig. 1.
La fig. 7 présente la façade du donjon d'Arques, sur la cour. En A estle débouché du grand couloir de la porte extérieure; en B, l'entrée dela rampe du donjon. Les autres parties de cette figure s'expliquentd'elles-mêmes par l'examen des plans.
La fig. 8 donne la coupe du bâtiment sur la ligne brisée AA, BB desplans. En C est le petit corps-de-garde tracé en C sur le plan durez-de-chaussée; en D, l'escalier à révolution situé sous la granderampe dont le palier arrive en E; on voit, en F, les mâchicoulis quicommandent ce palier. Aujourd'hui, la construction ne s'élève pasau-dessus du niveau G; en 1708, elle existait jusqu'au niveau H, etl'extrados des voûtes faites au XVe siècle ne dépassait pas ce niveau G:de sorte que les murs compris entre G et H servaient de merlons et lesbaies d'embrasures pour des bouches à feu. Les pièces braquées sur cetteplate-forme contribuèrent, en tirant sur les troupes du duc de Mayenne,au succès de la bataille gagnée dans la vallée d'Arques par Henri IV.
La fig. 9 trace la coupe du donjon sur la ligne CC, DD des plans. En A sedétache du corps principal le contre-fort servant de traverse, pour voirle fond du fossé et le commander du sommet du donjon. En B est tranchéle couloir au niveau du deuxième étage qui commande le chemin de ronde Det le terre-plein C. En E se voient les grands mâchicoulis avec ladéfense supérieure à deux étages prise aux dépens des murs sur les arcs.
La coupe (10), faite sur la ligne EE, FF des plans, permet de comprendrela combinaison ingénieuse des escaliers. En A se profile la grande rampearrivant au second étage avec les mâchicoulis supérieurs qui commandentses dernières marches et son palier. En R, on voit l'un des deuxtrottoirs disposés pour recevoir les défenseurs de la rampe et pourécraser les assaillants. En D apparaît la trace de l'étroit degréintérieur qui aboutit au couloir S indiqué sur le plan du deuxièmeétage, et qui permet aux défenseurs de se dérober ou de sortir parl'escalier à révolution B. En C est un contre-palier qui commande lesrévolutions de l'escalier B.
Le château d'Arques, admirablement situé, entouré de fossés larges etprofonds, commandé par un donjon de cette importance, devait être uneplace inexpugnable avant l'artillerie à feu. À peine construit, il futassiégé par Guillaume le Conquérant et ne fut pris que par famine aprèsun long blocus. Réparé et reconstruit en partie par Henri Ier en 1123,il fut assiégé par Geoffroy Plantagenet, qui ne put y entrer qu'après lamort de son commandant, Guillaume Lemoine, tué par une flèche; ce siégeavait duré une année entière, 1145. Philippe-Auguste investit le châteaud'Arques en 1202, et leva bientôt le siége à la nouvelle de la captivitédu jeune Arthur de Bretagne, tombé entre les mains de Jean sans Terre.Le donjon d'Arques fut la dernière forteresse qui se rendit au roi deFrance, après la conquête de la Normandie échappée des mains de Jeansans Terre. Henri Ier, comme nous l'avons dit, fit exécuter des travauxconsidérables au château d'Arques; mais l'examen des constructionsexistantes ne peut faire supposer que le gros oeuvre du donjonappartienne à cette époque. Peut-être Henri restaura-t-il les partiessupérieures qui n'existent plus, peut-être même les grands mâchicoulisde la façade (fig. 7) datent-ils du règne de ce prince, car les arcs deces mâchicoulis, que nous avons figurés plein cintre, sont des arcsbrisés sur le dessin de 1708, tracé incorrect d'ailleurs, puisqu'iln'indique pas avec exactitude les parties de la construction que nousvoyons encore debout. Quant aux dispositions générales, quant au systèmede dégagements, d'escaliers, avec un peu de soin on en reconnaîtparfaitement les traces, et c'est en cela que le donjon d'Arques, quijamais ne fut pris de vive force, est un édifice militaire du plus hautintérêt, et, malgré son état de ruine, beaucoup plus complet, au pointde vue de la défense, que ne le sont les célèbres donjons de Loches, deMontrichard, de Beaugency, construits à peu près d'après les mêmesdonnées. Ce qui fait surtout du donjon d'Arques un type complet, c'estsa position dans le plan du château; protégé par les courtines de laplace et deux tours, il commande cependant les dehors; il possède saporte de secours extérieure bien défendue; il protége l'enceinte, maisaussi il peut la battre au besoin avec succès; il est absolumentinattaquable par la sape, seul moyen employé alors pour renverser desmurailles; il permet de renfermer et de maintenir une garnison peu sûre,car ses défenseurs ne peuvent agir qu'en aveugles et sur le point quileur est assigné. Une trahison, une surprise n'étaient pas praticables,puisque, une partie du donjon prise, il devenait facile à quelqueshommes déterminés de couper les communications, de renfermerl'assaillant, de l'écraser avant qu'il ne se fût reconnu. Comme dernièreressource, le commandant et ses hommes dévoués pouvaient encores'échapper. Le feu seul pouvait avoir raison de cette forteresse; maisquand on considère la largeur des fossés du château creusés au sommetd'une colline, l'élévation des murs, l'absence d'ouvertures extérieures,on ne comprend pas comment un assaillant aurait pu jeter des matièresincendiaires sur les combles, d'autant qu'il lui était difficile des'établir à une distance convenable pour faire agir ses machines de jetavec succès.
Les donjons normands et les donjons romans, en général, sont élevés surplan rectangulaire; c'est une habitation fortifiée, la demeure duseigneur; ils contenaient des celliers ou caves pour les provisions, unechapelle, des salles avec cabinet, et toujours, au sommet, un grandespace libre pour organiser facilement la défense. La plupart de ceslogis quadrangulaires possèdent leur escalier principal séparé du corpsde la bâtisse, et quelquefois ce mur de refend qui les divise en deuxparties égales. L'entrée est habituellement placée beaucoup au-dessus dusol, au niveau du premier étage. On ne peut s'introduire dans le donjonque par une échelle ou au moyen d'un pont volant avec escalier de boisque l'on détruisait en temps de guerre.
Le petit donjon de Chambois (Orne), qui date du XIIe siècle, présente laplupart de ces dispositions de détail. Son plan est rectangulaire, avecquatre renforts carrés aux angles. Une tour carrée, posée sur un de sescôtés, contenait dans l'origine de petits cabinets et un escalier debois couronné d'une défense et ne montant que jusqu'au troisième étage.On arrivait à la défense du sommet par un escalier à vis pratiqué dansun des contre-forts d'angle. Les parties supérieures du donjon furentrefaites au XIVe siècle et conformément au système de défense de cetteépoque; mais, des dispositions premières, il reste encore trois étageset un chemin de ronde supérieur extrêmement curieux. Le plan du donjonde Chambois est donné ci-contre par la fig. 11.
On voit, en A, latourelle carrée accolée au corps de logis et dans laquelle, au XIVesiècle, on a fait un escalier à vis. Ce donjon n'était pas voûté, nonplus que la plupart des donjons normands; les étages étaient séparés pardes planchers en bois portés sur des corbelets intérieurs. Sa porte estrelevée à six mètres au-dessus du sol, et s'ouvre sur le flanc de latour carrée contenant l'escalier en bois; on ne pouvait arriver à cetteporte, dont le seuil est au niveau du plancher du premier étage, qu'aumoyen d'une échelle, et le donjon ne se défendait, dans sa partieinférieure, que par l'épaisseur de ses murs. Au commencement du XIVesiècle, l'ancien crénelage fut remplacé par un parapet avec mâchicoulis,créneaux et meurtrières. Sur les quatre contre-forts d'angle furentélevées de belles échauguettes avec étage supérieur crénelé, à la place,probablement, des anciennes échauguettes flanquantes.
Voici (12) l'élévation du donjon de Chambois du côté de la petite tourcarrée avant la construction des crénelages du XIVe siècle. La bâtissedu XIIe siècle s'élève intacte aujourd'hui jusqu'au niveau B; c'est auniveau C que s'ouvre la poterne. Mais la particularité la plus curieusedu donjon de Chambois consiste en un chemin de ronde supérieur qui, sousle crénelage, mettait les quatre échauguettes et la petite tour accoléeen communication les unes avec les autres, sans qu'il fût nécessaire depasser dans la salle centrale occupée par le commandant. La défenseétait ainsi complétement indépendante de l'habitation, et elle occupaitdeux étages, l'un couvert, l'autre découvert. Voici, en coupe (13),quelle est la disposition de ce chemin de ronde couvert qui fait le tourdu donjon et réunit les échauguettes sous le crénelage. Ce chemin deronde existe encore à peu près complet. Le donjon est construit enmoellons réunis par un excellent mortier; les contre-forts d'angle sontbâtis en petites pierres d'appareil, ainsi que les entourages des baies.
Les donjons carrés, comme celui d'Arques, ceux de Loches, de Beaugency,de Domfront, de Falaise, de Broue, de Pons, de Nogent-le-Rotrou, deMontrichard, de Montbason, de Chauvigny, de Blanzac, de Pouzanges(Vendée), qui tous sont construits sous l'influence normande, pendantles XIe et XIIe siècles, n'étaient guère, à l'époque même où ilsfurent élevés, que des défenses passives, se gardant plutôt par leurmasse, par l'épaisseur de leurs murs et la difficulté d'accès, que pardes défenses proprement dites. C'étaient des retraites excellenteslorsqu'il n'était besoin que de se garantir contre des troupes arméesd'arcs et d'arbalètes, possédant quelques engins imparfaits, et nepouvant recourir, en dernier ressort, qu'à la sape. Mais si del'intérieur de ces demeures on méprisait des assaillants munis demachines de guerre d'une faible puissance, on ne pouvait non plus leurcauser des pertes sérieuses. Les seigneurs assiégés n'avaient qu'àveiller sur leurs hommes, faire des rondes fréquentes, s'assurer de lafermeture des portes, lancer quelques projectiles du haut des créneauxsi les assaillants tentaient de s'approcher des murs, contre-miner si onminait; et d'ailleurs ils pouvaient ainsi rester des mois entiers, mêmedevant un gros corps d'armée, sans avoir rien à craindre. Aussi était-cepresque toujours par famine que l'on prenait ces forteresses. Maislorsque l'art de l'attaque se fut perfectionné à la suite des premièrescroisades, que les assiégeants mirent en batterie des engins puissants,que l'on fit des boyaux de tranchée, que l'on mit en usage ces longschariots couverts, ceschats, pour permettre de saper les murs sansdanger pour les mineurs, alors les donjons rectangulaires, si épais quefussent leurs murs, parurent insuffisants; leurs angles n'étaient pasflanqués et offraient des points saillants que le mineur attaquait sansgrand péril; les garnisons enfermées dans ces réduits voyaientdifficilement ce qui se passait à l'extérieur; elles ne pouvaient tenterdes sorties par ces portes placées à plusieurs mètres au-dessus du sol;la complication des défenses était, dans un moment pressant, une causede désordre; les assiégés eux-mêmes s'égaraient ou au moins perdaientbeaucoup de temps au milieu de ces nombreux détours, ou encore setrouvaient pris dans les piéges qu'eux-mêmes avaient tendus. Dès lemilieu du XIIe siècle, ces défauts de la défense du donjon normandfurent certainement reconnus, car on changea complétement de système, eton abandonna tout d'abord la forme rectangulaire. Une des premières etune des plus heureuses tentatives vers un système nouveau se voit àÉtampes. Le donjon du château d'Étampes, quoique fort ruiné, possèdeencore cependant plus de trois étages, et on peut se rendre compte desdivers détails de sa défense. Nous ne saurions assigner à cetteconstruction une date antérieure à 1150 ni postérieure à 1170. Quelqueschapiteaux qui existent encore et le mode de bâtir appartiennent à ladernière période de l'époque romane, mais ne peuvent cependant dater durègne de Philippe-Auguste. La tradition fait remonter la construction dudonjon d'Étampes au commencement du XIe siècle, ce qui n'est pasadmissible. Philippe-Auguste fit enfermer sa femme Isburge, en 1199,dans le donjon que nous voyons encore aujourd'hui20: donc il existaitavant cette époque. Le chapiteau dessiné ici (14) ne peut laisser dedoutes sur la date de cette forteresse: c'est bien la sculpture ducommencement de la seconde moitié du XIIe siècle.
Le plan du donjon d'Étampes est un quatre-feuilles, ce qui donne unmeilleur flanquement qu'une tour cylindrique. Il est posé à l'extrémitéd'un plateau qui domine la ville d'Étampes, au-dessus de la gare duchemin de fer. Les défenses du château s'étendaient autrefois assez loinsur le plateau, se dirigeant vers l'ouest et le midi; aussi, du côté del'ouest, ce donjon était-il protégé par un mur de contre-garde ouchemise dont on voit encore les soubassements.
Ce mur (15) se retournaitprobablement, faisant face au sud, et aboutissait à une sorte dechaussée diagonale A' destinée à recevoir l'extrémité du pont volant quipermettait d'entrer dans la tour par une poterne percée au-dessous duniveau du premier étage. Le rez-de-chaussée était voûté grossièrement enmoellons, et ces voûtes reposaient sur une grosse colonne centrale quimontait jusqu'au deuxième étage. Il fallait du premier étage descendreau niveau du rez-de-chaussée par un escalier B, pris aux dépens del'épaisseur du mur, qui n'a pas moins de quatre mètres. En C est unpuits et en D une fosse de latrines. Du vestibule E de la poterne,tournant à main gauche, on descendait donc par le degré B à l'étageinférieur; tournant à main droite, on montait par quelques marches auniveau du premier étage. Le vestibule E était ainsi placé à mi-étageafin que l'assaillant, entrant précipitamment par la poterne et allantdroit devant lui, tombât d'une hauteur de quatre mètres au moins en Fsur le sol de la cave, où il se trouvait enfermé; les défenseurs postéssur la rampe ascendante de droite devaient d'ailleurs le pousser danscette fosse ouverte. La rampe de droite arrivait donc au niveau dupremier étage (16), en G; de là on entrait dans la salle par l'embrasured'une fenêtre.
Mais si l'on voulait monter au second étage, il fallaitentrer dans le petit corps-de-garde H, placé juste au-dessus duvestibule de la poterne et percé d'un mâchicoulis, prendre la ramped'escalier I qui menait à un escalier à vis desservant le second étageet les étages supérieurs; l'arrivée au niveau du second étage étaitplacée au-dessus du point G. La margelle du puits C était placée sur lesvoûtes du rez-de-chaussée: c'était donc du premier étage que l'on tiraitl'eau nécessaire aux besoins de la garnison. En L se voit un cabinetd'aisances. Le premier étage était primitivement couvert par un plancherdont les poutres principales, conformément au tracé ponctué, portaientsur la colonne centrale. Vers le milieu du XIIIe siècle, ce plancher futremplacé par des voûtes. Les profils d'arêtiers de ces voûtes, lesculs-de-lampe qui les portent, et la façon dont ils ont été incrustésaprès coup dans la construction, sont des signes certains de larestauration qui a modifié les dispositions premières du donjond'Étampes. Le petit corps-de-garde H, placé au-dessus de la poterne,contenait probablement le mécanisme destiné à faire jouer le pont volants'abattant sur la chaussée A'.
Le second étage (17) était destiné à l'habitation du seigneur. Il estmuni de deux cheminées O et possède des latrines en L. On voit en G'l'arrivée de l'escalier dans une embrasure de fenêtre dont le sol estplacé un peu au-dessous du plancher. Quatre colonnes engagées portentdeux gros arcs doubleaux diagonaux dont nous reconnaîtrons l'utilitétout à l'heure; de plus, deux autres arcs doubleaux sont bandés en P,pour porter le comble central. L'escalier à vis continuait et arrivaitau niveau du troisième étage crénelé disposé pour la défense. Le comblese composait d'un pavillon carré pénétré par des croupes coniques.
Supposons maintenant (18) une coupe faite sur la ligne AB des plans.Nous voyons en F la fausse entrée intérieure percée au niveau du sol dela poterne et tombant dans la cave; en B', la rampe descendant sur lesol de cette cave le long du puits; en G, l'arrivée de la rampe auniveau du sol du premier étage; en H, la porte donnant entrée dans lecorps-de-garde situé au-dessus du vestibule de la poterne et dansl'escalier, partie à vis, dont la première issue se voit en G', àquelques marches au-dessous du sol du second étage. En continuant àmonter cet escalier à vis, on arrivait à la porte M, percée au niveau duplancher du troisième étage, au-dessus de la grand'salle, étageuniquement destiné à la défense. Mais pour que les défenseurs pussentrecevoir facilement des ordres du commandant demeurant ans cettegrand'salle, ou le prévenir promptement de ce qui se passait au dehors,on avait établi des sortes de tribunes T à mi-hauteur de cette salle,dans les quatre lobes formés par le quatre-feuilles, tribunes auxquelleson descendait par des échelles de meunier passant à travers le plancherdu troisième étage, ainsi que l'indique le plan de la partie supérieure(19). Cette disposition avait encore l'avantage de permettre de réunirtoute la garnison dans la grand'salle sans encombrement, et d'envoyerpromptement les défenseurs aux créneaux. On retrouve en placeaujourd'hui les scellements des poutres principales de ces quatretribunes, les corbeaux qui recevaient les liens, les naissances des arcsdoubleaux diagonaux et des arcs parallèles avec l'amorce des deux mursqu'ils portaient; les baies supérieures sont conservées jusqu'à moitiéenviron de leur hauteur.
Le plan (fig. 19) fait voir que la partiesupérieure était complétement libre, traversée seulement par les mursportant sur les deux arcs doubleaux marqués P dans le plan du secondétage, murs percés de baies et destinés à porter la toiture centrale.Les deux gros arcs doubleaux diagonaux supportaient le plancher et lepoinçon du comble. En effet, ce plancher, sur lequel il était nécessairede mettre en réserve un approvisionnement considérable de projectiles,et qui avait à résister au mouvement des défenseurs, devait offrir unegrande solidité. Il fallait donc que les solives fussent soulagées dansleur portée; les arcs diagonaux remplissaient parfaitement cet office.L'étage supérieur était percé de nombreux créneaux, ainsi que l'indiqueune vue cavalière gravée par Chastillon, et devait pouvoir être garni dehourds en temps de siége, conformément au système défensif de cetteépoque. Ces hourds, que nous avons figurés en plan (fig. 19), seretrouvent en S' sur l'un des lobes de la tour en élévation extérieure(20).
Cette élévation est prise du côté de la poterne. Aujourd'hui lesconstructions supérieures, à partir du niveau V, n'existent plus; mais,quoique ce donjon21 soit fort ruiné, cependant toutes ses dispositionsintérieures sont parfaitement visibles et s'expliquent pour peu qu'onapporte quelque attention dans leur examen. La bâtisse est bien faite;les pieds-droits des fenêtres, les arcs, les piles et angles sont enpierre de taille; le reste de la maçonnerie est en moellon réuni par unexcellent mortier. Le donjon d'Étampes devait être une puissante défensepour l'époque; très-habitable d'ailleurs, il pouvait contenir unenombreuse garnison relativement à la surface qu'il occupe.
Les donjons sont certainement de toutes les constructions militairescelles qui expliquent le plus clairement le genre de vie, les habitudeset les moeurs des seigneurs féodaux du moyen âge. Le seigneur féodalconservait encore quelque chose du chef frank, il vivait dans cesdemeures au milieu de ses compagnons d'armes; mais cependant ons'aperçoit déjà, dès le XIIe siècle, qu'il cherche à s'isoler, à seséparer, lui et sa famille, de sa garnison; on sent la défiance partout,au dedans comme en dehors de la forteresse. La nuit, les clefs du donjonet même celles du château étaient remises au seigneur, qui les plaçaitsous son chevet22. Comme nous l'avons vu et le verrons, le véritabledonjon est rapproché des dehors; il possède souvent même des issuessecrètes indépendantes de celles du château, pour s'échapper ou fairedes sorties dans la campagne; ses étages inférieurs, bien murés, sontdestinés aux provisions; ses étages intermédiaires contiennent unechapelle et l'habitation; son sommet sert à la défense; on y trouvetoujours un puits, des cheminées et même des fours. D'ailleurs, lesdonjons présentent des dispositions très-variées, et cette variétéindique l'attention particulière apportée par les seigneurs dans laconstruction d'une partie si importante de leurs châteaux. Il estévident que chaque seigneur voulait dérouter les assaillants par descombinaisons défensives nouvelles et qui lui appartenaient. C'est àdater du XIIe siècle que l'on remarque une singulière diversité dans cesdemeures fortifiées; autant de donjons en France, autant d'exemples.Nous choisirons parmi ces exemples ceux qui présentent le plus d'intérêtau point de vue de la défense, car il faudrait sortir des limites quenous nous sommes imposées dans cet ouvrage pour les donner tous.
Suger23 dit quelques mots du château de La Roche-Guyon, à propos de latrahison de Guillaume, beau-frère du roi, envers son gendre Gui. «Sur unpromontoire que forment dans un endroit de difficile accès les rives dugrand fleuve de la Seine, est bâti un château non noble, d'un aspecteffrayant, et qu'on nomme La Roche-Guyon: invisible à sa surface, il estcreusé dans une roche élevée; la main habile de celui qui le construisita coupé sur le penchant de la montagne, et à l'aide d'une étroite etchétive ouverture, le rocher même, et formé sous terre une habitationd'une très-vaste étendue. C'était autrefois, selon l'opinion générale,soit un antre prophétique où l'on prenait les oracles d'Apollon, soit lelieu dont Lucain dit:
... Nam quamvis Thessala vates
Vim faciat satis, dubium est quid tra erit illue,
Aspiciat Stygias, an quod descenderit, umbras.
De là peut-être descend-on aux enfers.»
Suger parle ainsi du château dont nous voyons aujourd'hui les restes.Les souterrains taillés dans le roc existent encore, et s'ils ne sontpoint des antres antiques, s'ils ne descendent pas aux enfers, ilsdatent d'une époque assez éloignée. Les logements n'étaient cependantpas creusés dans la falaise, ainsi que le prétend Suger, mais adossés àun escarpement de craie taillé à main d'homme (voy. CHÂTEAU, fig. 8 et9). Le château de La Roche-Guyon est de nos jours à peu prèsméconnaissable par suite des changements qu'il a subis; on y retrouvequelques traces de bâtisses du XIIe siècle; quant au donjon, il estentièrement conservé, sauf ses couronnements, et sa construction paraîtappartenir au milieu de ce siècle.
La fig. 21 donne, en A, l'emplacement du château de La Roche-Guyon. Parun pont volant B communiquant avec les étages supérieurs du château, onarrivait à la plate-forme C taillée dans la colline coupée à pic; cetteplate-forme donnait entrée dans un premier souterrain ascendant, quiaboutissait à une seconde plate-forme D à ciel ouvert. Une coupure Einterceptait toute communication avec une troisième plate-forme F. Unpont de bois, que l'on pouvait détruire en cas d'attaque, permettaitseul d'arriver à cette troisième plate-forme. De là, par un longsouterrain ascendant dont les marches taillées dans la craie et le silexn'ont pas moins de 0,30 c. à 0,40 c. de hauteur, on arrivait, en G, dansla seconde enceinte du donjon, bâti sur le penchant de l'escarpement. EnK est tracée la coupe transversale de ce souterrain. Il était absolumentimpossible de forcer une semblable entrée, et l'assaillant qui se seraitemparé du château eût été facilement écrasé par la garnison du donjon.Voyons maintenant comment sont disposées les défenses du donjonproprement dit, placé, à La Roche-Guyon, dans une positionexceptionnelle.
Voici (22) le plan, à rez-de-chaussée, de ce donjon. C'est en A quedébouche le passage souterrain; à côté sont disposées des latrines dansl'épaisseur de la chemise. Un petit redan commande l'orifice inférieurdu tuyau de chute de ces latrines. Du débouché A pour monter au donjon,il faut se détourner brusquement à droite et monter le degré B quiaboutit à la poterne C. À gauche, on trouve l'escalier à vis qui dessertles étages supérieurs. Le palier devant la poterne, à l'extérieur, étaiten bois et mobile, ainsi que le ponceau D qui aboutissait au chemin deronde E, commandant l'escarpement. En P est un puits; en S, un petitsilo destiné à conserver des salaisons24. De l'enceinte intérieure dudonjon, on débouchait dans l'enceinte extérieure par deux poternes GG',qui sont intactes. Passant sur une fosse F, les assiégés pouvaientsortir au dehors par la poterne extérieure H, parfaitement défendue parles deux parapets se coupant à angle droit. En I, à une époque assezrécente, on a percé une seconde poterne extérieure; mais, primitivement,la tour I était pleine et formait un éperon épais et défendable du côtéoù l'assaillant devait diriger son attaque. Un fossé taillé dans le rocentourait la première enceinte, et un système de palissades et detranchées reliait le donjon à un ouvrage avancé indiqué dans les fig. 8et 9 de l'article CHÂTEAU. Si nous coupons le donjon longitudinalementsur la ligne OX, nous obtenons la fig. 23.
Dans cette coupe, on voit comme les deux chemises de la tour principales'élèvent en suivant la pente du plateau pour commander les dehors ducôté attaquable, comme ces chemises et la tour elle-même forment éperonsde ce côté. De la tour principale, la garnison se répandait sur lechemin de ronde de la seconde chemise au moyen du pont volant indiqué enD au plan; par une suite de degrés, elle arrivait au point culminant R.Par des portes ménagées dans le parapet de cette seconde enceinte, ellese jetait sur le chemin de ronde de la première, dont le point culminantest en T. Un assaillant ne pouvait songer à attaquer le donjon par lesdeux flancs M et N (voy. le plan fig. 22). Il devait nécessairementdiriger son attaque principale au sommet de l'angle en I; mais là, s'ilvoulait escalader les remparts, il trouvait derrière les parapets lesdéfenseurs massés sur une large plate-forme; s'il voulait employer lasape, il rencontrait une masse énorme de rocher et de maçonnerie. Enadmettant qu'il pût pénétrer entre la première et la seconde enceinte,il lui était difficile de monter sur le chemin de ronde de la chemiseextérieure, et il se trouvait exposé aux projectiles lancés du haut deschemins de ronde de la première et de la seconde chemise. Les mêmesdifficultés se rencontraient s'il voulait percer cette seconde chemise.S'il parvenait à la franchir, il lui était impossible de se maintenir etd'agir dans l'étroit espace laissé entre la seconde chemise et la tour.Il n'y avait d'autre moyen de s'emparer de ce donjon que de cheminer,par la mine souterraine, du point I au point S; or on comprend qu'unepareille entreprise fût longue et d'une exécution difficile, d'autantque l'assiégé pouvait contre-miner facilement entre les deux chemises etdétruire les travaux des assiégeants.
L'élévation latérale (24) indique la pente du plateau de craie, sonescarpement fait à main d'homme, la position des souterrainscommuniquant avec le château et les niveaux différents des parapets desdeux chemises, ainsi que le commandement de la tour principale. Tout,dans cette construction entièrement dépourvue d'ornements, estprofondément calculé au point de vue de la défense. Le renforcement desmurs des deux chemises, à mesure que ces murs prennent plus d'élévationet se rapprochent du point attaquable, la disposition des éperonsdestinés à résister à la sape et à recevoir un nombre considérable dedéfenseurs à l'extrémité du saillant en face la partie dominante duplateau, la manière dont les poternes sont disposées de façon à êtremasquées pour les assaillants, tout cela est fort sagement conçu etexécuté avec soin. Ici la règle «ce qui défend doit être défendu» estparfaitement observée. Les constructions sont bien faites, en moellonsavec arêtes, arcs et pieds-droits en pierre de taille. Dans cettebâtisse, pas un profil, pas un coup de ciseau inutile; celui qui l'acommandée et celui qui l'a exécutée n'ont eu que la pensée d'élever surce promontoire un poste imprenable; l'artillerie moderne seule peutavoir raison de cette petite forteresse.
Il est certain que les seigneurs féodaux qui habitaient ces demeuresdevaient y mourir d'ennui, lorsqu'ils étaient obligés de s'y renfermer(ce qui arrivait souvent); aussi ne doit-on pas s'étonner si, à la findu XIe siècle et pendant le XIIe, ils s'empressèrent de se croiser et decourir les aventures en terre sainte. Pendant les longues heures deloisir laissées à un châtelain enfermé dans un de ces tristes donjons,l'envie, les sentiments de haine et de défiance devaient germer et sedévelopper sans obstacles; mais aussi, dans les âmes bien faites, lesrésolutions généreuses, mûries, les pensées élevées devaient se fairejour: car si la solitude est dangereuse pour les esprits faibles, elledéveloppe et agrandit. les coeurs bien nés. C'est, en effet, du fond deces sombres donjons que sont sortis ces principes de chevalerie qui ontpris dans l'histoire de notre pays une si large part, et qui, malgrébien des fautes, ont contribué à assurer sa grandeur. Respectons cesdébris; s'ils rappellent des abus odieux, des crimes même, ilsconservent l'empreinte de l'énergie morale dont heureusement nouspossédons encore la tradition.
On observera que les donjons romans que nous avons reproduits jusqu'àprésent ne sont pas voûtés à l'intérieur, mais que leurs étages sonthabituellement séparés par des planchers de bois; les défenseursadmettaient qu'un étage inférieur étant pris, la défense pouvait encorese prolonger et la garnison reprendre l'offensive. L'assaillant avaitcependant un moyen bien simple de s'emparer de la forteresse s'ilparvenait à pénétrer dans les étages bas: c'était de mettre le feu auxplanchers. Les assiégés devaient déployer une bien grande activité s'ilsvoulaient empêcher cette catastrophe. Il est certain que ce moyen futsouvent employé par des assaillants; aussi pensa-t-on bientôt à voûterau moins les étages inférieurs des donjons.
Il existe encore à Provins un donjon bâti sur le point culminant decette ville, si curieuse par la quantité d'édifices publics et privésqu'elle renferme: c'est la tour dite deCésar, ou laTour-le-Roi, ouNotre-Sire-le-Roi. C'est un véritable donjon dont relevaient laplupart des fiefs du domaine de Provins, et qui fut construit vers lemilieu du XIIe siècle. Le donjon de Provins présente en plan un octogoneà quatre côtés plus petits que les quatre autres, les petits côtés étantflanqués de tourelles engagées à leur base, mais qui, se détachant ducorps de la construction dans la partie supérieure, permettent ainsi debattre tous les alentours. Ce donjon pouvait être garni d'un grandnombre de défenseurs, à cause des différents étages en retraite et de laposition flanquante des tourelles.
Voici (25) le plan du rez-de-chaussée de ce donjon dont la base futterrassée, au XVe siècle, par les Anglais, pour recevoir probablement del'artillerie à feu. En C, on voit la place qu'occupe ce terrassement. EnP est un puits auquel on descend par une rampe dont l'entrée est en F.En G, un four établi au XVe siècle; en H, une ancienne chapelle.
La fig. 26 donne le plan du premier étage de ce donjon; c'est seulementau niveau de cet étage que l'on trouvait quatre poternes I mises encommunication avec la chemise extérieure au moyen de ponts volants. D'uncôté, au sud, l'un de ces ponts volants, tombant sur une chausséedétournée, correspondait au mur de prolongement D aboutissant à la portede Paris et mettant le parapet de la chemise en communication avec lechemin de ronde de ce rempart. Par l'escalier à vis K, on montait auxchemins de ronde supérieurs indépendants du logis. Il fallait du premierétage descendre au rez-de-chaussée, qui n'avait avec les dehors aucunecommunication. On trouve dans l'épaisseur du mur du rez-de-chaussée unassez vaste cachot qui, dit-on, servit de prison à Jean le Bon, duc deBretagne. Le premier étage présente un grand nombre de réduits, depièces séparées propres au logement des chefs. On pouvait du premierétage, par les quatre poternes I, se répandre facilement sur le cheminde ronde de la chemise, terrassée aujourd'hui.
Le second étage (27) fait voir, en K, l'arrivée de l'escalier à vis; enL, les chemins de ronde crénelés auxquels on arrive par les petitesrampes doubles N; en M, les quatre tourelles flanquantes. Ici, comme àChambois, un chemin de ronde voûté en berceau se trouve sous lecrénelage supérieur.
La coupe (28), faite sur la ligne AB des plans du rez-de-chaussée et dupremier étage, indique la descente au puits, les poternes percées à desniveaux différents, celle de droite, principale (puisqu'elle est percéeen face le chemin d'arrivée), n'étant pas en communication directe avecla salle intérieure du premier étage. À mi-hauteur du premier étage, onvoit un crénelage défendant les quatre faces principales; puis, à lahauteur du second étage, le chemin de ronde voûté en berceau et lecrénelage supérieur dont les crénelages sont munis de hourds saillantsdébordant les tourelles. Aujourd'hui, la construction est à peu prèsdétruite à partir du niveau XX. La position des hourds en bois desquatre faces supérieures ne paraît pas douteuse; on ne s'expliqueraitpas autrement la retraite ménagée au-dessus du chemin de ronde del'entre-sol, retraite qui paraît avoir été destinée à porter les piedsdes grands liens de ces hourds, assez saillants pour former mâchicoulisen avant du chemin de ronde supérieur. Ces hourds, ainsi disposés,flanquent les tourelles qui, elles-mêmes, flanquent les faces.
Une élévation intérieure (29), en supposant le mur de la chemise coupésuivant la ligne RS du plan, fig. 26, explique la disposition despoternes avec les ponts volants C, ainsi que les étages de défensessuperposées avec les hourds de bois. Le donjon de Provins est bâti avecgrand soin. Au XVIe siècle, ces ponts volants n'existaient plus; le murde la chemise, dérasé, terrassé, laissait le seuil des poternes àquelques mètres au-dessus du niveau de la plate-forme, et on n'entraitdans le donjon que par des échelles25. Le rez-de-chaussée et lepremier étage, ainsi que le fait voir la coupe (fig. 28), sont voûtés,la voûte supérieure étant percée d'un oeil afin de permettre de hisserfacilement des projectiles sur les chemins de ronde supérieurs et dedonner des ordres du sommet aux gens postés dans la salle du premierétage.
Le principal défaut de ces forteresses, en se reportant même au temps oùelles ont été bâties, c'est la complication des moyens défensifs,l'exiguïté des passages, ces dispositions de détail multipliées, ceschicanes qui, dans un moment de presse, ralentissaient l'action de ladéfense, l'empêchaient d'agir avec vigueur et promptitude sur un pointattaqué. Ces donjons des XIe et XIIe siècles sont plutôt faits pour segarantir des surprises et des trahisons que contre une attaque de viveforce dirigée par un capitaine hardi et tenace. De ces sommets étroits,encombrés, on se défendait mal. Au moment d'une alerte un peu chaude,les défenseurs, par leur empressement même, se gênaient réciproquement,encombraient les chemins de ronde, s'égaraient dans les nombreux détoursde la forteresse. Aussi, quand des princes devinrent assez puissantspour mettre en campagne des armées passablement organisées, nombreuseset agissant avec quelque ensemble, ces donjons romans ne purent sedéfendre autrement que par leur masse. Leurs garnisons, réduites à unrôle presque passif, ne pouvaient faire beaucoup de mal à desassaillants bien couverts par des mantelets ou des galeries, procédantavec méthode et employant déjà des engins d'une certaine puissance.Philippe-Auguste et son terrible adversaire, Richard-Coeur-de-Lion, tousdeux grands preneurs de places, tenaces dans l'attaque, possédant descorps armés pleins de confiance dans la valeur de leurs chefs,excellents ingénieurs pour leur temps, firent une véritable révolutiondans l'art de fortifier les places et particulièrement les donjons. Tousdeux sentirent l'inutilité et le danger même, au point de vue de ladéfense, de ces détours prodigués dans les dernières forteressesromanes. Nous avons essayé de faire ressortir l'importance de lacitadelle des Andelys, le Château-Gaillard, bâti sous la direction etsous les yeux de Richard26; le donjon de cette forteresse est, pour letemps, une oeuvre tout à fait remarquable. Le premier, Richard remplaçales hourds de bois des crénelages par des mâchicoulis de pierre, conçusde manière à enfiler entièrement le pied de la fortification du côtéattaquable.
La vue perspective (30) du donjon du Château-Gaillard, prise du côté dela poterne, explique la disposition savante de ces mâchicoulis, composésd'arcs portés sur des contre-forts plus larges au sommet qu'à la base etnaissant sur un talus prononcé très-propre à faire ricocher lesprojectiles lancés par les larges rainures laissées entre ces arcs et lenu du mur.
Le plan (31) de ce donjon, pris au niveau de la poterne quis'ouvre au premier étage, fait voir la disposition de cette poterne P,avec sa meurtrière enfilant la rampe très-roide qui y conduit et lelarge mâchicoulis qui la surmonte; les fenêtres ouvertes du côté del'escarpement; l'éperon saillant A renforçant la tour du côté attaquableet contraignant l'assaillant à se démasquer; le front B développé enface la porte du château. Le degré C aboutissait à une poterne d'unaccès très-difficile ménagée sur le précipice et s'ouvrant dansl'enceinte bien flanquée décrite dans l'article CHÂTEAU, fig. 11. Ledonjon, dont le pied est entièrement plein et par conséquent à l'abri dela sape, se composait d'une salle ronde à rez-de-chaussée à laquelle ilfallait descendre, d'un premier étage au niveau de la poterne P, d'unsecond étage au niveau des mâchicoulis avec chemin de ronde crénelé,d'un troisième étage en retraite, fermé, propre aux approvisionnementsde projectiles, et d'un quatrième étage crénelé et couvert, commandantle chemin de ronde et les dehors au loin (fig. 30). Du côté del'escarpement abrupt D, qui domine le cours de la Seine (fig. 31), lesmâchicoulis étaient inutiles, car il n'était pas possible à desassaillants de se présenter sur ce point; aussi Richard n'en fit pointétablir. À l'intérieur, les divers étages n'étaient en communicationentre eux qu'au moyen d'escaliers de bois traversant les planchers.Ainsi, dans ce donjon, rien de trop, rien d'inutile, rien que ce qui estabsolument nécessaire à la défense. Cet ouvrage, à notre avis, dévoile,chez le roi Richard, un génie militaire vraiment remarquable, une étudeapprofondie des moyens d'attaque employés de son temps, un espritpratique fort éloigné de la fougue inconsidérée que les historiensmodernes prêtent à ce prince. Aujourd'hui les constructions sontdérasées à la hauteur de la naissance des mâchicoulis en O (fig. 30).
Cependant ce donjon fut pris par Philippe-Auguste, sans que lesdéfenseurs, réduits à un petit nombre d'hommes, eussent le temps de s'yréfugier; ces défenses étaient encore trop étroites, l'espace manquait;il faut dire que cette tour ne doit être considérée que comme le réduitd'un ouvrage très-fort qui lui servait de chemise. Les portes relevéesdes donjons romans, auxquelles on ne pouvait arriver qu'au moyend'échelles ou de rampes d'un accès difficile, étaient, en cas d'attaquevive, une difficulté pour les défenseurs aussi bien que pour lesassiégeants, si ces défenseurs, à cause de la faiblesse de la garnison,se trouvaient forcés de descendre tous pour garder les dehors. Maisalors, comme aujourd'hui, toute garnison qui n'était pas en rapport denombre avec l'importance de la forteresse était compromise, et cesréduits devaient conserver leur garnison propre, quitte à sacrifier lesdéfenseurs des ouvrages extérieurs, si ces ouvrages étaient pris. À laprise du Château-Gaillard, Roger de Lascy, qui commandait pour le roiJean sans Terre, ne possédant plus que les débris d'une garnison réduitepar un siége de huit mois, avait dû se porter avec tout son monde sur labrèche de la chemise extérieure du donjon pour la défendre; ses hommeset lui, entourés par les nombreux soldats de Philippe-Auguste seprécipitant à l'assaut, ne purent se faire jour jusqu'à cette rampeétroite du donjon: Roger de Lascy fut pris, et le donjon tomba entre lesmains du vainqueur à l'instant même. Il semble que cette expérienceprofita à Philippe-Auguste, car lorsque ce prince bâtit le donjon duLouvre, il le perça d'une poterne presque au niveau du sol extérieuravec pont à bascule et fossé. Du donjon du Louvre il ne reste que desdescriptions très-laconiques et des figurés fort imparfaits; nous savonsseulement qu'il était cylindrique, que son diamètre extérieur était devingt mètres et sa hauteur de quarante mètres environ. Philippe-Augusteparaît avoir considéré la forme cylindrique comme étant celle quiconvenait le mieux à ces défenses suprêmes. Si le donjon du Louvren'existe plus, celui du château de Rouen, bâti par ce prince, existeencore, du moins en grande partie, et nous donne un diminutif de lacélèbre tour du Louvre dont relevaient tous les fiefs de France. Cedonjon était à cheval sur la courtine du château et possédait deuxentrées le long des parements intérieurs de cette courtine. Ces entrées,peu relevées au-dessus du sol, étaient en communication avec de petitsdegrés isolés, sur la tête desquels tombaient des ponts à bascule.
Voici (32) le plan du rez-de-chaussée du donjon du château de Rouen. EnAA' sont les deux poternes; en BB', les murs de la courtine dont on voitencore les arrachements. À côté de l'escalier à vis qui monte aux étagessupérieurs sont des latrines, et en C est un puits. Ce rez-de-chausséeet le premier étage (33) sont voûtés; les murs ont près de quatre mètresd'épaisseur. Aujourd'hui (34)27, les constructions sont dérasées auniveau D, et nous n'avons, pour restaurer la partie supérieure, que desdonnées insuffisantes.
Toutefois on doit admettre que cette partiesupérieure comprenait, suivant l'usage, un étage sans plancher etl'étage de la défense avec son chemin de ronde muni de hourds portés surdes corbeaux de pierre. Le donjon du château de Rouen tenait à deuxcourtines, en interrompant absolument la communication d'un chemin deronde à l'autre, puisque aucune issue ne s'ouvrait de l'intérieur dudonjon sur ces chemins de ronde. Au Louvre, le donjon, planté au centred'une cour carrée, était entièrement isolé et ne commandait pas lesdehors suivant la règle ordinaire. Mais le Louvre tout entier pouvaitêtre considéré comme un vaste donjon dont la grosse tour centrale étaitle réduit. Cependant la forme cylindrique, adoptée par Philippe-Auguste,était évidemment celle qui convenait le mieux à ce genre de défense, euégard aux moyens d'attaque de l'époque. Ce prince pensait avec raisonque ses ennemis emploieraient, pour prendre ses châteaux, les moyens quelui-même avait mis en pratique avec succès: or Philippe-Auguste avait euà faire le siége d'un grand nombre de châteaux bâtis conformément ausystème normand, et il avait pu reconnaître, par expérience, que lesangles des tours et donjons quadrangulaires donnaient toujours prise auxassaillants; car ces angles saillants, mal défendus, permettaient auxpionniers de s'attacher à leur base, de saper les fondations à droite età gauche, et de faire tomber deux pans de mur. La forme cylindrique nedonnait pas plus de prise sur un point que sur un autre, et, admettantque les pionniers pussent saper un segment du cercle, il fallait que cesexcavations fussent très-étendues pour faire tomber une tranche ducylindre: de plus, Philippe-Auguste, ainsi que le fait voir le plan dudonjon du château de Rouen, donnait aux murs de ses donjons cylindriquesune épaisseur énorme comparativement à leur diamètre; il était avared'ouvertures, renonçait aux planchers de bois inférieurs afin d'éviterles chances d'incendie. Ce système prévalut pendant le cours du XIIIesiècle.
Le donjon du Louvre était à peine bâti et Philippe-Auguste dans latombe, que le seigneur de Coucy, Enguerrand III, prétendit élever unchâteau féodal dont le donjon surpassât de beaucoup, en force et enétendue, l'oeuvre de son suzerain. Cette entreprise colossale futconduite avec une activité prodigieuse, car le château de Coucy et sondonjon, commencés sitôt après la mort de Philippe-Auguste en 1223,étaient achevés en 1230 (voy. CHÂTEAU, CONSTRUCTION). Le donjon de Coucyest la plus belle construction militaire du moyen âge qui existe enEurope, et heureusement elle nous est conservée à peu près intacte.Auprès de ce géant, les plus grosses tours connues, soit en France, soiten Italie ou en Allemagne, ne sont que des fuseaux. De plus, cette belletour nous donne de précieux spécimens de la sculpture et de la peinturedu commencement du XIIIe siècle appliqués aux résidences féodales. Lesplans que nous avons donnés du château de Coucy à l'article CHÂTEAU,fig. 16, 17 et 18, font assez connaître l'assiette de la forteresse pourqu'il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur cet ensemble deconstructions militaires. Nous nous occuperons exclusivement ici dudonjon, en renvoyant nos lecteurs à l'article précité, pourl'explication de ses abords, de sa chemise, de ses défenses, de sesissues extérieures et de son excellente assiette, si bien choisie pourcommander les dehors de la forteresse du côté attaquable, pour protégerles défenses du château lui-même. Le diamètre de l'énorme tour, noncompris le talus inférieur, a trente mètres cinquante centimètres horsoeuvre; sa hauteur, du fond du fossé dallé au sommet, non compris lespinacles, est de cinquante-cinq mètres.
Voici (35) le plan du rez-de-chaussée du donjon de Coucy. La poterne esten A; c'est l'unique entrée défendue par un pont à basculetrès-adroitement combiné (voy. POTERNE), par un mâchicoulis, une herse,un ventail barré, un second ventail au delà de l'entrée de l'escalier etune grille. Une haute chemise en maçonnerie protége la base du donjon ducôté des dehors, et, entre cette chemise et la tour, est un fossé dehuit mètres de largeur, entièrement dallé, dont le fond est à cinqmètres en contre-bas du seuil de la poterne. Le couloir d'entrée permetde prendre à droite une rampe aboutissant à un large escalier à vis quidessert tous les étages. En se détournant à gauche, on arrive à deslatrines B. En D est un puits très-large, qui n'a pas encore été vidé,mais qui, dans l'état actuel, n'a pas moins de trente mètres deprofondeur. De plain-pied, par le couloir de la poterne, on entrait dansune salle à douze pans percés de douze niches à double étage pourpouvoir ranger des provisions et des armes; une de ces niches, laseconde après le puits, sert de cheminée. Cette salle, éclairée par deuxfenêtres carrées très-relevées au-dessus du sol, était voûtée au moyende douze arcs aboutissant à une clef centrale percée d'un oeil, pourpermettre de hisser au sommet les armes et engins de défense. Nous avonsfait, au centre de cette salle, une fouille, afin de reconnaître s'ilexistait un étage souterrain; mais la fouille ne nous a montré que leroc à une assez faible profondeur, de sorte que les pionniers quiseraient parvenus à percer le cylindre au niveau du fond du fosséauraient pu cheminer sans rencontrer de vide nulle part. On remarqueraque, du fond des niches à la circonférence de la tour, la maçonnerie n'apas moins de cinq mètres cinquante centimètres.
L'escalier à vis nous conduit au premier étage (36), voûté comme lerez-de-chaussée, possédant des niches, trois fenêtres, des latrines etune cheminée E avec un four par-derrière. Au-dessous de l'une des baiesde fenêtres, on établit, au XVe siècle, un cabinet avec passageparticulier; cette modification est indiquée au plan par une teintegrise. Au fond d'une des niches de droite est percé un couloir étroitaboutissant à un pont volant D communiquant avec le chemin de ronde dela chemise (voy. la description du château à l'article CHÂTEAU, fig.17).
Reprenant l'escalier à vis, nous montons au second étage (37), qui nousprésente l'une des plus belles conceptions du moyen âge. Cet étage,voûté comme ceux du dessous, se composait d'une salle dodécagoneentourée d'une galerie relevée de 3m,30 au-dessus du pavé de cette salleet formant ainsi un large portique avec balcons disposés pour réunirtoute la garnison sur un seul point, en permettant à chacun d'entendreles ordres généraux et de voir le commandant placé au centre. Deuxfenêtres et l'oeil central éclairaient cette salle. Sous les balcons, enG, sont des niches qui ajoutent à la surface de la salle. L'escalier àvis est disposé de façon à donner entrée à droite et à gauche dans leportique.
Le troisième étage (38) est à ciel ouvert, percé de nombreusesmeurtrières et de créneaux; des corbeaux en pierre, formant une fortesaillie à l'extérieur, étaient destinés à supporter un double hourdageen bois, propre à la défense. La voûte centrale était couverte de plombainsi que celles du portique. Les créneaux, fermés par des arcs brisés,sont surmontés d'une belle corniche à doubles crochets avec larmier.
Une coupe de ce donjon (39), faite sur OP, explique mieux que toutedescription les dispositions grandioses de la grosse tour du château deCoucy. Nous avons représenté, au sommet, une partie des hourds à doubledéfense, posés sur les corbeaux de pierre. Quatre grands pinacles enpierre avec fleurons et crochets surmontaient le chaperon supérieur dumur crénelé; ces pinacles sont indiqués dans la gravure de Ducerceau,et, dans les décombres extraits du fossé, nous en avons retrouvé desfragments d'un beau style du commencement du XIIIe siècle. Tout, dans cedonjon, est bâti sur une échelle plus grande que nature; les allèges descréneaux, les marches des escaliers, les bornes, les appuis semblentfaits pour des hommes d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Les sallesétaient entièrement peintes à l'intérieur, sur un enduit mince à lachaux, recouvrant l'appareil qui est grossier (voy. PEINTURE). Lamaçonnerie, élevée en assises régulières de 0,40 c. à 0,50 c. dehauteur, est bien faite; le mortier excellent, les lits épais et bienremplis. La sculpture est traitée avec un soin particulier et des plusbelles de cette époque; elle est complétement peinte.
L'ingénieur Métezeau, qui fut chargé par le cardinal Mazarin de détruirele château de Coucy, voulut faire sauter le donjon. À cet effet, ilchargea, au centre, à deux mètres au-dessous du sol, un fourneau de minedont nous avons retrouvé la trace. Il pensait ainsi faire creverl'énorme cylindre; mais l'explosion n'eut d'autre résultat qued'envoyer les voûtes centrales en l'air et d'occasionner troisprincipales lézardes dans les parois du tube de pierre. Les chosesrestèrent en cet état jusqu'à ces derniers temps. De nouveaux mouvementsayant fait craindre l'écroulement d'une des tranches de la tourlézardée, des travaux de restauration furent entrepris sous la directiondes Monuments historiques dépendant du ministère d'État, et aujourd'huicette belle ruine est à l'abri des intempéries; les lézardes ont étéreprises à fond, les parties écrasées consolidées. Si les voûtes étaientrétablies, on retrouverait le donjon d'Enguerrand III dans toute sasplendeur sauvage. La disposition vraiment originale du donjon de Coucyest celle de ce second étage destiné à réunir la garnison.
Nous essayons d'en donner une faible idée dans la fig. 40. Qu'on sereprésente par la pensée un millier d'hommes d'armes réunis dans cetterotonde et son portique disposé comme des loges d'une salle despectacle, des jours rares éclairant cette foule; au centre, lechâtelain donnant ses ordres, pendant qu'on s'empresse de monter, aumoyen d'un treuil, des armes et des projectiles à travers les oeils desvoûtes. Ou encore, la nuit, quelques lampes accrochées aux parois duportique, la garnison sommeillant ou causant dans ce vaste réservoird'hommes; qu'on écoute les bruits du dehors qui arrivent par l'oeilcentral de la voûte, l'appel aux armes, les pas précipités desdéfenseurs sur les hourds de bois, certes on se peindra une scène d'unesingulière grandeur. Si loin que puisse aller l'imagination desromanciers ou des historiens chercheurs de lacouleur locale, elleleur représentera difficilement ce que la vue de ces monuments si grandset si simples dans leurs dispositions rend intelligible au premier coupd'oeil. Aussi conseillons-nous à tous ceux qui aiment à vivrequelquefois dans le passé d'aller voir le donjon de Coucy, car rien nepeint mieux la féodalité dans sa puissance, ses moeurs, sa vie touteguerrière, que cet admirable débris du château d'Enguerrand.
Les donjons normands sont des logis plus ou moins bien défendus, élevéspar la ruse et la défiance; les petits moyens sont accumulés pourdérouter l'assaillant: ce sont des tanières plutôt que des édifices. Aufond, dans ces forteresses, nulle disposition d'ensemble, mais forceexpédients. Le donjon normand tient encore de la demeure du sauvagerusé; mais, à Coucy, on reconnaît la conception méthodique de l'hommecivilisé qui sait ce qu'il veut et dont la volonté est puissante; iciplus de tâtonnements: la forteresse est bâtie rapidement, d'un seul jet;tout est prévu, calculé, et cela avec une ampleur, une simplicité demoyens faites pour étonner l'homme indécis de notre temps.
Cependant, au XIIIe siècle déjà, la féodalité perdait ces moeurshéroïques, peut-on dire, dont Enguerrand III est le dernier et le plusgrand modèle. Ces demeures de géants ne pouvaient convenir à unenoblesse aimant ses aises, politiquement affaiblie, ruinée par son luxe,par ses luttes et ses rivalités, prévoyant la fin de sa puissance etincapable de la retarder. Les grands vassaux de saint Louis et dePhilippe le Hardi n'étaient plus de taille à construire de pareillesforteresses; ils ne pouvaient se résoudre à passer les journées d'unlong siége dans ces grandes salles voûtées, à peine éclairées, encompagnie de leurs hommes d'armes, partageant leur pain et leursprovisions. Chose digne de remarque, d'ailleurs, le donjon normand estdivisé en un assez grand nombre de chambres; le seigneur peut y vivreseul; il cherche à s'isoler des siens, et même, au besoin, à se garantird'une trahison. Le donjon de Philippe-Auguste, dont Coucy nous présentele spécimen le plus complet, est la forteresse dernière, le réduit d'uncorps armé, agissant avec ensemble, mu par la pensée d'unité d'action.La tour est cylindrique; cette forme de plan seule indique le système dedéfense partant d'un centre, qui est le commandant, pour se répandresuivant le besoin et rayonner, pour ainsi dire. C'est ainsi qu'on voitpoindre chez nous, en pleine féodalité, ce principe de force militairequi réside, avant tout, dans l'unité du commandement et la confiance dessoldats en leur chef suprême. Et ce principe, que Philippe-Auguste avaitsi bien compris et mis en pratique, ce principe admis par quelquesgrands vassaux au commencement du XIIIe siècle, la féodalité l'abandonnedès que le pouvoir monarchique s'étend et attire à lui les forces dupays. C'est ainsi que les monuments gardent toujours l'empreinte dutemps qui les a élevés.
Les peintures intérieures du donjon de Coucy ne consistent qu'en refendsblancs sur fond ocre jaune, avec de belles bordures autour desarchivoltes. Bientôt on ne se contenta pas de ces décorations d'un stylesévère; on voulut couvrir les parois des salles de sujets, depersonnages, d'armoiries, de légendes. La noblesse féodale aimait leslettres, s'occupait d'art, tenait à instruire la jeunesse et luiprésenter sans cesse devant les yeux de beaux exemples de chevalerie.«En l'an que l'on contoit mil quatre cens et XVI, et le premier jour demay, je, le seigneur de Caumont, estant de l'aage de XXV ans, me estoieen ung beau jardin de fleurs où il avoit foyson de oiseaux quichantoient de beaux et gracieux chans, et en plusieurs de manières, donils me feirent resjouir, si que, emprès, je fuy tant en pansant sur lefait de cest monde, que je veoye moult soutil et incliné à mault fère,et que tout ce estoit néant, à comparer à l'autre qui dure sans fin...»
«Et lors il me va souvenir de mes petits enfants qui sont jeunes etignocens, lesquelx je voudroie que à bien et honneur tournassent, et boncuer eussent, ainxi comme père doit vouloir de ces filz. Et parce que,selon nature, ils doyvent vivre plus que moy, et que je ne leur pourroiepas enseigner ne endoctrinier, car il faudra que je laisse cestmonde, comme les autres, me suis pansé que je leur feisse et laissasse,tant dés que je y surs, ung livre de ensenhemens, pour leur demonstrercomment ilz se devront gouverner, selon se que est à masemblance...28» Ce passage indique assez quelles étaient, aucommencement du XIVe siècle, les tendances de la noblesse féodale; letemps de la sauvage rudesse était passé; beaucoup de seigneurss'adonnaient à l'étude des lettres et des arts, cherchant à s'entourerdans leurs châteaux de tout ce qui était propre à rendre ces demeuressupportables et à élever l'esprit de la jeunesse. «...Au chef de leditte ville (de Mazières) a ung très beau chasteau et fort sur unerivière, bien enmurré et de grosses tours machacollées tout autour, etpar dedens est tout dépint merveilleusemant de batailles; et y troverezde toux les généracions Crestiens et Sarrazins, ung pareil, mascle etfemèle, chacun sellon le porteure de son païs29.»
Nous trouvons la trace de ces décorations intérieures des donjons déjàau XIIIe siècle.
«De vert marbre fu li muralz (du donjon),
Mult par esteit espès è halz;
N'i out fors une sule entrée,
Cele fu noit è jur gardée.
De l'altre part fu clos de mer
Nuls ne pout issir ne entrer,
Si ceo ne fust od un batel,
Qui busuin éust ù castel.
Li Sire out fair dedenz le meur,
Pur sa femme metre à seur.
Chaumbre souz ciel n'ont plus bele;
À l'entrée fu la capele:
La caumbre est painte tut entur;
Vénus la dieuesse d'amur,
Fu très bien mis en la peinture,
Les traiz mustrez è la nature,
Cument hum deit amur tenir,
E léalment é bien servir,
Le livre Ovide ù il enseigne,
Coment cascuns s'amour tesmegne,
En un fu ardent les jettout;
E tuz iceux escumengout,
Ki jamais cel livre lireient,
Et sun enseignement fereient30.»
Ici les sujets de peinture sont empruntés à l'antiquité païenne.Souvent, dans ces peintures, les artistes interprétaient, de la façon laplus singulière, les traits de l'histoire grecque et romaine, lessoumettant aux moeurs chevaleresques de l'époque. Hector, Josué,Scipion, Judas-Macchabée, César, se trouvaient compris parmi les preux,avec Charlemagne, Roland et Godefroy de Bouillon. Les héros del'histoire sacrée et profane avaient leurs armoiries tout comme leschevaliers du moyen âge.
Des hommes qui se piquaient de sentiments chevaleresques, quiconsidéraient la courtoisie comme la plus belle des qualités et lasociété des femmes comme la seule qui pût former la jeunesse, devaientnécessairement abandonner les tristes donjons du temps dePhilippe-Auguste. Cependant il fallait toujours songer à la défense. AuXIVe siècle, la féodalité renonce aux gros donjons cylindriques; elleadopte de préférence la tour carrée flanquée de tourelles aux angles,comme plus propre à l'habitation. C'est sur ce programme que Charles Vfit rebâtir le célèbre donjon de Vincennes, qui existe encore, saufquelques mutilations qui ont modifié les détails de la défense31. Cedonjon, commandant les dehors et placé sur un des grands côtés del'enceinte du château, est protégé par un fossé revêtu et par unechemise carrée, avec porte bien défendue du côté de la cour du château.Il se compose, comme chacun sait, d'une tour carrée de quarante mètresde haut environ avec quatre tourelles d'angle montant de fond. Sa partiesupérieure se défend par deux étages de créneaux. Il fut toujourscouvert par une plate-forme posée sur voûte. À l'intérieur, chaque étageétait divisé en plusieurs pièces, une grande, oblongue, une de dimensionmoyenne et un cabinet, sans compter les tourelles; ces piècespossédaient, la plupart, des cheminées, un four, et sont éclairées parde belles fenêtres terminées par des archivoltes brisées. Déjà le donjondu Temple à Paris, achevé en 130632, avait été bâti sur ce plan; sapartie supérieure, au lieu d'être terminée par une plate-forme, étaitcouverte par un comble en pavillon, avec quatre toits coniques sur lestourelles d'angle; mais le donjon du Temple était plutôt un trésor, undépôt de chartes, de finances, qu'une défense.
Nous croyons inutile de multiplier les exemples de donjons des XIIIe etXIVe siècles, car ils ne se font pas remarquer par des dispositionsparticulières; ils sont carrés ou cylindriques: s'ils sont carrés, ilsressemblent fort aux tours bâties à cette époque et n'en diffèrent quepar les dimensions (voy. TOUR); s'ils sont cylindriques, à partir de lafin du XIIIe siècle, ils contiennent des étages voûtés, et ne sauraientêtre comparés au donjon de Coucy que nous venons de donner. Ce n'estqu'au moment où les moeurs féodales se transforment, où les seigneurschâtelains prétendent avoir des demeures moins fermées et moins tristes,que le donjon abandonne la forme d'une tour qu'il avait adoptée vers lafin du XIIe siècle, pour revêtir celle d'un logis défendu, maiscontenant tout ce qui peut rendre l'habitation facile.
Louis de France, duc d'Orléans, second fils de Charles V, né en 1371 etassassiné à Paris en novembre 1407, dans la rue Barbette, était grandamateur des arts. Ce prince rebâtit les châteaux de Pierrefonds, de laFerté-Milon, de Villers-Cotterets; fit exécuter des travauxconsidérables dans le château de Coucy, qu'il avait acquis de ladernière héritière des sires de Coucy. Louis d'Orléans fut le premierqui sut allier les dispositions défensives adoptées, à la fin du XIVesiècle, dans les demeures féodales, aux agréments d'une habitationseigneuriale. Les châteaux qu'il nous a laissés, et dont nous trouvonsle spécimen le plus complet à Pierrefonds, sont non-seulement demagnifiques demeures qui seraient encore très-habitables de nos jours,mais des places fortes de premier ordre, que l'artillerie déjàperfectionnée du XVIIe siècle put seule réduire.
Il est étrange que l'influence des princes de la branche cadette issuede Charles V sur les arts en France n'ait pas encore été constatée commeelle mérite de l'être. Les monuments laissés par Louis d'Orléans et parson fils Charles sont en avance de près d'un demi-siècle sur lemouvement des arts dans notre pays. Le château de Pierrefonds, commencéen 1400 et terminé avant la mort du premier des Valois, est encore uneplace forte du XIVe siècle, mais décorée avec le goût délicat deshabitations du temps de Charles VIII.
Le donjon de ce château contient les logis du seigneur, non plusrenfermés dans une tour cylindrique ou carrée, mais distribués demanière à présenter une demeure vaste, commode, pourvue des accessoiresexigés par une existence élégante et recherchée, en même temps qu'elleest une défense puissante parfaitement entendue, impossible à attaquerautrement que par des batteries de siége; or, au commencement du XVesiècle, on ne savait pas encore ce que c'était que l'artillerie desiége. Les bouches à feu étaient de petite dimension, portées encampagne sur des chevaux ou des chariots, et n'étaient guère employéesque contre la formidable gendarmerie de l'époque. Examinons lesdispositions du donjon de Pierrefonds, que nous avons déjà données dansle plan d'ensemble de ce château (voy. CHÂTEAU, fig. 24).
Le donjon de Pierrefonds (41)33 est voisin de l'entrée principale A duchâteau, et flanque cette entrée de façon à en interdire complétementl'approche. Il possède, en outre, une poterne B, très-relevée au-dessusdu sol extérieur. Ainsi remplit-il les conditions ordinaires quivoulaient que tout donjon eût deux issues, l'une apparente, l'autredérobée. La porte A du château, défendue par un pont-levis, des vantaux,un corps-de-gardea, une herse et une seconde porte barrée, avait,comme annexe obligée à cette époque, une poterne pour les piétons, avecson pont-levis particulierb et entrée détournée le long ducorps-de-garde; de plus, le couloir de la porte était enfilé par uneéchauguette posée sur le contre-fort C. Pour entrer dans le logis, ontrouvait un beau perron D avec deuxmontoirs (voy. MONTOIR, PERRON),puis un large escalier à vis E montant aux étages supérieurs. Une portebâtarde F donnait entrée dans le rez-de-chaussée voûté servant demagasin pour les approvisionnements. Par un degré assez large G, de cerez-de-chaussée on descend dans une cave peu spacieuse, mais disposéeavec des niches comme pour recevoir des vins de diverses sortes. Lesmurs de ce rez-de-chaussée, épais de trois à quatre mètres, sont percésde rares ouvertures, particulièrement du côté extérieur. Une petiteporte H, masquée dans l'angle rentrant de la tour carrée, permet depénétrer dans la salle voûtée I formant le rez-de-chaussée de cettetour, et de prendre un escalier à rampes droites montant seulement aupremier étage. Nous allons y revenir tout à l'heure. La poterne B, munied'une herse et de vantaux, surmontée de mâchicoulis qui règnent tout lelong de la courtine, a son seuil posé à sept mètres environ au-dessus dusol extérieur qui, à cet endroit, ne présente qu'un chemin de six mètresde largeur; puis, au-dessous de ce chemin, est un escarpement prononcé,inaccessible, au bas duquel passe une des rampes qui montaient auchâteau, rampe défendue par une traverse percée d'une porte; de l'autrecôté de la porte, commandant le vallon, est une motte faite à maind'hommes qui était certainement couronnée d'un ouvrage détruitaujourd'hui. De la poterne B, on pouvait donc, soit par une trémie, soitpar un pont volant, défendre la porte de la rampe du château, passerpar-dessus cette porte et arriver à l'ouvrage avancé qui commande levallon au loin. La poterne B servait ainsi de sortie à la garnison, pourprendre l'offensive contre un corps d'investissement, de porte desecours et d'approvisionnement. On observera que l'espace K est une courdont le sol est au-dessous du sol de la cour principale du château, etque, pour s'introduire dans cette cour principale, il faut passer parune seconde poterne L, dont le seuil est relevé au-dessus du sol K, etqui est défendue par une herse, des vantaux et des mâchicoulis aveccréneaux. L'escalier M, qui donne dans la chapelle N et dans la cour,monte de fond et permet d'arriver à la chambre de la herse.
En continuant à monter par cet escalier à vis, on arrive (42) au-dessusde la chambre de la herse, dans l'étage percé de mâchicoulis; traversantun couloir; on descend une rampe O, qui vous conduit au premier étage dela tour carrée, d'où on peut pénétrer dans les grandes pièces du logisprincipal, lesquelles se composent d'une vaste salle P, en communicationdirecte avec le grand escalier à vis E, de deux salons R avec logis Sau-dessus de la porte d'entrée, et des chambres prises dans les deuxgrosses tours défendant l'extérieur. En T sont des garde-robes, latrineset cabinets. On voit encore en place la belle cheminée qui chauffait lagrande salle P, bien éclairée par de grandes fenêtres à meneaux, avecdoubles traverses. Un second étage était à peu près pareil à celui-ci,au moins quant aux dispositions générales; l'un et l'autre ne sedéfendaient que par l'épaisseur des murs et les flanquements des tours.
Ce n'est qu'au troisième étage (43) que commencent à paraître lesdéfenses. À la base des grands pignons qui ferment les couvertures dulogis principal sont pratiqués des mâchicoulis avec crénelages enc etend. Les deux grosses tours rondes et la tour carrée continuent às'élever, se dégagent au-dessus des combles du logis, et sont toutestrois couronnées de mâchicoulis avec meurtrières et crénelages couverts;puis, au-dessus, d'un dernier parapet crénelé à ciel ouvert à la basedes toits. La tour carrée possède en outre sur ses trois contre-fortstrois échauguettes flanquantes. À la hauteur du second étage, encontinuant à gravir l'escalier M de la poterne, on trouve un parapetcrénelé au-dessus des mâchicoulis de cette poterne et une porte donnantentrée dans la tour carrée; de là on prend un petit escalier à vis V quimonte aux trois derniers étages de cette tour n'étant plus encommunication avec l'intérieur du gros logis. Cependant, de l'étage desmâchicoulis de la tour carrée, on peut prendre un escalier rampantau-dessus de la couverture des grands pignons crénelés du logisprincipal, et aller rejoindre les mâchicoulis de la grosse tour d'angle,de même que, par l'escalier de l'échauguette C, on peut, en gravissantles degrés derrière les pignons crénelés de ce côté, arriver auxmâchicoulis de la grosse tour proche l'entrée. Sur le front extérieur,ces deux tours sont mises en communication par un parapet crénelé à labase des combles. Des dégagements et garde-robes T, on descendait sur lechemin de ronde X de la grande courtine défendant l'extérieur avec sonéchauguette X' au-dessus de la poterne. Ce chemin de ronde était aussien communication avec les chemins de ronde inférieurs de la tour de lachapelle N. De la salle R ou de la tour R', on pouvait communiquerégalement aux défenses du château du côté sud par la pièce S située autroisième étage au-dessus de l'entrée en descendant l'escalier U.
Si l'on a suivi notre description avec quelque attention, il sera facilede comprendre les dispositions d'ensemble et de détail du donjon dePierrefonds, de se faire une idée exacte du programme rempli parl'architecte. Vastes magasins au rez-de-chaussée avec le moins d'issuespossible. Sur le dehors, du côté de l'entrée, qui est le plus favorableà l'attaque, énormes et massives tours pleines dans la hauteur du talus,et pouvant résister à la sape. Du côté de la poterne, courtine de gardetrès-épaisse et haute avec cour intérieure entre cette courtine et lelogis; seconde poterne pour passer de cette première cour dans la courprincipale. Comme surcroît de précaution, de ce côté, très-haute tourcarrée enfilant le logis sur deux de ses faces, commandant toute la courK et aussi les dehors, avec échauguettes au sommet flanquant les facesmêmes de la tour carrée. D'ailleurs, possibilité d'isoler les deux toursrondes et la tour carrée en fermant les étroits passages donnant dans lelogis, et de rendre ainsi la défense indépendante de l'habitation.Possibilité de communiquer d'une de ces tours aux deux autres par leschemins de ronde supérieurs, sans passer par les pièces destinées àl'habitation. Outre la porte du château et le grand escalier avecperron, issue particulière pour la tour carrée, soit par la petite portede l'angle rentrant, soit par l'escalier de la chapelle. Issueparticulière de la tour du coin par la courtine dans laquelle est percéela poterne et par les escaliers de la chapelle. Issue particulière de latour de la porte d'entrée par les salles situées au-dessus de cetteporte et l'escalier U qui descend de fond. Communication facile établieentre les tours et les défenses du château par les chemins de ronde.Logis d'habitation se défendant lui-même, soit du côté de la cour K,soit du côté de l'entrée du château, au moyen de crénelages etmâchicoulis à la base des pignons. Ce logis, bien protégé du côté dudehors, masqué, flanqué, n'ayant qu'une seule entrée pour lesappartements, celle du perron, et cette entrée, placée dans la courd'honneur, commandée par une des faces de la tour carrée. Impossibilitéà toute personne n'étant pas familière avec les distributions du logisde se reconnaître à travers ces passages, ces escaliers, ces détours,ces issues secrètes; et pour celui qui habite, facilité de se porterrapidement sur tous les points de la défense, soit du donjon lui-même,soit du château. Facilité de faire des sorties si l'on est attaqué.Facilité de recevoir des secours ou provisions par la poterne B, sanscraindre les surprises, puisque cette poterne s'ouvre dans une premièrecour qui est isolée, et ne donne dans la cour principale que par uneseconde poterne dont la herse et la porte barrée sont gardées par lesgens du donjon. Belles salles bien disposées, bien orientées, bienéclairées; appartements privés avec cabinets, dégagements et escaliersparticuliers pour le service. Certes, il y a loin du donjon de Coucy,qui n'est qu'une tour où chefs et soldats devaient vivre pêle-mêle, avecce dernier donjon, qui, encore aujourd'hui, serait une habitationagréable et commode; mais c'est que les moeurs féodales des seigneurs duXVe siècle ne ressemblaient guère à celles des châtelains ducommencement du XIIIe.
Nous complétons la série des plans du donjon de Pierrefonds par uneélévation géométrale de ce logis (44) prise du côté de la poterne sur laligne QZ des plans. En A, on voit la grosse tour du coin; en B, la tourcarrée; entre elles, les deux pignons crénelés des salles; en C est latour de la chapelle, dans laquelle les habitants du donjon pouvaient serendre directement en passant par la tour carrée et le petit escalier àvis marqué M sur les plans, sans mettre les pieds dehors. On voit lahaute courtine de garde, entre la grosse tour de coin et celle de lachapelle, qui masque la cour isolée R. Au milieu de cette courtine estla poterne relevée qui communiquait avec un ouvrage avancé en passantpar-dessus la porte D de la rampe extérieure du château. Commeconstruction, rien ne peut rivaliser avec le donjon de Pierrefonds; laperfection de l'appareil, de la taille, de la pose de toutes les assisesréglées et d'une épaisseur uniforme de 0,33 c. (un pied) entre lits, estfaite pour surprendre les personnes qui pratiquent l'art de bâtir. Dansces murs d'une hauteur peu ordinaire et inégaux d'épaisseur, nultassement, nulle déchirure; tout cela a été élevé par arasementsréguliers; des chaînages, on n'en trouve pas trace, et bien qu'on aitfait sauter les deux tours rondes par la mine, que les murs aient étésapés du haut en bas, cependant les parties encore debout semblent avoirété construites hier. Les matériaux sont excellents, bien choisis, etles mortiers d'une parfaite résistance34. Les traces nombreuses deboiseries, d'attaches de tentures que l'on aperçoit encore sur lesparois intérieures du donjon de Pierrefonds, indiquent assez que lesappartements du seigneur étaient richement décorés et meublés, et quecette résidence réunissait les avantages d'une place forte de premierordre à ceux d'une habitation plaisante située dans un charmant pays.L'habitude que nous avons des dispositions symétriques dans lesbâtiments depuis le XVIIe siècle fera paraître étranges, peut-être, lesirrégularités que l'on remarque dans le plan du donjon de Pierrefonds.Mais, comme nous le faisons observer à l'article CHÂTEAU, l'orientation,la vue, les exigences de la défense, exerçaient une influence majeuresur le tracé de ces plans. Ainsi, par exemple, le biais que l'onremarque dans le mur oriental du logis (biais qui est inaperçu enexécution) est évidemment imposé par le désir d'obtenir des jours sur ledehors d'un côté où la campagne présente de charmants points de vue, delaisser la place nécessaire au flanquement de la tour carrée, ainsi qu'àla poterne intérieure entre cette tour et la chapelle, la disposition duplateau ne permettant pas d'ailleurs de faire saillir davantage la tourcontenant cette chapelle. Le plan de la partie destinée aux appartementsest donné par les besoins mêmes de cette habitation, chaque piècen'ayant que la dimension nécessaire. En élévation, les différences dehauteurs des fractions du plan sont de même imposées par les nécessitésde la défense ou des distributions.
Il était peu de châteaux des XIVe et XVe siècles qui possédassent desdonjons aussi étendus, aussi beaux et aussi propres à loger un grandseigneur, que celui de Pierrefonds. La plupart des donjons de cetteépoque, bien que plus agréables à habiter que les donjons des XIIe etXIIIe siècles, ne se composent cependant que d'un corps de logis plus oumoins bien défendu. Nous trouvons un exemple de ces demeuresseigneuriales, sur une échelle réduite, dans la même contrée.
Le château de Véz relevait du château de Pierrefonds; il est situé nonloin de ce domaine, sur les limites de la forêt de Compiègne, près deMorienval, sur un plateau élevé qui domine les vallées de l'Automne etde Vandi. Sa situation militaire est excellente en ce qu'elle complèteau sud la ligne de défense des abords de la forêt, protégée par les deuxcours d'eau ci-dessus mentionnés, par le château même de Pierrefonds aunord-est, les défilés de la forêt de l'Aigle et de la rivière de l'Aisneau nord, par les plateaux de Champlieu et le bourg de Verberie àl'ouest, par le cours de l'Oise au nord-nord-ouest. Le château de Vézest un poste très-ancien, placé à l'extrémité d'un promontoire entredeux petites vallées. Louis d'Orléans dut le rebâtir presque entièrementlorsqu'il voulut prendre ses sûretés au nord de Paris, pour être en étatde résister aux prétentions du duc de Bourgogne, qui, de son côté, sefortifiait au sud du domaine royal. Véz n'est, comparativement àPierrefonds, qu'un poste défendu par une enceinte et un petit donjonmerveilleusement planté, bâti avec le plus grand soin, probablement parl'architecte du château de Pierrefonds35
Ce donjon (45) s'élève en A (voy. le plan d'ensemble), à l'angle formépar deux courtines, dont l'une, celle B, domine un escarpement B', etl'autre, C, flanquée extérieurement d'échauguettes, est séparée d'unebasse-cour ou baille E par un large fossé. Du côté G, le plateau descendrapidement vers une vallée profonde; aussi les deux courtines HH'sont-elles plus basses que les deux autres BC, et leur chemin de rondese trouve-t-il au niveau du plateau sur lequel s'élevait un logis K duXIIe siècle presque entièrement rebâti au commencement du XVe. Ce logis,en ruine aujourd'hui, était une charmante construction. La porte duchâteau, défendue par deux tours de petite dimension, est en I. On voitencore quelques restes des défenses de la baille E, mais convertiesaujourd'hui en murs de terrasses36. Le donjon est détaillé dans leplan du rez-de-chaussée X. Son entrée est en L, et consistait en uneétroite poterne avec pont à bascule37 donnant sur un large escalier àvis montant de fond. Chaque étage contenait deux pièces, l'une grande etl'autre plus petite, munies de cheminées et de réduits. En P est unpuits. On voit en F le fossé et en M l'entrée du château avec ses tourset son pont détourné. La courtine C est défendue par des échauguettesextérieures flanquantes O, tandis que la courtine B, qui n'avait guère àcraindre une attaque du dehors, à cause de l'escarpement, était protégéeà l'intérieur par des échauguettes flanquantes R. Par les tourelles SS',bâties aux deux extrémités des courtines élevées, on montait sur leschemins de ronde de ces courtines au moyen d'escaliers. En V était unepoterne descendant de la plate-forme sur l'escarpement. Quand on examinela situation du plateau, on s'explique parfaitement le plan du donjond'angle dont les faces extérieures enfilent les abords du château lesplus accessibles. Les tourelles d'angle montant de fond formentd'ailleurs un flanquement de second ordre, en prévision d'une attaquerapprochée.
La fig. 46, qui donne l'élévation perspective du donjon de Véz, prise del'intérieur de l'enceinte, fait voir la disposition des échauguettesflanquantes R de la courtine B, la poterne avec son petit fossé et sonpont à bascule, l'ouverture du puits, la disposition desmâchicoulis-latrines, le long de l'escalier, le sommet de l'escalierterminé par une tourelle servant de guette. Du premier étage du donjon,on communiquait aux chemins de ronde des deux courtines par de petitesportes bien défendues. Ainsi la garnison du donjon pouvait, en casd'attaque, se répandre promptement sur les deux courtines faisant faceaux deux fronts qui seuls étaient attaquables. Si l'un de ces fronts,celui C, était pris (c'est le plus faible à cause de la nature duterrain et du percement de la porte), les défenseurs pouvaient encoreconserver le second front B, rendu plus fort par les échauguettesintérieures R (voy. les plans); s'ils ne pouvaient garder ce secondfront, ils rentraient dans le donjon et de là reprenaient l'offensive oucapitulaient à loisir. Dans un poste si bien disposé, une garnison decinquante hommes arrêtait facilement un corps d'armée pendant plusieursjours; et il faut dire que l'assaillant, entouré de ravins, de petitscours d'eau et de forêts, arrêté sur un pareil terrain, avaitgrand'peine à se garder contre un corps de secours. Or le château de Vézn'était autre chose qu'un fort destiné à conserver un point d'une grandeligne de défenses très-bien choisie. Peut-être n'a-t-on pas encore assezobservé la corrélation qui existe presque toujours, au moyen âge, entreles diverses forteresses d'un territoire; on les étudie isolément, maison ne se rend pas compte généralement de leur importance et de leurutilité relative. À ce point de vue, il nous paraît que lesfortifications du moyen âge ouvrent aux études un champ nouveau.
Telle est l'influence persistante des traditions, même aux époques où ona la prétention de s'y soustraire, que nous voyons les derniers vestigesdu donjon féodal pénétrer jusque dans les châteaux bâtis pendant leXVIIe siècle, alors que l'on ne songeait plus aux demeures fortifiéesdes châtelains féodaux. La plupart de nos châteaux des XVIe et XVIIesiècles conservent encore, au centre des corps de logis, un grospavillon, qui certes n'était pas une importation étrangère, mais bienplutôt un dernier souvenir du donjon du moyen âge. Nous retrouvonsencore ce logis dominant à Chambord, à Saint-Germain-en-Laye, auxTuileries, et plus tard aux châteaux de Richelieu en Poitou, de Maisons,de Vaux près Paris, de Coulommiers, etc.
Note 15:(retour) Jusqu'à présent on ne s'est guère occupé, dans le monde archéologique, que de l'architecture religieuse ou de l'architecture civile; cependant l'architecture féodale, dont le donjon est l'expression la plus saisissante, est supérieure, à notre avis, à tout ce que l'art du constructeur a produit au moyen âge.
Note 33:(retour) On remarquera, entre ce plan et celui donné dans l'ensemble du château, quelques différences de détail, résultat des déblais exécutés en 1858 et 1859 dans ce domaine, d'après les ordres de l'Empereur. Ces déblais ont mis au jour certaines parties inférieures des bâtiments dont on ne pouvait prendre qu'une idée très-incomplète. Le plan que nous donnons aujourd'hui peut être regardé comme parfaitement exact.
Note 34:(retour) L'Empereur Napoléon III a reconnu l'importance des ruines de Pierrefonds, au point de vue de l'histoire et des arts. Le donjon reprendra son ancien aspect; déjà la partie de la tour carrée qui avait été jetée bas est remontée; nous pourrons voir bientôt le plus beau spécimen de l'architecture féodale du XVe siècle en France renaître sous l'auguste volonté du souverain. Nous n'avons que trop de ruines dans notre pays, et nous en apprécions difficilement la valeur. Le château de Pierrefonds, rétabli en partie, fera connaître cet art à la fois civil et militaire qui, de Charles V à Louis XI, était supérieur à tout ce que l'on faisait alors en Europe.
DORMANT, s. m. (Bâtis-dormant). C'est le nom que l'on donne au châssisfixe, en menuiserie, sur lequel est ferrée une porte ou une croisée.Dans les premiers temps du moyen âge, les portes et fenêtres étaientferrées dans les feuillures en pierre sans dormants; mais ce moyenprimitif, tradition de l'antiquité, avait l'inconvénient de laisserpasser l'air par ces feuillures et de rendre les intérieurs très-froidsen hiver. Lorsque les habitudes de la vie ordinaire commencèrent àdevenir plus molles, on prétendit avoir des pièces bien closes, et onferra les portes et croisées sur des dormants ou bâtis-dormants en bois,scellés au fond des feuillures réservées dans la pierre. Les dormantsn'apparaissent dans l'architecture privée que vers le XVe siècle.
DORTOIR, s. m.Dortouoir. Naturellement, les dortoirs occupent, dansles anciens établissements religieux, une place importante. Ils sont leplus souvent bâtis dans le prolongement de l'un des bras du transsept del'église, de manière à mettre les religieux en communication facile avecle choeur, et sans sortir dans les cloîtres, pour les offices de nuit.Quand la saison était rude ou le temps mauvais, les religieuxdescendaient à couvert dans le transsept et de là se répandaient dans lechoeur. Les dortoirs sont établis au premier étage, sur des celliers, oudes services du couvent qui ne peuvent donner ni odeur, ni humidité, nitrop de chaleur. Les dortoirs des monastères sont ordinairement diviséslongitudinalement par une rangée de colonnes formant deux nefs voûtéesou tout au moins lambrissées; ils prennent du jour et de l'air à l'ouestet à l'est, par suite de la position du bâtiment imposée parl'orientation invariable de l'église. Les grandes abbayes possédaientdes dortoirs bâtis avec magnificence et présentant un aspect vraimentmonumental. La science moderne a reconnu qu'il fallait pour chaquedormeur, pendant le temps du sommeil, 32m cubes d'air respirable aumoins. Les poumons des moines des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, pouvaientconsommer un beaucoup plus volumineux cube d'air, si bon leur semblait,et encore se levaient-ils à minuit passé, pour chanter matines.
Lebeuf38 décrit ainsi le dortoir des religieux de l'abbaye duVal-Notre-Dame, dépendant du doyenné de Montmorency: «Le réfectoir estun assez petit quarré; il est au-dessous du dortoir, qui est très-clair,et dont la voûte est soutenue par des colonnes ou piliers anciensdélicatement travaillés, ainsi qu'on en voit dans plusieurs autresdortoirs de l'ordre de Cîteaux construits au XIIIe siècle ou au XIVe.»Il ne faut pas croire que les dortoirs des religieux fussent disposéscomme les dortoirs de nos casernes ou de nos lycées. Ces grandes sallesétaient divisées, au moyen de cloisons peu élevées, en autant decellules qu'il y avait de religieux; ces cellules ou stalles contenaientun lit et les meubles les plus indispensables; elles devaient resterouvertes, ou fermées seulement par une courtine.
Au XVIe siècle, tous les ordres religieux voulurent avoir des cellulesou chambres particulières pour chaque moine, ainsi que cela se pratiquedans nos séminaires. Les mêmes habitudes furent observées dans lescouvents de femmes. Dès le XIIe siècle cependant, les clunisiens, quiétaient des gens aimant leurs aises, avaient déjà établi des chambres oucellules distinctes pour chaque religieux, et parfois même ces cellulesétaient richement meublées. Pierre le Vénérable s'en plaignait de sontemps, et saint Bernard s'élevait avec son énergie habituelle contre cesabus qu'il regardait comme opposés à l'humilité monastique. Aussi lespremiers dortoirs des cisterciens semblent avoir été des salles communesgarnies de lits, mais sans séparations entre eux.
Voici (1) l'aspect extérieur d'un de ces dortoirs communs: c'est ledortoir du monastère de Chelles (abbaye de femmes); il avait étéconstruit au commencement du XIIIe siècle39; le rez-de-chaussée étaitoccupé par des celliers et un chauffoir; une épine de colonnessupportait la charpente formant deux berceaux lambrissés avec entraitsapparents. Dans l'article ARCHITECTURE MONASTIQUE, nous avons eul'occasion de donner un certain nombre de ces bâtiments; il paraîtinutile de s'étendre ici sur leurs dispositions générales, leur forme etles détails de leur architecture fort simple, mais parfaitementappropriée à l'objet. Ainsi, par exemple, les fenêtres étaienthabituellement composées d'une partie supérieure dormante, percéesurtout pour éclairer la salle, et d'une partie inférieure pouvants'ouvrir pour l'aérer (voy. FENÊTRE). Si les religieux possédaientchacun une chambre, on n'en donnait pas moins le nom dedortoir aubâtiment ou à l'étage qui les contenait, et particulièrement au largecouloir central qui donnait entrée à droite et à gauche dans chaquecellule. Cependant il existait encore, au XVIe siècle, des dortoirs decouvents de femmes disposés comme leschambrées de nos casernes,c'est-à-dire consistant en plusieurs grandes chambres contenant chacunequelques lits. Nous en trouvons la preuve dans lePantagruel deRabelais40. «Mais, dist l'abbesse, meschante que tu es, pourquoy nefaisois-tu signe à tes voisines de chambre?»
DOSSERET, s. m. C'est un bout de mur en retour d'équerre sur un autre,portant un linteau de porte ou un arc. AA (1) sont les dosserets d'unebaie.
DOUELLE, s. f. C'est le parement intérieur d'un arc, qu'on désigne aussisous le nom d'intrados. Dans une voûte, chaque claveau possède sadouelle. A est la douelle du claveau représenté fig. 1.
ÉBRASEMENT, s. m. Indique l'ouverture comprise entre le tableau d'unefenêtre et le parement du mur intérieur d'une salle. L'ébrasements'élargit du dehors au dedans, afin de faciliter l'introduction du jouret aussi de dégager les vantaux d'une croisée ouvrante (voy. FENÊTRE).
ÉCAILLES, s. f. S'emploie seulement au pluriel, et désigne une sorted'ornementation fort usitée dans les édifices, au moyen âge, pourdécorer des rampants de contre-forts, des talus de chéneaux, descouronnements de pinacles, des flèches en pierre, etc. Les écailles sontévidemment une imitation de la couverture en bardeaux de bois ouessentes (voy. BARDEAU); aussi est-ce particulièrement dans lesprovinces où cette sorte de couverture était employée, c'est-à-dire enNormandie, en Picardie, dans le Soissonnais et dans l'Île-de-France, queles écailles apparaissent sur les constructions de pierre à dater duXIIe siècle. En Normandie même, il n'est pas rare, dès le commencementde ce siècle, de voir certains parements verticaux, des fondsd'arcatures aveugles, par exemple, décorés d'écailles sculptées sur lapierre et présentant une très-faible saillie. C'était un moyen dedistinguer ces fonds au milieu des parties solides de la construction,de les colorer, pour ainsi dire, et de les rendre moins lourds enapparence. Les bas-reliefs des XIe et XIIe siècles, dans lesquels sontfigurés des édifices, montrent souvent les parements de ces édificesainsi décorés. Nous en avons donné un exemple remarquable à l'articleARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 47, et provenant d'un chapiteau del'église de Saint-Sauveur de Nevers. La curieuse église de Thaon, prèsde Caen, nous montre une partie de ses parements extérieurs décorésd'écailles de forme carrée, rappelant ces revêtements en bardeaux sifort en usage dans les constructions privées construites enpans-de-bois. Ces écailles sont quelquefois superposées ou le plussouvent contrariées, c'est-à-dire pleins sur vides, ainsi que l'indiquela fig. 1.
En divisant l'eau de pluie qui fouette sur les parements, enéloignant l'humidité des joints et lui donnant un écoulement, cesécailles, outre leur effet décoratif, ont encore l'avantage de conserverles ravalements extérieurs. Si cet effet est sensible sur les parementsverticaux, à plus forte raison l'est-il sur les surfaces inclinées, surles talus directement exposés à la pluie. Sur les surfaces inclinéesélevées en pierre, toute saillie propre, par sa forme, à diriger leseaux est éminemment favorable à la conservation de la maçonnerie, enévitant l'imbibition uniforme de la pluie. Que les architectes du XIIesiècle aient fait cette expérience ou qu'ils aient simplement eu en vuela décoration des surfaces inclinées (décoration logique d'ailleurs,puisqu'elle rappelait une couverture en tuiles ou en bardeaux), toujoursest-il que ces architectes ont adopté les écailles sculptées sur lapierre pour toute surface en talus.
Les formes les plus anciennes données à ces écailles présentent unesuite de carrés ou de billettes, comme la figure ci-dessus, ou de petitsarcs plein cintre et brisés, ainsi que l'indique la fig. 241. Il fautobserver que chaque rang d'écailles est toujours pris dans une hauteurd'assises, les joints verticaux étant placés au milieu des vides laissésentre les écailles. L'eau pluviale tombant de A en B est conduite par lataille de la pierre le long des deux arêtes AC, BC; en C, elle s'égoutte,arrive à l'extrémité D, et ainsi successivement jusqu'à la corniche. Lesparties les plus humectées sont donc toujours les arêtes des écailles;mais, par leur saillie même, ces arêtes sèchent plus facilement que lesparements unis; l'humidité demeure donc moins longtemps sous lesparements: c'est là tout le secret de la conservation de ces surfacescouvertes d'écailles. Les ombres fines et les lumières qui se jouent surces petites surfaces découpées donnent de la légèreté et de l'éléganceaux couronnements; aussi les architectes ont-ils usé de ce moyen àl'époque de la renaissance. Nous ne pouvons prétendre donner tous lesexemples d'écailles taillées sur parements; nous nous contenteronsd'indiquer les principaux.
À la fin du XIIe siècle, les écailles, particulièrement dans lesédifices de la Normandie et de l'Île-de-France, affectent la forme depetits arcs brisés avec partie droite, ainsi que l'indique la fig. 3.Jusqu'alors les écailles sont peu saillantes et présentent un reliefégal dans toute leur longueur. Mais dans les grands monuments construitsau commencement du XIIIe siècle, il fallait obtenir des effets prononcésdans l'exécution de détails d'une aussi petite échelle; aussivoyons-nous, en Picardie, par exemple, sur les pyramides qui surmontentles escaliers des deux tours de la façade de la cathédrale d'Amiens, desécailles d'un puissant relief et d'une forme évidemment destinée àproduire un grand effet à distance (4).
Jamais, dans l'Île-de-France,les architectes n'ont ainsi exagéré l'importance de détails qui, aprèstout, ne doivent pas détruire la tranquilité de surfaces planes et nesont pas faits pour lutter avec la sculpture. Cependant parfois lesécailles taillées sur les édifices de la première moitié du XIIIesiècle, dans l'Île-de-France, présentent plus de saillie à leurextrémité inférieure qu'à leur sommet; leur forme la plus générale estcelle présentée dans la fig. 5. Dans ce cas, les écailles sont évidéessuivant le profil A ou suivant le profil B. Les écailles fortementdétachées à leur extrémité inférieure, conformément au profil A,appartiennent plutôt aux flèches des clochers, c'est-à-dire qu'ellessont placées à une grande hauteur. Sur les rampants des contre-forts,leur saillie est égale dans toute leur longueur.
Au XIVe siècle, les écailles se rapprochent davantage de la forme desbardeaux; elles se touchent presque, ont leurs deux côtés parallèles,sont allongées et terminées par des angles abattus (6). Les pinacles descontre-forts du choeur de la cathédrale de Paris (XIVe siècle) et ceuxdu choeur de l'église d'Eu (XVe siècle) sont couverts d'écaillestaillées suivant cette forme.
Les écailles appartenant aux monuments construits dans des provinces oùles couvertures en pierre ont été adoptées dès l'époque romane, commedans le midi de la France et dans l'ouest, ne sont pas disposées commedes bardeaux de couvertures en bois; elles sont retournées, de façon àlaisser entre chacune d'elles comme autant de petits canaux propres àéloigner les eaux des joints verticaux (voyez ce que nous disons àpropos de ces sortes d'écailles, à l'article CLOCHER, fig. 14 et 15).
ÉCHAFAUD, s. m.Chaffaud. Dans l'art de bâtir on entend paréchafaudl'oeuvre de charpente provisoirement établie pour permettre d'élever lesmaçonneries. Les échafauds sont adhérents à la construction qu'on élèveou en sont indépendants. Les constructions du moyen âge, ainsi que lesconstructions romaines, étaient montées au moyen d'échafauds tenant à lamaçonnerie, et qu'on posait en élevant celle-ci. À cet effet, onréservait dans les murs soit en brique, soit en moellon, soit en pierre,des trous de 0,15 c. de côté environ, profonds, et dans lesquels onengageait des chevrons ou des rondins en bascule que l'on soulageait àleur extrémité opposée par des pièces de bois verticales. Ces chevronsou rondins engagés sont lesboulins, et les trous réservés pour lesrecevoir s'appellenttrous de boulins; les pièces de bois verticalessont désignées sous le nom d'échasses. Les architectes du moyen âgeélevaient ainsi leurs plus grands édifices au moyen de boulins etd'échasses d'un médiocre équarrissage. Sur ces boulins, placés à desdistances assez rapprochées, on posait des planches,plateaux,plabords, sur lesquels se tenaient les ouvriers; ces planchers, plusou moins larges, suivant le besoin, se répétaient de six pieds en sixpieds au plus; afin de rendre chaque partie de la constructionaccessible aux travailleurs. Les matériaux de gros volume n'étaientjamais montés sur ces planchers ouponts, mais sur les murs eux-mêmes,au moyen d'engins placés sur le sol correspondant à des grues ou chèvreshaubannées sur la construction même. D'ailleurs, presque toujours, lesmatériaux étaient montés par l'intérieur, bardés sur les murs, posés etjointoyés par les ouvriers circulant sur ces murs mêmes ou sur leséchafauds.
L'échafaud d'un édifice romain ou du moyen âge montait donc en mêmetemps que la construction. Les constructeurs de ces temps reculés nefaisaient certainement pas de grands frais d'échafaudages. Ilslaissaient les trous de boulins apparents sur les parements, ne sedonnant pas la peine de les boucher à mesure qu'ils démontaient leséchafauds lorsque la construction était terminée. Alors on neravalaitpas les édifices; chaque pierre était posée toute taillée, et il n'yavait plus à y toucher; donc le jour où la dernière pierre était mise enplace, l'édifice était achevé, et l'échafaud pouvait être enlevé. Ilfaut observer aussi que les grands édifices gothiques présentent desretraites prononcées à différentes hauteurs, ce qui permettait dereprendre sur chacune de ces retraites un système d'échafaudage, sansqu'il fût nécessaire de porter les échafauds de fond. Cependant il esttels édifices, comme les tours de défense, par exemple, qui s'élèventverticalement à une grande hauteur sans ressauts, sans retraite aucune.Il est intéressant d'étudier comment ont été montées ces énormesbâtisses.
La construction du donjon de Coucy, qui présente un cylindre dont lesparois verticales ont 60 mètres d'élévation, n'a exigé qu'un échafaudageextrêmement simple, échafaudage qui avait encore le mérite d'éviter lesmontages lents obtenus par des engins. On remarque sur la surface del'énorme cylindre, à l'extérieur, une suite de trous de boulins disposésen spirale et formant, à cause de la largeur extraordinaire du diamètre,une pente assez douce. Ces trous de boulins, espacés de quatre en quatremètres environ, sont doubles, c'est-à-dire qu'ils présentent deuxspirales, ainsi que le fait voir la fig. 1.
Au moyen de chevrons engagésdans les trous A supérieurs et soulagés par des liens portant dans lestrous B inférieurs, le constructeur établissait ainsi, en même tempsqu'il élevait sa bâtisse, un chemin en spirale dont l'inclinaison peuprononcée permettait de monter tous les matériaux sur de petits chariotstirés par des hommes ou au moyen de treuils placés de distance endistance.
La fig. 2 fera comprendre cette opération. Les maçons etposeurs avaient le soin d'araser toujours la construction sur tout lepourtour du donjon, comme on le voit ici, et, sur cet arasement, ilscirculaient et bardaient leurs pierres. Afin de poser les parementsextérieurs verticalement (parements taillés à l'avance sur le chantier),il suffisait d'un fil-à-plomb et d'un rayon de bois tournanthorizontalement sur un arbre vertical planté au centre de la tour.Aujourd'hui, nos maçons procèdent de la même manière lorsqu'ils élèventces grandes cheminées en brique de nos usines, de l'intérieur du tuyau,sans échafaudage. L'échafaud dont la trace existe sur les parois dudonjon de Coucy n'est réellement qu'un chemin de bardage, et ce cheminpouvait être fort large, ainsi que le démontre la fig. 3, donnant une deses fermes engagées.
En A et B sont les deux trous espacés de 1m,80; aumoyen des deux moises C étreignant les poutrelles à leur sortie destrous, on pouvait avoir deux liens EF, le second formant croix deSaint-André avec une contre-fiche G. La tête du lien F et le pied de lacontre-fiche G s'assemblaient dans un potelet H, moisé à son extrémitéinférieure avec la poutrelle B. Un lien extrême K, assemblé dans le piedde cette poutrelle B, soulageait l'extrémité de la poutrelle supérieureA. Il était ainsi facile d'avoir un chemin de 5m,30 de largeur, noncompris un garde-corps. Ces fermettes recevaient des solives quiportaient les madriers posés en travers de manière à présenter unobstacle au glissement des chariots. Il eût fallu un poids énorme pourrompre des fermettes ainsi combinées, bien qu'elles ne fussentmaintenues dans la muraille que par deux scellements. Non-seulement lacombinaison de ces fermettes ne leur permettait pas de quitter lesscellements; mais, étant réunies par des solives formant une suite depolygones autour du cylindre, elles étaient toujours bridées contre lamuraille.
Dans les provinces où l'on bâtit encore sans faire de ravalements aprèsla pose, on a conservé ces moyens primitifs d'échafaudages. Leséchafauds ne se composent que de boulins engagés dans des trous ménagésen construisant et d'échasses, les boulins étant liés aux échasses pardes cordelettes. À Paris même ces traditions se sont conservées, et nosLimousins déploient une habileté singulière dans la combinaison de ceslégers échafaudages composés de brins de bois qui n'ont guère que 0,10c. de diamètre en moyenne.
En Bourgogne et en Champagne (pays de bois), nous avons vu souventemployer des échafauds en potence taillés conformément au tracéperspectif (4). La partie A de la poutrelle horizontale AB est engagéedans le trou de boulin; cette poutrelle est entaillée en C au ras dumur, ainsi que l'indique le détail C'. Deux jambettes DD, assemblées àla tête à mi-bois, entrent dans cette entaille C, et, s'appuyant le longdu mur, sont reliées entre elles par l'entre-toise E. Deux liens GG,assemblés dans le pied de ces jambettes, vont soutenir, au moyen de deuxjoints-à-paume, l'extrémité de la pièce horizontale AB. C'est unepotence avec deux liens qui empêchent la poutrelle horizontale defléchir à droite ou à gauche sous la charge et la maintiennent rigide.
Il n'est pas douteux que les charpentiers du moyen âge, qui étaient fortingénieux, ne fissent, dans certains cas, des échafauds en charpente,indépendants de la construction, échafauds montant de fond ou suspendus.Nous ne pouvons avoir une idée de ces échafauds que par les traces deleurs scellements encore existantes sur les monuments. Il arrive, parexemple, qu'au-dessus d'un étage de bâtiment disposé de telle façon quel'on ne pouvait établir des échafauds de fond, on aperçoit des trouscarrés de 0,30 c. sur 0,33 c., perçant la muraille de part en part, etespacés de manière à laisser entre eux la longueur d'une solive;au-dessus de ces larges trous bien faits, on remarque d'autres petitstrous de boulins de 0,10 c. sur 0,10 c. environ et ne traversant pas lamaçonnerie. Ceci nous indique la pose d'un échafaud disposé commel'indique la fig. 5. AB est l'épaisseur du mur; les poutrelles C letraversaient de part en part et étaient armées, à l'intérieur, d'uneforte clef moisée D; deux moises E verticales pinçaient la poutrelle auras du mur sur le parement extérieur; dans ces moises s'assemblaientdeux liens F réunis à mi-bois qui venaient soulager la poutrelle en G etH. Sur cette pièce, rendue rigide, on élevait alors les échafaudages enéchasses I et boulins K, avec contre-fiches L, les boulins étant retenusau moyen de calles de bois dans les trous laissés sur les parementsextérieurs. Un pareil échafaud présentait toute la solidité d'unecharpente montant de fond.
La hauteur excessive de certains édifices gothiques, et notamment destours des églises surmontées de flèches en pierre, était telle qu'on nepouvait songer à élever ces constructions au moyen d'échafauds montantde fond, car l'établissement de ces échafaudages eût absorbé des sommesconsidérables, et ils auraient eu le temps de pourrir dix fois pendantle travail des maçons. On élevait les soubassements avec des échasses etdes boulins; on profitait des retraites ménagées avec soin dans cessortes de constructions pour prendre des points d'appui nouveauxau-dessus du sol; puis, arrivé à la hauteur des plates-formes ougaleries d'où les tours s'élèvent indépendantes, on déchafaudait lesparties inférieures pour monter les charpentes nécessaires à laconstruction de ces tours. Les baies de ces tours étaient alors d'ungrand secours pour poser des échafauds solides, propres à résister à laviolence du vent et à toutes les causes de dégradations qui augmententdu moment qu'on s'élève beaucoup au-dessus du sol.
Pour peu que l'on examine avec soin les constructions gothiques, ondemeure persuadé que les architectes chargés de les élever ont souventmanqué de ressources en rapport avec la nature et l'importance de cesbâtisses. Ils devaient donc être fort avares d'échafaudages, lesquelscoûtent fort cher et ne représentent rien, du moment que l'édifice estachevé. Au-dessus d'une certaine hauteur, on reconnaît encore, par laposition des trous d'échafauds, que ceux-ci étaient suspendus. Suspendreun échafaud à un monument existant ne demande pas des combinaisons biensavantes; mais suspendre un échafaud pour élever un édifice, avant quecet édifice ne soit construit, c'est un problème qui paraît difficile àrésoudre: on sait que les difficultés matérielles n'arrêtaient pas lesarchitectes gothiques.
Habituellement les tours des grandes églises sont, dans leur partiesupérieure, à la hauteur des beffrois, sous les flèches, percées, surchaque face, de doubles baies étroites et longues. Les angles sontrenforcés de contre-forts terminés par des pinacles; mais dans lesangles rentrants formés par ces contre-forts, et suivant les diagonalesdu carré sur lequel le plan de ces tours est tracé, on remarque presquetoujours, à la base des beffrois, des trous plus ou moins grands etquelquefois des repos. Au-dessus de la partie verticale des tours, à labase des flèches qui s'élèvent sur plan octogonal, on voit, sur les huitfaces, des lucarnes, des issues plus ou moins larges, mais étroites etlongues. Ces dispositions nous conduisent à admettre que les échafaudsdestinés à élever les parties supérieures et dégagées des toursd'églises étaient suspendus, c'est-à-dire qu'ils laissaient la partieinférieure des façades complétement libre.
Partant de ce principe, soitA (6) le plan d'une tour de façade d'une grande église à la base dubeffroi, et B le plan de cette tour à la base de la flèche en pierre quila couronne. Ayant deux baies sur chacune des faces du beffroi, nousdisposons à travers ces baies des fermes d'échafauds se croisant en G etse rapprochant le plus possible des contre-forts d'angles. En élévation,chacune de ces fermes donne le tracé F; les quatre poteaux G montentd'une seule pièce ou sont entés (en raison de la hauteur du beffroi) deE en H; de H en K est un chapeau qui traverse d'une baie à l'autre. Lesdeux liens IL assemblés à mi-bois soulagent puissamment ces chapeaux. Dupoint M pendent de doubles moises inclinées MN, qui portent l'extrémitéde la pièce horizontale NO posant sur l'appui des baies; des moiseshorizontales P, serrant tout le système intérieur et se réunissant àleur extrémité extérieure pour être pincées à leur tour par les grandesmoises inclinées MN, composent autant de planchers pour les maçons.Ainsi, avant que la tour ne soit élevée, cet échafaud suspendu peut êtreétabli. La construction arasée au niveau des chapeaux HK, nous posonssur les premiers poteaux G d'autres poteaux G', d'autres chapeaux RS,d'autres liens TV, puis des moises doubles X qui suspendent encorel'extrémité des premiers chapeaux et les ponts intermédiaires. Onremarquera que les seconds chapeaux RS et les liens T passent à traversla flèche en pierre dans des trous ménagés exprès, bouchés après coup oumême laissés apparents. Des lucarnes sur les quatre faces de la flèche,parallèles à celles de la tour, partent des pièces en gousset empêchantle hiement de l'échafaudage. Les huit baies du beffroi permettent doncainsi de sortir, au dehors de la construction, des échafauds saillants,sur lesquels on peut établir des ponts. Restent les angles à échafauder.Pour ce faire, nous avons un grand poteau centralab, un repos encdans l'angle rentrant, et un trou réservé end suivant la diagonale ducarré (voy. le tracé J sur la diagonale UZ du plan); cela suffit. Leschapeauxef, passant à travers ces trous, reposent sur les poteaux Get le poteau central, sont soulagés par les grands liensil; deuxmoises pendantesno suspendent les ponts intermédiaires. Arasés auniveauef, nous retrouvons la continuation du poteau central et despoteaux G; nous assemblons le second chapeaupq, les liensrs qui lesoulagent en passant à travers les lucarnes de la flèche; nous disposonsles moises pendantestv, et nous réunissons ces pièces diagonales avecles pièces parallèles au moyen de solives horizontales, qui font, àdifférentes hauteurs, tout le tour du clocher. La construction terminée,tous ces échafaudages sont facilement déposés par l'intérieur.
À voir les dispositions encore existantes à l'extérieur des grandsédifices du moyen âge, il est certain que les échafauds suspendusétaient alors fort usités. Pendant les XIVe et XVe siècles, on rhabillabeaucoup de monuments d'une époque antérieure, soit parce que leursparements étaient dégradés, soit parce qu'on voulait les mettre enharmonie avec les formes nouvelles. Dans le cas de reprises ou derestaurations extérieures, ces échafauds étaient très-utiles en cequ'ils n'embarrassaient pas les rez-de-chaussée et qu'ils coûtaientmoins cher que des charpentes montant de fond. Les charpentiersétablissaient une suite de ponts principaux (7), au moyen de poutres Aengagées dans la maçonnerie, dont la bascule était maintenue par degrands liens B et par des moises pendantes C. Si l'espace qu'il fallaitlaisser entre chaque armature était trop large pour poser de l'une àl'autre des solives simples, on établissait d'une poutre à l'autre desfermes pendantes D, dont la disposition est détaillée dans le tracéperspectif (8). Les boutsab sont engagés dans le mur; les moisespendantes sont indiquées en M, les entre-toises armées en E. Desplats-bords P, portant sur ces entre-toises, composaient les pontsprincipaux sur lesquels on pouvait barder les matériaux. Suivant laméthode employée par les charpentiers du moyen âge, les moises étaientserrées au moyen de clefs de bois, sans qu'il fût besoin de boulons etde ferrements. Dans les échafauds, comme dans toutes les constructionsde cette époque, on cherchait à économiser les matériaux, et on ne sepréoccupait pas de la main-d'oeuvre. De notre temps, nous voyons fairedes échafauds simplement et solidement combinés; cependant il faut direque les architectes abandonnent trop facilement la direction de cetaccessoire nécessaire à toute construction importante: un peu d'étude etd'attention de leur part éviteraient bien des dépenses inutiles, et,grâce au déplorable système des adjudications, nous sommes souventobligés d'employer des entrepreneurs de charpente qui sont hors d'étatde trouver les moyens les plus propres à élever des échafauds solides enemployant peu de bois. Un échafaud bien fait est cependant une desparties de l'art du constructeur qui accuse le mieux son intelligence etsa bonne direction. On peut juger la science réelle du constructeur à lamanière dont il dispose ses échafauds.
Les échafauds bien établis fontgagner du temps aux ouvriers, leur donnent de la confiance, les obligentà plus de régularité, de méthode et de soin; s'ils sont massifs, s'ilsemploient le bois avec profusion, les ouvriers savent parfaitement lereconnaître; ils jugent sur ce travail provisoire du degré deconnaissances pratiques de leur chef et ne lui savent aucun gré de cetabus de moyens. Si, au contraire, des maçons sont appelés à travaillersur des échafauds hardis, légers en apparence, mais dont quelques joursd'épreuve suffisent pour reconnaître la solidité, ils apprécient bienvite ces qualités et comprennent que, dans l'oeuvre, ce qu'on exigerad'eux, c'est du soin, de la précision, que l'on ne se contentera pasd'à-peu-près. Dans les restaurations d'anciens édifices, les échafaudsdemandent chez l'architecte une grande fertilité de combinaisons; on nesaurait donc trop attirer leur attention sur cette étude: l'économie,l'ordre dans le travail, et, plus que tout cela, la vie des ouvriers endépendent.
ÉCHAUGUETTE, s. f.Eschauguette,eschargaite,escargaite,eschegaite,esgaritte,garite. Échauguette, au moyen âge,désignait la sentinelle.
Aussi la garde, le poste:
«Par l'escargaite Droom le Poitevin,
Le fil le roi en laissa fors issir44.»
On disaitescargaiter pour garder, épier:
«L'ost escargaïte Salemon li Senés45.»
Pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles, dans le nord de la France, lespetites loges destinées aux sentinelles, sur les tours et les courtines,sont appelées indifféremmentgarites,escharguettes,pionnelles,esgarittes,maisoncelles,centinelles ousentinelles,hobettes46. Ainsi le poste prend le nom de la qualité de ceux qu'ilrenferme.
Dans les plus anciennes fortifications du moyen âge, il y avait deséchauguettes. Il est à croire que ces premières échauguettes étaient enbois, comme les hourds, et qu'on les posait en temps de guerre. Tous lescouronnements de forteresses antérieures au XIIe siècle étant détruits,nous ne pouvons donner une idée de la forme exacte de ces échauguettesprimitives; lorsqu'elles ne consistaient pas seulement en petites logesde bois, mais si elles étaient construites en maçonnerie, ce n'étaientque de petits pavillons carrés ou cylindriques couronnant les angles desdéfenses principales, comme ceux que nous avons figurés au sommet dudonjon du château d'Arques (voy. DONJON, fig. 7, 8 et 9). Les premièreséchauguettes permanentes dont nous trouvons des exemples ne sont pasantérieures au XIIe siècle; alors on les prodiguait sur les défenses;elles sont ou fermées, couvertes et munies même de cheminées, ou neprésentent qu'une saillie sur un angle, le long d'une courtine, demanière à offrir un petit flanquement destiné à faciliter lasurveillance, à poser une sentinelle, une guette. C'étaitparticulièrement dans le voisinage des portes, aux angles des grosouvrages, au sommet des donjons, que l'on construisait des échauguettes.
Nous voyons quatre belles échauguettes couronnant le donjon de Provins(voy. DONJON, fig. 27 et suivantes); celles-ci étaient couvertes et nepouvaient contenir chacune qu'un homme. Quelquefois l'échauguette est unpetit poste clos capable de renfermer deux ou trois soldats, comme uncorps de garde supérieur. Au sommet du donjon de Chambois (Orne), ilexiste encore une de ces échauguettes, du XIIIe siècle, au-dessus de lacage de l'escalier du XIIe.
Voici (1) l'aspect intérieur de ce poste, qui peut contenir quatrehommes. Il est voûté et surmonté d'un terrasson autrefois crénelé. Unepetite fenêtre donnant sur la campagne l'éclaire; une cheminée permet dele chauffer; à droite de la cheminée est la tablette destinée à recevoirune lampe. Les gens du poste pouvaient facilement monter sur leterrasson supérieur pour voir ce qui se passait au loin. Ces grandeséchauguettes à deux étages sont assez communes; il est à croire qu'entemps de guerre les soldats abrités dans l'étage couvert étaient posésen faction, à tour de rôle, sur la terrasse supérieure. Des deux côtésde la tour du Trésau, à Carcassonne, nous voyons de même deux hauteséchauguettes ainsi combinées; seulement il fallait de l'étage fermémonter sur le terrasson par une échelle, en passant à travers un troupratiqué dans le milieu de la petite voûte (voy. CONSTRUCTION, fig.154).
Il faut distinguer toutefois les échauguettes destinées uniquement à lasurveillance au loin de celles qui servent en même temps de guette et dedéfense. Les donjons possédaient toujours une échauguette, au moins, ausommet de laquelle se tenait la sentinelle de jour et de nuit qui,sonnant du cor, avertissait la garnison en cas de surprise, de mouvementextraordinaire à l'extérieur, d'incendie; qui annonçait le lever dusoleil, le couvre-feu, la rentrée d'un corps de troupes, l'arrivée desétrangers, le départ ou le retour de la chasse: «La nuit dormi et fuaise et quant il oï le gaite corner le jour, si se leva et ala àl'église proijer Dieu, qu'il li aidast47.» Ces sortes de guettesconsistent en une tourelle dominant les alentours par-dessus lescrénelages et les combles. Certains donjons, par leur situation même,comme les donjons des châteaux Gaillard, de Coucy, n'avaient pas besoinde guette: leur défense supérieure en tenait lieu; mais les donjonscomposés de plusieurs logis agglomérés, comme le donjon d'Arques et,beaucoup plus tard, celui de Pierrefonds par exemple, devaientnécessairement posséder une guette. Dans le château de Carcassonne, quidate du commencement du XIIe siècle, la guette est une tour spéciale surplan barlong, contenant un escalier avec un terrasson crénelé au sommet.Cette tour domine toutes les défenses du château et même celles de lacité; elle renfermait, vers les deux tiers de sa hauteur, un petit posteéclairé par une fenêtre donnant sur la campagne (voy. ARCHITECTUREMILITAIRE, fig. 12 et 13). Les échauguettes destinées seulement àl'observation n'offrent rien de particulier: ce sont des tourellescarrées, à pans, ou le plus souvent cylindriques, qui terminent lesescaliers au-dessus des tours principales des châteaux, en dépassant debeaucoup le niveau de la crête des combles les plus élevés. Leséchauguettes servant à contenir un poste ou même une sentinelle pouvantau besoin agir pour la défense d'une place sont, au contraire, fortintéressantes à étudier, leurs dispositions étant très-variées, suivantla place qu'elles occupent.
Vers la fin du XIIIe siècle, les portes sont habituellement muniesd'échauguettes bâties en encorbellement aux angles du logis couronnantl'entrée (voy. PORTE). Ces échauguettes servent en même temps deguérites pour les sentinelles et de flanquement. La belle porte qui, àPrague en Bohême, défend l'entrée du vieux pont jeté sur la Moldau, ducôté de la ville basse, est munie, sur les quatre angles, de charmanteséchauguettes dont nous présentons ici l'aspect (2). Elles prennentnaissance sur une colonne surmontée d'un large chapiteau avecencorbellement sculpté; sur ce premier plateau sont posées descolonnettes (voy. le plan A) laissant entre elles un ajour purementdécoratif; à la hauteur du crénelage supérieur est une guérite percéeelle-même de créneaux48. Cet ouvrage date du milieu du XIVe siècle; ilest d'une conservation parfaite et bâti en grès. Mais ici leséchauguettes sont autant une décoration qu'une défense; tandis quecelles qui flanquaient la porte de Notre-Dame à Sens (3), élevée vers lecommencement du XIVe siècle, avaient un caractère purement défensif; laguérite supérieure était à deux étages et présentait des meurtrières etcréneaux bien disposés pour enfiler les faces de la porte et protégerles angles49.
Si on plaçait des échauguettes flanquantes aux côtés des portes, à plusforte raison en mettait-on aux angles saillants formés par descourtines, lorsqu'une raison empêchait de munir ces angles d'une tourronde. Il arrivait, par exemple, que la disposition du terrain nepermettait pas d'élever une tour d'un diamètre convenable, ou bien queles architectes militaires voulaient faire un redan soit pour masquerune poterne, soit pour flanquer un front, sans cependant encombrer laplace par une tour qui eût pu nuire à l'ensemble de la défense. C'estainsi, par exemple, que sur le front sud-est de l'enceinte extérieure dela cité de Carcassonne il existe un redan A (4), motivé par la présenced'un gros ouvrage cylindrique avancé K, dit latour du Papegay, quiétait élevé sur ce point, au sommet d'un angle très-ouvert, pourcommander en même temps les dehors en G et l'intérieur des lices (espacelaissé entre les deux enceintes) en L, par-dessus le redan. Il nefallait pas, par conséquent, à l'angle de ce redan, en C, élever unetour qui eût défilé le chemin de ronde B; cependant il fallait protégerle front B, le flanc A et l'angle saillant lui-même. On bâtit donc surcet angle une large échauguette qui suffit pour protéger l'anglesaillant, mais ne peut nuire au commandement de la grosse tour K.
La fig. 5 reproduit la vue extérieure de cette échauguette50, dont lecrénelage était un peu plus élevé que celui des courtines voisines. Cetouvrage pouvait être, en temps de guerre, muni de hourds, ce qui enaugmentait beaucoup la force. Entre la porte Narbonnaise et la tour duTrésau de la même cité, on a ainsi pratiqué un redan qui enfile l'entréede la barbacane élevée en avant de cette porte: ce redan est surmontéd'une belle échauguette. Une longue meurtrière flanquante est ouvertesur son flanc.
La fig. 6 présente en A le plan du redan au niveau du sol de la ville,avec son petit poste E et la meurtrière F donnant vers la porteNarbonnaise. De ce poste E, par un escalier à vis, on arrive àl'échauguette (plan B), qui n'est que le crénelage de la courtineformant un flanquement oblique en encorbellement sur l'angle G. La coupeC faite sur la ligne OP du plan B explique la construction de cetteéchauguette, qui pouvait être munie de hourds comme les courtines; en D,nous avons figuré le profil de l'encorbellement H.
Toutefois, jusqu'au XIVe siècle, les échauguettes flanquantes posées surles courtines ne sont que des accidents et ne se rattachent pas à unsystème général défensif; tandis qu'à dater de cette époque, nous voyonsles échauguettes adoptées régulièrement, soit pour suppléer aux tours,soit pour défendre les courtines entre deux tours. Mais ce fait nousoblige à quelques explications.
Depuis l'époque romaine jusqu'au XIIe siècle, on admettait qu'une placeétait d'autant plus forte que ses tours étaient plus rapprochées, etnous avons vu qu'à la fin du XIIe siècle encore Richard Coeur-de-Lion,en bâtissant le château Gaillard, avait composé sa dernière défensed'une suite de tours ou de segments de cercle se touchant presque.Lorsqu'au XIIIe siècle les armes de jet eurent été perfectionnées et quel'on disposa d'arbalètes de main d'une plus longue portée, on dut, commeconséquence, laisser entre les tours une distance plus grande, et, enallongeant ainsi les fronts, mettre les flanquements en rapport avecleur étendue, c'est-à-dire donner aux tours un plus grand diamètre, afind'y pouvoir placer un plus grand nombre de défenseurs. Si c'était unavantage d'allonger les fronts, il y avait un inconvénient à augmenterde beaucoup le diamètre des tours, car c'était donner des défilements àl'assaillant dans un grand nombre de cas, comme, par exemple, lorsqu'ilparvenait à cheminer près des murailles entre deux tours et qu'il avaitdétruit leurs défenses supérieures. Tout système porte avec lui lesdéfauts inhérents à ses qualités mêmes. Puisque les armes de jet avaientune plus longue portée, il fallait étendre autant que possible lesfronts; cependant on ne pouvait négliger les flanquements, car sil'assaillant s'attachait au pied de la courtine, ils devenaientnécessaires: or, plus ces flanquements étaient formidables, moins lesfronts pouvaient rendre de services pour la défense éloignée.
Soit (7) un front AB muni de tours; BC est la largeur du fossé; le jetd'arbalète est EF. Si l'assaillant dispose son attaque conformément autracé FGH, neuf embrasures le découvrent. Mais soit IK un front continunon flanqué de tours, l'attaque étant disposée de même que ci-dessus enFGH, les embrasures étant d'ailleurs percées à des distances égales àcelles du front AB, treize de ces embrasures pourront découvrirl'assaillant. Que celui-ci traverse le fossé et vienne se poster en M,les assiégés ne peuvent se défendre que par les mâchicoulis directementplacés au-dessus de ce point M; mais ils voient sur une grande longueurla nature des opérations de l'ennemi, et l'inquiètent par des sortiesdans le fond du fossé, où il ne trouve aucun défilement.
Quand on assiégeait régulièrement une place, à la fin du XIIIe siècle(voy. SIÉGE), on attaquait ordinairement deux tours, seulement pouréteindre leur feu, comme on dirait aujourd'hui, en démantelant leursdéfenses supérieures, et on faisait brèche au moyen de la sape dans lacourtine comprise entre ces deux tours; car, celles-ci réduites àl'impuissance, leur masse protégeait l'assaillant en couvrant sesflancs. Au moment de l'application définitive des mâchicoulis de pierreà la place des hourds, vers le commencement du XIVe siècle, il y eutévidemment une réaction contre le système défensif des fronts courts; onespaça beaucoup plus les tours, on agrandit les fronts entre elles, et,pour protéger ces fronts, sans rien ôter à leurs qualités, on les munitd'échauguettes P, ainsi que l'indique le tracé NO, fig. 7. Ce nouveausystème fut particulièrement appliqué dans les défenses de la villed'Avignon, élevées à cette époque. Ces défenses ont toujours dû êtreassez faibles; mais, eu égard au peu de relief des courtines, on a tiréun excellent parti de ce système d'échauguettes flanquantes, et lafaiblesse de la défense ne résulte pas du nouveau parti adopté, quiavait pour résultat d'obliger l'assaillant à commencer ses travaux desiége à une plus grande distance de la place. Duguesclin, en brusquantles assauts toujours, donna tort au système des grands fronts flanquésseulement de tours très-espacées; les échauguettes n'étaient pas assezfortes pour empêcher une échelade vigoureuse; on y renonça donc vers lafin du XIVe siècle pour revenir aux tours rapprochées, et surtout pouraugmenter singulièrement le relief des courtines. Examinons donc ceséchauguettes des murailles papales d'Avignon.
La fig. 8 présente le plan d'une de ces échauguettes au-dessous desmâchicoulis; elles ne consistent qu'en deux contre-forts extérieurs A,entre lesquels est pratiqué un talus dont nous allons reconnaîtrel'utilité; un arc réunit ces deux contre-forts.
Voici (9) en Al'élévation extérieure de cet ouvrage, et en B sa coupe. L'échauguettes'élève beaucoup au-dessus de la courtine; elle est munie, à son sommet,comme celle-ci, de beaux mâchicoulis de pierre sur sa face et ses deuxretours; de plus, ainsi que le fait voir la coupe, au droit du murfaisant fond entre les contre-forts, est pratiqué un second mâchicoulisC, comme une rainure de 0,25 c. de largeur environ. Si l'assaillant seprésentait devant l'échauguette, il recevait d'aplomb les projectileslancés par les mâchicoulis vus D et, obliquement, ceux qu'on laissaittomber par le second mâchicoulis masqué C; car on observera que, grâceau talus E, les boulets de pierre qu'on laissait choir par ce secondmâchicoulis devaient nécessairement ricocher sur ce talus E et allerfrapper les assaillants à une certaine distance du pied de l'échauguetteau fond du fossé. Les deux contre-forts, le vide entre eux et le talusétaient donc une défense de ricochet, faite pour forcer l'assaillant às'éloigner du pied du rempart et, en s'éloignant, à se présenter auxcoups des arbalétriers garnissant les chemins de ronde de la courtine.Ces échauguettes flanquent les courtines, ainsi que le font voir lesplans supérieurs (10 et 10 bis). Elles permettaient encore à un petitposte de se tenir à couvert, à l'intérieur, sous la galerie G, et de serendre instantanément sur le chemin de ronde supérieur H, au premierappel de la sentinelle51.
La vue perspective intérieure (11) fait comprendre la disposition dupetit poste couvert qui intercepte le passage au niveau du chemin deronde de la courtine; elle explique les degrés qui montent à laplate-forme de l'échauguette, et rend compte de la construction del'ouvrage. N'oublions pas de mentionner la présence des corbeaux A quiétaient placés ainsi à l'intérieur du rempart pour recevoir une filièreportant des solives et un plancher, dont l'autre extrémité reposaitintérieurement sur des poteaux, afin d'augmenter la largeur du chemin deronde en temps de guerre, soit pour faciliter les communications, soitpour déposer les projectiles ou établir des engins. Nous avons expliquéailleurs l'utilité de ces chemins de ronde supplémentaires (voy.ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 32 et 33).
Ces sortes d'échauguettes interrompant la circulation sur les courtinesavaient, comme les tours, l'avantage d'obliger les rondes à se fairereconnaître soit par la sentinelle placée au sommet de l'ouvrage, soitpar le poste abrité sous la petite plate-forme supérieure. Quelquefoismême ces échauguettes sont fermées, barrent complétement le chemin deronde: ce sont de véritables corps de garde. Nous voyons encore uneéchauguette de ce genre sur la courtine occidentale de la forteresse deVilleneuve-lès-Avignon. Cette échauguette ne flanque pas la courtine etdéborde à peine son parement extérieur; elle est réservée pour leservice de la garnison. Voici son plan (12). En A est le chemin de rondeinterrompu par l'échauguette et ses deux portes B; un seul créneau C avue sur l'extérieur; en D est une petite cheminée. Deux ou trois hommesau plus pouvaient se tenir dans ce poste dont nous présentons (13)l'aspect intérieur, en supposant le comble, tracé en E, enlevé. Cettepartie des murs de la citadelle de Villeneuve-lès-Avignon date de lapremière moitié du XIVe siècle.
Les formes données aux échauguettes, pendant les XIVe et XVe siècles,sont très-variées; lorsqu'elles servent de flanquements, elles sont oubarlongues comme celles d'Avignon, ou semi-circulaires, ou à pans,portées sur des contre-forts, sur des encorbellements ou des corbeaux,suivant le besoin ou la nature des défenses; elles sont ou couvertes oudécouvertes, contenant un ou plusieurs étages de crénelages, avec ousans mâchicoulis.
Il existait encore, en 1835, au sommet des remparts de l'abbaye duMont-Saint-Michel-en-Mer, du côté du midi, une belle échauguette avecmâchicoulis sur la face et sur les côtés, interceptant, comme celle deVilleneuve-lès-Avignon, la communication sur le chemin de ronde de lacourtine. Cette échauguette tenait aux constructions du XIVe siècle52.
Le plan (14), pris au niveau du crénelage, fait voir les deux baiesfermant l'échauguette, la petite cheminée qui servait à chauffer lesgens de guet, l'ouverture du mâchicoulis de face en A et celles desmâchicoulis latéraux en B. Ces mâchicoulis se fermaient au moyen deplanchettes munies de gonds.
La fig. 15 donne une vue perspective extérieure de ce poste avec sacouverture. Cette construction était en granit rouge.
La fig. 15 bis présente, en A, la coupe de l'échauguette sur la ligneEG, et, en B, sur la ligne CD du plan.
Dans la première de ces coupes est indiquée l'ouverture du mâchicoulisde face en H avec la saillie K, sur le parement du mur, pour empêcherles traits décochés d'en bas de remonter en glissant le long du parementjusqu'aux défenseurs. Dans la seconde coupe B, on voit l'ouverture dumâchicoulis de face en L, et, en M, celles des mâchicoulis latéraux avecles arrêts O pour les traits venant du dehors. Ces mâchicoulis latérauxservaient, avec les meurtrières P, à flanquer la courtine, car onremarquera que les défenseurs pouvaient non-seulement laisser tomber despierres verticalement, mais aussi envoyer des traits d'arbalèteobliquement, ainsi que l'indique le tracé ponctué MN. On trouve assezsouvent, dans nos anciennes forteresses, beaucoup d'échauguettesdisposées de cette manière, au moins quant au mâchicoulis de face; maisil ne faut pas prendre pour telles des latrines qui souvent ont la mêmeapparence extérieure, et ont leur vidange sur le dehors (voy. LATRINE),quand ce dehors est un fossé ou un escarpement.
Ainsi que nous avons l'occasion de le constater bien des fois dans leDictionnaire, les architectes des XIIIe, XIVe et XVe siècles,employaient les encorbellements toutes les fois que ce système deconstruction pouvait leur être utile; il arrive souvent qu'on estobligé, dans les bâtisses, de donner aux parties supérieures plus desurface qu'aux parties inférieures des maçonneries. Les architectes dumoyen âge s'étaient soumis à ces besoins; ils n'hésitaient jamais àfaire emploi du système des encorbellements, et se tiraient avecbeaucoup d'adresse des difficultés qu'il présente, tout en obtenant desconstructions parfaitement solides.
Sur l'un des fronts de l'enceinte du château de Véz (voy. le pland'ensemble de ce château à l'article DONJON, fig. 45), il existe encorede belles échauguettes semi-circulaires flanquantes, dont nous donnonsla vue perspective extérieure (16). Sur le talus de la courtine naît uncontre-fort rectangulaire peu saillant, qui, au moyen de troiscorbelets, porte un demi-cylindre inférieur sur lequel posent quatreassises profilées arrivant à former un puissant encorbellement portantl'échauguette. La bascule de cette masse est parfaitement maintenue parle massif de la courtine.
Sur l'autre front de la même enceinte, à l'intérieur de la cour duchâteau, il existe des échauguettes rectangulaires cette fois, à doublesflanquements, c'est-à-dire formant deux redans de chaque côté (17),destinés à flanquer la courtine à droite et à gauche: le premier redanassez long pour permettre un tir parallèle aux parements de cettecourtine; le second plus court, mais suffisant pour le tir oblique,ainsi que l'indique le plan A. Ici encore, c'est un large contre-fortrectangulaire naissant sur le talus inférieur et portantl'encorbellement du premier redan; puis un second contre-fort enencorbellement lui-même portant la saillie du second redan. Des larmiersabritent les profils et empêchent la pluie de baver sur les parements.
Dans l'architecture militaire, les échauguettes n'ont été abandonnéesqu'après Vauban. On les regardait comme utiles, même avec l'artillerie àfeu, pendant les XVIe et XVIIe siècles; les angles saillants desbastions portaient encore des échauguettes, il y a deux cents ans,destinées uniquement à abriter les sentinelles. Il va sans dire qu'encas de siége c'était la première chose qu'abattait l'assaillant. Cettepersistance de l'échauguette constate seulement son importance dans lesouvrages militaires du moyen âge, puisqu'on eut tant de peine àl'abandonner, même après que tout le système de la défense s'étaittransformé. Les dernières échauguettes sont en forme de poivrière,très-étroites, portées sur un cul-de-lampe et n'ayant que la valeurd'une guérite, c'est-à-dire bonnes seulement pour surveiller les dehors,mais ne pouvant servir à la défense. Cependant, au commencement du XVIesiècle, et au moment où l'on établit déjà des boulevards revêtus, endehors des anciennes enceintes, lorsque ces boulevards présentent unangle saillant (ce qui est rare, la forme circulaire étant alorsadmise), cet angle saillant est garni quelquefois d'une assez largeéchauguette quadrangulaire, posée la face sur l'angle du boulevard,ainsi que l'indique la fig. 18.
Ces échauguettes pouvaient recevoir unfauconneau; elles étaient ordinairement revêtues de combles en dallesposées sur une voûte, décorées d'armoiries et d'autres ornements quidonnaient aux saillants des boulevards un certain air monumental. Letemps et les boulets ont laissé peu de traces de ces petits ouvrages quenous ne retrouvons plus que dans d'anciennes gravures; et c'est à peinesi, aujourd'hui, sur nos vieux bastions français, on aperçoit quelquesassises des encorbellements qui portaient ces sortes d'échauguettes.
Sur les boulevards en terre et clayonnages dont on fit un grand usagependant les guerres du XVIe siècle pour couvrir d'anciennesfortifications, on établissait des échauguettes en bois en dehors del'angle saillant des bastions et au milieu des courtines (18 bis), afinde permettre aux sentinelles de voir ce qui se passait au fond desfossés. Ces sortes d'échauguettes sont employées jusqu'au XVIIe siècle.
On établissait aussi des échauguettes transitoires en bois sur leschemins de ronde des fortifications du moyen âge; ces échauguettes sereliaient aux hourds et formaient des sortes de bretèches (voy. ce mot).Quant aux échauguettes à demeure en charpente, nous les avonsscrupuleusement détruites en France. À peine si nous en apercevons lestraces sur quelques tours ou clochers. Pour trouver de ces sortesd'ouvrages encore entiers, il faut se décider à passer le Rhin etparcourir l'Allemagne conservatrice.
Sur le bord oriental du lac de Constance est une charmante petite villequi a nom Lindau; c'est une tête du chemin de fer bavarois. Lindau arespecté ses murailles du moyen âge, avec quelques-unes des anciennestours flanquantes. L'une de ces tours, dont la construction remonte auXIVe siècle, est couronnée de quatre échauguettes du XVe siècle, enbois, posant sur des encorbellements de pierre.
Voici (19) l'ensemble decette construction. Les combles sont couverts en tuiles vernissées, avecboules et girouettes en cuivre doré. Depuis le XVe siècle, pas une mainprofane n'a touché cette innocente défense que pour l'entretenir; aucunConseil municipal n'a prétendu que les bois du comble fussent pourris ouque la tour gênât les promeneurs.
Nous donnons (20) le détail de l'unede ces quatre échauguettes, dont les pans-de-bois sont hourdés enmaçonnerie, avec meurtrières sur chacune des faces. Il suffit de jeterles yeux sur les gravures d'Israël Sylvestre, de Mérian, de Chastillon,pour constater qu'en France toutes les villes du Nord et de l'Estrenfermaient quantité de ces tours couronnées d'échauguettes qui sedécoupaient si heureusement sur le ciel et donnaient aux cités unephysionomie pittoresque. Aujourd'hui nous en sommes réduits à admirerces restes du passé en Allemagne, en Belgique ou en Angleterre.
Dans la campagne, et surtout dans les pays de plaines, les combles destours des châteaux se garnissaient d'échauguettes qui permettaient dedécouvrir au loin ce qui se passait; la Picardie et les Flandressurmontaient les combles de leurs donjons d'échauguettes de boisrecouvertes de plomb ou d'ardoises. Les gravures nous ont conservéquelques-unes de ces guettes de charpenterie. Nous donnons ici l'uned'elles (21) en A53.
À la base du pignon se voient deux autres échauguettes de pierre B, àdeux étages, flanquant le chemin de ronde des mâchicoulis.
Nous retrouvons encore la tradition de ces guettes couronnant lescombles des tours dans la plupart des châteaux de la Renaissance, commeà Chambord, à Tanlay, à Ancy-le-Franc, et, plus tard, au château deRichelieu en Poitou, de Blérancourt en Picardie, etc. Ce ne fut que sousle règne de Louis XIV, et lorsque les combles ne furent plus de mise surles édifices publics ou privés, que disparurent ces derniers restes dela guette du château féodal.
Les combles des beffrois de ville étaient souvent munies d'échauguettesde bois. Comme les combles des donjons, on a eu grand soin de lesdétruire chez nous, et il nous faut sans cesse avoir recours auxanciennes gravures si nous voulons prendre une idée de leur disposition.La plupart des tours de beffrois des villes du nord en France, élevéespendant les XIIIe et XIVe siècles, étaient carrées54; elles seterminaient par une galerie fermée ou à ciel ouvert, avec échauguettesaux angles; de plus, le comble en charpente, très-élevé et très-ornégénéralement (car les villes attachaient une sorte de gloire à posséderun beffroi magnifique), était percé de lanternes ou d'échauguettes,servant de guérites au guetteur. Il nous faut bien, cette fois encore,emprunter aux pays d'outre-Rhin, pour appuyer nos descriptions sur desmonuments. Retournons donc à Prague, la ville des échauguettes, et celledont l'architecture gothique se rapproche le plus de notre écolepicarde.
La cathédrale de cette ville possède deux tours sur sa façadeoccidentale dont les couronnements affectent bien plutôt la forme de nosbeffrois municipaux du Nord que celle d'un clocher d'église. Ces tours,à défaut d'autres renseignements existants, vont nous servir àreconstituer les échauguettes des tours de ville des XIVe et XVesiècles.
Sur un dernier étage carré (22) s'épanouit un large encorbellementdécoré d'écussons armoyés aux quatre angles; cet encorbellement arrive àformer des portions d'octogones, ainsi que l'indique le plan A. Unebalustrade de pierre pourtourne le couronnement et est surmontée auxangles de logettes également en pierre couvertes de pavillons aigus encharpente. En retraite, sur le parement intérieur de la tour, s'élève ungrand comble à huit pans sur quatre faces duquel sont posées deséchauguettes en bois couvertes aussi de pyramides à huit pans. Tous cescombles sont revêtus d'ardoises et de plomb, avec épis, boules,girouettes. Quatre petits combles diagonaux permettent de passer àcouvert de la base de la charpente dans chacune des échauguettesd'angle.
La fig. 23 donne le détail de l'une des quatre échauguettes supérieuresdu comble. C'était un couronnement de ce genre, mais plus somptueuxprobablement, qui devait terminer le beffroi de la ville d'Amiensconstruit vers 1410 et brûlé en 1562. Un guetteur avait charge, du hautde ce beffroi, de sonner les cloches pour annoncer le bannissement dequelque malfaiteur, les incendies qui se déclaraient dans la ville ou labanlieue, pour donner l'alarme s'il voyait s'avancer vers la cité unetroupe d'hommes d'armes, pour prévenir les sentinelles posées auxportes. Le son différent des cloches mises en branle faisait connaîtreaux habitants le motif pour lequel on les réunissait. Ce guetteur, auXVe siècle, recevait pour traitement un écu quarante sols par an, plusune cotte en drap moitié rouge moitié bleu qu'il portait à cause des«grans vans et froidures estant au hault dudict beffroi.» Il logeaitdans la tour, devait jouer de sa «pipette» à la sonnerie du matin; ilcornait pour annoncer aux bourgeois rassemblés hors la ville, àl'occasion de quelque fête ou cérémonie, qu'ils pouvaient être en paixet que rien de fâcheux ne survenait dans la cité. Il lui fallait aussijouer certains airs lorsque des processions circulaient dans laville55. C'était, on en conviendra, un homme qui gagnait bien un écuquarante sols et un habit rouge et bleu par an.
Certains moustiers, certaines églises étaient fortifiées pendant lemoyen âge, et ces églises étant habituellement entourées decontre-forts, on surmontait ceux-ci d'échauguettes. On voit encore, surla façade occidentale de l'église abbatiale de Saint-Denis, des tracesd'échauguettes circulaires bâties au XVe siècle sur les contre-forts duXIIe. Pendant les guerres avec les Anglais, sous Charles VI et CharlesVII, en Normandie, sur les frontières de la Bretagne, sur les bords dela Loire, beaucoup d'églises abbatiales furent ainsi muniesd'échauguettes. Dans les contrées exposées aux courses d'aventuriers,dans les montagnes et les lieux déserts, presque toujours les églisesfurent remaniées, à l'extérieur, de manière à pouvoir se défendre contreune troupe de brigands. Les échauguettes alors servaient non-seulement àposter des guetteurs de jour et de nuit, mais encore elles flanquaientles murs et en commandaient les approches. L'église abbatiale deSaint-Claude, dans le Jura, aujourd'hui cathédrale, bâtie vers la fin duXIV siècle, porte sur ses contre-forts des échauguettes bien fermées etcommandant parfaitement les dehors. Ces échauguettes (24) sont à unétage couvert sur les contre-forts latéraux, et à deux étages (25) surles contre-forts d'angle. On communique d'un de ces étages à l'autre parune trappe réservée dans le plancher et une petite échelle de meunier.Dans le midi de la France, on remarque, sur des églises romanes, deséchauguettes construites à la hâte au XIVe siècle, pour mettre cesédifices en état de résister aux courses des troupes du Prince Noir. Onéleva encore des échauguettes sur les édifices religieux pendant lesguerres de religion du XVIe siècle, et quelquefois même des échauguettesfurent disposées pour recevoir de petites bouches à feu.
Du jour où chacun n'eut plus à songer à sa défense personnelle,l'échauguette disparut de nos édifices civils ou religieux; et il fautreconnaître que la gendarmerie de notre temps remplace avec avantage cespetits postes de surveillance.
Note 48:(retour) Si nous donnons ici cet exemple, c'est qu'il nous semble être l'oeuvre d'un architecte picard. En effet, en Bohême, pendant le XIVe siècle, on avait eu recours à des architectes de notre pays. Ainsi le choeur de la cathédrale de Prague est bâtie en 1344 par un Français, Mathieu d'Arras, appelé en Bohême par le roi Jean et son fils Charles, margrave de Moravie. Parmi les écussons armoyés qui décorent la porte, sur le vieux pont, on trouve l'écu de France semé de fleurs de lis sans nombre, par conséquent antérieur à Charles V.
ÉCHELLE, s. f. Nous ne parlons pas ici de l'échelle dont se servent lesouvriers pour monter sur les échafauds, non plus des échelles quiétaient en permanence sur les places réservées aux exécutions, etauxquelles on attachait les gens coupables de faux serments ou dequelque délit honteux pour les laisser ainsi exposés aux quolibets de lafoule56. Nous ne nous occupons que de l'échelle relative. Enarchitecture, on dit «l'échelle d'un monument... Cet édifice n'est pas àl'échelle.» L'échelle d'une cabane à chien est le chien, c'est-à-direqu'il convient que cette cabane soit en proportion avec l'animal qu'elledoit contenir. Une cabane à chien dans laquelle un âne pourrait entreret se coucher ne serait pas à l'échelle.
Ce principe, qui paraît si naturel et si simple au premier abord, estcependant un de ceux sur lesquels les diverses écoles d'architecture (denotre temps) s'entendent le moins. Nous avons touché cette question déjàdans l'article ARCHITECTURE, et notre confrère regretté, M. Lassus,l'avait traitée avant nous57. Dans la pratique, cependant, il nesemble pas que les observations mises en avant sur ce sujet aientproduit des résultats. Nous n'avons pas la vanité de nous en étonner;nous croyons simplement que nos explications n'ont été ni assez étenduesni assez claires. Il faut donc reprendre la question et la traiter àfond, car elle en vaut la peine.
Les Grecs, dans leur architecture, ont admis unmodule, on n'ensaurait douter; ils ne paraissent pas avoir eu d'échelle. Ainsi, qu'unordre grec ait cinq mètres ou dix mètres de hauteur, les rapportsharmoniques sont les mêmes dans l'un comme dans l'autre, c'est-à-dire,par exemple, que si le diamètre de la colonne à la base estun, lahauteur de la colonne serasix, et l'entre-colonnementun et demivers le milieu du fût, dans le petit comme dans le grand ordre. En unmot, ladimension ne paraît pas changer lesproportions relativesdes divers membres de l'ordre. Cependant les Grecs ont été pourvus desens si délicats qu'on ne saurait guère admettre chez eux la nonapplication d'un principe vrai en matière d'art, sans une cause majeure.Nous ignorons le mécanisme harmonique de l'architecture grecque; nous nepouvons que constater ses résultats sans avoir découvert, jusqu'àprésent, ses formules. Nous reconnaissons bien qu'il existe unmodule,destonalités différentes, des règles mathématiques, mais nous n'enpossédons pas la clef, et Vitruve ne peut guère nous aider en ceci, carlui-même ne semble pas avoir été initié aux formules de l'architecturegrecque des beaux temps, et ce qu'il dit au sujet des ordres n'est pasd'accord avec les exemples laissés par ses maîtres. Laissons donc ceproblème à résoudre, ne voyons que l'apparence. Si nous considéronsseulement les deux architectures mères des arts du moyen âge,c'est-à-dire l'architecture grecque et l'architecture romaine, noustrouvons dans la première un art complet, tout d'une pièce, conséquent,formulé, dans lequel l'apparence est d'accord avec le principe; dans laseconde, une structure indépendante souvent de l'apparence, le besoin etl'art, l'objet et sa décoration. Le besoin étant manifesté dansl'architecture romaine, étant impérieux même habituellement, et lebesoin se rapportant à l'homme, l'harmonie pure de l'art grec estdétruite; l'échelle apparaît déjà dans les édifices romains; elledevient impérieuse dans l'architecture du moyen âge. De même que, dansla société antique, l'individu n'est rien, qu'il est le jouet du destin,qu'il est perdu dans la chose publique, aussi ne peut-il exercer uneinfluence sur la forme ou les proportions des monuments qu'il élève. Untemple est un temple; il est grand, si la cité peut le faire grand; ilest petit, si sa destination ou la pénurie des ressources exige qu'ilsoit petit; s'il est grand, il y a une grande porte; s'il est petit, iln'a qu'une petite porte. Les impossibilités résultant de la nature desmatériaux mettent seules une limite aux dimensions du grand monument,comme l'obligation de passer sous une porte empêche seule qu'elle nes'abaisse au-dessous de la taille humaine; mais il ne venaitcertainement pas à l'esprit d'un Grec de mettre en rapport son édificeavec lui-homme, comme il ne supposait pas que sonmoi pût modifier lesarrêts du destin. Les rapports harmoniques qui existent entre lesmembres d'un ordre grec sont si bien commandés par l'art et non parl'objet, que, par exemple, un portique de colonnes doriques devanttoujours s'élever sur un socle composé d'assises en retraite les unessur les autres comme des degrés, la hauteur de ces degrés devant êtredans un rapport harmonique avec le diamètre des colonnes, si le diamètrede ces colonnes est tel que chacun des degrés ait la hauteur d'unemarche ordinaire, c'est tant mieux pour les jambes de ceux qui veulententrer sous le portique. Mais si le diamètre de ces colonnes estbeaucoup plus grand, la hauteur harmonique des degrés augmentera enproportion; il deviendra impossible à des jambes humaines de lesfranchir, et comme, après tout, il faut monter, on pratiquera, à mêmeces degrés, des marches sur quelques points, comme une concession faitepar l'art aux besoins de l'homme, mais faite, on s'en aperçoit, avecregret. Évidemment le Grec considérait les choses d'art plutôt en amantqu'en maître. Chez lui, l'architecture n'obéissait qu'à ses propreslois. Cela est bien beau assurément, mais ne peut exister qu'au milieud'une société comme la société grecque, chez laquelle le culte, lerespect, l'amour et la conservation du beau étaient l'affaireprincipale. Rendez-nous ces temps favorables, ou mettez vos édifices àl'échelle. D'ailleurs il ne faut pas espérer pouvoir en même tempssacrifier à ces deux principes opposés. Quand, dans une cité, lesédifices publics et privés sont tous construits suivant une harmoniepropre, tenant à l'architecture elle-même, il s'établit entre cesoeuvres de dimensions très-différentes des rapports qui probablementdonnent aux yeux le plaisir que procure à l'ouïe une symphonie bienécrite. L'oeil fait facilement abstraction de la dimension quand lesproportions sont les mêmes, et on conçoit très-bien qu'un Grec éprouvâtautant de plaisir à voir un petit ordre établi suivant les règlesharmoniques qu'un grand; qu'il ne fût pas choqué de voir le petit et legrand à côté l'un de l'autre, pas plus qu'on n'est choqué d'entendre unemélodie chantée par un soprano et une basse-taille. Peut-être même lesGrecs établissaient-ils dans les relations entre les dimensions lesrapports harmoniques que nous reconnaissons entre des voix chantant àl'octave. Peut-être les monuments destinés à être vus ensembleétaient-ils composés par antiphonies? Nous pouvons bien croire que lesGrecs ont été capables de tout en fait d'art, qu'ils éprouvaient par lesens de la vue des jouissances que nous sommes trop grossiers pourjamais connaître.
Le mode grec, que les Romains ne comprirent pas, fut perdu. À la placede ces principes harmoniques, basés sur le module abstrait, le moyen âgeémit un autre principe, celui de l'échelle, c'est-à-dire qu'à la placed'un module variable comme la dimension des édifices, il prit une mesureuniforme, et cette mesure uniforme est donnée par la taille de l'hommed'abord, puis par la nature de la matière employée. Ces nouveauxprincipes (nous disons nouveaux, car nous ne les voyons appliqués nullepart dans l'antiquité) ne font pas que, parce que l'homme est petit,tous les monuments seront petits; ils se bornent, même dans les plusvastes édifices (et le moyen âge ne se fit pas faute d'en élever decette sorte), à forcer l'architecte à rappeler toujours la dimension del'homme, à tenir compte toujours de la dimension des matériaux qu'ilemploie.
Dorénavant, une porte ne grandira plus en proportion de l'édifice, carla porte est faite pour l'homme, elle conserveral'échelle de sadestination; un degré sera toujours un degré praticable. La taille del'homme (nous choisissons, bien entendu, parmi les plus grands) estdivisée en six parties, lesquelles sont divisées en douze, car lesystème duodécimal, qui peut se diviser par moitié, par quarts et partiers, est d'abord admis comme le plus complet. L'homme est la toise, lesixième de l'homme est le pied, le douzième du pied est le pouce. Armésde cette mesure, les architectes vont y subordonner tous les membres deleurs édifices: c'est donc l'homme qui devient le module, et ce moduleest invariable. Cela ne veut pas dire que l'architecture du moyen âge, àson origine et à son apogée, soit un simple calcul, une formulenumérique; non, ce principe se borne à rappeler toujours la taillehumaine. Ainsi, quelle que soit la hauteur d'une pile, la base de cettepile ne dépasse jamais la hauteur d'appui; quelle que soit la hauteurd'une façade, la hauteur des portes n'excédera pas deux toises, deuxtoises et demie au plus, parce qu'on ne suppose pas que des hommes et cequ'ils peuvent porter, tels que bannières, dais, bâtons, puissentdépasser cette hauteur. Quelle que soit la hauteur d'un vaisseau, lesgaleries de service à différents étages seront proportionnées, non à lagrandeur de l'édifice, mais à la taille de l'homme. Voilà pour certainsmembres principaux. Entrons plus avant dans la théorie. On a étéchercher fort loin l'origine des colonnes engagées qui, dans lesmonuments du moyen âge, s'allongent indéfiniment, quel que soit leurdiamètre, contrairement au mode grec; il n'était besoin cependant que derecourir au principe de l'échelle admis par les architectes de cestemps pour trouver la raison de cette innovation. On nous a déniél'influence de l'échelle humaine, en nous disant, par exemple, que lescolonnes engagées des piles de la cathédrale de Reims sont bien plusgrosses que celles d'une église de village; nous répondons que lescolonnes engagées de la cathédrale de Reims ne sont pas dans un rapportproportionnel avec des colonnes engagées d'un édifice quatre fois pluspetit. C'estmatière de géométrie.
Prenons un monument franchement gothique, la nef principale de lacathédrale d'Amiens. Cette nef a, d'axe en axe des piles, 14m,50; lescolonnes centrales portent 1m,36 de diamètre, et les quatre colonnettesengagées qui cantonnent ces colonnes centrales, 0,405m. Nous demandonsque l'on nous indique une nef de la même époque, n'ayant que 7m,25 delargeur d'axe en axe des piles, dont les colonnes centrales n'auraientque 0,68 c. de diamètre et les colonnes engagées 0,20 c., c'est-à-direétant dans un rapport exact de proportion avec la nef de la cathédraled'Amiens.
Voici un monument qui se présente à propos, construit en matériauxtrès-résistants, tandis que ceux dont se compose la cathédrale d'Amiensne le sont que médiocrement: c'est la nef de l'église deSemur-en-Auxois, bâtie en même temps que celle de la cathédraled'Amiens. La nef n'a en largeur qu'un peu moins de la moitié decelle-ci, 6m,29. Or les colonnes centrales ont 1m,08 de diamètre, et lescolonnes engagées qui les cantonnent, 0,27 c., au lieu de 0,64 c. et0,19 c. Ces rapports proportionnels que nous trouvons dansl'architecture antique n'existent donc pas ici; notez que 0,405m fontjuste 15 pouces, et 0,27 c., 10 pouces, et les colonnettes cantonnantesdes piles de l'église de Semur sont les plus grêles que nousconnaissions de cette époque; ordinairement ces colonnettes, qui ont unesi grande importance parce qu'elles portent en apparence les membresprincipaux de l'architecture, ont, dans les plus petits édifices, 0,32c. (1 pied), dans les plus grands 0,40 c. (15 pouces); par casexceptionnel, comme à Reims, 0,49 c. (18 pouces)58; c'est-à-direl'unité, l'unité plus 1/4, l'unité plus 1/2. Mais ce qui donne l'échelled'un édifice, ce sont bien plus les mesures en hauteur que les mesuresen largeur. Or, dans cette petite église de Semur, le niveau du dessusdes bases est à 1m,06 du sol, et les piles n'ont que 5m,00 de haut,compris le chapiteau, jusqu'aux naissances des voûtes des bas-côtés.Dans la cathédrale d'Amiens, les piles qui remplissent le même objet ont13m,80, et le niveau du dessus des bases... 1m,06. Dans la cathédrale deReims, les piles ont 11m,20 de haut, et les bases 1m,30; 1m,06 fontjuste 3 pieds 3 pouces; 1m,30, 4 pieds, c'est-à-dire 3 unités 1/4, 4unités. Les chapiteaux de ces piles de la nef d'Amiens ont, toutcompris, 1m,14 de haut; ceux de Reims, 1m,14, c'est-à-dire 3 pieds 6pouces; ceux des petites piles de l'église de Semur, 1m,06, comme lesbases (3 pieds 3 pouces). La nef de la cathédrale de Reims a 37m,00 sousclef; les colonnettes de son triforium ont 3m,50 de haut. La nef de lacathédrale d'Amiens a 42m,00 sous clef; les colonnes de son triforiumont de hauteur 3m,00. La nef de l'église de Semur a, sous clef, 24m,00;les colonnettes de son triforium ont de hauteur 2m,00: c'est le minimum,parce que le triforium est un passage de service, qu'il indique laprésence de l'homme; aussi ne grandit-il pas en proportion de ladimension de l'édifice. Les architectes, au contraire, même lorsque,comme à Amiens, la construction les oblige à donner au triforium unegrande hauteur sous plafond, rappellent, par un détail important,très-visible, comme les colonnettes, la dimension humaine. C'est pourcela qu'à la base des édifices, dans les intérieurs, sous les grandesfenêtres, les architectes ont le soin de plaquer des arcatures qui,quelle que soit la dimension de ces édifices, ne sont toujours portéesque par des colonnettes de 2m,00 de hauteur au plus, colonnettes quisont ainsi, tout au pourtour du monument, à la hauteur de l'oeil, commedes moyens multipliés de rappeler l'échelle humaine, et cela d'une façond'autant plus frappante, que ces colonnettes d'arcatures portenttoujours sur un banc, qui, bien entendu, est fait pour s'asseoir, et n'aque la hauteur convenable à cet usage, c'est-à-dire de 0,40 à 0,45 c. Ilva sans dire que les balustrades, les appuis n'ont jamais, quelle quesoit la dimension des édifices, que la hauteur nécessaire, c'est-à-dire1m,00 (3 pieds).
Non-seulement la taille de l'homme, mais aussi la dimension desmatériaux déterminent l'échelle de l'architecture romaine et surtout del'architecture gothique. Tout membre d'architecture doit être pris dansune hauteur d'assise; mais comme les pierres à bâtir ne sont pas partoutde la même hauteur de banc, c'est là où l'on reconnaît la souplesse desprincipes de cette architecture. Avec un tact et un sentiment de l'artassez peu appréciés de nos jours, l'architecte du moyen âge élève saconstruction de façon à la mettre d'accord avec la dimension del'édifice qu'il bâtit. Peu importe que les matériaux soient hauts oubas, il sait en même temps le soumettre à l'échelle imposée par cesmatériaux et aux proportions convenables à un grand ou à un petitmonument. Supposons qu'il ne possède que des pierres calcaires dont lahauteur de banc est de 0,40 c. au plus, et qu'il veuille bâtir unédifice d'une très-grande dimension, comme la façade de la cathédrale deParis, par exemple; admettons même qu'il tienne à donner à cette façadede grandes proportions, ou, pour mieux dire, une échelle supérieure àl'échelle commune. Il élèvera les soubassements en assises régulières,basses; si, dans ces soubassements, il veut faire saillir des bandeaux,il ne donnera à ces bandeaux qu'une très-faible hauteur, et encore lesfera-t-il tailler sur des profils fins, délicats, afin de laisser à lamasse inférieure toute son importance; il maintiendra les ligneshorizontales, comme indiquant mieux la stabilité. Arrivé à une certainehauteur, il sent qu'il faut éviter l'uniformité convenable à unsoubassement, que les lits horizontaux donnés par les assises détruirontl'effet des lignes verticales. Alors, devant cette structure composéed'assises, il place des colonnettes en délit qui sont comme un dessind'architecture indépendant de la structure; il surmonte ces colonnettesd'arcatures prises dans des pierres posées de même en délit etappareillées de telle façon qu'on n'aperçoive plus les joints de laconstruction: ainsi donne-t-il à son architecture les proportions quilui conviennent, et il laisse à ces proportions d'autant plus degrandeur que, derrière ce placage décoratif, l'oeil retrouve l'échellevraie de la bâtisse, celle qui est donnée par la dimension desmatériaux. La grande galerie à jour qui, sous les tours, termine lafaçade de Notre-Dame de Paris, est un chef-d'oeuvre de ce genre. Lastructure vraie, comme un thème invariable, se continue du haut en bas,par assises réglées de 0,40 c. de hauteur environ. Devant cette masseuniforme se dessine d'abord la galerie des Rois, avec ses colonnesmonolithes de 0,25 c. de diamètre, dressées entre des statues de 3m,00de hauteur. Puis vient se poser immédiatement une balustrade à l'échellehumaine, c'est-à-dire de 1m,00 de hauteur, qui rend à la galerie sagrandeur, en rappelant, près des figures colossales, la hauteur del'homme. Au-dessus, les assises horizontales; le thème continue sansrien qui altère son effet. L'oeuvre se termine par cette grande galerieverticale dont les colonnes monolithes ont 5m,10 de hauteur sur 0,18 c.de diamètre, couronnée par une arcature et une corniche saillante,haute, ferme, dans laquelle cependant l'ornementation et les profils sesoumettent à la dimension des matériaux (voy. CORNICHE, fig. 17). Lestours s'élèvent sur ce vaste soubassement; elles se composent, commechacun sait, de piles cantonnées de colonnettes engagées bâties parassises de 0,45 c. de hauteur; mais pour que l'oeil, à cette distance,puisse saisir la construction, énorme empilage d'assises, dans lesangles, chacune de ces assises porte un crochet saillant se découpantsur les fonds ou sur le ciel. Ces longues séries de crochets, marquantainsi l'échelle de la construction, rendent aux tours leur dimensionvéritable en faisant voir de combien d'assises elles se composent. Surla façade de Notre-Dame de Paris, l'échelle donnée par la dimension del'homme et par la nature des matériaux est donc soigneusement observéede la base au faîte. La statuaire, qui sert de point de comparaison,n'existe que dans les parties inférieures; les couronnements en sontdépourvus, et, en cela, l'architecte a procédé sagement: car, dans unédifice de cette hauteur, si l'on place des statues sur lescouronnements, celles-ci paraissent trop petites lorsqu'elles nedépassent pas du double au moins la dimension de l'homme; elles écrasentl'architecture lorsqu'elles sont colossales.
En entrant dans une église ou une salle gothique, chacun est disposé àcroire ces intérieurs beaucoup plus grands qu'ils ne le sont réellement;c'est encore par une judicieuse application du principe de l'échellehumaine que ce résultat est obtenu. Comme nous l'avons dit tout àl'heure, les bases des piles, leurs chapiteaux, les colonnettes desgaleries supérieures rappellent à diverses hauteurs la dimension del'homme, quelle que soit la proportion du monument. De plus, lamultiplicité des lignes verticales ajoute singulièrement à l'élévation.Dans ces intérieurs, les profils sont camards, fins, toujours pris dansdes assises plus basses que celles des piles ou des parements. Les videsentre les meneaux des fenêtres ne dépassent jamais la largeur d'une baieordinaire, soit 1m,25 (4 pieds) au plus. Si les fenêtres sonttrès-larges, ce sont les meneaux qui, en se multipliant, rappellenttoujours ces dimensions auxquelles l'oeil est habitué, et font qu'eneffet ces fenêtres paraissent avoir leur largeur réelle. D'ailleurs cesbaies sont garnies de panneaux de vitraux séparés par des armatures enfer, qui contribuent encore à donner aux ouvertures vitrées leurgrandeur vraie; et pour en revenir aux colonnes engagées indéfinimentallongées, dans l'emploi desquelles les uns voient une décadence ouplutôt un oubli des règles de l'antiquité sur les ordres, les autres uneinfluence d'un art étranger, d'autres encore un produit du hasard, ellesne sont que la conséquence d'un principe qui n'a aucun point de rapportavec les principes de l'architecture antique. D'abord il faut admettreque les ordres grecs n'existent plus, parce qu'en effet ils n'ont aucuneraison d'exister chez un peuple qui abandonne complétement laplate-bande pour l'arc. La plate-bande n'étant plus admise, le pointd'appui n'est plus colonne, c'est une pile. La colonne qui porte uneplate-bande est et doit être diminuée, c'est-à-dire présenter à sa baseune section plus large que sous le chapiteau; c'est un besoin de l'oeild'abord, c'est aussi une loi de statique; car la plate-bande étant unpoids inerte, il faut que le quillage sur lequel pose ce poids présenteune stabilité parfaite. L'arc, au contraire, est une pesanteur agissantequi ne peut être maintenue que par une action opposée. Quatre arcs quireposent sur une pile se contre-buttent réciproquement, et la pile n'estplus qu'une résistance opposée à la résultante de ces actions opposées.Il ne viendra jamais à la pensée d'un architecte (nous disons architectequi construit) de reposer quatre arcs sur une pile conique oupyramidale. Il les bandera sur un cylindre ou un prisme, puisqu'il saitque la résultante des pressions obliques de ces quatre arcs, s'ils sontégaux de diamètre, d'épaisseur et de charge, passe dans l'axe de cecylindre ou de ce prisme sans dévier. Il pourrait se contenter d'unpoinçon posé sur sa pointe pour porter ces arcs. Or, comme nous l'avonsassez fait ressortir dans l'article CONSTRUCTION, le système des voûteset d'arcs adopté par les architectes du moyen âge n'étant autre chosequ'un système d'équilibre des forces opposées les unes aux autres pardes buttées ou des charges, tout dans cette architecture tend à serésoudre en des pressions verticales, et le système d'équilibre étantadmis, comme il faut tout prévoir, même l'imperfection dans l'exécution,comme il faut compter sur des erreurs dans l'évaluation des pressionsobliques opposées ou chargées, et par conséquent sur des déviations dansles résultantes verticales, mieux vaut dans ce cas une pile qui se prêteà ces déviations qu'une pile inflexible sur sa base.
En effet, soit (1),sur une pile A, une résultante de pressions qui, au lieu d'êtreparfaitement verticale, soit oblique suivant la ligne CD, cetterésultante oblique tendra à faire faire à la pile le mouvement indiquéen B. Alors la pile sera broyée sur ses arêtes. Mais soit, au contraire,sur une pile E, une résultante de pressions obliques, la pile tendra àpivoter sur sa base de manière à ce que la résultante rentre dans laverticale, comme le démontre le tracé F. Alors, si la pile est chargée,ce mouvement ne peut avoir aucun inconvénient sérieux. Tout le mondepeut faire cette expérience avec un cône sur le sommet ou la base duquelon appuierait le doigt. Dans le premier cas, on fera sortir la base duplan horizontal; dans le second, le cône obéira, et à moins de fairesortir le centre de gravité de la surface conique, on sentira sous lapression une résistance toujours aussi puissante.
Ainsi laissons donc là les rapports de la colonne des ordres antiques,qui n'ont rien à faire avec le système de construction de l'architecturedu moyen âge. Ne comparons pas des modes opposés par leurs principesmêmes. Les architectes gothiques et même romans du Nord n'ont pas, àproprement parler, connu la colonne; ils n'ont connu que la pile. Cettepile, quand l'architecture se perfectionne, ils la décomposent en autantde membres qu'ils ont d'arcs à porter; rien n'est plus logiqueassurément. Ces membres ont des pressions égales ou à peu près égales àrecevoir; ils admettent donc qu'en raison de l'étendue des monuments ilsdonneront à chacun d'eux le diamètre convenable, 1 pied, 15 pouces, ou18 pouces, comme nous l'avons démontré plus haut; cela est encoretrès-logique. Ils poseront ces membres réunis sur une base unique, nonfaite pour eux, mais faite pour l'homme, comme les portes, lesbalustrades, les marches, les appuis sont faits pour l'homme et non pourles monuments; cela n'est pas conforme à la donnée antique, mais c'estencore conforme à la logique, car ce ne sont pas les édifices quientrent par leurs propres portes, qui montent leurs propres degrés ous'appuient sur leurs propres balustrades, mais bien les hommes. Cesmembres, ou fractions de piles, ces points d'appui ont, celui-ci un arcà soutenir à cinq mètres du sol: on l'arrête à cette hauteur, on poseson chapiteau (qui n'est qu'un encorbellement propre à recevoir lesommier de l'arc, voy. CHAPITEAU); cet autre doit porter son arc à huitmètres du sol: il s'arrête à son tour à ce niveau; le dernier recevra sacharge à quinze mètres, son chapiteau sera placé à quinze mètres dehauteur. Cela n'est ni grec, ni même romain, mais cela est toujoursparfaitement logique. La colonne engagée gothique, qui s'allonge ainsiou se raccourcit suivant le niveau de la charge qu'elle doit porter, n'apas de module, mais elle a son échelle, qui est son diamètre; elle estcylindrique et non conique, parce qu'elle n'indique qu'un point d'appuirecevant une charge passant par son axe, et qu'en supposant même unedéviation dans la résultante des pressions, il est moins dangereux pourla stabilité de l'édifice qu'elle puisse s'incliner comme le ferait unpoteau, que si elle avait une large assiette s'opposant à ce mouvement.Son diamètre est aussi peu variable que possible, quelle que soit ladimension de l'édifice, parce que ce diamètre uniforme, auquel l'oeils'habitue, paraissant grêle dans un vaste monument, large dans un petit,indique ainsi la dimension réelle, sert d'échelle, en un mot, comme lesbases, les arcatures, balustrades, etc.
Mais comme les architectes du moyen âge ont le désir manifeste de faireparaître les intérieurs des monuments grands (ce qui n'est pas un mal),ils évitent avec soin tout ce qui pourrait nuire à cette grandeur. Ainsiils évitent de placer des statues dans ces intérieurs, si ce n'est dansles parties inférieures, et, alors, ils ne leur donnent que la dimensionhumaine, tout au plus. L'idée de jeter des figures colossales sous unevoûte ou un plafond ne leur est jamais venue à la pensée, parce qu'ilsétaient architectes, qu'ils aimaient l'architecture et ne permettaientpas aux autres arts de détruire l'effet qu'elle doit produire. Lessculpteurs n'en étaient pas plus malheureux ou moins habiles pour fairede la statuaire à l'échelle; ils y trouvaient leur compte etl'architecture y trouvait le sien (voy. STATUAIRE).
Que, d'un point de départ si vrai, si logique, si conforme aux principesinvariables de tout art; que, de ce sentiment exquis de l'artiste sesoumettant à une loi rigoureuse sans affaiblir l'expression de son géniepersonnel, on en soit venu à dresser dans une ville, centre de cesécoles délicates et sensées, un monument comme l'arc de triomphe del'Étoile, c'est-à-dire hors d'échelle avec tout ce qui l'entoure, uneporte sous laquelle passerait une frégate mâtée; un monument dont lemérite principal est de faire paraître la plus grande promenade del'Europe un bosquet d'arbrisseaux; il faut que le sens de la vue ait étéparmi nous singulièrement faussé et que, par une longue suite d'abus enmatière d'art, nous ayons perdu tout sentiment du vrai. Il y a plus d'unsiècle déjà, le président De Brosses59, parlant de sa première visiteà la basilique de Saint-Pierre de Rome, dit que, à l'intérieur, ce vasteédifice ne lui sembla «ni grand, ni petit, ni haut, ni bas, ni large, niétroit.» Il ajoute: «On ne s'aperçoit de son énorme étendue que parrelation, lorsqu'en considérant une chapelle, on la trouve grande commeune cathédrale; lorsqu'en mesurant un marmouset qui est là au pied d'unecolonne, on lui trouve «un pouce gros comme le poignet. Tout cetédifice,par l'admirable justesse de ses proportions, a la propriétéde réduire les choses démesurées à leur juste valeur.» Voilà unepropriété bien heureuse! Faire un édifice colossal pour qu'il neparaisse que de dimension ordinaire, faire des statues d'enfants detrois mètres de hauteur pour qu'elles paraissent être des marmots degrandeur naturelle! Le président De Brosses est cependant un hommed'esprit, très-éclairé, aimant les arts; ses lettres sont pleinesd'appréciations très-justes. C'est à qui, depuis lui, a répété cejugement d'amateur terrible, a fait à Saint-Pierre de Rome ce mauvaiscompliment. On pourrait en dire autant de notre arc de triomphe del'Étoile et de quelques autres de nos monuments modernes: «L'arc del'Étoile, par l'admirable justesse de ses proportions, ne paraît qu'uneporte ordinaire; il a la propriété de réduire tout ce qui l'entoure àdes dimensions tellement exiguës, que l'avenue des Champs-Élysées paraîtun sentier bordé de haies et les voitures qui la parcourent des fourmisqui vont à leurs affaires sur une traînée de sable.» Si c'est là le butde l'art, le mont Blanc est fait pour désespérer tous les architectes,car jamais ils n'arriveront à faire un édifice qui ait à ce degré lemérite de réduire à néant tout ce qui l'entoure. Dans la ville où nousnous évertuons à élever des édifices publics qui ne rappellent en rienl'échelle humaine, percés de fenêtres tellement hors de proportion avecles services qu'elles sont destinées à éclairer, qu'il faut les couperen deux et en quatre par des planchers et des cloisons, si bien que despièces prennent leurs jours ainsi que l'indique la figure ci-contre (2),ce qui n'est ni beau ni commode; que nous couronnons les corniches deces édifices de lucarnes avec lesquelles on ferait une façaderaisonnable pour une habitation; dans cette même ville, disons-nous, onnous impose (et l'édilité en soit louée!) des dimensions pour leshauteurs de nos maisons et de leurs étages. La raison publique veutqu'on se tienne, quand il s'agit d'édifices privés, dans les limitesqu'imposent le bon sens et la salubrité.
Voilà qui n'est plus du toutconforme à la logique, car les édifices publics (ou nous nous abusonsétrangement) sont faits pour les hommes aussi bien que les maisons, etnous ne grandissons pas du double ou du triple quand nous y entrons.Pourquoi donc ces édifices sont-ils hors d'échelle avec nous, avec nosbesoins et nos habitudes?... Cela est plus majestueux, dit-on. Mais lafaçade de Notre-Dame de Paris est suffisamment majestueuse, et elle està l'échelle de notre faiblesse humaine; elle est grande, elle paraîttelle, mais les maisons qui l'entourent sont toujours des maisons et neressemblent pas à des boîtes à souris, parce que, sur cette façade deNotre-Dame, si grande qu'elle soit, les architectes ont eu le soin derappeler, du haut en bas, cette échelle humaine, échelle infime, nous levoulons bien, mais dont nous ne sommes pas les auteurs.
Note 56:(retour) Voy. le curieux bas-relief qui se trouve à la base du portail méridional de Notre-Dame de Paris, et qui représente un écolier attaché à une échelle; d'autres écoliers l'entourent et paraissent le bafouer. Sur la poitrine du coupable est attaché un petit écriteau carré sur lequel sont gravées ces lettres P. FAVS.S.por faus sermens.
ÉCHIFFRE (Mur d'). C'est le mur sur lequel s'appuient les marches d'unescalier, quand ce mur ne dépasse pas les niveaux ressautants du degré(voy. ESCALIER).
ÉCOLE, s. f. Pendant le moyen âge, il y a eu, sur le territoire de laFrance de nos jours, plusieurs écoles, soit pendant l'époque romane,soit pendant la période gothique. Les écoles romanes sont sorties, laplupart, des établissements monastiques; quelques-unes, comme l'écoleromane de l'Île-de-France et de Normandie, tiennent à l'organisationpolitique de ces contrées; d'autres, comme les écoles de la Provence etd'une partie du Languedoc, ne sont que l'expression du système desmunicipalités romaines qui, dans ces contrées, se conserva jusqu'àl'époque de la guerre des Albigeois; ces dernières écoles suivent, plusque toute autre, les traditions de l'architecture antique. D'autresencore, comme les écoles du Périgord, de la Saintonge, de l'Angoumois etd'une partie du Poitou, ont subi, vers le XIe siècle, les influences del'art byzantin. On ne compte, dans nos provinces, que quatre écolespendant la période gothique: l'école de l'Île-de-France, du Soissonnais,du Beauvoisis; l'école bourguignonne; l'école champenoise, et l'écolenormande (voy., pour les développements, les articles ARCHITECTUREreligieuse,monastique, CATHÉDRALE, CLOCHER, CONSTRUCTION, ÉGLISE,PEINTURE, SCULPTURE, STATUAIRE).
ÉCU, s. m. (voy. ARMOIRIES).
ÉGLISE PERSONNIFIÉE,SYNAGOGUE PERSONNIFIÉE. Vers le commencement duXIIIe siècle, les constructeurs de nos cathédrales, se conformant àl'esprit du temps, voulurent retracer sur les portails de ces grandsédifices à la fois religieux et civils, non-seulement l'histoire dumonde, mais tout ce qui se rattache à la création et aux connaissancesde l'homme, à ses penchants bons ou mauvais (voy. CATHÉDRALE). Ensculptant sous les voussures de ces portails et les vastes ébrasementsdes portes les scènes de l'Ancien Testament et celles du Nouveau, ilsprétendirent cependant indiquer à la foule des fidèles la distinctionqu'il faut établir entre la loi Nouvelle et l'Ancienne; c'est pourquoi,à une place apparente, sur ces façades, ils posèrent deux statues defemme, l'une tenant un étendard qui se brise dans ses mains, ayant unecouronne renversée à ses pieds, laissant échapper des tablettes,baissant la tête, les yeux voilés par un bandeau ou par un dragon quis'enroule autour de son front: c'est l'Ancienne loi, la Synagogue, reinedéchue dont la gloire est passée, aveuglée par l'esprit du mal, ouincapable au moins de connaître les vérités éternelles de la Nouvelleloi. L'autre statue de femme porte la couronne en tête, le front levé;son expression est fière; elle tient d'une main l'étendard de la foi, del'autre un calice; elle triomphe et se tourne du côté de l'assemblée desapôtres, au milieu de laquelle se dresse le Christ enseignant: c'est laloi Nouvelle, l'Église. Ce beau programme était rempli de la façon laplus complète sur le portail de la cathédrale de Paris. Les statues del'Église et de la Synagogue se voyaient encore des deux côtés de laporte principale, à la fin du dernier siècle, dans de larges nichespratiquées sur la face des contre-forts: l'Église à la droite du Christentouré des apôtres, la Synagogue à la gauche60.
Nous ne possédons plus en France qu'un très-petit nombre de ces statues.L'église de Saint-Seurin de Bordeaux a conservé les siennes, ainsi quela cathédrale de Strasbourg. L'Église et la Synagogue manquent parmi lesstatues de nos grandes cathédrales vraiment françaises, comme Chartres,Amiens, Reims, Bourges; elles n'existent qu'à Paris. On doit observer àce propos que les statues de l'Église et de la Synagogue, mises enparallèle et occupant des places très-apparentes, ne se trouvent quedans des villes où il existait, au moyen âge, des populations juivesnombreuses. Il n'y avait que peu ou point de juifs à Chartres, à Reims,à Bourges, à Amiens; tandis qu'à Paris, à Bordeaux, dans les villes duRhin, en Allemagne, les familles juives étaient considérables, et furentsouvent l'objet de persécutions. La partie inférieure de la façade deNotre-Dame de Paris ayant été bâtie sous Philippe-Auguste, ennemi desjuifs, il n'est pas surprenant qu'on ait, à cette époque, voulu fairevoir à la foule l'état d'infériorité dans lequel on tenait à maintenirl'Ancienne loi. À Bordeaux, ville passablement peuplée de juifs, auXIIIe siècle, les artistes statuaires qui sculptèrent les figures duportail méridional de Saint-Seurin ne se bornèrent pas à poser unbandeau sur les yeux de la Synagogue, ils entourèrent sa tête d'undragon (1), ainsi que l'avaient fait les artistes parisiens. LaSynagogue de Saint-Seurin de Bordeaux a laissé choir sa couronne à sespieds; elle ne tient que le tronçon de son étendard et ses tablettessont renversées; à sa ceinture est attachée une bourse. Est-ce unemblème des richesses que l'on supposait aux juifs? En A est un détailde la tête de cette statue.
À la cathédrale de Bamberg, dont la statuaire est si remarquable etrappelle, plus qu'aucune autre en Allemagne, les bonnes écolesfrançaises des XIIe et XIIIe siècles, les représentations de l'Église etde la Synagogue existent encore des deux côtés du portail nord; et, faitcurieux en ce qu'il se rattache peut-être à quelque acte politique del'époque, bien que ce portail soit du XIIe siècle, les deux statues del'Ancienne et de la Nouvelle loi sont de 1230 environ; de plus, ellessont accompagnées de figures accessoires qui leur donnent unesignification plus marquée que partout ailleurs.
La Synagogue de la cathédrale de Bamberg (2) repose sur une colonne àlaquelle est adossée une petite figure de juif, facile à reconnaître àson bonnet pointu61. Au-dessus de cette statuette est un diable dontles jambes sont pourvues d'ailes; il s'appuie sur le bonnet du juif. Lastatue de l'Ancienne loi est belle; ses yeux sont voilés par un bandeaud'étoffe; de la main gauche elle laisse échapper cinq tablettes, et dela droite elle tient à peine son étendard brisé. On ne voit pas decouronne à ses pieds. En pendant, à la gauche du spectateur, parconséquent à la droite de la porte, l'Église repose de même sur unecolonnette dont le fût, à sa partie inférieure, est occupé par unefigure assise ayant un phylactère déployé sur ses genoux (3); de la maindroite (mutilée aujourd'hui), ce personnage paraît bénir; la têtemanque, ce qui nous embarrasse un peu pour désigner cette statuette quecependant nous croyons être le Christ. Au-dessus sont les quatreévangélistes, c'est-à-dire en bas le lion et le boeuf, au-dessus l'aigleet l'ange. Malheureusement les deux bras de la loi Nouvelle sont brisés.Au geste, on reconnaît toutefois qu'elle tenait l'étendard de la maindroite et le calice de la gauche. Cette statue, d'une belle exécution,pleine de noblesse, et nullement maniérée comme le sont déjà les statuesde cette époque en Allemagne, est couronnée. Elle est, ainsi que sonpendant, couverte par un dais.
La cathédrale de Strasbourg conserve encore, des deux côtés de sonportail méridional, qui date du XIIe siècle, deux statues de l'Église etde la Synagogue sculptées vers le milieu du XIIIe siècle. Ainsi cesreprésentations sculptées sur les portails des églises paraissent avoirété faites de 1210 à 1260, c'est-à-dire pendant la périodeparticulièrement funeste aux juifs, celle où ils furent persécutés avecle plus d'énergie en Occident. La Synagogue de la cathédrale deStrasbourg que nous donnons (4) a les yeux bandés; son étendard se brisedans sa main; son bras gauche, pendant, laisse tomber les tables.L'Église (5) est une gracieuse figure, presque souriante, sculptée avecune finesse rare dans ce beau grès rouge des Vosges qui prend la couleurdu bronze.
Cette manière de personnifier la religion chrétienne et la religionjuive n'est pas la seule. Nous voyons au-dessus de la porte méridionalede la cathédrale de Worms, dans le tympan du gâble qui surmonte cetteporte, une grande figure de femme couronnée, tenant un calice de la maindroite comme on tient un vase dans lequel on se fait verser un liquide.
Cette femme couronnée (6) est fièrement assise sur une bête ayant quatretêtes, aigle, lion, boeuf, homme; quatre jambes, pied humain, piedfendu, patte de lion et serre d'aigle: c'est encore la Nouvelle loi.Dans le tympan de la porte qui surmonte cette statue, on voit uncouronnement de la Vierge; dans les voussures, la Nativité, l'arche deNoé, Adam et Ève, le crucifiement, les trois femmes au tombeau,Jésus-Christ ressuscitant et des prophètes. Parmi les statues desébrasements, on remarque l'Église et la Synagogue. La religionchrétienne porte l'étendard levé, elle est couronnée; la religion juivea les yeux bandés, elle égorge un bouc; sa couronne tombe d'un côté, sestablettes de l'autre.
Nous trouvons l'explication étendue de la statue assise sur la bête àquatre têtes dans le manuscrit d'Herrade de Landsberg, leHortusdeliciarum, déposé aujourd'hui dans la bibliothèque de Strasbourg62.L'une des vignettes de ce manuscrit représente le Christ en croix.Au-dessus des deux bras de la croix, on voit le soleil qui pleure et lalune, puis les voiles du temple déchirés. Au-dessous, deux Romainstenant l'un la lance, l'autre l'éponge imprégnée de vinaigre et de fiel;la Vierge, saint Jean et les deux larrons. Sur le premier plan, à ladroite du Sauveur, une femme couronnée assise, comme celle de lacathédrale de Worms, sur la bête, symbole des quatre évangiles; elletend une coupe dans laquelle tombe le sang du Christ; dans la maingauche, elle porte un étendard terminé par une croix. À la gauche dudivin supplicié est une autre femme, assise sur un âne dont les piedsbuttent dans des cordes nouées; la femme a les jambes nues; un voiletombe sur ses yeux; sa main droite tient un couteau, sa main gauche destablettes; sur son giron repose un bouc; son étendard est renversé. Enbas de la miniature, des morts sortent de leurs tombeaux.
Bien que la sculpture de Worms date du milieu du XIIIe siècle, elle nousdonne, en statuaire d'un beau style, un fragment de cette scène sicomplétement tracée au XIIe par Herrade de Landsberg, c'est-à-direl'Église recueillant le sang du Sauveur assise sur les quatre évangiles.La femme portée par l'âne buttant personnifie la Synagogue: c'étaittraiter l'Ancien Testament avec quelque dureté.
Souvent, dans nos vitraux français, on voit de même un Christ en croixavec l'Église et la Synagogue à ses côtés, mais représentées sans leursmontures, l'Église recueillant le sang du Sauveur dans un calice, et laSynagogue voilée, se détournant comme les statues de Bamberg et deStrasbourg, ou tenant un jeune bouc qu'elle égorge. Villard deHonnecourt paraît, dans la vignette 57e de son manuscrit, avoir copiéune de ces figures de l'Église sur un vitrail ou peut-être sur unepeinture de son temps.
ÉGLISE, s. f. Lieu de réunion des fidèles. Pendant le moyen âge, on adivisé les églises en églisescathédrales,abbatiales,conventuelles,collégiales etparoissiales.
Les églises paroissiales se trouvaient sous la juridiction épiscopale ousous celle des abbés; aussi c'était à qui, des évêques et des abbés,auraient à gouverner un nombre de paroisses plus considérable; de là unedes premières causes du nombre prodigieux d'églises paroissiales élevéesdans les villes et les bourgades pendant les XIIe et XIIIe siècles,c'est-à-dire à l'époque de la lutte entamée entre le pouvoir monastiqueet le pouvoir épiscopal. D'ailleurs, la division, l'antagonisme existentdans toutes les institutions religieuses ou politiques du moyen âge;chacun, dans l'ordre civil comme dans l'ordre spirituel, veut avoir unepart distincte. Les grandes abbayes, dès le XIe siècle, cherchèrent àmettre de l'unité au milieu de ce morcellement général; mais il devintbientôt évident que l'institut monastique établissait cette unité à sonpropre avantage; l'épiscopat le reconnut assez tôt pour profiter dudéveloppement municipal du XIIe siècle et ramener les populations verslui, soit en bâtissant d'immenses cathédrales, soit en faisantreconstruire, surtout dans les villes, les églises paroissiales sur deplus grandes proportions. Si nous parcourons, en effet, les villes de laFrance, au nord de la Loire, nous voyons que, non-seulement toutes lescathédrales, mais aussi les églises paroissiales, sont rebâties pendantla période comprise entre 1150 et 1250. Ce mouvement, provoqué parl'épiscopat, encouragé par la noblesse séculière, qui voyait dans lesabbés des seigneurs féodaux trop puissants, fut suivi avec ardeur parles populations urbaines, chez lesquelles l'église était alors un signed'indépendance et d'unité. Aussi, du XIIe au XIIIe siècle, l'argentaffluait pour bâtir ces grandes cathédrales et les paroisses qui segroupaient autour d'elles.
Les églises abbatiales des clunisiens avaient fait école, c'est-à-direque les paroisses qui en dépendaient imitaient, autant que possible, etdans des proportions plus modestes, ces monuments types. Il en fut demême pour les cathédrales lorsqu'on les rebâtit à la fin du XIIe siècleet au commencement du XIIIe; elles servirent de modèles pour lesparoisses qui s'élevaient dans le diocèse. Il ne faudrait pas croirecependant que ces petits monuments fussent des réductions des grands;l'imitation se bornait sagement à adopter les méthodes de construire,les dispositions de détail, l'ornementation et certains caractèresiconographiques des vastes églises abbatiales ou des cathédrales.
Vers le Ve siècle, lorsque le nouveau culte put s'exercer publiquement,deux principes eurent une action marquée dans la construction deséglises en Occident: la tradition des basiliques antiques qui, parmi lesmonuments païens, servirent les premiers de lieu de réunion pour lesfidèles; puis le souvenir des sanctuaires vénérables creusés sous terre,des cryptes qui avaient renfermé les restes des martyrs, et danslesquelles les saints mystères avaient été pratiqués pendant les joursde persécution. Rien ne ressemble moins à une crypte qu'une basiliqueromaine; cependant la basilique romaine possède, à son extrémité opposéeà l'entrée, un hémicycle voûté en cul-de-four, le tribunal. C'est làque, dans les premières églises chrétiennes, on établit le siége del'évêque ou du ministre ecclésiastique qui le remplaçait; autour de luise rangeaient les clercs; l'autel était placé en avant, à l'entrée del'hémicycle relevé de plusieurs marches. Les fidèles se tenaient dansles nefs, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Habituellementnos premières églises françaises possèdent, sous l'hémicycle, l'abside,une crypte dans laquelle était déposé un corps saint, et quelquefois lefond de l'église lui-même rappelle les dispositions de ces constructionssouterraines, bien que la nef conserve la physionomie de la basiliqueantique. Ces deux genres de constructions si opposés laissent longtempsdes traces dans nos églises, et les sanctuaires sont voûtés, élevéssuivant la méthode concrète des édifices romains bâtis en briques etblocages, que les nefs ne consistent qu'en des murs légers reposant surdes rangs de piles avec une couverture en charpente comme les basiliquesantiques.
Nous ne possédons sur les églises primitives du sol de la France que desdonnées très-vagues, et ce n'est guère qu'à dater du Xe siècle que nouspouvons nous faire une idée passablement exacte de ce qu'étaient cesédifices; encore, à cette époque, présentaient-ils des variétés suivantles provinces au milieu desquelles on les élevait. Les églisesprimitives de l'Île-de-France ne ressemblent pas à celles de l'Auvergne;celles-ci ne rappellent en rien les églises de la Champagne, ou de laNormandie, ou du Poitou. Les monuments religieux du Languedoc diffèrentessentiellement de ceux élevés en Bourgogne. Chaque province, pendant lapériode romane, possédait son école, issue de traditions diverses.Partout l'influence latine se fait jour d'abord; elle s'altère plus oumoins, suivant que ces provinces se mettent en rapport avec des centresactifs de civilisation voisins ou trouvent dans leur propre sein desferments nouveaux. L'Auvergne, par exemple, qui, depuis des siècles,passe pour une des provinces de France les plus arriérées, possédait, auXIe siècle, un art très-avancé, très-complet, qui lui permit d'éleverdes églises belles et solides, encore debout aujourd'hui. La Champagne,de toutes les provinces françaises, la Provence exceptée, est celle quigarda le plus longtemps les traditions latines, peut-être parce que sonterritoire renfermait encore, dans les premiers siècles du moyen âge, ungrand nombre d'édifices romains. Il en est de même du Soissonnais. EnOccident, près des rivages de l'Océan, nous trouvons, au contraire, dèsle Xe siècle, une influence byzantine marquée dans la construction desédifices religieux. Cette influence byzantine se fait jour à l'Est lelong des rives du Rhin, mais elle prend une autre allure. Ayant maintesfois, dans ceDictionnaire, l'occasion de nous occuper des églises etdes diverses parties qui entrent dans leur construction (voy. ABSIDE,ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, CHAPELLE, CHOEUR, CLOCHER,CONSTRUCTION, NEF, TRAVÉE), nous nous bornerons à signaler ici lescaractères généraux qui peuvent aider à classer les églises par écoleset par époques.
ÉCOLE FRANÇAISE. L'une des plus anciennes églises de l'école française,proprement dite, est la Basse-OEuvre de Beauvais, dont la nef appartientau VIIIe ou IXe siècle. Cette nef est celle d'une basilique romaine avecses collatéraux. Elle se compose de deux murs percés de fenêtresterminées en plein cintre, de deux rangs de piliers à section carréeportant des archivoltes plein cintre et les murs supérieurs percéségalement de fenêtres. Cette construction si simple était couverte parune charpente apparente. L'abside, détruite aujourd'hui, se composaitprobablement d'un hémicycle couvert en cul-de-four; existait-il untranssept? c'est ce que nous ne saurions dire. Quant à la façadereconstruite au XIe siècle, elle était vraisemblablement précédée, dansl'origine, d'un portique ou d'un narthex, suivant l'usage de l'égliseprimitive. La construction de cet édifice est encore toute romaine, avecparements de petits moellons à faces carrées et cordons de brique. Nulleapparence de décoration, si ce n'est sur la façade élevéepostérieurement. Il faut voir là l'église franco-latine dans sasimplicité grossière. Les murs, à l'intérieur, devaient être décorés depeintures, puisque les auteurs qui s'occupent des monuments religieuxmérovingiens et carlovingiens, Grégoire de Tours en tête, parlent sanscesse des peintures qui tapissaient les églises de leur temps. Lesfenêtres devaient être fermées de treillis de pierre ou de bois danslesquels s'enchâssaient des morceaux de verre ou de gypse (voy.FENÊTRE). L'ancien Beauvoisis conserve encore d'autres églises à peuprès contemporaines de la Basse-OEuvre, mais plus petites, sanscollatéraux, et ne se composant que d'une salle quadrangulaire avecabside carrée ou semi-circulaire. Ce sont de véritables granges. Tellessont les églises d'Abbecourt, d'Auviller, de Bailleval, de Bresles63.Ces églises n'étaient point voûtées, mais couvertes par des charpentesapparentes. Nous voyons cette tradition persister jusque vers lecommencement du XIIe siècle. Les nefs continuent à être lambrissées; lessanctuaires seuls, carrés généralement, sont petits et voûtés. Lestranssepts apparaissent rarement; mais, quand ils existent, ils sonttrès-prononcés, débordant les nefs de toute leur largeur. L'église deMontmille64 est une des plus caractérisées parmi ces dernières. La nefavec ses collatéraux était lambrissée ainsi que le transsept. Quatrearcs doubleaux, sur la croisée, portaient une tour très-probablement; lechoeur seul est voûté.
Dès le XIe siècle, on construit à Paris l'église du prieuré deSaint-Martin-des-Champs de l'ordre de Cluny, dont le choeur existeencore. Déjà, dans cet édifice, le sanctuaire est entouré d'un bas-côtéavec chapelles rayonnantes65. Même disposition dans l'église abbatialede Morienval (Oise), qui date du commencement du XIe siècle.
Mais c'est au XIIe siècle que, dans l'Île-de-France, l'architecturereligieuse prend un grand essor. Au milieu de ce siècle, l'abbé Sugerbâtit l'église abbatiale de Saint-Denis avec nombreuses chapellesrayonnantes autour du choeur. Immédiatement après s'élèvent lescathédrales de Noyon, de Senlis66, de Paris67, l'église abbatiale deSaint-Germer, les églises de Saint-Maclou, de Pontoise, dont il ne resteque quelques parties anciennes à l'abside, les églises de Bagneux etd'Arcueil, celle de l'abbaye de Montmartre, la petite église deSaint-Julien-le-Pauvre à Paris, celle de Vernouillet, de Vétheuil dontle choeur seul du XIIe siècle subsiste, l'église de Nesles(Seine-et-Oise), le choeur de l'église abbatiale deSaint-Germain-des-Prés à Paris, les églises de Saint-Étienne deBeauvais68, de Saint-Évremont de Creil, de Saint-Martin de Laon,l'église abbatiale de Saint-Leu d'Esserent (Oise), la cathédrale deSoissons69.
ÉCOLE FRANCO-CHAMPENOISE. Cette école est un dérivé de la précédente;mais elle emprunte certains caractères à l'école champenoise, qui estplus robuste et conserve des traditions de l'architecture antique. Lesmatériaux de la Brie sont peu résistants, et les constructeurs ont tenucompte de leur défaut de solidité en donnant aux piliers, aux murs, uneplus forte épaisseur, en tenant leurs édifices plus trapus que dansl'Île-de-France proprement dite.
La cathédrale de Meaux appartient encore entièrement à l'écolefrançaise70; mais l'influence de l'école champenoise se fait sentir àla fin du XIIe siècle dans les églises de Saint-Quiriace de Provins, deMoret71, de Nemours, de Champeaux, de Brie-Comte-Robert.
ÉCOLE CHAMPENOISE. C'est une des plus brillantes; elle se développerapidement, et ses premiers essais sont considérables. Les égliseschampenoises des Xe et XIe siècles possédaient, comme celles del'Île-de-France, des nefs couvertes en charpente; alors les sanctuairesseuls étaient voûtés. La grande église abbatiale de Saint-Remy de Reims,d'une étendue peu commune, se composait d'une nef lambrissée avecdoubles bas-côtés voûtés à deux étages. Un choeur vaste, avec bas-côtéset chapelles, remplaça, au XIIe siècle, les absides en cul-de-four72.L'église de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne ne portait, sur la nefcentrale, que des charpentes. Lorsqu'au XIIe siècle on reconstruisit lechoeur de cette église, on éleva des voûtes sur la nef. Les églisesimportantes de la basse Champagne possèdent, comme celles del'Île-de-France, des galeries voûtées au-dessus des bas-côtés,comprenant la largeur de ces collatéraux. Au XIIe siècle, on élève, dansla haute Champagne, des églises qui se rapprochent encore davantage del'architecture antique romaine et qui se fondent dans l'écolebourguignonne: telle est, par exemple, la cathédrale de Saint-Mammès àLangres, et plus tard la charmante église de Montiérender, les églisesd'Isomes et de Saint-Jean-Baptiste à Chaumont.
ÉCOLE BOURGUIGNONNE. Elle naît chez les clunisiens. Dès le XIe siècle,elle renonce aux charpentes sur les nefs; elle fait, la première, desefforts persistants pour allier la voûte au plan de la basiliqueantique. Nous en avons un exemple complet dans la nef de l'égliseabbatiale de Vézelay. Au XIIe siècle, cette école est puissante, bâtiten grands et solides matériaux; elle prend aux restes des édificesantiques certains détails d'architecture, tels que les pilastrescannelés, par exemple, les corniches à modillons; elle couvre le sold'une grande quantité d'églises dont nous citons seulement lesprincipales: Cluny, Vézelay, la Charité-sur-Loire, d'abord; puis leséglises de Paray-le-Monial, de Semur-en-Brionnais, de Châteauneuf, deSaulieu, de Beaune, de Saint-Philibert de Dijon, de Montréale (Yonne), àla fin du XIIe siècle.
L'école bourguignonne abandonne difficilement les traditions romanes, etpendant que déjà on construisait, dans l'Île-de-France et la basseChampagne, des églises qui présentent tous les caractères del'architecture gothique, on suivait en Bourgogne, avec succès, lesméthodes clunisiennes en les perfectionnant.
ÉCOLE AUVERGNATE. Elle peut passer pour la plus belle école romane;seule, elle sut, dès le XIe siècle, élever des églises entièrementvoûtées et parfaitement solides; aussi, le type trouvé, elle ne s'enécarte pas. À la fin du XIe siècle et pendant le XIIe, on bâtissait,dans cette province, l'église de Saint-Paul d'Issoire, la cathédrale duPuy-en-Vélay, les églises de Saint-Nectaire, de Notre-Dame-du-Port(Clermont), de Saint-Julien de Brioude, et quantité de petits monumentsà peu près tous conçus d'après le même principe. Cette école s'étendait,au nord, jusque sur les bords de l'Allier, à Ébreuil, à Châtel-Montagne,à Cogniat, jusqu'à Nevers dans la construction de l'église deSaint-Étienne; au sud, jusqu'à Toulouse (église de Saint-Sernin), etmême jusqu'à Saint-Papoul.
ÉCOLE POITEVINE. Très-féconde en monuments, à cause de la quantité et dela qualité des matériaux calcaires, cette école est moins avancée quel'école auvergnate; elle possède à un degré moins élevé le sentiment desbelles dispositions. Comme cette dernière, elle sut bâtir des églisesvoûtées durables, dès le XIe siècle, en contre-buttant les voûtes enberceau des grandes nefs par celles des collatéraux, mais sans lesgaleries de premier étage des églises d'Auvergne, c'est-à-dire que leséglises romanes du Poitou se composent généralement de trois nefs à peuprès égales en hauteur sous clef, voûtées au moyen de trois berceaux,celui central plus large que les deux autres; tandis que les églisesauvergnates comprennent des collatéraux voûtés en arêtes, avec galeriessupérieures voûtées en demi-berceaux, contre-buttant le berceaucentral73. Dans le Poitou, et en Auvergne très-anciennement, lessanctuaires sont entourés d'un bas-côté avec chapelles rayonnantes,comme dans l'église de Saint-Savin près Poitiers, qui date du XIesiècle, dans l'église haute de Chauvigny (commencement du XIIe siècle).L'école poitevine se soumet à des influences diverses. En dehors duprincipe décrit ci-dessus, elle admet le système des coupoles de l'écolede la Saintonge et du Périgord, comme dans la construction de l'égliseSaint-Hilaire de Poitiers, et dans celle de Sainte-Radegonde, comprenantune seule nef. Au XIIe siècle, l'école de l'Ouest (du Périgord et de laSaintonge) eut une si puissante influence qu'elle étouffa non-seulementl'école poitevine, mais qu'elle pénétra jusque dans le Limousin et leQuercy au sud, et, au nord, jusque dans l'Anjou et le Maine.
ÉCOLE DU PÉRIGORD. Son type primitif se trouve à Périgueux dansl'ancienne cathédrale de cette ville, et dans l'église abbatiale deSaint-Front; c'est une importation byzantine74. Le principe de cetteécole est celui de la coupole portée sur pendentifs. Dans un temps où laplupart des écoles romanes en France ne savaient trop comment résoudrele problème consistant à poser des voûtes sur les plans de la basiliqueantique, cette importation étrangère dut avoir et eut en effet un grandsuccès. On abandonna donc, dans les provinces de l'Ouest, pendant lesXIe et XIIe siècles, sauf de rares exceptions, le plan romain pouradopter le plan byzantin. Les provinces plus particulièrement attachéesaux traditions latines, comme l'Île-de-France, la Champagne et laBourgogne, résistèrent seules à cette nouvelle influence etpoursuivirent la solution du problème posé, ce qui les conduisit ausystème de construction gothique. Outre les deux types que nous venonsde citer, l'école du Périgord présente une quantité prodigieused'exemples d'églises dérivées de ces types. Nous nous bornerons à enciter quelques-uns: la cathédrale de Cahors, l'église abbatiale deSouillac (XIe siècle), celle de Solignac, la cathédrale d'Angoulême, leséglises de Saint-Avit-Seigneur, du Vieux-Mareuil, de Saint-Jean de Cole,de Trémolac, l'église abbatiale de Fontevrault (XIIe siècle), et lamajeure partie des petites églises de la Charente.
ÉCOLE NORMANDE. Les églises normandes antérieures au XIIe siècle étaientcouvertes par des charpentes apparentes, sauf les sanctuaires, quiétaient voûtés en cul-de-four. C'est d'après ce principe que furentélevées les deux églises abbatiales de Saint-Étienne et de la Trinité àCaen75, fondées par Guillaume le Bâtard et Mathilde sa femme. Cesdispositions primitives se retrouvent dans un assez grand nombred'églises d'Angleterre, tandis qu'en France elles ont été modifiées dèsle XIIe siècle; les voûtes remplacèrent les anciennes charpentes. LesNormands furent bientôt d'habiles et actifs constructeurs; aussi leurséglises des XIe et XIIe siècles sont-elles grandes, si on les compareaux églises de l'Île-de-France; les nefs sont allongées, ainsi que lestranssepts; les choeurs ne furent enveloppés de bas-côtés que vers lemilieu du XIIe siècle.
Ces écoles, diverses par leurs origines et leurs travaux, progressentchacune de leur côté jusqu'au moment où se fait sentir l'influence de lanouvelle architecture de l'Île-de-France et de la Champagne,l'architecture gothique.
L'architecture gothique est une des expressions les plus vives dessentiments des populations vers l'unité. En effet, peu après sanaissance, nous voyons les écoles romanes (dont nous n'avons indiqué queles divisions principales) s'éteindre et accepter les nouvelles méthodesadoptées par les architectes du domaine royal. Cependant, aucommencement du XIIIe siècle, on distingue encore trois écoles biendistinctes: l'école de l'Île-de-France, qui comprend le bassin de laSeine entre Montereau et Rouen, ceux de l'Oise et de l'Aisne entre Laon,Noyon et Paris, le bassin de la Marne entre Meaux et Paris et une partiedu bassin de la Somme; l'école champenoise, qui a son siége à Reims, etl'école bourguignonne, qui a son siége à Dijon.
L'école gothique normande ne se développe que plus tard, vers 1240, etson véritable siége est en Angleterre.
La passion de bâtir des églises, de 1200 à 1250, fut telle au nord de laLoire, que non-seulement beaucoup de monuments romans furent détruitspour faire place à de nouvelles constructions, mais encore que l'onmodifia, sans autre raison que l'amour de la nouveauté, la plupart desédifices rebâtis pendant le XIIe siècle; les cathédrales de Paris, deSenlis, de Soissons, de Laon, de Rouen, du Mans, de Chartres, de Bayeux,nous présentent des exemples frappants de ce besoin de changer ce quivenait d'être achevé à peine. Les monastères, avec plus de réservecependant, suivirent ce mouvement vers un renouvellement del'architecture; quant aux paroisses, celles qui étaient riches nemanquèrent pas de jeter bas leurs vieilles églises pour en construire deneuves. Si bien qu'on ne peut s'expliquer comment il se trouva, pendantun espace de cinquante années à peine, assez d'ouvriers de bâtiment, desculpteurs, de statuaires, de peintres verriers, pour exécuter un nombreaussi prodigieux d'édifices sur un territoire qui ne comprend à peu prèsque le tiers de la France actuelle. Bientôt même les provinces duCentre, de l'Est et de l'Ouest suivirent l'impulsion, et ces ouvriers serépandirent en dehors des contrées où l'architecture gothique avait prisnaissance. Bien qu'on ait démoli plus de la moitié des églises anciennesdepuis la fin du dernier siècle, il reste encore en France une quantitéconsidérable de ces édifices. Nous nous bornons à donner ici uncatalogue de celles qui présentent assez d'intérêt au point de vue del'art pour être mises au rang des monuments historiques, commecathédrales, églises conventuelles ou paroissiales.
Afin de faciliter les recherches, nous classons ces églises pardépartementset arrondissements, en suivant l'ordre alphabétique.
AIN.
Arrond. de Bourg. Église de Brou76, ég. de Saint-André de Bagé.
Arrond. de Nantua. Ég. de Nantua77.
Arrond. de Trévoux. Ég. de Saint-Paul de Varax.
AISNE.
Arrond. de Laon. Ég. Notre-Dame de Laon (ancienne cathédrale)78, ég.Saint-Martin de Laon79, ég. Saint-Julien de Royaucourt, ég. deNouvion-le-Vineux, ég. de Marle.
Arrond. de Château-Thierry. Ég. de Mezy-Moulins, ég. d'Essomes, ég. deLa Ferté-Milon.
Arrond. de Saint-Quentin. Ég. collég. de Saint-Quentin80.
Arrond. de Soissons. Ég. cathédrale de Soissons81, ég. abb. deSaint-Médard à Soissons, ég. abb. de Saint-Jean-des-Vignes, id.82, ég.abb. de Saint-Julien, id., ég. abb. de Saint-Yved de Braisne83.
Arrond. de Vervins. Ég. d'Aubenton, ég. de Saint-Michel (prèsd'Hirson), ég. d'Esquehéries, ég. de la Vacqueresse.
Note 78:(retour) L'un des plus beaux spécimens de l'architecture du commencement du XIIIe siècle (voy. CATHÉDRALE, fig. 9; CLOCHER, fig. 73). Dans l'origine, la cathédrale de Laon, possédait une abside circulaire, avec bas-côté. Vers 1230, cette abside fut démolie pour être remplacée par une abside carrée. Il est difficile de se rendre compte des motifs de ce changement. Les fondations du choeur circulaire ont été retrouvées par l'architecte M. Boeswilwald, et des chapiteaux faisant partie de ce sanctuaire primitif ont été replacés dans l'abside carrée. La sculpture de la cathédrale de Laon est fort belle. Villard de Honnecourt cite les clochers de Laon et en donne un figuré.
Note 83:(retour) L'église Saint-Yved de Braisne est un des plus beaux monuments de cette partie de la France. Le plan de l'abside présente une disposition excellente et rare (voy. laMonog. de l'ég. abb. de Braisne, par M. Prioux). Cette église paraît avoir été construite par l'architecte de la cathédrale de Laon; elle date du commencement du XIIIe siècle. La façade et quelques travées de la nef ont été détruites il y a peu d'années. Les sculptures du portail sont en partie déposées dans le musée de Soissons. L'église Saint-Yved contenait, avant la Révolution, de magnifiques tombes en cuivre émaillé, dont les dessins se trouvent aujourd'hui dans la collection Gaignères de la bib. Bodléienne d'Oxford.
ALLIER.
Arrond. de Moulins. Cathédrale de Moulins, ég. deBourbon-l'Archambault, ég. de Saint-Menoux84, ég. abb. deSouvigny85, ég. de Meilliers, ég. de Toulon.
Arrond. de Gannat. Ég. de Gannat86, ég. d'Ébreuil87, ég. deBiozat, ég. de Saint-Pourçain88, ég. de Cogniat89, ég. de Vicq, ég.abb. de Chantel90.
Arrond. de La Palisse. Ég. de Châtel-Montagne91.
Arrond. de Montluçon. Ég. d'Huriel, ég. de Néris.
ALPES (BASSES-).
Arrond. de Digne. Ég. de Notre-Dame à Digne (cathéd.), ég. de Seyne.
Arrond. de Barcelonnette. Ég. d'Allos.
Arrond. de Castellane. Ancienne cathéd. de Senez.
Arrond. de Forcalquier. Ég. de Manosque.
Arrond. de Sisteron. Ég. de Sisteron.
ALPES (HAUTES-).
Arrond. de Gap. Ég. de Lagrand.
Arrond. d'Embrun. Ancienne cathéd. d'Embrun.
ARDÈCHE.
Arrond. de Privas. Ég. de Bourg-Saint-Andéol, ég. de Cruas, ég.cathéd. de Viviers92.
Arrond. de l'Argentière. Ég. de Thines.
Arrond. de Champagne. Ég. de Champagne.
ARDENNES.
Arrond. de Braux. Ég. de Braux.
Arrond. de Réthel. Ég. de Saint-Nicolas de Réthel.
Arrond. de Sédan. Ég. de Mouzon93.
Arrond. de Vouziers. Ég. de Vouziers, ég. de Bouilly, ég. de Verpel,ég. abb. d'Attigny, ég. de Sainte-Vauxbourg.
ARIÈGE.
Arrond. de Foix.. Ég. d'Unac.
Arrond. de Saint-Girons. Ég. de Saint-Lizier94.
Arrond. de Pamiers. Ég. de la Roque, ég. de Mirepoix.
AUBE.
Arrond. de Troyes. Ég. de Saint-Pierre (cathéd.)95, ég. Saint-Urbainà Troyes96, ég. de la Madeleine, id.97, ég. Saint-André, id., ég.Saint-Jean, id., ég. Saint-Nizier, id., ég. Saint-Pantaléon, id., ég.Saint-Gilles98, ég. de Bérulle, ég. de Montiéramey.
Arrond. d'Arcis sur-Aube. Ég. d'Arcis-sur-Aube, ég. d'Uitre.
Arrond. de Bar-sur-Aube. Ég. Saint-Maclou à Bar-sur-Aube, ég.Saint-Pierre, id., ég. de Rosnay.
Arrond. de Bar-sur-Seine. Ég. de Fouchères99, ég. deMussy-sur-Seine, ég. de Ricey-Bas, ég. de Rumilly-les-Vaudes, ég. deChaource.
Arrond. de Nogent-sur-Seine. Ég. de Saint-Laurent à Nogent-sur-Seine,ég. de Villenauxe.
Note 96:(retour) L'église Saint-Urbain de Troyes, bâtie pendant les dernières années du XIIIe siècle, est l'exemple le plus remarquable du style gothique champenois arrivé à son dernier développement (voy. CONSTRUCTION, fig. 102, 103, 104, 105 et 106). La nef est restée inachevée. Cette église, qui est petite, et dont le choeur est dépourvu de bas-côtés, devait posséder trois clochers, l'un sur le transsept et les deux autres sur la façade.
AUDE.
Arrond. de Carcassonne. Ancienne cathéd. de Saint-Nazaire deCarcassonne100, ég. Saint-Michel de la ville basse à Carcassonne(cathéd. actuelle), ég. de Rieux-Minervois101, ég. de Saint-Vincent deMontréal.
Arrond. de Castelnaudary. Ancienne cathéd. de Saint-Papoul102.
Arrond. de Limoux. Ancienne cathéd. d'Alet, ég. abb. de Saint-Hilaireà Limoux.
Arrond. de Narbonne. Ancienne cathéd. de Narbonne103, ég.Saint-Paul, id.104, ég. abb. de Fontfroide105.
Note 100:(retour) L'un des plus remarquables édifices du midi de la France; la nef date du XIe siècle, le choeur et le transsept du commencement du XIVe (voy. CATHÉDRALE, fig. 49; CONSTRUCTION, fig. 109, 110, 111, 112, 113 et 114). Magnifiques vitraux du XIVe siècle, restes de peintures de la même époque.
AVEYRON.
Arrond. de Rodez. Cathéd. de Rodez, ég. abb. de Sainte-Foi àConques106.
Arrond. d'Espalion. Ég. de Perse.
Arrond. de Saint-Affrique. Ég. abb. de Belmont.
Arrond. de Villefranche. Ég. abb. de Villefranche.
Note 106:(retour) Grande église du XIIe siècle, avec collatéraux dans le transsept; bas-côtés autour du choeur; trois chapelles absidales et quatre chapelles orientées dans le transsept. Style rappelant beaucoup celui de l'église Saint-Sernin de Toulouse; nef voûtée en berceau plein cintre, avec galeries de premier étage, dont les voûtes en demi-berceau contre-buttent la poussée du berceau central; coupole et clocher sur le milieu de la croisée; narthex.
BOUCHES-DU-RHÔNE.
Arrond. de Marseille. Ég. abb. de Saint-Victor à Marseille107.
Arrond. d'Aix. Ég. cathéd. d'Aix, ég. Saint-Jean à Aix, ég. abb. deSilvacane108, ég. Saint-Laurent à Salon.
Arrond. d'Arles. Ég. abb. de Saint-Trophyme à Arles109, ég. deSaint-Césaire, id., ég. Saint-Jean, id. (Musée), ég. Saint-Honorat, id.,ég. de Saint-Gabriel, ég. abb. de Montmajour, ég. desSaintes-Maries110, ég. de Sainte-Marthe à Tarascon.
Note 110:(retour) Église à une seule nef, avec abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four plein cintre. La nef est voûtée en berceau légèrement brisé avec arcs doubleaux. Cette église est fortifiée et date du XIIe siècle (voy. lesArch. de la comm. des Mon. historiques, pub. sous les ausp. de M. le ministre d'État).
CALVADOS.
Arrond. de Caen. Ég. abb. de la Trinité à Caen111, ég. abb. deSaint-Étienne, id.112, ég. Saint-Gilles, id.113, ég. Notre-Dame,id., ég. Saint-Pierre, id.114, ég. Saint-Jean, id., ég. Saint-Nicolas,id.115, ég. de Bernières, ég. de Saint-Contest, ég. de Fresne-Camilly,ég. du prieuré de Saint-Gabriel, ég. de Norey, ég. d'Ouistreham, ég. deSecqueville-en-Bessin, ég. de Thaon, ég. de Bretteville-l'Orgueilleuse,ég. de Langrune, ég. de Mathieu, ég. de Cully, ég. d'Audrien, ég. deMouen, ég. de Douvres, ég. de Fontaine-Henry.
Arrond. de Bayeux. Ég. cathéd. de Bayeux116, ég. de Tour prèsBayeux117, ég. de Saint-Loup, id.118, ég. d'Asnières, ég. deColleville, ég. d'Etreham, ég. de Formigny, ég. de Louvières, ég. deRyes, ég. de Vierville, ég. de Campigny, ég. de Guéron, ég. de Marigny,ég. de Briqueville, ég. de Sainte-Marie-aux-Anglais119, ég. deVouilly.
Arrond. de Falaise. Ég. Saint-Gervais à Falaise, ég.Saint-Jacques, id., ég. de Guibray près Falaise, ég. de Maizières, ég.de Sassy.
Arrond. de Lizieux. Ég. de Saint-Pierre à Lizieux, ég. deSaint-Pierre-sur-Dive, ég. de Vieux-Pont-en-Auge, ég. du Breuil.
Arrond. de Pont-l'Évêque. Ég. de Saint-Pierre à Touques.
Arrond. de Vire. Ég. de Vire.
CANTAL.
Arrond. d'Aurillac. Ég. de Montsalvi.
Arrond. de Saint-Flour. Ég. abb. de Ville-Dieu.
Arrond. de Mauriac. Ég. Notre-Dame des Miracles à Mauriac, ég. d'Ydes,ég. de Brageac, ég. Saint-Martin-Valmeroux.
Arrond. de Murat. Ég. de Bredons.
CHARENTE.
Arrond. d'Angoulême. Ég. cathéd. d'Angoulême120, ég. abb. deSaint-Amant de Boixe121, ég. abb. de la Couronne, ég. Saint-Micheld'Entraigues122, ég. de Charmant, ég. de Roullet123, ég. de Plassac,ég. de Torsac, ég. de Montberon124, ég. de Mouthiers.
Arrond. de Barbezieux. Ég. d'Aubeterre, ég. de Montmoreau, ég. deRiou-Martin.
Arrond. de Cognac. Ég. de Châteauneuf, ég. de Gensac125, ég. deRichemont.
Arrond. de Confolens. Ég. Saint-Barthélemy à Confolens, ég. deLesterps.
Note 121:(retour) Église du XIIe siècle, à coupoles, avec galerie sous la calotte de la coupole centrale. Beau plan. Abside avec chapelles dans l'axe des collatéraux de la nef et deux chapelles plus vastes orientées dans les bras de la croisée. L'un des édifices religieux les plus remarquables de la Charente.
CHARENTE-INFÉRIEURE.
Arrond. de La Rochelle. Ég. d'Esnandes.
Arrond. de Marennes. Ég. de Marennes, ég. d'Echillais, ég. de Moëse,ég. Saint-Denis d'Oleron.
Arrond. de Rochefort. Ég. de Surgères.126
Arrond. de Saintes. Ég. Saint-Euthrope à Saintes127, ég.Saint-Pierre, id., ég. Sainte-Marie-des-Dames, id.128, ég. deSaint-Gemmes, ég. de Rétaud, ég. de Thézac.
Arrond. de Saint-Jean-d'Angely. Ég. Saint-Pierre à Aulnay, ég. deFénioux.
CHER.
Arrond. de Bourges. Ég. cathéd. de Bourges129, ég. de Saint-Bonnet àBourges, ég. des Aix-d'Angillon, ég. de Mehun-sur-Yèvre, ég. dePlaimpied.
Arrond. de Saint-Amand. Ég. de la Celle-Bruère, ég. de Charly, ég. deCondé, ég. abb. de Noirlac, ég. de Dun-le-Roy, ég. deSaint-Pierre-des-Étieux, ég. d'Ineuil, ég. de Châteaumeillant.
Arrond. de Sancerre. Ég. d'Aubigny, ég. de Jars, ég. de Saint-Satur.
CORRÈZE.
Arrond. de Tulle. Ég. cathéd. de Tulle130, ég. d'Uzerche131.
Arrond. de Brives. Ég. Saint-Martin à Brives-la-Gaillarde132 ég.d'Arnac-Pompadour, ég. d'Aubazine133, ég. de Beaulieu134, ég. deSaint-Cyr-la-Roche, ég. de Saint-Robert.
Arrond. d'Ussel. Ég. d'Ussel, ég. de Saint-Angel135, ég. de Meymac.
CÔTE-D'OR.
Arrond. de Dijon. Ég. abb. de Saint-Bénigne de Dijon (cath.)136, ég.Notre-Dame de Dijon137, ég. Saint-Michel, id.138, ég. Saint-Étienne,id., ég. Saint-Philibert, id., ég. Saint-Jean, id., ég. de laChartreuse, id., ég. de Saint-Seine, ég. de Rouvres, ég. de Plombières,ég. de Thil-Châtel.
Arrond. de Beaune. Ég. de Beaune139, ég. de Meursault, ég. deSainte-Sabine140.
Arrond. de Châtillon-sur-Seine. Ég. de Saint-Vorle àChâtillon-s.-Seine, ég. d'Aignay-le-Duc.
Arrond. de Semur. Ég. Notre-Dame de Semur141, ég. de Flavigny142,ég.
abb, de Fontenay près Montbard143, ég. Saint-Andoche deSaulieu144, ég. de Saint-Thibault145.
Note 136:(retour) Restes d'une crypte du XIe siècle (voy. CRYPTE, fig. 5). Église rebâtie, à la fin du XIIIe siècle, à la place d'une église du XIe siècle. Abside sans collatéraux; deux chapelles dans les deux bras de croix; nef d'une grande simplicité; chapiteaux dépourvus de sculpture; deux tours sur la façade d'un pauvre style; flèche en bois, du XVIIe siècle, sur le centre de la croisée.
Note 137:(retour) Le type le plus complet de l'architecture bourguignonne du XIIIe siècle (1230 environ). Porche vaste, abside sans bas-côtés; tour sur le centre de la croisée dont la disposition est des plus remarquables, quoiqu'on n'en puisse juger aujourd hui par suite d'adjonctions (voy. CONSTRUCTION, fig. 75, 76, 77, 78, 79, 79 bis, 80, 81 et 82).
CÔTES-DU-NORD.
Arrond. de Saint-Brieuc. Ég. cathéd. de Saint-Brieuc, ég. de Lanleff,ég. Notre-Dame de Lamballe, ég. de Montcontour.
Arrond. de Dinan. Ég. de Saint-Sauveur de Dinan, ég. du pr. de Lehon.
Arrond. de Lannion. Ég. Saint-Pierre de Lannion, ég. de Tréguier(ancienne cathéd.).
CREUSE.
Arrond. de Guéret. Ég. de la Souterraine146.
Arrond. d'Aubusson. Ég. d'Evaux, ég. de Fellein.
Arrond. de Bourganeuf. Ég. de Bénévent.
Arrond. de Boussac. Ég. Sainte-Valérie à Chambon.
Note 146:(retour) Belle église de la fin du XIIe siècle, avec abside carrée et quatre chapelles dans les bras de croix; bas-côté de la nef très-étroit; coupole sur la première travée avec clocher au-dessus; coupole au centre de la croisée; crypte (voy.Arch. de la comm. des Mon. historiques, pub. sous les ausp. de M. le ministre d'État). Église disposée pour être fortifiée; collatéraux très-élevés dont les voûtes contre-buttent celles de la nef. L'un des exemples les plus remarquables de ce style mixte qui commence vers Châteauroux, suit la route de Limoges et s'étend jusque dans la Corrèze.
DORDOGNE.
Arrond. de Périgueux. Ég. abb. de Saint-Front à Périgueux(cathéd.)147, ég. de la Cité, id. (anc. cathéd.), ég. abb. deBrantôme148.
Arrond. de Bergerac. Ég. de Beaumont, ég. de Montpazier, ég. abb. deSaint-Avit-Seigneur149.
Arrond. de Nontron. Ég. de Cercles, ég. de Saint-Jean-de-Col, ég. deBussières-Badil.
Arrond. de Sarlat. Ég. de Sarlat (anc. cathéd,), ég. de Saint-Cyprien.
Arrond. de Ribérac. Ég. de Saint-Privat.
DOUBS.
Arrond. de Besançon. Ég. cathéd. de Besançon150, ég. deSaint-Vincent de Besançon.
Arrond. de Montbelliard. Ég. de Courtefontaine.
Arrond. de Pontarlier. Ég. abb. de Montbenoît, ég. du prieuré deMorteau, ég. abb. de Sept-Fontaines.
DRÔME.
Arrond. de Valence. Ég. cathéd. de Valence151, ég. de Saint-Bernard àRomans.
Arrond. de Die. Ég. de Die (anc. cathéd.), ég. de Chabrillan.
Arrond. de Montélimart.. Ég. de Grignan, ég. deSaint-Paul-Trois-Châteaux (anc. cathéd.); ég. de Saint-Restitut, ég. deSaint-Marcel-des-Sauzet, ég. de la Garde-Adhémar.
EURE.
Arrond. d'Évreux. Ég. cathéd. d'Évreux152, ég. de Saint-Taurin àÉvreux, ég. de Conches153, ég. de Pacy-sur-Eure, ég. de Vernon, ég. deVernonet, ég. de Saint-Luc.
Arrond. des Andelys. Ég. du Grand-Andely, ég. du Petit-Andely, ég. deGisors.
Arrond. de Bernay. Ég. abb. à Bernay, ég. de Broglie, ég. deFontaine-la-Sorêt, ég. d'Harcourt, ég. de Serquigny, ég. de Boisney, ég.Notre-Dame-de-Louviers, ég. de Pont-de-l'Arche.
Arrond. de Pont-Audemer. Ég. d'Annebaut, ég. de Quillebeuf.
EURE-ET-LOIR.
Arrond. de Chartres. Ég. Notre-Dame-de-Chartres (cath.)154, ég. deSaint-Aignan à Chartres, ég. abb. de Saint-Père, id.155, ég.Saint-André, id., ég. de Gallardon.
Arrond. de Châteaudun. Ég. de Sainte-Madeleine à Châteaudun, ég. deBonneval.
Arrond. de Dreux. Ég. Saint-Pierre à Dreux, ég. de Nogent-le-Roi.
FINISTÈRE.
Arrond. de Quimper. Ég. cathéd. de Quimper, ég. de Loctudy, ég. dePen-Marc'h, ég. de Plogastel-Saint-Germain, ég. de Pontcroix.
Arrond. de Brest. Ég. Notre-Dame du Folgoët, ég. de Goulven.
Arrond. de Châteaulin. Ég. de Pleyben, ég. de Loc-Ronan.
Arrond. de Morlaix. Ég. de Saint-Jean-du-Doigt, ég. de Lambader, ég.de Saint-Pol-de-Léon (anc. cathéd.), ég. Notre-Dame du Creisquer àSaint-Pol-de-Léon.
Arrond. de Quimperlé. Ég. Sainte-Croix de Quimperlé156.
GARD.
Arrond. de Nîmes. Ég. abb. de Saint-Gilles157, ég. Sainte-Marthe deTarascon.
Arrond. d'Uzès. Ég. de Villeneuve-lès-Avignon.
Note 157:(retour) Portail du XIIe siècle, dont la sculpture présente un des exemples les plus complets de l'école des statuaires de cette époque en Provence. Nef très-mutilée; crypte du XIIe siècle; choeur (détruit) de la fin du XIIe siècle, dont les débris présentent un grand intérêt comme perfection d'exécution.
GARONNE (HAUTE-).
Arrond. de Toulouse. Ég. cathéd. de Toulouse158, ég. conv. desJacobins à Toulouse159, ég. du Taur, id., ég. abb. de Saint-Sernin,id.160, ég. conv. des Cordeliers, id.
Arrond. de Muret. Ég. de Venerque.
Arrond. de Saint-Gaudens. Ég. de Saint-Gaudens161, ég. deSaint-Aventin, ég. de Saint-Bertrand-de-Comminges (anc. cathéd.), ég.Saint-Just de Valcabrère162, ég. abb. de Montsaunès163.
Note 160:(retour) Le plus vaste édifice du midi de la France, XIIe siècle; choeur avec collatéral et chapelles rayonnantes; transsepts avec chapelles circulaires orientées; nef avec doubles bas-côtés se retournant dans le transsept. Clocher du XIIIe siècle sur le centre de la croisée. Façade inachevée. La nef rebâtie au XVe siècle, en suivant les données primitives. Voûtes en berceau contre-buttées par les demi-berceaux des galeries de premier étage. Construction, pierre et brique. Belle sculpture; fragments importants d'un édifice plus ancien. Crypte rebâtie au XIVe siècle et mutilée depuis peu. Style auvergnat développé.
GERS.
Arrond. d'Auch. Ég. cathéd. d'Auch164.
Arrond. de Condom. Ég. de Condom (anc. cathéd.).
Arrond. de Lectoure. Ég. de Fleurance.
Arrond. de Lombez. Ég. de Lombez, ég. de Simorre165.
GIRONDE.
Arrond. de Bordeaux. Ég. Saint-André (cathéd. de Bordeaux), ég.Sainte-Croix à Bordeaux166, église Saint-Seurin, id.167, ég.Saint-Michel, id., ég. d'Avensan, ég. de Bouillac, ég. de Léognan, ég. deLoupiac de Cadillac168, ég. de Moulis, ég. de la Sauve.
Arrond. deBazas. Ég. de Bazas (anc. cathéd.), ég. d'Aillas, ég. du Pondaurat, ég.d'Uzeste.
Arrond. de La Réole. Ég. Saint-Pierre de La Réole, ég. de Blazimon,ég. de Saint-Ferme, ég. de Saint-Macaire169, ég. de Saint-Michel.
Arrond. de Lesparre. Ég. de Bégadan, ég. de Gaillan, ég. de Vertheuil,ég. de Saint-Vivien.
Arrond. de Libourne. Ég. de Saint-Denis de Piles, ég. deSaint-Émilion, ég. de Saint-Pierre de Petit-Palais, ég. de Pujols.
HÉRAULT.
Arrond. de Montpellier. Ég. de Castries, ég. Sainte-Croix àCelleneuve, ég. abb. de Saint-Guilhem-le-Désert170, ég. abb. deMaguelonne, ég. abb. de Vignogoul à Pignan, ég. abb. de Vallemagne, ég.de Villeneuve-lès-Maguelonne.
Arrond. de Béziers. Ég. de Saint-Nazaire de Béziers (anc.cathéd.)171, ég. d'Agde (anc. cathéd.), ég. d'Espondeilhan.
Arrond. de Lodève. Ég. Saint-Fulcran de Lodève, ég. Saint-Paul deClermont, ég. Saint-Pargoire.
Arrond. de Saint-Pons. Ég. de Saint-Pons.
ILLE-ET-VILAINE.
Arrond. de Montfort-sur-Meu. Ég. de Montauban.
Arrond. de Redon. Ég. Saint-Sauveur de Redon.
Arrond. de Saint-Malo.. Ég. de Dol (anc. cathéd.)172.
Arrond. de Vitré. Ég. de Vitré.
INDRE.
Arrond. de Châteauroux. Ég. de Châtillon-sur-Indre, ég. abb. de Déolsprès Châteauroux173, ég. de Levroux, ég. de Méobecq, ég. deSaint-Genou174, ég. de Saint-Martin d'Ardental.
Arrond. du Blanc. Ég. abb. de Fontgombaud175, ég. deMézières-en-Brenne.
Arrond. de la Châtre. Ég. de la Châtre176, ég. de Gargilesse, ég. deNeuvy-Saint-Sépulcre177, ég. de Nohant-Vic.
INDRE-ET-LOIRE.
Arrond. de Tours. Ég. cathéd. de Tours178, ég. abb. de Saint-Martinà Tours179, ég. abb. de Saint-Julien, id.180, ég. Saint-Denis àAmboise, ég. de Vernon.
Arrond. de Chinon. Ég. abb. de Saint-Mesme à Chinon, ég.d'Azay-le-Rideau, ég. de Candes, ég. de Langeais, ég. de Rivière.
Arrond. de Loches. Ég. Saint-Ours de Loches181, ég. de Beaulieu, ég.de Montrésor, ég. de Preuilly.
ISÈRE.
Arrond. de Grenoble. Ég. cathéd. de Grenoble.
Arrond. de Saint-Marcellin. Ég. Saint-Antoine près Saint-Marcellin,ég. de Marnans.
Arrond. de la Tour-du-Pin. Ég. de Saint-Chef182.
Arrond. de Vienne.. Ég. Saint-André-le-Bas à Vienne, ég.Saint-Maurice, id., ég. Saint-Pierre, id.
Note 182:(retour) Église composée d'une large nef avec collatéraux, d'un transsept étroit avec abside circulaire et quatre absidioles prises dans l'épaisseur du mur des bras de croix, XIIe siècle. Charpente sur la nef. L'abside et le transsept sont seuls voûtés. Peintures de la fin du XIIe siècle dans une des deux tribunes qui terminent les deux bras de croix. Les quatre travées de ces deux bras de croix sont voûtées au moyen de berceaux perpendiculaires aux murs et reposant sur des arcs doubleaux construits à la hauteur des archivoltes réunissant les piles de la nef. Clochers sur plan barlong aux extrémités du transsept sur les tribunes. Le clocher sud seul existe.
JURA.
Arrond. de Lons-le-Saunier. Ég. de Baume-les-Messieurs.
Arrond. de Dôle. Ég. de Chissey.
Arrond. de Poligny. Ég. Saint-Anatole de Salins.
LANDES.
Arrond. de Dax. Ég. de Sordes, ég. de Saint-Paul-lès-Dax.
Arrond. de Saint-Sever. Ég. de Saint-Géron à Hagetman, ég. deSainte-Quitterie au Mas-d'Aire183.
LOIR-ET-CHER.
Arrond. de Blois. Ég. de Saint-Latimer à Blois184, ég. deSaint-Aignan, ég. de Mesland, ég. de Nanteuil à Montrichard, ég. deCours-sur-Loire, ég. Saint-Lubin à Suèvres.
Arrond. de Romorantin. Ég. de Romorantin, ég. de Lassay, ég. deSaint-Thaurin à Selles-Saint-Denis, ég. de Saint-Genoux, id., ég. de Selles-sur-Cher.
Arrond. de Vendôme. Ég. abb. de la Trinité à Vendôme185, ég. deTroo, ég. de Lavardin, ég. Saint-Gilles de Montoire.
LOIRE.
Arrond. de Roanne. Ég. d'Ambierle, ég. abb. de Charlieu186, ég. dela Benison-Dieu.
LOIRE (HAUTE-).
Arrond. du Puy. Ég. cathéd. du Puy187, ég. Saint-Jean au Puy188,baptistère au Puy, ég. Saint-Laurent, id., ég.Saint-Michel-de-l'Aiguilhe, id., ég. de Chamalières, ég. de Monestier,ég. de Polignac189, ég. de Saint-Paulien, ég. de Saugues.
Arrond. de Brioude. Ég. de Saint-Julien de Brioude190, ég. abb. deChaise-Dieu, ég. de Chanteuges.
Arrond. d'Yssingeaux. Ég. de Bauzac, ég. de Saint-Didier-la-Sauve, ég.de Riotord.
Note 187:(retour) Monument dont la disposition est unique. En passant sous un porche très-relevé comme une loge immense, on pénètre sous le pavé de l'église et on débouche, par un escalier, devant le maître-autel. Ce degré se prolonge au loin dans la rue percée en face le portail. Cette disposition si étrange avait été prise pour permettre aux nombreux pèlerins qui visitaient Notre-Dame du Puy d'arriver processionnellement jusqu'à l'image vénérée. La cathédrale du Puy présente des traces d'un édifice très-ancien. Les constructions en élévation datent du XIe siècle; elles ont été couronnées au XIIe par des coupoles. Une lanterne s'élève sur le centre de la croisée. L'abside était carrée, et les extrémités du transsept sont terminées, au nord et au sud, par des absidioles peu élevées. Les parements extérieurs sont composés de pierre blanche (grès) et de lave noire, de façon à former de grandes mosaïques. Il y avait autrefois, à l'intérieur, de nombreuses peintures du XIIe siècle, d'un grand style, qui ont été en partie détruites. La cathédrale du Puy a conservé ses dépendances: une grande salle du XIIe siècle, un cloître du Xe et du XIIe, une salle capitulaire et une maîtrise avec des peintures du XIVe.
Note 190:(retour) Belle église du XIIe et du commencement du XIIIe siècle; le choeur est de cette dernière époque, mais les masses de l'architecture et le système de construction sont restés romans. Le style nouveau ne se fait sentir que dans les détails de la sculpture et les profils. Traces nombreuses de peintures.
LOIRE-INFÉRIEURE.
Arrond. de Nantes. Ég. cathéd. de Nantes, ég. Saint-Jacques à Nantes.
Arrond. de Sapenay. Ég. de Saint-Gildas-des-Bois, ég. deSaint-Gonstan, ég. de Guérande.
LOIRET.
Arrond. d'Orléans. Ég. cathéd. d'Orléans, ég. Saint-Aignan à Orléans,ég. de Beaugency, ég. Saint-Étienne de Beaugency191, ég. Notre-Dame deCléry, ég. de Germigny-les-Prés192, ég. de Meung, ég. de la chapelleSaint-Mesmin.
Arrond. de Gien. Ég. abb. de Saint-Benoît-sur-Loire193, ég. deSaint-Brisson.
Arrond. de Montargis. Ég. de Ferrières, ég. de Lorris.
Arrond. de Pithiviers. Ég. de Puiseaux, ég. de Yèvres-le-Châtel.
Note 191:(retour) Église fort ancienne, IXe ou Xe siècle. Nef étroite, longue, sans bas-côtés. Transsept très-prononcé, avec chapelles semi-circulaires orientées; choeur presque égal à la nef, avec abside en cul-de-four. Voûtes en berceaux, voûtes d'arête sur le centre de la croisée, avec large clocher au-dessus. Absence totale d'ornementation; enduits.
Note 192:(retour) Petite église du IXe siècle, avec abside circulaire et deux absidioles. Clocher central porté sur quatre piles isolées, avec circulation autour, comme dans certaines églises grecques et de l'Angoumois. Transsept passant sous le clocher, terminé par deux absides circulaires; voûtes d'arête et en berceau. Mosaïque à fond d'or revêtissant le cul-de-four de l'abside principale. Clocher avec colonnettes et bandeaux décorés de stucs. (Ce monument a été publié par M. Constant Dufeux dans laRevue d'Architecture de M. Daly, t. VIII.)
LOT.
Arrond. de Cahors. Ég. cathéd. de Cahors194, ég. de Montat.
Arrond. de Figeac. Ég. abb. de Saint-Sauveur à Figeac, ég. d'Assier.
Arrond. de Gourdon. Ég. de Gourdon, ég. abb. de Souillac195.
LOT-ET-GARONNE.
Arrond. d'Agen. Ég. cathéd. d'Agen196, ancienne ég. des Jacobinsd'Agen197, ég. de Layrac, ég. de Moiran.
Arrond. de Marmande. Ég. de Marmande, ég. du Mas-d'Agenais.
Arrond. de Nérac. Ég. de Mézin.
LOZÈRE.
Arrond. de Mende.. Ég. cathéd. de Mende, ég. de Langogne.
MAINE-ET-LOIRE.
Arrond. d'Angers. Ég. cathéd. d'Angers198, ég. abb. de Saint-Serge àAngers, ég. de Saint-Martin, id., ég. abb. de la Trinité, id., ég. duRonceray, id., ég. du Lion-d'Angers, ég. de Savennières, ég. deBeaulieu.
Arrond. de Bauge. Ég. de Pontigné.
Arrond. de Beaupréau. Ég. de Chemillé.
Arrond. de Saumur. Ég. de Nantilly à Saumur, ég. de Saint-Pierre, id.,ég. de Cunault, ég. abb. de Fontevrault199, ég. deSaint-Georges-Chatelaison, ég. de Montreuil-Bellay, ég. duPuy-Notre-Dame, ég. Saint-Eusèbe de Gennes, ég. Saint-Vétérin, id.
Note 198:(retour) Vaste église avec nef; transsept, choeur et abside sans chapelles ni collatéraux. Bâtie vers la fin du XIIe siècle, mais présentant des traces de constructions antérieures. Voûtes d'arête à plan carré, et rappelant la coupole par leur forme très-bombée. Vitraux. Style des Plantagenet (voy. l'Architecture byzantine en France, par M. Félix de Verneilh; voy. CATHÉDRALE, fig. 43).
MANCHE.
Arrond. de Saint-Lô. Ég. Sainte-Croix de Saint-Lô, ég. Notre-Dame,id., ég. de Carentan, ég. de Martigny.
Arrond. d'Avranches. Ég. abb. du Mont-Saint-Michel-en-Mer200.
Arrond. de Cherbourg. Ég. de Querqueville.
Arrond. de Coutances. Ég. cathéd. de Coutances201, ég. Saint-Pierreà Coutances202, ég. de Lessay, ég. de Périers.
Arrond. de Mortain. Ég. abb. de Mortain.
Arrond. de Valognes. Ég. de Sainte-Marie-du-Mont, ég. deSainte-Mère-Église, ég. abb. de Saint-Sauveur-le-Vicomte, ég. deSaint-Michel à Lestre.
MARNE.
Arrond. de Châlons. Ég. cathéd. de Châlons203, ég. Notre-Dame deChâlons204, ég. Saint-Jean, id.205, ég. Saint-Alpin, id., ég.Notre-Dame de l'Épine206, ég. des Vertus, ég. de Courtisols207.
Arrond. d'Épernay. Ég. d'Épernay, ég. de Montmort, ég. d'Orbay208,ég. d'Avenay, ég. de Dormans, ég. d'Oger209.
Arrond. de Reims. Ég. Notre-Dame de Reims (cathéd.)210, ég. abb. deSaint-Remy à Reims211, ég. de Cauroy.
Arrond. de Sainte-Menehould.. Ég. de Sommepy.
Arrond. de Vitry. Ég. de Maisons-sous-Vitry212, ég. de Maurupt, ég.de Cheminon, ég. de Saint-Amand213x.
Note 203:(retour) Église champenoise présentant des dispositions très-anciennes. Le choeur, primitivement dépourvu de bas-côtés, était flanqué de deux tours sur plan barlong. L'une de ces tours date du commencement du XIIe siècle. Le choeur, le transsept et la nef ont été reconstruits au XIIIe siècle. Au XIVe siècle, des chapelles avec collatéral ont été ajoutées autour du sanctuaire. La nef remaniée sur quelques points. Après un incendie, l'édifice fut restauré au XVIIe siècle d'une façon barbare. Beaux fragments de vitraux (voy. CATHÉDRALE, fig. 33).
Note 204:(retour) Église champenoise bâtie au XIIe siècle, remaniée bientôt après à la fin de ce siècle. La nef primitivement disposée pour être couverte par une charpente. Le choeur dépourvu de bas-côtés dans l'origine; collatéral et chapelles ajoutées vers 1180. Quatre tours, dont deux sont encore couvertes par des flèches en plomb; l'une de celles-ci refaite depuis peu (voy. CONSTRUCTION, fig. 41, 42 et 43).
Note 211:(retour) Nef du Xe siècle, construite pour recevoir une charpente avec doubles collatéraux voûtés, dans l'origine, au moyen de berceaux perpendiculaires à la nef. Choeur de la fin du XIIe siècle. Beaux fragments de vitraux. Transsept avec chapelles orientées à deux étages. Galerie de premier étage voûtée tout autour de l'édifice. Façade du XIIe siècle (restaurée). Pignon du transsept sud du XVIe siècle. Tombeau de Saint-Remy, du XVIe siècle, d'un très-médiocre style.
MARNE (HAUTE-).
Arrond. de Chaumont. Ég. de Saint-Jean-Baptiste à Chaumont, ég. deVignory214.
Arrond. de Langres. Ég. de Saint-Mammès de Langres (cathéd.)215, ég.d'Issômes, ég. de Villars-Saint-Marcellin.
Arrond. de Vassy. Ég. de Vassy, ég. de Blécourt, ég. de Ceffonds, ég.de Joinville, ég. de Moutiérender216, ég. Saint-Aubin à Moëslains, ég.abb. de Trois-Fontaines.
MAYENNE.
Arrond. de Laval.. Ég. de la Trinité à Laval, ég. de Saint-Martin,id., ég. d'Avesnières, ég. d'Évron.
Arrond. de Château-Gontier. Ég. de Saint-Jean à Château-Gontier, ég.abb. de la Roe.
Arrond. de Mayenne. Ég. de Javron.
MEURTHE.
Arrond. de Nancy. Ég. de Laître-sous-Amance, ég. deSaint-Nicolas-du-Port, ég. de Mousson217.
Arrond. de Sarrebourg. Ég. de Fenestrange.
Arrond. de Toul. Ég. de Toul (anc. cathéd.)218, ég. deSaint-Gengoulf à Toul, ég. de Blenod-aux-Oignons, ég. de Minorville.
MEUSE.
Arrond. de Bar-le-Duc. Ég, de Rambercourt-aux-Pots.
Arrond. de Montmédy. Ég. d'Avioth.
Arrond. de Verdun. Ég. cathéd. de Verdun219, ég. d'Étain, ég. abb.de Lachalade.
MORBIHAN.
Arrond. de Vannes. Ég. de Saint-Gildas-de-Ruys, ég. de l'île d'Arz.
Arrond. de Lorient. Ég. d'Hennebon.
Arrond. de Ploërmel. Ég. de Ploërmel.
Arrond. de Pontivy. Ég. de Quelven à Guern.
MOSELLE.
Arrond. de Metz. Ég. cathéd. de Metz220, ég. de Saint-Vincent àMetz, ég. de Chazelle, ég. de Norroy-le-Veneur, ég. de Jussy.
Arrond. de Briey. Ég. d'Olley, ég. de Longuyon.
Note 220:(retour) Église dont la nef date du XIIIe siècle et le choeur du XVe; cette dernière construction refaite toutefois en se raccordant aux précédentes. Style gothique empreint déjà du goût allemand. Très-beaux vitraux du XVIe siècle dans le transsept, lequel est éclairé, non par des roses, mais par des fenêtres immenses comprenant l'espace entier laissé entre la première galerie et les voûtes. Les clochers, au lieu d'être élevés sur la façade, sont posés sur les troisièmes travées des collatéraux de la nef.
NIÈVRE.
Arrond. de Nevers. Ég. cathéd. de Nevers221, ég. Saint-Étienne àNevers222, ég. de Saint-Saulge, ég. de Saint-Parize-le-Châtel.
Arrond. de Clamecy. Ég. Saint-Martin à Clamecy223, ég. de Corbigny,ég. de Saint-Reverien, ég. de Saint-Léger à Tannay, ég. de Varzy.
Arrond. de Cosne. Ég. abb. de Sainte-Croix à la Charité224, ég. deDonzy, ég. de Premery.
Note 221:(retour) Église ayant une abside à l'occident construite au XIe siècle. Vaste transsept dans lequel donne cette abside; date également de cette époque. La nef fut rebâtie au XIIIe siècle; puis le choeur, après un incendie, fut refait à la fin de ce siècle. Restaurations et adjonctions pendant les XIVe et XVe siècles. Cette église menace ruine; la nef est déversée; son triforium présente une ornementation de cariatides et de figures d'anges dans les tympans, qui donnent à cet intérieur un aspect très-original. L'édifice est très-mutilé par la main des hommes et par le temps.
NORD.
Arrond. de Lille. Ég. Saint-Maurice à Lille.
Arrond. d'Avesnes. Ég. de Solre-le-Château.
Arrond. de Dunkerque. Ég. de Saint-Éloi de Dunkerque.
OISE.
Arrond. de Beauvais. Ég. cathéd. de Beauvais225, ég. de laBasse-OEuvre à Beauvais226, ég. de Saint-Étienne, id.227, ég. abb.de Saint-Germer228, ég. de Montagny, ég. de Trye-Château.
Arrond. de Clermont. Ég. de Clermont, ég. d'Agnetz, ég. de Maignelay,ég. du pr. de Bury, ég. de Saint-Martin-aux-Bois, ég. deMagneville229.
Arrond. de Compiègne. Ég. Saint-Antoine à Compiègne, ég. abb. deSaint-Jean-aux-Bois230, ég. Notre-Dame de Noyon (anc. cathéd.)231,ég. de Pierrefonds232, ég. de Tracy-le-Val233.
Arrond. de Senlis. Ég. de Senlis (anc. cathéd.)234, ég. collég. deSaint-Frambourg à Senlis, ég. Saint-Vincent, id., ég. d'Acy-en-Multien,ég. abb. de Chaalis, ég. Notre-Dame de Chambly, ég. de Creil (enl'Île)235, ég. abb. de Saint-Leu d'Esserent236, ég. collég. deMello237,
ég. collég. de Montataire, ég. abb. de Morienval238, ég.de Nogent-les-Vierges, ég. d'Ermenonville, ég. de Baron, ég. deVerberie.
Note 234:(retour) Édifice de la fin du XIIe siècle, avec galerie voûtée de premier étage. Cette église n'avait pas de transsept dans l'origine; ses bras de croix ont été établis, au XVe siècle, en coupant deux travées de la nef. Chapelles rayonnantes très-exiguës. Beau clocher du commencement du XIIe siècle (voy. CLOCHER, fig. 63).
ORNE.
Arrond. d'Alençon. Ég. Notre-Dame d'Alençon, ég. cathéd. de Séez239.
Arrond. d'Argentan. Ég. de Saint-Martin à Argentan, ég. de Chambois.
Arrond. de Domfront. Ég. de Notre-Dame-sous-l'eau à Domfront, ég. deLonlay-l'Abbaye.
Note 239:(retour) Restes d'un portail de la fin du XIIe siècle. Nef du XIIIe siècle, style normand. Choeur de la fin du XIIIe siècle, style français. Deux clochers du XIIIe siècle sur la façade. Cet édifice menace ruine sur plusieurs points et a subi de graves mutilations. Les chapelles absidales datent du milieu du XIIIe siècle.
PAS-DE-CALAIS.
Arrond. de Saint-Omer. Ég. Notre-Dame à Saint-Omer (anc. cathéd.), ég.abb. de Saint-Bertin à Saint-Omer, ég. d'Acre-sur-la-Lys.
PUY-DE-DOME.
Arrond. de Clermont. Ég. cathédr. de Clermont240, ég.Notre-Dame-du-Port à Clermont241, ég. de Saint-Cerneuf à Billom, ég.de Chauriat, ég. de Notre-Dame d'Orcival, ég. de Montferrand, ég. deRoyat242, ég. de Saint-Saturnin, ég. de Chamalières.
Arrond. d'Issoire. Ég. Saint-Paul à Issoire243, ég. de Chambon, ég.de Manglieu, ég. de Saint-Nectaire244.
Arrond. de Riom. Ég. Notre-Dame-du-Marturet à Riom, ég. deSaint-Amable de Riom, ég. d'Ennezat245, ég. de Saint-Hilaire-la-Croix,ég. de Mozat, ég. de Thuret, ég. de Volvic246, ég. de Condat, ég. deMenat.
Arrond. de Thiers. Ég. Saint-Genest de Thiers, ég. du Dorat.
PYRÉNÉES (BASSES-).
Arrond. de Pau. Ég. de Lembeye, ég. de Lescar, ég. de Morlaas.
Arrond. de Bayonne. Ég. cathéd. de Bayonne247.
Arrond. de Mauléon. Ég. de Saint-Engrace.
Arrond. d'Oloron. Ég. Sainte-Croix à Oloron, ég. Sainte-Marie àOloron.
PYRÉNÉES (HAUTES-).
Ég. de Luz248, ég. de Saint-Savin, ég. d'Ibos près Tarbes.
PYRÉNÉES-ORIENTALES.
Arrond. de Perpignan. Ég. Saint-Jean à Perpignan (aujourd'huicathéd.), ég. d'Elne249.
Arrond. de Céret. Ég. de Coustouges.
Arrond. de Prades. Ég. de Marceval, ég. abb. de Saint-Martin duCanigou250, ég. de Corneilla, ég. de Serrabone251, ég. deVillefranche.
RHIN (BAS-).
Arrond. de Strasbourg. Ég. cathéd. de Strasbourg252, ég.Saint-Pierre à Strasbourg, ég. abb. de Saint-Étienne, id., ég.Saint-Thomas, id., ég. de Niederhaslach.
Arrond. de Saverne. Ég. de Saint-Jean-des-Choux, ég. abb. deMarmoutier253, ég. de Neuwiller254.
Arrond. de Schelestadt. Ég. Saint-Georges de Schelestadt, ég.Sainte-Foi à Schelestadt255, ég. d'Andlau, ég. abb. de Saint-Odile,ég. de Rosheim256.
Arrond. de Wissembourg. Ég. de Walbourg.
RHIN (HAUT-).
Arrond. de Colmar. Ég. Saint-Martin à Colmar, ég. de Gueberschwyr, ég.de Guebwiller257, ég. de Pfaffenheim, ég. de Rouffach, ég. deSigolsheim, ég. de Luttenbach, ég. abb. de Murbach258.
Arrond. d'Altkirck. Ég. d'Ottmarsheim259.
Arrond. de Belfort. Ég. de Thann.
RHÔNE.
Arrond. de Lyon. Ég. cathéd. de Lyon260, ég. de Saint-Nizier à Lyon,ég. d'Ainay, id.261, ég. Saint-Paul, id., ég. Saint-Irénée, id., ég.de l'Île-Barbe.
Arrond. de Villefranche. Ég. de Villefranche, ég. de Salles, ég. deBelleville, ég. de Châtillon-d'Azergue.
Note 260:(retour) Choeur de la fin du XIIe siècle, sans bas-côté, avec deux chapelles profondes donnant sur le transsept. Nef des XIIIe et XIVe siècles. Façade du XIVe. Clochers des deux côtés du choeur. Singulier mélange des styles gothiques de la haute Bourgogne, du Bourbonnais, de la Haute-Marne et du Rhin.
SAÔNE (HAUTE-).
Arrond. de Vesoul. Ég. abb. de Cherlieu, ég. de Favernay, ég. deChambarnay-les-Bellevaux.
Arrond. de Lure. Ég. abb. de Luxeuil.
SAÔNE-ET-LOIRE.
Ég. abb. de Saint-Vincent à Macon, ég. abb. de Saint-Philibert àTournus262, ég. de Brancion, ég. de Chapaise, ég. abb. de Cluny263,ég. Notre-Dame à Cluny264.
Arrond. d'Autun. Ég. cathéd. d'Autun265.
Arrond. de Châlon. Ég. Saint-Vincent à Châlon, ég. Saint-Marcel, ég.de Sennecey-le-Grand.
Arrond. de Charolles. Ég. de Paray-le-Monial266, ég. deSemur-en-Brionnais267, ég. d'Anzy, ég. de Bois-Sainte-Marie268, ég.de Châteauneuf269, ég. de Saint-Germain.
Note 262:(retour) Nef du commencement du XIe siècle, avec vaste narthex. Les voûtes hautes de la nef présentent cette particularité qu'elles se composent de berceaux plein-cintre bandés perpendiculairement à l'axe sur des arcs doubleaux. Les voûtes centrales sont contre-buttées par celles des collatéraux, qui sont d'arête. Les piliers sont monostyles, terminés par des chapiteaux plats sans ornements, comme de simples cordons. Le narthex est à deux étages. Transsept et choeur du commencement du XIIe siècle, avec crypte, bas-côté et chapelles rectangulaires. Clocher carré sur le centre de la croisée et deux clochers sur les premières travées du narthex, du XIIe siècle (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE, fig, 3, et lesArchives des mon. hist.).
Note 265:(retour) Église du XIIe siècle, avec porche ouvert peu postérieur à la construction primitive. Style de la haute Bourgogne. Nef voûtée en berceau brisé avec arcs doubleaux. Choeur sans collatéral (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 20; CATHÉDRALE, fig. 27). Flèche du XVe siècle, en pierre, sur le centre de la croisée. Arcs-boutants du XVe siècle contre-buttant les voûtes hautes.
Note 266:(retour) Très-remarquable édifice contemporain de la cathédrale d'Autun (XIIe siècle), avec porche fermé à deux étages; sanctuaire avec collatéral et trois chapelles rayonnantes. Tour centrale à huit pans. Deux tours sur les deux premières travées du porche (voy. lesArchives des mon. hist.). Belle construction exécutée en beaux matériaux.
Note 268:(retour) Petite église du XIIe siècle, dont le choeur présente en plan une disposition toute particulière. Bas-côté sans chapelles rayonnantes, et sanctuaire porté sur des réunions de colonnes, deux grosses posées suivant le rayon et deux plus grêles posées sur la circonférence. Tour centrale; nef en berceau brisé avec arcs doubleaux; voûtes d'arête sur les bas-côtés, sans arcs-boutants.
Note 269:(retour) Petite église du XIIe siècle, sans transsept; nef avec collatéraux étroits et trois absides. Clocher carré en avant du sanctuaire. Voûtes hautes en berceau brisé, contre-buttées par des voûtes d'arêtes rampantes sur les bas-côtés. Le berceau central se retournant accuse seul le transsept en élévation.
SARTHE.
Arrond. du Mans. Ég. cathéd. du Mans270, ég. Notre-Dame-du-Pré auMans271, ég. Notre-Dame-de-la-Coulture au Mans272.
Arrond. de la Flèche. Ég. du pr. de Solesmes, ég. de Bazouges, ég. dela Bruère.
Arrond. de Mamers. Ég. de la Ferté-Bernard273.
Arrond. de Saint-Calais. Ég. de Saint-Calais.
SEINE.
Arrond. de Paris. Ég. Notre-Dame (cathéd. de Paris)274, ég. abb. deSaint-Germain-des-Prés à Paris275, ég. de Saint-Germain-l'Auxerrois,id.276, ég. Saint-Eustache, id.277, ég. Saint-Merry, id., ég.Saint-Séverin, id., ég. du pr. de Saint-Martin-des-Champs, id.278, ég.Saint-Julien-le-Pauvre, id.279, ég. Saint-Étienne-du-Mont, id., ég.Saint-Gervais et Saint-Protais, id.
Arrond. de Sceaux. Ég. d'Arcueil, ég. de Vitry, ég. d'Issy, ég. deSaint-Maur, ég. de Nogent-sur-Marne, ég. de Bagneux280.
Arrond. de Saint-Denis. Ég. abb. de Saint-Denis281, ég. deBoulogne282, ég. abb. de Montmartre283, ég. de Suresne, ég. abb. deLongchamp, ég. de Charonne.
Note 281:(retour) Crypte du IXe siècle. Pourtour du choeur, chapelles et partie antérieure de la nef bâtis par l'abbé Suger au milieu du XIIe siècle. Choeur, transsept et nef élevés sous saint Louis. Anciens vitraux du XIIe siècle. Quantité de fragments précieux (voy. l'Abbaye de Saint-Denis, par M. le baron de Guilhermy).
SEINE-INFÉRIEURE.
Arrond. de Rouen. Ég. cathéd. de Rouen284, ég. de Saint-Maclou àRouen285, ég. abb. de Saint-Ouen, id.286, ég. Saint-Patrice, id.,ég. Saint-Vincent, id., ég. Saint-Godard, id., ég. Saint-Gervais, id.,ég. du Mont-aux-Malades, id., ég. abb. de Saint-Georges deBocherville287, ég. Duclair, ég. Saint-Étienne à Elbeuf, ég.Saint-Jean, id., ég. abb. de Jumièges288, ég. de Moulineaux, ég.d'Yainville, ég. d'Houppeville.
Arrond. du Havre. Ég.d'Angerville-l'Orcher, ég. d'Étretat, ég. de Graville-l'Eure, ég. deHarfleur, ég. de Lillebonne, ég. de Montiviller.
Arrond. de Dieppe.Ég. Saint-Jacques de Dieppe, ég. abb. de Saint-Victor, ég. d'Arques, ég.d'Aufray, ég. de Bourgdun, ég. abb. d'Eu289, ég. du collége d'Eu, ég.de Tréport.
Arrond. de Neufchâtel. Ég. de Gournay, ég. d'Aumale.
Arrond. d'Yvetot.. Ég. de Caudebec, ég. de Sainte-Gertrude, ég. deValliquerville, ég. d'Auzebosq, ég. abb. de Saint-Wandrille290, ég. deSaint-Wandrille.
SEINE-ET-MARNE.
Arrond. de Melun. Ég. Notre-Dame de Melun291, ég.Saint-Aspais à Melun, ég. de Brie-Comte-Robert, ég. de Champeaux292.Arrond. de Coulommiers. Ég. de Saint-Cyr, ég. de Villeneuve-le-Comte.
Arrond. de Fontainebleau. Ég. de Château-Landon, ég. de Larchant, ég.de Moret293, ég. de Nemours.
Arrond. de Meaux. Ég. cathéd. de Meaux294, ég. de Chamigny, ég. dela Chapelle-sous-Crécy295, ég. de Ferrières296, ég. d'Othis.
Arrond. de Provins. Ég. de Saint-Quiriace à Provins297, ég.Sainte-Croix, id., ég. Saint-Ayoul, id., ég. de Donnemarie, ég. deSaint-Loup de Naud298, ég. de Rampillon299, ég. de Voulton.
SEINE-ET-OISE.
Arrond. de Versailles. Ég. de Poissy300, ég. de Triel, ég. deBougival, ég. de Vernouillet301, ég. de Thiverval.
Arrond. de Corbeil. Ég. Saint-Spire de Corbeil, ég. d'Athis-Mons, ég.abb. de Longpont.
Arrond. d'Étampes. Ég. Notre-Dame à Étampes302, ég. Saint-Martin,id., ég. Saint-Basile, id., ég. abb. de Marigny, ég. de laFerté-Aleps303.
Arrond. de Mantes.. Ég. Notre-Dame de Mantes304, ég. de Houdan, ég.de Vétheuil305, ég. de Gassicourt306, ég. de Limay, ég. de Fusiers,ég. de Richebourg.
Arrond. de Pontoise. Ég. Saint-Maclou de Pontoise, ég. de Deuil, ég.d'Ecouen, ég. de Taverny, ég. de Luzarches, ég. de Mareil-en-France, ég.Saint-Martin à Montmorency, ég. de Belloy307, ég. de Champagne308,ég. abb. de Royaumont, ég. de Beaumont-sur-Oise, ég. de Nesles309, ég.de Gonesse, ég. abb. de Maubuisson.
Arrond. de Rambouillet. Ég. de Montfort-l'Amaury310, ég. deSaint-Sulpice de Favières311.
Note 300:(retour) Porche de la façade du IXe siècle; quelques piles à l'intérieur de la fin du XIe; nef du XIIe, remaniée au XVIe et au XVIIe siècles; choeur de la fin du XIIe siècle; chapelle absidale du XIIIe; chapelles de la nef et porche latéral du XVIe. Clocher central du XIIe; clocher sur la façade du XIIe, reconstruit en partie au XVIe. Pas de transsept. Bas-côté pourtournant le choeur avec deux chapelles latérales orientées de la fin du XIIe siècle.
SÈVRES (DEUX-).
Arrond. de Niort. Ég. Notre-Dame de Niort, ég. de Champdeniers, ég. deSaint-Maixent.
Arrond. de Bressuire. Ég. de Bressuire, ég. d'Oyron, ég. Saint-Denis àThouars.
Arrond. de Melle. Ég. Saint-Pierre à Melle312, ég. Saint-Hilaire,id.313, ég. Saint-Savinien, id., ég. de Celles, ég. de Javarzay.
Arrond. de Parthenay.. Ég. Saint-Laurent à Parthenay, ég.Sainte-Croix, id., ég. Notre-Dame-de-la-Couldre, id., ég. Saint-Pierre àAirvault, ég. de Saint-Géneroux, ég. de Marnes, ég. Saint-Louis deMarnes, ég. de Parthenay-le-Vieux314, ég. de Verrines-sous-Celles.
SOMME.
Arrond. d'Amiens. Ég. Notre-Dame (cathéd. d'Amiens)315, ég.Notre-Dame d'Araines, ég. de Namps-au-Val, ég. Saint-Denis de Poix.
Arrond. d'Abbeville. Ég. coll. de Saint-Wulfran d'Abbeville316, ég.abb. de Saint-Riquier317, ég. de Rue.
Arrond. de Doullens. Ég. de Beauval.
Arrond. de Montdidier. Ég. d'Ailly-sur-Noye, ég. abb. deBertheaucourt, ég. de Folleville, ég. Saint-Pierre de Roye, ég. deTilloloy.
TARN.
Arrond. d'Alby. Ég. Sainte-Cécile (cathéd. d'Alby)318, ég.Saint-Salvy à Alby.
Arrond. de Castres. Ég. de Burlatz.
TARN-ET-GARONNE.
Arrond. de Montauban. Ég. de Caussade319, ég. de Montpezat320, ég.de Varen321.
Arrond. de Castel-Sarrazin. Ég. de Beaumont-de-Lomagne, ég. abb. deMoissac322.
VAR.
Arrond. de Draguignan. Ég. cath. de Fréjus, ég. abb. du Thoronet323,ég. de Caunet, ég. du Luc.
Arrond. de Brignoles. Ég. de Saint-Maximin.
Arrond. de Grasse.. Ég. de Vence (anc. cathéd.).
Arrond. de Toulon. Ég. Saint-Louis à Hyères, ég. de Sollies-Ville, ég.de Sixfours.
VAUCLUZE.
Arrond. d'Avignon.. Ég. Notre-Dame-des-Dons (cathéd. d'Avignon)324,ég. de Cavaillon (anc. cathéd.)325, ég. du Thor326, ég. de Vaucluze,ég. abb. de Sénanque.
Arrond. d'Apt. Ég. d'Apt (anc. cathéd.).
Arrond. de Carpentras. Ég. de Saint-Siffrin à Carpentras, ég. dePernes, ég. bapt. de Vénasques327, ég. de Caromb.
Arrond. d'Orange. Ég. de Vaison (anc. cathéd.), ég. de Valréas.
VENDÉE.
Arrond. de Fontenay. Ég. de Fontenay-le-Comte, ég. de Maillezais, ég.abb. de Nieuil-sur-Authise, ég. de Vouvant.
VIENNE.
Arrond. de Poitiers.. Ég. cathéd. de Poitiers328, ég.Notre-Dame-la-Grande à Poitiers329, ég. de Moustier-Neuf, id., ég.abb. de Saint-Hilaire, id.330, ég. de Sainte-Radegonde, id.331; ég.de Fontaine-Lecomte, ég. abb. de Ligugé, ég. de Nouaillé, ég. deLusignan.
Arrond. de Civray. Ég. Saint-Nicolas de Civray, ég. abb. deCharroux332.
Arrond. de Montmorillon. Ég. de Montmorillon, ég. d'Antigny, ég.Saint-Pierre à Chauvigny, ég. Notre-Dame, id., ég. de la Puye, ég. abb.de Saint-Savin333.
VIENNE (HAUTE-).
Arrond. de Limoges. Ég. cathéd. de Limoges334.
Arrond. de Bellac. Ég. abb. du Dorat335.
Arrond. de Rochechouart. Ég. de Rochechouart, ég. de Saint-Junien, ég.de Solignac336.
Arrond. de Saint-Yriex. Ég. de Saint-Yriex.
VOSGES.
Arrond. d'Épinal. Ég. d'Épinal.
Arrond de Saint-Dié. Ég. cath. de Saint-Dié337, ég. de Moyenmoutier.
YONNE.
Arrond. d'Auxerre. Ég. Saint-Étienne à Auxerre (anc. cathéd.)338,ég. Saint-Pierre à Auxerre, ég. Saint-Germain, id.339, ég.Saint-Eusèbe, id.340, ég. de Saint-Florentin341, ég. abb. dePontigny342, ég. de Chitri-le-Fort, ég. de Moutiers, ég. de Chablis,ég. de Vermanton, ég. de Mailly-le-Château.
Arrond. d'Avallon. Ég. Saint-Lazare d'Avallon, ég. Saint-Martin, id.,ég. abb. de Sainte-Madeleine à Vézelay343, ég. de Saint-Père sousVézelay344, ég. de Civry, ég. de Montréal345, ég. dePontaubert346.
Arrond. de Joigny. Ég. de Saint-Julien-du-Sault347, ég. deVilleneuve-le-Roi348, ég. de Saint-Fargeau.
Arrond. de Sens. Ég. Saint-Étienne (cathéd. de Sens)349, ég. del'hôpital de Sens350, ég. Saint-Savinien et Saint-Potentien, id.
Arrond. de Tonnerre. Ég. Saint-Pierre de Tonnerre, ég. de l'hospice deTonnerre351, ég. de Neuvy-Saultour.
ÉGOÛT, s. m. Conduit souterrain en maçonnerie destiné à écouler les eauxpluviales et ménagères. Les Romains étaient grands constructeursd'égoûts, et lorsqu'ils bâtissaient une ville, ils pensaient d'abord àl'établissement de ces services souterrains. Quand les barbaresdevinrent possesseurs des villes gallo-romaines, ils ne songèrent pas àentretenir les égoûts antiques, qui bientôt s'engorgèrent ou furentperdus; les villes renfermaient alors de véritables cloaques, les eauxcroupies pénétraient le sol, les rues étaient infectes et la pestedécimait périodiquement les populations. On commença par faire destranchées au milieu des voies principales, des ruisseaux profonds,encaissés, que l'on recouvrait de dalles ou que l'on laissait à l'airlibre. Les orages se chargeaient de curer ces profonds caniveauxencombrés de détritus de toutes sortes. Ce ne fut guère qu'au XIIesiècle que l'on revint à la méthode antique, et que l'on construisit deségoûts souterrains en maçonnerie sous les voies principales des villes.Corrozet parle d'égoûts trouvés vis-à-vis le Louvre lorsqu'onreconstruisit ce palais en 1538. Il existait, sous le quartier del'Université de Paris, des égoûts (romains probablement) qui furentlongtemps utilisés et refaits en 1412352, parce qu'ils étaient hors deservice. Nous avons vu souvent, en faisant des fouilles dans levoisinage d'édifices du moyen âge, des restes d'égoûts construits enbelles pierres de taille. Les établissements religieux et les châteauxféodaux sont déjà munis d'égoûts bien disposés et construits dès la findu XIIe siècle. Il arrive souvent même que ces égoûts sont praticablespour des hommes. Lorsqu'on démolit l'hôtel de la Trémoille à Paris, en1840, on découvrit dans le jardin un premier égoût qui paraissait fortancien et qui présentait la section indiquée fig. 1.
Cet égoût étaittraversé par un autre plus moderne du XIIIe siècle probablement(2), quise composait d'une suite d'arcs plein cintre sur lesquels reposaient desdalles très-épaisses. Ces dalles étaient usées comme si elles eussentété longtemps exposées au passage des chariots, chevaux et piétons;elles se raccordaient avec un pavage de petit échantillon en grès. Sousle Palais de Justice de Paris et sous les terrains de l'ancien Évêché,il existe encore des égoûts qui datent de l'époque de saint Louis et dePhilippe-le-Bel. Ils sont bâtis en pierre dure avec grand soin et voûtésen berceau plein cintre, dallés au fond et d'une largeur de 0m,75environ (2 pieds et demi). Toutefois, les égoûts étaient rares dans lesvilles du moyen âge relativement au nombre et à l'étendue des rues; ilsn'étaient guère construits que sous les voies principales aboutissantaux rivières, avec bouches au niveau du sol pour recevoir les eaux desruisseaux tracés dans les rues perpendiculaires à ces voies.
EMBRASURE, s. f. Baie percée dans un mur de forteresse ou dans unparapet de couronnement pour placer la bouche d'une pièce d'artillerie àfeu. Les embrasures n'apparaissent donc dans l'architecture militairequ'au moment où l'on fait un usage régulier du canon pour la défense desplaces. Nous avons dit ailleurs (voy. CHÂTEAU) qu'à la fin du XVesiècle, sans changer d'une manière notable la disposition générale desdéfenses, on s'était contenté de percer, au rez-de-chaussée descourtines et des tours, des ouvertures pour battre les dehors par un tirrasant, ou de placer des bouches à feu au sommet des tours dont onsupprimait les toits pour établir des plates-formes avec parapets. Lechâteau de Bonaguil, qui date du règne de Louis XI, possède à la basedes remparts quelques embrasures dont la disposition et la forme sontindiquées dans la fig. 1.
La bouche de la pièce est à peu près àmi-épaisseur du mur, comme le fait voir le plan A. À l'intérieur de lamuraille B, l'embrasure est construite en arcade et fermée par uneépaisse dalle percée d'un trou circulaire avec une mire. À l'extérieurC, on n'aperçoit que le trou et sa mire dégagés par un ébrasement quipermet de pointer la pièce à droite et à gauche. La partie extérieure deces sortes d'embrasures était promptement égueulée par le souffle de lapièce; aussi pensa-t-on à leur donner plus d'air (2), en couvrantl'ébrasement extérieur par un arc.
Ou bien encore, comme dans lesbatteries casematées du grand boulevard de Schaffhausen (3), lesarchitectes avancèrent la bouche des canons près du parement extérieurformant intérieurement une chambre voûtée, et disposèrent l'ébrasementdu dehors en ovale, avec redans curvilignes, pour détourner lesprojectiles lancés par les assiégeants. Ces précautions de détail nepouvaient être efficaces qu'autant que l'ennemi ne mettait pas enbatterie de grosses pièces d'artillerie et qu'il n'avait à sadisposition que de la mousqueterie ou de très-petites pièces. Cependantces sortes d'embrasures furent encore employées pour les batteriescouvertes jusque vers le commencement du XVIe siècle353.
Les architectes militaires cherchaient des combinaisons qui pussentfaciliter le tir oblique en même temps qu'elles garantissaient lesservants des pièces; mais l'artillerie à feu faisait de rapides progrès.Au commencement du XVIe siècle, les armées assiégeantes possédaient déjàdes pièces de gros calibre qui d'une volée ruinaient ces défenses tropfaibles, car il est à remarquer que, depuis le moment où l'artillerie àfeu est devenue d'un emploi général, les moyens défensifs ont étéinférieurs à la puissance toujours croissante de cette arme. Il ne fautdonc pas s'étonner si les premières fortifications faites pour résisterau canon présentent une variété singulière de moyens défensifs, toustrès-ingénieux, très-subtils, mais bientôt abandonnés commeinsuffisants, pour être remplacés par d'autres qui ne l'étaient guèremoins. Ainsi, dans les fortifications bâties par Albert Dürer àNuremberg, nous voyons des embrasures de batteries couvertes (4) quipermettaient de pointer un canon et d'obtenir un tir plongeant etoblique pour des arquebusiers.
À Munich, il existe sur la face de la porte en brique de Carlsthor, quiremonte au commencement du XVIe siècle, des embrasures disposées pour untir oblique et plongeant (5), destinées à de petites piècesd'artillerie. À la porte Laufer de Nuremberg, le long du boulevardextérieur, on remarque encore des embrasures destinées à de très-petitespièces d'artillerie, et dont les ouvertures sont protégées par descylindres en bois à pivots, percés de trous (6), comme les créneauxd'une des portes de Bâle en Suisse (voy. CRÉNEAU)354.
En France, cesmoyens subtils, tradition des arts militaires du moyen âge, furentpromptement mis de côté; on adopta de préférence, pour les batteriescouvertes, les embrasures profondes, présentant un angle peu ouvert, nelaissant qu'un trou avec une mire pour la bouche de la pièce, et àl'extérieur ne montrant qu'une large fente horizontale prise dans unehauteur d'assise (7), quelquefois avec un talus inférieur lorsqu'onvoulait obtenir un tir plongeant. Cette méthode fut habituellementsuivie en Italie dès les premières années du XVIe siècle.
Quant aux embrasures des batteries découvertes, Albert Dürer les aconstruites à Nuremberg, ainsi que l'indique la fig. 8, sur lescourtines et quelques-uns de ses boulevards. Le parapet, large, enpierre, présente une surface convexe pour mieux résister à l'effet desprojectiles ennemis. Un volet tournant sur un axe garantit lesartilleurs lorsqu'on charge la pièce. Ces volets étaient assez épais etsolides pour que les boulets, venant horizontalement, pussent ricochersur leur surface externe, car alors le tir de plein fouet était mou àcause de la qualité médiocre de la poudre et de la proportion vicieusedes pièces, dont l'âme était relativement d'un trop grand diamètre pourla charge employée.
Quelquefois, en France et en Italie, on eut l'idée de profiler lesembrasures ainsi que l'indique la fig. 9, afin d'empêcher les bouletsennemis de glisser sur les parois des ébrasements et de frapper lapièce. Il va sans dire que ces redans sont promptement détruits parl'artillerie des assiégeants et même altérés par le souffle de la pièce.Dès l'époque de François Ier, on en vint, lorsqu'on voulut armer uneforteresse, à couronner les boulevards et les courtines par des talus enterre mélangée avec des brins de bois ou du chaume. En cas de siége, onouvrait des embrasures dans ces talus (10), et on maintenait leursparois verticales par des madriers. Cette méthode est encore suivie denos jours. On augmentait au besoin le relief du parapet par desgabionnades ou des sacs à terre.
Quelquefois même ces parapets, avec leurs embrasures, étaient faits declayonnages triangulaires juxtaposés et remplis de terre et de fumier(11). Ces moyens étaient particulièrement employés pour des ouvrages decampagne qu'il fallait faire à la hâte, et quand on n'avait pas leloisir de laisser tasser les terrassements.
Comme aujourd'hui, les ingénieurs militaires se préoccupaient de masquerles embrasures lorsqu'on chargeait les pièces en batterie. À cet effet,ils employaient des claies épaisses, des volets glissant sur descoulisses, des rideaux d'étoupe capitonnés. De tous ces moyens, l'un desplus ingénieux est celui que nous donnons (12). En A, on voit laplate-forme en charpente recouverte de madriers sur laquelle roule lapièce en batterie. Contre la paroi intérieure du parapet est posé lebâtis B, muni, à sa partie supérieure, d'un volet triangulaire roulantsur un axe et mu par deux leviers C. La pièce chargée, on appuyait surles deux leviers juste ce qu'il fallait pour pouvoir pointer; sitôt laballe partie, on laissait retomber le volet qui, par son propre poids,reprenait la position verticale.
Les embrasures ont de tout temps fort préoccupé des architectes ouingénieurs militaires, et, après bien des tentatives, on en est revenutoujours aux clayonnages, aux formes en terre pour les batteriesdécouvertes. Quant aux embrasures des batteries couvertes ou casemates,on n'a pas encore trouvé un système qui présentât des garanties de duréecontre des batteries de siége, et depuis le XVIe siècle, sous cerapport, l'art de la fortification n'a pas fait de progrès sensibles.
ENCEINTE, s. f. Murs en palissades entourant une ville, un bourg ou uncamp. Les Gaulois, au dire de César, faisaient des enceintes de villes,de bourgades ou de camps fortifiés, au moyen de troncs d'arbresentremêlés de pierres. Les Germains les composaient de palissades debois entre lesquelles on amassait de la terre, des branches d'arbres, del'herbe, de façon à former une véritable muraille très-propre à résisteraux efforts du bélier; le feu même n'avait que peu de prise sur cesouvrages, presque toujours humides. Les Romains, dans leurs campsd'hiver (camps-permanents), employaient à peu près les mêmes procédés ouse contentaient d'une levée en terre couronnée par une palissade etprotégée extérieurement par un fossé. Habituellement les portes de cescamps étaient défendues par une sorte d'ouvrage avancé,clavicula,ressemblant assez aux barbacanes du moyen âge (1).
En A étaient desponts de bois jetés sur le fossé, et, en B, la porte du camp. Ce mélangede pierre et de bois employé dans les enceintes des villes ou campsgaulois donna l'idée à quelques-unes des peuplades de ce pays d'obtenirdes remparts vitrifiés, par conséquent d'une dureté et d'une cohésioncomplètes. Il existe, à vingt-huit kilomètres de Saint-Brieuc, uneenceinte ovale composée de granit, d'argile et de troncs d'arbre, quel'on est parvenu à vitrifier en mettant le feu au bois après avoirenveloppé le retranchement de fagots.
Nous donnons (2) une coupe de cette enceinte, dite de Péron. On acommencé par faire unvallum composé de morceaux de granit entremêlésde troncs d'arbres A; à l'extérieur, on a revêtu cevallum d'unecouche d'argile B; le tout a dû être enveloppé d'une quantitéconsidérable de fagots auxquels on a mis le feu; le granit s'estvitrifié, s'est agglutiné; l'argile a fait un corps solide adhérent àcette vitrification; un fossé et un petit épaulement en terre Cdéfendent à l'extérieur cette singulière enceinte. Nous ne connaissonspas d'autre exemple de ce genre de retranchement en France; on prétendqu'il en existe en Irlande et dans le nord de l'Écosse.
Dans les premiers temps du moyen âge, beaucoup de villes en France nepossédaient que des enceintes de bois. À l'époque des invasions desNormands, on en voyait un grand nombre de ce genre auxquelles, bienentendu, les barbares mettaient le feu. On fit donc en sorte deremplacer ces défenses fragiles par des murailles en maçonnerie; mais laforce de l'habitude et la facilité avec laquelle on pouvait se procurerdu bois en grande quantité firent que, pendant longtemps, beaucoup devilles du Nord ne furent encloses que de palissades de bois terrasséesou non terrassées. Alors même que l'on éleva des murailles en maçonnerieaux XIe et XIIe siècles, le bois remplit encore un rôle très-importantdans ces défenses, soit pour garnir leurs couronnements, soit pour fairedes enceintes extérieures en dehors des fossés, devant les portes, lesponts et à l'extérieur des faubourgs.
Pendant les guerres du XVe siècle, il est souvent question de bourgadesdéfendues simplement par des enceintes de palissades. «Et puis vindrentà Perrepont (Pierrepont), dit Pierre de Fenin355, et prindrent laville, qui estoit close de palais et de fossés.» Froissard356 parleaussi de plusieurs villes dont les enceintes ne se composaient, de sontemps, que de palissades avec bretèches de bois et fossés.
Beaucoup de villes, pendant le moyen âge, étaient ouvertes, car pour lesfermer il fallait en obtenir la permission du suzerain, et comme laconstruction de ces enceintes était habituellement à la charge desbourgeois, les populations urbaines n'étaient pas toujours assez richespour faire une aussi grande dépense. En temps de guerre, on fermait cesvilles à la hâte pour se mettre à l'abri d'un coup de main ou pourservir d'appui à un corps d'armée. «Si s'en ala à Ypre, et entra en laville (le cuens de Bouloigne): onques li bourgois n'i misent contredit,ains le rechurent à grant joie. Quant li cuens et si home furent dedansYpre, moult furent boen gré as bourgois de lor boin samblant que il faitlor avoient; ils devisèrent que il là arriesteroient, et fremeroient laville, et là seroit lor repaires de la guerre. Moult i fisent boinsfossés et riches, et boine soif à hyreçon et boines portes de fust etboins pons et boines barbacanes et boines touretes de fust entour laville357.» Comme les armées romaines, les armées occidentales du moyenâge faisaient des enceintes autour de leurs camps, lorsqu'ellesvoulaient tenir une contrée sous leur obéissance ou posséder une based'opérations. «Toutefoys (Gérard de Roussillon) avec ce peu de gensqu'il avoit approcha le roy et vint en Bourgongne, et choisit une placebelle et emple là où estoit une montaigne sur laquelle il se arresta etla fist clore de fossez et de boulevers de boys dont ses gens eurentgrant merveille358.» Les enceintes en bois faites en dehors des mursautour des places fortes étaient désignées, au XIIIe siècle, sous lesnoms defors rolléis:
«Clos de fossés et de fors rolléis359»;
deforclose:
«À la forclose li dus Begues en vint360»;
et plus tard sous les noms depolis, debarrière. Les espaces libreslaissés entre ces clôtures extérieures et les enceintes de maçonneries'appelaient leslices.
On ne considérait une enceinte de ville comme très-forte qu'autantqu'elle était double; lorsqu'on ne pouvait construire deux muraillesflanquées de tours en maçonnerie, on disposait au moins des palissadesavec fossés en avant de l'enceinte maçonnée, de manière cependant quel'enceinte intérieure pût toujours commander celle extérieure, et quecelle-ci ne fût distante que d'une petite portée d'arbalète. Si lesenceintes extérieures étaient en maçonnerie, flanquées de tours etmunies de barbacanes, ces tours et barbacanes étaient ouvertes du côtéde la ville, ouvertes à la gorge, comme on dirait aujourd'hui, afind'empêcher les assiégeants de s'y établir après s'en être emparés.
Lorsqu'on veut se rendre compte des moyens d'investissement et d'attaquedes places fortes au moyen âge, on comprend parfaitement de quellevaleur étaient les enceintes extérieures; aussi attachait-on à leurconservation une grande importance. Entre les deux enceintes, unegarnison avait une entière liberté d'action, soit pour se défendre, soitpour faire entrer des secours, soit pour prendre l'offensive en tentantdes sorties. Dans les lices, les troupes assiégées sentaient uneprotection puissante derrière eux; elles pouvaient se porter en massessur les points attaqués en s'appuyant aux murailles intérieures, d'où, àcause de leur relief, on dirigeait leurs efforts, on leur envoyait dessecours, on protégeait leur retraite. C'était dans les lices que lesassiégés plaçaient leurs grands engins de guerre pour obliger lesassiégeants à faire des travaux d'approche, lents et fort difficiles àpousser sur un terrain pierreux. Si l'ennemi s'emparait d'une courtineou d'une tour extérieure, les assiégés remparaient les lices enétablissant deux traverses à droite et à gauche de l'attaque, ce quipouvait empêcher les assiégeants de s'approcher de l'enceinte intérieure(voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, BARBACANE, CHÂTEAU, PORTE, SIÉGE, TOUR).
Dans les villes, on trouvait souvent plusieurs enceintes contiguës. Lesabbayes possédaient leurs enceintes particulières, ainsi que la plupartdes cloîtres des cathédrales; les châteaux, les palais et même certainsquartiers étaient clos de murs, et leurs portes se fermaient la nuit.
ENCLOSURE, s. f.Pourpris,paliz (voy. CLÔTURE).
ENCORBELLEMENT, s. m. Système de construction de pierre ou de bois quipermet de porter une charge en surplomb sur le nu d'un mur, d'une pile,d'un contre-fort. On ditconstruction en encorbellement pour désignerla partie d'une bâtisse posée sur un encorbellement (voy. CONSTRUCTION,fig. 40, 81, 82, 96, 101, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136,137; ÉCHAUGUETTE, MÂCHICOULIS).
ENDUIT, s. m. Couverte en mortier, en plâtre ou en blanc-en-bourre,posée sur une maçonnerie de moellon, de brique, parfois même sur de lapierre de taille, afin d'obtenir une surface unie, homogène, propre àrecevoir de la peinture.
Les Grecs mettaient des enduits sur toutes leurs constructions, àl'extérieur comme à l'intérieur, à moins qu'elles ne fussent faites demarbre blanc. Encore coloraient-ils cette dernière matière, pour éviterl'aspect froid et uniforme de surfaces d'une même couleur et pourdistinguer les divers membres de l'architecture. L'enduit qu'ilsposaient sur leurs constructions de pierres, si bien appareilléesqu'elles fussent, est très-mince (un ou deux millimètres) et toujourscoloré361. Tous les joints et lits de la construction se trouvaientainsi masqués sous cette légère couverte. Les Romains excellaient dansl'art de préparer et de poser les enduits. Les grands édifices comme leshabitations privées étant construits en brique et blocage, ilsrevêtissaient leurs parements extérieurs et intérieurs de plaques demarbre et d'enduits posés en plusieurs couches, une grossière d'abord,une plus fine et une dernière très-mince, bien dressée, polie etcouverte de peintures. Dans les premiers temps du moyen âge, on voulutimiter ces procédés; mais les barbares ne savaient pas faire de bonnechaux et savaient encore moins l'employer. Aussi les enduits que l'ontrouve sur quelques rares monuments de l'époque mérovingienne etcarlovingienne sont-ils friables, soufflés et mal dressés. Ce n'estqu'au XIIe siècle que les enduits sont faits avec soin; encore nesauraient-ils être comparés à ceux des Romains.
Il faut dire que le système de construction adopté par les architectesdu moyen âge n'admettait les enduits que là où il y avait du moellonbrut; ces architectes, à dater du XIIe siècle, ne posèrentqu'exceptionnellement des enduits sur de la pierre de taille, qui,dût-elle être peinte, laissait voir son parement. C'était à l'intradosdes voûtes faites en moellon brut comme celles des édifices de laBourgogne et du Centre, sur les murs de remplissage entre des pilesengagées, que les enduits s'appliquaient, et alors ils étaient toujourscouverts de peintures (voy. PEINTURE).
Dans les habitations, les intérieurs des châteaux, on passait cependantparfois un enduit très-mince, même sur la pierre de taille. C'est ainsique sont tapissées les salles du château de Coucy, qui datent ducommencement du XIIIe siècle, afin de dissimuler les joints et de poserla peinture sur des surfaces unies. Mais ces enduits, assez semblablesaux enduits grecs, ne sont qu'une couche épaisse de chaux et de sabletrès-fin posée au pinceau et comprimée au moyen d'une petitetaloche.Les couleurs étaient appliquées sur cette couverte pendant qu'elle étaitencore humide, puis encaustiquée lorsque le tout était parfaitement sec:procédé qui rappelle la peinture monumentale des anciens. Dès le XIIIesiècle, dans les intérieurs, on employait les enduits au plâtre, soitsur les murs en maçonnerie, soit sur les pans-de-bois et cloisons. Cesenduits au plâtre sont généralement très-solides, très-minces et poséssur un pigeonnage de plâtre ou de mortier dans lequel il entre toujoursdu gros sable. Nous avons vu de ces enduits qui avaient acquis uneextrême dureté, le plâtre présentant dans la cassure un grand nombre deparcelles brillantes.
Les enduits en blanc-en-bourre se faisaient et se font encoreaujourd'hui avec de la chaux, du sable fin ou de la poussière de pierreet du poil de vache. Quand ils ne sont pas exposés à l'humidité etqu'ils s'attachent à un bon fond, ces enduits durent longtemps; mais ilsn'acquièrent jamais de fermeté. Ils n'ont d'autre avantage que de ne pascoûter cher et d'être fort légers.
ENFER, s. m. Le séjour des damnés est représenté habituellement dans lespeintures et les sculptures du moyen âge par une gueule monstrueuse danslaquelle s'engloutissent les réprouvés. Dans l'Office des morts, on litcette prière: «Libera me, Domine, de morte oeterna, de manu inferni, deore leonis, etc.» Les artistes anciens ont traduit le texte à lalettre. Sur le linteau de la porte principale de la cathédrale d'Autun,qui date du XIIe siècle, on voit, en effet, dans le Jugement dernier, ducôté des damnés, deux mains colossales qui s'emparent d'un ressuscité.Quant aux gueules indiquant l'entrée de l'enfer, on les retrouve surquantité de bas-reliefs et de peintures. L'idée de classification desdamnés dans l'enfer par genres de peines en raison des causes de ladamnation est une idée dont on retrouve très-anciennement la trace dansles monuments du moyen âge, et le Dante n'a fait que donner à cestraditions une forme poétique, qui résume dans son oeuvre tout ce queles artistes occidentaux avaient peint ou sculpté sur les monumentsreligieux. En effet, dans des édifices des XIe et XIIe siècles, nousvoyons l'avarice, la luxure, l'orgueil, la paresse, etc., subissant enenfer des peines proportionnées à ces vices. Les avares sont accabléssous le faix de sacoches d'argent suspendues à leur cou; ceux qui sesont abandonnés aux plaisirs des sens sont dévorés par des animauximmondes; les orgueilleux sont précipités à bas de chevaux lancés augalop; des crapauds s'attachent aux lèvres des calomniateurs, etc. (voy.JUGEMENT DERNIER, VICES).
ENGIN, s. m. On donnait ce nom à toute machine; d'où est venu le motengineor,engingneur, pour désigner l'homme chargé de lafabrication, du montage et de l'emploi des machines; d'où le nomd'ingénieur donné de nos jours à toute personne occupée de l'érectiondes ponts, du tracé des voies, de la construction des usines, desmachines, des navires, des fortifications, etc.; d'où enfin le nom degénie donné au corps.
Parmi les engins du moyen âge, il y a les engins employés pour unservice civil, comme les engins propres à monter ou transporter desfardeaux, les grues, les chèvres, les treuils, les machineshydrauliques, les presses; puis les engins de guerre, lesquels sedivisent en engins offensifs, engins défensifs et engins à la foisoffensifs et défensifs.
Il est certain que les Romains possédaient des machines puissantes pourtransporter et monter les matériaux énormes qu'ils ont si souvent mis enoeuvre dans leurs constructions. Vitruve ne nous donne sur ce sujet quedes renseignements peu étendus et très-vagues. Les Grecs étaient fortavancés dans les arts mécaniques; ce qui ne peut surprendre, si l'onsonge aux connaissances qu'ils avaient acquises en géométrie dès uneépoque fort ancienne et qu'ils tenaient peut-être des Phéniciens. Depuisl'antiquité, les puissances mécaniques n'ont pas fait un pas; lesapplications seules de ces puissances se sont étendues, car les lois dela mécanique dérivent de la géométrie; ces lois ne varient pas, une foisconnues; et parmi tant de choses, ici-bas, qu'on donne comme desvérités, ce sont les seules qui ne peuvent être mises en doute.
Les anciens connaissaient le levier, le coin, la vis, le plan incliné,le treuil et la poulie; comme force motrice, ils n'employaient que laforce de l'homme, celle de la bête de somme, les courants d'air ou d'eauet les poids. Ils n'avaient pas besoin, comme nous, d'économiser lesbras de l'homme, puisqu'ils avaient des esclaves, et ils ignoraient cesforces modernes produites par la vapeur, la dilatation des gaz etl'électricité. Le moyen âge hérita des connaissances laissées par lesanciens sans y rien ajouter, jusqu'à l'époque où l'esprit laïque prit latête des arts et chercha des voies nouvelles en multipliant d'abord lespuissances connues, puis en essayant de trouver d'autres forcesmotrices. De même qu'en cherchant la pierre philosophale, lesalchimistes du moyen âge firent des découvertes précieuses, lesmécaniciens géomètres, en cherchant le mouvement perpétuel, but de leurstravaux, résolurent des problèmes intéressants et qui étaient ignorésavant eux ou peut-être oubliés; car nous sommes disposé à croire que lesGrecs, doués d'une activité d'esprit merveilleuse, les forces motricesde leur temps admises seules, avaient poussé les arts mécaniques aussiloin que possible.
ENGINS APPLIQUÉS À LA CONSTRUCTION. Nous voyons, dans des manuscrits,bas-reliefs et peintures du IXe au XIIe siècle, le treuil, la poulie, laroue d'engrenage, la romaine, les applications diverses du levier et desplans inclinés. Nous ne saurions préciser l'époque de la découverte ducric; mais déjà, au XIVe siècle, son principe est parfaitement admisdans certaines machines de guerre.
D'ailleurs chacun sait que le principe en mécanique est celui-ci,savoir: que la quantité de mouvement d'un corps est le produit de savitesse, c'est-à-dire de l'espace qu'il parcourt dans un temps donné,par sa masse; et une fois ce principe reconnu, les diverses applicationsdevaient s'ensuivre naturellement, avec plus ou moins d'adresse. Dansles constructions romanes, on ne voit guère que de petits matériauxemployés, matériaux qui étaient montés soit à l'épaule, soit aubourriquet au moyen de poulies, soit en employant le treuil à roues quedes hommes de peine faisaient tourner par leur poids (1).
Cet enginprimitif est encore mis en oeuvre dans certains départements du centreet de l'ouest de la France; il est puissant lorsque la roue est d'undiamètre de six mètres, comme celle que nous avons tracée dans cetexemple, et qu'on peut la faire mouvoir par la force de trois hommes;mais il a l'inconvénient d'occuper beaucoup de place, d'être d'untransport difficile, et il ne permet pas de régler le mouvementd'ascension comme on peut le faire avec les machines de notre tempsemployées aux mêmes usages. Le seul moyen de donner une grande puissanceaux forces motrices autrefois connues, c'était de les multiplier par leslongueurs des leviers. Aussi, pendant le moyen âge, comme pendantl'antiquité, le levier joue-t-il le principal rôle dans la fabricationdes engins. Les Romains avaient élevé des blocs de pierre d'un volumeénorme à une grande hauteur, et ils dressaient tous les jours desmonostyles de granit ou de marbre de deux mètres de diamètre à la basesur quinze à dix-huit mètres de hauteur. Les Phéniciens et les Égyptiensl'avaient fait bien avant eux; or de pareils résultats ne pouvaient êtreobtenus que par la puissance du levier et les applications très-étendueset perfectionnées de ce moyen primitif.
On comprend, par exemple, quelle puissance peut avoir un engin disposécomme celui-ci (2). Soit AB un monostyle posé sur chantier incliné ayanten C un axe roulant dans une entaille longitudinale pratiquée dans uneforte pièce de bois E, que l'on calle en X lorsque le chantier estarrivé à sa place; soient, assemblées dans l'axe et les piècesinclinées, deux bigues CD, réunies à leur sommet D comme un pied dechèvre, ainsi que le fait voir le tracé P; soient des écharpes en boisG, puis un système de haubans en cordages H fortement serrés par desclefs; soient, le long des deux bigues, des poulies K, et sur le sol,fixées à deux pièces longitudinales, d'autres poulies correspondantes Ldont les dernières renvoient les câbles à deux cabestans placés àdistance. Il faudra que le monostyle AB, si pesant qu'il soit, arrive àdécrire un arc de cercle et à prendre la positiona b; on passera sousson lit inférieur des calles ou un bon lit de mortier, et lâchant lescordes qui le lient peu à peu, il glissera sur son chantier et se poserade lui-même sur sa base M. Il ne s'agit que d'avoir des bigues d'unedimension proportionnée à la hauteur du bloc à dresser et un nombre depoulies ou de moufles en rapport avec le poids du bloc. C'est ce mêmeprincipe qui est adopté de temps immémorial dans la construction despetits fardiers (2 bis) propres à soulever et transporter de grossespièces de bois.
Mais il était fort rare que les architectes du moyen âge missent enoeuvre des monostyles d'une dimension telle qu'elle exigeât de pareilsmoyens. Pour élever des colonnes monolithes comme celles de lacathédrale de Mantes, de l'église de Semur en Auxois, du choeur del'église de Vézelay, de la cathédrale de Langres, etc., les architectespouvaient n'employer que le grand treuil à levier que nous voyons figurédans les vitraux et dans les vignettes des manuscrits. Ce treuil, malgréson volume, pouvait être transporté sur des rouleaux, et s'il nes'agissait que d'élever les colonnes d'un sanctuaire, il n'était besoinque de lui faire faire une conversion, de façon à placer son axe normalà la courbe du chevet362.
Voici (3) un de ces engins que nous avons essayé de rendre pratique, carles tracés que nous donnent les peintures anciennes sont d'une naïvetételle qu'on ne doit les considérer que comme une indication deconvention, une façon d'hiéroglyphe. En A, on voit le plan de l'engin,dont le treuil horizontal B est disposé de manière à pouvoir enroulerdeux câbles. Le profil D de cet engin montre l'un des deux plateauxcirculaires C du plan, lesquels sont munis, sur chacune de leurs faces,de huit dents mobiles, dont le détail est présenté en G de face et deprofil. Les grands leviers E sont à fourchettes et embrassent lesplateaux circulaires; abandonnés à eux-mêmes, ces leviers prennent laposition KL, venant frapper leur extrémité sur la traverse L, à causedes contre-poids I. Alors les dents M, tombées sur la partie inférieurede leur entaille, par leur propre poids et la position de leur axe,opposent un arrêt à l'extrémité de la flèche du levier entre lafourchette; les hommes qui, étant montés par l'échelle N, posent leurspieds sur la traverse O, en tirant, s'il est besoin, sur les échelons,comme l'indique le personnage tracé sur notre profil, font descendrel'extrémité du levier O jusqu'en O'. Le plateau a ainsi fait un huitièmede sa révolution et les câbles se sont enroulés sur le treuil.Abandonnant la traverse O, le levier remonte à sa première position,sous l'action du contre-poids; les hommes remontent se placer sur latraverse, et ainsi de suite. L'échelle N et la traverse O occupant toutela largeur de l'engin entre les deux leviers, six hommes au moinspeuvent se placer sur cette traverse façonnée ainsi que l'indique ledétail P, et donner aux leviers une puissance très-considérable,d'autant que ces hommes n'agissent pas seulement par leur poids, maispar l'action de tirage de leurs bras sur les échelons. Dans le détail G,nous avons figuré, en R, une des dents tombée, et, en S, la dentcorrespondante relevée. Ces sortes d'engrenages mobiles, opposant unerésistance dans un sens et s'annulant dans l'autre, prenant leurfonction de dent par suite de la position de la roue, sonttrès-fréquents dans les machines du moyen âge. Villard de Honnecourt endonne plusieurs exemples, et entre autres dans sa roue à marteaux, aumoyen de laquelle il prétend obtenir une rotation sans le secours d'uneforce motrice étrangère.
Le vérin, cet engin composé aujourd'hui de fortes pièces de boishorizontales dans lesquelles passent deux grosses vis en bois quitraversent l'une des deux pièces et d'un pointail vertical qui lesréunit, était employé, pendant le moyen âge, pour soulever des poidstrès-considérables, et a dû précéder le cric. Villard de Honnecourtdonne un de ces engins363 dont la puissance est supérieure à celle ducric, mais aussi est-il beaucoup plus volumineux (4).
Une grosse vis enbois verticale, terminée à sa partie inférieure par un cabestan, passe àtravers la pièce A et tourne au moyen des pivots engagés dans lasablière B et dans le chapeau C; deux montants inclinés relient ensembleles trois pièces horizontales. Deux montants à coulisses D reçoivent,conformément à la section E, un gros écrou en bois dur armé de brides defer et supportant un anneau avec sa louve F. En virant au cabestan, onfaisait nécessairement monter l'écrou entre les deux rainures desmontants D, et l'on pouvait ainsi soulever d'énormes fardeaux, pour peuque l'engin fût d'une assez grande dimension.
L'emploi des plans inclinés était très-fréquent dans les constructionsde l'antiquité et du moyen âge; nous en avons donné un exempleremarquable à l'article ÉCHAFAUD (fig. 1 et 2). On évitait ainsi ledanger des ruptures de câbles dans un temps où les chaînes en fern'étaient pas employées pour élever des matériaux d'un fort volume, eton n'avait pas besoin d'employer des puissances motricesextraordinaires. Il est certain qu'au moyen d'une trémie élevée suivantun angle de 45 degrés, par exemple (5), deux poulies étant placées ausommet en A, deux autres poulies de renvoi en D, et un ou deux cabestansen B, le poids C étant posé sur des rouleaux, on épargnait beaucoup deforces; mais il va sans dire que cette manière d'élever des matériauxpropres à la construction ne pouvait s'employer qu'autant que lesbâtiments n'atteignaient qu'une hauteur très-médiocre: or les édificesdu moyen âge sont souvent fort élevés. Aussi, pour la construction desoeuvres hautes de ces édifices, paraît-il que l'on employa la chèvre etla grue. Il existait encore, vers le commencement de notre siècle, surle clocher sud de la cathédrale de Cologne, alors élevée au niveau desvoûtes hautes de la nef environ, une grue soigneusement recouverte d'unechape en plomb et qui datait du XIVe siècle, c'est-à-dire du moment oùles travaux avaient été interrompus. Nous ne possédons pas, sur cetengin curieux, de documents certains; nous n'en connaissons que la formegénérale, qui rappelait celle des grues encore employées pendant ledernier siècle. Les matériaux étaient apportés à pied d'oeuvre sous lebec de la grue au moyen de grandsbinards ou fardiers à deux roues,ainsi que l'indique la fig. 6. Un long timon servant de levierpermettait, lorsque la pierre avait été bardée sur le plateau A, desoulever ce plateau en abaissant l'extrémité B, et de faire roulerl'engin jusqu'au point où le câble de la grue pouvait saisir la pierreau moyen d'une louve.
Ces engins sont encore en usage aujourd'hui dans les provinces du Midi.Il n'y a pas plus de vingt ans que des perfectionnements notables ontété apportés dans le système et la fabrication des engins employés pourles constructions; jusqu'alors les engins dont on se servait au XIIIesiècle étaient aussi employés soit pour transporter les matériaux d'unpoint à un autre, soit pour les élever verticalement. La chèvre, cetteadmirable et simple invention qui remonte à la plus haute antiquité, estencore en usage aujourd'hui, et il est probable qu'on s'en serviralongtemps.
ENGINS DE GUERRE. Il est nécessaire, pour mettre de la clarté dans notretexte, de diviser ces machines en raison de leur fonction:enginsd'attaque,engins d'attaque et de défense,engins de défenseseulement.
Engins offensifs avant l'artillerie à feu.--Vitruve364 parle detrois machines propres à l'attaque: les catapultes, les scorpions et lesbalistes. Les catapultes et les scorpions sont rangés par lui dans lamême catégorie; ces engins étaient destinés à projeter des dards d'unegrande longueur et d'un poids assez considérable. Naturellement c'est ladimension du projectile qui donne celle de la machine. Le propulseurconsistait en des ressorts de bois tendus au moyen de cordes et detreuils. Malheureusement Vitruve, qui relève scrupuleusement lesdimensions relatives de chaque partie de ces machines, oublie de nousdécrire leur structure; de sorte qu'il est difficile de se faire uneidée passablement exacte du système adopté. Perrault, dans sa traductiondu texte latin, nous donne la représentation d'une catapulte365; maisnous avouons ne pas être satisfait de son interprétation. Son propulseurne pourrait avoir qu'une action très-faible et ferait plutôt basculer letrait qu'il ne l'enverrait suivant une ligne droite. Végèce366 parledes balistes, des onagres, des scorpions, des arcs-balistes; mais sesdescriptions sont d'un laconisme tel que l'on ne peut en rien tirer deconcluant; nous savons seulement par lui que la baliste était tendue aumoyen de cordes ou de nerfs, que le scorpion était une baliste de petitedimension, une sorte d'arbalète, «scorpiones dicebant, quas nuncmanubalistas vocant;» que l'onagre lançait des pierres et que la forcedes nerfs devait être calculée en raison du poids des projectiles; maisil se garde bien de nous faire savoir si ces onagres sont des machinesmises en mouvement par des contre-poids, des cordes tordues ou desressorts. Les commentateurs de ces auteurs anciens sont d'autant plusprolixes que les textes sont plus laconiques ou plus obscurs; mais ilsne nous donnent pas de solutions pratiques.
Si Végèce semble indiquer que la baliste soit une grande arbalète fixepropre à lancer des traits, Vitruve prétend que la baliste est destinéeà lancer des pierres dont le poids varie de deux livres à deux centcinquante livres; il ne nous fait pas connaître si cet engin est mu pardes contre-poids ou des ressorts. La baliste donnée par Perraultenverrait son projectile à dix pas, si même il ne tombait pas surl'affût. Ammien Marcellin367 est un peu moins obscur dans lesdescriptions qu'il nous a laissées des machines de guerre offensivesemployées de son temps, c'est-à-dire au IVe siècle. D'après cet auteur,la baliste est une sorte de grande arbalète dont le projectile (lejavelot) est lancé par la force de réaction de plusieurs cordes à boyauxtordues. Le scorpion, que de son temps on appelaitonagre, estpositivement le cable du moyen âge, c'est-à-dire un engin composé d'unstyle dont le pied est tortillé entre des cordes tendues, comme la clefd'une scie, et dont la tête, munie d'une cuiller, reçoit un boulet quece style en décliquant envoie en bombe. Ammien Marcellin désigne aussicet engin sous le nom detormentum, detorquere, tordre.
Nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré de ne rien ajouter auxtextes aussi diffus que peu concluants des commentateurs de Vitruve, deVégèce, d'Ammien Marcellin; ils voudront bien nous permettre de passer àl'étude des engins du moyen âge sur lesquels nous possédons des donnéesun peu moins vagues.
Les engins d'attaque, depuis l'invasion des barbares jusqu'à l'emploi del'artillerie à feu, sont en grand nombre: les uns sont mus par descontre-poids comme les trébuchets, les mangonneaux; d'autres par latension de cordes, de nerfs, de branches de ressorts de bois ou d'acier,comme les caables, malvéisines ou male-voisines, les pierrières;d'autres par leur propre poids et l'impulsion des bras, comme lesmoutons, béliers, bossons. Rien ne nous indique que les Romains, avantle Ve siècle, aient employé des machines de jet à contre-poids, tandisqu'ils connaissaient et employaient, ainsi que nous venons de le dire,les engins à ressorts, les grandes arbalètes à tour368 à un ou deuxpieds, ainsi qu'on peut s'en assurer en examinant les bas-reliefs de lacolonne Trajane. Les machines de jet mues par des contre-poids sontd'une invention postérieure aux machines à ressorts, par la raison queles engins à ressorts ne sont que l'application en grand d'une autrearme de main connue de toute antiquité, l'arc. Les machines àcontre-poids exigent, dans leur fabrication, un si grand nombre deprécautions, de calculs, et des moyens si puissants, qu'on ne peutadmettre qu'elles aient été connues des barbares qui envahirent lesGaules. Ceux-ci durent imiter d'abord les machines de guerre romaines,puis aller demander plus tard à Byzance les inventionstrès-perfectionnées des Grecs. Les enginsinconnus jusqu'alors dontparlent les annales de Saint-Bertin, et qui furent dressés devant lesmurailles d'Angers occupée en 873 par les Normands, avaient probablementété importés en France par ces artistes que Charles le Chauve faisaitvenir de Byzance. Les annalistes et les poëtes de ces temps reculés, etmême ceux d'une époque plus récente, sont d'un laconisme désespérantlorsqu'ils parlent de ces engins, et ils les désignent indifféremmentpar des noms pris au hasard dans l'arsenal de guerre, pour les besoinsde la mesure ou de la rime, de sorte que, jusque vers le temps deCharles V, où les chroniqueurs deviennent plus précis, plus clairs, ilest certaines machines auxquelles on peut difficilement donner leur nompropre. Nous allons essayer cependant de trouver l'emploi et la forme deces divers engins.
Dans la chanson de Roland, on lit:
«Li reis Marsilie est de guerre vencud,
Vus li avez tuz ses castels toluz,
Od vos caables avez fruiset ses murs,
...»
Or, pour que les murs aient été froissés, endommagés par les caables, ilfaut admettre que les caables lançaient des blocs de pierre. Le caableest donc une pierrière. «Une grande perière, que l'on claime chaable, sigrosse...369.» Guibert de Nogent, dans sonHistoire desCroisades370, parle des nombreuses balistes qui furent dresséesautour des murailles de la ville de Césarée par l'armée des chrétiens.Ces caables ou chaables et ces balistes nous paraissent être uneimitation des engins à ressorts en usage chez les Romains etperfectionnés par les Byzantins. Il est certain que ces engins avaientune grande puissance, car le même auteur rapporte que ces machinesvomissaient avec fureur les plus grosses pierres qui, «non-seulementallaient frapper les murs extérieurs, mais souvent même atteignaient deleur choc les palais les plus élevés dans l'intérieur de la ville.» Cesbalistes étaient posées sur des roues et pouvaient ainsi être changéesde place suivant le besoin; c'était là, d'ailleurs, une traditionromaine, car sur les bas-reliefs de la colonne Trajane on voitquelques-uns de ces engins posés sur des chariots traînés par deschevaux. Beaucoup d'auteurs ont essayé, en s'appuyant sur lesreprésentations peintes ou sculptées du moyen âge, de rendre compte dela construction de ces machines de jet; mais ces interprétationsfigurées nous paraissent être en dehors de la pratique et ressembler àdes jouets d'enfants assez naïvement conçus. Cependant leur effet, bienqu'il ne pût être comparé à celui produit par l'artillerie à feu,occasionnait de tels désordres dans les travaux de fortification, qu'ilfaut bien croire à leur puissance et tâcher d'en donner une idée exacte.C'est ce à quoi nous nous attachons dans les figurés qui vont suivre, etqui, tout en respectant les données générales que nous fournissent lesvignettes des manuscrits et les bas-reliefs, sont étudiés comme s'ilfallait en venir à l'exécution. Bien entendu, dans ces figurés, nousn'avons admis que les procédés mécaniques connus des ingénieurs du moyenâge.
Voici donc d'abord un de ces engins, baliste, caable ou pierrière, mupar des ressorts et des cordes bridées, propre à lancer des pierres (7).La pièce principale est la verge A, dont l'extrémité inférieure passedans un faisceau de cordes tordues au moyen de clefs B et de roues àdents C, arrêtées par des cliquets. Les cordes sont passées dans deuxanneaux tenant à la tige à laquelle la roue à dents vient s'adapter,ainsi que l'indique le détail D. Ces cordes ou nerfs tordus à volonté àla partie inférieure de la verge avaient une grande force derappel371. Mais pour augmenter encore la rapidité de mouvement quedevait prendre la verge, des ressorts en bois et nerfs entourés decordes, formant deux branches d'arcs E attachées à la traverse-obstacle,forçaient la verge à venir frapper violemment cette traverse F,lorsqu'au moyen du treuil G on avait amené cette verge à la positionhorizontale. Lorsque la verge A était abaissée autant que possible, unhomme, tirant sur la cordelette H, faisait échapper la branche de fer I(voy. le détail K), et la verge ramenée rapidement à la positionverticale, arrêtée par la traverse-obstacle F, envoyait au loin leprojectile placé dans la cuiller L. On réglait le tir en ajoutant ou ensupprimant des fourrures en dedans de la traverse F, de manière àavancer ou à reculer l'obstacle, ou en attachant des coussins de cuirrembourrés de chiffons à la paroi antérieure de l'arbre de la verge.Plus l'obstacle était avancé, plus le tir était élevé; plus il étaitreculé, plus le tir était rasant. Le projectile obéissait à la forcecentrifuge déterminée par le mouvement de rotation de la cuiller et à laforce d'impulsion horizontale déterminée par l'arrêt de la traverse F.La partie inférieure de la verge présentait la section M, afind'empêcher la déviation de l'arbre qui, d'ailleurs, était maintenu dansson plan par les deux tirages des branches du ressort E. Les crochets Oservaient à fixer le chariot en place, au moyen de cordes liées à despiquets enfoncés en terre, et à attacher les traits et palonniersnécessaires lorsqu'il était besoin de le traîner. Quatre hommespouvaient abaisser la verge en agissant sur le treuil G. Pour qu'unengin pareil ne fût pas détraqué promptement par la secousse terribleque devait occasionner la verge en frappant sur la traverse-obstacle, ilfallait nécessairement que cette traverse fût maintenue par descontre-fiches en charpente et par des brides en fer, ainsi que l'indiquenotre fig. 7. Un profil géométral (8) fait voir la verge abaissée aumoyen du treuil et la verge frappant la traverse-obstacle, ainsi que ledépart du projectile de la cuiller, les ressorts tendus lorsque la vergeest abaissée, et détendus lorsqu'elle est revenue à sa position normale.
Des machines analogues à celle-ci servaient aussi à lancer des traits;mais nous y reviendrons bientôt en parlant des grandes arbalètes à tour.Nous allons continuer la revue des engins propres à jeter des pierres ouautres projectiles en bombe.
Villard de Honnecourt372 nous donne le plan d'un de ces grandstrébuchets à contre-poids si fort employés pendant les guerres des XIIeet XIIIe siècles. Quoique l'élévation de cet engin manque dans lemanuscrit de notre architecte picard du XIIIe siècle, cependant lafigure qu'il présente et l'explication qu'il y joint jettent une vivelumière sur ces sortes de machines. Villard écrit au bas de son plan lalégende suivante373: «Se vus voles faire le fort engieng con apieletrebucet prendes ci gard. Ves ent ci les soles si com il siet sortierre. Ves la devant les. ij. windas374 et le corde ploie a coi ouravale la verge. Veir le poes en cele autre pagene (c'est cette secondepage qui manque). Il y a grant fais al ravaler, car li contrepois estmult pesans. Car il i a une huge plainne de tierre. Ki. ij. grans toizesa de lonc et. viiij. pies de le, et. xij. pies de profont. El al descocierde le fleke375 penses. Et si vus en donez gard, car ille doit estreatenue a cel estancon la devant.» Le plan donné par Villard présentedeux sablières parallèles espacées l'une de l'autre de huit pieds, etayant chacune trente-quatre pieds de long. À quatorze pieds del'extrémité antérieure des sablières est une traverse qui, à l'échelle,paraît avoir vingt-cinq pieds de long; puis quatre grands goussets, unecroix de Saint-André horizontale entre les deux sablièreslongitudinales; près de l'extrémité postérieure, les deux treuilsaccompagnés de deux grands ressorts horizontaux en bois. C'est là unengin énorme, et Villard a raison de recommander de prendre garde à soiau moment où la verge est décochée. Présentons de suite une élévationperspective de cette machine, afin que nos lecteurs puissent en prendreune idée générale. Villard ne nous donne que le plan des sablières surle sol, mais nombre de vignettes de manuscrits nous permettent decompléter la figure. Un des points importants de la description deVillard, c'est le cube du contre-poids.
Ceshuches ne sont pas desparallélipipèdes, mais des portions de cylindres dans la plupart desanciennes représentations: or, en donnant à cette huche la formeindiquée dans notre fig. 9 et les dimensions exprimées dans le texte deVillard, nous trouvons un cube d'environ 20 mètres; en mettant le mètrede terre à 1,200 kil., nous obtenons 26,000 kil. «Il y a grand faix àravaler.» Pour faire changer de place un pareil poids, il fallait unlevier d'une grande longueur: la verge était ce levier; elle avait dequatre toises à six toises de long (de huit à douze mètres), secomposait de deux pièces de bois fortement réunies par des frettes enfer et des cordes, et recevant entre elles deux un axe en fer façonnéainsi que l'indique le détail A. Les tourillons de cet axe entraientdans les deux pièces verticales B, renforcées, ferrées à leur extrémitéet maintenues dans leur plan par des contre-fiches. En cas de rupture dutourillon, un repos C recevait le renfort C', afin d'éviter la chute dela verge et tous les dégâts que cette chute pouvait causer.
Voyons comme on manoeuvrait cet engin, dont le profil géométral estdonné (10). Lorsque la verge était laissée libre, sollicitée par lecontre-poids C, elle prenait la position verticale AB. C'était pour luifaire abandonner cette position verticale qu'il fallait un plus grandeffort de tirage, à cause de l'aiguité de l'angle formé par la corde detirage et la verge; alors on avait recours aux deux grands ressorts debois tracés sur le plan de Villard et reproduits sur notre vueperspective (fig. 9). Les cordes attachées aux extrémités de ces deuxressorts venaient, en passant dans la gorge de deux poulies de renvoi,s'attacher à des chevilles plantées dans le second treuil D (fig. 10);en manoeuvrant ce treuil à rebours, on bandait les deux cordes autantque pouvaient le permettre les deux ressorts. Préalablement, la boucleE, avec ses poulies jumelles F, dans lesquelles passait la corde detirage, avait été fixée à l'anneau G au moyen de la cheville H (voy. ledétail X). La poulie I roulait sur un cordage peu tendu K, L, afin derendre le tirage des treuils aussi direct que possible. Au moment doncoù il s'agissait d'abaisser la verge, tout étant ainsi préparé, unservant étant monté attacher la corde double à l'anneau de la poulie detirage, on décliquait le treuil tourné à rebours, les ressorts tendaientà reprendre leur position, ils faisaient faire un ou deux tours autreuil D dans le sens voulu pour l'abattage et aidaient ainsi aux hommesqui commençaient à agir sur les deux treuils, ce qui demandait d'autantmoins de force que la verge s'éloignait de la verticale. Alors ondétachait les boucles des cordes des ressorts et on continuaitl'abattage sur les deux treuils ena b eta' b'. Huit hommes (deuxpar levier pour un engin de la dimension de celui représenté fig. 10),dès l'instant que la verge était sortie de la ligne verticale au moyendes ressorts, pouvaient amener celle-ci suivant la position A'B'. Lechargeur prenait la poche en cuir et cordes M, la rangeait dans larigole horizontale en M', plaçait dedans un projectile; puis, d'un coupde maillet, le décliqueur faisait sauter la cheville H. La verge,n'étant plus retenue, reprenait la position verticale par un mouvementrapide et envoyait le projectile au loin. C'est ici où l'on ne se rendpas, faute de l'expérience acquise par la pratique, un compte exact del'effet des forces combinées, de la révolution suivie par le projectileet du moment où il doit quitter sa poche. Quelques commentateursparaissent avoir considéré la poche du projectile comme une véritablefronde se composant de deux attaches, dont une fixe et l'autre mobile,de manière que, par le mouvement de rotation imprimé au projectile,l'une des deux attaches de la fronde quittait son point d'attacheprovisoire, et le projectile ainsi abandonné à lui-même décrivait dansl'espace une parabole plus ou moins allongée.
D'abord, bien des causes pouvaient modifier le décrochement de l'une descordes de la fronde: le poids du projectile, son tirage plus ou moinsprononcé sur l'une des deux cordes, un léger obstacle, un frottement. Ilpouvait se faire ou que le décrochement eût lieu trop tôt, alors leprojectile était lancé verticalement et retombait sur la tête destendeurs; ou qu'il ne se décrochât pas du tout, et qu'alors, rabattuavec violence sur la verge, il ne la brisât. En consultant lesbas-reliefs et les vignettes des manuscrits, nous ne voyons pas figurésces ceux brides de fronde et l'attache provisoire de l'une d'elles; aucontraire, les brides de la fronde paraissent ne faire qu'un seulfaisceau de cordes ou de lanières, avec une poche à l'extrémité, commel'indique nos figures. De plus, nous voyons souvent, dans les vignettesdes manuscrits, une seconde attache placée en contre-bas de l'attache dela fronde et qui paraît devoir brider celle-ci, ainsi que le fait voirmême la vignette (11) reproduite dans les éditions française et anglaisede Villard de Honnecourt.
Ici le tendeur tient à la main cette bridesecondaire et paraît l'attacher à la queue de la fronde. C'est cettebride, ce sous-tendeur, que dans nos deux fig. 9 et 10 nous avons tracéen P, le supposant double et pouvant être attaché à différents points dela queue de la fronde; on va voir pourquoi.
Soit (12) le mouvement de la verge, lorsque après avoir été abaisséeelle reprend brusquement la position verticale par l'effet ducontre-poids. Le projectile devra décrire la courbe ABC. Or il arrive unmoment où la fronde sera normale à l'arc de cercle décrit par la verge,c'est-à-dire où cette fronde sera exactement dans le prolongement de laverge qui est le rayon de cet arc de cercle. Alors le projectile, mu parune force centrifuge considérable, tendra à s'échapper de sa poche. Ilest clair que la fronde sera plus rapidement amenée dans la ligne deprolongement de la verge suivant que cette fronde sera plus courte etque le poids du projectile sera plus considérable. Si la fronde arrivedans le prolongement de la ligne de la verge lorsque celle-ci est aupoint D de l'arc de cercle, le projectile ne sera pas lancé du côté desennemis, mais au contraire sur ceux qui sont placés derrière l'engin. Ily avait donc un premier calcul à faire pour donner à la fronde unelongueur voulue, afin qu'ayant à lancer un poids de... elle arrivât dansle prolongement de la ligne de la verge lorsque celle-ci était prèsd'atteindre son apogée. Mais il fallait alors déterminer par unesecousse brusque le départ du projectile, qui autrement aurait quitté lerayon en s'éloignant de l'engin presque verticalement. C'était pourdéterminer cette secousse qu'était fait le sous-tendeur P. Si cesous-tendeur P était attaché en P', par exemple, de manière à formeravec la verge et la queue de la fronde le triangle P'OR, la queue OP' nepouvait plus sortir de l'angle P'OR, ni se mouvoir sur le point derotation O. Mais le projectile C continuant sa course forçait la pochede la fronde à obéir à ce mouvement d'impulsion jusqu'au moment où cettepoche, se renversant tout à fait, le projectile abandonné à lui-mêmeétait appelé par la force centrifuge et la force d'impulsion donnée parl'arrêt brusque du sous-tendeur à décrire une parabole C'E.
Si, comme l'indique le tracé S, le sous-tendeur P était fixé en P'',c'est-à-dire plus près de l'attache de la queue de la fronde, et formaitun triangle P''O''R'' dont l'angle O' était moins obtus que celui del'exemple précédent, la secousse se faisait sentir plus tôt, la portionde la fronde laissée libre décrivait une portion de cercle C''C''', ouplutôt une courbe C''C'''', par suite du mouvement principal de laverge; le projectile C'''', abandonné à lui-même sous le doublemouvement de la force centrifuge principale et de la force centrifugesecondaire occasionnée par l'arrêt P'', était lancé suivant une ligneparabolique C''''E'', se rapprochant plus de la ligne horizontale quedans l'exemple précédent. En un mot, plus le sous-tendeur P était raidiet fixé près de l'attache de la fronde, plus le projectile était lancéhorizontalement; plus, au contraire, ce sous-tendeur était lâche etattaché près de la poche de la fronde, plus le projectile était lancéverticalement. Ces sous-tendeurs étaient donc un moyen nécessaire pourrégler le tir et assurer le départ du projectile.
S'il fallait régler le tir, il fallait aussi éviter les effetsdestructeurs du contre-poids qui, arrivé à son point extrême de chute,devait occasionner une secousse terrible à la verge, ou briser tous lesassemblages des contre-fiches. À cet effet, non-seulement le mouvementdu contre-poids était double, c'est-à-dire que ce contre-poids étaitattaché à deux bielles avec deux tourillons, mais encore, souvent auxbielles mêmes, étaient fixés des poids en bascule, ainsi que le fontvoir nos figures précédentes. Voici quel était l'effet de ces poids T.Lorsque la verge se relevait brusquement sous l'influence de la huchechargée de terre ou de pierres, les poids T, en descendant rapidement,exerçaient une influence sur les bielles au moment où la huche arrivaitau point extrême de sa chute et où elle était retenue par la résistanceopposée par la verge. Les poids n'ayant pas à subir directement cetterésistance, continuant leur mouvement de chute, faisaient incliner lesbielles suivant une lignegh et détruisaient ainsi en partie lemouvement de secousse imprimé par la tension brusque de ces bielles. Lespoids T décomposaient, jusqu'à un certain point, le tirage verticalproduit par la huche, et neutralisaient la secousse qui eût fait rompretous les tourillons, sans altérer en rien le mouvement rapide de laverge, en substituant un frottement sur les tourillons à un choc produitpar une brusque tension.
Ces engins à contre-poids furent en usage jusqu'au moment oùl'artillerie à feu vint remplacer toutes les machines de jet du moyenâge. Le savant bibliophile M. Pichon possède un compte (attachement) dece qui a été payé pour le transport d'un de ces engins en 1378, lequelavait servi au siége de Cherbourg. Voici ce curieux document, que sonpossesseur a bien voulu nous communiquer: «La monstre Thomin le bourgoisde Pontorson gouvernour de l'engin de la dite ville, du maistrecharpentier, de V autres charpentiers, de X maçons et cancours, de XLtendeurs et XXXI charrêt à compter le cariot qui porte la verge d'iceluyengin; pour trois charreltiers qui sont ordennés servir celui engin ausiége de Cherbourt, venu à Carentan et nous Endouin Channeron, dotteuren la seigneurie, bailly de Costentin et Jehan des Îles, bailly illecpour le roy notre sire es terres qui furent au roy de Navarre, comis etdéputez en ceste partie, de par nos seigneurs les généraulx commis, duroy notre sire pour le fait dudit siége; le XV jour de novembre l'anMCCCLXXVIII.
«Et premièrement:
«Le dit Thomin le maistre gonduom dudit engin, X jours. vault pour X jours Some ci dessus.» «Michel Rouffe, maistre charpentier dudit engin, X jours. vault pour X jours Etc.» | ![]() ![]() |
Suit le compte des charpentiers, maçons, tendeurs, charrettes etchevaux. Cet attachement fait connaître l'importance de ces machines quiexigeaient un personnel aussi nombreux pour les monter et les faireagir. Le chiffre de quarante tendeurs indique assez la puissance de cesengins: car, en supposant qu'ils fussent divisés en deux brigades (leurservice étant très-fatigant, puisqu'ils étaient chargés de la manoeuvredes treuils), il fallait donc vingt tendeurs pour abaisser la verge dutrébuchet. Les maçons étaient probablement employés à dresser les airesde niveau sur lesquelles on asseyait l'engin376. Pierre deVaux-Cernay, dans sonHistoire des Albigeois, parle de nombreuxmangonneaux dressés par l'armée des croisés devant le château desTermes, et qui jetaient contre cette place des pierres énormes, si bienque ces projectiles firent plusieurs brèches. Au siége du château deMinerve (en Minervois), dit ce même auteur, «on éleva du côté desGascons une machine de celles qu'on nomme mangonneaux, dans laquelle ilstravaillaient nuit et jour avec beaucoup d'ardeur. Pareillement, au midiet au nord, on dressa deux machines, savoir une de chaque côté; enfin,du côté du comte, c'est-à-dire à l'orient, était une excellente etimmense pierrière, qui chaque jour coûtait vingt et une livres pour lesalaire des ouvriers qui y étaient employés.» Au siége de Castelnaudary,entrepris contre Simon de Montfort, le comte de Toulouse fit «préparerun engin de grandeur monstrueuse pour ruiner les murailles du château,lequel lançait des pierres énormes, et renversait tout ce qu'ilatteignait... Un jour le comte (Simon de Montfort) s'avançait pourdétruire la susdite machine; et comme les ennemis l'avaient entourée defossés et de barrières tellement que nos gens ne pouvaient y arriver...»En effet, on avait toujours le soin d'entourer ces engins de barrières,de claies, tant pour empêcher les ennemis de les détruire que pourpréserver les hommes qui les servaient. Au siége de Toulouse, Pierre deVaux-Cernay raconte que, dans le combat où Simon de Montfort fut tué,«le comte et le peu de monde qui était avec lui se retirant à caused'une grêle de pierres et de l'insupportable nuée de flèches qui lesaccablaient, s'arrêtèrent devant les machines, derrière des claies, pourse mettre à l'abri des unes et des autres; car les ennemis lançaient surles nôtres une énorme quantité de cailloux au moyen de deux trébuchets,un mangonneau et plusieurs engins...» C'est alors que Simon de Montfortfut atteint d'une pierre lancée par une pierrière que servaient desfemmes sur la place de Saint-Sernin, c'est-à-dire à cent toises au moinsde l'endroit où se livrait le combat. Quelquefois les anciens auteurssemblent distinguer, comme dans ce passage, les trébuchets desmangonneaux. Les mangonneaux sont certainement des machines àcontre-poids comme les trébuchets; mais les mangonneaux avaient un poidsfixe placé à la queue de la verge au lieu d'un poids mobile, ce qui leurdonnait une qualité particulière.
Villard de Honnecourt appelle l'engin à contre-poids suspendu par desbielles, à contre-poids en forme de huche,trébuchet; d'où l'on doitconclure que si le mangonneau est aussi un engin à contre-poids, ce nepeut être que l'engin-balancier, tel que celui figuré dans le bas-reliefde Saint-Nazaire de Carcassonne377 et dans beaucoup de vignettes demanuscrits378.
Nous avons vu que la fronde du trébuchet a ses deux branches attachées àla tête de la verge, et que le projectile quitte la poche de cettefronde par l'effet d'une secousse produite par des sous-tendeurs. Dansles représentations des engins à verge et à balancier, l'un des bras dela fronde est fixé à l'extrémité de la verge et l'autre est simplementpassé dans un style disposé de telle façon que, quand la verge arrive àson apogée, ce bras de fronde quitte son style et le projectile estlancé comme la balle d'une fronde à main. Cet engin, ainsi que nous ledisions tout à l'heure, possède d'autres qualités que le trébuchet. Letrébuchet, par son mouvement brusque, saccadé, était bon pour lancer lesprojectiles par-dessus de hautes murailles, sur des combles, comme nosmortiers lancent les bombes; mais il ne pouvait faire décrire auprojectile une parabole très-allongée se rapprochant de la lignehorizontale. Le tir du mangonneau pouvait se régler beaucoup mieux quecelui du trébuchet, parce qu'il décrivait un plus grand arc de cercle etqu'il était possible d'accélérer son mouvement.
Essayons donc d'expliquer cet engin.
D'abord (voy. fig. 13) la verge, au lieu de passer dans l'axe dutourillon, se trouvait fixée en dehors, ainsi que l'indique le tracé enA. À son extrémité inférieure, qui s'élargissait beaucoup (nous allonsvoir comment et pourquoi), étaient attachés des poids, lingots de fer oude plomb, ou des pierres, maintenus par une armature et un coffre deplanches B. Dans son état normal, la verge, au lieu d'être verticalecomme dans le trébuchet, devait nécessairement s'incliner du côté del'ennemi, c'est-à-dire sur la face de l'engin379, à cause de laposition du contre-poids et celle de l'arbre. Pour abaisser la verge, onse servait de deux roues C, fixées à un treuil et correspondant à deuxpoulies de renvoi D. Il est clair que devant l'ennemi, il n'était paspossible de faire monter un servant au sommet de la verge pour y fixerla corde double de tirage avec sa poulie et son crochet, d'abord parceque cette corde et cette poulie devaient être d'un poids assezconsidérable, puis parce qu'un homme qui se serait ainsi exposé auxregards ennemis eût servi de point de mire à tous les archers etarbalétriers. Nous avons vu tout à l'heure que ces engins étaiententourés de barrières et de claies destinées à garantir les servants quirestaient sur le sol. Au moyen d'un petit treuil E, attaché aux paroisde la caisse du contre-poids et mu par deux manivelles, on amenait, àl'aide de la corde double F passant par deux fortes poulies G, la poulieH et son crochet auquel préalablement on avait accroché l'autre poulieK. La verge abaissée suivant l'inclinaison LM, on faisait sauter lecrochet de la poulie K, et la verge décrivait l'arc de cercle MN. Lesservants précipitaient ce mouvement en tirant sur plusieurs cordesattachées en O, suivant la direction OR. Si, lors du décliquement de laverge, les servants tiraient vivement et bien ensemble sur ces cordes,ils faisaient décrire à l'extrémité supérieure de la verge un arc decercle beaucoup plus grand que celui donné par la seule action ducontre-poids, et ils augmentaient ainsi la force d'impulsion duprojectile S au moment de son départ. Pour rattacher la poulie K à lapoulie H, on tirait celle-ci au moyen d'un fil P en déroulant le treuilE, on descendait cette poulie H aussi bas qu'il était nécessaire, on yrattachait la poulie K, on appuyait de nouveau sur le treuil E. Cettemanoeuvre était assez rapide pour qu'il fût possible d'envoyer douzeprojectiles en une heure.
Pour faciliter l'abaissement de la verge, lorsque les tendeursagissaient sur les deux grandes roues C, les hommes préposés à lamanoeuvre des cordes du balancier B tiraient sur ces cordes attachées enO, suivant la ligne OV. Lorsque la verge était abaissée, les servantschargés de l'attache de la fronde étendaient les deux brides de cettefronde dans la rigole T. L'une de ces brides restait fixée à l'anneau X,l'autre était sortie d'elle-même du style U; les servants avaient lesoin de replacer l'anneau de cette seconde bride dans le style et, bienentendu, laissaient passer ces deux brides par-dessus la corde double detirage de la verge, ainsi que l'indique la coupe Z, présentant enal'extrémité de la verge abaissée avec sa poulie H enh, sa poulie K enk, les deux poulies D end, les deux brides de la fronde engg.Lorsque le décliqueur agissait sur la petite basculee du crochet, lapoulie K tombait entre les deux sablières, la verge se relevait et lesdeux bridesgg tiraient le projectile S. On observera ici que leprojectile S étant posé dans la poche de la fronde, les deux brides decette fronde devant être égales en longueur, l'une, celle attachée àl'anneau X, est lâche, tandis que celle fixée au style est presquetendue. L'utilité de cette manoeuvre va tout à l'heure être démontrée.On voudra bien encore examiner la position du contre-poids lorsque laverge est abaissée; cette position est telle que la verge devait setrouver en équilibre; que, par conséquent, l'effort des tendeurs, pourl'amener à son déclin, devait être à peu près nul, ce qui permettait detendre la corde sur la pouliek, ainsi que l'indique la coupe Z; quecet équilibre, obtenu par les pesanteurs principales reportées sur letourillon A, rendait efficace le tirage des hommes préposés aubalancier, puisqu'au moment du décliquement il devait y avoir une sorted'indécision dans le mouvement de la verge; que ce tirage ajoutait alorsun puissant appoint au poids du balancier, ce qui était nécessaire pourque la fronde fonctionnât convenablement.
La fig. 14 représente le mangonneau du côté de sa face antérieure, aumoment où la verge est abaissée. Les six hommes agissant sur les deuxgrands treuils sont restés dans les roues afin de dérouler le câbledoublé lorsque la verge aura lancé le projectile qui est placé dans lapoche de la fronde. Seize hommes s'apprêtent à tirer sur les quatrecordes attachées à la partie inférieure du contre-poids. Le décliqueurest à son poste, en A, prêt à faire sauter le crochet qui retientl'extrémité de la verge abaissée. Le maître de l'engin est en B; il vadonner le signal qui doit faire agir simultanément le décliqueur et lestireurs; à sa voix, la verge n'étant plus retenue, sollicitée par lesseize hommes placés en avant, va se relever brusquement, entraînant safronde, qui, en sifflant, décrira une grande courbe et lancera sonprojectile.
Examinons maintenant comment la fronde devait être attachée pour qu'unede ses branches pût quitter en temps opportun le style de l'engin, afinde laisser au projectile la liberté de s'échapper de la poche.
Voici (15) l'extrémité de la verge; on voit, en A, l'attache fixe qui secompose d'un long étrier tournant sur un boulon B; puis, en C, le styleen fer, élargi à sa base, et en D la boucle qui n'entre dans ce styleque jusqu'à un certain point qu'elle ne peut dépasser à cause de cetélargissement. Lorsque l'étrier est sollicité par l'une des brides de lafronde (voy. le profil G), il faut que son anneau E tombe sur lacirconférence décrite par l'anneau F de la boucle, circonférence dont,bien entendu, la verge est le rayon; il faut aussi que l'étrier nepuisse dépasser la ligne IE et soit arrêté en K par la largeur du boutde la verge. Tant que la bride de la fronde attachée à l'anneau E del'étrier n'a pas, par suite du mouvement imprimé, dépassé la ligne EE';prolongement de la ligne IE, l'autre bride de la fronde tire sur laboucle F obliquement, de telle façon que cette boucle ne peut quitter lestyle C.
Ceci compris, la figure 16 indique le mouvement de rotation de la verge.La bride mobile de la fronde ne quittera le style que lorsque leprojectile aura dépassé le rayon du cercle décrit par la verge, qu'aumoment où les brides de la fronde formeront avec la verge un angle,ainsi qu'il est tracé dans la position A. Alors, l'une des brides de lafronde continuera à tirer sur l'étrier, tandis que l'autre se relâchera,et la force centrifuge imprimée au projectile fera échapper la boucle dustyle, comme nous le voyons en M. Le projectile libre décrira saparabole. Si le mouvement de rotation de la verge était égal ouprogressivement accéléré, il arriverait un moment où le projectile setrouverait dans le prolongement de la ligne de la verge (rayon) pour neplus quitter cette ligne qu'au moment où la verge s'arrêterait. Mais iln'en est pas ainsi, grâce à la disposition du tourillon hors de la lignede la verge, de la place du contre-poids hors d'axe et du tirage deshommes pour hâter le mouvement de rotation au moment du décliquement;une force d'impulsion très-violente est d'abord donnée à la verge et parsuite au projectile; celui-ci, sous l'empire de cette force première,décrit sa courbe plus rapidement que la verge ne décrit sonarc-de-cercle, d'autant que le mouvement de celle-ci se ralentit àmesure qu'elle approche de son apogée; dès lors, les brides de la frondedoivent faire un angle avec la verge, ainsi qu'on le voit en M.
C'étaient donc les hommes placés à la base du contre-poids qui réglaientle tir, en appuyant plus ou moins sur les cordes de tirage. S'ilsappuyaient fortement, la verge décrivait son arc de cercle avec plus derapidité, la force centrifuge du projectile était plus grande; ildépassait plus tôt la ligne de prolongement de la verge; le bras mobilede la fronde se détachait plus tôt et le projectile s'élevait plus haut,mais parcourait un moins grand espace de terrain. Si, au contraire, leshommes du contre-poids appuyaient mollement sur les cordes de tirage oun'appuyaient pas du tout, le projectile était plus lent à dépasser laligne de prolongement de la verge; le bras mobile de la fronde sedétachait plus tard, et le projectile, n'abandonnant sa poche quelorsque celle-ci avait dépassé la verticale, s'élevait moins haut, maisparcourait un espace de terrain plus étendu. Ainsi le mérite d'un bonmaître engingneur était, d'abord, de donner aux brides de la fronde lalongueur voulue en raison du poids du projectile, puis de réglerl'attache de ces deux brides, puis enfin de commander d'appuyer plus oumoins sur les cordes de tirage, suivant qu'il voulait envoyer sonprojectile plus haut ou plus loin.
Il y avait donc une différence notable entre le trébuchet et lemangonneau. Le trébuchet était un engin beaucoup moins docile que lemangonneau, mais il exigeait moins de pratique, puisque pour en réglerle tir il suffisait d'un homme qui sût attacher les brides desous-tension de la fronde. Le mangonneau devait être dirigé par unengingneur habile et servi par des hommes au fait de la manoeuvre, sinonil était dangereux pour ceux qui l'employaient. Il est, en effet,quelquefois question de mangonneaux qui blessent et tuent leursservants: une fausse manoeuvre, un tirage exercé mal à propos sur lescordes du contre-poids, et alors que celui-ci avait déjà fait une partiede sa révolution, pouvait faire décrocher la bride de la fronde troptard et projeter la pierre sur les servants placés à la partieantérieure de l'engin.
Il serait superflu d'insister davantage sur le mécanisme de ces engins àcontre-poids; nous n'avons prétendu ici que donner à cette étude un tourplus pratique que par le passé. Il est clair que pour connaîtreexactement les effets de ces formidables machines de guerre, il faudraitles faire fabriquer en grand et les mettre à l'épreuve, ce quiaujourd'hui devient inutile en face des canons rayés; nous avons penséqu'il était bon de faire connaître seulement que nos pères apportaientdans l'art de tuer les hommes la subtilité et l'attention qu'ilsmettaient à leur bâtir des palais ou des églises. Ces batteries d'enginsà contre-poids, qui nuit et jour envoyaient sans trève des projectilesdans les camps ou les villes ennemies, causant de si terribles dommagesqu'il fallait venir à composition, n'étaient donc pas des joujoux commeceux que l'on nous montre habituellement dans les ouvrages sur l'artmilitaire du moyen âge. Les projectiles étaient de diverses sortes:boulets de pierre, paquets de cailloux, amas de charognes, matièresincendiaires, etc380.
Les Orientaux, qui paraissent être les premiers inventeurs de ces enginsà contre-poids, s'en servaient avec avantage déjà dès le XIe siècle. Ilsemployaient aussi les pierrières,chaables,pierrières turques, aumoyen desquelles ils jetaient sur les ouvrages ennemis non-seulement despierres, mais aussi des barils pleins de matières inflammables (feugrégeois) que l'eau ne pouvait éteindre, et qui s'attachaient en brûlantsur les charpentes des hourds ou des machines.
Joinville nous a laissé une description saisissante des terribles effetsde ces engins. «Le roy ot conseil, dit-il, quand il s'agit de passer undes bras du Nil devant les Sarrasins, que il feroit faire une chauciéepar mi la rivière pour passer vers les Sarrasins. Pour garder ceux quiouvroient (travaillaient) à la chauciée, et fit faire le roy deuxbeffrois que l'en appele chas-chastiau (nous parlerons tout à l'heure deces sortes d'engins); car il avoit deux chastiaus devant les chas etdeux massons (palissades) derrière les chastiaus, pour couvrir ceulz quiguieteroient (qui feraient le guet), pour (contre) les copz des enginsaux Sarrazins, lesquiex avoient seize engins touz drois (sur une mêmeligne, en batterie). Quant nous venimes là, le roy fist faire dix huitengins, dont Jocelin de Cornaut estoit mestre engingneur (un maîtreengingneur commandait donc la manoeuvre de plusieurs engins). Nos enginsgetoient au leur, et les leurs aus nostres; mès onques n'oy dire que lesnostres feissent biaucop... Un soir avint, là où nous guietions leschas-chastiaus de nuit, que il nous avièrent un engin que l'en appèleperrière, ce que il n'avoient encore fait, et mistrent le feu gregoiz enla fonde de l'engin (cuiller de l'engin)... Le premier cop que iljetèrent vint entre nos deux chastelz, et chaï en la place devant nousque l'ost avoit fait pour boucher le fleuve. Nos esteingneurs (on avaitdonc des hommes spécialement chargés d'éteindre les incendies alluméspar les ennemis) furent appareillés pour estaindre le feu; et pour ceque les Sarrazins ne pooient trère à eulz (tirer sur ces éteigneurs),pour les deux eles des paveillons que le roy y avoit fait faire (à causedes ouvrages palissadés qui réunissaient les chas-chatelz), il traioienttout droit vers les nues, si que li pylet (les dards) leur cheoient toutdroit vers eulz (tombaient verticalement sur eux). La manière du feugregois estoit tele, que il venoit bien devant aussi gros comme untonnel de verjus (comme un baril), et la queue du feu qui partoit de li(la fusée), estoit bien aussi grant comme un grant glaive; il faisoittele noise au venir (tel dommage en tombant), que il sembloit que cefeust la foudre du ciel; il sembloit un dragon qui volast par l'air,tant getoit grant clarté, que l'on véoit parmi l'ost comme se il feustjour, pour la grant foison du feu qui jetoit la grant clarté...»
Ces barils remplis de matières inflammables paraissent être lancés pardes pierrières ou caables comme celui représenté fig. 7 et 8; ilsétaient munis d'une fusée et contenaient une matière composée de soufre,d'huile de naphte, de camphre, de bitume ou de résine, de poussière decharbon, de salpêtre et peut-être d'antimoine. À cette époque, au milieudu XIIIe siècle, il semble, d'après Joinville, que nos machines de jetfussent inférieures à celles des Turcs, puisque notre auteur, toujourssincère, a le soin de dire que nos engins ne produisaient pas grandeffet. Ce n'est guère, en effet, qu'à la fin du XIIIe siècle que lesengins paraissent être arrivés, en France, à une grande perfection. Ons'en servait beaucoup dans les guerres du XIVe siècle et même aprèsl'invention de l'artillerie à feu.
Les trébuchets, les mangonneaux étaient placés, par les assiégés,derrière les courtines, sur le sol, et envoyaient leurs projectiles surles ennemis en passant par-dessus la tête des arbalétriers posés sur leschemins de ronde. Mais, outre les pierrières ou caables, que l'onmettait en batterie au niveau des chemins de ronde sur des plates-formesen bois élargissant ces chemins de ronde (ainsi que nous l'avons faitvoir dans l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 32), les armées dumoyen âge possédaient encore l'arbalète à tour, qui était un enginterrible, avec lequel on lançait des dards d'une grande longueur, desbarres de fer rougies au feu, des traits garnis d'étoupe et de feugrégeois381 en forme de fusées. Ces arbalètes à tour avaient cetavantage qu'elles pouvaient être pointées comme nos pièces d'artillerie,ce que l'on ne pouvait faire avec les mangonneaux ou les trébuchets:car, pour ces derniers engins, s'il était possible de régler le tir, cene pouvait être toujours que dans un même plan; si on voulait fairedévier le projectile à droite ou à gauche, il fallait manoeuvrer l'enginentier, ce qui était long. Aussi les mangonneaux et les trébuchetsn'étaient employés que dans les siéges, soit par les assiégeants pourenvoyer des projectiles sur un point des défenses de la ville, soit parles assiégés pour battre des travaux d'approche ou des quartiersennemis. Les arbalètes à tour tiraient sur des groupes de travailleurs,sur des engins, sur des colonnes serrées, et elles produisaient l'effetde nos pièces de campagne, à la portée près; car leurs projectilestuaient des files entières de soldats, rompaient les engins, coupaientleurs cordes, traversaient les mantelets et les palissades.
Voici (17) un ensemble perspectif et des détails de l'arbalète à tour.On la faisait mouvoir au moyen des trois roues, dont deux étaient fixéesà la traverse inférieure A et la troisième à la partie mobile B del'affut. Un pointail C, posé sur une crapaudine ovoïde D, ainsi quel'indique le détail C', maintenait l'affût sur un point fixe servant depivot. Il était donc facile de régler le tir sur plan horizontal. Pourabaisser ou relever le tir, c'est-à-dire pour viser de bas en haut ou dehaut en bas, on pouvait d'abord démonter la roue extrême E, laisserreposer l'affût sur les deux galets en olive F; alors le tir prenait ladirection F'G (voy. le profil X). Si on voulait abaisser quelque peu letir, on relevait la partie supérieure H de l'affût au moyen de la doublecrémaillère K et des deux roues d'engrenage I, auxquelles on adaptaitdeux manivelles. S'il était nécessaire d'abaisser le tir, on laissait laroue E et on élevait la partie supérieure de l'affût au moyen descrémaillères. La partie inférieure de l'affût se mouvait sur letourillon L. Le propulseur se composait de deux branches doubles d'acierpassées dans des cordages de nerfs tortillés, comme on le voit dansnotre tracé perspectif, et appuyées à leur extrémité contre les deuxmontants du châssis. Pour bander ces cordes de nerfs autant qu'il étaitbesoin, des tubes de fer étaient passés entre elles; on introduisait desleviers dans ces tubes, soit par une de leurs extrémités, soit parl'autre, pour ne pas permettre aux cordes de se détortiller, et onfixait l'extrémité de ces leviers aux deux brancards M. Si l'on sentaitque les cordes se détendissent, on appuyait un peu sur ces leviers enresserrant leurs attaches de manière à ce que les deux branches de l'arcfussent toujours également bridées. Pour bander cet arc, dont les deuxextrémités étaient réunies par une corde faite avec des crins, des nerfsou des boyaux, on accrochait les deux griffes N à cette corde; puis,agissant sur les deux grandes manivelles O, on amenait la corde del'arc, au moyen des deux crémaillères horizontales, jusqu'à la doubledétente P, laquelle, pour laisser passer la corde, était rentrée ainsique l'indique le détail R. Cette détente était manoeuvrée par une tige Smunie, à son extrémité, d'un anneau mobile T, que l'on passait dans unecheville lorsque la détente était relevée U. Ramenant alors quelque peules crémaillères, la corde venait s'arrêter sur cette double détente U,qui ne pouvait rentrer dans l'affût. On appuyait la base du projectilesur la corde en le laissant libre dans la rainure. Et le pointeur ayanttout préparé faisait sortir l'anneau T de la cheville d'arrêt, tirait àlui la tige S; la double détente disparaissait, et la corde revenait àsa place normale en projetant le dard (voy. le plan Y). Une légèrepression exercée sur le dard par un ressort l'empêchait de glisser danssa rainure si le tir était très-plongeant. Avec un engin de la dimensiondonnée dans notre figure, on pouvait lancer de plein fouet un dard deplus de cinq mètres de long, véritable soliveau armé de fer, à une assezgrande distance, c'est-à-dire à cinquante mètres au moins, de façon àrompre des machines, palis, etc. Ces engins lançant des projectiles deplein fouet étaient ceux qui causaient le plus de désordre dans lescorps de troupes et particulièrement dans la cavalerie; aussi ne s'enservait-on pas seulement dans les siéges, mais encore en campagne, aumoins pour protéger des campements ou pour appuyer un poste important.
On se servait aussi d'un engin à ressort, dont la puissance étaitmoindre, mais dont l'établissement était plus simple et pouvait se faireen campagne avec le bois qu'on se procurait, sans qu'il fût nécessaired'employer ces crémaillères et toutes ces ferrures qui demandaient dutemps et des ouvriers spéciaux pour les façonner. Cet engin est fortancien et rappelle la catapulte des Romains de l'antiquité. Il secompose (18) d'un arbre vertical cylindrique, avec une face plate (voy.le plan A) tournant au moyen de deux tourillons. À la base de cet arbreest fixé un châssis triangulaire posé sur deux roues et relié auditarbre par deux liens ou contre-fiches. Des ressorts en bois vert sontfortement attachés au pied de l'arbre avec des brides en fer et descordes de nerfs. Un treuil fixé sur deux montants, entre lescontre-fiches, est mu par des manivelles et roues d'engrenage. Un boutde corde avec un crochet est fixé à l'extrémité supérieure du ressort,et une autre corde, munie d'un crochet à bascule B, s'enroule sur letreuil après avoir passé dans une poulie de renvoi. Quatre hommesamènent le ressort. Un dard passe par un trou pratiqué à l'extrémitésupérieure de l'arbre D, et un support mobile à fourchette E,s'engageant dans les crans d'une crémaillère F, permet d'abaisser ou derelever le tir, ainsi que le fait voir le profil G. Lorsque le ressortest tendu, le pointeur fixe le dard, fait mouvoir le châssis inférieursur sa plate-forme suivant la direction du tir et, appuyant sur lacordelle C, fait sauter le crochet: le ressort va frapper le dard à sabase et l'envoie au loin dans la direction qui lui a été donnée. La fig.19 donne le plan de cet engin.
L'artillerie à feu était employée que, longtemps encore, on se servit deces engins à contre-poids, à percussion, et de ces arbalètes à tour,tant on se fiait en leur puissance; et même la première artillerie à feun'essaya pas tout d'abord d'obtenir d'autres effets. Les caables, lespierrières, les trébuchets, les mangonneaux envoyaient à toute volée degros boulets de pierre qui pesaient jusqu'à deux et trois cents livres;ces machines ne pouvaient lancer des projectiles de plein fouet. On lesremplaça par des bombardes avec lesquelles on obtenait les mêmesrésultats; et les engins à feu envoyant des balles de but-en-blanc, dèsle XIVe siècle, n'étaient que de petites pièces portant des projectilesde la grosseur d'un biscaïen.
Engins offensifs à feu.--Du jour où l'on eut reconnu la puissance desgaz dégagés instantanément par la poudre à canon, on eut l'idéed'utiliser cette force pour envoyer au loin des projectiles pleins, desboulets de pierre ou des boîtes de cailloux. On trouva qu'il y avait ungrand avantage à remplacer les énormes et dispendieux engins dont nousvenons de donner quelques exemples par des tubes de fer que l'ontransportait plus facilement, qui coûtaient moins cher à établir et quel'ennemi ne pouvait guère endommager. Nous n'avons vu nulle part que lanoblesse militaire se soit occupée de perfectionner les engins deguerre, ou de présider à leur exécution. Tous les noms d'engingneurssont des noms roturiers. Si Philippe-Auguste, Richard Coeur de Lion etquelques autres souverains guerriers paraissent avoir attaché del'importance à la fabrication des engins, ils recouraient toujours à desmaîtres engingneurs qui paraissent être sortis du peuple. Ce dédain pourles combinaisons qui demandaient un travail mathématique et laconnaissance de plusieurs métiers, tels que la charpenterie, laserrurerie, la mécanique, la noblesse l'apporta tout d'abord dans lapremière étude de l'artillerie à feu; elle ne parut pas tenir compte decette formidable application de la poudre explosible, et laissa aux gensde métier le soin de chercher les premiers éléments de l'art dubombardier.
En 1356, le prince Noir assiégea le château de Romorantin; il employa,entre autres armes de jet, descanons à lancer des pierres, descarreaux et des ballottes pleines de feu grégeois. Ces premiers canonsétaient longs, minces, fabriqués au moyen de douves de fer, ou fonduesen fer ou en cuivre, renforcés de distance en distance d'anneaux de fer,et transportés à dos de mulet ou sur des chariots. Ces bouches à feu,qu'on appelait alorsacquéraux,sarres ouspiroles, et plus tardveuglaires, se composaient d'un tube ouvert à chaque bout; à l'une desextrémités s'adaptait une boîte contenant la charge de poudre et leprojectile, c'est-à-dire qu'on chargeait la pièce par la culasse;seulement cette culasse était complétement indépendante du tube et s'yadaptait au moyen d'un étrier mobile, ainsi que l'indique la fig. 20.
EnA, on voit la boîte et la pièce coupées longitudinalement; en B, lacoupe surab; en C, la boîte réunie à la pièce au moyen de l'étrierqui s'arrête sur les sailliesdd' des anneaux dentelés; en D, la mêmeboîte se présentant latéralement avec l'étriere, muni de sa poignéepour le soulever et enlever la boîte lorsque la pièce a été tirée. Lespoints culminantsg réservés sur chacun des anneaux dentelés servaientde mire. Nous ne savons trop comment se pointaient ces pièces; ellesétaient probablement suspendues à des tréteaux par les anneaux dontelles étaient munies. Les boîtes mobiles adaptées à l'un des bouts dutube laissaient échapper une partie notable des gaz, et devaient souventcauser des accidents; aussi on renonça aux boîtes adaptées, pour fairedes canons fondus d'une seule pièce et se chargeant par la gueule. Il ya quelques années, on a trouvé dans l'église de Ruffec (Charente) deuxcanons qui paraissent appartenir au XIVe siècle: ce sont des tubes enfonte de fer, sans boîtes, fermés à la culasse et suspendus par deuxanneaux.
Nous donnons (21) ces deux pièces, qui sont d'une petite dimension; enA, nous avons tracé un fragment de canon qui nous paraît appartenir à lamême époque, et qui a été trouvé dans des fouilles à Boulogne-sur-Mer.
En 1380, les Vénitiens se servirent de bouches à feu dans la guerrecontre les Génois, et ces pièces étaient appeléesribaudequins.
Ces premières pièces d'artillerie à feu furent remplacées par lesbombardes et lescanons.
Dès 1412, l'usage des bombardes et canons faisait disparaître les enginsoffensifs pour la défense des places. «Il résulte, dit Jollois dans sonHistoire du siége d'Orléans (1428), d'un relevé fait avec soin par feul'abbé Dubois, qu'en 1428 et 1429 la ville d'Orléans possédaitsoixante-onze bouches à feu, tant canons que bombardes, toutes encuivre. Dans le nombre de ces bouches à feu sont compris le canon quiavait été prêté à la ville d'Orléans par la ville de Montargis, un groscanon qu'on avait nommé Rifflard382, une bombarde faite, dit lejournal du siége, par un nommé Guillaume Duisy, très-subtil ouvrier, quilançait des boulets de pierre de cent vingt livres pesant, et si énormequ'il fallût vingt-deux chevaux383 pour la conduire avec son affût duport à l'Hôtel-de-ville. Ces deux canons et cette énorme bombardeétaient mis en batterie sur la tour de la croiche de Meuffray, siseentre le pont et la poterne Chesneau, d'où ils foudroyaient le fort desTournelles dont les Anglais s'étaient emparés. Parmi les bouches à feuque nous venons d'indiquer, il faut compter un canon384 qui lançaitdes boulets de pierre jusqu'à l'île Charlemagne... Ce ne fut que sous lerègne de Louis XI qu'on substitua des boulets de fer aux boulets depierre.» Cependant on employait encore ces derniers à la fin du XVesiècle.
Quoique les noms decanon et debombarde aient été donnésindifféremment aux bouches à feu qui lançaient des boulets de pierrecependant la bombarde paraît avoir été donnée de préférence à un canoncourt et d'un très-gros diamètre, lançant les projectiles à toute volée;tandis que le canon, d'un plus faible diamètre, plus long, pouvaitenvoyer des boulets de but en blanc.
Ces bombardes sont quelquefois désignées sous le nom debasilics. Ausiége de Constantinople, en 1413, Mahomet II mit en batterie desbombardes de 200 livres de boulets de pierre. Ces pièces avaient étéfondues par un Hongrois. Une de ces bombardes était même destinée àenvoyer un boulet de 850 livres; deux mille hommes devaient la servir etdix paires de boeufs la traîner; mais elle creva à la première épreuveet tua un grand nombre de gens. En 1460, Jacques II d'Écosse fit fondreune bombarde monstrueuse, qui creva au premier coup.
Vers cette époque, on renonça aux boîtesemboutiés, mais on fit descanons et bombardes avec boîtesencastrées, principalement pour lespièces qui n'étaient pas d'un très-gros diamètre; car pour les bombardesqui portaient 60 livres de balles et plus, on les fabriqua en fonte defer ou de cuivre, ou même en fer forgé, en forme de tube, avec un seulorifice.
Il existe encore quelques bombardes fabriquées au moyen de douves de ferplat, cerclées par des colliers de fer comme des barils; peut-être cespièces sont-elles les plus anciennes: elles ne se chargeaient pas aumoyen de boîtes à poudre, mais comme nos bouches à feu modernes, si cen'est qu'on introduisait la poudre au moyen d'une cuiller, puis unebourre, puis le boulet, puis un tampon de foin ou d'étoupes, à l'aided'un refouloir.
La plus belle bouche à feu que nous connaissions ainsi fabriquée setrouve dans l'arsenal de Bâle (Suisse) (22). Elle est en fer forgé. Laculasse A est forgée d'un seul morceau; l'âme se compose d'un douvage delames de fer de 0,03 c. d'épaisseur sur 0,06 c. de largeur. Ces douvessont maintenues unies par une suite d'anneaux de fer plus ou moinsépais; en B est un anneau beaucoup plus fort sous lequel est interposéune bande de cuivre. En C est figurée la gueule du canon, dont l'âme n'apas moins de 0,33 c. de diamètre. La lumière est très-étroite. Dans lemême arsenal, on voit une autre pièce de cuivre de 2m,00 de longueur;elle date de 1444 et porte un écu aux armes de Bourgogne. Pendant le XVesiècle, on fabriquait des bouches à feu de dimensions très-variables,depuis le fauconneau, qui ne portait qu'une livre de balle, jusqu'à labombarde, qui envoyait des projectiles en pierre de deux cents livres etplus385. Ces bombardes n'étaient guère longues en proportion de leurdiamètre et remplissaient à peu près l'office de mortiers envoyant leprojectile à toute volée: elles se chargeaient par la gueule. On seservait aussi de projectiles creux que l'on remplissait de matièresdétonnantes, de feu grégeois, et c'est une erreur de croire que lesbombes sont une invention des dernières années du XVIe siècle, carplusieurs traités de la fin du XVe et du commencement du XVIe386 nousmontrent de véritables bombes faites de deux hémisphères de fer batturéunis par des brides ou des frettes (23). À la fin du XVe siècle, lesbouches à feu se classent par natures, en raison du diamètre desprojectiles; il y a lesbasilics, qui sont les plus grosses; lesbombardes, lesribaudequins, lescanons, lesdragons volants,scorpions,coulevrines,pierriers,syrènes,passe-murs,passe-avants,serpentines. Sous Charles VII, l'armée royalepossédait déjà une nombreuse artillerie, et Charles VIII, en 1494, entraen Italie faisant traîner plus de cent quarante bouches à feu de bronzemontées sur affûts à roues, traînées par des attelages de chevaux, etbien servies387. Les Italiens, alors, ne possédaient que des canons defer traînés par des boeufs, et si mal servis qu'à peine pouvaient-ilstirer un coup en une heure.
Examinons maintenant les canons à boîtes encastrées.
L'idée de charger les canons par la culasse était la première quis'était présentée, comme ce sera probablement le dernierperfectionnement apporté dans la fabrication des bouches à feu. On dutrenoncer aux premières boîtes, qui s'adaptaient mal, laissaient passerles gaz, envoyaient parfois une grande partie de la charge sur lesservants et se détraquaient promptement par l'effet du recul. On secontenta de faire dans la culasse du canon une entaille permettantl'introduction d'une boîte de fer ou de cuivre qui contenait la chargede poudre maintenue par un tampon de bois. Cette boîte était fixée deplusieurs manières; elle était munie d'une anse afin de faciliter sapose et son enlèvement après le tir. La balle était glissée dans l'âmedu canon avant l'introduction de la boîte et refoulée avec une bourre defoin ou de gazon après cette introduction. Chaque bouche à feu possédaitplusieurs boîtes qu'on remplissait de poudre d'avance afin de ne pasretarder le tir388. Chaque boîte était percée d'une lumière à laquelleon adaptait une fusée de tôle remplie de poudre que l'artilleurenflammait au moyen d'une baguette de fer rougie au feu d'un fourneau.Cette méthode avait quelques avantages: elle évitait l'échauffement dela pièce et les accidents qui en sont la conséquence; elle permettait depréparer les charges à l'avance, car ces boîtes n'étaient que desgargousses encastrées dans la culasse, comme les cartouches des fusilsLefaucheux, sauf que le boulet devait être introduit avant la boîte etrefoulé après le placement de celle-ci. Elle avait des inconvénientsqu'il est facile de reconnaître: une partie considérable des gaz devaits'échapper à la jonction de la boîte avec l'âme, par conséquent la forcede propulsion était perdue en partie: il fallait nettoyer souvent lefond de l'encastrement et la feuillure pour enlever la crasse quis'opposait à la jonction parfaite de la boîte avec la pièce; le point deréunion s'égueulait après un certain nombre de coups, et alors presquetoute la charge s'échappait sans agir sur la balle.
Nous donnons (24) des tracés de ces canons à boîtes encastrées. En A estune pièce à encastrement avec joues; la coupe transversale surl'encastrement est indiquée en B; la boîte C, portant son anse D et salumière E, est logée à la place qui lui est destinée; deux clavettes G,passant dans deux trous des joues, serrent la boîte contre la paroiinférieure de l'encastrement. En H, nous donnons la coupe longitudinalede la boîte disposée pour le tir; au moyen de la clavette K, on arepoussé l'orifice de la boîte dans la feuillure I pratiquée à l'entréede l'âme; les deux clavettes horizontales ont été enfoncées à coups demarteau. La boîte est pleine de poudre bourrée au moyen du tampon debois T; la balle est refoulée. En M, on voit la boîte déchargée avec sontampon et sa fusée de lumière O. En P, nous avons figuré un autresystème d'encastrement sans joues, dans lequel la boîte était repousséeen feuillure de même, avec une clavette à la culasse, et était maintenueau moyen d'une seule barre longitudinale pivotant sur un boulon N; uneseule clavette R, passant dans deux oeils d'une frette en fer forgé,serrait cette barre longitudinale.
Dans ce dernier cas, la lumière de la boîte se présentait latéralement.
Il faut croire que les inconvénients inhérents à ce système le firentabandonner assez promptement, car on renonça bientôt à l'emploi de cesbouches à feu à boîtes pour ne plus employer que les tubes de fonte decuivre ou de fer avec un seul orifice. D'ailleurs, si on gagnait dutemps en chargeant d'avance plusieurs boîtes, on devait en perdrebeaucoup à enlever les clavettes et à les renfoncer, sans compter queles oeils de passage des clavettes devaient se fatiguer promptement,s'élargir et ne plus permettre de serrer convenablement les boîtes; ilfallait alors changer ces clavettes et en prendre de plus fortes. Onvoit encore quelques-unes de ces bouches à feu dans nos arsenaux et aumusée d'artillerie de Paris; quelques-unes sont en fer forgé, les plusgrosses sont en fonte de fer.
Les premières bouches à feu furent montées sur des affûts sans roue etmises simplementen bois, oucharpentées comme on disait alors,c'est-à-dire encastrées dans un auget pratiqué dans de grosses pièces debois et serrées avec des boulons, des brides de fer ou même des cordes.Le pointage ne s'obtenait qu'en calant cette charpente en avant ou enarrière au moyen de leviers et de coins en bois (25).
On disaitaffûter une bombarde pour la pointer. Du Clercq, en racontant la mortde Jacques De Lalain, dit que «le mareschal de Bourgoingne, messireAntoine, bastard de Bourgoingne, messire Jacques de Lallaing, allèrent(au siége du château de Poucques) faire affuster une bombarde pourbattre ledit chastel; et comme ils faisoient asseoir la dicte bombarde,ceulx du chastel tirèrent d'un veuglaire après les dessus dictsseigneurs, duquel veuglaire ils férirent messire J. de Lallaing et luyemportèrent le hanepière de la teste...» D'affûter on fit le motaffût, qui, à dater du XVIe siècle, fut employé pour désigner lespièces de charpente portant le canon, permettant de le mettre enbatterie et de le pointer.
Les vignettes des manuscrits du milieu du XVe siècle nous donnent unassez grande variété de ces affûts primitifs389. Sous Charles VII etLouis XI, cependant, l'artillerie de campagne faisait de rapidesprogrès; on possédait, à cette époque déjà, des affûts disposés pour letir, permettant de pointer les pièces assez rapidement; mais on étaitencore loin d'avoir imaginé l'avant-train mobile, et, lorsqu'ontransportait des bouches à feu, il fallait les monter sur des chariotsspéciaux indépendants des affûts. Pendant une bataille, on ne pouvaitfaire manoeuvrer l'artillerie, sauf quelques petits canons, comme on lefait depuis deux cent cinquante ans. Les artilleurs se défiaienttellement de leurs engins (et certes c'était à bon escient), qu'ilscherchaient à se garantir contre les accidents très-fréquents quisurvenaient pendant le tir. Non contents d'encastrer les bouches à feudans de grosses charpentes et de les y relier solidement pour lesempêcher de crever ou pour rendre au moins l'effet de la rupture de lapièce moins dangereux, ils fixèrent souvent leurs gros canons, leursbombardes, dans des caisses composées d'épais madriers solidementreliés. Ces caisses formaient autour de la pièce une garde qui, en casd'accident, préservait les servants. Au moment du tir, chacun sebaissait, et l'artilleur chargé de mettre le feu à l'aide d'une longuebroche de fer rougie à l'une de ses extrémités se plaçait à côté del'encaissement.
Voici (26) un de ces affûts-caisses. La bouche à feu était inclinée afind'envoyer le projectile à toute volée; sa gueule étant encastrée dans lebord antérieur de la caisse et sa culasse posant sur le fond. En A, onvoit la coupe transversale de la pièce dans son encaissement et ladisposition des cordes qui la maintiennent fixe. Le recul de la pièceétait évité au moyen des piquets B enfoncés en terre. En C est placé lefourneau propre à chauffer les lances à bouter le feu. La charge depoudre était introduite au moyen de grandes cuillers en fer battu. Onconçoit qu'un pareil engin devait être peu maniable et qu'on ne pouvaitque l'affûter une fois, c'est-à-dire le mettre en position de manièreà envoyer les projectiles sur un même point: aussi ces piècesn'étaient-elles employées que dans les siéges et ne s'en servait-on pasen campagne. Si les artilleurs prétendaient se garder des éclats d'unebouche à feu défectueuse, ils pensaient aussi à se mettre à l'abri desprojectiles ennemis. À cet effet, d'épais mantelets en bois étaientdressés devant les pièces d'artillerie. Ces mantelets roulaient sur unaxe horizontal, étaient relevés au moment du tir, et retombaientverticalement par leur propre poids lorsque la pièce était déchargée, demanière à la masquer complétement ainsi que les servants occupés à larecharger(27)390.
On fabriquait aussi alors des affûts triangulaires,plus maniables que les précédents et permettant de pointer dansl'étendue d'un certain arc de cercle. Ces affûts-caisses triangulairesétaient fixés au sommet du triangle au moyen d'un pivot et semanoeuvraient à l'aide de deux roulettes engagées aux extrémités desbranches latérales. Mais on allait renoncer à ces bombardes d'un énormediamètre propres seulement à lancer des boulets de pierre: on adoptaitles boulets de fer, on brûlait une quantité de poudre moinsconsidérable, et les bouches à feu n'atteignaient plus ces proportionscolossales qui en rendaient le transport difficile.
À la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, on fondit des canonsde bronze d'une dimension et d'une beauté remarquables. Il existe, dansl'arsenal de Bâle, un de ces grands canons de 4m,50 c. de longueur,couvert d'ornements et terminé par une tête de dragon; il fut fondu àStrasbourg en 1514.
Fleurange, dans ses Mémoires, chap. VII, dit qu'en 1509 les Vénitiens, àla bataille d'Aignadel, perdue contre les Français, possédaient«soixante grosses pièces, entre lesquelles il y en avoit une manièreplus longue que longues couleuvrines, lesquelles se nomment basilics, ettirent boulets de canon; et avoit dessus toutes un lion, ou avoit écrit,à l'entour du dit lion,Marco.»
Vers cette époque, on se servait déjà de mortiers propres à lancer degros boulets de pierre ou desbedaines remplies de matièresinflammables. Un tableau peint par Feselen (Melchior), mort en 1538, etfaisant partie aujourd'hui de la collection déposée dans la Pinacothèquede Munich (nº 30), représentant le siége d'Alesia par Jules-César, nousmontre un gros mortier monté sur affût dans lequel un artilleur déposeun projectile sphérique (28). Les deux roues ont été enlevées et gisentà terre des deux côtés de l'affût. Le mortier paraît ainsi reposer surle sol, et on lui donnait l'angle convenable à l'aide de leviers et decoins glissés sous la culasse. On se servait aussi, à la fin du XVesiècle et dès le temps de Louis XI, de projectiles de fer rougis au feu.Georges Chastelain391 dit qu'au siége d'Audenarde les Gantois«battirent de leurs bombardes, canons et veuglaires, ladite ville, etentre les autres, firent tirer de plusieurs gros boulets de fer ardentdu gros d'une tasse d'argent, pour cuider ardoir la ville.»
Mais revenons aux affûts. Afin de rendre le pointage des pièces possiblesoit verticalement, soit horizontalement, on adapta d'abord deux roues àla partie antérieure de l'affût, et on divisa celui-ci en deux piècessuperposées, celle du dessus pouvant décrire un certain arc de cercle(29). Le canon était encastré et maintenu dans des pièces de boisassemblées jointives, pivotant sur un boulon horizontal C posé sous labouche. La queue très-allongée de ces pièces de bois faisait levier,était soulevée et arrêtée plus ou moins haut à l'aide de broches de ferpassées dans la double crémaillère B. Ainsi la queue pouvait être élevéejusqu'en A'. La partie inférieure fixe de l'affût reposait à terre etétait armée de deux pointes de fer D destinées à prévenir les effets durecul. En E est représenté le bout inférieur de l'affût avec ses deuxpointes et les deux membrures superposées. Toutefois, les membruressupérieures recevant la bouche à feu, si longue que fût la queue, iln'en fallait pas moins beaucoup d'efforts pour soulever cette masse, cequi rendait le pointage fort lent. D'ailleurs, pour faire glisserjusqu'à la charge de poudre les énormes boulets de pierre qu'onintroduisait alors dans les bombardes, il était nécessaire de donner uneinclinaison à la pièce, de la gueule à la culasse; il fallait, aprèschaque coup, redescendre la membrure supérieure de l'affût sur celleinférieure, charger la pièce, puis pointer de nouveau en relevant laqueue de la membrure au point voulu. On chercha donc à rendre cettemanoeuvre plus facile. Au lieu de faire mouvoir toute la membruresupérieure sur un axe placé sous la gueule de la pièce, ce fut la partieinférieure de l'affût qu'on rendit mobile, et au lieu de placer leboulon en tête, on le plaça au droit de la culasse (30): l'effort poursoulever la pièce était ainsi de beaucoup diminué, parce que le poids decelle-ci se trouvait toujours reporté sur l'essieu, et que plus onsoulevait la queue de l'affût, moins le poids du canon agissait sur lamembrure.
Ces divers systèmes furent abandonnés vers 1530; alors, outreles deux roues, on en ajouta une troisième à la queue; c'est ce qui futcause qu'on sépara celle-ci en deux forts madriers de champ (lesflasques) entre lesquels on monta cette troisième roue. On pointa lapièce, non plus en relevant l'affût, mais en agissant à l'aide de coinsou de vis sous la culasse du canon, maintenu sur l'affût au moyen detourillons; car on observera que, jusque vers le milieu du XVIe siècle,les bouches à feu étaient privées de tourillons et d'anses, qu'ellesn'étaient maintenues dans l'encastrement longitudinal de l'affût que pardes brides en fer ou même des cordes.
À la fin du XVIe siècle, les pièces d'artillerie de bronze étaientdivisées enlégitimes etbâtardes: les légitimes présentaient lesvariétés suivantes: ledragon, ou double coulevrine, envoyant 40livres de balle de fer et portant à 1364 pas de deux pieds et demi debut en blanc; lacoulevrine légitime, dite ordinaire, envoyant 20livres de balle de fer et portant à 1200 pas, id.; lademi-coulevrine,envoyant 10 l. de balle de fer et portant à 900 pas, id.; lesacre ouquart de coulevrine, envoyant 5 l. de balle de fer et portant à 700 pas,id.; lefauconneau, ou huitième de coulevrine, envoyant 2 l. 1/2 deballe de fer et portant à 568 pas, id.; leribaudequin, envoyant 1 l.4 onces de balle de fer et portant à 411 pas, id.; l'émerillon,envoyant 15 onces de plomb et portant à 315 pas, id. Les pièces bâtardescomprenaient: ledragon volant, ou double coulevrine extraordinaire,envoyant 32 l. de balle de fer et portant à 1276 pas de 2 pieds et demide but en blanc; lepasse-mur, envoyant 16 l. de balle et portant à1120 pas, id.; lepasse-volant, envoyant 8 l. de balle et portant à840 pas, id.; lesacre extraordinaire, envoyant 4 l. de balle etportant à 633 pas, id.; lefauconneau extraordinaire, envoyant 2 l. deballe et portant à 498 pas, id.; leribaudequin oupassager,envoyant 1 l. de balle et portant à 384 pas, id.; l'émerillon,envoyant 1/2 l. de balle et portant à 294 pas, id. Il y avait encore lescanons, qui comprenaient: lecanon commun, ditsifflant oubatte-mur, envoyant 48 l. de balle et portant à 1600 pas de 2 pieds etdemi de but en blanc; ledemi-canon, envoyant 16 l. de balle etportant à 850 pas, id.; lequart de canon, ditpersécuteur, envoyant12 l. de balle et portant à 750 pas, id.; lehuitième de canon,envoyant 6 l. de balle et portant à 640 pas, id. Il y avait aussiquelques canons bâtards appelésrebuffés,crépans,verrats, lescrépans étant des demi-canons et les verrats des quarts de canon, maisun peu plus longs que les canons ordinaires.
Nous ne croyons pas nécessaire de parler ici des singulières inventionsauxquelles recouraient les artilleurs à la fin du XVe siècle et aucommencement du XVIe, inventions qui n'ont pu que causer de fâcheuxaccidents et faire des victimes parmi ceux qui les mettaient àexécution; tels sont les canons coudés, les canons rayonnants avec uneseule charge au centre, les jeux d'orgues en quinconce, etc.
Engins offensifs et défensifs.--Nous rangeons tout d'abord dans cettesérie d'engins lesbéliers couverts,moutons,bossons, qui étaienten usage chez les Grecs, les Romains de l'antiquité, ainsi que chez lesByzantins, et qui ne cessèrent d'être employés qu'au commencement duXVIe siècle, car on se servait encore des béliers pendant le XVe siècle;leschats,vignes etbeffrois. Le bélier ou le mouton consistaiten une longue poutre armée d'une tête de fer à son extrémité antérieure,suspendue en équilibre horizontalement à des câbles ou des chaînes, etmue par des hommes au moyen de cordes fixées à sa queue. En imprimant unmouvement de va-et-vient à cette pièce de bois, on frappait lesparements des murs, que l'on parvenait ainsi à disloquer et à fairecrouler. Les hommes étaient abrités sous un toit recouvert de peauxfraîches, de fumier ou de gazon, tant pour amortir le choc desprojectiles que pour éviter l'effet des matières enflammées lancées parles assiégés. L'engin tout entier était posé sur des rouleaux ou desroues, afin de l'approcher des murs au moyen de cabestans ou de leviers.Les assiégés cherchaient à briser le bélier au moyen de poutres qu'onlaissait tomber sur sa tête au moment où il frappait la muraille; oubien ils saisissaient cette tête à l'aide d'une double mâchoire en ferqu'on appelaitloup oulouve392. Le bélier s'attaquait aux porteset les avait bientôt brisées. Au siége de Châteauroux, Philippe-Auguste,après avoir investi la ville, attache les mineurs au pied des remparts,détruit les merlons au moyen de pierrières, dresse un bélier devant laporte «toute doublée de fer», fait avancer des tours mobiles en face desdéfenses de l'ennemi, couvre les parapets d'une pluie de carreaux, deflèches et de balles de fronde393. L'effet du bélier était désastreuxpour les remparts non terrassés; on ouvrait des brèches assezpromptement, au moyen de cet engin puissant, dans des murs épais, si lesassiégés ne parvenaient pas à neutraliser son action répétée; aussi lesassiégeants mettaient-ils tout leur soin à bien protéger cette poutremobile ainsi que les hommes qui la mettaient en mouvement. Pour offrirle moins de prise possible aux projectiles des assiégés, on donnait à lacouverture du bélier beaucoup d'inclinaison; on en faisait une sorte degrand toit aigu à deux pentes, avec une croupe vers l'extrémitépostérieure, le tout recouvert de très-forts madriers renforcés debandes de fer et revêtu, comme il est dit ci-dessus, de peaux de chevalou de boeuf fraîches, enduites de terre grasse pétrie avec du gazon oudu fumier.
La fig. 31 montre la charpente de cet engin dépouillée de ses madrierset de ses pannes. Le bélier A, poutre de 10m,00 de long au moins, étaitsuspendu à deux chaînes parallèles B attachées au sous-faîte, de manièreà obtenir un équilibre parfait. Pour mettre en mouvement cette poutre etobtenir un choc puissant, des cordelles étaient attachées au tiersenviron de sa longueur en C; elles permettaient à huit, dix ou douzehommes, de se placer à droite et à gauche de l'engin; ces hommes,très-régulièrement posés, manoeuvraient ainsi: un pied D restait à lamême place, le pied droit pour les hommes de la droite, le pied gauchepour ceux de la gauche. Le premier mouvement était celui figuré en E; ilconsistait, la poutre étant dans sa position normale AH, à la tirer enarrière; après quelques efforts mesurés, la poutre arrivait au niveauA'H'. Alors le second mouvement des servants était celui F. La poutreparcourait alors tout l'espace. Le troisième mouvement est indiqué en G.La tête H du bélier rencontrant la muraille comme obstacle, les servantscontinuaient la manoeuvre avec les deux premiers mouvements, celui E etcelui F. On comprend qu'une course KL faite par une poutre de 10m,00 delong devait produire un terrible effet à la base d'une muraille. La têtede la poutre était armée d'une masse de fer ayant à peu près la formed'une tête de mouton (voy. le détail P).
Leschats etvignes394 n'étaient autre chose que des galeries debois recouvertes de cuirs frais, que l'on faisait avancer sur desrouleaux jusqu'aux pieds des murailles, et qui permettaient aux mineursde saper les maçonneries à leur base. Nous avons représenté un de cesengins dans l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 15. Ces chatsservaient aussi à protéger les travailleurs qui comblaient les fossés.Souvent les beffrois ou tours mobiles en bois que l'on dressait devantles remparts assiégés tenaient lieu de chats à leur partie inférieure;aussi, dans ce cas, les nommait-onchas-chastels. Cet engin monstrueuxétait employé par les Romains, et César en parle dans sesCommentaires. On ne manqua pas d'en faire un usage fréquent pendantles siéges du moyen âge. Suger raconte, dans sonHistoire de la vie deLouis le Gros, que ce prince, assiégeant le château de Gournay, aprèsun assaut infructueux, fit fabriquer «une tour à trois étages, machined'une prodigieuse hauteur, et qui, dépassant les défenses du château,empêchait les frondeurs et les archers de se présenter aux créneaux... Àl'engin colossal était fixé un pont de bois qui, s'élevant au-dessus desparapets de la place, pouvait, lorsqu'on l'abaissait, faciliter auxassiégeants la prise des chemins de ronde.» Dans le poëme, du XIIesiècle, d'Ogier l'Ardenois, Charles, assiégeant le château dans lequelOgier est enfermé, mande l'engigneor Malrin, qui ne met que quinze joursà prendre la place la plus forte. Cet engigneor occupe trois centquatre-vingts charpentiers à ouvrer un beffroi d'assaut:
«Devant la porte lor drecha un engin395
Sor une estace l'a levé et basti,
À sept estages fu li engins furnis,
Amont as brances qi descendent as puis,
Fu ben cloiés et covers et porpris,
Par les estages montent chevalier mil,
Arbalestrier cent soixante et dix.
...
Et l'engigneres qi ot l'engin basti,
Il vest l'auberc, lace l'elme bruni,
El maistre estage s'en va amont séir.»
L'auteur, en sa qualité de poëte, peut être soupçonné de quelqueexagération en faisant entrer 1170 hommes dans son beffroi; mais il neprétend pas qu'il fût mobile. Plus loin, cependant, il dit:
«De l'ost a fait venir les carpentiers396,
Un grant castel de fust fist comenchier
Sus quatre roes lever et batiller,
Et el marès fist les cloies lancier,
Que ben i passent serjant et chevalier.
...»
On lit aussi, dans leRoman de Brut, ce passage:
«Le berfroi fist al mur joster (approcher)
Et les périères fist jeter397.»
Et dans le continuateur de Ville-Hardouin: «Dont fist Hues d'Aires (ausiége de Thèbes) faire un chat, si le fist bien curyer (couvrir decuirs) et acemmer; et quant il fu tou fais, si le fisent mener par desusle fossé...»
Les exemples abondent. Ces beffrois,castels-de-fust,chas-chastiaux, étaient souvent façonnés avec des bois verts, coupésdans les forêts voisines des lieux assiégés398, ce qui rendait leurdestruction par le feu beaucoup plus difficile. Ils étaientordinairement posés sur quatre roues et mus au moyen de cabestans montésdans l'intérieur même de l'engin, à rez-de-chaussée. Au moyen d'ancresou de piquets et de câbles, on faisait avancer ces lourdes machinesexactement comme on fait porter un navire sur ses ancres. Le terrainétait aplani et garni de madriers jusqu'au bord du fossé. Celui-ci étaitcomblé, en ménageant une pente légère de la contrescarpe au pied de lamuraille. Le remblai du fossé couvert également de madriers, lorsque lebeffroi était amené à la crête de la contrescarpe, on le laissait roulerpar son propre poids, en le maintenant avec des haubans, jusqu'aurempart attaqué. Le talent de l'engingneur consistait à bien calculer lahauteur de la muraille, afin de pouvoir, au moment opportun, abattre lepont sur le crénelage. Une figure nous est ici nécessaire pour nousfaire comprendre.
Soit (32) une muraille A qu'il s'agit de forcer. Avanttout, au moyen des projectiles lancés par les trébuchets et mangonneaux,les assiégeants ont détruit ou rendu impraticables les hourds B, ils ontcomblé le fossé D et ont couvert le remblai d'un bon plancher incliné.Le beffroi, amené au point C, engagé sur ce plancher, roule de lui-même;les éperons E, dont la longueur est calculée, viennent butter contre lepied de la muraille; leurs contre-fiches G, couvertes de forts madriers,forment unchat propre à garantir les pionniers et mineurs, s'il estbesoin. Alors le pont H est abattu brusquement; il tombe sur la crêtedes merlons, brise les couvertures des hourds, et les troupes d'assautse précipitent sur le chemin de ronde K. Pendant ce temps, des archerset des arbalétriers, postés en I au dernier étage, couvrent ces cheminsde ronde, qu'ils dominent, de projectiles, pour déconcerter lesdéfenseurs qui de droite et de gauche s'opposeraient au torrent destroupes assaillantes. Outre les escaliers intérieurs, au moment del'assaut de nombreuses échelles étaient posées contre la paroipostérieure L du beffroi, laissée à peu près ouverte. Nous avonssupprimé, dans cette figure, les madriers et peaux fraîches quicouvraient la charpente, afin de laisser voir celle-ci; mais nous avonsdonné, dans l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 16, un de cesbeffrois garni au moment d'un assaut. Vers le milieu du XVe siècle, onplaça de petites pièces d'artillerie au sommet de ces beffrois et sur leplancher inférieur pour battre le pied des murs et couvrir les cheminsde ronde de mitraille399.
Parmi les engins propres à donner l'assaut, il ne faut pas négliger leséchelles qui étaient fréquemment employées et disposées souvent d'unefaçon ingénieuse. Galbert, dans saVie de Charles le Bon, parle d'unecertaine échelle faite pour escalader les murs du château de Bruges,laquelle était très-large, protégée par de hautes palissades à sa baseet munie à son sommet d'une seconde échelle plus étroite devants'abattre en dedans des murs. Les palis garantissaient les assaillantsqui se préparaient à monter à l'assaut; l'échelle se dressait à l'aided'un mécanisme, et, une fois dressée, la seconde s'abattait.
On lit, dans le roman d'Ogier l'Ardenois, ces vers:
«Vés grans alnois (aulnes) en ces marés plantés;
Faites-les tost et trancher et coper,
Caisnes et saus (chênes et saules) ens el fossé jeter,
Et la ramille (branchage) e quanc'on puet trover,
Tant que pussons dessi as murs aler;
Et puis ferés eskeles carpenter,
Sus grans roeles dessi as murs mener;
En dix parties et drechier et lever400.
...
Dix grans eskeles fist li rois carpenter,
Sus les fosseis et conduire et mener,
Puis les ont fait contre les murs lever:
De front i poent vingt chevaliers monter401.»
L'échelle, munie d'étais mobiles, paraît avoir été, de toutes cellesemployées dans les assauts, la plus ingénieuse. La fig. 33 en donne leprofil en A. Tout le système était posé sur un châssis à roues que l'onamenait près du pied de la muraille à escalader; il se composait de deuxbranches d'échelle BC, munies de roulettes B à la base, réunies par unboulon; ces roulettes, faites comme des poulies, ainsi que l'indique ledétail O, s'engageaient sur les longrines DE du châssis; à deux bouclesen fer P, maintenues à l'extrémité du boulon, s'attachaient deuxcordages qui passaient dans les poulies de renvoi F et venaients'enrouler sur le treuil G. En appuyant sur ce treuil au moyen des deuxmanivelles, on amenait les pieds B de l'échelle en B'. Alors les deuxétais à pivot HI se relevaient en HI'; c'est-à-dire que le triangle BHIdevenait le triangle B'HI', sa base étant raccourcie, et le sommet del'échelle C, qui reposait sur une traverse K, s'élevait en C'. On tiraitalors sur le fil L et on abattait le double crochet en fer, roulant ausommet de l'échelle, sur les merlons du rempart à escalader, de façon àfixer l'engin (voy. le détail R). Les hommes qui étaient chargésd'appuyer sur le treuil G s'avançaient à mesure que le pied de l'échellese rapprochait du point B'. Ces sortes d'échelles étaient assez largespour que trois hommes pussent monter de front à l'assaut. Solidementamarrées à leur pied, maintenues vers le milieu par les deux étais àpivot, accrochées à leur sommet aux parapets, il fallait des moyenspuissants pour déranger ces échelles. D'ailleurs, pendant cettemanoeuvre et pendant l'assaut, les assiégeants couvraient les rempartsd'une nuée de projectiles, et on avait le soin d'entourer l'engin degrands mantelets de claies. On se servait aussi d'échelles qui semontaient par pièces, qui s'emboutissaient et pouvaient ainsi êtreapportées facilement au pied des remparts pour être dressées en peu detemps. Les ouvrages des XVe et XVIe siècles sur l'art militaire sontremplis de modèles d'engins de guerre et notamment de diversesinventions d'échelles qu'il serait impossible de mettre en pratique;aussi n'en parlerons-nous pas ici, d'autant que dans les siéges où leséchelades sont employées, comme sous Charles V, par exemple, et pendantla guerre de l'indépendance, les armées assiégeantes ne paraissents'être servies que d'échelles ordinaires pour escalader les remparts. Laquestion, alors comme aujourd'hui, était d'apporter un assez grandnombre d'échelles, et assez promptement pour déconcerter les défenseurset leur ôter la possibilité de les renverser toutes à la fois.
Engins défensifs.--Les seuls engins défensifs employés pendant lemoyen âge sont les mantelets. Les Romains s'en servaient toujours dansles siéges et les formaient de claies posées en demi-cercle et montéessur trois roues (34), ou encore de panneaux assemblés à angle droit,également montés sur trois roues (35).
Pendant le moyen âge, on conservaces usages, qui s'étaient perpétués dans les armées. Les archers etarbalétriers qui étaient chargés de tirer sans cesse contre les créneauxd'un rempart attaqué pendant le travail des mineurs ou la manoeuvre desengingneurs occupés à faire avancer les beffrois, les chats et leséchelles, se couvraient de mantelets légers tels que ceux représentésdans les fig. 36 et 37.
Ces tirailleurs devaient sans cesse changer deplace, pour éviter les projectiles des assiégés; il était nécessaire queles mantelets leur servant d'abri fussent facilement transportables.Nous donnons, dans l'article SIÉGE, les dispositions d'ensemble de cesmoyens d'attaque et de défense. Avant nous, un auteur illustre402avait reconnu la valeur de ces engins de guerre du moyen âge et combienpeu jusqu'alors ils avaient été étudiés et appréciés; nous devons à lavérité de dire que ces premiers travaux nous ont mis sur la voie desquelques aperçus nouveaux présentés dans cet article. Mais l'art de laguerre au moyen âge mériterait un livre spécial; nous serions heureux devoir ce côté si peu connu de l'archéologie mis en lumière par un auteurcompétent en ces matières.
Note 373:(retour) «Si vous voulez façonner le fort engin qu'on appelle trébuchet, faites ici attention. En voici les sablières comme elles reposent à terre. Voici devant les deux treuils et la corde double avec laquelle on ravale la verge. Voir le pouvez en cette autre page. Il y a grand faix à ravaler, car ce contre-poids est très-pesant; car il se compose d'une huche pleine de terre qui a deux grandes toises de long, sur neuf pieds de large et douze pieds de profondeur. Et au décocher de la flèche (de la cheville), pensez! et vous en donnez garde, car elle doit être maintenue à cette traverse du devant.»
Note 374:(retour) MM. Lassus et Darcel ont traduitwindas parressort;windas ouguindas est employé, en vieux français picard, comme cabestan et comme treuil, comme cylindre autour duquel s'enroule une corde. Perrault, dans sa traduction du chapitre:De balistarum rationibus (Vitruve, L. X, cap. XVI), se sert du motvindas dans le sens de treuil et non de cabestan; aujourd'hui on dit encore uneguinde, en langage de machiniste de théâtre, pour désigner une cordelle s'enroulant sur un cylindre horizontal ou treuil; d'oùguinder, qui veut dire, en style de machiniste, appuyer sur le treuil, c'est-à-dire le faire tourner de manière à enrouler la corde soutenant un fardeau. Diego Veano, dans laVraie instruction de l'artillerie (Francfort, 1615, p. 122, fig. 24), donne un cric qu'il nommemartinet en français,winde en flamand; puis une chèvre à soulever les pièces, qu'il appelleguindal.Windas n'était donc pas, comme le croit M. Willis, un cabestan, d'après l'autorité de La Hire et de Félibien, autorités trop récentes pour être de quelque poids en ces matières. M. Willis, dans l'édition anglaise de Villard de Honnecourt relève avec raison l'erreur commise par les commentateurs français; mais il en conclut, à tort suivant nous, que leswindas sont de petits cabestans fixés sur les deux branches antérieures du plan de Villard, branches qui sont évidemment des ressorts que M. Willis gratifie, dans la gravure jointe à son commentaire, d'assemblages omis par Villard; au contraire, notre auteur a le soin de faire voir que les deux branches doubles sont chacune d'un seul morceau, qu'elles sont faites au moyen de fourches naturelles. D'ailleurs les deux treuils horizontaux,windas, mentionnés et tracés par Villard, rendent la fonction des cabestans inutile, et une corde s'enroulant autour d'un cabestan ne saurait préalablement faire le tour d'un treuil horizontal, car alors le cabestan ne pourrait fonctionner à cause de la résistance de frottement qu'offrirait le câble enroulé sur le treuil. M. Willis aurait dû supposer des poulies et non des treuils; mais le dessin de Villard n'indique des poulies qu'à l'extrémité des ressorts. Les commentateurs français de Villard de Honnecourt ont donc, nous semble-t-il, compris la fonction des deux ressorts indépendante de celle des deux treuils horizontaux; ces ressorts étaient fort utiles pour forcer la verge à quitter la ligne verticale, au moment où les tendeurs commençaient à abattre son sommet; car, contrairement à ce que dit M. Willis, l'effort le plus grand devait avoir lieu lorsque la corde de tirage faisait un angle aigu avec la verge: c'était alors que l'aide des ressorts était vraiment utile. Du reste, nos figures expliquent l'action du mécanisme. Quant à l'arrêt ou la fiche verticale que M. Willis croit être le moyen propre à arrêter la verge lorsqu'elle est abattue, nous dirons d'abord que Villard indique cette fiche sur plan horizontal, puis que cette fiche est trop loin du plan d'abattage de la verge pour pouvoir la maintenir. Ce moyen n'aurait rien de pratique; cette fiche serait arrachée; comment serait-elle maintenue à la sablière? comment ne serait-elle pas attirée en dehors de la verticale par l'effort de la verge? Cette barre indiquée dans le plan de Villard nous semble un des leviers du premier treuil, muni peut-être d'un anneau à son extrémité pour passer une corde, de manière à faciliter l'abattage.
Note 375:(retour) MM. Lassus et Darcel supposent qu'il est ici question d'une flèche propre à être lancée; le trébuchet ne lance pas de flèches, mais bien des pierres, c'est-à-dire des projectiles à toute volée. M. Mérimée a relevé cette erreur et prétend que lafleke doit être prise pour la verge de l'engin. L'opinion de M. Willis nous paraît préférable: il prétend que la flèche doit s'entendre ici comme verrou fermé,shot; que le motfleke se rapporte à la cheville qui maintient la corde de tirage à l'extrémité de la verge, cheville que le maître de l'engin fait sauter d'un coup de maillet. C'est le mot anglaisclick qui correspond au mot françaisdéclic. Si le motfleke s'entendait pour un projectile, le texte de Villard n'aurait pas de sens, tandis que notre auteur a parfaitement raison de recommander aux servants de l'engin de prendre garde à eux audescocier de lafleke, c'est-à-dire de la cheville qui arrête la verge àl'estançon antérieur; car s'ils ne s'éloignaient pas, ils pourraient être tués d'un revers de la fronde au moment où la verge décrit son arc de cercle (voy. les fig. 9, 10 et 12). Nous n'avons pas la prétention d'avoir complétement interprété le trébuchet de Villard, mais nous nous sommes efforcé de rendre son jeu possible; généralement, lorsqu'il s'agit de figurer ces anciens engins de guerre, on n'apporte pas dans les détails le scrupule du praticien obligé de mettre à exécution le programme donné. De tous ces engins figurés, nous n'en connaissons aucun qui puisse fonctionner; nous avons pensé qu'il était bon une fois de les tracer comme s'il nous fallait les faire exécuter devant nous et nous en servir.
Note 376:(retour) On peut encore constater l'importance de la construction de ces engins en consultant les anciens comptes et inventaires de forteresses. Quand, en 1428, on détruisit l'engin établi sur la tour de Saint-Paul à Orléans, pour le remplacer par une bombarde, la charpente de cette machine de guerre, qui était ou un trébuchet ou un mangonneau, remplit vingt-six voitures qui furent conduites à la chambre de la ville. (Jollois,Histoire du siége d'Orléans, ch. I. Paris, 1833.)
Note 381:(retour) «Trois foiz nous getèrent le feu gregois, celi soir, et le nous lancèrent quatre foiz à l'arbalestre à tour.» Joinville,Hist. de saint Louis. «Les frères le roi gaitoient les chas-chastiaus en haut (c'est-à-dire qu'ils étaient de service au sommet des beffrois) pour traire aus Sarrazins des arbalestres de quarriaus qui aloient parmi l'ost aus Sarrazins.»
Note 382:(retour) Voy. le journal du siége, p. 21. Il était d'usage de donner des noms aux engins pendant le moyen âge, comme de nos jours on donne des noms aux canonnières de la marine. Jusqu'au XVIe siècle, les bouches à feu avaient chacune leur nom; peut-être avaient-elles des parrains comme les cloches.
Note 384:(retour) On voit, dans les comptes de forteresses de la ville d'Orléans, qu'un habile «ouvrier, nommé Naudin-Bouchart, fondit, pendant le siége, un canon très-beau et très-long pour jeter des boulets, de dessus le pont, dans l'île de Charlemagne, aux Anglais qui traversaient la Loire pour passer de cette île au champ de Saint-Pryvé où ils avaient une bastille.» Du vieux pont au milieu de l'île Charlemagne il y avait quinze cents mètres; les bombardes et canons ne pouvaient alors porter à une aussi grande distance; le canon de Naudin-Bouchart fut une innovation.
Note 388:(retour) Le nom deboîte que l'on donne aux pétards tirés dans les fêtes vient de là. Lors des réjouissances publiques, au lieu de charger, comme aujourd'hui, des pièces d'artillerie avec des gargousses de poudre sans balle, on se contentait de charger les boîtes des bouches à feu et de bourrer la poudre avec des tampons de bois enfoncés à coups de marteau. On trouvait encore, au commencement du siècle, dans la plupart de nos vieilles villes, de ces boîtes anciennes qui avaient été réservées pour cet usage.
Note 390:(retour) Au siége du château de Pouques, en 1453, où fut tué Jacques De Lalain, lui et d'autres seigneurs «alèrent visiter l'artillerie, et une bombarde nommée la Bergère, qui moult bien faisoit la besongne; et se tenoyent pavesés et couverts du mantel de celle bombarde...»Mém. d'Olivier de la Marche, ch. XXVII. «Et avoient (les Gantois) bannières, charrois, pavois, couleuvrines et artillerie (bataille de Berselle).»Chron. de J. De Lalain. «... et allèrent (les Gantois) tout droit devant la ville de Hulst, menants grant nombre de charrois, artillerie, tant de canons, coulenvrines, pavois et autres choses appartenants à ladicte artillerie (siége de Hulst)...»Ibid.
Note 392:(retour) «À ce propoz, de prendre chasteaulx, dit encore ledit livre, comment, par aucuns engins fais de merrien, que l'en peut mener jusques aux murs, l'en peut prendre le lieu assailly: l'en fait un engin de merrien, que l'en appellemouton, et est comme une maison, faite de merrien, qui est couverte de cuirs crus, affin que feu n'y puisse prendre, et devant celle maison a un grant tref, lequel a le bout couvert, de fer, et le lieve l'en à chayennes et à cordes, par quoy ceulz qui sont dedens la maison puent embatre le tref jusques aux murs, et le retrait-on en arrière quant on veult, en manière d'un mouton qui se recule quant il veut férir, et pour ce est-il appellezmouton... Assez d'autres manières sont pour grever ceuls de dehors, mais contre l'engin que on appellemouton, on fait un autre que on appelleloup; ceulx du chastel font un fer courbe, à très fors dens agus, et le lie-l'en à cordes, par quoy ilz prennent le tref, qui est appellémouton; adont, quant il est pris, ou ilz le trayent du tout amont, ou ilz le lient si hault que il ne peut plus nuire aux murs du chastel.» (Christ. de Pisan, leLiv. des fais et bonnes meurs du sage roy Charles, ch. XXXV et XXXVII.)
Note 394:(retour) «Item, un autre engin on fait, qui est appellévigne; et cel engin fait-on de bons ays et de merrien fort, affin que pierre d'engin ne le puisse brisier, et le cueuvre l'en de cuir cru que feu n'i puist prendre; et est cel engin de huit piez de lé et seize de long, et de tel hauteu que pluseurs hommes y puist entrer, et le doit l'en garder et mener jusques aux murs, et ceuls qui sont dedens foyssent les murs du chastel; et est moult prouffitable, quant on le peut approchier des murs.» (Christ. de Pisan, ch. XXXV.)
ENRAYURE, s. f. Assemblage de pièces de bois horizontales sur lesquellesreposent les charpentes et qui maintiennent leur écartement. Unecharpente peut avoir plusieurs enrayures étagées: ce sont alors autantde plates-formes, de repos, qui permettent d'adopter une nouvellecombinaison et qui relient tout le système. Les flèches en charpente,par exemple, possèdent plusieurs enrayures (voy. CHARPENTE, FLÈCHE).
ENTRAIT, s. m. C'est la pièce de bois horizontale qui sert de base autriangle formé par une ferme de comble, et qui arrête l'écartement desarbalétriers. L'entrait peut être suspendu par le poinçon et par desclefs pendantes (1). A est un entrait (voy. CHARPENTE).
ENTRÉE, s. f. C'est le nom que l'on donne au passage de la clef dans uneboîte de serrure; on dit l'entrée d'une serrure, pour dire l'ouverturepar laquelle on introduit la clef (voy. SERRURE).
ENTRELACS, s. m. Ne s'emploie qu'au pluriel. On désigne ainsi certainsornements particulièrement adoptés pendant l'époque romane. Des rinceauxde tigettes qui s'enchevêtrent, des galons qui forment des dessinsvariés en passant les uns sur les autres, comme des ouvrages depassementerie, sont des entrelacs en matièrede sculpture ou de peinture décorative(voy. PEINTURE, SCULPTURE).
ENTRESOL, s. m. Étage bas pratiqué dans la hauteur d'une ordonnanced'architecture, présentant à l'extérieur l'aspect d'un seul étage. Lesentre-sols ont été peu employés dans l'architecture civile du moyen âge,chaque étage séparé par un plancher étant presque toujours indiqué àl'extérieur par un bandeau. Cependant les architectes du moyen âge nesont pas exclusifs, et si impérieux que soient les principes auxquelsils se soumettent, ils savent concilier les besoins, les programmes,avec les exigences de l'art; ou, pour mieux dire, leur art ne se refusejamais à l'expression vraie d'un besoin. Il arrivait, par exemple, qu'onavait besoin de disposer, près d'une grande salle, de petites pièces oudes galeries de service, auxquelles il n'était pas nécessaire de donner,sous plancher, la hauteur de cette grande salle; ces services étaientalors entresolés. Nous avons donné des exemples de ces dispositionsintérieures dans l'article CONSTRUCTION, fig. 119 et 120.
ENTRETOISE, s. f. C'est une pièce de bois qui s'assemble horizontalementdans deux arbalétriers ou dans deux poutres principales d'un plancher.Les fermes d'un comble peuvent recevoir des pannes, lesquelles sontposéessur les arbalétriers et calées par des chantignolles, tandisque les entre-toises sont assemblées à tenon et mortaise dans cesarbalétriers. Dans les planchers en charpente, les entre-toises sont devéritableschevêtres (voy. CHARPENTE, PLANCHER).
ÉPANNELAGE, s. m. C'est la taille préparatoire d'une moulure ou d'unornement. Aujourd'hui, dans les constructions de pierre de taille, onpose toutes les pierres épannelées seulement; le ravalement se faisantsur le tas, lorsque la construction est élevée. Jusqu'au XVIe siècle,chaque pierre était posée ravalée et même sculptée; aussi les édificesne risquaient-ils jamais de rester épannelés, comme cela est arrivésouvent depuis. Les Grecs et les Romains posaient les pierres de tailleépannelées seulement, et le ravalement se faisait après la pose. On voitencore quelques monuments grecs et beaucoup de constructions romainesqui sont restées épannelés. Le temple de Ségeste en Sicile n'estqu'épannelé. La porte Majeure à Rome, quelques parties du Colysée,l'amphithéâtre de Pola, etc., n'ont jamais été complétement ravalés.
ÉPERON, s. m. On emploie souvent le motéperon pour contre-fort, bienque le contre-fort et l'éperon ne soient pas choses semblables: lecontre-fort est une pile extérieure destinée à renforcer un mur au droitd'une poussée; la dénomination d'éperon ne doit s'appliquer qu'àcertains renforts de maçonnerie, angulaires en plan, formant saillie surla surface cylindrique extérieure des tours de défense, pour éloignerl'assaillant et s'opposer à l'effort des béliers ou au travail desmineurs (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, CONSTRUCTION, PORTE, TOUR). Ceséperons s'appellent aussi desbecs.
ÉPI, s. m. On donne le nom d'épi à certaines décorations enterrecuite ou en plomb qui enveloppent l'extrémité des poinçons de croupe oude pavillon à leur sortie d'un comble. Tout pavillon ou croupe encharpente doit s'assembler dans un poinçon central vertical, qui nesaurait être coupé au ras du faîte, puisqu'il faut que les tenons desarêtiers de croupe ou de pavillon rencontrent une forte résistanceau-dessus des mortaises. A (1) étant un poinçon recevant quatre arêtiersB, on doit toujours laisser un bout de bois BA au-dessus des tenons pourque l'assemblage soit solide. La partie BA se trouve ainsi dépasser lacouverture, et il est nécessaire de la revêtir. Si le comble est couverten tuiles, le revêtement BA du bout du poinçon est en terre cuite; si lecomble est couvert en ardoise ou en plomb, l'enveloppe de l'extrémité dupoinçon est également faite en plomb, car on ne saurait mettre du plombsur de la tuile, pas plus qu'il ne convient de poser de la terre cuitesur de l'ardoise ou du plomb. Les architectes du moyen âge se plaisaientà décorer avec luxe ces bouts sortants des poinçons de pavillons et decroupes qui se détachaient sur le ciel et prenaient ainsi beaucoupd'importance. Ils ne faisaient d'ailleurs, en ceci, que suivre unetradition antique, car les Romains et les Grecs avant eux avaient grandsoin de couronner les combles de leurs édifices par des ornements enterre cuite ou en métal qui se découpaient sur le ciel; et en cela,comme en beaucoup d'autres choses, les prétendues imitations del'architecture antique tentées depuis le XVIIe siècle s'éloignent un peudes modèles que l'on croyait suivre.
Les épis de l'époque romane ne se sont pas conservés jusqu'à nos jours.Ces accessoires sont fragiles, fort exposés aux intempéries del'atmosphère, et ont été détruits depuis longtemps avec les charpentesqui les portaient. À peine, dans les bas-reliefs ou les manuscrits,peut-on trouver la trace de ces décorations avant le XIIIe siècle, etles premiers temps du moyen âge ne nous ont pas laissé sur leursédifices ces médailles qui nous donnent des renseignements précieuxtouchant l'aspect extérieur des monuments romains.
Il faut distinguer d'abord les épis en terre cuite des épis en plomb.Les plus anciens épis en terre cuite sont figurés dans des bas-reliefsdu XIIIe siècle; nous n'en connaissons pas qui soient antérieurs à cetteépoque; ils paraissent être composés de plusieurs pièces s'emboîtant lesunes dans les autres, terminées par un chapeau. Voici (2) quelle est laforme la plus habituelle des épis de cette époque. Ils figurentordinairement une colonnette avec son chapiteau couvert d'un cône. Leprofil AB indique les diverses pièces dont se compose l'épi enveloppantle bout du poinçon. La pièce inférieure C est une dernière faîtièrerecouvrant les tuiles extrêmes de la coupe du comble.
À mesure que l'architecture devenait plus riche et que les couronnementsdes édifices se découpaient davantage, il fallait nécessairement donnerplus d'importance à ces détails se détachant en silhouette sur le ciel.Il existe encore quelques fragments d'épis en terre cuite, ducommencement du XIIIe siècle, dans les contrées où cette matière étaitemployée par des mains exercées. Troyes est une des villes de France oùles fabriques de terres cuites étaient particulièrement florissantespendant le moyen âge; elle possédait, il y a peu d'années, un grandnombre d'épis fort beaux en terre vernissée qui, la plupart, ont étédétruits ou déplacés. M. Valtat, sculpteur à Troyes, a recueilli l'undes plus remarquables spécimens de cette décoration de combles.
C'estune pièce (3) qui n'a pas moins de 0,75 c. de hauteur, d'un seulmorceau, et qui était terminée par une forte tige en fer recevantprobablement une girouette. Le soubassement AB manque, et nous l'avonsrestauré ici pour compléter cette décoration. Sur un bout de fûts'épanouit un chapiteau feuillu portant un édicule circulaire terminépar cinq gâbles et un cône percé à son sommet. Le tout est vernissé auplomb, vert et jaune, et les petites ouvertures simulant des fenêtressont percées vivement au moyen d'un outil tranchant. Il est facile devoir que cette poterie a été modelée à la main, car elle présentebeaucoup d'irrégularités; le travail est grossier, et c'est par lacomposition et le style, mais non par l'exécution, que se recommandenotre exemple. La tige de fer s'emmanchait simplement à l'extrémité dupoinçon en charpente, ainsi que l'indique la coupe D. C'était là unobjet vulgaire; on ne peut en douter, lorsqu'on voit à Troyes et dansles environs la quantité de débris de poteries de ce genre qui existentencore sur les combles des maisons ou des édifices. La céramique est unart en retard sur les autres; les fabriques continuaient des traditionsqui n'étaient plus en harmonie souvent avec le siècle; c'est ce quiexplique l'apparenceromane de cet épi, auquel cependant on ne peutassigner une date antérieure à 1220. Un certain nombre de ces objetspouvaient d'ailleurs rester plusieurs années dans une fabrique avantd'être vendus, et ce n'était qu'à la longue que les potiers sedécidaient à modifier leurs modèles. Ces colonnettes portant desédicules furent très-longtemps admises pour la décoration des poinçons;cependant, vers la fin du XIIIe siècle ou le commencement du XIVe, cetype était trop en désaccord avec les formes de l'architecture de cetteépoque: on en vint aux pinacles de terre cuite pour couronner lescroupes ou pavillons couverts en tuiles.
On voit, dans le musée de l'évêché de Troyes, un de ces épis provenantde l'ancien hôtel de ville (4); nous croyons qu'il a pu être fabriquévers le milieu du XIVe siècle: il est carré en plan, décoré de petitesbaies seulement renfoncées et remplies d'un vernis brun, de quatregâbles et d'une pyramide à quatre pans. Le fleuron supérieur est briséet la pièce C du bas manque, c'est-à-dire que la partie existante estcelle comprise entre A et B. Cet épi est vernissé en rouge brun et enjaune, comme les carreaux des XIVe et XVe siècles; il devait se terminerpar une broche en fer et une girouette. Son exécution est grossière,sans moules, le tout paraissant monté en terre à la main; mais il fautreconnaître qu'à la hauteur à laquelle ces objets étaient placés, iln'était pas besoin d'une exécution soignée pour produire de l'effet. Onallait chercher ces épis en fabrique, comme aujourd'hui on va chercherdes pots à fleurs et toutes les poteries ordinaires, et on les employaittels quels. Bientôt ces formes parurent trop rigides, pas assezdécoupées; les pinacles en pierre se couvraient de crochets saillants,les faîtages des combles se fleuronnaient; on donna aux épis de terrecuite une apparence moins architectonique et plus libre; on voulut ytrouver des ajours, des saillies prononcées; on fit leur tige principaleplus grêle; elle n'enveloppa plus le bout du poinçon en bois, mais unebroche de fer.
L'emploi de la tuile était moins fréquent cependant, celle-ci étantremplacée par le métal ou l'ardoise; les poinçons en terre cuitedevenaient par conséquent moins communs.
Nous avons dessiné à Villeneuve-l'Archevêque, il y a plusieurs années,un poinçon en terre cuite, sur une maison qui datait du XVe siècle; ilétait composé de trois pièces (5), complétement vernissé d'émail brun;les joints étaient en A et B; la tige de fer, qui maintenait la poterie,s'emmanchait sur un moignon du poinçon, ainsi qu'il est indiqué en C.
Le XVIe siècle remplaça les épis en terre cuite vernissée par des épisen faïence, c'est-à-dire en terre émaillée. Les environs de Lizieux enpossédaient un grand nombre sortis des fabriques403; la plupart de ces objets ont été achetés par des marchandsde curiosités qui les vendent aux amateurs comme des faïences dePalissy, et il faut aujourd'hui aller plus loin pour rencontrer encorequelques-uns de ces épis en faïence de la Renaissance, si communs il y avingt ans. L'un des plus remarquables parmi ces produits de l'industrienormande se trouve au château de Saint-Christophe-le-Jajolet (Orne).Nous en donnons ici (6) une copie404. Cet épi en faïence se compose dequatre pièces dont les joints sont en A, B, C. Le tout est enfilé par unebroche de fer. Le socle est jaune moucheté de brun, le vase est bleuclair avec ornements jaunes et têtes naturelles, les fleurs sontblanches avec feuilles vertes et graines jaunes, le culot est blanc, laboule jaune bistre et l'oiseau blanc tacheté de brun.
Les fabriques de faïences de Rouen, de Beauvais, de Nevers,fournissaient ces objets de décoration extérieure à toutes les provincesenvironnantes; malheureusement l'incurie, l'amour de la nouveauté, lamode des combles dépourvus de toute décoration les ont fait disparaître,et les musées de ces villes n'ont pas su même en sauver quelques débris.Les idées nouvelles qui, au XVIe siècle, tendaient à enlever à notrearchitecture nationale son originalité, détruisaient peu à peu cettefabrication provinciale, prospère encore au XVIe siècle. L'art du potierrésista plus longtemps que tout autre à cette triste influence, et sousLouis XIII on continuait à fabriquer des faîtières, des épis en terreémaillée ou vernissée, pour décorer les combles des habitations privées.Le musée de la cathédrale de Sées possède un épi de cette époque qui,tout barbare qu'il est, conserve quelques restes de ces traditions dumoyen âge; c'est pourquoi nous en présentons ici (7) une copie. Cet épiest complétement passé au vernis brun verdâtre.
Le plomb se prêtait beaucoup mieux que la terre cuite à l'exécution deces décorations supérieures des toits; aussi l'employait-on pour fairedes épis sur les combles, toutes les fois que ceux-ci étaient couvertsen métal ou en ardoise. Au XIIe siècle, et avant cette époque, onn'employait guère, pour les couvertures des combles, que la tuile et,exceptionnellement, le plomb; l'ardoise n'était en usage que dans lescontrées où le schiste est abondant (voy. ARDOISE, PLOMBERIE, TUILE). Cen'était donc que sur des monuments construits avec luxe que l'on pouvaitposer des épis en plomb, et, les couvertures en métal posées avant leXIIIe siècle n'existant plus, il nous serait difficile de donner desexemples d'épis antérieurs à cette époque. L'épi le plus ancien que nousayons vu et dessiné se trouvait sur les combles de la cathédrale deChartres405; il était placé à l'intersection du bras de croix, etpouvait avoir environ 2m,50 de hauteur. C'était un bel ouvrage deplomberie repoussée, mais fort délabré (8). Son fleuron se divisait enquatre folioles avec quatre boutons intermédiaires. Une large bagueornée de grosses perles lui servait de base. Il est à croire que son âmeétait une tige de fer enfourchée dans la tête du poinçon de bois.
Vers la fin du XIIIe siècle, les couvertures en ardoises devinrenttrès-communes et remplacèrent presque partout la tuile, à laquellecependant la Bourgogne, l'Auvergne, le Lyonnais et la Provence restèrentfidèles. Les faîtages et les épis en plomb devinrent ainsi plus communs.Nous en possédons encore un assez grand nombre d'exemples qui datent duXIVe siècle. Il existe un de ces épis sur le bâtiment situé derrièrel'abside de la cathédrale de Laon. En voici un autre (9) qui couronne latourelle d'escalier de la salle dite des Machabées, dépendante de lacathédrale d'Amiens. Cet épi est fait entièrement au repoussé et modeléavec une extrême recherche; il date de l'époque de la construction de lasalle, c'est-à-dire de 1330 environ. En A, nous présentons la section dela tige sura b et le plan de la bague faite de deux coquillessoudées. L'épi est maintenu par une tige de fer attachée à la tête dupoinçon de charpente.
Sur le pignon nord du transsept de la cathédrale d'Amiens, on voitencore un très-bel épi en plomb, à deux rangs de feuilles, qui date dela fin du XIVe siècle ou commencement du XVe. Cet épi couronne unpan-de-bois qui remplace, depuis cette époque, le gâble en pierre.Beaucoup trop délicat pour la hauteur à laquelle il est placé, ilconviendrait mieux au couronnement d'un comble de château. Nous endonnons (10) la reproduction; chaque bouquet se compose de troisfeuilles très-découpées, vivement modelées au repoussé, et formant enplan deux triangles équilatéraux se contrariant. Sous la bague sontsoudées de petites feuilles en plomb coulé; c'est, en effet, à dater duXVe siècle, que l'on voit la plomberie coulée employée en même temps quela plomberie repoussée. Mais nous traitons cette question en détail dansl'article PLOMBERIE. On voit que les épis de plomb suivent lestransformations de l'architecture; à mesure que celle-ci est pluslégère, plus refouillée, ces couronnements deviennent plus grêles,laissent plus de jour passer entre leurs ornements, recherchent lesdétails précieux. Cependant les silhouettes sont toujours heureuses etse découpent sur le ciel de manière à laisser aux masses principalesleur importance.
L'Hôtel-Dieu de Beaune, fondé en 1441, conserve encore sur les pignonsen pans-de-bois de ses grandes lucarnes, sur ses tourelles et sur lescroupes de ses combles, de beaux épis du XVe siècle, terminés par desgirouettes armoriées. Ces épis sont partie en plomb repoussé, partie enplomb coulé. Nous donnons ici (11) une copie de l'un d'eux. Les bouquetssupérieurs, dont le détail se voit en A, sont en plomb repoussé; lescouronnes et dais, détaillés en B et en C, sont formés de bandes couléesdans des creux et soudées à des rondelles circulaires. La souche del'épi est complétement faite au repoussé, sauf le soleil rapporté, quiest moulé. La Bourgogne était, au XVe siècle, une province riche,puissante, et ses habitants pouvaient se permettre d'orner les comblesde leurs hôtels et maisons de belle plomberie, tandis que le nord de laFrance, ruiné par les guerres de cette époque, ne pouvait se livrer auluxe des constructions privées. Aussi, malgré l'espèce d'acharnement quel'on a mis depuis plus d'un siècle à supprimer les anciens couronnementshistoriés des combles, reste-t-il encore dans les villes de la Bourgognequelques exemples oubliés de ces épis du XVe siècle.
À Dijon, il en existe plusieurs sur des maisons particulières, etnotamment dans la Petite rue Pouffier (12). En A, nous donnons la moitiédu plan du poinçon, dont la souche est un triangle curviligne concavesous la bague. À dater du XIVe siècle, on rencontre assez souvent desbagues d'épis ornées de prismes ou de cylindres qui les pénètrenthorizontalement, et qui se terminent par une fleurette ou unquatre-feuilles. Ces sortes de bagues produisent une silhouette assezheureuse. Il ne faut pas oublier de mentionner ici les quelques épis deplomb qui surmontent encore les combles de l'hôtel de Jacques Coeur àBourges, et dont les souches sont décorées de feuillages en petitrelief, de coquilles et de coeurs. Souvent les épis de plomb étaientpeints et dorés, ce qui ajoutait singulièrement à l'effet qu'ilsproduisaient au sommet des combles.
L'époque de la Renaissance, qui, en changeant les détails del'architecture française, en conservait cependant les données générales,surtout dans les habitations privées, ne négligea pas le luxe de laplomberie. Les combles furent, comme précédemment, enrichis de crêtes etd'épis. On en revint alors au plomb repoussé, et on abandonna presquepartout les procédés du moulage. Plusieurs châteaux et hôtels de cetteépoque conservent encore d'assez beaux épis ornés de fruits, dechapiteaux, de feuillages et même de figures, le tout repoussé avecbeaucoup d'adresse. Parmi ces épis, on peut citer ceux de l'hôtel duBourgtheroulde à Rouen, des châteaux d'Amboise, de Chenonceaux, duPalais-de-Justice à Rouen. On en voit de très-beaux, quoique fortmutilés, sur les lucarnes placées à la base de la flèche de lacathédrale d'Amiens, dans les noues.
Nous reproduisons (13) un de ces épis dont les plombs sont repoussés parune main très-habile. Il serait difficile de dire ce que fait Cupidonsur les combles de Notre-Dame d'Amiens, mais cette figure se trouvetrès-fréquemment répétée à cette époque au sommet des épis. On voitaussi quelques-uns de ces enfants tirant de l'arc, sur des maisons deRouen élevées au commencement du XVIe siècle. Au sommet du chevet de lachapelle absidale de Notre-Dame de Rouen, il existe un très-bel épi duXVIe siècle, qui représente une sainte Vierge tenant l'Enfant. Commeouvrage de plomberie, c'est une oeuvre remarquable.
À la fin du XVIe siècle, les épis perdent leur caractère particulier:ils figurent des vases de fleurs, des colonnettes avec chapiteaux, despots à feu, des chimères attachées à des balustres. À mesure qu'on serapproche du XVIIe siècle, l'art de la plomberie va s'affaiblissant,bien que sous Louis XIV on ait encore exécuté d'assez beaux ouvrages ence genre; mais alors ils ne s'appliquent plus qu'aux grands monuments,aux habitations princières: c'est un luxe que ne se permet pas le simpleparticulier406 (voy. CRÊTE, GIROUETTE).
ESCALIER, s. m.Degré. Nous distinguerons les escaliers extérieurs(qu'il ne faut pas confondre avec les perrons) des escaliers intérieurs,les escaliers à rampes droites des escaliers à girons et à vis, lesescaliers de pierre des escaliers de bois. Dans les édifices romains,les théâtres et amphithéâtres exceptés, les escaliers sont assez étroitset peu nombreux. D'ailleurs les Romains employaient les escaliers àrampes droites et à vis; mais ils ne paraissent pas (du moins dans lesintérieurs) avoir jamais considéré l'escalier comme un motif dedécoration monumentale, ainsi qu'on l'a fait dans les temps modernes.Les escaliers des édifices antiques sont un besoin satisfait de lamanière la plus simple, un moyen pour communiquer d'un étage à l'autre,rien de plus. Nous ne déciderons pas si, en cela, les anciens avaienttort ou raison; nous constatons seulement le fait, afin qu'on ne puisseaccuser les architectes des premiers temps du moyen âge d'être restés encela fort au-dessous de leurs maîtres.
D'ailleurs les architectes du moyen âge, comme les architectes romains,n'eussent jamais établi, dans un bâtiment, un escalier dont les rampesauraient bouché une ordonnance de baies, ainsi que cela se faitvolontiers de notre temps, même dans de grands édifices. Les Romainsgardaient les dispositions monumentales des escaliers pour les degrésextérieurs à ciel ouvert. À l'intérieur, ils plaçaient toujours lesrampes perpendiculairement aux murs de face, afin que les hauteurs despaliers pussent concorder avec les hauteurs des planchers et parconséquent avec l'ordonnance des baies; mais nous reviendrons sur cettequestion importante.
Pour peu qu'on se soit occupé de distributions intérieures, on saitcombien il est difficile de disposer convenablement les escaliers, soitpour satisfaire aux programmes, soit pour ne pas gêner des dispositionsarchitectoniques extérieures ou intérieures. Les anciens ne soulevaientpas la difficulté; c'était un moyen de ne pas avoir besoin de larésoudre.
L'escalier romain le plus ordinaire est ainsi disposé (1). Il se composede deux rampes séparées par un mur de refend, la première arrivant à unpalier d'entresol A, la seconde au palier de premier étage B, et ainside suite. Les marches sont alors portées sur les voûtes rampantes, siles degrés sont très-larges, ou simplement engagées par les deux boutsdans les murs, si ces degrés sont étroits. C'est ainsi que sont conçuset exécutés les escaliers des thermes, des théâtres et amphithéâtresromains. On ne chercha pas d'autre système d'escalier dans les premiersmonuments du moyen âge. Mais il est facile de voir que ces doublesrampes conduisaient toujours au-dessus du point dont on était parti, cequi pouvait, dans bien des cas, ne pas s'arranger avec lesdistributions; on eut donc recours à l'escalier à vis ou en limaçon, quiprésente cet avantage de faire monter dans un petit espace et de donneraccès sur tous les points de la circonférence du cylindre dans lequels'élèvent ces sortes de degrés. Ces premiers principes posés, nous nousoccuperons d'abord des escaliers à rampes droites, extérieurs,découverts ou couverts.
Escaliers extérieurs.--Bien qu'on ne fasse plus guère aujourd'hui deces sortes d'escaliers, il faut reconnaître qu'ils étaient fortcommodes, en ce qu'ils ne gênaient en rien les dispositions intérieureset ne coupaient pas les bâtiments du haut en bas, en interceptant ainsiles communications principales. L'un des plus anciens et des plus beauxescaliers ainsi disposés se voit encore dans l'enceinte des bâtiments dela cathédrale de Canterbury. Cet escalier, bâti au XIIe siècle, estsitué près de l'entrée principale et conduisait à la salle de réception(salle de l'étranger); il se compose d'une large rampe perpendiculaire àl'entrée de la salle, avec palier supérieur; il est couvert, et lecomble, dont les sablières sont horizontales, est supporté par unedouble arcature à jour fort riche, dont les colonnes diminuent suivantl'élévation des degrés407.
La plupart des grand'salles des châteaux étaient situées au premierétage, et on y montait soit par de larges perrons, soit par des rampesdroites couvertes, accolées ou perpendiculaires à ces salles.
La grand'salle du château de Montargis, qui datait de la seconde moitiédu XIIIe siècle, possédait un escalier à trois rampes avec galerie decommunication portée sur des arcs (voy. CHÂTEAU, fig. 15). Cet escalierétait disposé de telle façon que, de la grand'salle A (voy. le plan fig.2), on pouvait descendre sur l'aire de la cour par les trois degrés BCD.
Il était couvert par des combles en bois posant sur des colonnes etpiliers en pierre408. On appelait, dans les palais, ces sortesd'escaliers ledegré, par excellence. La rampe avait nomépuiement409:
«El palès vint, l'épuiement
De sanc le truva tut sanglant.»
Les couvertures de ces rampes droites étaient ou en bois, comme àCanterbury et à Montargis, ou voûtées, comme, beaucoup plus tard, à laChambre des comptes et à la Sainte-Chapelle de Paris. Ces deux derniersdegrés montaient le long du bâtiment. Celui de la Chambre des comptes,élevée sous Louis XII, était un chef-d'oeuvre d'élégance; il aboutissaità une loge A s'ouvrant sur les appartements (fig. 3, voy. le plan).
Cette loge et le porche B étaient voûtés; la rampe était couverte par unlambris. Sur la face du porche, on voyait, en bas-relief, un écucouronné aux armes de France, ayant pour supports deux cerfs ailés, lacouronne passée au cou et le tabar du héraut d'armes de France déployéau dos. Sous l'écu, un porc-épic surmonté d'une couronne, avec cettelégende au bas:
«Regia Francorum probitas Ludovicus, honesti
Cultor, et æthereæ religionis apex.»
Le tout sur un semis de fleurs de lis et de dauphins couronnés. Le semisde fleurs de lis était sculpté aussi sur les tympans des arcs et sur lespilastres. La balustrade pleine présentait, en bas-relief, des L passantà travers des couronnes, puis des dauphins410.
Pour monter sur les chemins de ronde des fortifications, on établissait,dès le XIIe siècle, de longues rampes droites le long des courtilles,avec parapet au sommet. Les marches reposaient alors sur des arcs et seprofilaient toujours à l'extérieur, ce qui permettait de donner plus delargeur à l'emmarchement et produisait un fort bon effet, en indiquantbien clairement la destination de ces rampes, fort longues, si leschemins de ronde dominaient de beaucoup le sol intérieur de la ville.
À Aigues-Mortes, à Avignon, à Villeneuve-lès-Avignon, à Jérusalem, àBeaucaire, à Carcassonne, on voit encore quantité de ces escaliersextérieurs découverts qui ont un aspect très-monumental (4)411. Maisil arrivait souvent que, faute de place, ou pour éviter la constructionde ces arcs, ou lorsqu'il fallait monter, le long d'un remparttrès-élevé, au sommet d'une tour carrée, on posait les marches desescaliers découverts en encorbellement. Afin de donner à ces marches unesaillie suffisante pour permettre à deux personnes de se croiser et uneparfaite solidité, les architectes obtenaient la saillie voulue par unprocédé de construction fort ingénieux.
Chaque marche était tailléeainsi que l'indique le tracé A (5), la partie B étant destinée à êtreengagée dans la muraille. Posant ces marches, ainsi combinées, les unessur les autres, de manière à ce que le point C vînt tomber sur le pointD, elles étaient toujours portées par une suite de retraites présentantun encorbellement des plus solides, ainsi que le font voir le tracéperspectif G, l'élévation H et le profil K. On voit encore un de cesescaliers, parfaitement exécuté, à l'intérieur de la tour dite d'Orange,à Carpentras (commencement du XIVe siècle). Ordinairement, il faut, pourqu'un escalier soit facilement praticable, que chaque marche ait enlargeur la longueur d'un pied d'homme, soit 0,28 c. à 0,30 c., et enhauteur de 0,15 c. à 0,20 c. au plus, ce qui donne une inclinaison de 22degrés ou environ. Mais, parfois, la place manque pour obtenir une penteaussi douce, et on est obligé, surtout dans les ouvrages defortifications, de monter suivant un angle de 45 degrés, ce qui donnedes marches aussi larges que hautes et ce qui rend l'ascensiondangereuse ou fort pénible. En pareil cas, les constructeurs, observantavec raison que l'on ne met jamais qu'un pied à la fois sur chaquemarche, soit pour monter, soit pour descendre, et que par conséquent ilest inutile qu'une marche ait la largeur nécessaire à la pose du pieddans toute sa longueur, ces constructeurs, disons-nous, ont disposéleurs marches en coins, ainsi que l'indique la fig. 6, de manière à ceque deux marches eussent ensemble 0,30 c. de hauteur et chacune 0,30 c.d'emmarchement par un bout, ce qui permettait d'inscrire la rampe dansun angle de 45 degrés.
Seulement il fallait toujours poser le piedgauche sur la marche A, le pied droit sur la marche B en descendant, oule contraire en montant. Le tracé perspectif C fait comprendre lesystème de ces degrés412. On le reconnaîtra, ce n'est jamais lasubtilité qui fait défaut à nos architectes du moyen âge. Mais cesderniers exemples ne fournissent que des escaliers de service.
Escaliers intérieurs.--C'est-à-dire, desservant plusieurs étages d'unbâtiment, posés dans des cages comprises dans les constructions ouaccolées à ces constructions. Les escaliers à vis, comme nous l'avonsdit précédemment, furent employés par les Romains; les architectes dumoyen âge adoptèrent ce système de préférence à tout autre, variant lesdimensions des escaliers à noyau en raison des services auxquels ilsdevaient satisfaire. Ces sortes d'escaliers présentaient plusieursavantages qu'il est important de signaler: 1º ils pouvaient êtreenglobés dans les constructions ou n'y tenir que par un faible segment;2º ils prenaient peu de place; 3º ils permettaient d'ouvrir des portessur tous les points de leur circonférence et à toutes hauteurs; 4º ilss'éclairaient aisément; 5º ils étaient d'une construction simple etfacile à exécuter; 6º ils devenaient doux ou rapides à volonté; 7º pourles châteaux, les tours, ils étaient barricadés en un moment; 8º ilsmontaient de fond jusqu'à des hauteurs considérables sans nuire à lasolidité des constructions voisines; 9º ils étaient facilementréparables.
Les plus anciens escaliers à vis du moyen âge se composent d'un noyau enpierre de taille, d'une construction en tour ronde, d'un berceau enspirale bâti en moellon, reposant sur le noyau et sur le parementcirculaire intérieur. Cette voûte porte des marches en pierre dont lesarêtes sont posées suivant les rayons d'un cercle.
La fig. 7 représenteen plan et en coupe, suivant la ligne AB du plan, un de ces escaliers sifréquents dans les édifices des XIe et XIIe siècles. La porte extérieurede l'escalier étant en D, la première marche est en C. Ces marches sontposées sur un massif jusqu'au parement G; à partir de ce point commencela voûte spirale que l'on voit figurée en coupe. Les tambours du noyauportent un petit épaulement H pour recevoir les sommiers du berceau qui,de l'autre part, sont entaillés dans le mur circulaire I. Les marchessont posées sur l'extrados du berceau rampant et se composent de pierresd'un ou de plusieurs morceaux chacune. Généralement ces voûtes rampantessont assez grossièrement faites en petits moellons maçonnés sur couchis.Les voûtes des escaliers du choeur de l'église abbatiale d'Eu, quidatent du XIIe siècle, sont cependant exécutées avec une grandeprécision; mais les Normands étaient dès lors de très-soigneuxappareilleurs.
Voici, fig. 8, comme sont taillés les tambours du noyauqui reçoivent les sommiers du berceau rampant; il arrive aussi que lesportées de la voûte sont fréquemment entaillées dans le noyaucylindrique, ce qui affaiblit beaucoup celui-ci. Ces sortes d'escaliersne dépassent guère 1m,00 c. d'emmarchement, et souvent sont-ils moinslarges, les cages cylindriques n'ayant que six pieds, ou 1m,90 c.environ, dont déduisant le noyau, qui dans ces sortes d'escaliers a aumoins un pied de diamètre, reste pour les marches 0,80 c. au plus. Onreconnut bientôt que les voûtes rampantes pouvaient être supprimées;lorsqu'au commencement du XIIIe siècle on exploita les pierres en plusgrands morceaux qu'on ne l'avait fait jusqu'alors, on trouva plus simplede faire porter à chaque marche un morceau du noyau, de les faire mordrequelque peu l'une sur l'autre, et de leur ménager une portée entailléede quelques centimètres le long du parement cylindrique de la cage. Ceprocédé évitait les cintres, les couchis, une main-d'oeuvre assez longuesur le tas; il avait encore l'avantage de relier le noyau avec la cagepar toutes ces marches qui formaient autant d'étrésillons. Ces marchespouvant être taillées à l'avance, sur un même tracé, un escalier étaitposé très-rapidement. Or, il ne faut pas perdre de vue que parmi tantd'innovations introduites dans l'art de bâtir par les architecteslaïques de la fin du XIIe siècle, la nécessité d'arriver promptement àun résultât, de bâtir vite en un mot, était un des besoins les plusmanifestes.
La fig. 9 donne le plan et la coupe413 d'un de ces escaliers. La porteextérieure est en A, la première marche en B. Les recouvrements sontindiqués par lignes ponctuées, et le détail C présente une des marchesen perspective, avec le recouvrement ponctué de la marche suivante.
Quelquefois, pour faciliter l'échappement, les marches sont chanfreinéespar-dessous ainsi qu'on le voit en D. Les dimensions de ces escaliersvarient; il en est dont les emmarchements n'ont que 0,50 c.; les plusgrands n'ont pas plus de 2m,00, ce qui exigeait des pierrestrès-longues; aussi, pour faire les marches du grand escalier du Louvre,Charles V avait-il été obligé d'acheter d'anciennes tombes à l'églisedes Saints-Innocents414, probablement parce que les carrières de liaisde Paris n'avaient pu fournir à la fois un nombre de morceaux de ladimension voulue; en effet cet escalier était très-large; nous yreviendrons. Dans l'intérieur des châteaux les escaliers à vis étaientsingulièrement multipliés; en dehors de ceux qui montaient de fond, etqui desservaient tous les étages, il y en avait qui établissaient, dansl'épaisseur des murs, une communication entre deux étages seulement, etqui n'étaient fréquentés que par les personnes qui occupaient cesappartements superposés. À propos de la domination que la reine Blanchede Castille avait conservée sur l'esprit de son fils, Joinville raconte:«Que la royne Blanche ne vouloit soufrir à son pooir que son filz feusten la compaingnie sa femme, ne mez que le soir quand il aloit coucheravec li (elle). Les hostiex (logis) là où il plesoit miex à demourer,c'estoit à Pontoise, entre le roy et la royne, pour ce que la chambre leroy estoit desus et la chambre (de la reine) estoit desous. Et avoientainsi acordé leur besoigne, que il tenoient leur parlement en une vizqui descendoit de l'une chambre en l'autre; et avoient leur besoignes siattirées (convenues d'avance), que quant les huissiers veoient venir laroyne en la chambre du roy son filz, il batoient les huis de leurverges, et le roy s'en venoit courant en sa chambre, pour ce que (dansla crainte que) sa mère ne l'i trouvast; et ainsi refesoient leshuissiers de la chambre de la royne Marguerite quant la royne Blanche yvenoit, pour ce qu'elle (afin qu'elle) y trouvast la royne Marguerite.Une fois estoit le roy de côté la royne sa femme, et estoit (elle) entrop grant péril de mort, pour ce qu'elle estoit bleciée d'un enfantqu'elle avoit eu. Là vint la royne Blanche, et prist son filz par lamain et li dist:--Venés-vous-en, vous ne faites riens ci415.»
Ces escaliers, mettant en communication deux pièces superposées,n'étaient pas pris toujours aux dépens de l'épaisseur des murs; ilsétaient visibles en partie, posés dans un angle ou le long des parois dela chambre inférieure, et ajourés sur cette pièce. À ce propos, il estimportant de se pénétrer des principes qui ont dirigé les architectes dumoyen àge dans la construction des escaliers. Ces architectes n'ontjamais vu dans un escalier autre chose qu'un appendice indispensable àtout édifice composé de plusieurs étages, appendice devant être placé dela manière la plus commode pour les services, comme on place une échellele long d'un bâtiment en construction, là où le besoin s'en fait sentir.L'idée de faire d'un escalier une façon de décoration théâtrale dansl'intérieur d'un palais, de placer cette décoration d'une manièresymétrique pour n'arriver souvent qu'à des services secondaires, deprendre une place énorme pour développer des rampes doubles, cette idéen'était jamais entrée dans l'esprit d'un architecte de l'antiquité ou dumoyen âge. Un escalier n'était qu'un moyen d'arriver aux étagessupérieurs d'une habitation. D'ailleurs les grandes salles des châteauxétaient toujours disposées presque à rez-de-chaussée, c'est-à-direau-dessus d'un étage bas, le plus souvent voûté, sorte de cave ou decellier servant de magasins. On arrivait au sol des grandes salles parde larges perrons, comme à celles des palais de Paris et de Poitiers, oupar des rampes extérieures comme à celle du château de Montargis (voy.fig. 2). Les escaliers proprement dits n'étaient donc destinésgénéralement qu'à desservir les appartements privés. Toute granderéunion, fête, cérémonie ou banquet, se tenait dans la grande salle; iln'y avait pas utilité à établir pour les étages fréquentés par lesfamiliers de larges degrés; l'important était de disposer ces degrés àproximité des pièces auxquelles ils devaient donner accès. C'est ce quiexplique la multiplicité et l'exiguïté des escaliers de châteauxjusqu'au XVe siècle. Cependant nous venons de dire qu'au Louvre, CharlesV avait déjà fait construire un grand escalier à vis pour monter auxétages supérieurs du palais; mais c'était là une exception; aussi cetescalier passait-il pour une oeuvre à nulle autre pareille. Sauval416nous a laissé une description assez étendue de cet escalier, elle mériteque nous la donnions en entier.
«Le grand escalier, ou plutôt la grande vis du Louvre (puisqu'en cetemps-là le nom d'escalier n'était pas connu), cette grande vis,dis-je, fut faite du règne de Charles V, et conduite par Raimond duTemple, maçon ordinaire du roi417. Or, il faut savoir que lesarchitectes des siècles passés ne faisoient point leurs escaliers nidroits, ni quarrés, ni à deux, ni à trois, ni à quatre banchées, commen'ayant point encore été inventés418, mais les tournoient toujours enrond, et proportionnoient du mieux qu'il leur étoit possible leurgrandeur et leur petitesse à la petitesse et à la grandeur desmaisons419. La grande vis de ce palais étoit toute de pierre de tailleainsi que le reste du bâtiment, et de même que les autres de cetemps-là: elle étoit terminée d'une autre (vis) fort petite, toute depierre encore et de pareille figure, qui conduisoit à une terrasse, donton l'avoit couronnée (dont on avait couronné la grande vis); chaquemarche de la petite (vis) portoit trois pieds de long et un et demi delarge; et pour celles de la grande, elles avoient sept pieds de longueursur un demi d'épaisseur, avec deux et demi de giron près de la coquillequi l'environnoit.»
«On voit, dans les registres de la Chambre des comptes, qu'ellesportoient ensemble dix toises un demi-pied de hauteur420, que lagrande (vis) consistoit en quatre-vingt-trois marches421, et la petiteen quarante et une422; elles furent faites à l'ordinaire de la pierrequ'on tira des carrières d'autour de Paris. Et comme si pour les faire,ces carrières eussent été épuisées, pour l'achever on fut obligé d'avoirrecours au cimetière Saint-Innocent, et troubler le repos des morts: desorte qu'en 1365, Raimond du Temple, conducteur de l'ouvrage, enlevavingt tombes le 27 septembre, qu'il acheta quatorze sols parisis lapièce de Thibault de la Nasse, marguillier de l'église, et enfin les fittailler par Pierre Anguerrand et Jean Colombel pour servir de pallier.»
«Nous l'avons vu ruiner (cet escalier), en 1600, quand Louis XIII fitreprendre l'édifice du Louvre, sous la conduite d'Antoine Lemercier.Pour le rendre plus visible et plus aisé à trouver, maître Raimond lejeta entièrement hors-d'oeuvre en dedans la cour423, contre le corpsde logis qui regardoit sur le jardin424; et pour le rendre plussuperbe (l'escalier), il l'enrichit par dehors de basses-tailles, et dedix grandes figures de pierre couvertes chacune d'un dais, posées dansune niche, portées sur un piédestal: au premier étage, de côté etd'autre de la porte, étoient deux statues de deux sergens-d'armes, quefit Jean de Saint-Romain425, et autour de la cage furent répandues pardehors, sans ordre ni symétrie, de haut en bas de la coquille, lesfigures du roi, de la reine et de leurs enfans mâles426; Jean du Liégetravailla à celles du roi et de la reine; Jean de Launay et Jean deSaint-Romain partagèrent entre eux les statues du duc d'Orléans et duduc d'Anjou; Jacques de Chartres et Gui de Dampmartin, celles des ducsde Berri et de Bourgogne; et ces sculpteurs, pour chaque figure, eurentvingt francs d'or, ou seize livres parisis. Enfin, cette vis étoitterminée des figures de la Vierge et de saint Jean de la façon de Jeande Saint-Romain; et le fronton de la dernière croisée427 étoitlambrequiné des armes de France, de fleurs de lis sans nombre428, quiavoient pour support deux anges, et pour cimier un heaume couronné,soutenu aussi par deux anges, et couvert d'un timbre chargé de fleurs delis par dedans. Un sergent-d'armes haut de trois pieds, et sculpté parSaint-Romain, gardoit chaque porte des appartemens du roi et de la reinequi tenoient à cet escalier; la voûte qui le terminoit étoit garnie dedouze branches d'orgues (nervures), et armée dans le chef (à la clef)des armes de Leurs Majestés, et dans les panneaux (remplissages entreles nervures) de celles de leurs enfans429 et fut travaillée (lasculpture de cette voûte), tant par le même Saint-Romain que parDampmartin, à raison de trente-deux livres parisis, ou quarante francsd'or.»
Il faut ajouter à cette description que cet escalier communiquait avecla grosse tour du Louvre au moyen d'une galerie qui devait avoir étébâtie de même sous Charles V, car du temps de Philippe-Auguste, ledonjon était entièrement isolé. Essayons donc de reconstituer cettepartie si intéressante du vieux Louvre, à l'aide de ces renseignementsprécis et des monuments analogues qui nous restent encore dans deschâteaux des XVe et XVIe siècles. La grande vis du Louvre étaitentièrement détachée du corps de logis du nord, et ne s'y reliait quepar une sorte de palier; cela ressort du texte de Sauval; de l'autrecôté l'escalier était en communication avec le donjon par une galerie.Cette galerie devait nécessairement former portique à jour, àrez-de-chaussée, pour ne pas intercepter la communication d'un côté dela cour à l'autre. Ménageant donc les espaces nécessaires à l'amorce duportique et de l'entrée dans le corps de logis du nord, tenant compte dela longueur des marches et de leur giron, observant qu'à l'extérieurl'architecte avait pu placer dix grandes statues à rez-de-chaussée dansdes niches surmontées de dais, que, par conséquent, ces figures nepouvaient être posées que sur des faces de contre-forts, tenant comptedes douze branches d'arcs de voûtes mentionnées par Sauval, de lalongueur et du giron des marches de la petite vis, nous sommes amené àtracer le plan du rez-de-chaussée, fig. 10.
En A est la jonction del'escalier avec le corps de logis du nord B. En C est le portiqueportant la galerie de réunion de l'escalier avec le donjon. La premièremarche est en D. Jusqu'au palier E, tenant compte du giron des marches,on trouve seize degrés. Seize autres degrés conduisaient au secondpalier posé au-dessus de la voûte F. Seize degrés arrivaient autroisième palier au-dessus de celui E. De ce troisième palier on montaitd'une volée jusqu'au quatrième palier, toujours au-dessus de celui E,par trente-cinq marches, total, quatre-vingt-trois. Le noyau central,assez large pour porter le petit escalier supérieur, devait être évidépour permettre, à rez-de-chaussée, de passer directement du portique Cau logis B. Au-dessus ce noyau vide pouvait être destiné, ainsi que celase pratiquait souvent, à recevoir des lampes pour éclairer les degréspendant la nuit. La première rampe était probablement posée sur massifou sur voûtes basses; la seconde reposait sur des voûtes G quipermettaient de circuler sous cette rampe. Notre plan nous donne en Hdix contre-forts pouvant recevoir les dix grandes statues.
Une coupe,fig. 11, faite sur la ligne CB, explique les révolutions des rampes etles divers paliers de plain-pied avec les étages du logis B. Elle nousindique la structure du noyau ajouré, et, en K, le niveau du dernierpalier de la grande vis, à partir duquel commence à monter la petite visportant quarante et une marches jusqu'au niveau de la terrassesupérieure. Cette petite vis prenait ses jours dans la cage de la grandeau moyen d'arcatures ressautantes. Nous ne prétendons pas, cela va sansdire, présenter ces figurés comme un relevé scrupuleux de ce monumentdétruit depuis le XVIIe siècle, et dont il ne reste aucun dessin; nousessayons ici de résumer dans une étude les diverses combinaisonsemployées par les architectes des XIVe et XVe siècles, lorsqu'ilsvoulaient donner à leurs escaliers un aspect tout à fait monumental. Oncomprend très-bien comment Raymond du Temple s'était procurédifficilement un nombre aussi considérable de marches et de paliers degrandes dimensions, devant offrir une parfaite résistance, puisque,suivant la méthode alors adoptée, ces marches, sauf celles des deuxpremières révolutions, ne portaient que par leurs extrémités. Quant auxpaliers, qu'il eût été impossible de faire d'un seul morceau, nous lesavons supposés portés, soit par des voûtes, soit par des arcs ajourés,ainsi que l'indique la vue perspective (12) prise au-dessous du paliersupérieur.
Les architectes, devenus très-habiles traceurs-géomètres dès la fin duXIIIe siècle, trouvaient dans la composition des escaliers un sujetpropre à développer leur savoir, à exciter leur imagination. Leursystème de construction, leur style d'architecture se prêtaitmerveilleusement à l'emploi de combinaisons compliquées, savantes, etempreintes d'une grande liberté; aussi (bien que les monuments existantssoient malheureusement fort rares) les descriptions de châteaux et demonastères font-elles mention d'escaliers remarquables.
Souvent, par exemple, ces grandes vis de palais étaient à doublerévolution, de sorte que l'on pouvait descendre par l'une et remonterpar l'autre sans se rencontrer et même sans se voir. D'autres fois, deuxvis s'élevaient l'une dans l'autre; l'une dans une cage intérieure,l'autre dans une cage extérieure; combinaison dont on peut se faire uneidée, en supposant que la petite vis figurée dans la coupe, figure 11,descend jusqu'au rez-de-chaussée. La vis intérieure devenait escalier deservice, et le degrécirconvolutant, escalier d'honneur.Indépendamment des avantages que l'on pouvait tirer de ces combinaisons,il est certain que les architectes, aussi bien que leurs clients, seplaisaient à ces raffinements de bâtisses; dans ces châteaux où lesjournées paraissaient fort longues, ces bizarreries, ces surprises,étaient autant de distractions à la vie monotone des châtelains et deleurs hôtes.
On voyait aux Bernardins de Paris, dit Sauval430, «une vis tournante àdouble colonne (noyau) où l'on entre par deux portes, et où l'on montepar deux endroits, sans que de l'un on puisse être vu dans l'autre;cette vis a dix pieds de profondeur (3m,25), et chaque marche porte dehauteur huit à neuf pouces (0m,23). Les marches sont délardées, et nesont point revêtues d'autres pierres. C'est le degré de la manière laplus simple, et la plus rare de Paris; toutes les marches sont pardessous délardées. Sa beauté et sa simplicité consistent dans les gironsde l'un et de l'autre, portant un pied ou environ, qui sont entrelassés,enclavés, emboîtés, enchaînés, enchâssés, entretaillés l'un dansl'autre, et s'entremordant d'une façon aussi ferme que gentille. Lesmarches de l'autre bout sont appuyées sur la muraille de la tour quil'environne; ces deux escaliers sont égaux l'un à l'autre en toutesleurs parties; la façon du noyau est semblable de haut en bas, et lesmarches pareilles en longueur, en largeur et en hauteur. L'église et ledegré furent commencés par le pape Benoît XII du nom, de l'ordre desaint Bernard, continué par un cardinal du même ordre nommé Guillaume.Ces degrés n'ont que deux croisées, l'une qui les éclaire tous deux paren haut, l'autre par en bas431.» En cherchant à expliquer par unefigure la description de Sauval, on trouverait le plan (13).
En A et Bsont les deux entrées, en C et D les deux premières marches; le nombrede marches à monter de C en E, vu la hauteur de ces marches, permet dedégager sous le giron E pour prendre la seconde rampe D; les degréscontinuent ainsi à monter en passant l'un au-dessus de l'autre. Il estclair que deux personnes montant par C et par D ne pouvaient ni se voirni se rencontrer. Sauval décrit encore de très-jolis escaliers qui setrouvaient à Saint-Méderic de Paris et qui dataient de la fin du XVesiècle. Voici ce qu'il en dit432:
«Il existait deux vis de Saint-Gille dans les deux tourelles qui sontaux deux côtés de la croisée hors-d'oeuvre. L'une est à pans et l'autreronde. Toutes deux ont été dessinées par un architecte très-savant etfort entendu à la coupe des pierres. La ronde est couverte d'une voûteen cul-de-four ou coquille, si bien et si doucement conduite, qu'il estdifficile d'en trouver une dont les traits fort doux et hardis soient nimieux conduits ni mieux exécutés. Sa beauté consiste particulièrement ensix portes qui se rencontrent toutes ensemble en un même endroit et surun même palier aussi bien que les traits de tous leurs jambages, et celasans confusion, chose surprenante et admirable. La colonne de cette visronde est en quelques endroits torse ou ondée, et quoique les traitspartent des deux arêtes où l'onde est renfermée, ils sont toutefois sibien conduits que la voûte en est toujours et partout de semblableordonnance.
«L'autre vis à pans est tantôt pentagone et tantôt hexagone. Son noyauest des plus grêles et ses arêtes des plus pointues, et est de haut enbas conduit avec la même délicatesse et la même excellence de l'autre.La merveille de ces deux vis consiste en leur petitesse et en latendresse des murailles qui les soutiennent, ne portant pas neuf poucesd'épaisseur (0m,23).»
Nous n'en finirions pas si nous voulions citer tous les textes quis'occupent des escaliers du moyen âge et particulièrement de ceux ducommencement de la Renaissance, car à cette époque c'était à qui, dansles résidences seigneuriales, les hôtels et les couvents mêmes,élèverait les plus belles vis et les plus surprenantes. Dans ladescription de l'abbaye de Thélème, Rabelais ne pouvait manquerd'indiquer une vis magistrale «cent fois plus magnifique» que n'estcelle de Chambord. «Au milieu (des bâtiments, dit-il)433 estoit unemerveilleuse viz, de laquelle l'entrée estoit par les dehors du logis enun arceau large de six toises. Icelle estoit faite en telle symétrie etcapacité, que six hommes d'armes, la lance sur la cuisse, pouvoient defront monter jusques au-dessus de tous le bastiment434.»
Nous avons vu comment Raymond du Temple avait disposé le grand escalierdu Louvre en dehors des bâtiments afin de n'être point gêné dans ladisposition des entrées, des passages de rampes et des paliers. Cetteméthode, excellente d'ailleurs, persiste longtemps dans la constructiondes habitations seigneuriales; nous la voyons adoptée dans le château deGaillon (14).
Ici l'escalier principal était posé à l'angle rentrantformé par deux portiques E F. On pouvait prendre la vis en entrant pardeux arcs extérieurs A A et par deux arcs B B donnant sous le portique,la première marche étant en D. Cette disposition permettait, aux étagessupérieurs, d'entrer dans les galeries par une ouverture percée dansl'angle en G435. Un pareil escalier ne pouvait en rien gêner lesdistributions intérieures. À Blois nous retrouvons un escalierindépendant des corps de logis et placé au milieu d'une des ailes aulieu d'être élevé dans un angle. Dans la construction du palais desTuileries, Philibert Delorme avait encore conservé cette tradition de lagrande vis du moyen âge, et son escalier placé dans le pavillon dit del'Horloge aujourd'hui passait, comme celui de Chambord, pour unemerveille d'architecture. D'ailleurs, les vis de Gaillon, de Blois, deChambord et des Tuileries étaient terminées par des lanternes qui, commecelle du grand escalier du Louvre, couronnaient le faîte et donnaiententrée sur une terrasse436. Quelquefois aussi ces vis étaientintercalées dans les constructions, mais de telle façon qu'ellesconservaient leurs montées indépendantes. On retrouve cette dispositionadoptée dans des châteaux du XVe siècle et du commencement du XVIe.Alors la vis, au lieu d'être en dehors du portique comme à Gaillon,laissait le portique passer devant elle.
La figure 15 présente en planun escalier établi d'après cette donnée. Un portique A B est planté àrez-de-chaussée devant les pièces d'habitation. La cage d'escalier esten retraite et carrée, son entrée est en E, la première marche en C.Dans les angles du carré des trompes arrivent à une corniche spirale etsoutiennent les marches d'angles, qui sont plus longues que les autres.De cette manière les gens qui montent ou descendent profitententièrement de la cage carrée, et, cependant, les marches délardées pardessous sont toutes de la même longueur, comme si elles gironnaient dansun cylindre.
La coupe de cet escalier, faite sur la ligne A B, figure16, indique clairement la disposition des rampes, de leurs balustrades,des arrivées sur le sol du portique à l'entre-sol en G, et au premier enH. Il existe une disposition d'escalier absolument semblable à celle-cidans le château de Châteaudun437. Mais dans la vis de Châteaudun lestrompes d'angle arrivent du carré à l'octogone, et des culs-de-lampesposés aux angles de l'octogone portent la corniche spirale, dont laprojection horizontale étant un cercle parfait soutient les bouts desmarches.
Une vue prise à la hauteur de la première révolution del'escalier de Châteaudun, figure 17, là où cette révolution coupe leportique du rez-de-chaussée dans sa hauteur, fait saisir l'arrangementdes trompes, des culs-de-lampes, de la corniche en spirale et desmarches délardées en dessous. Cet arrangement est d'ailleurs représentéen projection horizontale dans le plan (18).
Les trompes de la vis de Châteaudun sont appareillées; ce sont desplates-bandes légèrement inclinées vers l'angle; cet escalier était d'unassez grand diamètre pour exiger cet appareil. Dans des vis d'un moinsgrand développement, les angles, qui du carré arrivent à un octogone,n'ont pas autant d'importance; ces angles forment seulement un panabattu de façon à donner en projection horizontale un octogone à quatregrands côtés et à quatre plus petits. Alors ces trompes, ou ces goussetsplutôt, sont appareillés d'une seule pierre. L'escalier de l'hôtel de laTrémoille à Paris438 donnait en plan un carré avec un grand panabattu; les trois angles droits restant à l'intérieur étaient, sous lesmarches, garnis de trompillons pris dans une seule pierre sculptée. Nousdonnons, figure 19, l'un de ces trompillons. C'était dans ces angles quel'on plaçait les flambeaux destinés à éclairer les degrés. Ces flambeauxétaient, soit portés sur de petits culs-de-lampes, quelquefois dans depetites niches, soit scellés dans la muraille en manière de bras.
Les textes que nous avons cités précédemment indiquent assez combien,dans les habitations seigneuriales, on tenait à donner (au moins à daterdu XIVe siècle) une apparence de luxe aux grands escaliers. Lesarchitectes déployaient les ressources de leur imagination dans lesvoûtes qui les terminaient et dans la composition des noyaux. Il existeencore à Paris, dans la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, une grosse tourqui dépendait autrefois de l'hôtel que les ducs de Bourgogne possédaientrue Pavée-Saint-Sauveur. Cette tour, bâtie sur plan quadrangulaire,couronnée de mâchicoulis, contient une belle vis fermée à son sommet parune voûte retombant sur le noyau; les nervures de cette voûte en arcsd'ogive figurent des troncs de chêne d'où partent des branches feuilluesse répandant sous les voussures439. Les noyaux des escaliers à visprimitifs, ou portaient une voûte spirale (figure 7), ou faisaientpartie des marches elles-mêmes (figure 9). Lorsque l'on donna un granddiamètre à ces escaliers, il ne fut plus possible de prendre le noyaudans la marche; on élargit ces noyaux pour éviter l'aiguité des marchesse rapprochant du centre, et celles-ci furent encastrées dans ce noyaubâti par assises, ou bien encore on composa les noyaux de grandespierres en délit comme on le fait pour les poteaux des vis en charpente.Ce fut alors que l'on enrichit ces noyaux de sculptures délicates, qu'onles mit à jour quelquefois, et que les appareilleurs eurent l'occasionde faire preuve de science. Ces noyaux portèrent des mains-courantesprises dans la masse et des saillies en forme de bandeau spirale, pourrecevoir les petits bouts des marches.
Le noyau de l'escalier de Châteaudun, donné fig. 17, est couvertd'ornements très-délicats; il est monté en assises hautes; nous endonnons, fig. 20, un morceau. En A est la main-courante, et en B lebandeau recevant les marches dont l'incrustement est indiqué dans notredessin. Le noyau de la vis de l'hôtel de la Trémoille était fait detrois morceaux de pierre du haut en bas, posés en délit, couverts desculptures, et recevant de même, dans des encastrements, les houts desdegrés440. Les morceaux superposés de cet arbre de pierre étaientreliés entre eux au moyen de forts goujons de pierre dure. Inutile dedire que la taille de pareils noyaux, faite avant la pose, devait exigerune adresse et une connaissance du trait fort remarquables.
Parfois, dès le XIVe siècle, lorsqu'on n'avait qu'un très-petit espacepour développer les escaliers à vis intérieurs, on supprimaitentièrement le noyau afin de laisser du dégagement pour ceux quimontaient ou descendaient. Les marches étaient alors simplementsuperposées en spirale, et portaient chacune un boudin à leur extrémité,près du centre, pour offrir une main-courante; à la place du noyau étaitun vide. Voici (21), en A la moitié du plan d'une vis de ce genre, en Bsa coupe sur la ligne CD, et en G une de ses marches en perspective,avec l'indication au pointillé des surfaces non vues et du litinférieur. Il arrivait aussi que dans les intérieurs des appartements,et pour communiquer d'un étage à l'autre, on élevait des escaliersprenant jour sur les salles, des vis enfermées dans des cages en partieou totalement à claire-voie. Il existe deux charmants escaliers de cegenre, qui datent du commencement du XIIIe siècle, dans les deux sallesde premier étage des tours de Notre-Dame de Paris. Nous ne croyons pasnécessaire de les donner ici, car ils ont été gravés plusieurs foisdéjà, et sont parfaitement connus.
On voit une de ces vis, enclose entredes colonnes, dans la cathédrale de Mayence, et qui date du milieu duXIIIe siècle; nous donnons (22) la moitié de son plan et une révolutionentière441. À partir du mur circulaire qui ne monte que jusqu'auniveau A, la construction consiste seulement en des marches portantnoyau, et en des colonnettes, toutes d'égale hauteur, soutenant chacunel'extrémité extérieure d'une marche. Rien n'est plus simple et plusélégant que cette petite construction. On voit aussi des escaliers de cegenre à la partie supérieure des tours des cathédrales de Laon et deReims. Ces vis s'élèvent au milieu des grands pinacles qui, du dernierétage de la façade, forment aux quatre angles des tours une décorationajourée dans toute leur hauteur. Les vis des tours de Reims ont cela departiculier, que trois marches sont prises dans une seule assise (lesmatériaux avec lesquels ce monument fut élevé sont énormes), et que lesbouts extérieurs de ces marches sont soulagés par des morceaux depierres en délit. Chaque bloc est donc taillé conformément au tracéperspectif, fig. 23.
Des chandelles de pierre B viennet soulager lesportées A, puis se poser au-dessus des extrémités des marches en C. Parle fait, c'est le noyau D qui porte toute la charge, et les pierres B nesont qu'une suite d'étançons formant clôture à jour. Il arrive aussi queces vis sont mi-partie engagées dans la muraille, mi-partie ajourées;c'était ainsi qu'étaient disposés la plupart des escaliers intérieursqui mettaient en communication deux pièces superposées. L'escalier de latribune de l'église Saint-Maclou de Rouen (XVIe siècle), celui du choeurde la cathédrale de Moulins (XVe siècle), fournissent de très-jolisexemples de ces sortes de vis prenant jour sur les intérieurs.
Nous avons vu comment les marches des vis forment naturellement plafondrampant par-dessous les degrés; comment ces marches sont délardées ousimplement chanfreinées, ou même laissées à angles vifs, donnant ainsicomme plafond la contre-partie du degré. Mais il arrivait que l'on étaitparfois obligé d'établir des rampes droites ou circulaires à travers desconstructions massives, dans les châteaux, dans les tours. Lescouvertures de ces rampes avaient alors un poids considérable à porter.Si ces rampes étaient larges (comme le sont en général les descentes decaves dans les châteaux), les architectes n'osaient pas fermer cesescaliers par des plafonds rampants, composés d'une suite de linteaux,dans la crainte des ruptures. Alors, que faisaient-ils?
Ils bandaientune suite d'arcs brisés A ou plein ceintres A' juxtaposés (24), maissuivant la déclivité des degrés, ainsi que l'indique la coupe B. Cesarcs avaient tous leur naissance sur le même nu; ils étaient toustaillés sur la même courbe. Si l'intrados de leurs sommiers venaitmourir au nu du mur, l'extrados arrivait en C. Ces sommiers étaient doncégalement assis, et les appareilleurs ou poseurs évitaient lesdifficultés de coupe et de pose des voûtes rampantes, dont les sommierssont longs à tracer, occasionnent des déchets de pierre considérables etnécessitent des soins particuliers à la pose. Si ces degrés, à traversdes constructions, étaient étroits, si les architectes possédaient despierres fortes, ils se contentaient de juxtaposer, suivant la déclivitédes rampes, une série de linteaux soulagés par des corbeaux au droit desportées (voy., fig. 24, le tracé D et la coupe E). Ces constructions,fort simples, produisent un bon effet, ont un aspect solide etrésistant; elles indiquent parfaitement leur destination et peuventimpunément être pratiquées sous des charges considérables. Les voûtesbandées par ressauts n'ont pas, sous des gros murs ou des massifs,l'inconvénient de faire glisser les constructions supérieures, commecela peut arriver lorsque l'on établit sous ces charges des berceauxrampants. Quelquefois dans les rampes couvertes par des linteaux, aulieu de simples corbeaux posés sous chacun de ces linteaux, c'est unlarge profil continu qui ressaute d'équerre au droit des pierres formantcouverture, ainsi que l'indique la fig. 25. D'une nécessité deconstruction ces architectes ont fait ici, comme partout, un motif dedécoration.
ESCALIERS DE CHARPENTE ET DE MENUISERIE.--Des escaliers de boisantérieurs au XVIe siècle, il ne nous reste que très-peu de fragments.Les plus anciens sont peut-être les deux vis du sacraire de laSainte-Chapelle de Paris442; il est vrai que ce sont deschefs-d'oeuvre de menuiserie du XIIIe siècle. Cependant les architectesdu moyen âge avaient poussé très-loin l'art de disposer les escaliers debois dans des logis, et en ceci leur subtilité avait dû leur venir enaide, car de toutes les parties de la construction des édifices oumaisons particulières, l'escalier est celle qui demande le plusd'adresse et d'étude, surtout lorsque, comme il arrivait souvent dansles villes et même les habitations seigneuriales du moyen âge, onmanquait de place. Ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant lesintérieurs des châteaux et des maisons, les architectes faisaient desescaliers de bois à un ou deux ou quatre noyaux, à double rampe; ilsallaient jusqu'à faire des escaliers à vis en bois tournant sur unpivot, de manière à masquer d'un coup toutes les portes des appartementsdes étages supérieurs. Dans sonThéâtre de l'art du Charpentier,Mathurin Jousse (1627) nous a conservé quelques-unes de ces méthodesencore usitées de son temps443. «Personne n'ignore, dit cetauteur444, qu'entre toutes les pièces de la charpente d'un logis, lamontée ne cède en commodité et utilité à aucune autre; estant lepassage, est comme l'instrument commun de l'usage et service que rendentles chambres, estages et tout l'édifice: et si elle est utile, ellen'est pas moins gentille, mais aussi difficile, tant pour le tracement,joinctures et assemblages, que pour la diversité qui se retrouve enicelles: car outre les ordinaires, qui se font communes à toutes leschambres d'un logis, il y en a qui (bien qu'elles soient communes) ontnéantmoins telle propriété, que deux personnes de deux divers logis ouchambres peuvent monter par icelles sans s'entre-pouvoir voir: et parainsi une seule fera fonction de deux, et sera commune sans l'estre. Ils'en fait encores d'autres façons, non moins gentilles que lesprécédentes: car estans basties sur un pivot, elles se tournentaisément, de sorte qu'en un demy-tour elles peuvent fermer toutes leschambres d'une maison, et forclorre le passage aux endroicts oùauparavant elle le donnoit...»
Avant de présenter quelques exemples d'escaliers en charpente oumenuiserie, il est nécessaire d'indiquer d'abord quels sont les élémentsdont se composent ces montées. Il y a les escaliers à limons droits avecpoteaux, les escaliers à noyaux et les escaliers à vis sans noyaux et àlimons spirales. Les marches, dans les escaliers en bois du moyen âge,sont toujours pleines, assemblées dans le limon à tenons et mortaises.
Soit (26) un limon droit présenté en face intérieure en A et en coupe enB; chaque marche portera un tenon C avec un épaulement D, et seralégèrement embrévée dans le limon en E. Ces marches seront délardéespar-dessous et formeront plafond rampant. Le limon portera aussi lespoteaux de balustrades G qui viendront s'assembler dans des mortaisespratiquées dans les renforts H. Les bouts des marches avec leur tenonsont figurés en K. Ces marches étant pleines sont prises,habituellement, dans des billes de bois ainsi que l'indique le tracé L.Trois sciages I divisent la bille en chêne de 0,50 c. de diamètre, ouenviron en six triangles dans chacun desquels on trouve une marche, defaçon à ce que le devant de chaque marche soit placé du côté du coeur dubois, le devant des marches étant la partie qui fatigue le plus. S'ilreste quelques parties d'aubier ou des flaches, elles se trouvent ainsidans la queue de la marche qui ne subit pas le frottement des pieds.Cette façon de prendre les marches en plein bois, le devant vers lecoeur, a en outre l'avantage d'empêcher les bois de se gercer ou de segauchir, les sciages étant précisément faits dans le sens des gerces. Cedébillardement des marches ne perd aucune des parties solides etrésistantes du bois, les marches se trouvent toutes dans les mêmesconditions de dureté, et il reste en M de belles dosses que l'on peututiliser ailleurs. On reconnaît que les constructeurs ont, soit pour leslimons, soit pour les marches, choisi leurs bois avec grand soin afind'éviter ces dislocations et ces gerces si funestes dans des ouvrages dece genre. Quelquefois, mais rarement, les marches sont en noyer ou enchâtaignier445.
Ces premiers principes de construction posés, examinons d'abord unescalier à deux rampes et à paliers avec marches palières, limons droitset poteaux d'angle; c'est l'escalier de charpente le plus simple, celuiqui se construit par les moyens les plus naturels. Voici, fig. 27, en A,le plan d'une montée établie d'après ce système; la première marche esten B, on arrive au premier palier C, on prend la seconde rampe dont lamarche est en D, on monte jusqu'au palier E, qui est au niveau dupremier étage, et ainsi de suite pour chaque étage. L'échelle du planest de 0,01 c. pour mètre. Faisons une coupe longitudinale sura b, etprésentons la au double pour plus de clarté. Ses quatre poteaux d'anglesmontent de fond et se posent sur un parpaing de pierre. Le premier limonrepose également sur cette assise et vient s'assembler dans le poteau Fqui reçoit à mi-bois la marche palière G, soulagée encore par unepoutrelle assemblée à tenons et mortaises, et reposant sur le renfort H.Passons à la troisième rampe qui est semblable en tout à la seconde, etqui est figurée dans la coupe. Le limon est soulagé dans sa partie parun gousset I et un lien K. Les grands liens sont surtout nécessairespour empêcher le roulement et les poussées qui ne manquent pas de seproduire dans un escalier de ce genre s'il dessert plusieurs étages; ilsroidissent tout le système de charpente, surtout si, comme nous l'avonstracé, on établit un panneau à jour dans le triangle formé par lepoteau, le limon et ce lien. Les montants des balustrades sont assemblésdans les limons, et leurs mains-courantes dans les poteaux.
Examinons maintenant comment se combinent les assemblages des limonsdans les poteaux, les marches palières, les poutrelles de buttée despaliers, etc. Fig. 28: en A, nous avons tracé sur une même projectionverticale les poteaux en regard, la marche palière, la marche d'arrivéeet celle de départ (c'est le détail de la partie L de la fig. 27); en Best figuré le poteau; en C, la poutrelle de buttée avec son double tenonet son profil en C'; en D, le gousset du limon de départ; en EE', lelimon d'arrivée; en FF', le limon de départ avec son tenon; en G, ladernière marche faisant marche palière; en H, la première marche dedépart posant sur la marche palière avec son tenon I s'assemblant dansle poteau; en K, la partie de la marche palière vue en coupe entre lesdeux poteaux. Cette marche palière, assemblée à mi-bois dans le poteauet reposant en partie sur la poutrelle C, est fortement serrée dans sonassemblage au moyen d'un boulon qui vient prendre le gousset D. Lespoteaux ont 0,18 c. sur 0,20 posés de champ dans le sens del'emmarchement. Le gousset D et les limons EE', FF' ne sont pasassemblés dans les milieux des poteaux; ces limons portent 0,15 c.d'épaisseur, et affleurent le nu extérieur des poteaux (voir le plan).Voyons les divers assemblages pratiqués dans le poteau, tracés dans ledétail perspectif O. En N est le renfort destiné à recevoir la poutrellede buttée C; en P, les deux mortaises et l'embrévement d'assemblage decette poutrelle; en R, l'entaille dans laquelle se loge la marchepalière avec le trou S du boulon; en T, le gousset. Le tracé perspectifQ nous montre la marche palière du côté de ses entailles entrant danscelles R des poteaux. La dernière marche d'arrivée est figurée en U; lapremière marche de départ en V avec son embrévement et son tenon X; onvoit en Y le trou de passage du boulon. Ce système d'escaliers à rampesdroites avec paliers persista jusqu'au XVIIe siècle; il était fortsolide, ne pouvait se déformer comme la plupart de nos escaliers, dontles limons attachés seulement aux marches palières finissent toujourspar fléchir. C'est de la véritable charpente dont tous les assemblagessont visibles, solides, et composent seuls la décoration. Rien nes'opposait d'ailleurs à ce qu'on couvrît ces poteaux, ces limons, cesliens, ces balustrades, de sculptures et de peintures; aussi lefaisait-on souvent.
On faisait en bois des escaliers à vis aussi bien qu'en pierre. Les plusanciens étaient construits de la même manière, c'est-à-dire que lesmarches étaient pleines, superposées, et portaient noyau. On enfaçonnait à doubles limons qui pouvaient posséder deux rampes, ainsi quenous l'avons dit plus haut, c'est-à-dire (29) qu'en entrantindifféremment par l'une des deux portes CC', on prenait l'une oul'autre rampe dont la première marche est en A. C'était un moyen dedonner entrée dans les pièces des étages supérieurs par des portespercées au-dessus de celles CC'. La personne qui sortait par la porte Cne pouvait rejoindre celle sortant par la porte C', les deux rampesgironnant l'une au-dessus de l'autre. Les deux noyaux étaient réunis pardeux limons B se croisant. Ces escaliers, fort communs pendant le moyenâge et jusqu'au XVIIe siècle, étaient commodes, et on ne s'explique paspourquoi on a cessé de les mettre en oeuvre. D'un bout les marchesdébillardées, pleines, s'assemblaient à tenon et mortaise dans les deuxnoyaux et dans les limons; de l'autre, elles étaient engagées dans lamaçonnerie ou portaient sur un filet en charpente cloué le long d'un pande bois.
Mais souvent les escaliers à vis en bois étaient complétement isolés,formaient une oeuvre indépendante de la bâtisse. Ces escaliers mettaienten communication deux étages, et on les plaçait dans l'angle d'une piècepour communiquer seulement à celle au-dessus. C'était là plutôt uneoeuvre de menuiserie que de charpenterie, traitée avec soin et souventavec une grande richesse de moulures et de sculpture. Toutefois, lesmarches de ces escaliers de menuiserie restèrent pleines jusque pendantle XVe siècle, portaient noyaux, et étaient réunies au centre au moyend'une tige de fer rond, d'un boulon, qui les empêchait de dévier.
Chaquemarche (30), possédait son montant dans lequel elle venait s'assembler.Ces montants, d'un seul morceau pour chaque étage, étaient assemblés aupied dans un plateau en charpente, et au sommet dans un cercle égalementen charpente. Cela formait une cage cylindrique ou un prisme ayantautant de pans qu'il y avait de marches en projection horizontale. Nousdonnons en A le plan d'un quart d'un escalier de ce genre portant douzemarches sur sa circonférence. Les montants sont en B, et le noyau portépar chaque marche en C. Les espaces EF donnent le recouvrement desmarches l'une sur l'autre, le devant de chaque marche étant en F, et lederrière en E. Si nous faisons une élévation de ce quart decirconférence de l'escalier, nous obtenons la projection verticale G. Onvoit en I le boulon qui enfile les assises de noyau tenant à chaquemarche. Les abouts des marches paraissent en K, et reposent sur ungousset embrévé dans les montants. Le détail O donne la sectionhorizontale d'un montant au dixième de l'exécution. Ena est le tenondu derrière de la marche indiquée ena' sur le tracé perspectif M; enb est l'embrévement de la tête du gousset; son tenon est indiqué enb' sur le tracé perspectif N; le derrière de la marche étant ene,et le devant de la marche au-dessus enf. Chaque marche, reposant surla queue de celle au-dessous qui porte le tenona, n'a pas besoin d'untenon sur le devant, d'autant que ces marches portent en plein sur legousset J muni d'une languette P destinée à arrêter leurs abouts T. Uneentaille R faite dans le poteau permet en outre à la marche des'embréver dans ce montant. Le tracé perspectif M montre le devant de lamarche élégi en S, l'about visible à l'extérieur en T, les deuxentailles laissant passer les montants et s'y embrévant en Q,l'embrévement de la languette du gousset sous l'about et ledébillardement postérieur en V, pratiqué pour dégager et allégir. C'estd'après ce principe que sont taillés les deux escaliers du sacraire dela Sainte-Chapelle du Palais (XIIIe siècle), et quelques escaliers debeffroi, notamment celui de la tour Saint-Romain à Rouen (XVe siècle).Deux des montants, coupés à deux mètres du sol, et reposant sur unetraverse assemblée dans les poteaux voisins, permettaient d'entrer dansces cages et de prendre la vis. Il est clair qu'on pouvait orner lesmontants de chapiteaux, de moulures, que les goussets pouvaient êtrefort riches et les abouts des marches profilés. Le boulon d'axe excepté,ces escaliers étaient brandis et maintenus assemblés sans le secours deferrures; c'était oeuvre de menuiserie, sans emploi d'autres moyens queceux propres à cet art si ingénieux lorsqu'il s'en tient aux méthodes etprocédés qui lui conviennent.
Vers le commencement du XVe siècle, on cessa généralement, dans lastructure des escaliers à vis en charpente ou menuiserie, de faireporter à chaque marche un morceau du noyau. Celui-ci fut monté d'uneseule pièce, et les marches vinrent s'y assembler dans une suite demortaises creusées les unes au-dessus des autres suivant la rampe. C'estce qu'on faisait à la même époque pour les escaliers à vis en pierre,ainsi que nous l'avons dit plus haut. De même que l'on sculptait lesnoyaux en pierre, qu'on y taillait des mains courantes, qu'on yménageait des renforts pour recevoir les petits bouts des marches, demême on façonnait les noyaux en charpente. Nous avons vu démolir dansl'ancien collége de Montaigu, à Paris, un joli escalier à vis enmenuiserie, dont le noyau pris dans une longue pièce de bois de douze àquinze mètres de hauteur était fort habilement travaillé en façon decolonne à nervures torses avec portées sous les marches et maincourante.
Nous donnons (31) la disposition de ces noyaux de charpente audroit de l'assemblage des marches. En A on distingue les mortaises dechacune de ces marches avec l'épaulement inférieur B pour soulager lesportées; en C est la main courante prise dans la masse commel'épaulement; son profil est tracé en D coupé perpendiculairement à soninclinaison; le profil de la corniche avec l'épaulement est tracé en E.
Avant de finir cet article, disons un mot de ces escaliers pivotantsdont parle Mathurin Jousse, et qui devaient être employés dans des logisoù l'on avait à craindre les surprises de nuit, dans les manoirs et lesdonjons. Ces escaliers s'établissaient dans une tour ronde, dans uncylindre de maçonnerie percé de portes à la hauteur des étages où l'onvoulait arriver. L'escalier était indépendant de la maçonnerie, et secomposait (32) d'un arbre ou noyau à pivot supportant tout le système decharpente. Le plan de cet escalier est figuré en A, et sa coupe en B. Àchaque étage auquel il fallait donner accès était ménagé un palier Cdans la maçonnerie. Nous supposons toutes les portes percées au-dessusde celle D du rez-de-chaussée. La première marche est en E; de E en F,les marches sont fixes et sont indépendantes du noyau en charpente montésur un pivot inférieur en fer G, et maintenu au sommet de la vis dans uncercle pris aux dépens de deux pièces de bois horizontales. La premièremarche assemblée dans le noyau est celle H; elle est puissammentsoulagée ainsi que les trois suivantes par des potences I. À partir decette marche soulagée H, commence un limon spirale assemblé dans lesabouts des marches, et portant une cloison en bois cylindrique percée deportes au droit des baies de maçonnerie D. Au-dessus de la troisièmemarche (partant de celle H) les autres marches jusqu'au sommet de la visne sont plus soulagées que par les petits liens K, moins longs que lespotences I, afin de faciliter le dégagement. Ainsi toutes les marches,le limon et la cloison cylindrique portent sur l'arbre pivotant O.Lorsqu'on voulait fermer d'un coup toutes les portes des étages, ilsuffisait de faire faire un quart de cercle au cylindre en tournant lenoyau sur son axe. Ces portes se trouvaient donc masquées; entre lamarche F et celle H il restait un intervalle, et les personnes quil'auraient franchi pour pénétrer dans les appartements, trouvant unemuraille en face les ouvertures pratiquées dans le cylindre, nepouvaient deviner la place des portes véritables correspondant à cesouvertures lorsque l'escalier était remis à sa place. Un simple arrêtposé par les habitants sur l'un des paliers C empêchait de faire pivotercette vis. C'était là un moyen sûr d'éviter les importuns. Nous avonsquelquefois trouvé des cages cylindriques en maçonnerie dans deschâteaux, avec des portes à chaque étage, sans aucune trace d'escalierde pierre ou de bois; il est probable que ces cages renfermaient desescaliers de ce genre, et nous pensons que cette invention est fortancienne; il est certain qu'elle pourrait être utilisée lorsqu'il s'agitd'arriver sur plusieurs points de la circonférence d'un cercle à un mêmeniveau. Nous avons l'occasion de parler des escaliers dans les articlesCHÂTEAU, MAISON, MANOIR, PALAIS.
Note 423:(retour) C'était bien là en effet le but que se proposaient les architectes du moyen âge. De plus, en plaçant ainsi les grands escaliers hors-oeuvre, ils ne dérangeaient pas les distributions intérieures, prenaient autant de jours qu'ils voulaient et disposaient leurs paliers sans embarras.
Note 443:(retour) Nous l'avons dit déjà bien des fois, la Renaissance en France ne fut guère qu'une parure nouvelle dont on revêtissait l'architecture; le constructeur, jusqu'au milieu du XVIIe siècle, restait français, conservait et reproduisait ses vieilles méthodes beaucoup meilleures que celles admises depuis cette époque jusqu'à la fin du dernier siècle.
ESCHIF, s. m. Petite fortification flanquante que l'on faisait pourdéfendre les approches d'une porte, pour enfiler un fossé, lorsque lesenceintes des villes consistaient en une simple muraille. Souvent leseschifs étaient des ouvrages en bois que l'on établissait provisoirementsi le temps ou les ressources manquaient pour élever des tours. Lebeuf,dans sonHistoire de la ville d'Auxerre446, dit qu'à la fin du XIVesiècle, on éleva autour de la ville d'Auxerre plusieurs eschifs. «Ondémolissoit en certains endroits et on rebâtissoit en d'autres; ondonnoit la forme de véritables tours à ce qui, auparavant, n'étoit qu'unsimple eschif; en un mot on fortifioit la ville à proportion du produitdes octrois que les rois Charles V et Charles VI avoient accordés.»Après un siége durant lequel les murailles avaient été endommagées etles tours démantelées, on posait sur les courtines des eschifs (1) pourcommander les dehors, pendant qu'on faisait exécuter les réparationsjugées nécessaires447.
ESCOPERCHE, s. f. Perche ou baliveau posé verticalement pour soutenirles boulins d'un échafaud de maçon (voy. ÉCHAFAUD). L'escoperche estaussi une pièce de bois munie d'une poulie à son extrémité supérieure,et qu'on attache au sommet d'une chèvre pour en augmenter la hauteur oului donner plus de nez.
ESTACHES, s. f. S'emploie au pluriel, et signifiait, pendant le moyenâge, une réunion de pieux (voy. CLÔTURE).
ÉTAI, s. m. Pièce de bois droite, rigide, dont on se sert pour soutenirune construction qui menace ruine. On ne peut mettre en doute que lesarchitectes, à dater du XIIIe siècle, n'aient été fort habiles dansl'art d'étayer les constructions, soit pour les consolider au moyen dereprises en sous-oeuvre, soit pour en modifier les dispositionspremières. La facilité avec laquelle on se décidait, au moment oùl'architecture gothique apparut, à changer et reconstruire en partie desbâtiments à peine achevée afin de les mettre en harmonie avec lesméthodes nouvelles qui progressaient rapidement, tient du prodige, et nepeut être comparée qu'à ce que nous voyons faire de notre temps.
Comme les architectes de cette époque du moyen âge opéraient sur desconstructions généralement légères, dans lesquelles on ne trouve jamaisun excès de force, il fallait nécessairement que leurs procédésd'étaiement fussent très-parfaits, car ces constructions pondérées,tenues en équilibre par des forces agissant en sens inverse, nepouvaient se maintenir debout du moment qu'on en enlevait une partie, etil y avait à craindre, dans certains cas, que les étaiements n'eussentune puissance de poussée assez forte pour déranger l'équilibre desconstructions que l'on prétendait conserver. À voir la nature desreprises en sous-oeuvre exécutées par les constructeurs du moyen âge, onne peut douter qu'ils n'aient employé très-fréquemment les chevalements,genre d'étaiement qui porte verticalement sans exercer aucune poussée nipression. Ainsi les reprises faites vers le milieu du XIIIe siècle dansle choeur de l'église de Saint-Denis, celles beaucoup plus hardiesfaites à la fin de ce siècle dans le choeur de la cathédrale deBeauvais; vers le commencement du XIVe siècle, dans les collatéraux duchoeur de Notre-Dame de Paris, près de la croisée, dans la cathédrale deNevers, dans celle de Meaux, dénotent une hardiesse et une habiletésingulières. Il nous serait impossible de fournir des exemples de tousles cas d'étaiement qui peuvent se présenter; l'adresse, le savoir etl'expérience du constructeur peuvent seulement lui prescrire le systèmed'étaiement que chaque cas particulier demande. Nous nous garderons deprescrire des méthodes bonnes en telle circonstance, funestes end'autres; nous nous contenterons d'indiquer des principes généraux.Ainsi, lorsqu'on étaye une partie d'un édifice, on ne doit pas songerseulement à prévenir les effets d'un mouvement dangereux qui s'estproduit dans la construction, il faut prendre ses dispositions pour que,la partie à remplacer étant enlevée, les pesanteurs ou les poussées nepuissent agir dans le sens ou contrairement à l'effet produit; il fautque tout étaiement soit neutre.
Si, par exemple, nous devons reprendre en sous-oeuvre les piles d'unvaisseau dans lequel l'effet indiqué, fig. 1, se serait produit,l'étaiement AB, excellent pour arrêter la torsion des piliers CD, seradangereux si nous enlevons la colonne DE pour la remplacer par uneautre, car les pesanteurs, agissant de C en E, solliciteront l'étai AB àpivoter sur son patin G, et à faire rentrer l'arc IK en I'K; ce quiproduira une dislocation de toute la construction et un affaissement desparties supérieures. Dans ce cas, il faut se bien garder de rien fairequi puisse modifier le bouclement de B en E. On doit se contenter deposer une batterie d'étrésillons LM, fig. 1 bis, et de placer de chaquecôté de la pile à reprendre des chevalements NO, les arcs latéraux bienentendu étant cintrés; alors on pourra enlever la pile RP et lareconstruire verticalement en ramenant son pied en R'.
Lorsqu'il s'agitd'étayer un mur derrière lequel sont construites des voûtes, pour lereprendre en totalité ou en partie, fig. 2, la première opération àfaire c'est de cintrer les arcs AB de la voûte; quant à la pose desétais extérieurs, leur tête doit porter exactement au-dessus du point oùla rupture est particulièrement apparente. Si la rupture du mur ou ducontre-fort est en C, la tête de l'étai doit porter en D, et pourrecevoir cette tête, il est prudent de relancer d'abord dans lamaçonnerie un bon morceau de pierre dure afin de ne pas faire porter surcette tête un parement friable, fatigué ou sans liaison avec le massif.
Soit A, fig. 2 bis, le vieux parement, on relancera avant tout une forteboutisse B en pierre dure faisant saillie sur le parement, et, posantsous son lit inférieur une bonne calle C en coeur de chêne, on serreraau-dessous la tête de l'étai D. Il n'est pas besoin de dire quel'architecte doit apporter la plus grande attention, en tous cas, au solsur lequel repose la plate-forme,plateselle,sole oupatinrecevant le pied d'un étai; trop souvent on néglige de s'assurer de laqualité résistante de ces points d'appuis; il en résulte que les étaisenfoncent leurs patins sous la charge. Ces plates-formes doivent êtreposées sur un sol uni; elles doivent être larges, épaisses, bien calléessuivant l'inclinaison voulue, et garnies en bon plâtre par-dessous. ÀParis, l'habitude que l'on a de faire de très-grandes constructions, dereprendre en sous-oeuvre des maisons très-élevées et très-lourdes, faitque l'on étaye généralement avec adresse et solidité; mais en province,nos architectes et entrepreneurs n'apportent pas toujours, dans cesopérations délicates, l'attention et le soin qu'elles exigent.
Le meilleur bois pour faire des étais est évidemment le sapin, parcequ'il est droit, long et extrêmement roide; il est difficile de faire debons étaiements en chêne, d'une longueur médiocre généralement, courbesouvent, lourd, d'un levage plus pénible par conséquent. Toutefois, dansles étaiements, le chêne doit être de préférence employé pour lesplates-formes, pour les calles et les chapeaux des chevalements, parceque son tissu ne s'écrase pas sous la charge comme celui du sapin. Lepeuplier, que dans quelques parties de la France on emploie comme étai,est un bois beaucoup trop flexible; il se courbe et se tourmente en toutsens sous la charge, si bien moisé qu'il soit.
Pour obtenir un étaiement simple d'une grande puissance, on ne doitjamais se fier à un seul brin de sapin, si gros et sain qu'il soit; ilest nécessaire de doubler l'étai, c'est-à-dire de placer deux étais dansle même plan perpendiculaire à la face du mur ou de la pile à étayer, etde moiser ensemble ces deux étais.
Un étaiement puissant est celui-ci,fig. 3, et jamais les deux ou trois brins posés dans un même plan nedoivent être parallèles; ils doivent toujours former un triangle ou uneportion de triangle, par cette raison qu'un triangle ne peut sedéformer: étant moisés, les brins posés non parallèles présentent untout homogène, comme une équerre énorme; tandis qu'étant parallèles, ilspeuvent, ainsi que le démontre la fig. 3 bis, si bien moisés qu'ilssoient, se contourner sous la charge. Il n'est pas indifférent de poserles étais plus rapprochés au sommet ou au pied.
Si (fig. 3) un mur ABprésente un bouclement brusque en C, la batterie d'étais devra êtreposée comme l'indique le tracé D, c'est-à-dire que les deux brins serontplus écartés à leur pied qu'à leur sommet, car le bouclement étant en C,s'il faut soutenir et buter la partie supérieure A, il serait dangereuxd'agir sous forme de pression de l'extérieur à l'intérieur en E, ce quiarriverait infailliblement si le grand brin GH prenait charge; alors onrisquerait d'aggraver la rupture de la maçonnerie au-dessous dubouclement. Mais si un mur est bouclé d'une manière uniforme, ainsi quel'indique le tracé F, les deux brins d'étais doivent être plus écartés àleur sommet qu'à leur pied, car si la maçonnerie s'appuie sur le brinsupérieur G'H', et que ce brin prenne charge, toute la pesanteur et lapoussée du dedans au dehors se reporteront sur le second brin IK; ilfaut alors que celui-ci ne porte pas seulement, mais qu'il contre-butte,par son inclinaison, le bouclement qui tendrait à s'augmenter en K.
S'il est nécessaire de poser des brins doublés et même triplés dans unplan perpendiculaire au mur à étayer lorsqu'on veut obtenir une grandeforce, et pour empêcher les brins de se courber dans leur plan, il fautaussi les empêcher de se courber en sortant du plan perpendiculaire, dese gauchir, en un mot; pour ce faire, il est bon de poser des batteriesd'étais comme l'indique la fig. 4, en plan et en perspective; ces deuxbatteries non parallèles devront être rendues solidaires par des moises.Ainsi, par la disposition des étais, le système ne formera plus qu'uncorps solide, très-résistant, représenté par le tracé O, une manière decontre-fort d'un seul morceau ne pouvant ni glisser ni se déformer. Cessortes d'étaiements sont très-bons pour maintenir des murs de terrassespoussés par des terres, et qui menacent de céder à une très-fortepression.
Rien n'est plus satisfaisant pour l'oeil qu'un étaiement bien combiné etexécuté. Tout architecte qui aime son art ne doit pas seulement indiquerla disposition des étaiements, il doit encore veiller avec une sorte decoquetterie à ce que le charpentier emploie des bois proportionnés commeforce à leur destination; à ce que les brins soient nets, bien coupéscomme il convient; à ce que les moises soient entaillées, coupées delongueur, ni trop fortes ni trop minces; à ce que les plates-formesprésentent sous le pied des étais une surface lisse, plane, un sciage,autant que possible, afin de permettre de serrer les étais parfaitementdans leur plan; à ce que les calles soient proprement coupées, en bonbois, les broches ou pointes qui les maintiennent enfoncées droit; à ceque les maçonneries sous les plates-formes soient faites avec soin,débordant régulièrement de chaque côté la largeur des plates-formes.
Il se présente des circonstances où on ne peut, ni poser deschevalements, ni des étais ordinaires, ni des étrésillons, et où il fautreprendre, par exemple, une pile en sous-oeuvre, parce que les assisesinférieures se seraient écrasées ou auraient été endommagées gravement.
Soit, fig. 5, une pile cylindrique A portant des arcs dans tous lessens, quatre arcs doubleaux et quatre arcs ogives; cette pile soutientdeux ou trois étages d'autres piles avec voûtes: impossible, nid'étayer, ni d'établir des chevalements. On peut cintrer les huit arcs,mais cela n'empêchera pas le poids des piles supérieures d'agir sur lapile inférieure. Les assises basses de cette pile sont écrasées. Nousétablirons un châssis en bois de chêne d'un fort équarrissage qui serafait ainsi que l'indique le tracé B en perspective, et B' en plan, avecdes joints, des tenons et mortaises gais, des boulonsb et des clefsc qui permettront de serrer fortement ce châssis contre le cylindre.Ce châssis enveloppera la pile cylindrique au-dessous de l'astragale duchapiteau (voir le tracé D); nous maçonnerons en bon plâtre toutl'intervalle entre le dessus du châssis C et les cornes du tailloir E duchapiteau. Sous les angles du châssis nous poserons huit chandelles G,indiquées aussi en G' sur le tracé B, assez inclinées pour nouspermettre de passer les assises à remplacer H. Mais sous le chapiteau ilexiste un ou deux tambours intacts qu'il faut conserver. Nous feronsfaire quatre équerres en fer, suivant le tracé F, de la hauteur destambours à conserver; ces équerres seront fixées avec des vis à têtecarrée et entaillées sur le châssis; leur patte I viendra mordre le litinférieur du tambour à conserver. Cela fait, nous pourrons enleverl'assise K à la masse et au poinçon, puis déposer les tamboursinférieurs et les remplacer en pierre neuve.
Si toute la pile inférieureest écrasée, si son chapiteau est brisé, si les sommiers des arcs sontmauvais, nous procéderons de la même manière pour le chapiteau de lacolonne au-dessus, fig. 6: nous ferons passer les huit chandelles àtravers les huit remplissages des voûtes (voir le plan M) en P, nousferons descendre nos équerres en fer jusqu'au point malade, soit O, etnous démolirons toute la partie inférieure pour la rebâtir ensous-oeuvre; enlevant les voûtes (une fois la pile supérieure étayée),nous remonterons d'abord la pile inférieure avec ses sommiers d'arcs,et, cela terminé, on enlèvera les chandelles et le châssis, et onreposera les voûtes sur cintres sans embarras.
Si l'on ne peut se fier à la solidité des chapiteaux ou si les pilesn'en possèdent pas, si ces chapiteaux eux-mêmes sont à reprendre parcequ'ils seraient brisés, on peut avoir recours à des chevalements avecchapeaux en fer.
Il arrive, par exemple, que des piliers (7) recevant deux archivoltes A,deux arcs ogives B et un arc-doubleau C, plus en D la charge de pilessupérieures portant des voûtes hautes, ont été affamés, brisés, ouqu'ils se sont écrasés jusques au-dessus des sommiers des arcs. Dans cecas, pour reprendre ces piliers, leurs chapiteaux et leurs sommiers ensous-oeuvre, il ne s'agit pas seulement d'étayer les constructionssupérieures; il faut encore que ces étaiements permettent de manoeuvrerde gros blocs entre eux et de les faire arriver à leur place, sans tropde difficulté, de les bien poser et de les bien ficher. Étayer n'estrien, mais étayer de manière à permettre de reconstruire entre les étaisest souvent un problème difficile à résoudre.
Soit donc E', en élévation la pile E; non-seulement cette pile estmauvaise, mais les sommiers des arcs sont brisés jusqu'en F. À partir dece niveau, la maçonnerie, qui prend plus d'épaisseur, s'est conservée;il s'agit d'enlever toute la construction comprise entre F et G.
D'abord, nous poserons un cintre sous l'arc-doubleau C, deux cintressous les deux arcs-ogives B, puis, fig. 7 bis, nous poserons sous lesdeux archivoltes A deux étaiements disposés comme l'indique notre tracé;en HH nous placerons deux étais ordinaires pour bien maintenir le déversde la pile, nous enlèverons les premiers claveaux des archivoltes de Ien K; ce qui nous permettra de faire deux entailles L dans les tas decharge conservés pour faire passer deux fortes pièces de fer composéesde quatre fers réunis M et frettés, d'une force proportionnée à lacharge. Ces deux fers reposeront sur des chevalets N portant deschapeaux en chêne O. En plan, cet étaiement présente la projectionhorizontale tracée en P; la pile est en E'', les cintres en C' B'B', lescontre-fiches d'archivoltes en A', les chevalets en N' avec leurschapeaux en O'. Les barres de fer sont marquées par deux traits noirs.Les étais de dévers opposés aux poussées sont projetés en H'. Ceci doitêtre combiné et placé de manière que, à la hauteur des assises deschapiteaux, tailloirs et sommiers, assises que nous supposons en deuxmorceaux chaque, l'écartement ST entre les contre-fiches A' et les piedsdu chevalement N' soit assez large pour faire passer ces morceaux. Ilfaut aussi que le chapeau du chevalet postérieur dégage l'arc-doubleau Cet ne puisse gêner le remplacement des premiers claveaux de cet arc s'ily a lieu. Les assises reposées doivent être fortement callées sous letas de charge V. Les claveaux bien posés et fichés au-dessus dessommiers, on enlève les deux fers L et on bouche les trous peuconsidérables qu'ils ont laissés. Les chevalets et barres de fer étantenlevés en premier, on enlève les contre-fiches d'archivoltes et,seulement quand les mortiers sont bien secs, les deux étais H. Oncomprend que l'ordre dans lequel des étais doivent être enlevés n'estpas une chose indifférente, car si les étais remplissent bien leurfonction (et, dans un cas pareil, il faut qu'ils la remplissentpuisqu'ils portent seuls toute la charge), lorsque les reprises ensous-oeuvre sont terminées, si bien faites qu'elles soient, ce sonttoujours les étais qui portent. Du moment qu'on les desserre, lesconstructions nouvelles prennent charge; il est donc important: 1ºqu'elles ne prennent charge que successivement; 2º que les pesanteursagissent sur elles également et dans le sens vertical. Souvent un étaidesserré trop tôt ou intempestivement fait éclater les substructions lesmieux établies. L'important, c'est de desserrer ensemble les étais enregard, comme, par exemple, dans la fig. 7 bis, les deux batteriesd'étais d'archivoltes A. Du reste, il en est des étaiements comme debeaucoup d'autres choses qui tiennent de l'art du constructeur: autantd'exemples, autant de cas particuliers; par conséquent, autant deprocédés applicables à ces cas particuliers. On ne peut que poser desprincipes généraux et indiquer quelques-unes des mille applications quise présentent chaque jour. Nous dirons que le premier soin d'unarchitecte qui veut étayer des constructions, c'est de savoir exactementcomment elles ont été faites, quels ont été les procédés employés parles constructeurs, quelles sont leurs habitudes, leurs appareils, quelssont leurs défauts et leurs qualités ordinaires, car on doit parerd'avance à ces défauts et profiter de ces qualités.
Les édifices de la période gothique étant élastiques, toujourséquilibrés, il arrive que ces propriétés peuvent vous servir si vous lesconnaissez exactement, ou qu'elles peuvent déterminer des accidents sivous n'en tenez compte. Nous avons vu reprendre et en sous-oeuvre desconstructions qui, à cause de leur hauteur et de leur poids énorme, nepouvaient être étayées, comme des clochers, par exemple, posés surquatre piliers, et cela par des moyens très-simples, très-peudispendieux, parce que les constructeurs qui dirigeaient ces reprisessavaient profiter de la flexibilité de ces bâtisses et utilisaient lesconditions d'équilibre. Mais quand une reprise en sous-oeuvre, par lesmoyens extraordinaires employés, coûte plus cher que ne coûterait lareconstruction totale de la portion du monument à consolider, ce n'estplus de l'art. Disons encore que tout édifice étayé pour être reprisexige une surveillance constante. L'architecte doit observer lesmoindres symptômes qui se manifestent; l'ouverture d'un jour, la fêlured'une pierre, sont toujours alors le signe d'un mouvement qui, si faiblequ'il soit, doit être constaté, et l'architecte ne se donnera pas derepos qu'il n'en ait reconnu la cause pour y remédier. Une calle mise àpropos, une chandelle posée à temps, préviennent souvent les plussérieux accidents. Si des mouvements se manifestent, faut-il au moinsqu'ils viennent pour ainsi dire en aide à l'architecte, qu'ils entrentdans son système général de soutènement. Il est même de ces castrès-graves où l'architecte doit provoquer ces mouvements, commel'habile médecin, pour traiter une inflammation locale, attire le malsur une autre partie du corps. On pourrait dire que tout étaiement dansles constructions consiste à prévenir un mal; mais dans les édificesgothiques, il ne suffit pas de prévenir, il faut détourner ce mal: car,le système de la bâtisse gothique reposant sur les lois d'équilibre, siun point faiblit, toutes les pesanteurs verticales ou obliques sereportent sur ce point faible: il s'agit donc de rétablir ces loisd'équilibre, et, pour cela, non-seulement il faut soutenir et reprendrela partie qui souffre, mais il faut reporter ailleurs les pesanteursexcédantes; autrement, la reprise achevée, l'équilibre serait toujoursrompu, et le mal auquel on aurait apporté remède sur un point seproduirait bientôt ailleurs.
ÉTANÇON, s. m. Pièce de bois posée verticalement sous une constructionpour arrêter un écrasement. L'étançon ne fait que résister dans le sensvertical; il est généralement court; lorsqu'il dépasse une longueur dedeux à trois mètres, on lui donne le nom dechandelle.
On désignait aussi parétançon, pendant le moyen âge, des poteletsverticaux que les mineurs posaient sous les murailles sapées pour lesempêcher de s'écrouler sur les ouvriers. Lorsqu'on voulait faire tomberles murs, on mettait le feu aux étançons (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE,SIÉGE).
ÉTAYEMENT, s. m. On écrit aussiétaiement, action d'étayer, oucombinaison d'étais (voy. ÉTAI).
ÉTONNÉ, p. On dit: Ce fer est étonné, cette pierre est étonnée; ce quisignifie que ce fer a subi un choc, une épreuve qui, n'ayant pas causéune rupture immédiate, ont cependant prédisposé le métal à se romprefacilement; que la pierre a de même été désagrégée par une actionphysique, ou fêlée par un choc, et qu'elle se trouve aussi dans demauvaises conditions de résistance. Un forgeron maladroit peut étonnerson fer s'il lui donne un coup de marteau à faux lorsqu'il commence à serefroidir; un tailleur de pierre peu soigneux étonne son bloc en letaillant, si, par exemple, il fait un évidement sans prendre le tempsd'enlever la pierre peu à peu. Il étonne les parements en employant laboucharde, c'est-à-dire qu'il les prédispose à se décomposer plusfacilement sous l'action des agents atmosphériques. Les architectes dumoyen âge, qui n'étaient pas avares d'évidements, avaient le soin de lesprofiler de façon à ce que le tailleur de pierre ne fût pas entraîné àétonner la pierre. Ainsi, par exemple, les sections horizontales despiles composées de faisceaux de colonnettes, celles des arcs moulurésportent toujours, dans les angles rentrants, des gorges ou des filetsplats qui arrêtent l'outil assez à temps pour l'empêcher d'étonner lapierre. Si nous profilons une pile d'après le tracé A, fig. 1, il estcertain que pour obtenir les aiguités B, le tailleur de pierre étonnerason bloc; mais si nous traçons la section C, en réservant des filetsplats D dans ces angles rentrants, nous éviterons ce grand inconvénient;la pierre, quoique évidée, conservera son nerf (voy. PROFIL).
ÉTRÉSILLON, s. m. Pièce de bois destinée à empêcher deux parties d'uneconstruction de se rapprocher. Lorsqu'un mur percé de baies fléchit, sedisloque, la première opération à faire est d'étançonner les baies (1).A sont les étançons serrés entre les tableaux des baies sur des couchesverticales B.
Dans les maçonneries, les architectes du moyen âge ont souvent admisl'étrésillonnement comme un moyen de construction fixe, ainsi que lesarcs-boutants, qui peuvent bien passer pour un étaiement permanent. Leporche sud de la cathédrale du Puy-en-Vélay, bâti vers 1150, présente unexemple très-étrange de l'emploi des étrésillons fixes dans lamaçonnerie.
Ce porche s'ouvre par une grande archivolte possédant un arcisolé concentrique (2), absolument inutile, pure décoration qui estmaintenue au moyen de trois petits pilastres isolés, destinés à empêcherson relèvement ou sa déviation hors du plan vertical. La coupe A, faitesur le milieu de l'archivolte, indique, en B, le sous-arc isolé et sonpetit pilastre d'axe C. Avec plus de raison, des roses circulaires,inscrites dans des triangles curvilignes, sont étrésillonnées dans lesdeux angles inférieurs par de petites colonnettes qui empêchent lesclaveaux de sortir de la courbe (3).
On voit une disposition de ce genreadoptée pour maintenir les claveaux des roses des deux fenêtres ouvertesau-dessus des portes latérales de la façade de la cathédrale d'Amiens.Par le fait, les grandes roses de nos églises françaises, à dater dumilieu du XIIIe siècle, ne se composent que d'un systèmed'étrésillonnement de pierre (voy. ROSE).
ÉTUVE, s, f.Bains. Personne n'ignore le soin avec lequel les Romainsétablissaient des bains publics et privés. Les anciens considéraient lesbains chauds et froids non-seulement comme un des meilleurs moyensd'entretenir la santé; mais encore c'était pour eux une habitude, unplaisir. Nos cercles dans les grandes villes, et nos cafés dans lespetites localités, sont les seuls établissements, aujourd'hui, quipeuvent nous donner l'idée de ce qu'étaient les bains chez les Romains.On se rendait aux bains pour se baigner, mais plus encore pour seréunir, pour connaître les nouvelles du jour, pour parler de sesaffaires et de ses plaisirs. Ces usages qui tiennent à une civilisationavancée devaient s'altérer évidemment lorsque les barbares serépandirent dans l'Occident. Cependant les Germains, si nous en croyonsTacite, se levaient tard et se baignaient le plus souvent dans de l'eautiède; après quoi ils prenaient quelque nourriture448. Charlemagneparaît avoir adopté entièrement à cet égard les usages des Romains.Eginhard449 dit que ce prince aimait beaucoup les bains d'eauxthermales. «Passionné pour la natation, ajoute-t-il, Charles y devint sihabile, que personne ne pouvait lui être comparé. C'est pour cela qu'ilfit bâtir un palais à Aix-la-Chapelle, et qu'il y demeura constammentpendant les dernières années de sa vie, jusqu'à sa mort. Il invitait àprendre le bain avec lui, non-seulement ses fils, mais encore ses amis,les grands de sa cour et quelquefois même ses soldats et ses gardes ducorps, de sorte que souvent cent personnes et plus se baignaient à lafois.» Il n'est pas douteux que Charlemagne en ceci, comme en beaucoupd'autres choses, ne faisait que reprendre les habitudes des Romains del'antiquité.
On ne trouve plus trace de ces grandes dispositions à partir du Xesiècle; et les bains, depuis le XIIe siècle, ne sont que des étuves,c'est-à-dire des établissements analogues à ceux que nous possédonsencore aujourd'hui, si ce n'est que les baignoires étaient en bois, enmarbre ou en pierre, et les chambres de bains probablement moinsincommodes que les nôtres. Il était assez d'usage, pendant le XIIIesiècle, de se baigner en compagnie, quelquefois même dans la même cuve.
«Puis revont entr'eus as estuves,
Et se baignent ensemble ès cuves
Qu'ils ont es chambres toutes prestes,
Les chapelès de flors es testes,
.....450»
Et
«Quand vendroit la froide saisons,
...»
tout étant bien clos, on allumerait bon feu;
«On feroient estuves chaudes,
En quoi lor baleries baudes
Tuit nuz porroient demener,
Quant l'air verroient forcener,
Et geter pierres et tempestes,
Qui tuassent as champs les bestes,
Et grands flueves prendre et glacier451.»
Il paraîtrait qu'alors (au XIIIe siècle) il y avait des salles de bainsdans les châteaux, mais qu'il existait des étuves publiquestrès-fréquentées dans les villes. En effet, beaucoup de villes anciennesont conservé leur rue des Étuves. Dans l'excellenteHistoire deProvins, de M. Bourquelot452, nous lisons ce passage: «Quant auxétuves, la première mention que nous en trouvons existe dans un titre demai 1236, d'après lequel Raoul de Brezelle, chevalier, donne aux pauvresde la Maison-Dieu de Provins XII den. de cens qu'il avait et percevaitannuellement sur cinq chambres sises derrière l'Hôtel-Dieu, entre lemonnayeur et les bains,inter monetarium et balnea. Il est probableque ces bains, qui occupaient l'emplacement où l'on voit encore legracieux hôtel des Lions, étaient les seuls qu'il y eût primitivement àProvins, et leur ancienneté leur avait fait donner le nom devieux-bains. Ils tombaient en ruines en 1356. Louis-le-Hutin enétablit de nouveaux en 1309 à cause de l'affluence du peuple,obaffluentiam populi, dit Moissant453; mais cette affluence ne fut pasde longue durée, car nous voyons quelque temps plus tard le louage desbains diminuer d'année en année d'une manière sensible454.»
Ces étuves ne consistaient qu'en des chambres plus ou moins spacieusesdans lesquelles on disposait des cuves remplies d'eau tiède au moyen deconduites, comme cela se pratique encore aujourd'hui. Dans les palais,les salles de bains étaient décorées souvent fort richement. Sauval455rapporte qu'à l'hôtel Saint-Pol, et à l'hôtel du Petit-Muce, le roiCharles V avait fait disposer pour la reine des chambres de bains quiétaient pavées de pierres de liais, «fermées de portes en fer treillisé,et entourées de lambris de bois d'Irlande; les cuves étaient de mêmebois, ornées tout autour de bossettes dorées, et liées de cerceauxattachés avec des clous de cuivre doré.»
Depuis le XIVe siècle, dit ailleurs le même auteur456, «nos roisbâtirent des étuves à la pointe de cette isle (du Palais)457, et pourcelles firent faire un logis nommé la maison desÉtuves, tant pour euxet pour leurs enfans que pour les princes et autres grands seigneurslogés avec eux; car en ce temps-là il y en avoit non-seulement dans tousles palais et les grands hôtels, mais même dans plusieurs rues de Paris,destinées exprès pour cela; d'où vient que quelques-unes conserventencore ce nom de rue des Étuves... Pour ce qui est des Étuves de cetteIsle, elles furent données par Henri II aux ouvriers de la Monnoie, aumoulin qu'il fit fabriquer en cet endroit-là, mais qu'on ruina lorsqu'onentreprit le Pont-Neuf.»
Chez les particuliers on avait des cuviers qui servaient de baignoireset que l'on plaçait dans une chambre lorsqu'on voulait se baigner; onappelait celatirer le bain... «Il fit tantost tirer les bains,chauffer les estuves.» On prenait même parfois ses repas étant ainsi aubain: «Tantost se bouterent au bain, devant lequel beau souper fut enhaste couvert et servi458.»
Et ailleurs: «Un jour entre les autres Madame eut voulenté de soibaigner, et fist tirer le baing et chauffer les estuves en sonhostel459.» Un grand nombre de vignettes, de manuscrits des XIV et XVesiècles, nous montrent des personnages prenant des bains dans des sortesde cuviers de bois installés dans une chambre. Chacun connaît le contedu Cuvier460, qui date du XIIIe siècle. De toutes les citations quiprécèdent, et auxquelles nous pourrions en ajouter beaucoup d'autres sinous ne craignions d'être trop long, on peut conclure ceci: que, pendantle moyen âge, l'usage des bains, comme on les prend aujourd'hui, étaitfort répandu; qu'il existait des établissements publics de bains danslesquels on trouvait des étuves, tout ce qui tient à la toilette; oùl'on mangeait et où l'on passait même la nuit; que dans les châteaux etles grands hôtels il y avait des salles affectées aux bains, presquetoujours dans le voisinage des chambres à coucher; que l'usage desbains, pendant les XVIe et XVIIe siècles, fut beaucoup moins répanduqu'il ne l'était avant cette époque et presque exclusivement admis parles classes élevées; que ces établissements publics, pendant le moyenâge, ne présentaient pas des dispositions particulières, et neconsistaient qu'en des chambres dans lesquelles on plaçait des cuviers.
ÉVANGÉLISTES, s. m. Les quatre évangélistes, saint Luc, saint Mathieu,saint Jean et saint Marc, sont, dès les premiers siècles du moyen âge,représentés, soit sous forme de figures d'hommes drapés, tenant unlivre, soit par quatre figures symboliques: Saint Luc, par le boeuf;saint Mathieu, par l'homme; saint Jean, par l'aigle; saint Marc, par lelion. Quelquefois le personnage et le symbole se trouvent réunis, etmême les évangélistes ont des corps d'hommes avec des têtes de boeuf,d'homme, d'aigle et de lion. Dans l'article ANIMAUX, nous avons donnédes exemples des figures symboliques appliquées aux évangélistes, etdans l'article ÉGLISEpersonnifiée, on peut voir la Nouvelle Loiassise sur une bête à quatre têtes et à quatre pieds appartenant auxquatre symboles des évangélistes.
Les sculpteurs et les peintres du moyen âge ont aussi représenté lesquatre évangélistes assis ou montés sur les épaules des quatre grandsprophètes de l'Ancien Testament. Au portail du nord de la cathédrale deBamberg, de belles sculptures du XIIe siècle nous montrent les quatreévangélistes ainsi placés (1). À Bamberg, l'évangéliste tient unvolumen; il est monté sur les épaules du prophète, auquel l'artiste adonné la pose d'un équilibriste; le prophète tourne son visage du côtéde l'évangéliste: ce dernier est nimbé. Une colombe (l'Esprit-Saint),placée dans le chapiteau, porte un phylactère dans son bec. Le vitraildu croisillon méridional de la cathédrale de Chartres nous a conservé enpeinture, le même sujet; mais à Chartres les évangélistes sont assis surles épaules des prophètes, jambe de-ci, jambe de-là. Dans ce vitrail,saint Jérémie porte saint Luc; Isaïe, saint Mathieu; Ézéchiel, saintJean; Daniel, saint Marc. «La place, dit M. Didron461, que cesattributs et les évangélistes doivent occuper est celle-ci, en ligneascendante, de bas en haut: le boeuf, le lion, l'aigle, l'ange(l'homme)462... Dans les angles d'un carré, comme on les mettrès-souvent, les attributs des évangélistes doivent être constammentplacés dans cet ordre hiérarchique: en haut, l'ange est à droite etl'aigle à gauche (du Christ); en bas, le lion est à droite et le boeufsous l'aigle. Quand cet ordre n'est pas suivi, il y a erreur. Cependanton n'a pas toujours été d'accord, ni sur la place à leur donner, ni surl'application spéciale qu'on en devait faire à chacun desévangélistes...» Depuis le XIIe siècle, dans les monuments occidentaux,l'ordre que nous donnons est suivi sans exceptions, quant àl'application des symboles, à chacun des évangélistes.
ÉVANGILE, s. m. Livre renfermant les quatre évangiles. Dans lessculptures et peintures du moyen âge, à dater du XI siècle, le livre desévangiles est placé entre les mains du Christ-Homme, sous la forme d'unlivre ouvert ou fermé; le plus souvent fermé à partir du XIIIe siècle.Dans les représentations d'autels, on voit le livre des évangiles posésur la table et fermé.
ÉVÊCHÉ, s. m.Évesquie,éveschie. Palais épiscopal. Les palaisépiscopaux ou archiépiscopaux ne diffèrent en rien des habitationsseigneuriales urbaines du moyen âge. Ils possèdent leur grand'salle(salle synodale), leurs portiques ouverts, de vastes logements; presquetoujours ils conservent les signes de la demeure féodale, c'est-à-direqu'ils sont fortifiés sur les dehors, munis de créneaux et de tours(voy. PALAIS, SALLE, TOUR). Il ne nous reste en France que peu d'évêchésou archevêchés anciens. Toutefois, nous signalerons ici le palaisarchiépiscopal de Narbonne, XIVe siècle (aujourd'hui hôtel de ville etmusée); les évêchés de Laon, XIIIe siècle (palais de justiceaujourd'hui), de Meaux (substruction et chapelle du XIIe siècle),d'Auxerre, XIIe et XIIIe siècles (préfecture aujourd'hui); les palaisarchiépiscopaux de Rouen (restes des XIIIe, XIVe et XVe siècles), deSens (salle du XIIIe siècle), de Reims (restes des XIIIe et XVesiècles); les évêchés d'Évreux (XVe siècle), de Luçon (XVe siècle), deBeauvais, XIIe et XVe siècles (palais de justice aujourd'hui), deSoissons (restes des XIIIe et XVIe siècles).
ÉVIER, s. m. Vidange des eaux ménagères. Dans les offices des châteauxon retrouve presque toujours la trace d'éviers destinés à rejeter audehors les eaux qui servaient à laver la vaisselle. Ces éviersconsistent en une pierre taillée en forme de cuvette avec un trou aufond et placée dans un renfoncement de la muraille. Le trou de la pierreà évier correspond à une conduite en pierre prise dans l'épaisseur dumur ou formant saillie au dehors.
C'est ainsi qu'est disposé l'évier quel'on voit encore dans le château de Verteuil (Gironde)(1), et dont lapierre est placée au premier étage463. D'autres éviers jettent leurseaux directement au dehors par une gargouille placée immédiatementau-dessous de la cuvette. Souvent ces éviers sont disposés dansl'embrasure d'une fenêtre. M. Parker, dans sonArchitecture domestiquede l'Angleterre, a donné quelques-uns de ces éviers, établis avec unsoin particulier464.
EXTRADOS, s. m. Dos d'un arc ou d'une voûte. Tout arc en maçonnerie, ouformé d'appareil, possède son intrados et son extrados. Soit un arc ouune section de voûte 1, la surface intérieure AB des claveaux estl'intrados, celle extérieure CD l'extrados (voy. CONSTRUCTION).
FABLIAU, s. m. Nous n'entreprendrons pas ici d'expliquer comment et àquelle époque les apologues venus de l'Orient et de la Grèce pénétrèrentdans la poésie du moyen âge, d'autant qu'il existe sur ce sujet destravaux fort bien faits465; nous constaterons seulement que vers lecommencement du XIIe siècle, on trouve sur les édifices religieux etcivils des représentations sculptées de quelques apologues attribués àÉsope, et qui dès cette époque étaient fort populaires en France.Alexandre Neckam, dont la naissance paraît remonter à l'année 1157, etqui apprit et enseigna les lettres à Paris, fit un recueil de fablesintituléNovus AESOPUS, dans lequel nous retrouvons en effet beaucoupde fables d'Ésope remises en latin, à l'usage des écoles466. Neckam nefit probablement que donner une forme littéraire, appropriée au goût deson temps, à des apologues connus de tous et reproduits maintes fois ensculpture et en peinture. Le premier apologue de ce recueil estintitulé:De Lupo et Grue. Et, en effet, cette fable est une de cellesque nous trouvons sculptées le plus fréquemment dans des édifices duXIIe siècle et du commencement du XIIIe.
Sur le portail de la cathédrale d'Autun, 1130 à 1140, il existe unchapiteau qui reproduit cet apologue si connu (1). Mais c'est à partirdu XIIIe que la sculpture et la peinture prirent souvent des fabliauxcomme sujets secondaires sur les portails des églises, principalementdes cathédrales et sur les édifices civils; les artistes en ornèrent leschapiteaux, les culs-de-lampes, les panneaux. Au XVe siècle lesfabliaux, singulièrement nombreux, presque tous satiriques, inventés ouarrangés par les trouvères-jongleurs des XIIIe et XIVe siècles,fournirent aux arts plastiques un recueil inépuisable de sujets que nousvoyons reproduits sur la pierre, sur le bois, dans le lieu saint commedans la maison du bourgeois. Il y a quinze ans, un auteur versé dans laconnaissance de notre vieille poésie française écrivait ceci467: «Pourne parler que des trouvères, auteurs de fabliaux, on leur reprochesurtout le cynisme avec lequel ils traitaient les choses les plusrespectables, les ecclésiastiques et les femmes. Mais n'oublions pasqu'il n'y avait alors ni presse, ni tribune, ni théâtre. Il existaitpourtant, comme toujours il en existera, force ridicules et abus. Lasociété est malheureusement ainsi faite, qu'il faut une sorte d'évent,d'exutoire, au mécontement populaire; les trouvères-jongleurs, moqueurset satiriques, étaient une nécessité, un besoin de cette société maladeet corrompue. Leurs satires trop vives, mêmes grossières souvent pournos oreilles délicates, ne paraissaient pas telles à leurscontemporains, puisque le sage et chaste roi saint Louis écoutait cessatires, s'en amusait et récompensait leurs auteurs: témoin, Rutebeuf,l'un des moins retenus de ces vieux poëtes. Et, d'ailleurs, ces satirescontre les moines, par exemple, étaient-elles si peu motivées? Qui necomprendrait, au contraire, la colère qu'expriment tous les écrivains duXIIe et du XIIIe siècle, qui voyaient leurs propres seigneurs, les roismêmes de leur pays, quitter la patrie, abandonner leurs États et leurfamille, s'exposer à toutes les fatigues, les hasards, les dangers, pourla cause d'une religion dont les ministres, héritiers de la fortune etdes terres des croisés, vivaient en France au milieu de l'abondance, duluxe, et souvent de la débauche? Et, de nos jours, n'avons-nous pas vufaire bien pis que des contes pour réprimer des abus moins criants queceux-là?» Les fabliaux appartiennent à notre pays. Nulle part en Europe,aux XIIe et XIIIe siècles, on ne faisait de ces contes, de ces lais, deces romans, vifs, nets, caustiques, légers dans la forme, profonds parl'observation du coeur humain. L'Allemagne écrivait lesNiebelungen,sorte de poëme héroïque et sentimental où les personnages parlent etagissent en dehors du domaine de la réalité. L'Italie penchait vers lapoésie tragique et mystique dont le Dante est resté la plus complèteexpression. L'Espagne récitait leRomancero, énergique par la pensée,concis dans la forme, où la raillerie est amère, envenimée, respirant lavengeance patiente, où les sentiments les plus tendres conserventl'âpreté d'un fruit sauvage. Ce peuple de France, tempéré comme sonclimat, seul au milieu du moyen âge tout plein de massacres, de misères,d'abus, de luttes, conserve sa bonne humeur: il mord sans blesser, ilcorrige sans pédantisme; le cothurne tragique provoque son sourire; lasatire amère lui semble triste. Il conte, il raille, mais il apportedans le tour léger de ses fables, de ses romans, de ses chansons degestes, cet esprit positif, cette logique inflexible que nous lui voyonsdévelopper dans les arts plastiques; il semble tout effleurer, mais silégère que soit son empreinte, elle est ineffaçable. Pour comprendre lesarts du moyen âge en France, il faut connaître les oeuvres littérairesde nos trouvères des XIIe et XIIIe siècles, dont Rabelais et La Fontaineont été les derniers descendants. Faire songer en se jouant, sonder lesreplis du coeur humain les plus cachés et les plus délicats dans unephrase, les dévoiler par un geste, en laissant l'esprit deviner ce qu'onne dit pas ou ce qu'on ne montre pas, c'est là tout le talent de nosvieux auteurs et de nos vieux artistes si mal connus. Quoi de plus finque ce prologue duroman du Renard? En quelques vers l'auteur nousmontre le tour de son esprit, disposé à se moquer un peu de tout lemonde, avec un fond d'observation très-juste et de philosophie pratique.
Dieu chasse Adam et Ève du paradis terrestre.
«Pitiez l'emprist, si lor dona
Une verge, si lor mostra
Quant il de riens mestier auroient,
De ceste verge en mer ferroient.
Adam tint la verge en sa main,
En mer feri devant Evain:
Sitost con en la mer feri,
«Une brebiz fors en sailli.
Lors dist Adam, dame prenez
Ceste brebiz, si la gardez;
Tant nos donra let et fromage,
Assez i aurons compenage.
Evain en son cuer porpensoit
Que s'ele encore une en avoit,
Plus belle estroit la conpaignie.
Ele a la verge tost saisie,
En la mer feri roidement:
Un Leus (loup) en saut, la brebis prent,
Grant aléure et granz galos
S'en va li Leus fuiant au bos.
Quant Ève vit qu'ele a perdue
Sa brebiz, s'ele n'a aïue,
Bret et crie forment, ha! ha!
Adam la verge reprise a,
En la mer fiert par mautalent,
Un chien en saut hastivement.»
C'est leste, vif, comme une fable de La Fontaine: le Créateur qui prenden pitié ceux qu'il vient de punir, la bonhomie d'Adam qui remet labrebis à sa ménagère, l'indiscrète ambition d'Ève, l'intervention del'homme qui rétablit le bon ordre par un nouvel effort, des actes quidénotent les pensées, pas de discours, pas de reproches; c'est le mondequi marche tant bien que mal, mais qui va toujours, et des spectateursqui regardent, observent et rient. Pour naïf ce ne l'est pas, ce nel'est jamais; ne demandez pas à nos trouvères ces développements de lapassion violente, la passion les fait sourire comme tout ce qui estexagéré; s'ils ont un sentiment tendre à exprimer, ils le font en deuxmots; ils ont la pudeur du coeur s'ils n'ont pas toujours la parolechâtiée. Jamais dans les situations les plus tragiques les personnagesne se répandent en longs discours. N'est-ce point là une observationtrès-vraie des sentiments humains?
Quand le seigneur de Fayel a fait manger le coeur du châtelain de Coucyà sa femme, il se contente de lui dire en lui montrant la lettrequ'envoyait le chevalier à son amie:
«Connoissés-vous ces armes-cy?
C'est d'ou chastelain de Coucy.
En sa main la lettre li baille,
Et li dit: Dame, créés sans faille
Que vous son cuer mengié avés.»
La dame se répand-elle en imprécations, tord-elle ses bras, fait-elle delongs discours, exprime-t-elle son horreur par des exclamations?L'auteur nous dit-il qu'elledevient livide, qu'elle reste sans voix,ou ne peut articuler que dessons rauques? Non, l'auteur comprend quepour un peu, cette vengeance, qui se traduit par un souper dégoûtant, vatomber dans le ridicule. La passion et le désespoir de la femmes'expriment par quelques paroles pleines de noblesse et de simplicité;si bien que le mari reste vaincu.
«La dame a tant li respondy:
Par Dieu, sire, ce poise my;
Et puis qu'il est si faitement,
Je vous affi certainement
Qu'à nul jour mès ne mengeray,
D'autre morsel ne metteray
Deseure si gentil viande.
Or m'est ma vie trop pezande
À porter, je ne voel plus vivre,
Mort, de ma vie me délivre!
Lors est à i cel mot pasmée.»
Ce n'est que lorsqu'elle est au milieu de ses femmes, loin de la scènedu tragique banquet, qu'avant de mourir elle exprime en quelques versles regrets les plus touchants:
«Lasse! j'atendoie confort
Qu'il revenist, s'ai atendu:
Mais quant le voir ai entendu
Qu'il est mors, pourquoi viveroie,
Quant je jamais joie n'aroie?»
Parfois une pensée pleine d'énergie perce à travers le murmure discretde la passion dans les poésies françaises du moyen âge. Dans le mêmeroman, lorsque les deux amants vont se séparer, la dame veut que le sirede Coucy emporte les longues tresses de ses cheveux; lui, résiste:
«He! dieux, dist li chastelains, dame,
Jà ne les coperés, par m'ame,
Pour moy, se lessier le voulés.
Et elle dist: Se tant m'amés,
Vous les emporterés o vous,
Et avoec vous est mes cuers tous;
Et se sans mort je le povoie
Partir, je le vous bailleroie.»
Mais nous voici loin du fabliau et de son allure frondeuse. Les artsplastiques sont la vivante image de ces sentiments, tendres parfois,élevés même, sans jamais être boursouflés; les artistes, comme lespoëtes français du moyen âge, sont toujours contenus par la crainte dedépasser le but en insistant; c'est le cas de suivre ici leur exemple. Àla fin du XIIIe siècle seulement, les artistes commencent à choisirparmi ces fabliaux quelques scènes satiriques. Au XIVe siècle ilss'émancipent tout il fait, et ne craignent pas de donner une figure auxcritiques de moeurs admises partout sous la forme de l'apologue. Au XVesiècle c'est un véritable déchaînement, et ces sujet grotesques,scabreux, que nous voyons représentés alors, même dans les édificesréservés au culte, ne sont pas le produit d'un caprice barbare, mais uneprotestation de plus en plus vive contre les abus du siècle, etparticulièrement des ordres religieux. Nous ne saurions trop le répéter,la classe laïque inférieure, pendant le moyen âge, suit du XIIe au XVesiècle une marche logique. Elle ne pouvait exprimer ses sentiments, sescolères, son penchant pour la satire, sa verve moqueuse, que dans lesproductions d'art; c'était la seule liberté qu'on lui laissait; elle enprofitait largement, et avec une persistance qui, malgré la liberté dela forme, découlait d'un instinct du juste et du vrai, fort louable, quenous aurions grand tort de méconnaître.
FAÇADE, s. f.Vistz. On applique le nom defaçade aujourd'hui àtoute ordonnance d'architecture donnant sur les dehors, sur la voiepublique, sur une cour, sur un jardin. Mais ce n'est que depuis le XVIesiècle, en France, que l'on a élevé des façades comme on dresserait unedécoration devant un édifice, sans trop se soucier du plus ou moins derapports de ce placage avec les dispositions intérieures. Les anciens,non plus que les architectes du moyen âge, ne savaient ce que c'étaitqu'une façade dressée avec la seule pensée de plaire aux yeux despassants. Les faces extérieures des bons monuments de l'antiquité ou dumoyen âge ne sont que l'expression des dispositions intérieures. Pourles églises, par exemple, les façades principales, celles qui sontopposées au chevet, ne sont autre chose que la section transversale desnefs. Pour les maisons, les façades sur la rue consistent en un pignonsi la maison se présente par son petit côté, en un mur percé de porteset de fenêtres si au contraire la maison présente vers l'extérieur songrand côté. Tout corps de logis du moyen âge est toujours bâti sur unparallélogramme, des pignons étant élevés sur les deux petits côtésopposés. Ainsi, fig. 1, le corps de logis du moyen âge présente deuxpignons A et deux murs latéraux B. Si plusieurs bâtiments sontagglomérés, ils forment une réunion, fig. 2, d'un plus ou moins grandnombre de ces logis distincts, et leurs façades ne sont autre chose quela disposition plus ou moins décorée des jours ouverts sur les dehors.Ce principe fait assez voir que ce que nous entendons aujourd'hui parfaçade n'existe pas dans l'architecture du moyen âge. Une église, unpalais, une maison, possèdent leurs faces extérieures, leursvistz;mais ces faces ne sont autre chose que l'apparence nécessaire desdispositions du plan, des logements ou des constructions intérieures. Enun mot, dans l'architecture du moyen âge, la façade ne peut être séparéede l'ordonnance générale du bâtiment, elle en est la conséquence. Nousrenvoyons donc nos lecteurs aux articles: CATHÉDRALE, CHÂTEAU, MAISON,PALAIS, ARCHITECTUREreligieuse, monastique et militaire.
FAÎTAGE, s. m. Partie supérieure d'un comble à deux égoûts (voy.CHARPENTE, CRÊTE, FAÎTIÈRE).
FAÎTE, s. m. Pièce de bois horizontale qui réunit les deux extrémitéssupérieures des poinçons de fermes (voy. CHARPENTE).
FAÎTIÈRE, s. f. Tuile de couronnement d'un comble à deux égoûts. Cestuiles sont unies ou ornées, simples ou doublées. Lorsque les faîtièressont ornées, elles composent une véritable crête de poteries plus oumoins découpée sur le ciel. Les tuiles faîtières de l'époque romane sontgénéralement d'une très-grande dimension, posées jointives, et souventornées de boutons servant à les poser facilement. Ces boutons forment ladécoration continue ou la crête du faîtage. Nous avons vu encore sur lescombles de l'église de Vézelay des débris de très-anciennes faîtières(du XIIe siècle probablement) qui n'avaient pas moins de 0,70 c. delongueur, et qui devaient être posées jointives avec un calfeutrage enmortier entre-deux.
Voici, fig. 1, une de ces faîtières en terre cuite d'une bonne qualité,vernissée à l'extérieur d'une couverte brun-verdâtre. Les bords Aextrêmes étaient légèrement relevés pour éloigner l'eau de pluie dujoint, lequel était garni de mortier. Les boutons, d'une saillie de 0,12c. à 0,15 c., étaient assez grossièrement modelés à la main. Plus tardon reconnut que ces tuiles faîtières jointives, malgré les calfeutragesen mortier, laissaient passer l'humidité dans les charpentes, et onchevaucha ces faîtières, ainsi que l'indique la fig. 2. Toutefois, pouréviter leur dérangement par l'effet du vent, on les posait toujours surmortier, en ayant le soin de ne pas laisser de bavures. Vers lecommencement du XIIIe siècle on fabriquait aussi des faîtières àrecouvrement sur les combles en tuiles (3), chaque faîtière portant unbourrelet A revêtissant le rebord B de sa voisine.
Une couvertevernissée au feu recouvrait toujours ces faîtières pour les rendre moinsperméables à l'humidité et donner moins de prise au vent, car le ventn'agit pas sur une surface polie comme sur un corps rugueux. Il estcertain que les tuiliers du moyen âge observaient, dans la confectiondes faîtières, les lois qui guidaient les plombiers; ils avaient comprisque ces faîtières devaient avoir un poids assez considérable pourrésister au vent et pour appuyer le faîtage des combles, lequel atoujours besoin d'être chargé, principalement lorsque ces combles secomposent de chevrons portant ferme (voy. CHARPENTE, CRÊTE); aussi,donnèrent-ils bientôt aux appendices décoratifs, qui ne sont guère quedes boutons peu saillants ou de légers reliefs pendant l'époque romane,des formes plus décidées, plus saillantes, et un plus grand poids parconséquent. On voyait, il y a quelques années, dans le petit musée queM. Ruprich Robert avait installé dans une des dépendances de lacathédrale de Bayeux, deux faîtières en terre cuite très-curieuses parleur fabrication. Nous les donnons ici toutes deux (4 et 4 bis).
Ellesparaissent appartenir au XIIIe siècle, sont d'une petite dimension, etle vernis qui les couvre est brun. Ces faîtières étaient poséesjointives. On voit encore à Troyes, sur des maisons voisines de lacathédrale, quelques tuiles faîtières conformes au dessin, fig. 5,vernies en brun. Ces appendices ajourés, formant crête, étaientnécessairement soudés sur la faîtière avant la cuisson. Mais au feubeaucoup se gerçaient ou se déformaient. Ces pièces de terre, à cause deleur forme et de leur dimension, prenaient beaucoup de place dans lefour, étaient difficiles à caser, et leur cuisson devait être souventinégale. Lorsqu'au XIVe siècle les édifices publics et privés devinrentplus riches et plus délicats, il fallut nécessairement donner aux crêtesde combles recouverts en tuiles des formes plus sveltes, se détachantplus légèrement sur le ciel; alors on fit des faîtières dont lesornements se rapportaient. C'est d'après ce système que sont fabriquéesles tuiles faîtières de l'église Sainte-Foi de Schelestadt468. Ellesse composent de la faîtière proprement dite, fig. 6, portant une tigedouble ajourée, percée au sommet d'un trou cylindrique dans lequel entreun petit goujon en fer. La partie supérieure de ce goujon, dépassant lelit B, reçoit une feuille d'érable A, proprement moulée et vernissée.Ces faîtières datent du commencement du XIVe siècle.
L'oxydation desgoujons et le peu d'assiette de ces ornements devaient souvent causer labrisure de ces tiges délicates; cependant on prétendait de plus en plusdonner de l'importance aux crêtes en terre cuite; on revint donc vers leXVe siècle aux soudures avant la cuisson, mais en faisant porter lesornements élevés aux sous-faîtières qui étaient courtes, et ne décorantles faîtières de recouvrement que d'ornements peu saillants. C'estsuivant ce mode qu'étaient fabriquées les anciennes faîtières du comblede la cathédrale de Sens, dont la couverture en tuiles vernissées datede la fin du XVe siècle (7). Les sous-faîtières A sont vernies en jaune,et les grandes faîtières de recouvrement en vert469. On remarquera lestrous qui traversent de part en part le vase à double panse de lasous-faîtière; ces trous, qui sont à peine visibles à la hauteur où estplacée cette crête, n'ont d'autre but que de produire des sifflementssous l'action du vent, ce qui probablement plaisait fort aux voisins del'église. Nous avons souvent trouvé sur les couronnements des édifices,et particulièrement des combles, la trace de ces singulières fantaisiesmusicales. On n'attachait pas, pendant le moyen âge, à certainsphénomènes naturels, les idées romanesques qui nous ont été suggéréespar la littérature moderne; le sifflement du vent à travers les créneauxet les découpures des édifices, qui fait naître dans notre esprit desinistres pensées, était peut-être pour les oreilles de nos pères uneharmonie réjouissante. Quoi qu'il en soit, l'idée de couronner le combled'un édifice par une centaine de sifflets est passablement originale.
Pour éviter les difficultés que présentait encore la cuisson des piècesA de la figure précédente, on imagina de former ces pièces élevées depoteries posées les unes sur les autres en recouvrement, comme nousvoyons qu'on le faisait aussi pour les épis en terre cuite (voy. ÉPIS).
Voici (8) un faîtage ainsi combiné470. La sous-faîtière porte unesorte de goulot B (voir le profil B'), sur lequel vient s'emboutir lechapeau C en forme de tourelle percée de quatre trous. Lessous-faîtières sont vernies en noir-verdâtre ainsi que les faîtières,les chapeaux sont couverts d'un vernis jaune, le petit toit est noir. Ily a lieu de croire que tous les combles en tuiles étaient autrefoiscouronnés par ces faîtières découpées; on n'en trouve aujourd'hui qu'unbien petit nombre en place; mais grâce à la négligence bien connue descouvreurs qui ne prennent pas la peine de descendre les tuilesremplacées, lorsqu'ils réparent les toitures, on peut recueillir dansles reins des voûtes de nos édifices du moyen âge quantité de débris depoteries, fort précieux souvent, puisqu'ils nous donnent en fragmentsdes spécimens de ces décorations de combles: aussi, ne saurions-noustrop recommander aux architectes appelés à réparer de vieux bâtimentsl'examen de ces débris accumulés sous les toits par la négligence descouvreurs.
FANAL, s. m. (voy. LANTERNEdes morts). Les fanaux destinés àprésenter la nuit un point lumineux pour guider les navigateurs, sur merou sur les fleuves, ne consistaient qu'en une grosse lanterne suspendueà une potence au sommet d'un tour. La Tour de Nesle, à Paris, portait unfanal que l'on allumait toutes les nuits pour indiquer aux mariniersl'entrée de Paris. Sur le bord de la mer, où ces lanternes ne pouvaientfournir un feu assez vif pour être vu de loin, on plaçait sur des toursdes cages en fer que l'on remplissait d'étouppe goudronnée. Un guetteurétait chargé d'entretenir ces feux pendant la nuit.
FENÊTRE, s. f.Fenestre,fenestrele (petite fenêtre),voirrière,voerrière. L'architecture du moyen âge étant peut-être de toutes lesarchitectures connues celle qui se soumet le plus exactement auxbesoins, aux convenances, aux dispositions des programmes, il n'en estpas qui présente une plus grande variété de fenêtres, particulièrementau moment où cette architecture abandonne les traditions romanes. Eneffet, une fenêtre est faite pour donner du jour et de l'air àl'intérieur d'une salle, d'une chambre; si le vaisseau est grand, il estnaturel que la fenêtre soit grande; s'il ne s'agit que d'éclairer etd'aérer une cellule, on comprend que la fenêtre soit petite. Dans uneéglise où l'on se réunit pour adorer la Divinité, on n'a pas besoin devoir ce qui se passe au dehors; mais dans une salle affectée à unservice civil, il faut pouvoir au contraire regarder par les fenêtres;pour regarder par les fenêtres il faut les ouvrir facilement. Voilà doncdes données générales qui doivent nécessairement établir une différencedans les formes des fenêtres appartenant à des édifices religieux etcivils.
Les habitations privées des Romains n'étaient point du tout disposéescomme les nôtres. Les pièces réservées pour le coucher, les chambres, enun mot, étaient petites, et ne recevaient souvent de jour que par laporte qui donnait sur un portique. Chez les gens riches on établissait,outre les cours entourées de portiques, de grandes pièces qui étaientdestinées aux réunions, aux banquets, aux jeux, et on avait le soin dedisposer autant que possible ces pièces vers l'orientation le plusfavorable; souvent alors les jours, les fenêtres n'étaient fermés quepar des claires-voies en bois, en métal, ou même en pierre et en marbre.Bien que les Romains connussent le verre, ils ne le fabriquaient pas engrandes pièces; c'était évidemment un objet de luxe, et dans leshabitations vulgaires il est probable qu'on s'en passait, ou du moinsqu'on ne l'employait qu'avec parcimonie. Pendant les premiers siècles dumoyen âge le verre devait être une matière assez rare pour qu'on évitâtde l'employer. Observons ceci d'abord, c'est qu'aujourd'hui encore, enItalie, en Espagne, et même dans le midi de la France, on ne demande pasdans les intérieurs la lumière que nous aimons à répandre dans nosappartements ou dans nos édifices publics. Dans les pays méridionaux lavie est extérieure, on ne s'enferme guère que pour méditer et pourdormir; or, pour se livrer à la méditation, on n'a pas besoin d'unegrande lumière, encore moins pour dormir et se reposer. Les Romains, quine modifiaient pas leur architecture en raison du climat, mais quibâtissaient à Paris ou à Cologne comme à Rome, avaient laissé dans lesGaules des traditions qui ne furent abandonnées qu'assez tard. Dans lesédifices publics, les fenêtres étaient de grandes baies cintrées percéessous les voûtes à travers les murs de remplissage; dans les habitations,les fenêtres n'étaient que des ouvertures assez étroites,rectangulaires, pour pouvoir recevoir des châssis de bois sur lesquelson posait du papier huilé, des canevas ou des morceaux de verreenchâssés dans un treillis de bois ou de métal. Rarement dans lesédifices publics les fenêtres étaient vitrées; ou bien elles étaientassez étroites pour empêcher le vent de s'engouffrer dans lesintérieurs; ou, si elles étaient larges, on les garnissait de réseaux depierre, de métal ou de bois destinés à tamiser l'air venant del'extérieur. Beaucoup d'églises et de salles romanes, jusqu'au XIIesiècle, possédaient des fenêtres sans aucune fermeture ou claire-voie.La forme de ces fenêtres est indiquée dans la fig. 1. Ne devant pas êtregarnies de châssis, il était naturel de cintrer ces baies et de leurdonner à l'intérieur un large ébrasement pour faciliter l'entrée de lalumière. Lorsque ces baies étaient étroites (ce qui était fréquent, afin
de rompre autant que possible l'effort du vent), on ne se donnait pas lapeine de bander un arc appareillé au-dessus des jambages à l'extérieur;mais on se contentait de tailler une pierre suivant la figure d'uncintre, et l'arc appareillé était réservé pour l'ébrasement, afin desoutenir la charge de la construction supérieure. La pierre tailléeextérieure, formant linteau cintré, n'avait alors que l'épaisseur dutableau AB (2). Presque toujours pendant les premiers siècles,c'est-à-dire du VIIIe au XIe, les jambages de ces baies se composent degrandes pierres en délit avec liaisons au-dessus de l'appui et sousl'arc. La fenêtre primitive romane était ainsi construite comme lafenêtre antique. Quant aux proportions de ces fenêtres percées dans desédifices, elles sont soumises à la place qui leur est assignée; ellessont habituellement courtes dans les étages inférieurs, et longues dansles étages supérieurs. D'ailleurs, l'idée de défense dominant danstoutes les constructions romanes du VIIIe au XIIe siècle, on avait lesoin de ne percer que de petites fenêtres à rez-de-chaussée, assezétroites souvent pour qu'un homme n'y pût passer; ou bien, si l'ontenait à prendre des jours assez larges, on divisait la fenêtre par unecolonnette ainsi que l'indique la fig. 3. Dans ce cas, la baieconsistait réellement en une arcade ayant la largeur EF et le cintre D;du côté de l'extérieur on posait un linteau à double cintre G sur unecolonnette dont la fonction véritable était de servir de clôture, declaire-voie. Le cintre D n'apparaissait pas à l'extérieur et servaitd'arc de décharge de H en K. Notre figure montre en A la fenêtre du côtéextérieur, et en B en coupe sur les milieux des petits arcs C et dugrand arc D.
Suivant les provinces, les fenêtres présentent pendant la périoderomane, et jusque vers le milieu du XIIIe siècle, des dissemblancesfrappantes. Larges relativement dans le Nord, elles sont de plus en plusétroites lorsqu'on se rapproche du Midi; et cependant il est à cetterègle générale quelques exceptions: ainsi les fenêtres des édificesreligieux de l'Auvergne, de la Saintonge, du Périgord, et d'une partiedu Languedoc, sont pendant les XIe et XIIe siècles aussi grandes que lesfenêtres de l'Île-de-France et de la Normandie, tandis que sur les bordsde la Saône et du Rhône elles sont fort petites. Nous donnerons iciquelques exemples qui confirmeront notre dire. Commençons par lesfenêtres des édifices religieux ou des monuments publics élevés sur lesmêmes données quant à la disposition des jours. Il est une loi observéedéjà par les architectes romans et développée avec beaucoupd'intelligence par les constructeurs du XIIIe siècle, qu'il nous fautavant tout faire connaître à nos lecteurs, car elle paraît être à peuprès oubliée de notre temps.La lumière qui passe à travers une baiedonnant dans un intérieur forme un cône ou une pyramide suivant lafigure de la baie; c'est-à-dire qu'au lieu d'être divergents, les rayonslumineux sont convergents de l'extérieur à l'intérieur: ainsi (4), soitune baieabcd, l'extérieur étant en A, la lumière directe, pleine,formera la pyramideabcde, et tout ce qui ne sera pas compris danscette pyramide ne recevra qu'une lumière diffuse ou de reflet. Lapyramide sera plus ou moins allongée suivant que la baie sera plus oumoins orientée vers le cours du soleil. Si même les rayons du soleilviennent à traverser cette baie, le faisceau lumineux formera un prisme,mais qui est point indéfini.
En supposant, par exemple, un trou carrédans un mur (5),abcd, l'extérieur étant en A, les rayons solairespassant par cette baie formeront le prismeabcd,a'b'c'd'. Mais sinous avons en B un mur éloigné de la baie de plus de vingt fois ladiagonale du carré, la projection des rayons solaires perce-mur seradéjà fort altérée; si ce mur est à une distance de cent fois la longueurde la diagonale du trou carré, il n'y aura plus qu'un spectre diffus; sibeaucoup plus loin, les rayons solaires ne laisseront plus de trace: lalumière directe solaire est donc elle-même altérée par les bords dudiaphragme qui lui permet de s'introduire dans un vaisseau fermé. Unepersonne placée au fond d'un souterrain de cinq cent mètres de long dontl'orifice ne serait que de deux mètres, en admettant que les rayonssolaires passassent par l'axe de ce souterrain, distingueraitparfaitement son orifice, mais ne recevrait aucune lumière. Ainsi, enadmettant même l'intervention directe des rayons solaires, le faisceaulumineux va toujours en diminuant de diamètre de l'extérieur àl'intérieur: donc, toute fenêtre doit avoir une ouverture proportionnéeà l'étendue du vaisseau à éclairer; si cette ouverture est trop petite,on voit la fenêtre, mais elle ne donne plus de lumière directe, et cen'est pas tant la multiplicité des jours qui donne de la lumière franchedans un intérieur que leur dimension relative. Une salle carrée devingt-cinq mètres de côté, qui serait éclairée par vingt fenêtres de1m,00 c. de surface chacune, serait parfaitement sombre dans son milieu,tandis que deux fenêtres de dix mètres de surface chacune, percées dansdeux de ses parois opposées, éclaireraient assez ce milieu pour qu'on ypût lire. Les surfaces lumineuses, les fenêtres en un mot, doivent doncêtre calculées en raison de l'étendue des intérieurs. Il est entendud'ailleurs que nous ne parlons que des fenêtres prenant le jour directdu ciel, car si elles ne reçoivent que des jours de reflet, il estévident que la pyramide ou le cône lumineux qu'elles produiront àl'intérieur sera beaucoup plus court. L'observation avait peu à peuamené les architectes du XIIe siècle à appliquer ces lois que l'amourpour la symétrie nous a fait négliger, car nous en sommes arrivés, pourobtenir à l'extérieur des façades percées de jours de pareillesdimensions, à éclairer de grandes salles et de petites pièces au moyende jours semblables entre eux; nous ne savons plus, ou nous ne voulonsplus (pour contenter certaines lois classiques que les anciens se sontbien gardés d'appliquer) produire de grands effets de lumière intérieursau moyen de jours plus ou moins larges; nous avons perdu le sentiment dupittoresque dans la façon d'éclairer les intérieurs. Cependant ladisposition des jours dans un intérieur, surtout si le vaisseau estgrand, divisé, est un des moyens d'obtenir sans frais des effetspuissants. Nous voyons l'architecture romane, quand elle se dégage de labarbarie, pousser très-loin déjà cette connaissance de l'introduction dela lumière du jour dans l'intérieur de ses églises et de ses grandessalles; cette architecture admet que certaines parties d'un vaisseaudoivent être plus éclairées que d'autres; elle inondera un sanctuaire delumière et laissera la nef dans un demi-jour, ou bien elle prendra dansles extrémités du transsept des jours énormes, tandis qu'elle laisserale sanctuaire dans l'obscurité, ou bien encore elle percera de petitesfenêtres dans les murs des collatéraux, tandis qu'elle rendra les voûteshautes lumineuses; elle procédera avec la lumière comme elle procèdequand il s'agit de décorer une ordonnance, elle sait faire dessacrifices; elle est sobre ici pour paraître plus brillante sur telpoint; elle use des moyens qui ont été le privilége de notre art avantl'ère classique; elle pense que les fenêtres n'existent pas parelles-mêmes; que leur dimension, leur forme, sont la conséquence du videà éclairer. Il est à croire que les architectes grecs, les architectesromains et ceux du moyen âge seraient fort surpris s'ils nous voyaientdonner dans des publications sur l'art de l'architecture des exemples defenêtres sans dire comment, où et pourquoi ces baies sont faites,quelles sont les salles qu'elles éclairent. Cela est, en effet, aussiétrange que le serait, dans une publication sur l'histoire naturelle desanimaux une collection d'oreilles présentées sans tenir compte des têtesqui les portent. Une oreille d'âne est fort belle assurément, mais à lacondition qu'elle ornera la tête d'un âne. Nous essaierons donc, enprésentant des exemples de fenêtres, puisqu'il s'agit ici de ce membreimportant de l'architecture, d'indiquer leur place et leur fonction,d'expliquer les raisons qui ont fait adopter telle ou telle forme etdisposition.
FENÊTRES APPARTENANT À L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE.--Nous avons dit déjàque dans les églises anciennes, c'est-à-dire dans celles qui ont étéconstruites du VIIIe au XIe siècle, les fenêtres ne recevaient pas devitraux, que les vitraux étaient une exception; que ces fenêtres étaientbéantes ou fermées, pour briser le vent, par des claires-voies enpierre, en bois ou en métal. C'était une tradition antique. Dans lesrudes contrées de la haute Bourgogne, les églises clunisiennesn'admettaient aucune fermeture à leurs fenêtres jusqu'au XIIe siècle.Les fenêtres de la nef de l'église de Vézelay, 1190 à 1110, hautes etbasses, étaient sans vitres, sans claires-voies, laissant passerlibrement l'air et la lumière. Voici, fig. 6, une de ces fenêtres471.La section horizontale de ces baies en A donne un double biseau sansfeuillure ni repos pour recevoir un châssis. Ce bizeau à l'extérieuravait l'avantage: 1º de permettre à la lumière de s'introduirefacilement; 2º de rompre l'action du vent qui s'engouffrait entre cesdeux surfaces inclinées. Une pente B à l'extérieur rejette les eauxpluviales. À l'intérieur l'appui C règne au niveau des tailloirs deschapiteaux. L'archivolte D est immédiatement placée sous le formeret dela voûte; le cintre de ces baies n'est donc point concentrique au cintredes formerets, mais profite de toute la hauteur du collatéral pourintroduire le plus de jour possible. En E nous présentons l'aspectextérieur de la fenêtre.
Dans les provinces de l'Ouest cependant, vers la même époque, les moeursétaient plus douces, et on ne laissait pas ainsi les intérieurs exposésà tous les vents; les fenêtres, à la fin du XIe siècle, étaient petites,étroites, et souvent garnies de claires-voies en pierre d'un travailassez délicat et d'un joli dessin. Il n'existe qu'un très-petit nombred'exemples de ces claires-voies, remplacées plus tard par des verrières.
Nous en donnons un, fig. 7, qui provient de l'église de Fenioux472.C'est une dalle de 0,055m d'épaisseur sur une largeur de 0,27 c. Lapierre est dure et finement taillée; les ajours biseautés à l'intérieuret à l'extérieur. Notre figure présente la face extérieure de la dallequi n'est point posée en feuillure, mais dans l'ébrasement même de labaie, ainsi que l'indique la fig. 7 bis, A étant le côté extérieur. Lesjambages des fenêtres ouvertes dans les murs des édifices religieux desXe et XIe siècles étaient habituellement dépourvus de toute décoration;les archivoltes seules, au XIe siècle, étaient parfois entourées d'uncordon mouluré, uni ou avec billettes; cependant déjà, dans lessanctuaires, on cherchait à éviter cet excès de simplicité en plaçantsous les archivoltes deux colonnettes en guise de pieds-droits, et celacomme une sorte d'encadrement qui donnait de l'importance et de larichesse à la baie. Cette méthode est suivie dans les monuments desprovinces du centre qui datent de cette époque, en Auvergne, dans leNivernais et le Berri, dans une partie du Languedoc, du Lyonnais et duLimousin. Les tableaux de la fenêtre restent simples, et sont commeentourés par une arcade portée à l'intérieur sur des colonnettes. C'estainsi que sont faites les fenêtres du sanctuaire des églises deNotre-Dame-du-Port à Clermont473, de Saint-Étienne de Nevers474. Cesdernières fenêtres furent toujours fermées par des panneaux de morceauxde verres enchâssés dans du plomb et maintenus au moyen de barres de fer(voy. VITRAIL). Lorsque les nefs étaient voûtées en berceau, bienrarement les fenêtres hautes pénétraient la voûte, l'extrados de leurarchivolte était posé immédiatement sous la naissance du berceau; cettedisposition obligeait les architectes à monter les murs goutterotsbeaucoup au-dessus des archivoltes de ces fenêtres afin de pouvoirposer, soit un massif portant une couverture à crû sur la voûte, soitune charpente. Cette portion de muraille nue au-dessus de baiesrelativement petites produisait un assez mauvais effet; aussi, dans lescontrées où l'art de l'architecture romane était arrivé à un certaindegré d'élégance et de finesse, cherchait-on à meubler ces parties nues.Les murs de la nef de la cathédrale du Puy-en-Vélay présentent un de cesmotifs de décoration murale extérieure entre les fenêtres percées sousla voûte haute et la corniche (8).
Des panneaux renfoncés, pratiquésdans l'épaisseur de la muraille et décorés de mosaïques et decolonnettes, occupent les parties vagues, encadrent les baies d'unefaçon gracieuse sans enlever à la construction l'aspect de soliditéqu'elle doit conserver. La fenêtre est elle-même fermée par une doublearchivolte bien appareillée, celle extérieure portant sur deuxcolonnettes. Ainsi, d'une petite baie très-simple en réalité, lesarchitectes auvergnats de la fin du XIe siècle ont fait un motif dedécoration d'une grande importance à l'extérieur.
Il n'est pas nécessaire de nous étendre longuement sur les fenêtresromanes des édifices religieux; outre qu'elles présentent peu devariétés, nous avons tant de fois l'occasion d'en donner des exemplesdans le cours de cet ouvrage, que ce serait faire double emploi d'enprésenter ici un grand nombre; cependant nous devons signaler certainesfenêtres qui appartiennent exclusivement aux monuments carlovingiens del'Est, et qui possèdent un caractère particulier.
Ces fenêtres, doublesou triples, reposent leurs archivoltes (9) sur des colonnettes simples,en marbre ou en pierre très-dure (afin de résister à la charge),surmontées d'un tailloir gagnant dans un sens l'épaisseur du mur;disposition que fait comprendre la coupe A475. Les colonnettesn'étaient, dans ce cas, que des étançons posés au milieu de l'épaisseurdu mur et portant une charge équilibrée. Il n'est pas besoin de dire queces fenêtres n'étaient point vitrées; aussi, n'étaient-elles percéesordinairement que dans des clochers ou des galeries ne s'ouvrant pas surl'intérieur. Ces sortes de fenêtres se voient encore dans quelquesclochers italiens bâtis en brique, clochers prétendus lombards.
Arrivons à l'époque de transition pendant laquelle les fenêtres desédifices religieux adoptent des formes très-variées.
La cathédrale de Noyon, bâtie vers 1150, nous fait voir déjà un systèmede fenestrage entièrement nouveau. Les parties supérieures des bras decroix de cette église, bâtis sur plan circulaire, sont éclairées par delongues fenêtres jumelles plein cintre, s'ouvrant sur une galerieextérieure passant à travers de gros contre-forts buttant les arêtes desvoûtes.
Le plan, fig. 10, nous montre les fenêtres jumelles en C avecleur feuillure pour recevoir un vitrage, la galerie extérieure en B,l'intérieur du vaisseau étant en A. Une longue colonnette monolitherépète extérieurement la double baie en laissant passer tout le jourpossible. Un arc de décharge reposant sur les pieds-droits etcolonnettes D porte la corniche supérieure.
La vue perspective (11), prise à l'extérieur, fait saisir l'ensemble decette disposition, nouvelle alors. Par ce moyen l'architecte obtenait àl'intérieur, sous les voûtes, un très-beau jour; il possédait unegalerie de service qui facilitait la pose et l'entretien des verrières,une saillie qui mettait celles-ci à l'abri du vent et de la pluie, uneconstruction légère et solide à la fois, car le grand arc de décharge,double, portait la partie supérieure de la construction et la charpente.On s'aperçoit ici, déjà, que les architectes cherchaient à introduire delarges rayons lumineux dans les intérieurs, qu'ils supprimaient les murset sentaient la nécessité d'augmenter les surfaces translucides à mesurequ'ils élevaient des monuments plus vastes. Ce principe si vrai amenarapidement des modifications très-importantes dans la structure desédifices religieux. L'espace laissé entre les piles portant les voûteset les formerets de ces voûtes devenait claire-voie vitrée; mais commeil fallait maintenir les armatures en fer destinées à porter lesverrières, et que ces armatures présentaient au vent une énorme surface,on divisa les vides par des piles, des arcs, des oeils et des découpuresen pierre qui opposaient un obstacle solide aux efforts du vent, quiétaient durables et permettaient de remplacer facilement les parties devitraux enfoncés par les ouragans. Les remplissages en pierre étaient sibien pour les architectes une nécessité de construction, qu'ils n'enposaient point dans les baies qui, par leur position près du sol ou leurétroitesse imposée par le faible écartement des piles, pouvaient, sansinconvénient, être armées de simples barres de fer. Dans lescollatéraux, par exemple, les architectes ne croyaient pas encore qu'ilfût nécessaire d'ouvrir complétement les murs entre les contre-forts,parce que ces collatéraux, n'étant pas très-larges, n'avaient pas besoind'une aussi grande surface de lumière que les nefs principales, puisparce qu'on s'attachait encore aux traditions romanes, tenant toujours àbien fermer les parties basses des édifices. Dans l'église Saint-Yved deBraisne, les bas-côtés du choeur et la nef haute même présentent ainsides fenêtres à l'état de transition (12), tandis que dans la cathédralede Soissons, les fenêtres basses sont à peu près semblables à celles deSaint-Yved, mais les fenêtres hautes de la nef possèdent déjà desclaires-voies de pierre, des meneaux, construits en assises sous lesarchivoltes concentriques aux formerets des voûtes hautes.
La fig. 13nous fait voir une de ces baies à l'extérieur; en A nous avons tracé lacoupe de l'archivolte et de la claire-voie faite surab. Un cheminsaillant passant à l'extérieur sous l'appui de ces fenêtres, et couvrantle triforium, permet de poser et de réparer les vitraux sansdifficultés. Que l'on veuille bien jeter les yeux un instant sur laconstruction de la claire-voie de pierre, des meneaux, en un mot; onverra que la structure se compose d'une pile centrale, de deux arcsextradossés, d'un oeil indépendant, recevant, en feuillure, des redentsformant une rose à six lobes. Entre l'oeil et les arcs est posé unremplissage en maçonnerie. Les redents maintiennent par leursextrémités, comme par autant de griffes, un cercle en fer qui sert àattacher les panneaux de verre. Dans chaque espace vide, sous les arcs,monte une barre verticale croisée par des barres horizontales formantune suite de panneaux réguliers. Les vitraux sont maintenus à ces barrespar des clavettes passant dans des pitons et par des feuillures tailléesdans les pieds-droits et le meneau central (voy. ARMATURE). Ainsi, dèsla fin du XIIe siècle (car ces fenêtres datent de cette époque ou despremières années du XIIIe), les meneaux construits étaient adoptés pourles grandes fenêtres des grands édifices religieux appartenant auxprovinces françaises. Il faut reconnaître que les architectes de cetteépoque de transition cherchent, tâtonnent, essayent de plusieursméthodes, en n'employant cependant que des moyens vrais, simples, ensachant parfaitement ce qu'ils veulent, mais en arrivant au but pardivers chemins. À Châlons-sur-Marne, vers 1170, l'architecte du choeurde Notre-Dame voulait aussi quitter les traditions romanes et ouvrir degrands jours sous les voûtes hautes. Comment s'y prenait-il? Ayantobtenu par la plantation des piles du sanctuaire des travées fortlarges, il relevait les formerets des voûtes le plus possible, en ayantle soin même de les tracer suivant une courbe brisée très-aplatie, fig.14.
Sous ces formerets il perçait trois fenêtres, à peu près d'égalehauteur, séparées par deux pilettes. Le génie champenois, toujours enavant sur les provinces voisines, porte le constructeur à relier lefenestrage au triforium; il fait donc descendre les deux colonnettesmonolithes A des pilettes séparant les baies jusque sur l'appui dutriforium, et pose là deux corbelets pour recevoir leur base. Quant auxdeux autres colonnettes B d'encadrement, elles descendent jusque sur lestailloirs des chapiteaux inférieurs, car on observera qu'ici il n'y apas d'arc formeret saillant mouluré, et que la voûte vient porterdirectement sur le tympan supérieur C476. L'ordonnance des fenêtres,au lieu d'être séparée de l'ordonnance du triforium, comme dans lesédifices de l'Île-de-France de la même époque, s'y rattache; ce quigrandit singulièrement l'intérieur du vaisseau. Ce triforium, qui estfort petit, reprend de l'échelle parce qu'il ne devient plus qu'un appuiajouré du fenestrage. En D nous avons donné le plan des baies au niveauD', et en E la face extérieure des archivoltes des trois fenêtres quipeuvent être vitrées à l'extérieur par la galerie servant de couvertureau triforium477. À ce propos on devra observer aussi que généralementles fenêtres hautes sont vitrées du dehors, tandis que celles descollatéraux plus près du sol sont vitrées de l'intérieur. Il y a pourprocéder ainsi de bonnes raisons: c'est qu'une fenêtre basse étantvitrée du dehors, il est facile à des malfaiteurs d'enlever la nuitquelques clavettes et les tringlettes, de déposer un panneau desverrières, et de s'introduire dans l'église; tandis que cette opérationne peut être tentée si les panneaux de vitres sont posés, les clavetteset tringlettes étant à l'intérieur. Mais à la partie supérieure del'édifice on n'avait pas à redouter ce danger, tandis qu'il fallaitprendre certaines précautions pour empêcher la pluie fouettant contreles verrières de s'introduire entre les panneaux: or, les panneaux étantposés à l'intérieur, les grands vents chassant la pluie contre eux,l'eau s'arrête à chaque barre transversale (barlottière) et s'infiltrefacilement entre leurs joints; il y a donc avantage à vitrer lesfenêtres les plus exposées au vent par le dehors; on peut ainsi ménagerun recouvrement du plomb d'un panneau sur l'autre, obtenir une surfaceunie, sans ressauts, et n'arrêtant les gouttes de pluie sur aucun point.On pensera peut-être que nous entrons dans des détails minutieux; mais,à vrai dire, il n'y a pas de détail dans l'exécution des oeuvresd'architecture qui n'ait son importance, et les véritables artistes sontceux qui savent apporter du soin, de l'observation et de l'étude dansles moindres choses comme dans les plus importantes: aussi lesarchitectes du moyen âge étaient-ils de véritables artistes.
Vers le commencement du XIIIe siècle, l'architecte de la cathédrale deChartres cherchait des combinaisons de fenêtres entièrement neuves pouréclairer la haute nef. Il s'était astreint, dans les collatéraux, auxhabitudes de son temps, c'est-à-dire qu'il avait percé des fenêtresterminées par des arcs en tiers-point, ne remplissant pas l'espacecompris entre les piles; il avait voulu laisser à ce soubassementl'aspect d'un mur.
Mais nous voyons que dans la partie supérieure de sonédifice il change de système; d'une pile à l'autre il bande desformerets plein cintre, puis dans l'énorme espace vide qui reste àchaque travée au-dessus du triforium il élève deux larges fenêtressurmontées d'une grande rose, fig. 15 (voir la coupe C): A est leformeret faisant archivolte à l'extérieur, doublée d'un grand arc Ddonnant l'épaisseur de la voûte V. L'entourage de la rose R reçoit enfeuillure des dalles percées de quatre feuilles, et formant de largesclaveaux. En B sont tracées les portées des arcs-boutants. Il est bon decomparer ces fenêtres avec celles données ci-dessus (fig. 14) ou cellesanciennes, de la nef de la cathédrale de Paris, bien peu antérieures. Onreconnaît dans cette construction de Notre-Dame de Chartres unehardiesse, une puissance qui contrastent avec les tâtonnements desarchitectes de l'Île-de-France et de la Champagne. C'est à Chartres oùl'on voit, pour la première fois, le constructeur aborder franchement laclaire-voie supérieure occupant toute la largeur des travées, et prenantle formeret de la voûte comme archivolte de la fenêtre. Simplicité deconception, structure vraie et solide, appareil puissant, beauté deforme, emploi judicieux des matériaux, toutes les qualités se trouventdans ce magnifique spécimen de l'architecture du commencement du XIIIesiècle. N'oublions pas d'ailleurs que ces arcs, ces piles, ces dallespercées, sont faits en pierre de Berchère d'une solidité à touteépreuve, facile à extraire en grands morceaux, d'une apparencegrossière; ce qui ajoute encore à l'effet grandiose de l'appareil. On nepeut douter que la qualité des matériaux calcaires employés par lesarchitectes de l'époque primitive gothique n'ait éte pour beaucoup dansl'adoption du système de construction des grandes fenêtres. Ce qu'onfaisait à Chartres au commencement du XIIIe siècle, on n'aurait pu lefaire avec les matériaux des bassins de l'Oise, de la Seine, de l'Aisneet de la Marne. Dans ces contrées on ne songeait pas à employer lesdalles percées, on ne le pouvait pas; on accouplait les fenêtres, on lesélargissait autant que possible, mais on n'osait encore les fermer avecdes claires-voies de pierre. En Bourgogne, où les matériaux sonttrès-résistants, vers la seconde moitié du XIIe siècle, les roses seremplissaient de réseaux de dalles percées (voy.ROSE), mais non lesfenêtres. À Laon, vers 1150, les architectes balançaient encore entreles formes de fenêtres de l'époque romane et celles nouvellement percéesdans les édifices religieux voisins, comme la cathédrale de Noyon, commel'église abbatiale de Saint-Denis. Dans le mur pignon du transsept del'église abbatiale de Saint-Martin à Laon, bien que la structure del'édifice soit déjà gothique, nous voyons des fenêtres qui n'abandonnentpas entièrement les traditions romanes (16).
Le plein cintre et l'arcbrisé se mêlent, et l'école nouvelle ne se montre que dans la forme desmoulures. Ici même, le plein cintre apparaît au-dessus de l'arc brisé;ce qui prouve encore combien, pendant l'époque de transition, lesarchitectes se croyaient libres d'adopter l'un ou l'autre de ces arcssuivant les besoins de la construction. La fenêtre inférieure est ferméepar un arc brisé, parce que cette fenêtre est plus large que l'autre, etque le constructeur a voulu donner plus de solidité à sa construction enfaisant porter les pieds-droits de la fenêtre supérieure sur les reinsd'un arc dont les coupes se rapprocheraient davantage de la lignehorizontale. Il a été évidemment préoccupé de l'effet qu'eût pu produireun jambage de fenêtre sur les claveaux d'un plein cintre entre lessommiers et la clef; l'arc brisé n'est qu'un moyen de parer au dangerd'une rupture vers la partie moyenne de l'archivolte à droite et àgauche. Ne perdons pas de vue ceci: c'est que, vers le milieu du XIIesiècle, les architectes avaient vu tomber un si grand nombre d'édificesromans, surtout au moment où on avait prétendu leur donner detrès-grandes dimensions, qu'ils avaient dû observer les effets detassements et de rupture qui s'étaient produits dans les constructions,et qu'ils redoutaient sans cesse de voir se reproduire ces fâcheuxeffets. L'arc brisé leur paraissait un moyen excellent d'éviter desdésastres; ils s'en servaient donc comme on se sert d'un nouveau procédéreconnu bon, c'est-à-dire toutefois qu'ils avaient un doute surl'efficacité des vieilles méthodes. Il ne pouvait être donné qu'à deshommes déjà expérimentés, hardis, et sûrs de leurs moyens d'exécution,de se servir encore du plein cintre pour d'assez grandes portées, commele fit l'architecte de Notre-Dame de Chartres.
Avec la pierre de Berchère on pouvait combiner un système declaires-voies mixte tel que celui qui fut adopté pour les fenêtreshautes de la cathédrale de Chartres, c'est-à-dire composé de claveauxformant une ossature élastique et résistante, et de dalles mincespercées à jour comme les fermetures de baies antiques; mais tous lesmatériaux ne se prêtaient pas à l'emploi de ces procédés. En Champagne,bien que les constructeurs possédassent des matériaux de grandesdimensions, ils ne trouvaient pas, dans les carrières du pays, des bancsd'une résistance assez forte pour se permettre l'emploi de ces largesclaires-voies composées de dalles de champ. Ils procédèrent autrement etfirent des châssis de pierre, pour maintenir les panneaux des vitraux,au moyen d'arcs appareillés, bandés l'un dans l'autre et indépendants.Ce système apparaît complet dans la structure de fenêtres des chapellesdu choeur de la cathédrale de Reims, qui ont dû être élevées vers 1215.Conformément à la méthode champenoise, les fenêtres présentent desberceaux d'arcs brisés, de larges ébrasements se terminant à l'intérieuren façon de formeret pour recevoir les remplissages des voûtes, etportant à l'extérieur un profil saillant sous lequel s'engagent deuxarcs brisés et une rose reposant seulement sur ces deux arcs sanspénétrer dans les moulures de l'archivolte. Une figure est nécessairepour expliquer cette structure très-importante en ce qu'elle nous donnela transition entre les claires-voiesbâties et les claires-voieschâssis.
Nous donnons donc (17) un tracé perspectif de la partiesupérieure de ces fenêtres pris de l'intérieur des chapelles. On voit enA le formeret-berceau qui appartient au style gothique primitif de laChampagne, formeret dont le profil est donné en B. Sous ceberceau-formeret est bandée l'archivolte C, ne faisant que continuer lasection des colonnettes D et du double biseau recevant la feuillure dela verrière. En E est un sommier qui reçoit l'un des arcs retombants surun meneau central G. La clef de cet arc est pénétrée par la rose, quiest seulement prise entre les claveaux de l'archivolte C. À son tour larose reçoit en feuillure les redents H qui ne portent point feuillure,mais des pitons à l'intérieur pour maintenir les panneaux des vitraux.N'oublions pas de mentionner que les colonnettes du meneau central aussibien que celles des pieds-droits ne sont point reliées à laconstruction, mais sont posées en délit, suivant la méthode usitée pourla plupart des colonnettes, à la fin du XIIe siècle. Du côté extérieur,ces fenêtres donnent le tracé géométral (18).
L'archivolte C, étant unarc de décharge, se trouve naturellement soumise aux tassements etmouvements qu'eût subi la bâtisse: or, la rose étant laissée libre,maintenue seulement par le frottement entre les reins de l'archivolte,ne risque pas d'être brisée par ces tassements; elle peut être quelquepeu déformée, comme le serait un cerceau de fer ou de bois que l'onpresserait, mais ne saurait se rompre. C'est là une marque de prévoyanceacquise par une longue observation des effets qui se manifestent dansd'aussi vastes constructions.
Toutes les fenêtres de la cathédrale de Reims sont construites d'aprèsce principe. Notre figure géométrale (18) indique en A la coupe de lapartie supérieure de la fenêtre, B étant le berceau-formeret intérieur.On voit en C la façon dont sont incastrés les redents de la rose,maintenus à leur extrémité D par un cercle en fer et des clavettes E; enG les feuillures des vitraux posés à l'intérieur. On remarquera quecette feuillure dans l'appui, dont la coupe est tracée en I, se retournepour rejeter sur le talus extérieur H les eaux pluviales ou de buéecoulant le long des vitraux. Un détail perspectif K fait saisir cettedisposition double des feuillures. En L nous avons tracé une sectionhorizontale des meneaux et pieds-droits avec la saillie du taluscirculaire M; en O la pénétration des bases des colonnettes despieds-droits et meneaux établis sur plan droit dans ce talus (voy.CHAPELLE, fig. 36 et 37).
Que les fenêtres de la cathédrale de Reims soient étroites ou larges,elles ne possèdent toujours qu'un meneau central et deux vides; il enrésulte que ces vides ont, soit 1m,20 c. de largeur, soit 2m,30 c. Pourmaintenir les panneaux des vitraux dans d'aussi larges baies, il fallaitdes armatures en fer très-fortes. On prit donc bientôt le parti demultiplier les meneaux pour les fenêtres larges, afin d'avoir toujoursdes vides à peu près égaux. Au lieu d'un seul meneau on en monta trois,de façon à diviser la baie en quatre parties d'égales largeurs. Ce nefut que vers 1240 que cette modification importante eut lieu, et dèslors, chaque fois que la nature des matériaux le permit, les meneaux nefurent plus que des châssis composés de pierres en délit et engagés enfeuillure sous les archivoltes. Parmi les plus belles et les premièresfenêtres de ce genre il faut mentionner celles de la Sainte-Chapellehaute du Palais à Paris.
On retrouve là, fig. 19, le principe quicommande la construction des fenêtres de la cathédrale de Reims,c'est-à-dire que le vide est divisé en deux par un meneau vertical Aportant deux arcs brisés et une rose. Mais les deux grandes divisions ABsont elles-mêmes subdivisées en deux par des meneaux secondaires C quiportent aussi des arcs brisés et des roses plus petites, de sorte queles espaces à vitrer n'ont que 1m,00 de largeur. L'archivolte D (voir lacoupe E) remplit à l'intérieur l'office de formeret et reçoit lesremplissages des voûtes F. La seconde archivolte G sert d'arc dedécharge, porte le chéneau, la balustrade extérieure et le bahut H surlequel repose la charpente. On voit en I des gargouilles dont la queuepénètre jusqu'aux reins des voûtes pour rejeter en dehors les eauxpluviales qui tombaient sur ces voûtes avant l'achèvement de laconstruction et la pose de la couverture. C'est à la Sainte-Chapelle duPalais où l'on voit naître, les gâbes sur les archivoltes des fenêtres;gâbes qui sont à la fois et une décoration et un moyen de maintenir lesarchivoltes dans leur plan (voy. CONSTRUCTION, fig. 108). En K nousavons tracé l'ensemble de la fenêtre, qui porte en hauteur trois fois salargeur; en L sont des chaînages en fer qui maintiennent la déviationdes contre-forts, les relient entre eux et empêchent les meneaux desortir de leur plan. D'ailleurs ces meneaux ne sont plus construits parassises, mais sont taillés dans de grandes pierres posées en délit, cequi permettait de leur donner moins de largeur et de laisser plus dechamp aux vitraux; quant à ceux-ci, leurs panneaux sont maintenus dansles fenêtres de la Sainte-Chapelle par des armatures en fer ouvragés etpar des feuillures creusées au milieu de l'épaisseur des meneaux ainsiqu'il est indiqué en M. Ces fenêtres sont vitrées du dedans, et lesarmatures en fer, formant saillie sur les panneaux en dehors, sontposées de manière à dégager complétement les feuillures. La coupe del'appui est tracée en N, ces appuis portant toujours un petit épaulementO à l'intérieur, pour rejeter en dehors les eaux de pluie pénétrant àtravers les interstices des panneaux. Dans les fenêtres de laSainte-Chapelle haute on voit que les arcs et découpures des meneauxsont exactement compris dans la hauteur de l'archivolte. Cettedisposition avait un défaut, elle faisait paraître les colonnettes desmeneaux trop hautes, ne donnait pas assez d'importance aux découpuressupérieures. Les architectes du milieu du XIIIe siècle observèrentl'effet fâcheux de cette disposition, et ils descendirent bientôt lesarcs des meneaux et les découpures supérieures au-dessous de lanaissance des archivoltes. Mais vers la fin de la première moitié duXIIIe siècle, dans les édifices religieux, les fenêtres se combinaient,soit avec une arcature de soubassement lorsqu'elles étaient percées àrez-de-chaussée, soit avec les galeries à jour de premier étage(triforium) lorsqu'elles s'ouvraient dans la partie supérieure deshautes nefs. À la Sainte-Chapelle du Palais déjà, une arcatureintérieure sert d'appui aux grandes fenêtres comme à celles de lachapelle basse (voy. ARCATURE, fig. 8). Si, dans la Sainte-Chapellehaute, cette arcature ne se relie pas absolument aux meneaux desfenêtres, cependant les divisions correspondent aux espacements desmeneaux; les architectes semblaient ainsi vouloir faire partir lesfenêtres du sol, c'est-à-dire ne plus composer leurs édifices que depiles et d'ajours dont une portion était cloisonnée par le bas. C'étaitun moyen de donner de la grandeur à l'intérieur des édifices religieux.Nous avons vu que les architectes des églises de Notre-Dame de Châlons(sur-Marne) et du choeur de Saint-Remy de Reims avaient cherché à relierles fenêtres supérieures avec le triforium. Dans la cathédrale de Reimsce principe n'avait point été suivi, mais nous voyons que dansl'Île-de-France et la Picardie on l'adopte avec franchise, du moins,pour les fenêtres supérieures.
La nef de la cathédrale d'Amiens nous présente un des premiers et desplus beaux exemples de ce parti. Dans cette nef, les fenêtressupérieures et le triforium ne forment qu'un tout, bien que ce triforiumsoit encore clos et qu'il adopte une ordonnance particulière. Ce nouveaumode a une telle importance, il indique si clairement le but que lesarchitectes se proposaient d'atteindre, savoir: de supprimer entièrementles murs, ce qu'en terme de métier on appelle lestapisseries, quenous devons ici donner une figure de ces fenêtres hautes de la nef deNotre-Dame d'Amiens (20).
En A est tracée la face intérieure de l'une deces fenêtres, et en B sa coupe sur CC'C''. Les arcs-doubleaux desgrandes voûtes portent sur les colonnes D, et les arcs ogives sur lescolonnettes E; c'est l'archivolte G de la fenêtre qui tient lieu deformeret. Il n'y a donc dans cette construction que des piles et desfenêtres. Le triforium est essentiellement lié à cette baie,non-seulement par sa décoration, mais aussi par sa structure. Cependant,le comble H du bas-côté étant adossé à ce triforium, une cloison I fermela galerie, et un arc de décharge O porte le filet, le passagesupérieur, et forme étrésillonnement entre les piles K qui reçoivent lescolonnes de tête M des arcs-boutants. Les piles milieux sont placéesau-dessus de la clef des archivoltes des collatéraux, de sorte quetoutes les pesanteurs se reportent sur les piles de la nef. Le meneaucentral de la baie est construit en assises hautes, mais déjà lesmeneaux intermédiaires ne se composent que de grands morceaux de pierreen délit. Les redents des roses, grandes et petites, sont incrustés enfeuillure dans l'appareil principal de la claire-voie supérieure478.Ces baies étant d'une dimension considérable, on a jugé à propos demultiplier les barlottières en fer, de placer des montants dans lemilieu de chaque intervalle, et de garnir la rose supérieure d'unepuissante armature pour soulager d'autant les redents et pour résisterau poids des panneaux de vitraux. Si le triforium participe déjà ici àla fenêtre, cependant il est encore un membre distinct del'architecture, il n'est pas à claire-voie et laisse voir des portionsde tapisseries entre ses archivoltes et l'appui des grandes baies. Cesajours obscurs et ces surfaces pleines sous les grandes parties vitréesdes fenêtres hautes tourmentèrent l'esprit logique des architectes duXIIIe siècle. Le triforium, en effet, n'était plus une galerie ferméepassant sous les fenêtres, c'était déjà un soubassement de la fenêtre,mais un soubassement qui ne s'y reliait pas assez intimement. Endisposant les combles des bas-côtés en pavillons ou en terrasses, onpouvait mettre à jour aussi la cloison du triforium; mais alors ilfallait faire disparaître ces tympans pleins, ces appuis hauts, et fairedécidément descendre les grandes baies des nefs jusqu'à l'appui de lagalerie en ne donnant à celle-ci que les pleins absolument nécessairespour trouver un chemin de service en R. Dans le choeur de la mêmecathédrale ce nouveau programme fut résolu avec certains tâtonnements:les tympans pleins au-dessus des archivoltes du triforium existentencore; on a bien cherché à les allégir en les décorant de gâbes aveccrochets, mais la solution de continuité entre la fenêtre et la galerieajourée n'en existe pas moins (voy. TRIFORIUM). C'est en Champagne etdans l'Île-de-France où le problème paraît avoir été résolu d'unemanière absolue pour la première fois. La nef et les parties hautes duchoeur de l'église abbatiale de Saint-Denis, bâties vers 1245 (vingt ansenviron après la nef de Notre-Dame d'Amiens), nous montrent des fenêtresne faisant plus qu'un tout avec le triforium479. Ces fenêtresprésentent d'ailleurs certaines dispositions particulières qui ont unesignification au point de vue de la structure. Indiquons d'abord cetterègle à laquelle on trouve peu d'exceptions: c'est que pendant le XIIIesiècle, et même au commencement du XIVe, les meneaux des fenêtresoffrent toujours une division principale, de manière à fournir deuxvides seulement si ces baies ont peu de largeur, et deux videssubdivisés par des meneaux secondaires si ces baies sont plus larges;ainsi les fenêtres possèdent des travées en nombre pair, deux et quatre.Ces divisions se subdivisent encore si les fenêtres atteignent unelargeur extraordinaire afin de composer huit travées480, c'est-à-direun meneau principal, deux meneaux secondaires et quatre meneauxtertiaires, en tout sept meneaux. On reconnaît là l'emploi de ce systèmedecristallisation, disons-nous, vers lequel l'architecture gothiquetombe par une pente fatale dès le milieu du XIIIe siècle. On conçoit,par exemple, que les architectes ayant admis que pour maintenir lespanneaux de vitraux il ne fallait pas laisser plus d'un mètre environ devide entre les meneaux, à moins d'être entraîné à placer des montants enfer entre ces meneaux comme dans l'exemple précédent; que du moment queles meneaux étaient considérés comme des châssis de pierre destinés àmaintenir ces panneaux, il était illogique de doubler ces meneaux pardes barres de fer verticales, ces architectes aient été bientôtentraînés à poser autant de montants verticaux de pierre qu'il y avaitd'intervalles de trois pieds de large à garnir de vitraux. Soit unefenêtre de deux mètres de large à vitrer, l'architecte pose un meneau(21). Soit de quatre mètres, il pose un meneau principal et deux meneauxsecondaires (22). Soit de huit mètres, il pose un meneau principal, deuxmeneaux secondaires et quatre tertiaires (23). Mais alors la rose A etles compartiments B deviennent si grands qu'il est impossible de lesvitrer, à moins d'employer des armatures en fer très-compliquées; c'estce qu'il faut éviter. On cherche des combinaisons de redents de pierrepour garnir ces intervalles comme nous le traçons en C, par exemple. Lechâssis est alors complet, et le fer n'est qu'un accessoire, ne se poseque sous forme de barlottières armées de pitons. Nous avons ditprécédemment que le défaut des fenêtres hautes de la Sainte-Chapelle duPalais était de présenter des meneaux trop longs pour les claires-voiessupérieures, celles-ci ne descendant pas au-dessous de la naissance desarchivoltes. L'architecte de la nef de Notre-Dame d'Amiens, avant laconstruction de la Sainte-Chapelle, avait déjà descendu lesclaires-voies supérieures au-dessous de la naissance desarchivoltes-formerets (fig. 20). Mais plus on multipliait les meneaux,et plus il fallait descendre ces claires-voies, ainsi que le démontrentles deux fig. 21 et 22, ou bien il fallait, comme on le voit, fig. 23,tracer les arcs brisés intérieurs se rapprochant plus du plein cintreque dans les deux autres exemples.
Les fenêtres hautes de la nef de Notre-Dame d'Amiens possèdent un meneaucentral offrant plus de champ que les deux autres. En effet, le poids dela claire-voie se reporte presque entièrement sur ce meneau; celan'avait point d'inconvénients alors que ce meneau central était encorecomposé ou d'assises ou de pierres hautes, mais n'étant pas de nature àse déliter. Si, au contraire, on voulait en venir à former ces meneauxde longues pierres debout pouvant se déliter, il y avait un dangersérieux à reporter toute la charge sur le pied-droit central. Lesarchitectes des églises de Saint-Denis, de la cathédrale de Troyes et dequelques autres monuments religieux élevés au milieu du XIIIe siècle,conservèrent la disposition générale indiquée dans la fig. 20, maisdonnèrent pour plus de sûreté un champ égal, sinon une égale épaisseur,aux trois montants des grandes baies: c'est-à-dire (fig. 24481) qu'ilsaccolèrent deux fenêtres à un seul montant chacune.
Ainsi tous les nerfsprincipaux de la claire-voie conservaient le même champ, et le châssisde pierre avait sur toute sa surface une égale rigidité. En A, nousavons tracé la section du meneau central et de l'un des meneauxintermédiaires; en B, la coupe de la fenêtre faite sur son axe. Ici lesredents des roses ne sont plus embrévés en feuillure comme à Amiens,mais tiennent à l'appareil général; ce qui permettait, en leur donnantplus de légèreté, d'obtenir plus de résistance et de diminuer la forcedes armatures en fer. Le triforium est, comme nous le disions tout àl'heure, intimement lié à la fenêtre, il est ajouré comme elle, et lestympans destinés à porter le plafond du passage C ne présentent que dessurfaces pleines peu importantes. La cloison extérieure D est ajouréecomme la galerie E, quoique d'une taille plus simple. C'est à cettecloison D que sont attachés les panneaux de vitraux. Les barres de fer Gforment un chaînage continu passant à travers les piles et les meneaux,et reliant toute la construction. Bientôt on voulut même supprimer cespetits tympans pleins au-dessus des archivoltes du triforium, et ne plusavoir qu'une claire-voie sans autre interruption que l'assise de plafondentre le haut de la galerie et les baies. Les fenêtres et le triforiumne parurent plus être qu'une seule ouverture divisée par des meneaux etdes découpures complétement ajourées. (voy. TRIFORIUM). Alors lestravées des grandes nefs ne furent composées que des arcades desbas-côtés et d'un fenestrage comprenant tout l'espace laissé entre ledessus des archivoltes de ces travées et les voûtes hautes. Si lessanctuaires n'avaient point de collatéraux, on les mettait entièrement àjour au moyen d'une galerie vitrée surmontée d'un fenestrage comprenanttout le vide entre les piles. C'est ainsi qu'est construit le choeur del'église Saint-Urbain de Troyes, qui n'offre aux regards qu'unesplendide lanterne de verrières peintes reposant sur un soubassementplein, de trois à quatre mètres seulement de hauteur482.
Nous avons donné au mot CHAPELLE, fig. 4, 5 et 6, la disposition desfenêtres de la chapelle royale du château de Saint-Germain-en-Laye,disposition qui met à jour tout l'espace compris entre les contre-fortsde l'édifice en isolant les formerets de la voûte, de manière qu'àl'extérieur cette chapelle laisse voir, seulement comme parties solides,des piles et de grands fenestrages carrés. Cette tendance à laisserentièrement à jour les tapisseries des édifices religieux entre lescontre-forts, de ne plus faire que des piles portant des voûtes avec unedécoration translucide à la place des murs, est évidemment lapréoccupation des architectes dès le milieu du XIIIe siècle. Du momentoù l'on adopta les verrières colorées, la peinture murale ne pouvaitproduire dans les intérieurs que peu d'effet, à cause du défaut delumière blanche et de l'éclat des vitraux; on prit donc le parti den'avoir plus que de la peinture translucide, et on lui donna la plusgrande surface possible.
La Champagne précède les autres provinces de France, lorsqu'il s'agitd'adopter ce parti. Les bas-côtés de la nef de Saint-Urbain de Troyes,dont la construction date de la fin du XIIIe siècle, présentent entreles contre-forts cette disposition d'un fenestrage rectangulaire,très-riche, indépendant des voûtes. L'architecte de cette église sicurieuse, voulant adopter un parti large dans un petit édifice, ce qu'onne saurait trop louer, n'a divisé sa nef qu'en trois travées. Lesbas-côtés sont couverts par des voûtes d'arête sur plan carré; maiscomme l'espace entre les contre-forts eût été trop large pour ouvrirentre les piles une seule fenêtre, à moins de lui donner une largeurplus grande que sa hauteur, ce qui eût été d'un effet très-désagréable,ou de laisser entre les baies et les piles de larges pieds-droits, cequ'on voulait éviter, cet architecte donc, fig. 25, a divisé chaquetravée du bas-côté par une nervure A qui vient retomber sur une pile etun contre-fort B moins puissant que les contre-forts C, lesquelsreçoivent les arcs-boutants. Dans les espaces laissés entre les gros etpetits contre-forts il a ouvert des fenêtres en D, terminées carrémentsous le chéneau, et indépendantes des formerets E des voûtes. Il a voulucependant donner à l'extérieur comme à l'intérieur une grande richesse àce fenestrage.
La fig. 26 présente la face extérieure d'une de cesbaies, à l'échelle de 0m,02 c. pour mètre. En A est l'un des groscontre-forts, en B l'un des petits. La coupe E est faite sur labalustrade en E'. L'assise formant chéneau et reposant sur laclaire-voie est en G. La section C, à 0m,04 c. pour mètre, est faite surle meneau à la hauteur H, et celle D, sur ce même meneau, à la hauteurI. Les vitraux sont posés dans les feuillures K.
Si nous faisons unecoupe sur l'axe de cette fenêtre, fig. 27, nous avons le meneau centralen A, le petit contre-fort en B, et sous le formeret de la voûte, en C,une claire-voie qui n'est qu'une décoration. On voit que le chéneau Grepose sur ce formeret et sur la claire-voie extérieure. Examinons cettefenêtre de l'intérieur du bas-côté, fig. 28.
En A nous avons indiqué laclaire-voie vitrée, la fenêtre qui porte le chéneau G, et qui estexactement comprise entre les contre-forts; en B est tracée laclaire-voie intérieure, sous le formeret C de la voûte. D'aprèsl'appareil, qui est exactement tracé, on reconnaît que ces claires-voiessont complétement indépendantes de la structure des contre-forts,qu'elles ne sont que des dalles ajourées taillées dans un excellentliais de Tonnerre. La construction ne consiste donc qu'en descontre-forts ou piles portant les voûtes; puis, comme clôture, il n'y aque des cloisons ajourées, posées en dehors et recevant les chéneaux. Cesont de véritables châssis que l'on peut poser après coup, changer,réparer, remplacer sans toucher à l'édifice. Il n'est pas besoin defaire ressortir les avantages qui résultent de ce système, parfaitementraisonné, qui permet les décorations les plus riches et les plus légèressans rien ôter à la bâtisse de sa solidité et de sa simplicité.
Pendant le XIVe siècle cependant, on abandonne, même en Champagne, cesystème de fenestrage inscrit dans des formes rectangulaires pour lesédifices religieux, et on en revient à prendre les formerets des voûtescomme archivoltes des baies; mais les meneaux deviennent de plus en plusdéliés, et arrivent à des sections d'une extrême délicatesse afin delaisser aux vitraux, c'est-à-dire aux surfaces décoratives colorées, leplus de surface possible (voy. MENEAU).
FENÊTRES APPARTENANT À L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE.--Dansl'architecture antique grecque et romaine, c'est la structure intérieuredes vaisseaux à éclairer qui commande la forme et la dimension desfenêtres. Ce même principe est appliqué avec plus de rigueur encore parles architectes du moyen âge. Si la forme cintrée convient à des baiesdont les vitraux sont dormants, et qui sont inscrites par des voûtes, onconviendra que cette forme ne peut guère être appliquée à des baiesqu'il faut ouvrir souvent et qui sont percées entre des planchers. Ainsique nous l'avons dit en commençant cet article, les fenêtres despremiers siècles du moyen âge sont très-rarement garnies de vitraux dansles édifices publics; mais il fallait bien, dans les habitationsprivées, se garantir du froid et du vent, ne fût-ce que pendant la nuit:alors les fenêtres étaient closes par des volets de bois; quand onvoulait de l'air et de la lumière, on ouvrait les volets. Lesinconvénients de ce moyen primitif obligèrent bientôt les architectes àpercer ces volets de quelques trous que l'on garnissait de verre ou deparchemin. Puis on en vint à faire des châssis de bois recevant lesvitraux, du papier, du parchemin ou de la toile.
Quelques fenêtres d'habitations du XIe siècle, comme celles de nosanciens donjons normands, par exemple, ne laissent voir nulle trace defermeture ancienne; il est à croire qu'elles étaient closes au moyen denattes, de courtines de laine ou de grosse toile; on voit en effetsouvent figurées dans les manuscrits carlovingiens des baies garnies deces tentures mobiles glissant sur des tringles, et retenues par desembrasses lorsqu'on voulait faire entrer l'air et la lumière dans lesintérieurs. Déjà certainement, les habitations urbaines, celles desbourgeois qui se livraient à un travail quelconque dans l'intérieur deleurs maisons, étaient percées de fenêtres vitrées ou parcheminées alorsque les châteaux conservaient encore les anciens usages, car lesseigneurs féodaux et leurs hommes ne se réunissaient guère que le soirdans leurs réduits pour manger et dormir; ils ne se livraient à aucuntravail intérieur, et passaient presque toutes leurs journées à courirla campagne.
Dans les maisons des villes, le besoin de faire pénétrer le jour dansles intérieurs (les rues étant généralement étroites) motivait cescolonnades vitrées que nous trouvons dans presque toutes les habitationsfrançaises à dater du XIIe siècle. L'ouvrage de MM. Verdier et Cattoissur l'architecture civile du moyen âge nous fournit un grand nombred'exemples de ces fenestrages continus qui occupaient tout un côté de lapièce principale au premier et même au second étage, pièce qui servaitde lieu de travail et de réunion pour toute la famille. Mais cesclaires-voies ne peuvent être considérées, à proprement parler, commedes fenêtres; nous avons l'occasion de les décrire à l'article MAISON.
La fenêtre romane civile est ordinairement étroite, composée de deuxpieds-droits terminés par un cintre appareillé ou découpé dans unlinteau avec un arc de décharge par derrière, ou un second linteauprésentant une assise assez forte pour recevoir les solivages duplancher. Quelquefois la fenêtre n'est autre chose qu'une baie cintrée,comme celles présentées fig. 1 et 2. Cependant ces ouvertures (à causedu cintre qui les terminait) se fermaient difficilement au moyen devolets, ceux-ci ne pouvant se développer sous les cintres; on renonçadonc bientôt à employer ce mode, on élargit les baies en les divisantpar un meneau, une colonnette.
La fig. 29 nous montre une fenêtre romanede la fin du XIe siècle qui, par la conservation de tous sesaccessoires, fournit un exemple remarquable du système de fermeturegénéralement adopté à cette époque. Elle provient du château deCarcassonne483. En A est tracé le plan. Sa largeur totale entre lespieds-droits de l'ébrasement est de 1m,20, et la profondeur de cetébrasement est de 0,60 c., moitié de la largeur. Une colonnette enmarbre blanc porte le linteau extérieur évidé en deux portions d'arcs(voir la face extérieure de la baie B). Ce linteau I est doubléintérieurement d'un second linteau K, et d'un troisième L (voir la coupeC) qui est fait d'un bloc de béton484 et qui reçoit le solivage duplancher. Deux gonds G, encore en place (voir la face intérieure D),recevaient un volet brisé qui, ouvert, se développait dans l'ébrasementet sur le mur ainsi que l'indique le plan. Lorsqu'on voulait clore lafenêtre, on rabattait les deux feuilles du volet et on tirait la barrede bois dont la loge est indiquée sur ce plan et sur le tracé D, en F,jusqu'à ce que l'extrémité de cette barre s'engageât dans l'entailleP485. L'allége de la fenêtre formait banc à l'intérieur de la pièce.
Nous donnons (30) la face intérieure de ce volet en O, et sa coupe surab en M; la barre tirée est indiquée en R. Des ajours vitrés au moyende morceaux de verre enchâssés dans du plomb donnaient de la lumièredans la pièce lorsque les volets étaient fermés. Les pentures étaientbrisées comme les volets, ainsi que l'indique notre figure. Ici lahauteur entre planchers était trop faible pour permettre l'emploi del'arc de décharge intérieur; mais habituellement l'ébrasement desfenêtres romanes divisées par une colonnette est surmonté d'un arc dedécharge plein cintre.
Voici (31) l'une des fenêtres du donjon de Falaise, dont la constructiondate à peu près de la même époque. Le plan A nous fait voir que la baieconsiste réellement en une loge ou arcade cintrée, fermée extérieurementpar une allége, une colonnette et deux tableaux. Sur le dehors (voir letracé B) la fenêtre ne laisse pas percer le cintre de l'ébrasement, maisseulement les deux petits arcs retombant sur la colonnette.Intérieurement (voir le tracé D) on remarque que la fenêtre offre unréduit duquel, en s'avançant jusqu'à l'allége C, on peut regarder aupied du mur extérieur. Ces fenêtres ne semblent pas avoir été ferméesprimitivement par des volets, mais seulement, comme nous le disions toutà l'heure, par des nattes ou des tapisseries pendues sous le grandcintre. Un peu plus tard nous observons que dans ces châteaux normandson emploie les volets de bois pleins pour fermer les baies, en faisantparaître le grand cintre de l'ébrasement à l'extérieur et en ouvrant unjour dormant sous ce cintre.
C'est ainsi que sont construites quelques fenêtres du château d'Harcourtà Lillebonne (Seine-Inférieure) et de plusieurs autres châteaux normandsdu XIIe siècle.
La fig. 32 explique cette disposition. Le tracé A nousmontre la fenêtre à l'extérieur, et celui B sa coupe. Sous le berceauplein cintre E de l'ébrasement est bandé un arc D dont les sommiersreposent sur les extrémités d'un linteau C et sur deux pieds-droits. Unmeneau soulage ce linteau au milieu de sa portée. L'espace compris entrele linteau C et l'arc D était vitré à demeure, et des volets pleins,brisés, barrés, fermaient la baie derrière le meneau. Plus tard,lorsqu'on vitra les fermetures des fenêtres, on conserva encore ceschâssis dormants au-dessus de la partie ouvrante. Cette tradition seconserva en France jusqu'à nos jours, puisque dans beaucoupd'habitations du dernier siècle on voit encore des fenêtres avec desjours d'impostes qui souvent étaient dormants. En effet, lorsqu'onveut regarder par une fenêtre, il est assez incommode d'ouvrir unchâssis de trois ou quatre mètres de hauteur, difficile souvent àmanoeuvrer, que l'humidité fait gonfler ou la sécheresse rétrécir, etqui laisse passer en hiver un volume d'air beaucoup plus considérablequ'il n'est besoin. Il faut dire aussi que les pièces destinées àl'habitation étant beaucoup plus vastes que celles de nos appartements,on ne sentait pas le besoin, comme aujourd'hui, de renouveler l'airintérieur aussi souvent. Les cheminées larges faisaient un appelsuffisant de l'air extérieur en hiver, pour qu'il ne fût pas nécessaired'ouvrir les fenêtres; et, en été, on obtenait de la fraîcheur en lestenant fermées. Ce n'était que lorsqu'on voulait regarder dans la ruequ'on entre-bâillait les châssis ouvrants d'une petite dimension, etpermettant à une seule personne ou à deux, tout au plus, de se penchersur l'appui. On renonça cependant, au XIIIe siècle, aux barres selogeant dans l'épaisseurs des murs, tirées derrière les volets, et, aulieu de volets pleins ou percés de petits ajours, on établit des châssisde bois presque entièrement vitrés.
Voici (33) une des fenêtres du commencement du XIIIe siècle, percéesdans les anciens bâtiments dépendant aujourd'hui de la citadelle deVerdun. C'est encore le système roman. Le linteau, déchargé par leberceau brisé de l'ébrasement qui apparaît au dehors, est ajouré d'unquatre-feuilles vitré dormant; mais les deux claires-voies sont garniesde châssis vitrés roulant sur des gonds scellés dans les feuillures, etmaintenus le long du meneau par des targettes s'enfonçant dans une gâcheB en pierre, réservée à l'intérieur de ce meneau. L'esprit ingénieux desarchitectes laïques du XIIIe siècle allait trouver des dispositionsnouvelles et très-variées pour les fenêtres des édifices civils et deshabitations.
Nous voyons que dans certains cas ils conservent latradition romane pure, c'est-à-dire qu'ils ouvrent dans un mur unearcade plein cintre, et posent un linteau sous ce cintre pour recevoirun châssis carré, comme dans une tourelle dépendant de l'évêché deSoissons (34) (commencement du XIIIe siècle); ou bien que, pour depetites pièces, ils adoptent des baies larges, relativement à leurhauteur, séparées par un élégant meneau central, couvertesextérieurement par un linteau décoré d'arcatures, et formantintérieurement un ébrasement terminé par un berceau de décharge et munid'un banc B (35)486.
Ici le meneau est renforcé intérieurement d'unappendice A servant d'accoudoir, et recevant les targettes de fermeturedes deux châssis (voy. l'article BANC, fig. 4). Nous voyons encore quepour éclairer des pièces assez hautes entre planchers, ils disposent lesfenêtres de manière à pouvoir n'ouvrir à la fois qu'une partie de leursurface; alors le meneau central est divisé par une traverse (36), labaie porte quatre châssis mobiles: ceux inférieurs s'ouvrant pourregarder dehors, et ceux supérieurs pour donner de l'air dans le haut dela pièce, toujours avec des renforts aux meneaux pour recevoir lestargettes487.
Cependant on demandait aux architectes, vers le milieu du XIIIe siècle,des fenêtres plus grandes pour éclairer les habitations ou les édificespublics; à mesure que les moeurs s'adoucissaient, on voulait des maisonsouvertes, non plus murées comme des forteresses. C'est surtout dans lesvilles de l'Île-de-France et de la Champagne que l'on aperçoit, sous lerègne de saint Louis, une tendance vers ces besoins de la civilisationmoderne.
Il existe encore à Reims une façade de maison assez complète rue duTambour, maison dite des Musiciens (voy. MAISON), qui date de 1240environ. Les pièces du premier étage sont éclairées par de larges ethautes fenêtres (37), dont nous donnons en A la face extérieure, en B laface intérieure et en C la coupe. La corniche D, de la maison, estimmédiatement posée sur les linteaux de ces fenêtres, derrière lesquelssont bandés des arcs de décharge E qui portent la charpente du comble.Les meneaux sont combinés de façon à recevoir les châssis vitrés sans lesecours d'aucune ferrure. D'abord en G est posé, sous l'arc de décharge,un linteau de chêne, percé à ses extrémités de trous correspondant auxrenforts circulaires F ménagés aux deux bouts de la traverse de pierreH. Ces renforts, dont le détail perspectif est tracé en I, reçoivent lespivots K des châssis inférieurs et ceux des châssis supérieurs. D'autresrenforts analogues O, pris aux dépens de l'appui P, recevaient lespivots bas de ces châssis inférieurs. Les targettes des quatre châssisentraient dans les renflements R réservés à l'intérieur du meneaucentral. Nous donnons au dixième de l'exécution, en L la section dumeneau, en M la face latérale d'une des gâches, et en N sa faceintérieure488.
Ces exemples font ressortir le soin que les architectes de cette époquemettaient dans l'étude des menus détails de l'architecture domestique.Tout était prévu pendant la construction, et tout était prévu avecéconomie. Ils évitaient ces scellements de ferrures qui, aprèsl'achèvement d'un ravalement, viennent déshonorer les façades en coupantles moulures, écornant les chambranles, mutilant les tableaux et lesappuis; qui nécessitent ces raccords en plâtre bientôt détruits par letemps et accusant ainsi le peu d'harmonie qui existe, dans nos édifices,entre l'apparence et les besoins. Dans les maisons gothiques, regardéesde nos jours comme des habitations étrangères à notre civilisation, lesfenêtres, ainsi que les autres membres de l'architecture, ne sont pointimitées de l'antique ou de la renaissance italienne; mais elles sontdisposées et faites pour donner de l'air et de la lumière, elles sontproportionnées aux salles, et comprennent dans leur structure tous lesaccessoires indispensables à l'ouverture des châssis mobiles, comme àleur clôture. Nous pourrions donc trouver encore ici quelques bonsenseignements si nous voulions nous pénétrer de ces moyens simples, dece soin en toute chose qui n'excluent nullement les perfectionnements etleur viennent, au contraire, en aide.
Mais les exemples que nous venons de donner en dernier lieu sont tirésd'édifices privés; cependant les architectes du moyen âge élevaient devastes salles affectées à des services civils ou qui réunissaient à lafois les caractères religieux et civils. Telles étaient les sallessynodales, grands vaisseaux destinés à des réunions nombreuses, où ilfallait trouver de la lumière, de l'air, de grandes dispositions; en unmot, ce qu'on demande dans nos salles de tribunaux. On voit encore, prèsla cathédrale de Sens, une de ces salles qui dépendait autrefois dupalais archiépiscopal.
C'est vers 1245, sous le roi saint Louis, que fut bâtie la sallesynodale de Sens. Sur la place publique, vers l'ouest, elle est éclairéepar des fenêtres, admirables comme style d'architecture, parfaitementappropriées à leur destination et d'une construction qui montre la maind'un maître.
Nous donnons (38) l'extérieur de ces fenêtres. La salleétant voûtée, les archivoltes de la baie sont concentriques auxformerets des voûtes, et disposées conformément au système champenois.Les vitraux compris dans les claires-voies A sont dormants, comme dansles fenêtres des édifices religieux; mais les ouvertures B sontrectangulaires et garnies de châssis ouvrants, afin de permettre auxpersonnes placées dans la salle de donner de l'air et de regarder audehors.
À l'intérieur, ces fenêtres présentent le tracé perspectif (39).Cette belle composition se reproduit à l'extrémité méridionale de lasalle, mais avec quatre travées au lieu de deux; une immense claire-voiesupérieure, d'une fermeté de style peu commune à cette époque, surmonteces quatre ouvertures. On voit ici que les meneaux sont munis derenforts destinés à recevoir plusieurs targettes dans la hauteur deschâssis ouvrants, afin d'empêcher le gauchissement de ces châssis489.On remarquera combien l'appareil de ces claires-voies est bien disposépour présenter une grande solidité et pour éviter les évidements. Lesredents de la rose (fig. 38) sont posés en feuillure, et les linteauxdes parties ouvrantes sont déchargés par les deux archivoltes puissantesqui reposent sur la forte pile du milieu. Ces fenêtres ont un caractèreparticulier qui n'appartient pas au style de l'architecture religieuse,bien qu'elles soient comprises sous des voûtes comme les fenêtres deséglises (voy. SALLE). Les architectes des XIIIe et XIVe sièclesn'employaient pas ce système de claires-voies vitrées dormantes avecchâssis ouvrants dans les grandes salles seulement. Nous voyons desfenêtres de dimension médiocre ainsi disposées dans des habitations; lesdeux volumes sur l'Architecture civile et domestique, de MM. Verdieret Cattois490, nous en fournissent de nombreux exemples, bien qu'ilsn'aient pu les réunir tous.
Il existe au second étage de la porte Narbonaise, à Carcassonne, bâtievers 1285, une salle médiocrement haute entre planchers, éclairée ducôté de la ville par des baies qui nous présentent un diminutif desfenêtres de la grand'salle de Sens. La partie supérieure de ces baies(40) recevait des vitraux dormants. À l'intérieur, derrière le linteauA, était établi une traverse en bois B (voir la coupe C) sur laquellevenaient battre en feuillure deux châssis ouvrants. Un montant en bois,maintenu par un assemblage sous cette traverse et par un goujon sur lerenfort D, posé derrière le meneau, était muni des gâches recevant lestargettes des châssis ouvrants. Ces châssis ouvrants n'ayant pas de jetsd'eau, et ne recouvrant pas l'appui E (voir le détail G), mais battantcontre cet appui à l'intérieur en H, la pluie qui fouettait contre lesvitrages devait nécessairement couler à l'intérieur. Afin d'éviter cetinconvénient, le constructeur a creusé en F de petits caniveaux munis dedeux trous K, par lesquels l'eau était rejetée à l'extérieur. Leschâssis ouvrants étaient ferrés dans la feuillure au moyen de gonds etde pentures. Le tracé I montre la fenêtre vers le dehors. La claire-voiesupérieure est moulurée à l'intérieur comme à l'extérieur, puisque levitrail est pris au milieu de l'épaisseur de la pierre, ainsi quel'indique notre coupe, tandis que les pieds-droits, le meneau et lelinteau sont coupés carrément du côté de l'intérieur pour recevoir lesbâtis et châssis en menuiserie, ainsi que l'indique notre plan.
Les formes des fenêtres ouvertes dans les édifices civils et les maisonsdes XIIIe et XIVe siècles sont trop variées pour que nous puissionsprésenter à nos lecteurs un spécimen de chacune de ces sortes de baies.C'était toujours la dimension ou la nature des salles qui commandait lesdispositions, les hauteurs et les largeurs de ces baies; ce qui étaitraisonnable. Cette façon de procéder donnait aux architectes plus depeine qu'ils n'en prennent aujourd'hui, où la même fenêtre sert pourtout un étage d'un palais ou d'une maison, que cet étage comporte degrandes salles et de petites pièces, qu'il renferme des cagesd'escaliers et des entre-sols.
Cependant, vers la fin du XIVe siècle, les moeurs des châtelains et desbourgeois s'étaient fort amollies, et on trouvait que les châssisouvrants posés en feuillure dans la pierre même, sans dormants,laissaient passer l'air froid du dehors; on songea donc à rendre lechâssis de bois indépendant du châssis de pierre, c'est-à-dire desmeneaux et traverses. Le château de Pierrefonds, bâti en 1400, nousfournit de beaux exemples de fenêtres disposées avec des châssis de boisdormants encastrés dans les feuillures de pierre, et recevant deschâssis mobiles vitrés et des volets intérieurs.
La fig. 41 donne en A le plan d'une de ces baies, en B sa faceextérieure, et en C sa face intérieure. Sur ce dernier tracé, danslequel nous avons indiqué la baie avec ses volets en D, avec ses châssisvitrés en E et dépouillée de sa menuiserie en F, on voit que les châssisouvrants ainsi que les volets sont ferrés, non dans la pierre, mais surdes châssis dormants posés dans les larges feuillures des pieds-droits,du meneau et des traverses; que l'on peut ouvrir séparément chaque voletet chaque châssis vitré, ce qui, pour de grandes fenêtres, présente desavantages; que les volets sont plus ou moins découpés à jour afin depermettre à la lumière extérieure d'éclairer quelque peu les chambreslorsque ces volets sont clos; que ces baies ferment aussi bien que lesnôtres, sinon mieux; qu'elles peuvent être hermétiquement calfeutrées,et qu'on pouvait, au moyen de ces châssis séparés, donner aux intérieursplus ou moins d'air et de lumière. On a remplacé tout cela aujourd'huipar des vasistas, mais nous n'avons pas encore repris les voletss'ouvrant par petites parties. Comme toujours, lorsque les murs ontbeaucoup d'épaisseur, des bancs garnissent les embrasures pour pouvoirs'asseoir près de la fenêtre et respirer à l'aise.
Les fenêtres de l'architecture civile du XVe siècle sont conformes à cesdonnées générales, et reçoivent des châssis dormants; leurs mouluresdeviennent plus compliquées à l'extérieur, les meneaux et les traversesde plus en plus minces pour laisser passer plus de jour; leurs linteauxse décorent ainsi que leurs appuis, elles s'enrichissent de sculptures,et la fin du XVe siècle nous a laissé nombre de baies de croisées d'unedélicatesse de travail qui dépasse de beaucoup ce que l'on faisait auXIVe siècle, et ce que l'on fit à l'époque de la Renaissance. Nousterminerons cet article en donnant l'une des fenêtres du premier étagede l'hôtel de la Trémoille à Paris491.
Ces fenêtres (42) posent surune balustrade pleine continue qui forme allége; leurs linteaux sontposés au niveau de la corniche du bâtiment qui reçoit le chéneau et lecomble. Trouvant probablement que cette façon de terminer la baie étaitpauvre, l'architecte a jugé à propos d'élever au-dessus de ces linteauxune haute décoration en pierre ajourée qui forme comme le timbre de lafenêtre, et qui coupe la masse monotone du toit. Le chéneau se trouveainsi interrompu à chaque baie, et porte une gargouille saillante enplomb au-dessus de chaque trumeau. Souvent (et cela était justifié parun besoin) ces timbres des baies posées sur la corniche ne sont autrechose que de grandes lucarnes de pierre qui éclairent l'étage du comble.C'est ainsi que se terminent les fenêtres du palais de justice de Rouen,qui sont en ce genre ce qu'il y a de plus riche en France commecombinaison, de plus surprenant comme coupe de pierre et commemain-d'oeuvre (voy. LUCARNE).
Les meneaux et les traverses persistent dans les fenêtres del'architecture civile française jusqu'au commencement du XVIIe siècle,parce que jusqu'alors les croisées s'ouvraient par petites parties, etqu'on ne supposait pas qu'il fût commode de manoeuvrer des châssis etdes volets de trois mètres de hauteur. Ducerceau nous montre encore lesfenêtres du Louvre, de François Ier et de Henri II, avec des meneaux depierre. Des meneaux garnissent également les baies du palais desTuileries. La suppression de ces accessoires, reconnus nécessairesjusque sous le règne de Louis XIV, a changé complétement le caractère decette architecture en lui retirant son échelle; les croisées demenuiserie n'ont pas l'aspect monumental des meneaux de pierre, sanspour cela donner plus de jour à l'intérieur des appartements (voy.MAISON, PALAIS).
Note 479:(retour) Même disposition dans l'oeuvre haute du choeur de la cathédrale de Troyes, qui semble être antérieure de quelques années aux constructions du XIIIe siècle de l'église de Saint-Denis. L'architecture de la Champagne est presque toujours en avance sur celle des provinces voisines et même de l'Île-de-France.
Note 489(retour) La restauration de cette salle admirable, mutilée par le temps et l'incurie des derniers siècles, a été entreprise par les soins du ministère d'État. Le gouvernement a compris toute l'importance de ce monument unique aujourd'hui en France, et qui fournit un exemple dont on peut tirer les plus utiles enseignements pour la construction de nos grandes salles modernes destinées à de nombreuses réunions. Le bâtiment, qui avait été vendu pendant la révolution, a été acheté par le ministère de l'instruction publique et des cultes. Il appartient donc aujourd'hui à l'État. La conservation de la salle synodale de Sens sera un fait d'autant plus remarquable, que l'administration avait à lutter contre certains esprits pour lesquels toute dépense qui ne présente pas un caractère d'utilité matérielle, immédiate et locale, est une dépense perdue; nous ne pouvons cependant nous borner, en France, à élever des marchés, des abattoirs, des hôpitaux et des viaducs. Il faut reconnaître qu'à Sens, comme au pont du Gard, comme à Carcassonne, la persistance éclairée de l'administration trouve chaque jour l'approbation la plus vive de la part des nombreux visiteurs qui chez nous, heureusement, pensent que les monuments du passé méritent d'être conservés et tirés de l'oubli où on les laissait autrefois.
FERME, s. f. Constructions rurales destinées à l'exploitation d'undomaine. Les Romains étaient fort amateurs d'établissements ruraux, etdans le voisinage de leursvillæ, quelquefois dans leur enceinte même,ils possédaient des bâtiments destinés à conserver les récoltes, à logerles colons et à renfermer des bestiaux. Les chefs francs paraissentavoir voulu prendre ces habitudes lorsqu'ils s'emparèrent du sol desGaules; mais leur mépris pour le travail manuel et pour ceux qui s'ylivraient, leur goût pour les armes et la vie d'aventures ne leurpermettaient guère de s'occuper des détails de la vie des champs. S'ilsfaisaient approvisionner dans leursvillæ des amas de grains, de vin,de fourrages et de produits de toute sorte, c'était pour les consommeravec leurs compagnons d'armes, et pour dilapider en quelques nuitsd'orgies la récolte d'une année. On comprend que ces moeurs n'étaientpas propres à encourager la culture et l'établissement de bâtimentsdestinés à l'exploitation méthodique.
Les monastères, vers le commencement du XIe siècle, s'occupaient déjàsérieusement de la culture en grand. Ils construisirent des granges, descelliers, des pressoirs, des étables; ils firent des travauxd'irrigation importants, et s'appliquèrent à améliorer les terres, àdéfricher les bois, à réunir de nombreux troupeaux. À vrai dire, mêmeles premiers monastères bâtis par les Clunisiens ressemblaient plus à ceque nous appelons une ferme aujourd'hui qu'à toute autre chose (voy.ARCHITECTURE MONASTIQUE).
Plus tard, les moines, les seigneurs laïques, les chapitres, firentconstruire des fermes conformes aux dispositions adoptées de nos jours,et nous voyons qu'en 1234 un chanoine de Notre-Dame de Paris s'oblige àbâtir dans le délai d'un an une grange devant faire retour au chapitreaprès sa mort. «La cour ou pourpris de la grange devait avoir quarantetoises de long et trente de large; le mur de clôture dix-huit pieds dehaut, non compris le chaperon. Dans ce mur devait être pratiqué uneporte avec une poterne, et au-dessus de la porte et de la poternedevaient être élevés des greniers vastes et solides; c'était la grangeproprement dite. Elle devait avoir vingt toises au moins de longueur etneuf toises ou environ de largeur, avec une gouttière à la hauteur dedouze pieds. Près de la porte un appentis de dix ou douze toises étaitdestiné à l'habitation. Sur le pignon de derrière devait être construiteune tourelle assez grande pour contenir un lit et un escalier. On devaitemployer à la construction de cette tourelle de bon bois de chêne, groset fort, et de bonnes tuiles. Les angles des murs ainsi que la portedevaient être en pierre de taille. Enfin il devait être construit ungrand et bon pressoir couvert d'un bon appentis en tuiles492.» Ilexiste encore dans le Beauvoisis, le Soissonnais, les environs de Pariset la Touraine, un assez grand nombre de ces bâtiments de fermes desXIIe et XIIIe siècles493, notamment de fort belles granges (voy.GRANGE), des colombiers (voy. COLOMBIER), qui ont presque toujoursappartenu à des établissements religieux. Quant à la dispositiongénérale des bâtiments de fermes, elle est subordonnée au terrain, auxbesoins particuliers, à l'orientation. Ce n'est jamais qu'uneagglomération de corps de bâtisses séparés les uns des autres, enclos demurs et souvent de fossés. Quelquefois même, ces fermes étaientfortifiées, les murs d'enceinte étaient garnis d'échauguettes ou detourelles. On en voit encore quelques-unes de ce genre en Bourgogne,dans l'Auxois, dans le Lyonnais et le Poitou.
FERME., s. f. Terme de charpenterie. On entend parferme toutemembrure de charpente qui compose une suite de travées. On dit uneferme de comble, uneferme d'échafaud (voy. CHARPENTE, ÉCHAFAUD).
FERMETURE, s. f. (Voy. BARRE, FENÊTRE, PORTE, SERRURERIE).
FERRURE, s. f. (Voy. ARMATURE, SERRURERIE).
FEUILLURE, s. f. Entaille pratiquée dans l'ébrasement d'une porte oud'une fenêtre pour recevoir les vantaux ou les châssis (voy. FENÊTRE,PORTE). Les châssis dormants portent aussi des feuillures, quand ilsreçoivent des châssis ouvrants (voy. MENUISERIE).
FICHAGE. Action de ficher.
FICHER, v. Ficher une pierre, c'est introduire du mortier sous son litde pose et dans ses joints lorsque cette pierre est posée sur cales.Habituellement, pendant le moyen âge, on ne fichait pas les pierres, onles posait à bain-de-mortier, ce qui est de beaucoup préférable; car ilest difficile, lorsqu'une pierre est posée sur cales, d'introduire lemortier dans son lit et ses joints, et surtout de comprimer le mortierde manière à éviter les tassements. Cependant, lorsqu'on procède parreprises et incrustements, il est impossible de poser les pierres àbain-de-mortier; dans ce cas, pour éviter le retrait du lit de mortier,pour le comprimer, il est bon, lorsque ce mortier commence à prendre, dele refouler au moyen d'une palette de fer et à coups de masses. Pourficher les pierres, on emploie un outil que l'on appellefiche: c'estune lame de tôle dentelée, munie d'un manche en bois; cette lame estplate (1) ou coudée (1 bis).
On applique un plateau A de bois, armé dedeux petites potences en fer C et de pattes B, au niveau du lit de lapierre à ficher, les pattes entrant dans ce lit. Un garçon met dumortier sur ce plateau, que le ficheur, avec sa truelle et sa fiche,introduit peu à peu sous le bloc. Lorsque le mortier refuse d'entrer etqu'il ressort par le lit supérieur de la pierre, c'est que la pierre estbien fichée et que sa queue est remplie. Alors, et après que ce mortiera acquis de la consistance, on le bourre au moyen du refouloir en fer(2). Il est bon de laisser deux ou trois centimètres de vide sous lelit, le long du parement. On remplit ce vide, plus tard, enrejointoyant; c'est le moyen de s'assurer que la pierre ne pose pas surses arêtes et qu'elle ne s'épauffrera pas sous la charge.
FILET, s. m.Solin. On donne ce nom à une saillie de pierre destinée àempêcher l'eau pluviale glissant le long des parements de s'introduireentre les couvertures et les maçonneries. Une couverture en métal, enardoise ou en tuiles, ne peut être adhérente à la pierre; il existetoujours une solution de continuité entre cette couverture et laconstruction de pierre qui s'élève au-dessus d'elle. Si cette jonction,nécessairement imparfaite, n'est pas masquée par une saillie qui enéloigne les eaux, des infiltrations ont lieu sous les combles,pourrissent les planchers ou les voûtes. Aujourd'hui, on incruste unelame de zinc dans la pierre au-dessus de la couverture, ou, plus souventencore, on calfeutre la jonction au moyen d'un solin de plâtre, qui sedégrade promptement ou qui se brise par suite du mouvement descharpentes sujettes à des gonflements et à des retraits successifs. Lesarchitectes du moyen âge avaient sur nous l'avantage précieux de toutprévoir pendant la construction des édifices publics ou privés.Scellements des châssis, feuillures, emplacement des ferrures, lesdétails nombreux qui doivent concourir à l'ensemble d'une bâtisse simpleou compliquée, étaient calculés, prévus et exécutés au fur et à mesurede la construction. Mais c'était particulièrement dans le systèmed'écoulement des eaux que ces architectes nous surpassaient. Ilsapportaient donc, dans l'établissement à demeure des filets propres àmasquer la jonction des couvertures avec les parements verticaux, unsoin minutieux, surtout à dater de la fin du XIIe siècle, moment où ilscommençaient à élever de très-vastes édifices, sur lesquels, à causemême de leur grande surface, l'écoulement des eaux présentait desdifficultés. Dans les églises romanes du XIe siècle, on voit déjàcependant que les architectes ont préservé la jonction du comble enappentis des bas-côtés avec le mur de la nef centrale, au moyen defilets prononcés (1). Ces filets pourtournent les saillies descontre-forts, horizontalement d'abord (voy. le tracé A), puis bientôtsuivant la pente donnée par le comble (voy. le tracé B), afin de nelaisser partout, entre ce filet et la couverture, qu'une distance égale,suffisante pour introduire le plomb, l'ardoise ou la tuile.
Mais desdifficultés se présentèrent lorsque, par exemple, des souchesd'arcs-boutants ou de cheminées vinrent percer les pentes d'un comble(2). Si le filet AB empêchait l'eau glissant le long du parement D des'introduire entre la couverture et les parois de la pile, il fallait,en C, trouver un moyen de rejeter les eaux, coulant sur le comble, àdroite et à gauche de l'épaisseur de cette pile. Là, le filet ne pouvaitêtre bon à rien; il fallait, en C, un caniveau pour recevoir les eaux ducomble, et il fallait que ce caniveau renvoyât ses eaux soit sur lecomble, soit dans un autre caniveau pratiqué suivant la pente de lacouverture. C'est à ce dernier moyen que l'on songea d'abord. En effet,les souches des arcs-boutants du choeur de la cathédrale de Langres, quidate du milieu du XIIe siècle, nous présentent des caniveaux disposésainsi que l'indique la fig. 3.
Le caniveau A reçoit les eaux de la pentesupérieure de la couverture; celui B, latéral, reçoit les eaux tombéesdans le caniveau A et sur les extrémités des tuiles en contre-bas.Lorsque la couverture est posée autour de cette souche, elle affecte ladisposition donnée dans le tracé T. Ainsi, pas de solins de plâtre ou demortier, un caniveau supérieur rejetant ses eaux dans des caniveauxrampants se dégorgeant à la partie inférieure de la pile dans le chéneauC. À la cathédrale de Langres, les filets-caniveaux rampants sonttaillés dans une seule grande pierre, ce que la pente faible des comblesrendait possible. Ce moyen primitif présentait des inconvénients. Ilfallait relever la tuile pour joindre le caniveau supérieur A, etlaisser ainsi un intervalle entre ce relèvement et la pente continue ducomble; de plus, le long de la jouée D du caniveau supérieur, les eauxpluviales pouvaient encore passer entre la tuile et cette jouée. Plustard, des pentes plus fortes étant données aux couvertures, on renonçaaux caniveaux rampants qui ne pouvaient dès lors être taillés dans uneseule assise; on revint aux filets de recouvrement pour les partiesinclinées, et on laissa des caniveaux seulement dans la partiesupérieure, à l'arrivée des eaux sur l'épaisseur des souches decontre-forts et de cheminées (4). De petites gargouilles, ménagées desdeux côtés de l'épaisseur, rejetèrent les eaux de ce caniveau supérieursur les pentes de la couverture. Le tracé A donne le géométral de cettedisposition. Un faible relèvement de l'ardoise, de la tuile ou du métal,en C, jetait les eaux dans le caniveau, lesquelles, par suite del'inclinaison du comble, pouvaient facilement être versées sur lacouverture passant sous le filet rampant E. Le tracé B présente lecaniveau et le filet rampant en perspective, le comble étant supposéenlevé.
Ces détails font assez ressortir le soin apporté par les architectes dumoyen âge dans ces parties de la construction si fort négligéesaujourd'hui, mais qui ont une grande importance, puisqu'ellescontribuent à la conservation des édifices. C'est grâce à ce soin que laplupart de nos monuments des XIIe et XIIIe siècles sont encore deboutaujourd'hui, malgré un abandon prolongé et souvent des réparationsinintelligentes. Nous n'osons prédire une aussi longue durée à nosmonuments modernes, s'ils ont à subir les mêmes négligences et la mêmeincurie; ils n'éviteront de profondes dégradations que si l'on ne cessede les entretenir, leur structure ne portant pas en elle-même les moyensde conservation que nous voyons adoptés dans l'architecture antiquecomme dans celle du moyen âge.
FIXÉ, s. m. Peinture faite sous une feuille de verre et préservée del'action de l'air par la superposition de cette matière. On a fortemployé les fixés dans la décoration des meubles494 et même desintérieurs pendant le moyen âge. On en trouve bon nombre d'exemples dansla Sainte-Chapelle du Palais à Paris et dans l'église abbatiale deSaint-Denis. On employait aussi les fixés, par petites parties, pourorner les vêtements des statues, les devants d'autels, les retables, lestombeaux. On en voit jusque dans les pavages (voy. APPLICATION,PEINTURE).
FLÈCHE, s. f. Ne s'emploie habituellement que pour désigner des clochersde charpenterie recouverts de plomb ou d'ardoise, se terminant enpyramide aiguë. Cependant, les pyramides en pierre qui surmontent lesclochers d'églises sont de véritables flèches, et l'on peut dire: laflèche du clocher vieux de Chartres, la flèche de la cathédrale deStrasbourg, pour désigner les sommets aigus de ces tours. En principe,tout clocher appartenant à l'architecture du moyen âge est fait pourrecevoir une flèche de pierre ou de bois; c'était la terminaison obligéedes tours religieuses495. Ces flèches coniques ou à base carrée, dansles monuments les plus anciens, sont d'abord peu élevées par rapport auxtours qu'elles surmontent (voy. CLOCHER); mais bientôt elles prennentplus d'importance: elles affectent la forme de pyramides à baseoctogone; elles finissent par devenir très-aiguës, à prendre une hauteurégale souvent aux tours qui leur servent de supports; puis elles sepercent de lucarnes, d'ajours, et arrivent à ne plus former que desréseaux de pierre, comme les flèches des cathédrales de Strasbourg, deFribourg en Brisgau, de Burgos en Espagne. Constructeurs très-subtils,ainsi qu'on peut le reconnaître en parcourant les articles duDictionnaire, les architectes du moyen âge ont dû apporter une étudetoute particulière dans la construction de ces grandes pyramides creusesde pierre, qui s'élèvent à des hauteurs considérables et sont ainsisoumises à des causes nombreuses de destruction. S'ils ont déployé, dansces travaux difficiles, une connaissance approfondie des lois destabilité et d'équilibre, des matériaux et de l'effet des agentsatmosphériques sur leur surface, ils ont fait preuve souvent d'unefinesse d'observation bien rare dans la composition de ces grandespyramides dont la silhouette tout entière se détache sur le ciel. Ils netrouvaient, d'ailleurs, aucun exemple, dans l'antiquité ou les premiersmonuments du moyen âge, de ces sortes de compositions, qui appartiennentexclusivement à cet art français laïque du milieu du XIIe siècle. Onremarquera, en effet, qu'avant cette époque (voy. CLOCHER), lescouronnements plus ou moins aigus des tours d'églises à base circulaireou carrée ne sont que destoits de pierre ou de bois, qui n'ont qu'uneimportance minime ou qui ressemblent plutôt à un amas qu'à unecomposition architectonique. Malgré l'effort des architectes, on sentque ces couvertures ne se relient pas au corps de la bâtisse, que ce nesont que des superpositions; tandis que, déjà, la flèche du clochervieux de Notre-Dame de Chartres forme avec sa base un ensemble, unecomposition homogène. Ces qualités sont bien plus sensibles encore dansles flèches de Senlis, de Vernouillet, de Laon, de Reims,d'Étampes496. C'est par des transitions habilement ménagées que lesarchitectes arrivent alors, de la base carrée, massive de la tour, à lapointe extrême de la flèche. Leur attention se porte principalement surles silhouettes de ces masses, car la moindre imperfection, lorsqu'on ale ciel pour fond, choque les yeux les moins exercés. L'expérience dechaque jour (pour nous qui songeons à toute autre chose qu'auxsilhouettes de nos édifices, et qui avons pris pour règle de faire del'architecture une décoration de placage comprise dans une masseinsignifiante si elle n'est désagréable) nous démontre que les objetsqui se détachent sur le ciel perdent ou acquièrent de leur importancerelative, suivant certaines lois qui semblent fort étranges au premierabord, et dont cependant on peut se rendre compte par le calcul et laréflexion. Ces lois, les architectes qui élevaient les immenses flèchesdu moyen âge les connaissaient parfaitement, et même, dans leurs oeuvresles plus ordinaires, on en constate l'observation. Cependant, ces loisn'avaient pu s'imposer qu'après des essais, que par la méthodeexpérimentale, ou plutôt à l'aide d'une délicatesse des senstrès-développée, puisque les monuments de ce genre surgissent tout àcoup vers le milieu du XIIe siècle, à l'état parfait déjà. La flèche duclocher vieux de Notre-Dame de Chartres, la plus grande que nouspossédions en France, est celle peut-être qui réunit, au plus haut degréces qualités de composition si difficiles à acquérir. La simplicité desa masse, la juste proportion de ses diverses parties, son heureusesilhouette, en font une oeuvre architectonique qu'on ne saurait tropméditer.
Il est nécessaire d'abord de poser certaines lois générales qui, bienque très-naturelles, sont souvent méconnues lorsqu'il s'agit d'éleverdes flèches, parce que nous avons pour habitude de composer lesensembles, comme les diverses parties des édifices, en géométral, sansnous rendre un compte exact des effets, de la perspective et desdéveloppements de plans.
Soit (1) une tour canée ABCD, sur laquelle nous voulons élever uneflèche à base octogonaleabcdefgh: nous traçons l'élévation géométraleE sur une des faces du carré de la tour; nous donnons à la hauteur de lapyramide trois fois et quart le côté du carré, et nous trouvons uneproportion convenable entre la hauteur de la flèche et sa base; mais sinous faisons une élévation sur le plan GH parallèle à l'un des diamètresgc de l'octogone, nous obtenons le tracé F. Déjà, dans ce tracé, lesproportions qui nous semblaient bonnes sur le dessin E sont modifiéesd'une façon désagréable; la tour devient trop large pour la pyramide, etcelle-ci même n'a plus en hauteur que trois fois sa base apparente, quiest le diamètregc. De plus, les ombres produiront un fâcheux effetsur ce couronnement, en donnant toujours à la tour des faces éclairéesqui seront plus étroites que celles de la pyramide; ce qui fera paraîtrecelle-ci de travers sur sa base. Or il faut compter que l'aspectgéométral E ne peut se présenter que sur quatre points, tandis que lesaspects F sont infinis; il y aura donc une quantité infinie d'aspectsdésagréables contre quatre bons. Mais le désappointement sera bien plusgrand lorsque l'édifice sera élevé et que la perspective viendradéranger encore le tracé géométral E. Supposons que nous sommes placéssur le prolongement de la ligne I, perpendiculaire au plan GH, à 45mètres du point C (voy. le tracé AA) en K, la tour ayant 10 mètres de A'ene'; que cette tour a 40 mètres de hauteur du sol à la base de laflèche. La flèche, vue à cette distance, donnera le tracé BB, carcelle-ci, par suite de la perspective, ne paraît plus avoir en hauteurque trois fois environ la longueur du diamètrelm, ainsi que ledémontre la projection perspectivemo. Si, à cette distance, nousvoulions obtenir l'apparence OPR, il faudrait doubler la hauteur de laflèche et amener son sommet enn. Si nous prétendions obtenir enperspective une proportion semblable à celle du tracé géométral E, ilfaudrait tripler la hauteur de la flèche et amener son sommet enp;nous obtiendrions alors l'apparence SPR. En supposant que nous nousreculions à plus de 150 mètres en K', nous voyons même que la flècheperdrait encore la hauteurtu. Si, sur cette flèche, nous posons unpoint au milieu de sa hauteur env, et que nous soyons placés enK''(voy. le tracé M), en perspective la distancexv' paraîtra plusgrande que la distancev'r. Si, eny, nous plaçons un ornement dontla saillie ne dépasse pas le dixième de la hauteur totale de lapyramide, en projection perspective cet ornement sera le sixième de lahauteur apparente de la flèche. Ces lois, qui semblent assez compliquéesdéjà, ne sont cependant que très-élémentaires quand il s'agit de lacomposition des flèches.
FLÈCHES DE PIERRE.--Les flèches construites en pierre, à dater du XIIesiècle, étant, sauf de rares exceptions, à base octogone et plantées surdes tours carrées, il fallait d'abord trouver une transition entre laforme prismatique carrée et la forme pyramidale octogone. Sans effortapparent, l'architecte du clocher vieux de Chartres sut obtenir cestransitions (2).
Au niveau du bandeau K qui termine la tour, les anglessaillants ont été dérobés au moyen des contre-forts peu saillants quiles flanquent. L'étage L, vertical encore, présente en plan un octogonedont les quatre côtés parallèles aux faces de la tour sont plus grandsque les quatre autres. Quatre lucarnes-pinacles occupent les cornes dela base carrée et remplissent les vides laissés par le plan octogonal.Au-dessus, l'étage vertical, orné de quatre grandes lucarnes sur lesfaces, se retraite plus sur les petits côtés que sur les grands, etarrive à l'octogone à peu près régulier à la base de la pyramide.Celle-ci présente encore cependant quatre pans (ceux des faces) un peuplus larges (d'un quart) que ceux des angles.
La fig. 3 nous donne, en A, le plan d'un huitième de la flèche duclocher vieux de Notre-Dame de Chartres, au niveau L, et, en B, auniveau de la base de la pyramide. En C, on voit comme les saillies descontre-forts portent les pieds-droits des lucarnes-pinacles, et, en D,comme les angles de la tour se dérobent pour que, vue sur la diagonale,la flèche continue, presque sans ressauts, la silhouette rigide de cettetour. Les pinacles E se détachent complétement de la pyramide au-dessusde l'étage vertical, de façon à laisser la lumière passer entre eux etla flèche. Il en est de même des gâbles posés sur les lucarnes desfaces; ces gâbles se détachent de la pyramide. Celle-ci est accompagnéepar ces appendices qui l'entourent et conduisent les yeux de laverticale à la ligne inclinée; mais elle n'est pas empâtée à sa soucheet laisse deviner sa forme principale.
Notre élévation (4), prise entre le niveau L et le sommet des gâbles,fait ressortir le mérite de cette composition, à une époque où lesarchitectes n'avaient pu encore acquérir l'expérience que leur donnaplus tard la construction si fréquente des grandes flèches de pierre surles tours des églises. Ce tracé nous fait sentir l'étude et le soin quel'on apportait déjà à cette époque dans l'arrangement si difficile de cepoint de jonction entre la bâtisse à base carrée et les pyramides; maisaussi nous dévoile-t-il des incertitudes et des tâtonnements. Cesartistes n'ont pas encore trouvé une méthode sûre, ils la cherchent;leur goût, leur coup d'oeil juste, leur pressentiment de l'effet lesconduisent dans le vrai, mais par des moyens détournés, indécis. Larecherche du vrai chez des artistes, doués d'ailleurs d'une finesse peuordinaire, donne un charme particulier à cette composition, d'autant queces artistes ne mettent en oeuvre que des moyens simples, qu'ils pensentavant tout à la stabilité, que, comme constructeurs, ils ne négligentaucune partie; si bien que cette flèche énorme, dont le sommet est à 112mètres au-dessus du sol, comptant sept siècles d'existence et ayant subideux incendies terribles, est encore debout et n'inspire aucune craintepour sa durée. La pyramide porte d'épaisseur 0,80 c. à sa base et 0,30 àson sommet; elle est, comme toute la cathédrale, bâtie en pierre dure deBerchère et admirablement appareillée. Les pans des pyramidioles desangles ont 0,50 c. d'épaisseur. Au niveau K cependant (voy. la fig. 2),la tour s'arrête brusquement, s'arase, et c'est sur cette sorte deplate-forme que s'élance le couronnement. Plus tard, les architectespensèrent à mieux relier encore les tours aux flèches, ainsi qu'on peutle reconnaître en examinant le clocher de la cathédrale de Senlis (voy.CLOCHER, fig. 63 et 64) et le sommet des tours de la cathédrale deParis, dont les contre-forts se terminent par des pinacles et desfleurons préparant déjà les retraites que devaient faire les flèches surces tours497, comme on peut aussi le constater à la cathédrale deLaon, dont les tours, à leur partie supérieure, sont accompagnées degrands pinacles à jour qui flanquent un grand étage octogonal formantune base très-bien ajustée, propre à recevoir les flèches.
La flèche du clocher vieux de Chartres n'est décorée que par desécailles qui figurent des bardeaux, ce qui convient à une couverture,par des côtes sur les milieux des huit pans et par des arêtiers.
Lorsque l'architecture s'allégit, pendant la première moitié du XIIIesiècle, on trouva que ces pyramides, pleines en apparence, semblaientlourdes au-dessus des parties ajourées inférieures; on donna donc plusd'élégance et de légèreté aux lucarnes, et on perça, dans les pans, delongues meurtrières qui firent comprendre que ces pyramides sontcreuses. Nous voyons ce parti adopté par les constructeurs de la flèchede Senlis. L'architecte du clocher vieux de Chartres avait déjà cherchéà détruire en partie la sécheresse des grandes lignes droites de saflèche par des points saillants, des têtes, interrompant de distance endistance les côtes dessinées sur les huit faces, et par des figureschimériques posées aux naissances des arêtes, dans les tympans et surles amortissements des pinacles et des gâbles. Ces détails, d'un grandrelief, portant des ombres vives, occupaient les yeux et donnaient del'échelle à la masse. On alla plus loin: au commencement du XIIIe siècledéjà, on garnit les arêtiers de crochets saillants qui, se découpant surle ciel, donnaient de la vie et plus de légèreté aux lignes rigides despyramides (voy. CLOCHER, fig. 63). Nous voyons même que, le long descontre-forts des tours de la cathédrale de Paris, on avait sculpté danschaque assise un crochet saillant préparant une silhouette dentelée sousles flèches, comme pour mieux relier leurs arêtiers aux angles de cestours. La flèche de l'église abbatiale de Saint-Denis, bâtie vers 1215,conservait encore ses arêtiers sans ornements; mais là, on l'élevait surune tour du XIIe siècle, dont les formes sévères, verticales, ne seprêtaient pas à ces découpures. À ce point de vue, la flèche deSaint-Denis était un chef-d'oeuvre. L'architecte qui l'éleva avait su,tout en adoptant une composition du XIIIe siècle, marier, avec beaucoupd'art, les formes admises de son temps avec la structure encore romaned'aspect sur laquelle il venait se planter. Cette flèche donnait unesilhouette des plus heureuses; aussi faisait-elle, à juste titre,l'admiration des Parisiens et des étrangers. Sa destruction, nécessairepour éviter un désastre, fut considérée comme un malheur public. Il fautbien reconnaître que les flèches de nos églises du moyen âge excitentdans la foule une admiration très-vive et très-sincère. La hardiesse deces longues pyramides qui semblent se perdre dans le ciel, leursilhouette heureuse, font toujours une vive impression sur la multitude,sensible chez nous à tout ce qui indique un effort de l'intelligence,une idée exprimée avec énergie. Ce sont les provinces françaises qui lespremières conçurent et exécutèrent ces édifices faits pour signaler auloin les communes et leur puissance. L'exemple qu'elles donnèrent ainsi,dès le XIIe siècle, fut suivi en Allemagne, en Angleterre, pendant lesXIIIe, XIVe et XVe siècles; mais, quelle que soit la hardiesse et lalégèreté des flèches de Fribourg en Brisgau, de Salisbury en Angleterre,de Vienne en Autriche, il y a loin de ces inspirations aux monuments dece genre qui subsistent encore chez nous, remarquables toujours par lasobriété d'ornements, par l'étude fine des silhouettes et par uneentente parfaite de la construction.
Nos lecteurs trouveront opportun probablement de leur donner ici cetteflèche célèbre de l'église de Saint-Denis, que nous avons pu étudieravec grand soin dans tous ses détails, puisque la triste tâche de ladémolir nous fut imposée. La flèche de Saint-Denis est un sujet d'étuded'autant plus intéressant, que l'architecte a montré, dans cette oeuvre,une connaissance approfondie des effets de la perspective, des lumièreset des ombres; que, s'appuyant sur une tour grêle, mal empattée etconstruite en matériaux faibles, il a su élever une flèche de 38m,50 c.d'une extrême légèreté, afin de ne point écraser sa base insuffisante498; que, reconnaissant la faiblesse des parements extérieurs de latour de Suger et leur peu de liaison avec la maçonnerie intérieure, ilavait habilement reporté toutes les pesanteurs en dedans.
Voici (5) le quart du plan de la partie inférieure de la flèche deSaint-Denis. En A sont les parements intérieurs de la tour du XIIesiècle. Les côtés B de l'octogone sont portés sur quatre trompillons.Sur cette base, l'architecte a élevé une colonnade intérieure composéede monolithes destinés à reporter, par suite de leur incompressibilité,toute la charge vers l'intérieur. Quatre lucarnes C s'ouvrent dansquatre des faces de l'octogone; les quatre angles D sont occupés par despinacles. Cette colonnade formait une galerie E intérieure, à laquelleon arrivait par un escalier ménagé dans l'un des quatre angles etremplaçant l'un des pinacles; elle permettait de surveiller etd'entretenir les constructions de la flèche. On observera que l'assisedernière de la tour, qui porte les pinacles, ne suit pas exactement lecarré donné par la construction antérieure, mais s'avance en forme debec saillant, pour donner aux angles plus d'aiguité, un aspect plusrésistant; que les colonnes portant les pinacles font sentir davantageencore cette aiguité et se rapprochent, par la manière dont elles sontplantées, d'un triangle équilatéral; qu'ainsi l'architecte a vouluévidemment accuser vivement les angles, craignant avec raison l'aspectfroid et sec du plan carré.
Examinons l'élévation de cette flèche (6). Si la lumière du soleiléclaire obliquement l'une de ces faces (ce qui est, bien entendu, le casle plus fréquent), si cette lumière frappe cette face de droite àgauche, l'angle A de la corniche inférieure, biaisée, comme l'indique leplan, se colorera d'une légère demi-teinte, tandis que l'angle B sera enpleine lumière, à plus forte raison les faces CD des pinacles;l'opposition de la demi-teinte répandue sur la face C, biaise, dupinacle de droite fera ressortir la lumière accrochée par la faceoblique de la pyramide et par sa face parallèle au spectateur, commel'ombre répandue sur la face oblique de cette pyramide fera d'autantmieux ressortir la vive lumière que prendra la face D, biaise, dupinacle de gauche. Ainsi a-t-on évité qu'une partie de l'édifice fûtentièrement dans l'ombre, tandis que l'autre serait dans la lumière,disposition qui produit un mauvais effet et fait paraître de traverstoute pyramide ou cône se détachant sur le ciel.
Jetons les yeux sur la coupe de la flèche de Saint-Denis (7) faite surl'un des axes passant par le milieu des lucarnes. Les gâbles allongés Ade ces lucarnes sont verticaux, mais ne paraissent tels qu'en géométral;en perspective, ils semblent nécessairement plus ou moins inclinés, àmoins que le spectateur ne se trouve précisément dans le plan de cesgâbles. On voit comment la colonnade n'est qu'un étaiement rigidereportant la charge de la flèche sur le parement intérieur de la tour.Le tracé perspectif C indique un des pinacles d'angle démoli et sonamorce le long des faces de la flèche. Par suite de l'inclinaison de cesfaces, les colonnettes engagées dans la construction et prises dans sesassises, jusqu'au niveau D, s'en détachent à partir de ce niveau et sontmonostyles. Les sommiers E, les deux assises de corniches GH sontengagés dans les assises de la flèche; l'on observera que la secondeassise H n'est pas parallèle à la première G, mais qu'elle tend à ouvrirun peu l'angle de la pyramide pour accrocher plus de lumière. Cetteseconde assise H, se retournant le long de la face de la flèche sur unrenfort I, forme une saillie H' portant la face postérieure de lapyramide triangulaire du pinacle et un chéneau rejetant ses eaux pardeux gargouilles. En K, nous avons tracé le plan de cette pyramide, dontle sommet est placé de telle sorte que les trois faces ont uneinclinaison pareille. Le jeu de ces lignes plus ou moins inclinées étaitdes plus heureux, coupait adroitement les arêtes rigides de la flèchesans empêcher l'oeil de les suivre, avait quelque chose de hardi et defin tout à la fois qui charmait.
Les architectes du XIIe siècle avaient donné aux flèches en pierre uneimportance considérable, relativement aux tours qui leur servaient debase. La flèche du clocher vieux de la cathédrale de Chartres a 60mètres de hauteur, tandis que la tour n'a que 42 mètres. La flèche del'église de Saint-Denis portait 38m,50 d'élévation, la tour 35 mètres.Les proportions données par la façade de la cathédrale de Paris doiventfaire admettre que les flèches doublaient la hauteur des tours. Peu àpeu, les architectes donnent aux flèches une moins grande importance(voy. l'article CLOCHER, fig. 63 et 75). Celles de la façade de lacathédrale de Reims n'auraient eu guère que la moitié de la hauteur destours, comme celles de l'église de Saint-Nicaise de la même ville. Laflèche de la cathédrale de Strasbourg est courte, grêle, comparativementà la dimension de la tour; elle ne fut achevée que vers le milieu du XVesiècle.
Comme structure, cette flèche est la plus étrange conception qu'onpuisse imaginer. L'effet qu'elle produit est loin cependant de répondreaux efforts d'intelligence qu'il a fallu faire pour la tracer et pourl'élever. Il y a tout lieu de croire, d'ailleurs, qu'elle ne fut pasentièrement exécutée comme elle avait été conçue, et il manquecertainement à sa silhouette des appendices très-importants qui jamaisn'ont été terminés. Dans le musée de l'OEuvre de Notre-Dame deStrasbourg, il existe un curieux dessin sur vélin, de la fin du XIVesiècle, qui nous donne les projections horizontales du projet de laflèche. Ce dessin, très-habilement tracé, signale des différences dedétail entre ce projet et l'exécution; toutefois on peut considérer laflèche de Strasbourg comme une conception du XIVe siècle.
L'architecte a prétendu rendre accessible à tous le sommet de cetteflèche, non par des échelles ou un petit escalier intérieur, mais aumoyen de huit escaliers faciles qui se combinent avec les huit arêtes dela pyramide, et qui conduisent à un dernier escalier central montantjusqu'à une petite plate-forme supérieure, sommet d'une lanternecouronnée par la pointe extrême. Ces huit escaliers, les pans de laflèche et l'escalier central ne sont qu'une construction ajourée, sorted'échafaudage de pierre combiné avec une science de tracé fortextraordinaire, mais assez médiocrement exécuté, pauvre de style etterminé tant bien que mal avec hâte et parcimonie.
Nous donnons (8) un huitième du dessin de la flèche de Strasbourgd'après le tracé du XIVe siècle. Au moyen de quatre escaliers à jourcirconvolutant dans quatre immenses pinacles posés sur quatre des anglesde la tour, on devait, d'après ce dessin, arriver à la galerie A situéeà la base de la flèche. De là, passant à travers la claire-voie, onentrait dans les escaliers en B, formant les huit arêtiers; montant deuxmarches, on devait trouver un palier, puis la première marche des gironsen C. La pente des arêtiers étant naturellement très-inclinée, ilfallait, pour arriver aux premiers paliers D de la lanterne, trouver unnombre très-considérable de marches. L'architecte avait donc eu l'idéeingénieuse de poser six hexagones se pénétrant, présentant ainsi unesuccession de tourelles entièrement à jour, dans lesquelles lesemmarchements gironnant autour des noyaux, tantôt dans un sens, tantôtdans l'autre, permettaient de s'élever rapidement à une grande hauteur,dans un très court espace. Arrivé aux paliers D (toujours d'après letracé du projet primitif), on prenait la grande vis, doubleprobablement, E, qui devait s'élever jusqu'à une seconde plate-forme,d'où, par un escalier d'un plus faible diamètre, on montait à lalanterne supérieure. L'espace G restait à jour et permettait, par leslunettes percées dans les voûtes de la tour, de voir le pavé del'église. C'était là une conception prodigieuse de hardiesse. Àl'exécution, on modifia quelque peu ce projet (voy. le tracé X). Les sixtourelles hexagones ont été montées; mais, arrivé à la dernière en H dechaque arêtier, on passe à travers une demi-tourelle I pour s'éleverjusqu'en K, et ainsi à chaque travée. Une personne qui monte par lestourelles d'arêtiers L arrive ainsi à la plate-forme de la lanterne enK. Là, on trouve une vis centrale comme dans le projet, si ce n'est quel'enveloppe de cette vis centrale est octogone à l'extérieur, au lieud'être carrée. Quant aux pans M de la pyramide, ils ne sont point montéspar assises horizontales, comme dans les flèches que nous avonsprésentées au commencement de cet article, mais sont composés de grandschâssis à jour compris entre des arêtiers, ainsi que l'indique le tracéP, et séparés par des linteaux Q qui servent d'étrésillonnements entreces arêtiers très-chargés, puisqu'ils portent les montants des tourellesd'escaliers. Suivant le projet, les angles R de la lanterne carréeétaient portés, chacun, sur les deux arêtiers O, comme par deuxcontre-fiches de pierre. Les quatre grands pinacles recevant les quatreescaliers arrivant à la plate-forme A, et les tourelles hexagones desescaliers d'arêtiers de la flèche, avaient été combinés pour êtreterminés par des pyramidions ajourés, ce qui eut produit une silhouettesurprenante et d'un grand effet. Les ressources auront probablement faitdéfaut, et tous ces couronnements se terminent carrément, ce qui de loinproduit une suite de gradins gigantesques d'un effet déplorable.
Il est entendu, nous ne prétendons pas le nier, que la flèche de lacathédrale de Strasbourg est un chef-d'oeuvre; mais cette admirationassez générale est surtout motivée sur la hauteur excessive del'édifice. Pour nous, architectes, dont l'admiration ne croît pas avecle niveau des monuments, nous devons considérer la flèche de Strasbourgcomme une des plus ingénieuses conceptions de l'art gothique à sondéclin, mais comme une conception pauvrement exécutée. Ce n'était pascertes là ce qu'avait imaginé l'auteur du plan sur vélin dont nousvenons de donner un fragment; il avait voulu, sans aucun doute, obtenirune silhouette rampante et finement découpée par le moyen d'une suite depyramidions pénétrés par ces hexagones si adroitement enchevêtrés, etnon point une série de gradins qui arrêtent l'oeil de la façon la plusdésagréable. Plantant une lanterne carrée sur la pyramide octogone de laflèche, il prétendait réveiller le couronnement par une formecontrastant avec les angles obtus de la base. Il devait certainementcouronner cette lanterne par une dernière pyramide octogone très-aiguë,et non par ce lanternon renflé qui termine la flèche actuelle. Mais si,vers le milieu du XVe siècle, les architectes gothiques étaient devenusd'excellents géomètres, des appareilleurs subtils, ils avaient perdu cesentiment exquis de la forme qui se trouve chez leurs devanciers. Leurscombinaisons ingénieuses, leur prétention à la légèreté excessive, lesconduisent à la lourdeur par la multiplicité des détails et lacomplication des formes dont on ne peut plus démêler le sens. C'estsurtout dans les silhouettes qu'apparaissent ces défauts; les formessimples, compréhensibles, étant les seules qui produisent de l'effetquand on en vient à découper un édifice sur le ciel. Toutefois, l'examendes plans de l'OEuvre de Strasbourg laisse deviner quelque chose de biensupérieur à ce que nous voyons, et, pour l'honneur des successeursd'Erwin de Steinbach, il faut croire que l'argent leur a manqué comme àtous les architectes qui ont eu la charge de terminer ou de continuerles cathédrales pendant les XIVe et XVe siècles.
D'après le projet, les six hexagones formant l'escalier serpentant,construits au moyen de montants de pierre reliés par des claires-voieset des linteaux, devaient se terminer en pyramidions ajourés pénétréschacun par deux côtés de l'hexagone supérieur; si bien que quatre facesde ces pyramidions sur six devaient seulement être apparentes enépaulant les noyaux successifs recevant les angles saillants de chacunde ces hexagones.
Un tracé perspectif (9) rendra compte de cettedisposition originale. Ainsi les sommets superposés des tourelleshexagonales terminées carrément aujourd'hui, comme une suite de gradins,donnaient, au moyen de ces pyramidions, une ligne rampante découpée pardes pinacles et des statues. De plus, la construction à jour destourelles, toute composée de montants verticaux et qui ne tient guèrequ'à l'aide du fer, pouvait être parfaitement épaulée par cespyramidions qui font l'office de contre-fiches. C'était la constructionlogique, conforme aux données de l'architecture de cette époque, quin'admettait point, particulièrement au sommet des édifices, des reposhorizontaux.
D'après l'examen du plan (fig. 8), il ne semble pas que l'architecteauteur du projet ait voulu établir seulement, entre les arêtiers, desclaires-voies composées de dalles ajourées pour former les faces de lapyramide; il lui fallait une construction plus résistante pour porter lagrande lanterne supérieure, construction indiquée par les solidespieds-droits S. On ne peut pas admettre cependant que ces pieds-droitsfussent inclinés comme les pans de la pyramide, ce qui eut produit untrès-mauvais effet. Nous verrions bien plutôt, dans ces pieds-droits,des naissances d'arcs assez peu élevés, mais dans un plan vertical etrecevant des gâbles à jour qui surmontaient, par l'effet de laperspective, les couronnes ajourées T. D'ailleurs, dans la flècheactuelle, l'architecte a établi, au niveau de la troisième travée en N,des passages horizontaux mettant en communication les huit escaliers;ces passages, portés sur des linteaux, forment une seconde couronne quicoupe la flèche d'une manière fâcheuse. Nous admettons que ces passagesétaient prévus par l'auteur du projet, mais que leur horizontalité étaitinterrompue par la silhouette des gâbles passant devant eux; dispositionqu'explique notre fig. 9. Le pied de la pyramide fortement maintenu aumoyen des pieds-droits S, celle-ci pouvait être construite, au-dessusdes arcs V, au moyen de châssis de pierre entre les arêtiers,conformément à l'exécution définitive. On pensera peut-être que nousprêtons à l'architecte, auteur du projet de la flèche de Strasbourg, desidées qu'il n'a pas eues, mais on ne prête qu'aux riches. L'art del'architecture, surtout aux époques où il devait employer des sommesénormes pour mettre ses idées à exécution, peut être difficilement jugépar ce que le temps nous a laissé. Le plus souvent, les conceptions lesplus heureuses, les plus étudiées, sont rendues d'une manièreincomplète, faute de ressources, ou ont été mutilées par le temps et desrestaurations malheureuses. C'est le malheur de cet art, de ne pouvoirtransmettre ses conceptions dans leur pureté. Ayant présenté la flècheactuelle de la cathédrale de Strasbourg comme une oeuvre manquée, d'uneexécution médiocre, on ne nous saura pas mauvais gré d'avoir en mêmetemps cherché à faire ressortir les qualités de la conception primitive,d'avoir relevé le mérite de l'artiste, puisque nous nous montrionssévère pour une oeuvre évidemment incomplète. Bien d'autresconstructions fâcheuses ont détruit l'unité de conception de la façadeoccidentale de Notre-Dame de Strasbourg; le beffroi central, entre lesdeux tours, est une adjonction monstrueuse qui change absolument lesproportions de cette façade, adjonction inutile et qui doit forttourmenter les Steinbach dans leur tombe, si toutefois les architectes,dans l'autre monde, ont connaissance des changements qu'on fait subir àleurs oeuvres, ce qui serait pour tous, sans exception, un supplicecontinuel.
Si les architectes du XVe siècle avaient possédé les ressources dontdisposaient ceux du commencement du XIIIe siècle pour la constructiondes grandes cathédrales, ils nous auraient laissé des flèches de pierremerveilleuses par leur combinaison, car l'architecture de ce temps seprêtait plus qu'aucune autre à ces jeux d'appareil. Il est douteux,toutefois, que ces monuments pussent produire plus d'effet que nosflèches de pierre des XIIe et XIIIe siècles, sobres dans les détails,mais d'une si parfaite élégance comme silhouette et, au demeurant,beaucoup plus solides et durables. Le domaine royal est la véritablepatrie des flèches; c'est là où il faut étudier les principes qui ontdirigé nos architectes de l'école laïque à son origine. La Normandie aélevé, pendant le XIIIe siècle, un grand nombre de flèches qui existentencore, grâce à la bonté des matériaux de cette province; mais cesconceptions sont loin de valoir celles de l'Île-de-France. Les flèchesdes églises de l'abbaye aux hommes de Caen, des cathédrales de Coutanceset de Bayeux, ne nous présentent pas une entente parfaite des détailsavec l'ensemble: leurs pinacles sont mesquins, confus, couverts demembres trop petits pour la place qu'ils occupent; les silhouettes sontmolles, indécises, et n'ont jamais cette mâle énergie qui nous charmedans les contours des flèches de Chartres, de Saint-Denis, de Senlis, deVernouillet et d'Étampes.
FLÈCHES DE CHARPENTERIE.--Il nous serait difficile de dire à quelleépoque remontent les premières flèches construites en bois. Il enexistait au XIIe siècle, puisqu'il est fait mention alors d'incendies declochers de charpente; mais nous n'avons sur leur forme que des donnéestrès-vagues. Ces flèches consistaient alors probablement en de grandespyramides posées sur des tours carrées, couvertes d'ardoises ou de plombet percées de lucarnes plus ou moins monumentales. Il faut, d'ailleurs,bien définir ce qu'on doit entendre par flèche en charpente. Dans lenord de la France, beaucoup de tours en maçonnerie étaient et sontencore couvertes par des pavillons en bois qui ne sont, à proprementparler, que des combles très-aigus. La flèche de charpenterie est uneoeuvre à part, complète, qui possède son soubassement, ses étages et sontoit; elle peut, il est vrai, être posée sur une tour en maçonnerie,comme étaient les flèches de la Cathédrale d'Amiens avant le XVIesiècle, celle de Beauvais avant la chute du transsept, celle deNotre-Dame de Rouen avant l'incendie, comme est encore celle de lacathédrale d'Évreux; mais cependant elle se distingue toujours par uneordonnance particulière, à elle appartenant: c'est un édifice de bois,entier, posé sur un édifice de pierre qui lui sert d'assiette, comme lescoupoles modernes de Saint-Pierre de Rome, du Val-de-Grâce, desInvalides, sont des monuments distincts, indépendants de la masse desconstructions qui les portent. Ces oeuvres de charpenterie sont lesseules qui méritent le nom de flèches. On peut croire que, par suite desincendies, du défaut d'entretien et du temps, les flèches du moyen âge,d'une époque ancienne, doivent être peu communes; on en éleva un sigrand nombre cependant, à partir de la fin du XIIe siècle, que nous enpossédons encore quelques-unes, et qu'il nous reste sur beaucoup desrenseignements précieux.
Tout porte à croire que les plans des grandes églises, et descathédrales du commencement du XIIIe siècle notamment, avaient étéconçus avec l'idée d'élever une tour carrée sur les quatre piliers de lacroisée. Plusieurs de nos grandes cathédrales ont possédé ou possèdentencore ces tours carrées. Amiens, Reims, Beauvais ont eu leur tour demaçonnerie sur le milieu du transsept; Rouen, Laon, Bayeux, Évreux,Coutances, les ont conservées en tout ou partie. Mais soit que l'argentmanquât, soit que les architectes aient reculé devant le danger de tropcharger les piles isolées des transsepts, presque partout ces tours nefurent point achevées ou furent couronnées par des flèches en charpenterecouvertes de plomb, qui, malgré leur poids considérable, étaient loinde charger autant les parties inférieures que l'eût fait uneconstruction de pierre. Quelques cathédrales cependant ne paraissent pasavoir jamais dû recevoir sur la croisée des tours en maçonnerie. Paris,Chartres, Soissons n'en présentent aucune trace, non plus que Senlis,Meaux et Bourges, par la raison que ces derniers monuments avaient étéconçus sans transsept. À défaut de tours de maçonnerie sur la croiséedes églises, on eut l'idée d'élever de grands clochers de charpente secombinant avec les combles. Notre-Dame de Paris possédait une flèche enbois recouverte de plomb, qui datait du commencement du XIIIe siècle.Cette flèche, démolie il y a cinquante ans environ, était certainementla plus ancienne de toutes celles qui existaient encore à cette époque;sa souche était restée entière, à l'intersection des combles, jusqu'àces derniers temps. Or, des flèches de charpente, la partie la plusimportante, celle qui demande le plus d'études et de soins, au point devue de la construction, est la souche. Aussi avons-nous relevéexactement ces débris de l'ancien clocher central de Notre-Dame deParis, avant de les enlever pour y substituer la charpente nouvelle,qui, du reste, est établie d'après le système primitif.
Voici en quoi consiste ce système (10): AB, AB étant les quatre piliersdu transsept et CD les faîtages des deux combles se coupant à angledroit; la flèche, au-dessus des combles, est établie sur plan octogone,ses angles étant posés sur les faîtages des deux combles et dans lesquatre noues. La base octogonale est portée par deux fermes diagonalesAA, BB, se rencontrant en un seul poinçon G qui est l'arbre vertical dela flèche; de plus, les quatre angles I sont maintenus dans les plansverticaux AA, BB, au moyen de grandes contre-fiches IA, IB. Cescontre-fiches, se rencontrant en K, forment ainsi les arbalétriers dequatre fermes inclinées KAB, dont les sommets K soutiennent les quatreangles L de l'octogone. Par ce moyen, les huit angles de la flèche sontportés directement sur des fermes, et le roulement de tout le systèmeest arrêté par les contre-fiches croisées IA, IB.
Il faut savoir que ces charpentes fort élevées périssent toujours parsuite d'un mouvement de torsion qui se produit de proche en proche de labase au faîte. En effet, les bois ne peuvent rentrer en eux-mêmes, ilsne se raccourcissent pas; l'effort des vents, le poids finissent parfatiguer un point plus faible que les autres; tout l'effort se produitdès lors sur ce point, et il se fait un mouvement de rotation qui briseles assemblages, courbe les bois et entraîne la ruine de la charpente.Le système adopté pour la souche de la flèche de Notre-Dame de Paris apour résultat de faire que, non-seulement la torsion de la base estrendue impossible par le croisement des contre-fiches, mais encore quechaque angle de l'octogone reporte sa charge sur deux et même troispiles. Les angles L portent sur les deux piles AB, et les points I surtrois piles ABB ou BAA. Ce système a donc encore cet avantage que, quandla pression du vent agit sur un côté, il y a toujours au moins deuxpiles du transsept qui reçoivent la charge supplémentaire occasionnéepar cette pression.
Examinons, maintenant que ce système est connu, l'application qu'on enavait fait à Notre-Dame de Paris. Les piles du transsept de lacathédrale ne forment point un carré, mais un quadrilatère assezirrégulier, ce qui ajoutait à la difficulté d'établir une charpentereposant sur quatre points seulement et supportant une pyramide à baseoctogone.
La fig. 11 donne la projection horizontale de la souche decette flèche, en supposant la section faite au-dessus du faîtage descombles; les pièces AB sont les grandes contre-fiches qui portent à lafois les poteaux C au point de leur croisement et les poteaux D qu'ilsviennent en même temps contre-butter. Ces contre-fiches AB sontmaintenues rigides par de fortes moises horizontales EG, serrées aumoyen de clefs de bois; de sorte que les triangles CEG sont des fermesinclinées auxquelles les poteaux CH servent de poinçons. Deux grandesfermes diagonales IK portent directement quatre des angles del'octogone.
Nous donnons (12) l'une de ces deux grandes fermes diagonales, qui secomposent d'un entrait armé portant sur le bahut en maçonnerie etsoulagé par de fortes potences dont le pied A s'appuie sur les têtes despiles en contre-bas de ce bahut; de deux arbalétriers CD et desous-arbalétriers courbes EF s'assemblant dans le poinçon central,l'arbre de la flèche. Les grandes contre-fiches AG sont des moises. Lespoteaux principaux formant l'octogone de la flèche sont triples de H enI, c'est-à-dire composés d'une âme et de deux moises. Les poteaux decontre-forts KL sont simples et assemblés à mi-bois dans lesarbalétriers CD. On remarquera que ces poteaux sont fortement inclinésvers l'arbre principal. Les poteaux contre-forts KL étaientprimitivement buttés par de grandes contre-fiches ML, lesquelles setrouvaient au-dessus des noues et présentaient une côte saillantedécorée jadis au moyen des moises pendantes OP recouvertes de plomb etaccompagnées de pièces de bois découpées dont les débris R ont étéretrouvés. Le poteau S, qui se combinait avec cette décoration et quiétait resté en place, formait la tête de ce système d'étaiement, visibleau-dessus des quatre noues. Un chapiteau V sculpté dans le poinçoncentral donnait la date exacte de cette flèche (commencement du XIIIesiècle)499. À une époque assez ancienne, ces étais visibles et décorésplacés dans les noues, si nécessaires à la solidité de la flèche,avaient été enlevés (probablement parce qu'ils avaient été altérés parle temps, faute d'un bon entretien); ce qui a dû contribuer à fatiguerles arbalétriers qui, alors, avaient à porter toute la charge despoteaux KL.
La fig. 13 donne l'enrayure au niveau T, et la fig. 14 l'enrayure auniveau X.
La fig. 15 permet de saisir la disposition des grandes contre-fiches ABdu plan fig. 11. On voit comment ces contre-fiches soutiennent, à leurcroisement G, les poteaux CH, comment elles s'assemblent à la tête dansles poteaux DK en D, comment les moises horizontales EF serrent et cescontre-fiches et l'extrémité inférieure des poteaux CH, comment letriangle GEF présente un système de ferme inclinée résistant à la chargedes poteaux CH. Si nous reprenons la fig. 11, nous remarquerons quenon-seulement les poteaux qui forment les huit angles de la flèche sontinclinés vers l'arbre central de manière à former une pyramide et non unprisme, mais que ces poteaux donnent un double système de supports. Nousne parlons pas des moises qui triplent quelques-uns de ces poteaux,parce que ces moises ne sont que des fourrures propres à donner plus deroide aux points d'appui, dans le sens de leur plat, et surtoutdestinées à recevoir les assemblages latéraux, afin de ne point affamerles poteaux principaux par des mortaises. Ce système de poteaux jumeauxséparés par un intervalle est un moyen très-puissant de résister à lapression des vents. On comprend que ces poteaux, bien reliés entre euxpar des moises horizontales de distance en distance, offrent des pointsd'appui extrêmement rigides.
En effet, soient (16) deux poteaux AB, CDenserrés entre des moises EFG: pour que le poteau CD se courbât suivantla ligne CID, il faudrait que le poteau AB se raccourcit, rentrât enlui-même, ce qui n'est pas possible; pour qu'il se courbât suivant laligne CKD, il faudrait que le poteau AB s'allongeât, ce qui est de mêmeimpossible. Le quadrilatère ACBD, relié par les moises EFG, n'est doncpas susceptible de déformation. Aussi, fidèles à ce principeélémentaire, les architectes gothiques n'ont-ils jamais manqué del'appliquer dans la construction de leurs flèches de charpente, et,comme toujours, ils en ont fait un motif de décoration.
La souche de la flèche de Notre-Dame de Paris, bien qu'elle fût combinéed'une manière ingénieuse, que le système de la charpente fût très-bon,présentait cependant des points faibles; ainsi, les grandes fermesdiagonales (fig. 12) n'étaient pas suffisamment armées au pied, lescontre-fiches-moises AG ne buttaient pas parfaitement les poteauxextérieurs de la pyramide, les arbalétriers étaient faibles, lesentraits retroussés sans puissance. Les fermes de faîtage (celles quivenaient s'appuyer sur les grandes contre-fiches, disposées en croix deSaint-André, fig. 15) ne trouvaient pas, à la rencontre de ces deuxgrandes contre-fiches, un point d'appui inébranlable; d'ailleurs cescontre-fiches, à cause de leur grande longueur, pouvaient se courber, cequi avait eu lieu du côté opposé aux vents. Par suite, la flèche toutentière avait dû s'incliner et fatiguer ses assemblages. Généralement,les pièces inférieures n'étaient pas d'un assez fort équarrissage; puis,pour des charpentes qui sont soumises aux oscillations causées par lesouragans, les clefs de bois sont évidemment insuffisantes, surtoutquand, à la longue, ces bois venant à se dessécher ne remplissent plusles entailles dans lesquelles ils sont engagés. Aussi, tout enrespectant le principe d'après lequel cette charpente avait été taillée,a-t-on dû, lors de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame deParis, améliorer l'ensemble du système et y introduire lesperfectionnements fournis par l'industrie moderne. On se faitdifficilement une idée, avant d'en avoir fait l'épreuve, de la puissancedes vents sur ces charpentes qui, posées à une assez grande hauteur, surquatre pieds seulement, s'élèvent elles-mêmes dans les airs au-dessusdes autres édifices d'une cité500. La pression des courants d'air esttelle qu'à certains moments tout le poids de la charpente se reporte surle côté opposé à la direction du vent; il faut donc qu'entre toutes lesparties du système il y ait une solidarité complète, afin que cettepression ne puisse, en aucun cas, faire agir tout le poids sur un seulpoint d'appui. On doit penser que ces charpentes sont comme un bras delevier, qui, s'il n'est pas bien maintenu par un empattementinébranlable, ne manquerait pas d'écraser ou de disloquer l'une desquatres piles qui lui servent d'appui, d'autant que, dans notre climat,les grands vents viennent toujours du même point de l'horizon, dunord-ouest au sud-ouest. Cette pression, répétée sur un seul côté de cescharpentes, doit être un sujet de méditation pour le constructeur.Partant du système admis par l'architecte du XIIIe siècle, on a donccherché: 1º à former, à la base de la souche de la nouvelle flèche, unquatre-pieds absolument rigide et pouvant résister à touteoscillation; 2º à relier ce quatre-pieds avec la souche elle-même, d'unemanière si puissante, que toute pression agissant dans un sens fûtreportée au moins sur deux points d'appui et même sur trois; 3º àsoutenir également les huit arêtes de la pyramide, tandis que, dans lesystème ancien, quatre de ces arêtes étaient mieux portées que lesquatre autres; 4º à doubler du haut en bas tout le système formantl'octogone de la flèche, afin d'avoir non-seulement les arêtes rigides,mais même les faces; 5º à éviter les assemblages à tenons et mortaisesqui se fatiguent par l'effet des oscillations, et à les remplacer par lesystème de moises qui n'affame pas les bois, les relie et leur donné unerésistance considérable; 6º à n'employer le fer que comme boulons, pourlaisser aux charpentes leur élasticité; 7º à diminuer le poids à mesureque l'on s'élevait, en employant des bois de plus en plus faiblesd'équarrissage, mais en augmentant cependant, par la combinaison de lacharpente, la force de résistance501.
Nous l'avons dit tout à l'heure: les quatre piles du transsept surlesquelles repose la flèche de Notre-Dame de Paris ne sont pas plantéesaux angles d'un carré, mais d'un quadrilatère à quatre côtés inégaux, cequi ajoutait à la difficulté. Pour ne pas compliquer les figures, nousne tenons pas compte ici des faibles irrégularités, et nous supposons unparallélogramme dont le grand côté a 14m,75 et le petit 12m,75. Quatredes angles de l'octogone de la flèche devant nécessairement poser surles deux diagonales du quadrilatère, cet octogone est irrégulier,possédant quatre côtés plus grands que les quatre autres.
La fig. 17donne, en A, le plan de l'enrayure basse, au niveau des grands entraitsdiagonaux, qui sont chacun composés de trois pièces de bois superposéesayant 0,25 c. de roide sous le poinçon. Ce tracé fait voir en projectionhorizontale lequatre-pieds sur lequel s'appuie le système à sa base.Ce quatre-pieds se compose d'une combinaison de potences sous lesentraits et de fermes inclinées BC, passant dans les plans d'unepyramide tronquée dont la base est le quadrilatère donné par les piles,et la section supérieure par le plan de l'enrayure au niveau desentraits. Chacun des angles du corps de la flèche se compose de troispoteaux qui ne s'élèvent pas verticalement mais forment une pyramidetrès-allongée, à base octogone; c'est-à-dire qu'en s'élevant, cespoteaux se rapprochent du poinçon.
Examinons maintenant une des grandes fermes diagonales DE (18). On voit,en A, les trois entraits superposés, roidis et maintenus d'abord par lesdeux liens B assemblés à mi-bois et formant potence; puis par les deuxfortes contre-fiches moisées CD qui reçoivent les liens inclinésindiqués en BC dans la figure précédente. La tête de ces deuxcontre-fiches-moises vient pincer, en E, le pied des trois poteaux desangles de la flèche. Le poinçon central est en F. Les grandescontre-fiches GH tracent la noue donnée par la rencontre des combles;par conséquent, tout ce qui est au-dessus de ces contre-fiches est vu.Les contre-fiches IK sont des moises, forment arête dans la noue, enrejetant, au moyen d'un chevronnage, les eaux à droite et à gauche, etlaissent voir les gradins ajourés décorés d'arcatures et surmontés, surles quatre poteaux, de statues. D'autres contre-fiches-moises MNréunissent tout le système et s'assemblent dans le poinçon central en O.En outre, cette demi-ferme est maintenue par des moises horizontales quiserrent ensemble ses diverses pièces, empêchent toute dislocation etfont de cette charpente un plan roide, immobile, ne pouvant se déformer.Le tracé AA de la fig. 17 nous donne le plan de l'enrayure au niveau Pde la fig. 18; le tracé AAA celui de l'enrayure au niveau R, et le tracéA' celui de l'enrayure à la base de la pyramide qui termine la flècheau-dessus du second étage à jour. Dans le tracé AA de la fig. 17, onvoit comme s'arrangent les chevronnages divisant la noue en deux etlaissant passer les quatre poteaux portant les statues.
Ce système de poteaux verticaux traversant les demi-fermes diagonales etfaisant décoration au-dessus des noues (système qui avait été adopté parles constructeurs du XIIIe siècle) présente plusieurs avantages: il faitde ces demi-fermes de véritables pans-de-bois parfaitement rigides; ilconstitue une suite de poinçons qui roidissent les contre-fiches, lesmaintiennent dans leur plan vertical sans charger en aucune façonl'entrait. Il présente aussi une décoration ingénieuse en ce qu'elleexplique, à l'extérieur, comment la flèche vient s'appuyer sur lesquatres piliers de la croisée, aussi parce qu'elle établit unetransition entre la maçonnerie de l'église et le corps de la flèche,parce qu'elle lui sert de base, d'arc-boutant, pour ainsi dire. On voit,en V (fig. 18), comment sont décorés ces gradins des grandescontre-fiches au-dessus des noues. Il est facile de comprendremaintenant comment sont soutenus les quatre angles de l'octogone quiportent sur les diagonales; pour les quatre angles tombant sur lesfaîtages des combles, voici quel a été le système adopté. En BB (fig.17) sont élevées de fortes fermes, reposant sur les bahuts et les quatrepiles du transsept; sur le milieu des entraits de ces fermes reposentles pièces horizontales LM puissamment soulagées en C par les piècesinclinées BC. C'est au-dessus de ce point C que portent les triplespoteaux formant les quatre autres angles de l'octogone; le point M neporte que le pied des contre-fiches qui sont destinées à maintenir lespoteaux dans leur plan.
La fig. 19 présente l'une de ces fermes BB, qui sert en même temps deferme de comble. En A, on voit l'extrémité de la pièce horizontaletracée en LM dans la fig. 17; en A', cette extrémité est vue en coupesurab. Il n'est pas besoin d'explication pour faire sentir que cetteextrémité A ne peut fléchir. En B', nous avons donné le détail desassemblages B, et en C' celui de la croix de Saint-André C, avec lepoinçon.
Maintenant, examinons ce système de souche en perspective (20). En A, onvoit les grands entraits triples des fermes diagonales; en B, ladisposition des liens formant fermes inclinées, roidissant la base de lasouche et venant porter en C quatre des angles de l'octogone; en D,apparaissent les fragments de l'entrait de la ferme donnée dans lafigure précédente, avec le pan-de-bois qui maintient les poteauxd'angles reposant en C, E étant le poinçon de cette ferme. Descontre-fiches F viennent soulager les poteaux C et reporter leur chargesur les quatre points résistants principaux A; ces contre-fiches ontencore l'avantage d'arrêter le roulement de tout le système. Au-dessus,des croix de Saint-André G, doubles, reportent encore, la charge despoteaux C sur les points d'appui diagonaux. Les pièces I et Fremplissent avec avantage les grandes pièces inclinées de l'anciennecharpente que nous avons décrite plus haut. Ce système est d'ailleurstriplé dans la charpente actuelle, nous le voyons reproduit en KL et enKM; de sorte que si une pression extraordinaire se produit en O, cettepression ne charge pas le point C, mais bien les pieds I, et même, deproche en proche, par la disposition des croix de Saint-André et descontre-fiches F, trois des piles du transsept. On observera que cescroix de Saint-André sont doublées, c'est-à-dire assemblées dans deuxdes poteaux sur les trois qui forment chaque angle à la base de laflèche. Il n'y a donc pas possibilité de roulement dans cette charpente;aucune de ses parties ne peut recevoir un supplément de charge sanstransmettre ce supplément à deux et même trois des quatre points d'appuisur lesquels elle porte. En supposant même qu'une des quatre piles dutranssept fût enlevée, la charpente resterait debout et reporteraittoutes ses pesanteurs sur les trois piles conservées.
Le système d'après lequel a été établi la souche de la flèche deNotre-Dame de Paris étant bien connu, examinons cette flèche au-dessusdu faîtage du comble, c'est-à-dire au-dessus du niveau d'où ellecommence à se détacher sur le ciel (21). Une vue perspective présente,du côté droit, la flèche dépourvue de sa décoration, et, du côté gauche,la flèche décorée. En A est une des quatre fermes correspondant auxfermes diagonales; on observera l'inclinaison des poteaux formant lesarêtes de cette flèche au-dessous de la pyramide supérieure, qui ne sedégage qu'au niveau B. Cette inclinaison, y compris les retraitessuccessives, n'a pas moins de 0,80 c. dans une hauteur de 15m,00; etcependant, par l'effet de la perspective, à peine si l'on aperçoit unediminution dans le corps de la flèche autre que celle produite par lesretraites C. Bien mieux, si les huit angles de l'octogone étaient montésd'aplomb, le corps de la flèche paraîtrait plus large sous la pyramidesupérieure qu'à sa base. L'illusion de l'oeil est ici d'accord avec lesconditions de stabilité; en effet, ces huit angles, qui tendent à serapprocher du poinçon à mesure qu'ils s'élèvent, conduisent l'oeil à laforme pyramidale prononcée du couronnement, et forment en même temps unesuite d'étais qui maintiennent l'arbre central dans la verticale. Parl'effet singulier du contraste des lignes verticales et inclinées sedétachant sur le ciel à une grande hauteur, si les pinacles D quiterminent les poteaux d'angle étaient verticaux, vus à côté des arêtiersde la pyramide supérieure, ils sembleraient s'écarter en dehors. Il fautque, dans un monument aussi élevé et dont la forme générale est aussigrêle, toutes les lignes tendent à s'incliner vers l'axe, si l'on veutque rien dans l'ensemble ne vienne contrarier la silhouette. Nousdonnons, en E, le couronnement de la flèche, dont la pomme F est à45m,00 au-dessus du faîtage du comble.
Nous avons dit que la charpente, en s'élevant, se composait de pièces deplus en plus légères, mais assemblées avec plus de force. En examinantl'enrayure tracée en G, on reconnaîtra combien elle présente derésistance; ce système est adopté pour les quatre enrayures indiquées enG dans le géométral A. Cette enrayure se compose de moises assemblées àmi-bois, ainsi que le fait voir le détail I, se coupant à angle droit,pinçant le poinçon, quatre arêtiers, et roidies par des goussets K demanière à former un carré; immédiatement au-dessous, une secondeenrayure contrariant celle-ci et combinée de la même manière produit, enprojection verticale, une étoile à huit pointes, qui donne la section dela pyramide. Non-seulement ce système présente une grande résistance,mais il a l'avantage de donner à la pyramide des ombres toujoursaccusées qui la redressent à l'oeil et lui donnent une apparence plussvelte. Lorsque les pyramides des flèches aussi aiguës sont élevées surune section simplement octogonale, si le soleil frappe d'un côté, unepartie de la pyramide est entièrement dans le clair et l'autre dansl'ombre; à distance, le côté clair se confond avec le ciel et le côtéombré donne une ligne inclinée qui n'est point balancée, de sorte que lapyramide paraît être hors d'aplomb. Les grands pinacles avec leurscrochets qui fournissent toujours des points ombrés et brillants toutautour de la pyramide, du côté du clair comme du côté opposé à lalumière, contribuent encore à éviter ces illusions de l'oeil qui sontproduites par des masses d'ombres opposées sans rappel de lumière à desmasses claires sans rappel d'ombre. Nous ne saurions trop le répéter:lorsqu'un édifice ou partie d'un édifice se découpe entièrement sur leciel, rien n'est indifférent dans la masse comme dans les détails; lamoindre inattention dans l'adoption d'un ornement, dans le tracé d'uncontour, dérange entièrement l'harmonie de la masse. Il est nécessaireque tout soit clair, facile à comprendre, que les profils et ornementssoient à l'échelle, qu'ils ne contrarient jamais la silhouette, etcependant qu'ils soient tous visibles et appréciables.
La flèche de Notre-Dame de Paris est entièrement construite en chêne deChampagne; tous les bois sont recouverts de lames de plomb, et lesornements sont en plomb repoussé502.
Alors comme aujourd'hui, l'occasion d'élever des flèches de charpenteaussi importantes ne se présentait pas souvent. Le plomb était plus cherautrefois qu'il n'est aujourd'hui, bien que son prix soit encore fortélevé; sur de petites églises de bourgades, de villages ou d'abbayespauvres, on ne pouvait penser à revêtir les flèches de charpente qu'enardoise. Il fallait, dans ce cas, adopter des formes simples, éviter lesgrands ajours et bien garantir les bois contre la pluie et l'action dusoleil.
Nous avons constaté bien des fois déjà que l'architecture du moyen âgese prête à l'exécution des oeuvres les plus modestement conçues comme àcelle des oeuvres les plus riches: cela seul prouverait que c'est un artcomplet. Si l'architecture ne peut s'appliquer qu'à de somptueuxédifices et si elle se trouve privée de ses ressources quand il fauts'en tenir au strict nécessaire, ce n'est plus un art, mais une paruresans raison, une affaire de mode ou de vanité.
Nous donnons (22) un exemple de ces flèches entièrement revêtuesd'ardoises, élevée, comme celle de Notre-Dame de Paris, à la rencontredes combles sur le transsept: c'est la flèche de l'église d'Orbais(Marne), autrefois dépendante d'une abbaye. Excepté les extrémités despoinçons, qui sont revêtues de chapeaux de plomb très-simples, toute lacharpente est couverte en ardoise. On voit, en A, la moitié d'un despans-de-bois de la souche; CD est l'arbalétrier du comble. Commetoujours, cette souche est diminuée, ayant 4m,88 à sa base et 4m,66 àson sommet au niveau de l'enrayure de la pyramide. Celle-ci est octogoneet pose ses angles sur les milieux des pans-de-bois, ainsi que le faitvoir le tracé B. Les arêtiers E sont soulagés par des contre-fiches Gassemblées dans les poteaux d'angle H, et sur les angles F sont posésquatre petits pinacles, visibles sur le tracé perspectif. Le corps de laflèche, la pyramide, les pinacles et les lucarnes sont couvertsd'ardoises petites, épaisses, clouées sur de la volige de chêne. Il y ades lames de plomb dans les noues. Cet édifice, si simple, est d'uneffet charmant, à cause de ces saillies, et surtout à cause del'heureuse proportion de l'ensemble; il date du XIVe siècle. Le beffroiest indépendant de la charpente de la flèche et repose seulement, commecelle-ci, sur les quatre piles du transsept.
On voit encore, sur la croisée de l'ancienne église abbatiale d'Eu, lasouche d'une flèche, du XVe siècle, en charpente, dont la dispositionoriginale mérite d'être signalée. C'était une pyramide passant du plancarré au plan octogone dans la hauteur du comble, de manière quel'inclinaison des faces se suivait, sans interruption, du faîtage de cescombles au sommet de la flèche. Ce système présentait une grandesolidité.
Soit (23) AB deux des quatre points d'appui du transsept, des fermesinclinées ABC forment les faces d'une pyramide à base carrée. Laprojection des fermes des combles est donnée par le triangle ABD; donc,les triangles ADC, BDC sont vus au-dessus de la pente de ces combles; lacontre-fiche AE passe dans le plan des deux arbalétriers AG, AF. Lespoinçons IC passent dans le plan de la pyramide octogone. Au niveau dufaîtage des combles est posée une enrayure sur plan octogone GFK, etc.,embrévée dans les pièces principales inclinées AP, AG, AC, BC, etc.L'élévation X, prise sur la moitié de la flèche de B en I, fait voir laprojection du comble en B'D', la grande ferme inclinée en B'C', inclinéesuivant le plan B'O. Les contre-fiches AE du plan horizontal se voienten B'E' et la première enrayure octogone en L, sur laquelle reposent lesvéritables arêtiers de la flèche. Ici, les angles de l'octogone necorrespondent pas aux faîtages des quatre combles et aux quatre noues,mais bien le milieu des faces de cet octogone. En N est tracée l'une descontre-fiches diagonales AE et la section EP faite au milieu d'une desquatre faces de la pyramide donnant sur les noues; des lucarnes R sontouvertes sur ces quatre faces. Une galerie S rompt l'aspect uniforme dela flèche et sert de guette. L'enrayure du sol de cette galerie esttracée en M. L'enrayure Q est tracée en Q', les quatrième et cinquièmeenrayures étant combinées de la même façon. En V, un tracé perspectifindique la rencontre des pièces inclinées de la souche avec la premièreenrayure octogone L. Cette flèche a été dérasée au niveau Q; mais untableau du XVIIe siècle qui est déposé dans l'église d'Eu, présentantune vue fort bien faite des bâtiments de l'abbaye, nous donne lecomplément de la flèche et son système de décoration qui ne manquait pasd'élégance.
La fig. 24 reproduit l'aspect géométral de la flèche d'Eu, revêtue de saplomberie et de sa couverture en ardoise, la plomberie n'étant appliquéequ'au couronnement supérieur de la pyramide, à la galerie, aux lucarneset aux noues.
À Évreux, sur une tour centrale en maçonnerie qui surmonte la croisée dela cathédrale s'élève une flèche en charpente recouverte de plomb, fortdénaturée par des restaurations successives, mais qui présente cependantencore une assez bonne silhouette. Elle est complétement ajourée de lalanterne au faîte, et cette lanterne est d'un bon style du XVe siècle.Le défaut de ce couronnement, c'est d'être trop grêle pour la souche enmaçonnerie qui lui sert de base; elle s'y relie mal, et la trop grandequantité d'ajours fait encore paraître ce défaut plus choquant.
L'une des plus belles flèches du XVe siècle était celle de laSainte-Chapelle du Palais, reconstruite depuis peu par feu Lassus sur unancien dessin conservé à la Bibliothèque Impériale. Cette flèche estgravée dans laMonographie de la Sainte-Chapelle publiée par M. Bance,avec ses détails de charpente et de plomberie. Nous engageons noslecteurs à recourir à cet ouvrage.
Mais, à cette époque, les architectes avaient déjà perdu ce sentimentdélicat de la silhouette des édifices, et ils surchargeaient tellementleurs ensembles de détails recherchés que les masses perdaient de leurgrandeur. On ne trouve plus, dans la flèche de la Sainte-Chapelle duPalais, cette inclinaison des poteaux de la partie inférieure portant lapyramide; ceux-ci s'élèvent verticaux, ou à peu près, ce qui alourditl'ensemble et empêche l'oeuvre defiler, d'une venue, du faîtage ducomble au sommet. Les détails, trop petits d'échelle, paraissent confus,gênent les lignes principales au lieu de les faire ressortir. Cependant,nous voyons encore, sur le transsept de la cathédrale d'Amiens, uneflèche du commencement du XVIe siècle, dans l'exécution de laquelle lesqualités signalées ci-dessus sont développées avec un rare bonheur.
Si la flèche de la cathédrale d'Amiens est une oeuvre remarquable enelle-même, elle n'est nullement en rapport de proportions avecl'édifice: sa base est grêle, sort du comble brusquement, sanstransition; l'ensemble est mesquin, si on le compare à la grandeurmagistrale du monument. Quant à la combinaison de la charpente, ellepèche par l'amas des bois, par le défaut de simplicité. Lescharpentiers, maîtres de l'oeuvre, Louis Cordon et Simon Taneau, eurentl'idée de porter cette flèche sur une plate-forme composée de pièceshorizontales entre-croisées, rendues rigides au moyen de fermes arméesau nombre de dix; ce qui produit, à la souche, un amas de bois siconsidérable qu'à peine si l'on peut circuler à travers les arbalétrierset les clefs pendantes. Quelque bien armées que soient ces fermes, cesystème ne présentant pas des supports directs, il y a toujoursrelâchement à cause du retrait des bois dans les assemblages et, parsuite, flexion. L'intention évidente des maîtres a été d'établir unplancher rigide sur lequel ils ont monté une flèche, indépendante de ceplancher, comme s'ils l'eussent élevée sur le sol. Il y a donc dans lacharpente de la flèche d'Amiens deux choses: la plate-forme inférieureet la flèche proprement dite que cette plate-forme est destinée àporter. Cette donnée admise, ces maîtres en ont tiré le meilleur partipossible; mais le principe est vicieux.
La fig. 25 fait voir, en perspective, cette plate-forme ou plutôt cetteenrayure basse, armée. Pour rendre la figure moins confuse, nous avonssupposé les clefs pendantes enlevées. On distingue les dix fermes sepénétrant, aux arbalétriers desquels des clefs pendantes vont soutenirles entraits au droit de la portée de chacune des pièces horizontales.Deux grands entraits diagonaux reposent sur ce plancher suspendu. Commeà Notre-Dame de Paris, l'octogone de la flèche a ses angles dans lesnoues et dans l'axe des combles se croisant.
Si nous prenons une des fermes de flèche perpendiculaires aux côtés ducarré, nous obtenons la fig. 26. Le poinçon, l'arbre central est enA503. En B sont tracées en coupe les fermes armées de clefs pendanteset en face l'une de ces fermes dans le plan parallèle à notreprojection. Les poteaux C de l'octogone sont donc portés sur lesentraits soulagés de ces fermes armées, ainsi que les contre-fichesprincipales D. Comme toujours, le poinçon est suspendu par la buttée descontre-fiches. Une première enrayure composée de moises est en E, uneseconde en F, et une troisième en G un peu au-dessus du faîtage H descombles. C'est cette dernière enrayure qui reçoit la premièreplate-forme de la flèche, de sorte que l'ajour commence immédiatement auniveau de ce faîtage; ce qui contribue à donner de la maigreur àl'oeuvre de charpenterie, puisque au-dessus de la masse pleine descombles commence, sans transition, le système des poteaux isoléslaissant voir le ciel entre eux. Si bien assemblés que soient lesarbalétriers B, si bien serrées que soient les clefs pendantessupportant les entraits, il y a, par suite de la multiplicité de cespièces de bois, de nombreuses causes de retrait ou de relâchement; il enrésulte que le plancher inférieur a quelque peu plongé, particulièrementdu côté opposé à l'action des vents d'ouest, car on observera qu'ici lespesanteurs des poteaux ne sont pas réparties, comme dans la charpente deNotre-Dame de Paris, sur plusieurs points, mais agissent directement àleur pied. Il y a donc toujours une partie de ce plancher suspendu pluschargée que l'autre, puisque les vents d'ouest sont les plus fréquentset les plus violents, surtout à Amiens.
L'ensemble du système s'est incliné vers l'est, et on a dû, peu après laconstruction, ajouter de ce côté une longue contre-fiche qui vientporter sur une ferme du choeur très-solidement armée. Les fermesdiagonales sont peu résistantes (27); leur entrait A repose sur leplancher inférieur, ainsi qu'on le voit dans le tracé perspectif (fig.25); mais, comme supplément de force, les charpentiers ont posé sous ceplancher, qui passe dans l'intervalle B, des potences armées C dont lepied s'appuie sur la tête des quatre piles du transsept dans les reinsde la voûte. Ces potences, faiblement reliées au système de la fermediagonale, ont donné du nez sous la dépression du plancher. D'ailleurs,la contre-fiche principale E de cette demi-ferme diagonale est la noue,c'est-à-dire qu'elle est posée suivant la ligne d'intersection descombles, ce qui lui donne une position trop inclinée pour avoir unegrande force. Si, comme à Notre-Dame de Paris, les charpentiers avaientposé une contre-fichegh au-dessus de cette noue, visible, et reliée àla potence C au moyen de grandes moises verticalesm, ils eussentdonné aux fermes diagonales une beaucoup plus grande résistance, enfaisant de grands pans-de-bois rigides, dont toutes les parties eussentété solidaires.
On remarquera qu'ici, comme à Notre-Dame de Paris, les poteaux del'octogone sont doublés et fortement inclinés vers l'axe de la flèche.C'est là une règle dont les architectes du moyen âge ne se sont pasdépartis dans la construction de ces sortes d'édifices.
La silhouette de la flèche de Notre-Dame d'Amiens est heureuse; il nemanque à cette oeuvre de charpenterie que d'être sur un monument moinsgrandiose. La fig. 28 présente le géométral de cette flèche recouvertede sa plomberie. Malheureusement la flèche d'Amiens a subi desmutilations; son couronnement a été refait d'une façon barbare dans ledernier siècle, à la suite d'un incendie partiel causé par la foudre. Laplomberie, en partie reposée au commencement du XVIIe siècle, est, surquelques points, extrêmement grossière, et masque les profils ou lesdécoupures du bois.
La section de la pyramide ne donne pas un octogone à côtés droits, maisà côtés curvilignes concaves (voy. le détail A), afin d'obtenir, commenous l'avons dit plus haut, des filets de lumière dans l'ombre, etd'éviter le fâcheux effet produit par les pyramides à faces planeslorsqu'elles sont placées à une grande hauteur et que le soleil leséclaire. Quelques parties primitives de la plomberie sont fortremarquables.
En résumé, si la flèche de Notre-Dame d'Amiens n'est pas une oeuvreirréprochable, elle mérite cependant d'être étudiée; d'ailleurs c'est laseule de cette dimension qui existe encore en France. Son poids estcompris le plomb, de 500,000 kilogrammes. Sa hauteur, au-dessus dufaîtage (niveau B) jusqu'à la pomme, était de 47 mètres; elle n'est plusaujourd'hui que de 45 mètres. Les bois sont d'une belle qualité, essencede chêne. Autrefois la plomberie était peinte et dorée; on voit denombreuses traces de cette décoration.
Nous citerons encore, parmi les flèches de charpenterie recouvertes deplomb, celles de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, qui sont dela fin du XIVe siècle, très-simples, mais d'une assez belle forme, etqui couronnent des tours en pierre de la fin du XIIe siècle; celle de lacroupe de la cathédrale de Reims, qui date de la fin du XVe siècle, etdont la plomberie est assez bien conservée (voy. PLOMBERIE).
Note 498:(retour) En effet, on doit attribuer en partie la chute imminente de la flèche de Saint-Denis au supplément de poids qui lui avait été donné, lors de la restauration, par la substitution de la pierre de Saint-Non à la pierre de Vergelé qui, primitivement, imposait la pyramide. Il faut dire aussi que les parties inférieures, les étages de la tour, n'avaient pas été consolidés, mais au contraire affaiblis par des reprises extérieures faites en placages, sans affermir les massifs très-altérés par le temps.
Note 501:(retour) Le 26 février 1860, un coup de vent qui a renversé à Paris un grand nombre de cheminées, enlevé des toits et jeté bas quelques-unes des charpentes destinées à la triangulation, n'a fait osciller la flèche de Notre-Dame que de 0,20 c. environ à son sommet, bien que cette flèche ne fût pas alors complétement terminée et qu'elle ne fût garnie de plomb qu'à sa partie supérieure, ce qui nécessairement devait rendre l'oscillation plus sensible.
Note 502:(retour) La charpente de cette flèche a été exécutée par M. Bellu, et la plomberie par MM. Durand frères et Monduit. L'ensemble, compris les ferrures, pèse environ 500,000 kilog. Chacune des piles du transsept pourrait porter ce poids sans s'écraser. Les douze statues des apôtres et les quatre figures des symboles des évangélistes qui garnissent les quatre arêtiers des noues sont en cuivre repoussé, sur les modèles exécutés par M. Geoffroy-Dechaume.
FLEUR, s. f. (Voy. FLORE.)
FLEURON, s. m. Épanouissement végétal qui termine certains membres del'architecture gothique, tels que pinacles, pignons, dais, redents, etc.Le fleuron n'apparaît dans l'architecture qu'au XIIe siècle,c'est-à-dire au moment où l'école laïque va chercher l'ornementation deses édifices dans la flore des campagnes. Dès l'antiquité grecque, onamortissait les combles de certains édifices au moyen d'une décorationvégétale, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant le monumentchoragique de Lysicrates à Athènes. Bien que, dans ce cas,l'amortissement fut probablement destiné à porter le trépied quirappelait la victoire de Lysicrates sur ses rivaux, ce n'en est pasmoins un couronnement emprunté au règne végétal. La célèbre pomme de pinen bronze qui se voit dans les jardins du Vatican est un véritablefleuron terminant un grand monument antique. L'idée n'est donc pasneuve, et, en cela comme en beaucoup d'autres choses, les architectesgothiques ont suivi une tradition fort ancienne qui leur avait ététransmise par les maîtres de l'école romane.
Mais ce qui est neuf, ce qui appartient à ces architectes gothiques,c'est le caractère particulier qu'ils ont su donner à cesamortissements, c'est leur physionomie franchement végétale. On voitapparaître les fleurons bien caractérisés aux sommets des pinacles etlucarnes du clocher vieux de la cathédrale de Chartres (milieu du XIIesiècle); du moins ce sont les plus anciens qui nous soient restés.Quoique détériorés par le temps, ces fleurons laissent voir leur formeprimitive. Ils sortent brusquement de l'extrémité des arêtes d'angles deces pinacles, sans bagues intermédiaires; ils présentent (1) une réunionde jeunes feuilles, de bourgeons, terminés par des têtes humaines. Lasculpture est large, grasse, comme il convient à une pareille élévation.Tout l'ornement est pris dans une seule pierre de plus de 1m,00 dehauteur.
Cependant l'étude des végétaux conduit bientôt les architectes àchercher dans les divers membres des plantes ceux qui se prêtent lemieux à cette forme de couronnement; ils observent que les pistils desfleurs, par exemple, donnent souvent un ornement régulier, parfaitementpropre à terminer un sommet; ils voient que ces pistils sonthabituellement accompagnés d'un collet et d'appendices. Ils interprètentdonc, sans trop chercher à imiter servilement la nature, ces formesvégétales; ils en saisissent le caractère puissant, vivace, et composentdes fleurons comme celui-ci (2), qui date des dernières années du XIIesiècle et provient des gâbles inférieurs des contre-forts de lacathédrale de Paris (côté nord).
Cette forme simple ne leur paraît pasprésenter une silhouette assez découpée, ces artistes recourent encore àla nature, et ils ouvrent davantage les folioles qui accompagnent lepistil (3)504, de manière à obtenir un épanouissement; ou bien encore,un peu plus tard (vers 1220), ils recherchent l'imitation des bourgeons(4)505; ils les dissèquent, ils en enlèvent certaines parties, commel'indique cette couronne A de pétioles coupés, pour dégager la tigeprincipale B; puis ils commencent à mêler à cette végétation des formesgéométriques, des profils C d'architecture sans la bague imitée d'unfruit.
Tout en étudiant avec soin les végétaux, les sculpteurs ducommencement du XIIIe siècle ne les copient pas servilement; ils lessoumettent aux dispositions monumentales, à l'échelle de l'architecture.De l'imitation du pistil des fleurs, des graines, des bourgeons, ilsarrivent bientôt à l'imitation de la feuille développée, mais ensoumettant toujours cette imitation aux données décoratives quiconviennent à la sculpture sur pierre (5)506. Ils savent allier lapondération des masses à la liberté du végétal.
Les tiges des fleurons présentent, à dater du commencement du XIIIesiècle, des sections carrées ou octogones; ces tiges se divisenttoujours en quatre membres de feuillages à un seul étage, avec boutonsupérieur, ou à deux étages. Dans ce dernier cas, les feuilles dudeuxième rang alternent avec celles du premier, de manière à contrarierles lignes de fuite produites par la perspective, à donner plus demouvement et plus d'effet à ces amortissements décoratifs, ainsi quel'indique la fig. 6, et à redresser par l'apposition des ombres et deslumières la ligne verticale. Souvent les épanouissements des fleurons nesont autre chose que descrochets, comme ceux qui accompagnent lesrampants des gâbles ou des pinacles (7)507.
C'est vers le milieu du XIIIe siècle que les fleurons, d'une grandedimension, portent deux rangs de feuilles. Tous les membres del'architecture tendant à s'élever, à faire dominer la ligne verticale,il fallait donner une importance de plus en plus considérable à cescouronnements des parties aiguës des édifices. L'imitation des végétauxdevenait plus scrupuleuse, plus fine, mais aussi moins monumentale.Cette végétation ne tenait point à la pierre, elle était comme unesuperposition; ce n'était plus la pierre elle-même qui s'épanouissait,mais bien des feuillages entourant un noyau d'une forme géométrique(8)508.
Ce que l'on ne saurait trop admirer dans ces amortissements degâbles, de pinacles, c'est leur juste proportion par rapport aux membresde l'architecture qu'ils couronnent. Il y a une aisance, une grâce, unefinesse de contour, une fermeté dans ces terminaisons, bien difficiles àreproduire pour nous, habitués que nous sommes à l'ornementation sècheet banale des temps modernes. Ou, par suite d'une fausse interprétationde la sculpture antique, nous penchons vers l'ornementation deconvention, symétrique, morte, fossile, copiée sur des copies; ou nousnous lançons dans le domaine du caprice, de la fantaisie, parce qu'il ya un siècle des artistes possédant plus de verve que de goût nous ontouvert cette voie dangereuse. Autant la fantaisie est séduisanteparfois, lorsqu'elle arrive naturellement, qu'elle est une boutade del'esprit, autant elle fatigue si on la cherche. Les ornements que nousfournit cet article (ornements d'une importance singulière, puisqu'ilsservent de terminaison aux parties dominantes des édifices) ne sontpoint le résultat d'un caprice, mais bien de l'étude attentive et finedes végétaux. Il y a une flore gothique qui a ses lois, son harmonie, saraison d'exister pour ainsi dire, comme la flore naturelle; on laretrouve dans les bandeaux, dans les chapiteaux, et surtout dans cesfleurons de couronnements, si visibles, se détachant souvent sur leciel, dont le galbe, le modelé, l'allure, peuvent gâter un monument oului donner un aspect attrayant. La variété des fleurons du XIIIe siècleest infinie, car, bien que nos édifices de cette époque en soientcouverts, on n'en connaît pas deux qui aient été sculptés sur un mêmemodèle. Aussi n'en pouvons-nous présenter à nos lecteurs qu'untrès-petit nombre, en choisissant ceux qui se distinguent par desdispositions particulières ou par une grande perfection d'exécution.
Dans les édifices de l'Île-de-France et de la Champagne, ces fleuronssont incomparablement plus beaux et variés que dans les autresprovinces; ils sont aussi mieux proportionnés, plus largement composéset exécutés. Ceux, en grand nombre, qu'on voit encore autour de lacathédrale de Paris, ceux du tombeau de Dagobert à Saint-Denis, ceux del'église de Poissy (9) qui terminent les arcs-boutants du choeur, ceuxde la cathédrale de Reims (nous parlons des anciens), sont, la plupart,d'un bon style et exécutés de main de maître.
Autour des balustrades supérieures de Notre-Dame de Paris, on peut voirdes fleurons, à base carrée, terminant les pilastres, qui sont d'unelargeur de style incomparable (voy. BALUSTRADE, fig. 10). Ceux de labalustrade extérieure de la galerie du choeur, dont nous avons recueillides débris, avaient un caractère de puissance et d'énergie qu'on netrouve exprimé au même degré dans aucun autre monument de cette époque(commencement du XIIIe siècle) (10).
Vers la fin du XIIIe siècle, ces ornements deviennent plus refouillés,imitent servilement la flore, puis ils adoptent des formes toutesparticulières empruntées aux excroissances de la feuille de chêne (noixde galle), aux feuilles d'eau. Cette transition est sensible dansl'église de Saint-Urbain de Troyes, élevée pendant les dernières annéesdu XIIIe siècle. Les grands fleurons à trois rangs de feuilles quiterminent les gâbles des fenêtres sont sculptés avec une hardiesse, unedésinvolture qui atteignent l'exagération (11).
Pendant le XIVe siècle, les fleurons ne sont composés, habituellement,que de la réunion de quatre ou huit crochets, suivant les formes donnéesalors à cet ornement. La décoration, à cette époque, devient monotonecomme les lignes de l'architecture. Cependant ces fleurons sont sculptésavec une verve et un entrain remarquables (12).
On voit d'assez beauxfleurons à la cathédrale d'Amiens, autour de celle de Paris, àSaint-Ouen de Rouen, à Saint-Étienne d'Auxerre, à la cathédrale deClermont, à Saint-Just de Narbonne et à Saint-Nazaire de Carcassonne;mais le grand défaut de la sculpture du XIVe siècle, c'est le manque devariété, et ce défaut est particulièrement choquant lorsqu'il s'agit decouronnements qui se voient tous à peu près dans les mêmes conditions.
Au XVe siècle, les fleurons qui terminent les pinacles ou les gâblessont souvent dépouillés de feuillages, ce sont de simples amortissementsde formes géométriques dans le genre de la fig. 13. Cependant sil'édifice est très-richement sculpté, comme, par exemple, le tour duchoeur de l'église abbatiale d'Eu, ces amortissements se revêtent defeuilles d'eau ou plutôt d'un ornement qui ressemble assez à des alguesmarines (14). Vers 1500, les fleurons ne sont autre chose que la réuniondes crochets des rampants de gâbles ou de pinacles, et finissent par unelongue tige prismatique (voy. CONTRE-COURBE, fig. 2; CROCHET, FENÊTRE,fig. 42; GÂBLE, PINACLE).
On donne aussi le nom defleurons à des épanouissements de feuillesqui terminent desredents (voy. ce mot).
Que les fleurons de couronnement appartiennent au XIIIe ou au XVesiècle, ils sont toujours bien plantés, fièrement galbés, en rapportsparfaits de proportion avec les parties de l'architecture qu'ilssurmontent. Les architectes gothiques savaient couronner leurs édifices.Notre attention doit d'autant plus se porter sur ces qualités,qu'aujourd'hui la plupart de nos monuments modernes pèchent évidemmentpar le défaut contraire. L'ère classique, qui finit, regardait lescouronnements comme une superfétation de mauvais goût. Les Grecs et lesRomains ne manquaient pas cependant de terminer les parties supérieuresde leurs édifices par des ornements en pierre, en marbre ou en métal,qui se découpaient sur le ciel; mais les exemples n'existant plus enplace, il était convenu que l'architecture antique se passait de cesaccessoires. C'était un moyen d'éluder la difficulté. Peu à peucependant les études archéologiques, l'inspection de fragments épars, demédailles, ont fait reconnaître que les anciens étaient loin de sepriver de ces ressources décoratives; on chercha donc timidement et unpeu au hasard à rompre les lignes sèches et froides de nos palais, denos édifices publics: or, lorsqu'il s'agit de silhouettes, ce qu'ilfaut, ce sont des tracés hardis, un coup d'oeil sûr, l'expérience del'effet perspectif, l'observation du jeu des ombres. Cette expérience,il nous faut l'acquérir, car nous l'avons absolument perdue.
FLORE, s. f. Nous avons souvent l'occasion de parler de la floresculptée de l'architecture du moyen âge; c'est qu'en effet cettearchitecture possède sa flore, qui se modifie à mesure que l'artprogresse et décline. Pendant la période romane, la flore n'est guèrequ'une imitation de la sculpture romaine et byzantine; cependant onaperçoit, vers le commencement du XIIe siècle, dans certains édificesromans, une tendance manifeste à chercher les modèles de l'ornementationsculptée parmi les plantes des bois et des champs. Mais comment cetterecherche commence-t-elle? À quels éléments s'attache-t-elle d'abord?Qui la provoque? Comment s'érige-t-elle en système et parvient-elle àformer une école? Résoudre ces questions, c'est faire l'histoire denotre art français au moment où il se développe, où il est réellementoriginal et n'emprunte plus rien au passé.
Il semble, en examinant les monuments, que les clunisiens ont été lespremiers à former des écoles de sculpteurs allant chercher, dans lesproductions naturelles, les éléments de leur décoration. Les chapiteauxde la nef de l'église abbatiale de Vézelay ne sont plus déjà desimitations abâtardies de la sculpture antique: leur végétation sculptéepossède une physionomie qui lui est propre, qui a l'âpreté d'un art neufplutôt que l'empreinte barbare d'un art, dernier reflet de traditionsvieillies. Sur les bords de la Loire, de la Garonne, en Poitou et enSaintonge, au commencement du XIIe siècle, on voit aussi la sculpturechercher d'autres éléments que ceux laissés par l'antiquité. Ces essais,toutefois, sont partiels; ils semblent appartenir à des artistes isolés,fatigués de toujours reproduire des types dont ils ne comprenaient plusle sens, parce qu'ils n'en connaissaient plus l'origine. Quoi qu'il ensoit, ces essais ont une certaine importance: ils ont ouvert la voie àla nouvelle école des architectes laïques; c'est du moins probable.
Présentons tout d'abord un de ces exemples, qui fera ressortir d'unefaçon plus claire ce que nous allons dire. Nous donnons ici un chapiteaude l'église abbatiale de Bourg-Dieu près Châteauroux (Déols) sculpturedate de 1130 environ (1).
Or voici (2) des feuilles de fougère au moment où elles commencent à sedévelopper, à sortir de leur tissu cotonneux. Il n'est pas besoin,pensons-nous, de faire remarquer, dans ce chapiteau, l'intentionévidente de l'artiste; il a certainement voulu se servir de ces formespuissantes données par ces bourgeons de fougère, de la fougère qu'ontrouve partout, en France, sous les grands bois. Le sculpteur ne s'estinspiré ni des traditions romaines, ni des ornements byzantins: il acueilli un brin de fougère, l'a examiné curieusement, s'est épris depassion pour ces charmantes productions naturelles, puis il a composéson chapiteau. Observons à notre tour cette fig. 2; nous auronsl'occasion d'y revenir. C'est là, pour cette époque, disons-le encore,un fait isolé. Mais bientôt l'école des architectes laïques s'élève,s'empare de toutes les constructions, particulièrement dans le domaineroyal. Dès ses premiers pas, on sent que cette école laïque veut rompreavec les traditions d'art des moines. Il y avait peut-être del'ingratitude dans le procédé, puisque cette école s'était élevée sousles voûtes des cloîtres; mais cela nous importe peu aujourd'hui. Commesystème de construction (voy. CATHÉDRALE, CONSTRUCTION), comme méthode debâtir, les architectes laïques de la seconde moitié du XIIe sièclecherchent à rompre avec les traditions monastiques. Les formes qu'ilsadoptent, les moulures qu'ils tracent, les profils qu'ils taillent etles ornements qu'ils sculptent s'appuient sur des principes étrangers àl'art roman; l'examen, la recherche, remplacent la tradition. Quand ils'agit d'ornements, ils ne veulent plus regarder les vieux chapiteaux etles frises romanes: ils vont dans les bois, dans les champs; ilscherchent, sous l'herbe, les plus petites plantes; ils examinent leursbourgeons, leurs boutons, leurs fleurs et leurs fruits, et les voilàqui, avec cette humble flore, composent une variété infinie d'ornementsd'une grandeur de style, d'une fermeté d'exécution qui laissent bienloin les meilleurs exemples de la sculpture romane. Soit instinct, soitraisonnement, ces artistes comprennent que les plus petites plantes,comme les insectes, sont douées d'organes relativement beaucoup plusforts que les arbres et les grands animaux; destinées à vivre dans lemême milieu, à résister aux mêmes agents, la nature prévoyante a eneffet donné à ses créations les plus humbles une puissance relativementsupérieure à celle des grands êtres. Les formes des plus petitsinsectes, comme celles des plus petites plantes, ont une énergie, unepureté de lignes, une vigueur d'organisation qui se prêtentmerveilleusement à exprimer la grandeur et la force; tandis qu'aucontraire on remarque, dans les formes des grands végétauxparticulièrement, une sorte d'indécision, de mollesse, qui ne peutfournir d'exemples à la sculpture monumentale. D'ailleurs, qui sait? Cesartistes laïques qui s'élèvent en France à la fin du XIIe siècle, et quis'élèvent au milieu d'une société mal constituée, ces artistes à peinecompris de leur temps, fort peu aujourd'hui, trouvaient peut-être uncertain charme à envelopper leur art de mystère; de même qu'ils setransmettaient leurs grands principes à l'ombre d'une sorte defranc-maçonnerie, de même aussi, en allant chercher leurs motifs dedécorations au bord des ruisseaux, dans les prés, au fond des bois, dansles plus infimes productions végétales, se laissaient-ils conduire parcet instinct du poëte qui ne veut pas découvrir au vulgaire les secretsde ses conceptions. L'art véritable a sa pudeur: il cache aux regardsses amours fécondes. Qui sait si ces artistes ne trouvaient pas desjoies intimes dans la reproduction monumentale de ces humbles plantes,d'eux seuls connues, aimées d'eux seuls, cueillies et observéeslonguement dans le silence des bois? Ces réflexions nous sont venuessouvent lorsqu'en examinant les merveilleux développements de végétauxperdus sous l'herbe, leurs efforts pour repousser la terre, la puissancevitale de leurs bourgeons, les lignes énergiques de leurs tigettesnaissantes, les formes des beaux ornements de la première périodegothique nous revenaient en mémoire. Puisque nous allions chercher deséléments d'un art dans ces productions infimes sur lesquelles la naturesemble avoir jeté un de ses plus doux regards, pourquoi d'autres avantnous ne l'auraient-ils pas fait aussi? Pourquoi des artistesobservateurs, ennuyés de la monotonie des arts romans, ne seseraient-ils pas épris de cette modeste flore des champs, et, cherchantun art, n'auraient-ils pas dit, en découvrant ces trésors cachés: «Jel'ai trouvé»? Une fois sur cette voie, nous suivîmes pas à pas, et nonsans un vif intérêt, les interprétations ingénieuses de nos devanciers;notre examen nous conduisit à de singuliers résultats. Nous reconnûmesque les premiers artistes (il est entendu que nous ne parlons ici que del'école laïque qui s'élève, de 1140 à 1180, dans l'Île-de-France et lesprovinces voisines) s'étaient attachés à imiter la physionomie de cesmodestes plantes des champs au moment où elles se développent, où lesfeuilles sortent à peine de leurs bourgeons, où les boutons apparaissent,où les tiges épaisses pleines de séve n'ont pas atteint leurdéveloppement; qu'ils avaient été jusqu'à chercher comme motifsd'ornements des embryons, ou bien encore des pistils, des graines etjusqu'à des étamines de fleurs. C'est avec ces éléments qu'ils composentces larges chapiteaux que nous admirons autour du choeur de Notre-Damede Paris, dans l'église Saint-Julien-le-Pauvre, dans celle deSaint-Quiriace de Provins, à Senlis, à Sens, à Saint-Leu d'Esserent,dans le choeur de Vézelay, dans l'église de Montréale, à Notre-Dame deChâlons-sur-Marne, autour du sanctuaire de Saint-Remy de Reims. Bientôt(car nous savons que ces artistes ne s'arrêtent pas en chemin) del'imitation de la flore naissante ils passent à l'imitation de la florequi se développe: les tiges s'allongent et s'amaigrissent; les feuilless'ouvrent, s'étalent; les boutons deviennent des fleurs et des fruits.Plus tard, ces artistes oublient leurs humbles modèles primitifs: ilsvont chercher leurs exemples sur les arbustes; ils s'emparent du lierre,de la vigne, du houx, des mauves, de l'églantier, de l'érable. À la findu XIIIe siècle, ils en viennent à copier servilement le chêne, leprunier sauvage, le figuier, le poirier, aussi bien que les feuillesd'eau, le liseron, le persil, les herbacées, comme les feuillages desgrands arbres de nos forêts; tout leur est bon, tout leur est un motifd'ornement. Disons tout de suite que l'imitation s'approche d'autantplus de la réalité que l'art gothique avance vers sa décadence. À la findu XIIe siècle, et encore au commencement du XIIIe, cette imitation estsoumise à des données monumentales qui prêtent à la sculpture une beautéparticulière. Disons encore que cette sculpture est d'autant plusgrande, large, puissante, monumentale enfin, qu'elle va chercher sesinspirations parmi les plantes les plus modestes; tandis qu'elle tombedans la sécheresse et la maigreur lorsqu'elle veut copier les feuillesdes grands végétaux.
Les artistes laïques du XIIe siècle, se servant de ces plantes, ensaisissent les caractères principaux, la physionomie; elles deviennentpour eux un sujet d'inspiration plutôt qu'un modèle banal. Mais prenonsquelques exemples. N'est-il pas évident, par exemple, que les rinceauxqui décorent l'un des côtés du trumeau de la porte centrale de lacathédrale de Sens (1170 environ) ont été inspirés de ces jeunes poussesde fougère dont nous avons donné plus haut quelques brins, et cesfeuilles naissantes de plantain (3) n'ont-elles pas inspiré les artistesqui sculptaient les chapiteaux du choeur de l'église de Vézelay, ceux dela galerie du choeur de Notre-Dame de Paris (3 bis), ou ceux de l'églisede Montréale (Yonne)(4)?
N'y a-t-il pas entre les petites fleurs de lacorolle à peine développées (5) et les crochets primitifs qui ornent lesangles de ces chapiteaux une grande analogie? La section d'une de cesfeuilles de plantain (fig. 3), faite surab et tracée en A, estobservée fidèlement dans les sculptures que nous donnons ici. Avant depousser plus loin l'examen de la flore monumentale de l'école laïque, ilest nécessaire de se rendre un compte exact du mélange qui s'était fait,pendant la période romane, des traditions antiques avec certaines formesinspirées évidemment par quelques végétaux de nos bois. Des écrivainsont déjà fait, à ce sujet, des observations ingénieuses, sans toutefoisappuyer ces observations par des figures étudiées: les uns prétendentque les ornements qui, au XIIe siècle, sont arrivés à former ce qu'onappelle la fleur de lis, ont été inspirés de l'iris ou du glaïeul; lesautres, que ces ornements sculptés et peints, si fréquents à dater de lafin du XIe siècle, sont une réminiscence des plantes aroïdes. Nouslaisserons chacun juger le procès, nous nous bornerons à fournir lespièces; aussi bien importe-t-il assez peu, à notre avis, que lessculpteurs des XIe et XIIe siècles aient copié l'iris ou l'arum: laquestion est de savoir si ces sculpteurs ont ajouté quelque chose auxtraditions usées des arts romans dans leur ornementation. Le fait neparaît pas douteux.
Prenons d'abord lesAroïdées, qui paraissent avoir inspiré nossculpteurs dès une époque fort ancienne.
D'après Jussieu, les Aroïdées sont «des plantes à racines tubéreuses, àfeuilles simples, alternes, engaînantes; fleurs unisexuelles, réuniesdans une véritable spathe colorée, avec ou sans périanthe particulier;un style; fruit bacciforme.»
L'Arum maculatum, connu vulgairement sous le nom deGouet ouPied-de-veau, porte une tige dressée, simple, nue, haute de 0,20 c.environ, glabre; les feuilles sont radicales, portées sur de longspétioles, grandes, sagittées-cordiformes, comme tronquées obliquementdes deux côtés à la base, entières, sans taches, glabres; la spatheterminale est allongée, aiguë; le spadice est moitié moins long qu'elle;en mûrissant, la portion qui est au-dessus des baies tombe; celles-cirestent grosses, nombreuses, rouges et contiennent deux graineschagrinées. Les fleurs (spathe) sont d'un vert pâle et tournent auviolet en se fanant. L'Arum apparaît en avril et mai, et esttrès-commun dans les bois humides des environs de Paris, de Champagne etde Bourgogne.
Comme il n'est pas certain que tous les architectes soient botanistes,nous donnons (6) une représentation de l'Arum. En A, la spathe estfermée; elle enveloppe encore le spadice. En B, la plante est montréeentière avec sa racine tubéreuse; la spathe s'est développée, s'estouverte et laisse voir le spadice. Les feuilles sont sagittées. En C estdonnée une coupe de la spathe, laissant voir le spadice entier avec sesétamines et ses pistils à la base. Quand le fruit est mûr, D, la partiesupérieure du spadice se détruit; la spathe demeure à l'état de débris,E. En F est une des étamines. Il n'est personne qui, en se promenant auprintemps dans les bois, n'ait examiné cette plante d'une physionomieremarquable, déjà épanouie lorsque les arbres et les buissons portentquelques feuilles tendres à peine sorties des bourgeons. L'Arum etl'Iris sont les premiers signes du retour des beaux jours. Est-ce pourcela que les sculpteurs romans paraissent avoir affectionné ces plantes,comme le réveil de la nature? Faut-il attacher à l'imitation desAroïdes une idée symbolique, y voir quelque tradition antique? Nousnous garderons de trancher la question. Le fait est que, dans lessculptures de la fin du XIe siècle, nous trouvons la trace évidente decette imitation. Les beaux chapiteaux de la nef de l'église abbatiale deVézelay nous montrent des imitations d'Aroïdes (7) qui terminent desfeuillages plus ou moins dérivés de la sculpture romaine du chapiteaucorinthien.
En A, la spathe de l'Arum est développée, l'extrémité duspadice est tombée et les graines restent apparentes. En B, ce sont lesfeuilles de l'Arum qui se roulent en volutes ou crochets aux anglesd'un chapiteau. Dans la fig. 7 bis, le sculpteur a doublé le spadice enA, l'a laissé simple en B; mais, dans l'un et l'autre cas, la spatheenveloppe le fruit.
Ces plantes de bois marécageux ne paraissent pas seules avoir inspiréles sculpteurs romans; nous voyons qu'ils ont une affection particulièrepour les nénuphars, pour les feuilles d'eau. Deux autres chapiteaux dela nef de Vézelay présentent encore, en guise de crochets, des feuillesfanées denénuphars avec ou sans fleurs (8). On sait avec quellerapidité se flétrissent les plantes d'eau lorsqu'elles ont étécueillies; il semble, dans l'exemple A, que le sculpteur a suspendu prèsde lui, pour décorer l'angle de son chapiteau, des feuilles de nénupharssi communs dans nos étangs, et que celles-ci se soient fermées, comme ilarrive bientôt lorsqu'elles ne peuvent plus s'étendre sur la surface del'eau.
Ces imitations sont fort libres, ainsi qu'il arrive chez les artistesprimitifs, mais elles ne paraissent guère douteuses. Il ne s'agissaitpas, en effet, de reproduire, avec tout le soin d'un naturaliste, telleou telle plante, mais de trouver un motif d'ornement. D'ailleurs lesyeux d'observateurs naïfs se contentent d'une interprétation, et tousles jours nous voyons des enfants pour lesquels un pantin grossièrementtaillé dans un morceau de bois est l'image complète d'un personnage. Ilfaut bien reconnaître aussi que le style dans les arts, pour lesornements comme pour toute chose empruntée à la nature, demandel'interprétation plutôt que l'imitation scrupuleuse de l'objet. Lesplantes ont une allure, une physionomie, un port, qui frappent toutd'abord un observateur inexpérimenté. Celui-ci saisit ces caractèresgénéraux sans aller au delà; il produit une seconde création qui devientune oeuvre d'art, bien qu'on retrouve dans cette seconde créationl'empreinte puissante de la nature. Les artistes romans se sont tenus àces inspirations primitives; ils les corrompent même à mesure que leurmain acquiert de l'habileté, et il est intéressant de voir comment,lorsque l'art devient laïque, l'esprit d'examen s'introduit promptementdans la sculpture d'ornement; comment l'inspiration libre, ou soumise àcertaines traditions de métier, est bientôt étouffée par le désird'arriver à l'imitation servile de la nature.
Disons un mot maintenant de la fleur d'Iris, qui joue aussi un grandrôle dans l'ornementation romane des XIe et XIIe siècles. La fleur del'iris est enveloppée dans une spathe membraneuse avant sonépanouissement. La corolle, d'après Linné, «est à six divisionsprofondes, alternativement dressées et réfléchies; le style est court,portant trois lanières pétaloïdes, souvent échancrées, qui tiennent lieude stigmates; la capsule infère est à trois valves, à trois logespolyspermes.»
Voici (9) une fleur d'iris, connue sous le nom deflambe, copiée degrandeur naturelle. Si nous présentons cette fleur de manière àrégulariser ses diverses parties, nous obtenons la fig. 10.
Les sixdivisions de la corolle sont visibles en AA, BB, CC. Deux des lanièrespétaloïdes sont apparentes en D, la troisième devant se trouver dansl'axe de la fleur. La spathe est en E. De cette figure à l'ornementconnu sous le nom defleur de lis, il n'y a pas loin. Dans lesornements romans du XIIe siècle (11509, 12 et 13510), on reconnaîtl'essai d'artistes qui cherchent à s'inspirer des formes générales de lafleur d'iris, tout en conservant lefaire de l'art romain dégénéré.Ces artistes affectionnent tout particulièrement l'arum et l'iris;ces deux plantes donnent, dès le commencement du XIIe siècle, unephysionomie particulière à l'ornementation sculptée ou peinte (voy.PEINTURE). Quelle était la raison qui avait fait choisir de préférenceces végétaux des lieux humides, qui arrivent à leur floraison dès lespremiers jours du printemps? M. Woillez, auteur d'une brochure fortintéressante sur ce sujet511, n'hésite pas à voir dans cette imitationdes plantes aroïdes une idée symbolique de la puissance. Il voit là unreste du paganisme, et s'exprime ainsi512: «Je pense que le gouet,type actuel de la famille botanique des aroïdes, ou une autre plante dumême genre513, devint, en quelque sorte, le phalle transfiguré par lechristianisme. La simple appellation rustique de la première plante danscertains lieux de la Picardie, et notamment dans les environs deClermont (Oise), a suffi pour me suggérer d'abord cette opinion. Jesavais que ce végétal, caché sous les bois humides et ombragés, bizarredans ses formes extérieures, était en grand crédit parmi les magicienset les enchanteurs du moyen âge, lorsque j'appris sa dénomination laplus vulgaire. Cette qualification correspond aux mots latinspresbiteri phallus; le spadice enveloppé de sa spathe verte est encoreappelévicaire, tandis que, au moment de la fécondation, et lorsque cespadice a pris une teinte violette, c'est uncuré... Le gouet, quel'on pourrait appeler lephalle végétal, est une des premières plantesqui annoncent le retour de la végétation, ou, comme le phalle proprementdit, le réveil de la nature; il peut bien être l'expression ou l'emblèmede la puissance génératrice impérissable, puisque, chaque année, sansculture préalable, on le voit percer la terre, puis disparaître après lafructification, pour reparaître après l'hiver suivant. Mais il y a plus:de même que le phalle, il a été figuré comme l'attribut de la puissanceen général, ce qui prouverait son identité avec lui...» M. Woillezrappelle à propos la notice du docteur Colson514 sur une médaille deJulia Mamée, au revers de laquelle on voit Junon tenant unphallusd'une main et un lis de l'autre, et il est à remarquer, en effet, queles premiers sceptres portés par des rois ou même la Vierge sainte sontterminés par une fleur d'arum ou une fleur de lis assez semblable àcelle que nous avons donnée plus haut (fig. 10); seulement M. Woillez nevoit dans ces ornements que l'imitation des plantes aroïdes. Je pensequ'on y trouve et l'arum et l'iris (flambe); quelquefois même, commedans l'ornement (fig. 13), un mélange des deux plantes printanières. Ilne nous paraît pas, toutefois, que l'on puisse, dans l'état desconnaissances actuelles, donner comme des faits certains l'influence deces traditions païennes d'une haute antiquité dans les arts du moyenâge.
Si la flore sculptée romane mêle aux derniers débris des arts romainsdes inspirations nouvelles provoquées par l'observation des plantesprintanières des bois, elle subit aussi l'influence des arts del'Orient. Pendant les Xe, XIe et XIIe siècles, quantité d'objetsapportés de Byzance et de Syrie remplissaient les trésors des monastèreset des palais: étoffes, ivoires sculptés, ustensiles, menus meubles,venaient en grand nombre d'Orient et fournissaient aux artistes françaisdes motifs d'ornements qu'ils interprétaient à leur manière. Beaucoup deces ornements byzantins étaient empruntés eux-mêmes à la floreorientale. Il ne faut donc pas s'étonner si l'on trouve sur noschapiteaux et nos frises des XIe et XIIe siècles des formes quirappellent certains végétaux qui alors n'étaient pas connus en Occident(voy. SCULPTURE).
Telles étaient les diverses sources auxquelles avaient été puiser lessculpteurs romans lorsqu'apparut l'école laïque de la seconde moitié duXIIe siècle; cette école ne pouvait rompre tout à coup avec celle qui laprécédait. Dans un même édifice on voit, comme à la cathédrale de Paris,comme autour du choeur de l'église de Saint-Leu d'Esserent, comme àNoyon, des sculptures empreintes encore des traditions romanes à côtéd'ornements d'un style entièrement étranger à ces traditions, recueillisdans la flore française. Ce sont les feuilles de l'Ancolie, del'Aristoloche, de la Primevère, de la Renoncule, du Plantain, de laCymbalaire, de la Chélidoine, de l'Hépatique, du Cresson, des Géraniums,de la Petite-Oseille, de la Violette, des Rumex, des Fougères, de laVigne; les fleurs du Muflier, de l'Aconit, du Pois, du Nénuphar, de laRue, du Genêt, des Orchidées, des Cucurbitacées, de l'Iris, du Safran,du Muguet; les fleurs, fruits ou pistils des Papaveracées, desPolygalées, du Lin, des Malvacées, de quelques Rosacées, du Souci, desEuphorbiacées, des Alismacées, des Iridées et Colchicacées qui inspirentles sculpteurs d'ornement. Mais il ne faudrait pas se méprendre sur lavaleur de notre observation, ces artistes ne sont pas botanistes; s'ilscherchent à rendre la physionomie de certains végétaux, ils ne sepiquent pas d'exactitude organographique; ils ne se font pas faute demêler les espèces, de prendre un bouton à telle plante, une feuille àcelle-ci, une tige à celle-là; ils observent avec une attentionscrupuleuse les caractères principaux des végétaux, le modelé desfeuilles, la courbure et la diminution des tiges, les attaches, lescontours si purs et si fermes des pistils, des fruits ou des fleurs; ilscréent une flore qui leur appartient, mais qui, toute monumentalequ'elle est, conserve un caractère de vraisemblance plein de vie etd'énergie. Cette flore monumentale a ses lois, son développement, sesallures; c'est un art, pour tout dire en un mot, non point uneimitation. Nous sommes aujourd'hui si loin de la voie suivie à toutesles belles époques, qu'il nous faut faire quelques efforts pourcomprendre la puissance de cette création de second ordre, éloignéeautant de l'imitation servile et de la banalité que de la fantaisiepure. Nos monuments se couvrent d'imitations de l'ornementation romaine,qui n'est qu'une copie incomprise de la flore monumentale des Grecs;nous copions les copies de copies, et à grands frais; notre parurearchitectonique tombe dans la vulgarité, tandis que l'école laïque de lafin du XIIe siècle allait aux sources chercher ses inspirations.Non-seulement ainsi elle trouvait une décoration originale, mais elles'appuyait sur un principe toujours neuf, toujours vivant, toujoursapplicable. L'art français de la grande école laïque d'architecture estlogique; dans la construction, il émet des principes nouveaux qui, sansimposer une forme, sont applicables partout et dans tous les temps; dansla décoration, cet art ne fait de même qu'émettre des principes; il neprescrit pas l'emploi d'une forme hiératique, comme l'a fait l'artoriental. Le génie de chaque artiste peut sans cesse tirer de cesprincipes féconds des formes neuves, imprévues.
De nos jours, on a remplacé en France la méthode, l'énoncé desprincipes, par l'enseignement, non raisonné, d'une ou de plusieursformes de l'art; on a pris l'une des applications du principe pour l'artlui-même, et on a dit alors avec beaucoup de raison: «Toute imitationest funeste, si nous proscrivons l'imitation des arts de l'antiquité,nous ne pouvons prescrire l'imitation des arts du moyen âge.» Maisremplaçant l'enseignement de telle ou telle forme, d'une desapplications du principe, par l'enseignement du principe lui-même, on neprescrit pas l'imitation, on ne fait que se servir d'une méthode vraiequi permet à chacun de suivre ses inspirations. Nous savons bien qu'ilest une école pour laquelle des principes sont un embarras: elle veutque la fantaisie soit le seul guide de l'artiste. La fantaisie a destours charmants quand elle n'est que le vernis d'un esprit réfléchi,observateur, quand elle couvre d'un vêtement à mille reflets imprévus uncorps solide, bien fait et sain; mais rien n'est plus monotone etfatigant que la fantaisie lorsqu'elle est seule et ne drape qu'un corpsinconsistant, chétif et pauvre. Il y a certainement de la fantaisie, etbeaucoup, dans l'ornementation architectonique de notre école française;mais elle ne fait que se jouer autour des principes solides, vrais,dérivés d'une observation subtile de la nature; la fantaisie alors n'estautre chose que la grâce qui sait éviter la pédanterie. Poursuivonsnotre étude.
Voici (14) une plante bien vulgaire, le Cresson. Regardons cependantavec attention ces tiges souples et grasses, ces pétioles bien soudées,ces courbes gracieuses des limbes, leur profil A. Dans ces limbescependant, il y a une indécision de contour qui ne se prête pas à ladécoration monumentale; les stipules B jettent de la confusion au milieudes masses. Pour faire un ornement avec cette plante, il faut ensacrifier quelque chose, donner de la fermeté aux silhouettes despétioles; il faut prendre et laisser, ajouter et retrancher; ce qu'ilfaut conserver, c'est la force, la grâce, la souplesse, l'aisance de cescontours. Avec une adresse incomparable, les sculpteurs de Notre-Dame deParis sont arrivés à ce résultat (15)515.
Tout en conservant lasilhouette de ces feuilles de cresson, ils leur ont donné un accent plusferme, monumental, précis; entre ces limbes, ils ont ajouté des grappesqui donnent de la grandeur et de la finesse en même temps à l'ornement.Ils ont vu, étudié la nature, et en ont tiré une création nouvelle. Ici,point de traditions des ornements romains ou byzantins: c'est original,vivant, bien compris comme composition, exécuté avec habileté. Cela sefait regarder comme toute oeuvre où l'art s'appuie sur la nature sans lacopier platement.
Examinons encore cette feuille de Chélidoine (éclaire) (16), plante sicommune dans nos campagnes; ces feuilles sont profondément pinnatifides,à folioles ovales, à dents et lobes arrondis; leur faisceau fibreux estaccusé, épais; les stipules latérales développées.
Il s'agitd'interpréter cette plante, belle par sa forme générale et par sesdétails. Les mêmes sculpteurs516 composent l'ornement (17). Ilsretournent le limbe supérieur, le font retomber sur lui-même, ledoublent d'une seconde feuille pour augmenter sa masse. Ils observentles deux stipules latérales; ils élargissent démesurément le pétiole;ils conservent cesoeils qui donnent un caractère particulier à lafeuille de chélidoine, ces lobes arrondis; de ce faisceau fibreux,puissant, ils exagèrent la structure: ainsi, fig. 16, la sectiontransversale d'une des stipules donne le tracé A; B étant le dessous dela feuille, ils adoptent la section C dans leur sculpture. Toujoursattentifs à saisir les caractères principaux, tranchés, qui se prêtent àl'ornementation monumentale, ils font bon marché des détails dont lareproduction rapetisse ou amaigrit la sculpture. Sans chercher lasymétrie absolue, cependant ils évitent les irrégularités incertaines dela plante. Ils composent un ornement avec plusieurs membres de végétaux,mais ils ont assez bien observé la nature pour donner à leur compositionla vraisemblance. Beaucoup de ces inspirations sont des monstres, aupoint de vue de la science, mais ce sont des monstres qui sont créésviables. Nous retrouvons ces mêmes qualités chez les sculpteurs du XIIIesiècle, lorsqu'ils composent des animaux fantastiques (voy. SCULPTURE,GARGOUILLE).
Si ces artistes ne possèdent pas la science du botaniste, s'ils necopient pas exactement telle plante ou telle partie de plante, ils ontcependant observé avec délicatesse certaines lois organiques dont ils nes'écartent pas; ils connaissent l'anatomie du végétal et suivent sesrègles générales: ainsi le faisceau fibreux, qui est comme l'ossature dela feuille, est toujours disposé d'une manière vraisemblable; le modelédu limbe est finement rendu et, comme nous le disions plus haut, inspiréde préférence sur ces petits végétaux dont la puissance d'organisationest relativement plus développée que chez les grands, dont les formessont plus caractérisées, plus simples et d'unstyle plus ferme.
Dans la fig. 18, par exemple, qui nous donne, en A, des feuilles de lafamille des Scrofuliacées517, on voit comme le dernier limbe B seretourne sur lui-même lorsqu'il est récemment sorti du bourgeon; commecette feuille d'Ombellifère C, de grandeur naturelle, est bien découpée,puissante, largement modelée. À l'aide de ces humbles végétaux, nossculpteurs du XIIIe siècle vont composer une frise d'un aspectmonumental, énergique et grand.
La petite feuille B leur aura fourni lemotif de ces crochets aux têtes saillantes de la fig. 19518, et lafeuille d'ombellifère ce bouquet qui s'interpose entre chaque tige ducrochet. Sur la façade occidentale de la cathédrale de Paris519, lesculpteur a su faire de la feuille du Rumex (20)520 une grandeornementation (21), d'une largeur de modelé et d'une pureté de formeincomparables.
Quelquefois d'une fleur (car rarement les fleurs seprêtent à la sculpture monumentale) ils composent un ornement qui n'arien de la fleur, si ce n'est une silhouette particulière, un galbeétrange; mais aux corolles, dont les formes sont presque toujoursindécises, ils substituent de véritables feuilles très-nettementcaractérisées. Ainsi (22), de la fleur du Muflier, dont nous donnons lesdivers aspects en A, ils ont composé une tête de crochet B521, dontles trois membres rappellent la feuille de l'Hépatique (23).
De cesmêmes fleurs de mufliers encore jeunes, C, ils ont fait des crochetsfeuillus extrêmement simples D, que l'on trouve aux angles deschapiteaux du commencement du XIIIe siècle. De cette feuille del'hépatique, fig. 23, les artistes de cette époque ont tiré un grandparti: ils en ont orné les bandeaux, les corbeilles des chapiteaux;quelquefois ils ont superposé ces limbes pour former des cordonsd'archivoltes; en conservant exactement ce modelé concave, simple,lisse, mais en accentuant un peu les découpures du limbe.
Bien que l'école laïque voulût évidemment rompre avec les traditions dela sculpture romane, on sent encore, jusque vers 1240, percer parfoisquelques restes vagues de cette influence. Peut-être aussi les objetsd'art que l'on rapportait alors de l'Orient en Occidentfournissaient-ils certains motifs d'ornements qui ne peuvent êtredérivés de la flore française; mais ces exemples sont si rares, ilssont, dirons-nous, tellement effacés, qu'ils ne font que confirmer larègle. D'ailleurs, les maîtres qui construisaient nos édifices ducommencement du XIIIe siècle étaient obligés de recourir à un si grandnombre de sculpteurs pour réaliser leurs conceptions, qu'ils devaientsouvent employer et des vieillards et des jeunes gens; les premiers,nécessairement imbus des traditions romanes, ne pouvaient tout à coup sefaire à la mode nouvelle et mêlaient, timidement il est vrai, les restesde l'art de leur temps aux modèles qu'on leur imposait. Comme preuve dela répulsion de l'école laïque pour ces traditions vieillies, c'est quel'on ne trouve des réminiscences du passé, dans la sculpture, que surcertaines parties sacrifiées, peu apparentes des monuments. Là où lasculpture était visible, où elle occupait une place importante, onreconnaît, au contraire, l'emploi de la flore nouvelle dès les premièresannées du XIIIe siècle.
L'esprit d'analyse, de recherche, de rationalisme de l'école laïquerepoussait, dans l'ornementation architectonique comme dans laconstruction, les traditions romanes: d'abord, parce que ces traditionsappartenaient aux anciens ordres religieux, et qu'une réaction générales'était faite contre ces ordres; puis, parce que la nouvelle écoletenait à se rendre compte de tout, ou plutôt à donner la raison de toutce qu'elle créait. C'était un système qui, comme tout système, étaitinflexible, impérieux dans son expression, n'admettait nulle concession,nul écart. C'était une réforme radicale.
Si, comme nous l'avons vu au commencement de cet article, les moinesclunisiens avaient introduit dans leur décoration sculptée quelquesvégétaux empruntés à la flore locale; s'ils avaient, peut-être lespremiers, placé l'art de l'ornemaniste sur cette voie, il faut bienreconnaître qu'ils avaient adopté un grand nombre d'ornements quidérivaient de la décadence romaine, quelques autres pris sur les objetsou les étoffes que l'Orient leur fournissait. Comme nous avons euplusieurs fois l'occasion de signaler ce dernier fait, il estnécessaire, tout en restant dans le sujet de cet article, de donner nospreuves.
Nous possédons en France aujourd'hui, grâce à nos jardins et à nosserres-chaudes, un grand nombre de végétaux qui nous viennent du fond del'Orient, et qui, au XIe siècle, étaient parfaitement inconnus enFrance. Telle est, par exemple, cette plante charmante désignée par lesbotanistes sous le nom deDiclytra, dont les belles grappes de fleursaffectent des formes si élégantes et d'un contour si original (24).
LaDiclytra vient de Chine et de l'Inde. Nous ne savons si, au XIe sièclede notre ère, elle se trouvait sur les rives du Tigre et de l'Euphrate;mais ce qui est apparent pour tous, c'est que la forme bien caractériséede ces fleurs est reproduite sur les étoffes ou les menus objetssculptés les plus anciens qui sont venus d'Orient par Byzance. Or noustrouvons parmi les cordons d'arcs doubleaux et d'archivoltes de l'égliseabbatiale de Vézelay des ornements qui ne sont qu'une interprétation malcomprise et de seconde main de ces fleurs (25).
Nous pourrionsmultiplier ces exemples, mais il faut nous borner. On comprend très-bienque ces ornements, aux yeux de gens qui prétendaient trouver à toutechose une raison d'être, une origine, n'étaient que des conceptionsbarbares, dues au hasard, n'ayant aucune signification, qu'ils devaientrejeter, par conséquent. Aussi, l'école laïque tombe-t-elle bientôt dansl'abus de son système; après avoirinterprété, arrangé la florenaturelle des champs, pour l'approprier aux données sévères de lasculpture monumentale, elle arrive à imiter scrupuleusement cette flore,d'abord avec réserve, en choisissant soigneusement les végétaux qui, parleur forme, se prêtent le mieux à la sculpture, puis plus tard enprenant les plantes les plus souples, les plus déliées, puis enexagérant même le modelé de ces productions naturelles. Cette secondephase de l'art gothique est plus facile à faire connaître que lapremière; elle est encore pleine d'intérêt. En se rapprochant davantagede la nature, les sculpteurs du milieu du XIIIe siècle, observateursfins et scrupuleux, saisissent les caractères généraux de la forme desplantes et reproduisent ces caractères avec adresse. Ils aiment lesvégétaux, ils connaissent leurs allures, ils savent comment s'attachentles pétioles des feuilles, comment se disposent leurs faisceaux fibreux;ils conservent et reproduisent avec soin ces contours si beaux, parcequ'ils expriment toujours une fonction ou se soumettent aux nécessitésde l'organisme; ils trouvent dans les végétaux les qualités qu'ilscherchent à faire ressortir dans la structure de leurs édifices, quelquechose de vrai, de pratique, de raisonné: aussi y a-t-il harmonieparfaite entre cette structure et l'ornementation. Jamais celle-ci n'estun placage, une superfétation. L'ornementation de l'architecturegothique de la belle époque est comme une végétation naturelle de lastructure; c'est pour cela qu'on ne fait rien qui puisse satisfaire legoût, lorsqu'en adoptant le mode de construire de ces architectesraisonneurs, on veut y appliquer une ornementation prise ailleurs ou defantaisie. La construction gothique est (nous l'avons démontré ailleurs)la conséquence d'un système raisonné, logique; les profils sont tracésen raison de l'objet; de même, aussi, l'ornementation a ses lois commeles produits naturels qui lui servent de types. Ces artistes vontjusqu'à admettre la variété que l'on remarque dans les feuilles oufleurs d'un même végétal, ils ont observé comment procède la nature etils procèdent comme elle. Pourquoi et comment avons-nous perdu cescharmantes facultés, inhérentes à notre pays? Pourquoi avons-nousabandonné ces méthodes d'art sorties de notre esprit gaulois? Pourquoi,au lieu d'aller recourir aux sources vraies, aux modèles que nousfournit notre intelligence, notre faculté de comprendre la nature,avons-nous été chercher des arts étrangers, abâtardis, pour les copiersans les comprendre, puis recopier ces copies? Nous nous garderons de ledire ici, parce que ce sujet nous entraînerait trop loin (voy. GOÛT,STYLE). Constatons simplement que ce que l'on appelle vulgairement lesfantaisies de l'art gothique sont, dans la structure comme pourl'ornementation, des déductions très-logiques et très-délicates d'unsystème complet, d'un corps de doctrine établi sur une suited'observations vraies, profondes et justes.
Une preuve que le principe d'ornementation admis par la grande écolelaïque d'architecture est fertile, c'est que chaque province en fait uneapplication différente en raison de son caractère propre. Dansl'Île-de-France, l'imitation servile des végétaux ne se fait sentirqu'assez tard, vers la seconde moitié du XIIIe siècle; pendantlongtemps, l'interprétation de la nature, le style, persistent dans lesgrands ornements, l'imitation matérielle étant permise seulement dansquelques détails trop peu importants pour influer sur les lignes del'architecture. En Champagne, l'imitation matérielle paraît plus tôt;elle incline rapidement vers la sécheresse et la manière. En Bourgogne,l'imitation se fait sentir dès que le gothique apparaît; mais elleconserve longtemps un tel caractère de grandeur, de puissance, elle estsi vivante, qu'elle étouffe, pour ainsi dire, ses modèles sous saplantureuse apparence. La flore architectonique de la Bourgogne possède,jusqu'à la fin du XIIIe siècle, un caractère large, énergique, qui netombe jamais dans la manière; elle est toujours monumentale, bienqu'elle reproduise souvent les végétaux avec une scrupuleuse exactitude.Ce n'est pas en Bourgogne qu'il faut aller chercher ces délicates friseset archivoltes de feuillages que nous voyons sculptées, dès 1257, sur leportail méridional et sous les voussures de la porte Rouge de Notre-Damede Paris, ou de l'ancienne porte de la chapelle de la Vierge deSaint-Germain-des-Prés522; mais nous y trouvons encore, dans lesmonuments du milieu du XIIIe siècle, de grands chapiteaux à largesfeuillages, de hautes frises dont la végétation de pierre est largementtraitée.
Les sculpteurs bourguignons vont chercher les végétaux dont lesfeuilles sont hardiment découpées, comme celles de l'Ancolie (26), de laChrysantème (27), du Persil (28); dont les pétioles et les faisceauxfibreux sont longs, bien attachés, vivement accentués. Ils aiment lesjeunes pousses de la Vigne (29), les boutons du Liseron (30), lesfeuilles, d'un si beau caractère, de la Scabieuse (31).
Ils dédaignentl'Églantier, souvent reproduit par les sculpteurs du XIIIe siècle, leTrèfle, les feuilles de la Mauve, de la Brione, des Ombellifères, de laChélidoine, d'un modelé si doux, de la Potentille, si fines, desGéraniums, si délicates. S'ils veulent se servir des feuillages àcontours simples mais d'un modelé puissant, ils cueillent l'Aristoloche,la Violette, l'Oseille, l'Hépatique, le Fraisier, le Plantain, leLierre. Observons, par exemple, comment ces hardis sculpteurs ont tiréparti des feuilles de la Chrysanthème et du Persil. On voit, sur laporte principale de la façade de l'église abbatiale de Vézelay, unebelle archivolte refaite vers 1240 autour d'un cintre du XIIe siècle.Cette archivolte se compose d'une suite de claveaux portant chacun, dansune gorge, un large bouquet de feuilles vigoureusement retournées surelles-mêmes et refouillées de main de maître. L'un de ces bouquets A,que nous donnons ici (32), reproduit des feuilles de Persil; l'autre, B,des feuilles de Chrysanthème.
Ce n'est pas là cette sculpture rangée, contenue, soumise aux profils,que nous trouvons à la même époque sur les monuments de l'Île-de-France.C'est une véritable végétation reproduite avec un surcroît de sève. Lesang bourguignon a poussé la main de l'artiste. Il prend la nature, ilne l'arrange pas comme son confrère des bords de la Seine et de laMarne; il la développe, il l'exagère. N'est-ce point un art, celui quipermet ainsi à l'artiste d'imprimer si vivement son caractère sur sonoeuvre, tout en suivant un principe admis? Bien que les sculpteurs denos trois écoles laïques françaises choisissent les végétaux quis'accordent avec leur tempérament, tous appliquent scrupuleusementcertaines lois qui, aux yeux du botaniste, ne sont pas suffisantes pourindiquer l'individualité de la plante, mais qui, pour les artistes, sontles véritables: celles dont l'observation donne à chaque imitation d'unvégétal sa physionomie, son caractère propre. Lorsque aujourd'hui nouscopions une centième copie d'une feuille d'Acanthe ou d'Angélique, parceque les Grecs ont imité ces végétaux, nous pouvons faire faire à nossculpteurs d'ornement une oeuvre parfaite, comme exécution, sur lemarbre, la pierre, le stuc ou le bois; mais nous ne saurions donner lesqualités apparentes de la vie à ces imitations de centième main: ce nesont là que des décorations glacées qui n'intéressent personne, ne fontsonger à autre chose, sinon que nous avons fait faire un chapiteau ouune frise. Il est même admis que pour occuper le moins possible l'oeildu passant, nous répéterons dix, vingt, cent fois le même chapiteau, surun modèle identique. Ce point établi, que l'architecture pour êtreclassique doit être ennuyeuse, nous ne pouvons, sous peine d'être mis auban de l'école classique, essayer d'intéresser le public à nos oeuvres.Pourvu que l'ornementation sculptée soit propre, égale, uniforme, chacundoit être satisfait; on ne s'inquiète point de savoir si ces feuillesqui courent sur nos tympans, si ces enroulements qui se développent surune frise, ont quelques points de rapport avec les végétaux; s'ils sontcréésviables, s'ils se soumettent à ces lois admirables, parcequ'elles sont raisonnables, de la flore naturelle. Les artistes du XIIIesiècle, que l'on veut bien croire livrés à la fantaisie, ont d'autresscrupules: ils pensent que des ornements soumis à une même ordonnance nedoivent pas, pour cela, être tous coulés dans un même moule; que lepublic prendra quelque plaisir à voir vingt chapiteaux différant par lesdétails; qu'il aimera retrouver autour de ces chapiteaux, sur cesbandeaux, sous ces archivoltes, les plantes de ses champs; qu'imiterpour imiter, mieux vaut chercher ses modèles dans la nature, qui esttoujours vraie, souvent belle et variée, que d'aller copier despassementeries byzantines ou des ornements romains exécutés à la tâchepar des artistes peu soucieux de la forme, d'après des traditions malcomprises; que la flore locale étant admise comme point de départ detoute ornementation, les types étant suffisamment variés, faciles àtrouver, vivants, chacun peut, suivant son goût ou son mérite, trouverdes applications innombrables de ces types; que, dans les arts, s'ilfaut établir des principes très-rigoureux, il est nécessaire depermettre toutes les applications qu'on en peut faire. Si bien que cesartistes laïques du XIIIe siècle, qui ont fermement cru ouvrir aux artsune ère de liberté, de progrès, et qui l'ont ouverte en effet, seraientprobablement étonnés s'ils entendaient dire aujourd'hui, par ceux quiveulent nous river aux arts de l'antiquité et à leurs imitations nonraisonnées, que cet art du XIIIe siècle est un art suranné, sansapplications nouvelles.
«Eh! qui vous empêche d'en faire? pourraient-ils répondre; nous n'avonspas imposé des formes, nous n'avons mis que des principes en avant, soiten construction, soit en ornementation; nous avons pris la forme, il estvrai, qui nous semblait le mieux s'accorder avec ces principes et notregoût; mais qui vous interdit d'en prendre d'autres, ou de modifiercelles que nous avons adoptées? Croyez-vous être neuf parce que vousimitez un chapiteau du temple de Mars Vengeur, ou d'une maison dePompéi, ou une arabesque de la Renaissance, ou un cartouche du XVIIesiècle, ou une frise du boudoir de madame de Pompadour? Ne pensez-vouspoint qu'il y aurait plus de chances de trouver des formes neuves enallant cueillir dans les bois quelques-unes de ces herbes sur lesquellesvous marchez, indifférents; en analysant ces plantes, comme nous lefaisions nous-mêmes; en examinant les angles de leurs pétioles, le galbede leurs feuilles, les attaches de leurs tigettes? Qui vous demande decopier nos chapiteaux? Allez chercher les mêmes modèles que nous, tâchezde les mieux comprendre que nous, ce qui ne vous sera pas difficile,puisque vous êtes plus savants et que toute la terre apporte sesvégétaux dans vos serres. Est-ce que nous nous copiions réciproquement?est-ce que nos artistes n'allaient pas recourir sans cesse à ces sourcesnaturelles? Il y a peut-être un million de chapiteaux de notre temps enFrance, vous n'en trouverez pas deux identiquement semblables; il en estde même pour toute notre ornementation sculptée. Nous avons reproduitdes milliers de fois et la feuille de vigne, et celle du figuier, etcelle du lierre, et celles des géraniums, et celle de l'érable, et cellede la grenadine, et celle de la violette, et celles des fougères; maispour faire une feuille d'érable nous n'allions pas copier la sculpturede notre voisin, nous allions nous promener dans les taillis; aussi nosfeuilles d'érable sculptées sur les édifices que nous avons élevés sontaussi variées que peuvent l'être celles qui poussent dans les bois.D'ailleurs, avec ces fragments de végétaux, nous composions, nousinventions des combinaisons neuves; pourquoi ne pas faire comme nousavons fait, et en quoi cette méthode vous fera-t-ellerétrograder?--Rétrograder est votre plus grande crainte.--Bien; est-cepour cela que vous repoussez le seul art qui permette d'aller en avant àcause de la largeur et de la libéralité de ses principes? Et, pour neparler que de l'ornementation sculptée, pensez-vous ouvrir des voiesnouvelles en copiant une fleur ciselée par les Étrusques, ou enreproduisant pauvrement quelque beau chapiteau du temps d'Auguste, ou enimitant la sculpture étiolée de la fin du dernier siècle? Cependant quevous disputez s'il est plus conforme au goût immuable de copier lesRomains ou les lourdes fantaisies du siècle de Louis XIV, les champscontinuent à se couvrir, chaque printemps, de leur charmante parure, lesarbres bourgeonnent toujours, les fleurs ne cessent d'éclore; quen'allez-vous donc puiser à cet écrin inépuisable? C'est parce que nousvoulions fonder une méthode d'art toujours jeune, toujours vivante, quenous allions y puiser nous-mêmes. Les végétaux sont-ils moins variés,ont-ils moins de grâce et de souplesse que de notre temps?»
Que pourrions-nous répondre à ces artistes, qui parlent dans leursoeuvres, nos devanciers de six siècles, mais plus jeunes que nous etsurtout plus amis du progrès?
Ce que l'on ne saurait trop étudier dans les applications que cesartistes ont faites de la flore à l'ornementation sculptée, c'estl'exacte observation des caractères principaux de la forme. Les détails,ils les négligent ou les suppriment; mais ce qu'ils expriment avecl'attention d'amants passionnés de la nature, ce sont les grandeslignes, celles qui caractérisent chaque végétal, comme, par exemple, lesangles formés par les faisceaux fibreux des feuilles, le port despétioles, les belles lignes données par le bord de ces feuilles, lecaractère de leurs échancrures, les profils saillants du modelé, lerenflement énergique des coussinets. Analysons, car, sur ce sujet quinous paraît important, il ne faut laisser aucune incertitude dansl'esprit de nos lecteurs. Les feuilles, par exemple, ne sont flexiblesque dans un sens, elles peuvent se recourber dans le sens de leur plat;mais, à cause du tissu fibreux qui forme un étrésillonnement entre leurscôtes, elles ne peuvent se contourner dans le sens de leur champ.
Ainsi(33) une feuille d'Érable A peut être tortillée comme l'indique le tracéB, mais ne saurait donner le tracé G sans détruire ou chiffonner sontissu et altérer sa forme. Cependant nous voyons que, depuis laRenaissance, où l'étude de ces productions naturelles a été remplacéepar des imitations de la sculpture antique de plus en plus corrompues,nos sculpteurs d'ornement ont enfreint cette loi principale. Sonobservation, au contraire, laisse à la sculpture monumentale unefermeté, une vie nécessaires. Les artistes gothiques ont-ils une friseou une guirlande de feuilles à faire: en plaçant les feuilles dans tousles sens, suivant les besoins de l'ornementation, ils ont le soin deconserver à chaque feuille l'immobilité qu'elle doit nécessairementgarder dans le sens du champ. Pour obtenir de la variété dans le modelé,ils présentent quelquefois ces feuilles tantôt du côté du dos, tantôt ducôté du plat, ainsi que le fait voir la fig. 34523. Ils observent queles faisceaux fibreux imposent nécessairement la forme au tissu, commeles os des animaux imposent la forme des muscles. C'est donc sur lesfaisceaux fibreux qu'ils portent toute leur attention, afin qu'étantobligés de supprimer certains détails pour donner à la sculpturel'aspect monumental qu'elle doit garder, ils puissent conserver toujoursla physionomie du végétal. Ainsi, par exemple, d'une feuille de Figuier(35), ils retrancheront beaucoup de dentelures, assez molles de forme,qui alourdissent la feuille, mais (36)524 ils conserveront exactementles angles du faisceau fibreux; ils exagéreront le caractère deséchancrures principales; ils saisiront tous les points saillants, lesbelles lignes des redents; ils donneront au modelé assez plat de cettefeuille une grande énergie, tout en respectant son galbe.
Mais si nous jetons les yeux sur la fig. 35, nous voyons que dans lafeuille de figuier, comme dans la plupart des feuilles, les contours secontrarient, en conservant cependant, de chaque côté des branchesfibreuses, des portions de tissus qui présentent une certaine symétrie.Ainsi, en face des dépressions A se trouvent des renflements B. La mêmeobservation peut être faite sur les contours musculeux des animaux.Cette disposition des bords des tissus donne aux feuilles une souplesseet une élégance particulières. Les sculpteurs du moyen âge ont, en cela,suivi fidèlement les règles naturelles dans tous les cas où les besoinsde l'ornementation n'exigeaient pas une pondération rigoureuse des deuxbords, comme dans les parties milieux. La fig. 36, qui nous montre commeces sculpteurs ont interprété la feuille du figuier, ne donne deux bordsabsolument pondérés que sur le membre central de la feuille; quant auxsix autres membres, ils sont galbés suivant le principe naturel. Leurimitation de la flore est donc parfaitement intelligente; l'artiste saitfaire les sacrifices nécessaires; d'une plante, il produit une oeuvred'art qui lui appartient, bien qu'elle conserve et fasse ressortir mêmeles caractères distinctifs, les qualités, les allures de l'objetnaturel. La feuille sculptée que nous donnons ici a une physionomiebeaucoup plus caractérisée que la feuille de l'arbre. Elle est (au pointde vue de l'art sinon de la science)plus feuille de figuier que n'estla véritable.
Il est rare que les sculpteurs du XIIIe siècle prennent pour modèles desfeuilles aussi grandes d'échelle que celle-ci; habituellement, ainsi quenous l'avons dit plus haut, ils vont chercher leurs inspirations dansles végétaux les plus petits, parce qu'ils possèdent des formes plussimples, des contours plus énergiques, un modelé plus puissant. On a puvoir, par les exemples déjà donnés, quel parti l'ornemaniste peut tirerde ces plantes qui s'élèvent à peine au-dessus du sol. Ce qui paraîtavoir déterminé le choix de ces artistes, c'est, d'abord, la belledisposition des pétioles et des faisceaux fibreux; puis, les angles etles contours donnés par les tissus des feuilles. Lorsque les contourssont mous, n'accusent pas clairement l'anatomie, contrarient ladirection des faisceaux fibreux, ce qui arrive quelquefois, ilsrejettent la feuille. Or les feuilles dont l'anatomie est la plus belleet la plus claire, ce sont celles des plus petites plantes.
Voici (37) une Fougère fort commune, copiée un peu plus grande quenature. Y a-t-il rien de plus énergique comme disposition de lignes etcomme modelé que cette petite plante? Que l'on observe les bellescourbes des pétioles, la délicatesse et la fermeté des jonctions, oncomprendra qu'un sculpteur peut tirer un grand parti de ce modèle;aussi, ne s'est-on pas fait faute de s'en inspirer dans les ornements duXIIIe siècle et même du XIVe. Ces fines dentelures des extrémités desfeuilles ont souvent servi également comme moyen décoratif de grandsornements auxquels on tenait à donner un aspect délicat et précieux(38)525.
Les artistes du XIVe siècle ne vont chercher des exemples que parmi lesplantes d'un modelé tourmenté: ils choisissent l'Ellébore noire, lesChrysanthèmes, la Sauge, la Grenadine, le Fraisier, la Mauve, lesGéraniums, les Fougères à larges feuilles, le Chêne, l'Érable, laPassiflore, le Lierre, la Vigne, et ils copient les feuilles de cesvégétaux avec une rare perfection, en exagérant souvent leur modelé ouleurs contours. Ils abandonnent ces bourgeons, ces graines, aveclesquels les artistes de la fin du XIIe siècle avaient su composer de sibeaux ornements. Non-seulement ils choisissent des feuilles parvenues àleur entier développement, mais encore ils aiment à les froisser; cequ'ils veulent, c'est produire de l'effet, et à tout prendre, leursornements deviennent confus, mesquins, par le manque de simplicité dansles contours et le modelé. De la feuille de vigne, dont le galbe estlarge, disposé par grands plans, ils trouvent moyen de composerl'ornement (39)526. Ils aiment les lignes ondulées, les feuillesplissées, chiffonnées; ils cueillent cette grande fougère qui vient surles parois des murs humides (40); ils observent ces capsules ou coquesA, placées sur la surface inférieure des feuilles et qui forment desbosses sur leur face externe, et en exagérant encore les plis desappendices foliacés, ils obtiennent des ornements d'un contourchiffonné, d'un modelé gras, dont l'aspect est saisissant de près, maisqui, à distance, ne présentent plus qu'une suite de ressauts de lumièreset d'ombres très-difficiles à comprendre (41)527.
Vers le commencement du XVe siècle, l'imitation des végétaux tombeabsolument dans leréalisme. Les sculpteurs alors choisissent lesfeuillages les plus découpés, la Passiflore, les Chardons, les Épines,l'Armoise (42); et, de cette dernière plante, si petite qu'à peinel'aperçoit-on sur les terrains pierreux où elle pousse, ils composent degrandes et larges frises, des cordons, des crochets énergiques, maisrefouillés à l'excès. Cependant on conçoit qu'avec ces feuilles, dontles lignes sont belles, on puisse faire de grands ornements: c'étaitencore là un reste des traditions de l'école laïque du XIIIe siècle, quicherchait ses modèles d'ornements parmi les infimes créations de l'ordrevégétal. Les artistes du XVe siècle aiment aussi à imiter les alguesd'eau douce ou marines, d'un modelé très-puissant (voy. FLEURON,SCULPTURE).
À la fin du XVe siècle, les artistes gothiques avaient atteint lesdernières limites du possible dans l'art de la construction; pourl'ornementation, ils étaient de même arrivés aussi loin que faire sepouvait dans l'imitation des végétaux les plus délicats et les plusdifficiles à rendre sur la pierre ou le bois; la Renaissance vintarrêter cette progression de la sculpture vers le réalisme outré.Pendant quelques années, de 1480 à 1510, on voit la vieille écolefrançaise de sculpture mêler ses traditions aux réminiscences del'antiquité; mais il est facile de reconnaître que les artistes ne vontplus puiser aux sources naturelles, qu'ils ne consultent plus la flore,et que leurs ornements ne sont autre chose que des poncifs plus ou moinshabilement exécutés. Ils copient, ou interprètent plutôt, les ornementsempruntés à l'antiquité sans les comprendre; en mêlant ces imitationsaux derniers vestiges de l'art gothique, ils produisent encore desoeuvres remarquables, tant le goût de la sculpture était vivace cheznous alors, tant les exécutants étaient habiles de la main. Mais, àtravers cette confusion de styles et d'origines, on a bien de la peine àsuivre la marche d'un art; c'est un mouvement imprimé par une écolepuissante, qui continue longtemps après la disparition de cette école.Peu à peu, cependant, l'exécution s'amollit, et l'art de la sculptured'ornement, à la fin du XVIe siècle, n'est plus qu'un pâle reflet de cequ'il était encore en France sous le règne de Louis XII; l'étude de lanature n'entre plus pour rien ni dans la composition ni dans le travailde l'artiste; les ornements perdent ce caractère vivant et originalqu'ils possédaient un siècle auparavant pour se reproduire de proche enproche sur des types qui, chaque jour, s'abâtardissent. Vers lecommencement du XVIIe siècle, l'ornementation se relève quelque peu parsuite d'une étude plus attentive de l'antiquité; mais l'originalité, laséve manquent depuis lors à cet art que notre vieille école laïque avaitsu porter si haut.
FONDATION, s. f. Les Romains de l'empire ont toujours fondé leursédifices sur un sol résistant, au moyen de larges blocages qui forment,sous les constructions, des empattements homogènes, solides, composés dedébris de pierres, de cailloux, quelquefois de fragments de terre cuiteet d'un mortier excellent. Les fondations romaines sont de véritablesrochers factices sur lesquels on pouvait asseoir les bâtisses les pluslourdes sans craindre les ruptures et les tassements. D'ailleurs laconstruction romaine étant concrète, sans élasticité, il fallaitnécessairement l'établir sur des bases immuables. Pendant la périoderomane, les édifices sont généralement mal fondés, et cela tenait àplusieurs causes: on connaissait peu la nature des sols, lesapprovisionnements considérables de matériaux étaient difficiles, on nesavait plus cuire et employer convenablement la chaux. Nous avonsexpliqué ailleurs (voy. CARRIÈRE, CONSTRUCTION) les raisons quis'opposaient à ce que les constructeurs romans pussent réunir beaucoupde matériaux en un court espace de temps, et pourquoi, n'ayant pas lesressources dont disposaient les Romains, ils négligeaient souvent lesfondations des édifices les plus importants.
Les architectes laïques de l'école du XIIe siècle avaient vu tant deconstructions romanes s'écrouler, par faute de fondations ou par suitede la poussée des voûtes mal contre-buttées, qu'ils voulurent cependantfaire en sorte d'éviter ces sinistres; à cet effet, ils mirent un soinparticulier à établir des fondations durables et à rendre leursconstructions assez élastiques pour que les tassements ne fussent plus àcraindre. Mais si habile que nous supposions un architecte, faut-ilqu'on lui fournisse les moyens matériels de construire; or, dansl'édification des grandes cathédrales et de beaucoup d'églises,l'empressement et le zèle des évêques ne correspondaient pas toujours àl'étendue de leurs ressources financières; alors le clergé séculiertenait surtout à faire paraître son influence: il s'agissait pour luid'amoindrir la puissance des monastères, d'attirer à lui les fidèles;dans bien des cas on voulut donc, avec des moyens relativementinsuffisants, élever des édifices religieux qui pussent dépasser enétendue et en richesse les églises des moines Bénédictins. C'est ce quiexplique pourquoi quelques-unes de nos grandes cathédrales, comme cellesde Troyes, de Châlons-sur-Marne, de Séez, de Meaux, sont mal fondées. Ilfallait élever rapidement des édifices somptueux, d'une belle apparence,et, les ressources étant relativement médiocres, on ne voulait pas lesenfouir en grande partie au-dessous du sol. D'autres cathédrales,élevées au milieu de diocèses riches, comme celles de Paris, de Reims,d'Amiens, de Bourges, sort au contraire fondées avec un luxe dematériaux extraordinaire. Quant aux châteaux, quant aux constructionsmilitaires et civiles, elles sont toujours bien fondées; les seigneurslaïques comme les municipalités tenaient moins à l'apparence, voulaientdes constructions durables, parce que le châtelain construisait pour segarder lui et les siens à perpétuité, que les villes bâtissaient pourune longue suite de générations.
Les fondations de la période romane sont toujours faites en grosblocages jetés pêle-mêle dans un bain de mortier; rarement elles sontrevêtues. Les fondations des constructions gothiques sont au contrairesouvent revêtues de parements de pierres de taille (libages) posées parassises régulières et proprement taillées; les massifs sont maçonnés enmoellons bloqués dans un bon mortier. Ces fondations sont (quand lesressources ne manquaient pas) très-largement empattées et s'appuient surdes sols résistants. Il faut dire cependant, à ce sujet, que lesconstructeurs gothiques n'avaient pas les mêmes scrupules que nous:quand ils trouvaient un sol de remblai ancien, bien comprimé et tassépar les eaux, ils n'hésitaient pas à s'établir dessus. D'anciennesvases, des limons déposés par les eaux, des remblais longtempsinfiltrés, leur paraissaient être des sols suffisants; mais aussi, dansce cas, donnaient-ils à la base des fondations une large assiette. Ilsne manquaient jamais de relier entre eux tous les murs et massifs enfondation; c'est-à-dire que, sous un édifice composé de murs et de pilesisolées, par exemple, ils formaient un gril de maçonnerie sous le sol,afin de rendre toutes les parties des fondements solidaires. Pendant lesXIVe et XVe siècles, les fondations sont toujours établies avec un soinextrême sur le sol vierge, avec libages sous les points d'appuiprincipaux et murs nombreux de liaison. Il arrive même souvent alors queles parements en fondation sont aussi bien dressés que ceux en élévation(voy. CONSTRUCTION).
FONTAINE, s. f. À toutes les époques, les fontaines ont été considéréescomme des monuments d'utilité publique de premier ordre. Les Romains,lorsqu'ils établissaient une ville, ou lorsqu'ils prenaient possessiond'anciennes cités, avant toute chose, pensaient à l'aménagement deseaux. Ils allaient au loin, s'il le fallait, chercher des sourcesabondantes, pures, et ne reculaient devant aucun travail, aucunedépense, pour conduire des masses d'eau considérables dans les centresde population. À Rome, bien que les quatre cinquièmes des aqueducsantiques soient détruits, ceux qui restent suffisent cependant pourfournir à la ville moderne une quantité d'eau plus considérable quecelle qui alimente la ville de Paris, cinq fois plus populeuse. À Nîmes,à Lyon, à Fréjus, à Arles, à Autun, à Paris même, nous trouvons encoredes traces d'aqueducs romains allant chercher les eaux très-loin et àdes niveaux supérieurs pour pouvoir obtenir une distribution facile aumoyen de grands réservoirs. Partout, en France, où se trouve une sourceabondante et salubre, on est presque certain de découvrir des restes deconstructions romaines. Les Romains attachaient une importance majeure àla police urbaine; il n'y a pas de police sans une bonne édilité, il nepeut y avoir une bonne édilité sans eau. À cet égard, nous avons quelquechose à faire; beaucoup de nos grandes villes manquent d'eau encoreaujourd'hui; on ne doit donc pas s'étonner si, pendant le moyen âge, lesfontaines n'étaient pas très-communes au milieu des cités. Chez lesRomains, l'eau était la véritable décoration de toute fontaine; onn'avait pas encore songé à élever des fontaines dans lesquelles l'eaun'est qu'un accessoire plus incommode qu'utile. Les quelques fontainesdu moyen âge que nous avons pu recueillir n'ont pas cet aspectmonumental, ne présentent point ces amas de pierre, de marbre et debronze, que l'on se croit obligé d'accumuler de nos jours pouraccompagner un filet d'eau. Cependant (et cela dérivait probablement destraditions de l'antiquité) l'eau semblait une chose si précieuse, qu'onne la donnait au public qu'entourée de ce qui pouvait faire ressortir savaleur; on la ménageait, on la mettait à la portée de tous, mais avecplus de respect que de vanité. La fontaine du moyen âge est donc unmonument d'utilité, non point une décoration, un prétexte pour figurerdes allégories de marbre et de métal plus ou moins ingénieuses, mais quiont toutes le grand défaut d'être ridicules pour des gens qui croientmédiocrement à la mythologie, aux fleuves barbus et aux naïadescouronnées de roseaux. La fontaine qui imprime une trace vive dans lesouvenir, c'est celle qu'on trouve au bord de la route poudreuse,laissant voir son petit bassin d'eau limpide sous un abri, sa tasse decuivre attachée à une chaîne et la modeste inscription rappelant le nomdu fondateur. Sans être toujours aussi humble, la fontaine du moyen âgeconserve quelque chose de la simplicité de ce programme; ellen'assourdit et n'éclabousse pas, mais elle invite le passant àl'approcher. Il n'est pas nécessaire de recevoir une douche pour s'ydésaltérer.
La fontaine du moyen âge est un petit bassin couvert dans lequel onvient puiser en descendant quelques marches, ou une colonne, une pileentourée d'une large cuve et d'un plus ou moins grand nombre de tuyauxqui distribuent l'eau à tous venants. Les bassins entourés de degrésétaient réservés aux jardins, aux vergers.
Dans les contes et fabliauxdes XIIe et XIIIe siècles, il est souvent question de ces sortes defontaines(1), et sans sortir du domaine de la réalité, nous voyonsencore, en Poitou, en Normandie, en Bretagne et en Bourgogne, un assezgrand nombre de ces fontaines placées sur le bord des routes pour lesbesoins du voyageur. La source est ordinairement couverte par une arcadeen maçonnerie, le bassin s'avançant sur la voie comme pour inviter à ypuiser; des bancs permettent de se reposer sur ses bords; une niche,ménagée au fond de la voûte, reçoit la statue de la Vierge ou d'unsaint; les armoiries du fondateur décorent le tympan de l'arcade ou lesparois de la fontaine528. En dehors du faubourg de Poitiers, le longdu Clain, on voit encore une fontaine de ce genre, restaurée en 1579,mais dont la construction remonte au XIVe siècle. Elle tourne le dos àla route, et on arrive à son bassin au moyen d'une rampe établie surl'une des parois de l'édicule. Les armoiries du donateur sont disposéesde façon que de la route et de cette rampe on peut les reconnaître. Ladisposition de ces fontaines est évidemment fort ancienne; on yreconnaît la trace de l'antiquité romaine. Un édicule protégeant lasource et recevant la divinité qui en est la dispensatrice, uneinscription signalant le nom du fondateur à la reconnaissance publique,des bancs pour se reposer, n'est-ce pas là un programme antique? Maisces sortes de fontaines ne conviennent guère qu'à la campagne; dans lesvilles, sur les places ou les carrefours, il faut que le bassin soitaccessible à un grand nombre de personnes à la fois. Il faut que l'onpuisse recueillir l'eau, non dans ce bassin qui est troublé par lemouvement des puiseurs, mais à la source même distribuée en un certainnombre de goulottes.
C'est ainsi qu'est disposée la fontaine du XIIe siècle que l'on voitencore à Provins en face de l'hôpital (2). Une vasque hexagone, unegrosse colonne dont le chapiteau est percé de trois trous munis de têtesde bronze assez saillantes pour verser l'eau dans les vases que l'onapporte au bord de la vasque, tel est ce petit monument dans sasimplicité primitive. Peut-être, autrefois, le chapiteau était-ilsurmonté d'une statue ou d'un pinacle, comme certaines fontaines quel'on voit représentées dans des peintures et manuscrits du XIVe siècle.En A est tracé le plan de la fontaine de Provins, en B est donné ledétail d'un des goulots de bronze.
Quelques villes d'Italie, Pérouse, Viterbe, Sienne, ont conservé leursfontaines de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe. EnFrance, nous possédions, à cette époque, d'assez belles fontainesurbaines; mais nous les avons détruites depuis longtemps; c'est à peinesi, par hasard, on découvre quelques fragments de ces monuments dus à lagénérosité de souverains ou de riches seigneurs. Ils étaient composés àpeu près de la même manière, c'est-à-dire qu'ils consistaient en unbassin inférieur élevé de deux à trois pieds au-dessus du sol (0,60 c. à0,90 c.), bassin très-peu profond, fait pour recueillir l'eau desgoulots, poser et laver les vases; bassin dans lequel on ne puisait pas;d'une pile centrale recevant de longs tuyaux de distribution arrivantjusque près du bord de ce bassin inférieur et permettant de remplir lescruches. La pile centrale était plus ou moins décorée, portaitquelquefois une vasque supérieure laissant échapper de petits jets quin'étaient là que pour l'agrément. Il y avait sur le parvis de Notre-Dameà Paris une assez belle fontaine de ce genre qui fut remplacée au XVIIesiècle par un monument fort lourd; on en voit une encore, mais mutiléeet dénaturée, sur la place de la ville de Saint-Florentin (Yonne). ÀBrioude, il existe d'assez jolies fontaines du XIIIe siècle, dont laplupart des détails ont été modifiés. Les villes des bords du Rhin et del'Allemagne possèdent aussi quelques fontaines monumentales d'une époqueassez récente (XVe et XVIe siècles), quoique tracées sur les anciensprogrammes.
Nous donnons (3) une de ces fontaines du XIIIe siècle en plan, et (4) enélévation perspective. Le plan (fig. 3) indique, en A, la sectionhorizontale du monument au-dessous de la vasque inférieure; en B, lasection au-dessus de cette vasque, et en C la section de la pilesupérieure portant la statue, avec la projection des deux vasquessuperposées. Ces fontaines étaient alimentées au moyen d'aqueducssouterrains, ainsi que nous avons souvent eu l'occasion de le constater.Ces aqueducs étaient habituellement en maçonnerie, revêtue à l'intérieurd'un bon enduit en ciment suivant la méthode romaine; rarement lesconduites étaient en plomb; cependant nous en avons trouvé des fragmentsà Carcassonne, à Clermont (Auvergne) et dans le voisinage d'anciennesabbayes, à Saint-Denis près Paris, à Clairvaux. Près de Coutances, onvoit encore les restes d'un aqueduc qui paraît dater du XIVe siècle; etqui, porté sur des arcades en tiers-point, traverse le vallon aunord-ouest de cette ville. Du Breul, dans sonThéâtre des Antiquités deParis, dit que les prévôts des marchands et échevins avaient«d'antiquité, pour conduire des eaux de sources aux fontaines de laville, fait construire de grands aqueducs et canaux, composez de murs demaçonnerie et pierre de taille, pavez de grandes noües ou esviers ausside pierre (comme aussi auroient iceux recouvert de fort grandes pierres)contenans, iceux aquéducs, cinq cents toises de longueur et plus, sansqu'il y aie aucune clarté sinon celle que l'on y peut porter avec feu,et de six pieds de hauteur sur trois pieds de largeur, le long desquelsles personnes peuvent facilement cheminer la lumière à la main; lesquelsaquéducs sont accompagnez d'auges ou réceptacles pour faire roüer etpurifier l'eau des dites sources: à l'entrée desquels est une forme debastiment, auquel y a un grand réceptacle servant d'acueil (d'émissaire)pour recevoir les eaues descendants d'une montagne sablonneuse, appelléela montagne de Belle-Ville-sur-Sablon, au haut et fin duquel aqueduc estun regard en forme ronde, et au milieu d'iceluy une forme de puits,servant d'auge à recevoir trois belles sources, descendant en iceluy partrois divers endroits. Édifice voûté en forme ronde appellé cul-de-four,garny de son ouverture pour une lanterne à jour; et en iceluy deuxdescentes de pareille forme ronde; édifice artiste et curieusement bâti:desquelles noües et esviers, en l'an 1457, en fut refait de neuf environquatre vingt seize toises de longueur, le surplus desdits acquéducs oucanaux basty de grande antiquité...» Que cet aqueduc fût d'origineromaine ou qu'il ait été bâti dans les premiers siècles du moyen âge,toujours est-il qu'on s'en servait et qu'on l'entretenait encore au XVesiècle.
C'est principalement dans les monastères que l'on trouve les traces lesplus nombreuses et les mieux conservées de travaux hydrauliques. Tousles cloîtres possédaient, au centre du préau ou le long d'une desgaleries, de belles vasques de pierre ou de marbre, autour desquellesdes tuyaux répartissant l'eau en une quantité de jets permettaient auxmoines de faire leurs ablutions (voy. LAVABO). Ces fontaines affectenttoutes à peu près la même forme jusque vers la fin du XIVe siècle. AuXVe siècle, la colonne, ou le faisceau de colonnes placé au centre d'unevasque circulaire, polygonale oulobée, est souvent remplacée par unpinacle orné de sculptures.
Telle est une fontaine (5) que nous voyons figurée dans un manuscrit decette époque529. À Rouen, il existe encore un assez joli monument dece genre qui date du milieu du XVe siècle530. Lorsque les fontainesgothiques étaient adossées à une construction civile, elles ne secomposaient que d'une petite vasque et d'un goulot posé dans unrenfoncement pratiqué à même la muraille; aussi modestes que le sont nosbornes-fontaines, elles étaient seulement faites pour satisfaire auxbesoins journaliers des habitants. Le moyen âge ne voyait nulinconvénient à mettre un peu d'art dans ses oeuvres les plus vulgaires;aujourd'hui, si nous poussons jusqu'à l'exagération la richesse et leluxe des monuments décoratifs de nos cités, nous rachetons ce défaut, sic'en est un, par la pauvreté et la banalité des objets les plus utiles,comme le sont nos bornes-fontaines, nos candélabres, nos supportsd'éclairage.
FONTS, s. m. S'emploie au pluriel.Fonts baptismaux. Cuve destiné àcontenir l'eau du baptême. Il y a lieu de supposer que, dans lespremiers temps de l'Église, le baptême se donnait par aspersion, puisqueles apôtres baptisaient des royaumes et des provinces entières, desmilliers de personnes en un jour531. Le baptême se fit ensuite parinfusion532; puis par immersion. Les Ariens plongeaient trois fois lecatéchumène dans l'eau pour marquer qu'il y avait trois natures aussibien que trois personnes en Dieu. Saint Grégoire le Grand conseille àsaint Léandre, évêque de Séville533, de ne pratiquer qu'une immersion.Le quatrième concile de Tolède, en 1633, a décidé la même chose et,rapportant la lettre de saint Grégoire, il déclare qu'une seuleimmersion signifie la mort et la résurrection de Jésus-Christ, etl'unité de la nature divine dans la trinité des personnes534. Sansentrer dans de plus amples détails à ce sujet, nous nous contenteronsd'observer que, pendant le cours du moyen âge, en Occident, le baptêmepar immersion fut toujours pratiqué. Les bas-reliefs, les peintures desmanuscrits et des vitraux nous montrent les catéchumènes baptisés parimmersion. «Autrefois, dit Thiers535, dans la province de Reims, etpeut-être aussi ailleurs, après le baptême on donnait du vin à boire àl'enfant, en lui disant ces paroles:Corpus et sanguis Domini nostriJesu Christi custodiat te in vitam æternam. C'était encore l'usage duPérigord de bénir du vin après le baptême et d'en faire boire à l'enfantnouvellement baptisé. Le rituel de Périgueux, de 1536, nous marque toutecette cérémonie.» Cet auteur ajoute plus loin: «Depuis un peu plus d'unsiècle (c'est-à-dire depuis le commencement du XVIIe siècle), la coutumes'est introduite en quantité de paroisses, et particulièrement de lacampagne, de sonner les cloches après le baptême des enfants. Ce sont, àmon avis, les sonneurs, les sacristains, les fossoyeurs, les bedeaux,qui l'ont introduite, par la considération de l'intérêt bursal qui leuren revient... Le concile provincial de Reims, en 1583, n'autorise pascette coutume...»
Jusqu'au IXe siècle, il paraîtrait qu'on ne baptisait solennellement queles jours de Pâques et de la Pentecôte; du moins cet usage semble-t-ilavoir été établi à dater du Ve siècle, car il est certain que dans lespremiers siècles du christianisme les apôtres baptisaient sans observerni les jours ni les temps536. Clovis fut baptisé le jour de Noël537.Le pape saint Léon, qui s'élève avec force contre la coutume de baptiseren autres temps que le jour de la Résurrection, admet toutefois que lebaptême peut être donné, en des cas extrêmes, hors le jour consacré.
Pascalin, évêque de Lilybée en Sicile, fait savoir au pape saint Léon,en 443, qu'il y avait, dans cette île, une église (du village deMeltines) dont les fonts se remplissaient miraculeusement tous les ans,la nuit de Pâques, à l'heure du baptême, sans qu'il y eût ni tuyau, nicanal, ni eau dans les environs. Après le baptême, cette eaudisparaissait. Ajoutons, cependant, que saint Augustin dit clairementque le baptême pouvait être donné en tout temps:Per totum annum, sicutunicuique vel necessitas fuit vel voluntas...
La solennité donnée au sacrement du baptême explique pourquoi, dans levoisinage des églises les plus anciennes, il y avait un baptistère;c'est-à-dire un édifice assez spacieux pour contenir un certain nombrede catéchumènes venant le même jour pour recevoir le baptême. Cesédifices étaient ordinairement circulaires, occupés au centre par unbassin peu profond dans lequel on faisait descendre les personnes quel'on baptisait par immersion538.
La coutume de baptiser les enfants peu après leur naissance, en touttemps, prévalut sur les défenses de saint Léon et des conciles deTolède, d'Auxerre, de Paris et de Gironne; dès le XIe siècle, nousvoyons que des cuves baptismales sont placées dans toutes les églises,non dans des édifices spéciaux, et que le baptême est donné par lesprêtres, en dehors des fêtes de Pâques, de la Pentecôte ou de Noël.C'est précisément la date de ces fonts baptismaux les plus anciens quinous porte à croire qu'alors (au XIe siècle) cette coutume s'étaitdéfinitivement introduite en France. Comme il ne s'agissait plus debaptiser des païens convertis, mais des enfants nouveau-nés, ces fontssont d'une petite dimension et ne diffèrent de ceux que l'on faitaujourd'hui que par leur forme. Il n'est pas besoin, en effet, d'unecuve bien grande pour immerger un nouveau-né. En souvenir desbaptistères, c'est-à dire des édifices uniquement destinés à contenir lacuve baptismale, on observe que les fonts disposés dans l'église étaientgénéralement couverts d'un édicule (1)539.
Quelquefois ces fontsétaient des cuves antiques, dépouilles de monuments romains. Le P. DuBreul540 prétend que la cuve de porphyre rouge que l'on voyait, de sontemps, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, derrière les châsses desmartyrs, et qui avait été prise par Dagobert à l'église de Saint-Hilairede Poitiers, servait de fonts baptismaux. Nous n'avons point à nousoccuper des baptistères ni des bassins qu'ils protégeaient, puisque cesmonuments sont antérieurs à la période de l'art que nous étudions; lesfonts baptismaux seuls doivent trouver place ici. Beaucoup de ces cuves,dès l'époque où elles furent en usage, étaient en métal, et consistaienten une large capsule enfermée et maintenue dans un cercle ou un châssisporté sur des colonnettes. Cette disposition paraît avoir été suiviesouvent, lors même que les fonts étaient taillés dans un bloc de pierre.
Ainsi l'on voit, dans l'église de Saint-Pierre, à Montdidier, une cuvebaptismale de la fin du XIe siècle, qui présente cette disposition (2).Dans la crypte de l'église Notre-Dame de Chartres, il existe encore unecuve en pierre, du XIIe siècle, taillée de façon à figurer un vaseinscrit dans un châssis porté sur des colonnettes. Cette traditionpersiste encore pendant le XIIIe siècle, ainsi que le démontre la fig.3, copiée sur une cuve de l'église de Ver (canton de Sains,Picardie)541.
Souvent les fonts baptismaux du XIIe siècle sont de forme barlongue,afin probablement de permettre de coucher et d'immerger entièrementl'enfant que l'on baptisait. Il existe une cuve baptismale de cetteforme et de ce temps dans la cathédrale d'Amiens: c'est une grande augede 0,60 c. de large sur une longueur de 1m,60 environ et une profondeurde 0,50 c. Elle est fort simple; aux quatre angles seulement sontsculptées les figures des quatre évangélistes, en demi-bosse et depetite dimension. Les pieds qui la supportent datent du XIIIe siècle.
Nous donnons (4) une petite cuve de ce genre qui provient de l'église deThouveil (Maine-et-Loire). Elle date du XIe siècle. L'église de Limay,près Mantes, possède des fonts baptismaux du commencement du XIIIesiècle dont la forme se rapproche encore de celle-ci, mais qui sontassez richement sculptés. Cette cuve, reproduite dans l'ouvrage de M.Gailhabaud542, est de forme ovale à l'intérieur, dodécagone allongé àl'extérieur; deux des côtés parallèles au grand axe présentent unelégère saillie réservée pour mieux détacher les angles du prisme qui surce point eussent été trop mousses. Un beau cordon de feuilles orne lebord supérieur; la partie intermédiaire est occupée par douze rosacesparmi lesquelles se trouvent sculptés un agneau pascal, une croix et unetête de boeuf. Le socle en retraite présente une suite de petitesarcatures. Le pavage autour de ces fonts offre une particularité assezremarquable: ce sont huit disques de pierres grises incrustées au nu desdalles, et qui semblent marquer les places des personnes qui doivententourer la cuve au moment du baptême. Une feuillure a été ménagée surle bord de la cuve pour recevoir un couvercle; c'est qu'en effet lescuves baptismales, d'après les décrets des conciles, devaient êtrecouvertes dès une époque fort ancienne, comme elles le sont encoreaujourd'hui.
Les fonts baptismaux de l'église paroissiale de la ville de Clunyméritent d'être signalés: taillés dans un bloc de pierre, ils affectentla forme d'une cuve hémisphérique à l'intérieur, et sont décorés àl'extérieur par quatre colonnettes supportant quatre têtes, entrelesquelles règne une frise de feuillages de lierre d'une bonne sculpture(5). Les quatre petits repos qui portent les têtes avaient une utilitéet servaient probablement à poser le sel, l'huile et les flambeaux. EnA, nous donnons le plan de cette cuve; en B, sa coupe. Elle date dumilieu du XIIIe siècle.
Les cuves baptismales du moyen âge sont autant variées par la forme quepar la matière. La façon dont elles sont décorées permet de supposerqu'une grande liberté était laissée aux artistes. Ces cuves sont à pansou circulaires et même carrées, lobées, ovales, creusées à fond de cuveou en cuvette; leurs parois sont ornées de feuillages, de simplesmoulures, de figures ou de compartiments géométriques; elles sonttaillées dans de la pierre ou du marbre, coulées en bronze ou en plomb.Leurs couvercles se composent de châssis de bois, de lames de métal, ousont richement ornés en forme de cônes ou de dais, et ne peuvent êtreenlevés alors qu'au moyen de potences ou de petites grues à demeure. Iln'est pas besoin de dire que les fonts baptismaux en bronze, antérieursà la fin du dernier siècle, ont été fondus en France; on en voit encorequelques-uns en Italie, en Allemagne et en Belgique543. Les fonts dela cathédrale de Hildesheim sont particulièrement remarquables. La cuve,dit M. de Caumont544 auquel nous empruntons cette description, «reposesur quatre personnages ayant chacun un genou en terre et tenant une urnedont l'eau se répand sur le pavé: ce sont les figures emblématiques desquatre fleuves du Paradis; et sur le cercle qui porte sur leurs épaules,on lit l'inscription suivante, expliquant le rapport symbolique dechacun de ces fleuves avec la prudence, la tempérance, le courage et lajustice:
+ TEMPERIEM. GEON. TERRE. DESIGNAT. HIATVS.
+ EST. VELOX. TIGRIS. QVO. FORTIS. SIGNIFICATVR.
+ FRVGIFER. EVFRATES. EST. JVSTITIA. QVE. NOTATVS.
+ OSMVTANS. PRISON. EST. PRVDENTI. SIMILATVS.»
La cuve est couverte de quatre bas-reliefs représentant le passage duJourdain par les Israélites sous la conduite de Josué, le passage de lamer Rouge, le baptême de Jésus-Christ, la Vierge et l'enfant Jésus,devant lesquels est l'évêque donateur Wilherms. Au-dessus des quatrefleuves sont huit médaillons représentant laPrudence etIsaïe, laTempérance etJérémie, leCourage etDaniel, laJustice etÉzéchiel. Au-dessus se voient les signes des évangélistes. Lecouvercle conique est également décoré de bas-reliefs. Ces fonts, de laseconde moitié du XIIIe siècle, sont peut-être les plus beaux quiexistent et les mieux composés par le choix des sujets accompagnésd'inscriptions. Nous citerons aussi les fonts en bronze de l'église deSaint-Sébald à Nuremberg, qui datent de la fin du XVe siècle. Autour dupied sont posés les quatre évangélistes, ronde-bosse, et autour de lacuve les douze apôtres en bas-relief dans une arcature d'un travaildélicat.
À défaut de ces monuments précieux par le travail et la matière, nous netrouvons plus en France que des fonts de peu de valeur. L'église deBerneuil (arrondissement de Doullens) contient des fonts qui présententun certain intérêt. La cuve est en plomb et date du XIIe siècle (6);autour sont disposées seize niches alternativement garnies de figures endemi-relief et d'ornements.
Cette cuve repose sur un socle en pierre, àhuit pans, d'une époque plus récente. L'ancien couvercle (en plombprobablement et de forme conique) a été remplacé par un chapeau demenuiserie du XVIe siècle.
On voit, dans l'église de Lombez (Gers), une petite cuve baptismale enplomb de forme cylindrique, divisée en deux zones: la zone supérieurereprésente une chasse, celle inférieure seize figures dans desquatre-feuilles (7). Le même modèle a servi cinq fois pour la zonesupérieure, et dans la zone inférieure les seize petites figures quireprésentent des ordres religieux sont obtenues au moyen de quatremodèles seulement. Ces sortes de cuves ne demandaient donc pas de grandsfrais de fabrication; les fondeurs ou potiers d'étain qui les vendaientles composaient avec des modèles conservés en magasin: ainsi, dansl'exemple que nous donnons ici, le sujet de chasse est évidemment d'uneépoque antérieure aux petites figurines et auxquatre-feuilles de lazone inférieure, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle. Unorifice A pratiqué au milieu du fond plat de la cuve sert à la vider.
À Visme (Somme), une cuve de même dimension en plomb, mais à huit pans,présente, sur sa paroi externe, seize arcatures qui autrefois étaientremplies de figurines en ronde-bosse rapportées sur desculs-de-lampe545. Ces fonts reposent sur une table de pierre portéesur quatre colonnettes, du commencement du XIIIe siècle; la cuve est duXVe.
Quant aux fonts baptismaux du moyen âge dont les couvercles étaient musau moyen de grues ou de potences en fer, on en voit de très-beaux à Hal,à Saint-Pierre de Louvain (Belgique), à Sainte-Colombe de Cologne. Cesmonuments étant fort bien gravés dans l'ouvrage de M. Gailhabaud546,il nous semble inutile de nous étendre sur leur composition. D'ailleursleur style est étranger à l'art français.
Quelquefois, sur les parois intérieures des cuves baptismales, sontsculptés des poissons, des coquilles, des grenouilles. On voit, dansl'église Saint-Sauveur de Dinan (Bretagne), des fonts baptismaux du XIIesiècle qui se composent d'une sorte de coupe, portée par quatre figurestrès-mutilées et d'un travail grossier. L'intérieur de la cuve, tailléen cratère, est orné de godrons en creux et de deux poissons sculptésdans la masse.
Nous terminerons cet article en donnant les fonts baptismaux en pierre,d'une ornementation singulière, qui sont déposés près de la porte de lacathédrale de Langres (8): ils datent de la fin du XIIIe siècle.
On se servait aussi, pendant le moyen âge, de cuves précieuses,apportées d'Orient, pour baptiser les enfants. Chacun a pu voir, aumusée des Souverains, à Paris, la belle cuve de travail persan danslaquelle on prétend qu'ont été baptisés les enfants de saint Louis.
«Isnelement fist un fonz aprester,
En une cuve qui fu de marbre cler,
Qui vint d'Arrabe en Orenge par mer.
El fonz le metent: quant l'ont fet enz entrer,
Se 'l baptiza li vesques Aymer547.»
Lorsque l'on renonça aux baptistères, on plaça cependant les fontsbaptismaux dans une chapelle fermée, autant que faire se pouvait.Aujourd'hui, les fonts doivent être non-seulement couverts, mais dans unlieu séparé de la foule des fidèles par une clôture.
Note 538:(retour) Il existe un baptistère à côté de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome; on a depuis peu découvert celui qui était proche de l'ancienne cathédrale de Marseille, du Ve siècle. On voit encore ceux des cathédrales d'Aix en Provence et de Fréjus. L'édifice placé sous le vocable de saint Jean, à Poitiers, paraît avoir servi de baptistère pendant les Ve et VIe siècles.
FORMERET, s. m. Arc recevant une voûte d'arête le long d'un mur (voy.ARCformeret, CONSTRUCTION).
FOSSÉ, s. m. Tranchée longue, faite dans le sol pour opposer un obstacleautour d'un camp, d'un château, d'une ville, d'un parc, d'un enclos. Ily a des fossés secs et des fossés pleins d'eau, des fossés en talus ou àfond de cuve, des fossés revêtus ou non revêtus.
Les fossés secs sont ceux qui sont taillés autour d'un château, d'unmanoir ou d'une place situés en des lieux trop élevés pour pouvoir yamener et y conserver l'eau.
Les fossés pleins sont ceux dans lesquels on fait passer un cours d'eau,ou que l'on inonde au moyen d'une prise dans la mer, dans un lac ou unétang.
Les fossés en talus sont ceux simplement creusés dans un solinconsistant, et dont l'escarpe et la contrescarpe, revêtues de gazon,donnent un angle de 45 degrés.
Les fossés revêtus sont ceux dont les parois, c'est-à-dire l'escarpe etla contrescarpe, sont revêtues d'un mur en maçonnerie avec un faibletalus.
Les fossés à fond de cuve sont ceux dont le fond est plat, les paroisrevêtues, et qui peuvent ainsi permettre d'ouvrir des jours dansl'escarpe servant de soubassement à une fortification. Les fosséstaillés dans le roc peuvent être aussi à fond de cuve.
Les Romains creusaient des fossés autour de leurs camps temporaires oupermanents. Ces fossés avaient habituellement quinze pieds d'ouvertureau bord supérieur, c'est-à-dire 4m, 95. Ils étaient souvent doublés,séparés par un chemin de 4 à 5 mètres de largeur. Quand César établitson camp en face des Bellovaques sur le mont Saint-Pierre, dans la forêtde Compiègne, «il fait élever un rempart de douze pieds avec parapet; ilordonne de creuser en avant deux fossés de quinze pieds, à fond de cuve;il fait élever un grand nombre de tours à trois étages, réunies par desponts et des chemins de ronde, dont le front était garni de manteletsd'osier, de telle sorte que l'ennemi fût arrêté par un double fossé etdeux rangs de défenseurs: le premier rang sur les chemins de rondesupérieurs d'où, étant plus élevés et mieux abrités, les soldatslançaient des traits plus loin et plus sûrement; le second rang derrièrele parapet plus près de l'ennemi, où il se trouvait protégé contre lestraits par la galerie supérieure548.»
Les travaux de campagne que les Romains ont exécutés dans les Gaules onteu, sur l'art de la fortification chez nous, une telle influence jusqu'àune époque très-avancée dans le moyen âge, et les fossés ont été, dansles temps où les armes de jet avaient une faible portée, une partie siimportante de l'art de défendre les places, que nous devons arrêternotre attention sur ce curieux passage. Il faut connaître d'abord leslieux décrits ici par César.
L'assiette de son camp, lesCommentaires à la main, avait étéévidemment choisie sur un plateau situé en face le mont Saint-Marc,plateau désigné, dans les cartes anciennes, sous le nom deSaint-Pierre-en-Chastres549. Ce plateau escarpé de tous côtés,offrant à son sommet une large surface horizontale sur laquelle lapetite armée que César conduisait avec lui pouvait tenir fort à l'aise,se prêtait merveilleusement au genre de défense qu'il avait adopté;défense dont on reconnaît d'ailleurs la trace sur les lieux mêmes.
Voici donc (1) le profil de l'ouvrage de circonvallation. Lesassaillants ne pouvant arriver au bord du premier fossé A qu'engravissant une longue pente assez abrupte, étaient difficilement vus parles défenseurs placés en B; à plus forte raison se trouvaient-ilsentièrement masqués pour les défenseurs postés le long du parapet C endedans du deuxième fossé G. Ces défenseurs postés en C étaient cependantplus rapprochés de l'assaillant que ne l'étaient ceux postés en E surles galeries réunissant les tours à trois étages, la ligne CO étant pluscourte que la ligne EO. Des assaillants se présentant en K, à portée detrait, ne pouvaient atteindre les défenseurs postés derrière le parapetC, que s'ils envoyaient leurs projectiles en bombe suivant une ligneparabolique KL. Donc les clayonnages du chemin de ronde supérieur Eprotégeaient les soldats postés en C. César décrit très-bien lesavantages de ses ouvrages en disant que les soldats placés en E voyaientl'ennemi de plus loin et pouvaient tirer sur lui sûrement. L'assaillant,gravissant la pente P, ne voit que le sommet des tours de bois et lesgaleries qui les réunissent; il n'a pas connaissance des deux fossés quivont l'arrêter en O. Pendant qu'il gravit cette pente, il est exposé auxarmes à longue portée de la défense supérieure; mais dès qu'il atteintla crête O, non-seulement il trouve deux obstacles devant lui s'il veutpasser outre, mais il est exposé aux traits qui partent du chemin deronde E et du rempart C, ces derniers traits pouvant être lancésdirectement, comme l'indique la ligne CO, mais aussi, en bombe, commel'indique la parabole HM. En admettant que les troupes gravissant lapente K eussent été lancées, pleines d'ardeur, arrivant haletantes en O,il leur eût été bien difficile d'atteindre levallum C. CependantCésar, au camp du Mont-Saint-Pierre, ne craignait pas une attaquesérieuse des Bellovaques; au contraire, il cherchait à les attirer horsde leurs propres défenses. Lorsqu'il redoutait réellement une attaque,ses précautions étaient plus grandes encore. Autour d'Alesia, il établitdes lignes de contrevallation et de circonvallation afin de bloquerl'armée de Vercingétorix renfermée dans cette ville, et de se mettre endéfense contre les secours considérables qui menacent son camp. La lignede contrevallation se compose: 1°, vers l'ennemi, d'un fossé large devingt pieds, profond d'autant, et à fond de cuve. À quatre cents piedsen arrière de ce fossé, il établit ses retranchements. Dansl'intervalle, il fait creuser deux fossés de quinze pieds de largechacun et de quinze pieds de profondeur; le fossé intérieur est remplid'eau au moyen de dérivations de la rivière; derrière ces fossés, ilélève un rempart de douze pieds de haut, garni de parapets avecmeurtrières. À la jonction du parapet et du rempart, il fait planter deforts palis fourchus pour empêcher l'escalade. Des tours, distantesentre elles de quatre-vingts pieds, flanquent tout le retranchement. Cesprécautions, après quelques sorties des Gaulois, ne lui semblent passuffisantes: il fait planter des troncs d'arbres ébranchés, écorcés etaiguisés, au fond d'une tranchée de cinq pieds de profondeur; cinq rangsde ces pieux sont attachés entre eux par le bas, de manière à ce qu'onne puisse les arracher. Devant cet obstacle, il fait creuser des trousde loup coniques de trois pieds de profondeur, en quinconce, au fonddesquels on enfonce des pieux durcis au feu et aiguisés qui ne sortentde terre que de quatre doigts; ces pieux sont fixés solidement enfoulant le sol autour d'eux; des ronces les cachent aux regards. Lestrous de loup sont disposés sur huit rangs, distants l'un de l'autre detrois pieds (2).
En avant sont fixés, très-rapprochés les uns desautres, des aiguillons,stimuli (3), d'un pied de long, armés debroches en fer. Dans un mémoire sur le blocus d'Alesia550, M. lecapitaine du génie Prévost nous paraît avoir parfaitement compriscomment étaient façonnés lesstimuli dont parle César. Parmi lesobjets antiques trouvés près d'Alise, dit le savant officier, onremarque des broches en fer, qui ont résolu pour lui la question desstimuli. Ces morceaux de fer ont 0,29 c. et un peu plus, c'est-à-direqu'ils ont un pied romain; leur équarrissage au milieu est de 0,01 c.;ils sont cintrés encôte de vache et appointés par les deux bouts.«Tous les auteurs, ajoute M. Prévost, qui ont parlé desstimuli deCésar, ont cru qu'ils consistaient en un rondin de bois enfoncé enterre, avec une pointe en fer encastrée elle-même dans le piquet etsurgissant au-dessus du sol. Quelque simple que soit cet objet, il estencore difficile à exécuter: on aurait fendu bien des rondins, enessayant d'y introduire de force une tige de fer; il aurait falluensuite appointer cette dernière en la limant à froid, ce qui eûtdemandé beaucoup de temps» (puis fallait-il avoir des limes); «on eûtété obligé de frapper avec précaution sur la tête du piquet en bois pourl'enfoncer en terre sans risquer de le fendre. Toutes cesminutiessont très-appréciées de ceux qui ont l'occasion de faire exécuterrapidement de petits objets en nombre immense par les premiers individusvenus551. Rien n'est plus facile avec les broches trouvées à Alise:quelques forgerons les fabriquaient; ils faisaient aussi les petitscrampons A, pareils à ceux avec lesquels nous attachons nos conducteurssur les mandrins de bourrage des fourneaux de mine. On fixait à l'aidede deux de ces crampons la broche sur la paroi d'un rondin ayant un piedde long. Maintenu en C et en D, le fer ne pouvait glisser le long dubois dans aucun sens, puisqu'il avait son plus fort équarrissage aumilieu...» et une courbure qui le forçait de se serrer fortement contrele bois. «Peut-être mettait-on deux ou trois broches pareilles autour dumême piquet; dans ce dernier cas, il fallait, pour l'enfoncer en terre,frapper sur sa tête par l'intermédiaire d'un rondin recevant les coupsde la masse; alors l'engin représentait encore mieux lehamus du textelatin.»
De leur côté, les Gaulois, du temps de César, entouraient leurs camps etplaces fortes de fossés creusés en terre ou même dans le roc; cesderniers étaient à parois verticales avec rempart intérieur. C'est ainsique sont disposées les défenses de l'oppidum gaulois que l'on voitencore à l'extrémité occidentale du mont Ganelon, près Compiègne. Lesfossés de cette place ont dix mètres de largeur sur une profondeur detrois à quatre mètres, sont séparés l'un de l'autre par un espace dequinze mètres environ; unvallum de cinq mètres de hauteur est élevéen arrière du second fossé. De gros quartiers de rochers sont laissés aufond de ces fossés comme obstacles.
Les fossés des villes gallo-romaines, au moment de l'invasion desbarbares, tels que ceux de Sens, de Bourges, de Beauvais, étaienttrès-larges, et autant que possible remplis d'eau552. Les Gauloisavaient d'ailleurs adopté les moyens de défense que les Romainsemployaient contre eux, ainsi que le constate César lui-même; cesmoyens, ils durent les conserver longtemps. Dans leRoman de Rou, ilest question de fossés disposés d'une façon nouvelle, et qui aurait étésouvent adoptée au XIe siècle.
«Par tuz li champs ki prof esteint
Par ù Bretuns venir debveient,
Firent fosses parfunt chavées (creusés profondément),
Desuz estreites, dedenz lées (larges):
La terre ke il fors unt gelée (qu'ils ont jetée dehors)
Unt tute as altres camps portée;
De virges et d'erbes k'il coillirent,
Li fosses tutes recuvrirent.
Quant Bretun vindrent chevalchant,
Prez de férir, paeenz quérant (cherchant les païens);
Par li camps vindrent tresbuchant,
D'un fossé en altre chéant;
Chaent asdenz, chaent envers,
Chaent sor coste è de travers553.»
Comment avait-on pu creuser des fossés plus larges au fond qu'à lacrête? C'est ce qu'il est difficile d'expliquer, à moins de supposerqu'on ait étançonné les parois. Nous voyons que ces fossés sontrecouverts de broussailles et d'herbe pour dissimuler leur ouverture.
Les Normands entourèrent leurs fortifications de fossés très-larges ettrès-profonds, quelquefois avec chemin couvert palissadé au-dessus de lacrête extérieure. Les châteaux d'Arques et de Tancarville, et plus tardle château Gaillard, conservent encore leurs fossés taillés dans le rocau sommet de l'escarpement qui sert d'assiette à ces forteresses (voy.CHÂTEAU). Des souterrains également creusés dans le roc conduisent del'intérieur des châteaux au fond des fossés; ils servaient surtout àpermettre à la garnison de sortir pour attaquer les mineurs qu'onattachait aux bases des remparts et tours ou aux escarpements qui lesportaient.
Nous n'avons pas vu de contrescarpes revêtues avant le XIIIe siècle,tandis qu'à dater de cette époque les fossés sont presque toujoursrevêtus autour des forteresses importantes, et leur fond dallé mêmeautour des châteaux bâtis avec soin. Le fossé du donjon de Coucy(commencement du XIIIe siècle) est dallé; le grand fossé devant la portedu château de Pierrefonds (commencement du XVe siècle) l'est également.À la cité de Carcassonne, il reste des fragments considérables derevêtements de contrescarpes des fossés du côté de l'est (fin du XIIIesiècle). La contrescarpe du large fossé qui sépare le château de Coucyde sa baille était revêtue (commencement du XIIIe siècle). Les fossés duchâteau de Vincennes ont été revêtus depuis la reconstruction de cechâteau pendant le XIVe siècle; ceux du Louvre l'ont été depuis CharlesV554. Non-seulement les châteaux, les villes étaient entourées defossés, mais aussi les abbayes situées hors des villes et mêmequelquefois les églises paroissiales.
Lorsque l'artillerie fut employée pour assiéger les places, on élargitencore les fossés, et l'on pensa surtout à disposer des défenses pourles enfiler, des chemins couverts pour protéger leurs approches, desouvrages bas pour obtenir un tir rasant au niveau du fond, des cunettespour conduire les eaux pluviales, des écluses et retenues pour lesinonder quand des cours d'eau ou des étangs voisins le permettaient(voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, BASTILLE, BASTION, BOULEVARD, CHÂTEAU,PORTE, SIÉGE). C'était au seigneur suzerain à régler l'étendue et lalargeur des fossés, c'était lui qui dans certains cas exigeait qu'on lescomblât. Quant à leur entretien, il était à la charge du seigneur ou àla charge des vassaux par suite de conventions spéciales. Nous trouvonsdans un recueil très-curieux publié par M. A. Champollion-Figeac555 latraduction d'un texte en langage gascon qui a pour titre: «Ayssi es laordonnansa cum una viela se deu fermar et armar contra sonenamixs556.» Dans ce texte, les passages relatifs aux fossés dedéfense sont à noter.
«La manière de la fermeure de la ville: Premièrement, il y doit avoirtout à l'entour des grans, larges et profonds fossés, si profonds qu'ily sorte de l'eau; et es endroits où il ne peut point avoir de l'eau,doit estre fait au fonds des fossés grande quantité devosias557,couvertes avec muraille de terre et d'herbe; et après, y doit avoir degrands et hauts murs, avec tours de défense de dix en dix brasses(environ 16 mètres), et que les fossés soient bien netoyés et curés, dupied du mur jusqu'au fond, d'herbes et de branchages. Et aux portails etentrées, il y doit avoir des ponts-levis, et tous les chemins desentrées doivent être rompus en travers, de grands fossés en cinq ou sixlieux fors un petit et estroit passage, lequel on doit rompre quandbesoing est, afin qu'on ne se puisse point approcher des portes, à piedni à cheval, ni amener du feu encarexs (charrette), ni en autrechose, et faire grande quantité devosias par les chemins desentrées...558»
Nous avons souvent trouvé des traces de ces coupures faites en traversdes routes aboutissant aux portes. Ces coupures étaient garnies debarrières, et comme les routes longeaient presque toujours les fossés,afin d'être battues de flanc par les tours et courtines, les coupuresdonnaient dans le fossé de ceinture, afin de ne pouvoir servir de refugeaux assiégeants; mais ces détails sont expliqués à l'article PORTE.
Les petites villes ou bastides bâties dans la seconde moitié du XIIIesiècle en Guienne sont entourées de fossés avec enceinte; la plupart deces petites cités sont, ainsi que leurs défenses, d'une régularitéparfaite559. À propos de la bastide de Sauveterre, M. Leo Drouyn, dansl'excellent ouvrage qu'il publie sur laGuienne militaire, donne letexte des priviléges accordés à cette commune, en 1283, par Édouard Ier.Dans ce texte latin560, nous lisons l'article suivant relatif auxenceintes et fossés:
«Item nous voulons que soldats et maîtres, bourgeois ou habitants deladite ville, soient exempts de tous les travaux communaux(communibus), excepté ceux des ponts, des puits, des routes etclôtures de la ville, travaux auxquels les voisins du lieu sont tenus,sans aucun doute de coopérer. Pour nous, nous sommes tenus de faire lapremièreclôture de la ville, et lesdits soldats et maîtres doiventveiller de jour et de nuit pendant l'exécution du travail; les autresvoisins sont, à leur tour, responsables des maléfices qui se commettrontde jour et de nuit...» Ainsi les clôtures, c'est-à-dire les fossés etremparts, étaient faits par le seigneur, sous la surveillance de lacommune, autour de ces bastides ou bourgs fondés par privilége spécialdu suzerain. Les seigneurs féodaux réclamaient contre l'établissement deces petites communes, les évêques excommuniaient et les fondateurs etles habitants; mais ces réclamations et excommunications n'empêchaientpas les villes de s'élever.
Les murailles d'Avignon, commencées en 1349 et terminées en 1374,étaient entourées de fossés de vingt mètres de largeur environ sur uneprofondeur moyenne de quatre mètres au-dessous de la crête de lacontrescarpe. Cette contrescarpe n'était pas entièrement revêtue; mais,pour éviter les affouillements causés par les inondations du Rhône, onavait dallé le fond du fossé en larges pierres de taille561. Le Rhône,la Sorgue et un bras de la Durance remplissaient en temps ordinaire unegrande partie de ces fossés.
Note 551:(retour) C'est en appuyant les recherches archéologiques sur ces observations pratiques que l'on peut en effet arriver aux découvertes sérieuses, et M. Prévost est ici parfaitement dans le vrai, lorsqu'il dit que beaucoup de ces questions si longuement débattues entre les archéologues ne peuvent être réellement résolues que par les praticiens.
Note 553:(retour) LeRoman de Rou, vers 6893 et suiv. Ce stratagème paraît avoir singulièrement plu aux historiens du temps; car ils l'ont signalé trois fois, savoir: 1° en 992, dans la bataille de Conquereuil, entre Conan, duc de Bretagne, et Foulques, comte d'Anjou; 2º dans la circonstance présente; 3º dans une invasion de l'Aquitaine par les Scandinaves, en 1019. (Note de M. Aug. Le Prévost.)
Note 559:(retour) À ce sujet, M. A. Champollion-Figeac paraît s'étonner, dans son recueildes Droits, de ce que nous ayons avancé ce fait (suffisamment prouvé par les belles recherches de M. de Vernheil et les travaux de M. Leo Drouyn), savoir: que des plans des villes d'Aigues-Mortes, de Carcassonne, de Villeneuve-le-Roy, de Villeneuve-l'Archevêque, de Sainte-Foy, de Monpasier, de Monségur, de Sauveterre, etc., ont été arrêtés d'avance par des seigneurs suzerains du XIIIe siècle, et il ajoute, à propos du plan de Monpasier en Périgord: «L'auteur (duDictionnaire) donnemême le plan de cette dernière ville. Mais il est vrai que cet auteur ne nous apprend pas d'où il a tiré ce plan d'une ville du XIIIe siècle.» Nous avonstiré ce plan d'où M. Champollion-Figeac pourrait letirer lui-même, c'est-à-dire de Monpasier, «jolie petite ville, dit leDictionnaire de M. Girault de Saint-Fargeau (Dordogne), à 46 kil. de Bergerac, chef-lieu de canton, fondée en 1284, sous la direction du fameux captal de Buch, Jean de Grailly; bien bâtie,formée de rues larges et tirées au cordeau...» Il y a dans l'ouvrage de M. Champollion-Figeac, au milieu de recherches pleines d'intérêt, lorsqu'il cite d'anciens textes, bien d'autres appréciations singulières. Le savant compilateur nous accuse, par exemple, de nous laisser guider par les fantaisies de notre imagination au sujet des châteaux, lorsque nous donnons des plans d'après les monuments existants; entre autres choses, il paraît ignorer que le château Gaillard est encore debout en grande partie, que ses fossés taillés dans le roc vif ne sont nullement altérés; il prétend, en citant notre texte tronqué, qu'à la Roche-Guyon nous n'avons trouvé qu'une poterne du XIIIe siècle, et que, sur ce fragment, nous bâtissons ce qu'il veut bien appeler desthéories rétrospectives; cependant les touristes qui descendent la Seine peuvent voir, non-seulement le château, mais le donjonintact qui le surmonte. Pour combattre ce qu'il présente comme desthéories, dessystèmes, et faire ressortir chez nous des contradictions nombreuses, M. Champollion-Figeac remplit quelques pages de son livre de citations empruntées auDictionnaire; citations incomplètes, avec commentaires, appréciations ou suppositions intercalées; ce qui n'est pas digne, pensons-nous, d'une critique sérieuse. Il n'est point d'auteur que l'on ne puisse mettre en contradiction avec lui-même en prenant un membre de phrase ici, un autre là, et en soudant ces fragments à l'aide de commentaires. M. Champollion croit, de la meilleure foi du monde, qu'en fait de monuments, la France ne possède que des archives et des bibliothèques; il ne comprend pas que l'on puisse distinguer une construction du XIIe siècle d'un édifice du XIVe, sans le secours des actes de fondation. Il n'admet point les classifications par écoles, et nous demande des preuves. C'est à peu près comme si on demandait à des Anglais de prouver qu'ils s'entendent lorsqu'ils parlent entre eux. Apprenez l'anglais, et vous aurez la preuve.
FOUR, s. m.Four à pain. Dans les villes de France, le suzerainpermettait l'établissement des fours à pain; c'était un privilége pourles seigneurs laïques, séculiers, ou pour les abbayes, qui en tiraientun profit. Ces fours banals, chauffés par les possesseurs du privilége,étaient établis dans des logis où chacun pouvait apporter son pain et lefaire cuire en payant une redevance. Quelquefois ces fours banals,établis aux frais d'un seigneur féodal, étaient affranchis de tousdroits par le suzerain. Certaines villes obtenaient le privilége debâtir autant de fours qu'il plaisait aux bourgeois d'en construire. Dansles tours des villes fortifiées, on établissait souvent des fours, afinde permettre à la garnison, en cas de blocus, de faire cuire son painsans recourir aux habitants ou aux fours banals. La plupart des donjonspossèdent leur four (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, CHÂTEAU, DONJON,PORTE, TOUR).
Les fours à chaux ne pouvaient, non plus que les fours à pain, êtreétablis sans la permission du seigneur.
FOURCHES PATIBULAIRES. «Les hautes justices locales, dit M. A.Champollion-Figeac562, pouvaient élever autant de fourches qu'ellesdésiraient en établir. Les ordonnances du roi Jean, de 1345 et de 1356,paraissent suffisamment l'indiquer. Mais le sage monarque Charles V yajouta un privilége nouveau pour certaines localités, celui d'avoir desfourches patibulaires à deux piliers. L'abbaye de Cluny obtint cettepermission toute de faveur en 1360, au mois de septembre563.N'omettons pas un dernier fait, qui prouvera qu'il n'était pas permisd'orner ces atroces instruments de supplice d'autres signes que ceux quele roi voulait qu'on y plaçât. Le comte de Rhodez ayant mis ses armes auhaut d'une potence établie sur la place des Carmes de cette ville, lesénéchal de Rouergue fut immédiatement informé que le roi s'opposaitformellement à ce qu'elles y fussent placées, et que le comte seraittraduit devant la haute justice du monarque. Il est vrai quel'apposition du comte de Rhodez représentait, dans ce cas, une prise depossession de la justice et de la place; mais c'était bien mal, pour unseigneur du Rouergue, de choisir cette occasion de faire parade dublason de ses armes,» C'était un privilége; le mal était d'en user s'iln'en avait pas le droit.
À ce propos, et pour prouver jusqu'à quel point le roi était jaloux deses droits de juridiction, pendant le séjour des papes à Avignon, uninsigne malfaiteur, poursuivi par les officiers de la justicepontificale, traversa, devant la ville, un bras du Rhône et se réfugiadans l'île dite du Mouton. Les gens du pape y abordèrent en même tempsque le criminel, s'emparèrent de sa personne et le pendirent sur place àune potence dressée par leur ordre. Le cadavre du supplicié fut inhuméaprès le délai voulu. Ces faits ne furent rapportés que longtemps aprèsaux officiers du roi de France, qui accusèrent les gens du pape d'avoirempiété sur les droits seigneuriaux du roi; les officiers du papealléguèrent, pour leur défense, qu'ils n'avaient pas l'intentiond'usurper la juridiction royale, mais qu'ils avaient cru devoirdébarrasser la contrée d'un homme dangereux. Les juges royauxn'insistèrent pas; mais pour que ce précédent ne pût être invoqué plustard contre les droits de leur souverain, ils se transportèrent à leurtour dans l'île du Mouton, y procédèrent contre le supplicié, et, aprèslui avoir fait un procès en règle, le rependirent, en effigie, à unepotenceaux armes du roi564.
Le droit de haute, moyenne et basse justice, appartenait à la féodalité;les grands vassaux qui relevaient directement du souverain «inféodèrentcertaines portions de leurs domaines à des vassaux d'un rang inférieur;et ceux-ci, les imitant, constituèrent également de nouveaux fiefs, dontils gardèrent la suzeraineté. En même temps, les uns et les autresfirent cession de leur droit de justice sur ces portions de territoire,non sans mettre, toutefois, quelques restrictions à cet abandon, maislimitant plus ou moins l'étendue du pouvoir qu'ils concédaient565...Les fourches patibulaires consistaient en des piliers de pierre réunisau sommet par des traverses de bois auxquelles on attachait lescriminels, soit qu'on les pendît aux fourches mêmes, soit que,l'exécution ayant été faite ailleurs, on les y exposât ensuite à la vuedes passants. Le nombre des piliers variait suivant la qualité desseigneurs: les simples gentilshommes hauts-justiciers en avaient deux,les châtelains trois, les barons quatre, les comtes six, les ducs huit;le roi seul pouvait en avoir autant qu'il le jugeait convenable.» Ilpouvait aussi faire supprimer les gibets dont il avait permisl'établissement. En 1487566, «le procureur du roi au Chastelet alla endivers lieux de la prévosté et vicomté de Paris faire démolir lesfourches patibulaires, carquans, échelles, et autres marques de hautejustice, attendu que le roi Louis XI avoit accordé à plusieurs droit dehaute justice, qui fut révoqué par Édit de révocation générale de tousdons de portion du domaine aliéné depuis le deceds de Charles VII quefit publier Charles VIII à son avènement à la couronne.»
Les fourches patibulaires, dit Loyseau567, étaient placées au milieudes champs, près des routes et sur une éminence. En effet, beaucoup delieux élevés, en France, dans le voisinage des abbayes, des résidencesseigneuriales, ont conservé le nom de laJustice, lagrande Justice.
Certains gibets étaient faits de bois, se composaient de deux poteauxavec traverse supérieure et contre-fiches; mais nous n'avons pas à nousoccuper de ceux-ci, qui n'ont aucun caractère monumental. Parmi lesgibets renommés, pouvant être considérés comme des édifices, il fautciter en première ligne le gibet de Montfaucon. Sauval dit que, «dèsl'an 1188 et peut-être auparavant, il y avait un lieu patibulaire sur lehaut de Montfaucon... Montfaucon, ajoute-t-il, est une éminence douce,insensible, élevée, entre le faubourg Saint-Martin et celui du Temple,dans un lieu que l'on découvre de quelques lieues à la ronde. Sur lehaut est une masse accompagnée de seize piliers568, où conduit unerampe de pierre assez large, qui se fermoit autrefois avec une bonneporte. La masse est parallélogramme, haute de deux à trois toises,longue de six à sept, large de cinq ou six, terminée d'une plate-forme,et composée de dix ou douze assises de gros quartiers de pierres bienliées et bien cimentées, rustiques ou refendues dans leurs joints. Lespiliers gros, quarrés, hauts chacun de trente-deux à trente-trois pieds,et faits de trente-deux ou trente-trois grosses pierres refendues ourustiques (à bossages), de même que les précédentes, et aussi bien liéeset bien cimentées, y étoient rangées en deux files sur la largeur et unesur la longueur. Pour les joindre ensemble et pour y attacher lescriminels, on avoit enclavé dans leurs chaperons deux gros liens de boisqui traversoient de l'un à l'autre, avec des chaînes de fer d'espace enespace. Au milieu étoit une cave où se jettoient apparemment les corpsdes criminels, quand il n'en restoit plus que les carcasses, ou quetoutes les chaînes et les places étoient remplies. Présentement cettecave est comblée, la porte de la rampe rompue, ses marches brisées: despilliers, à peine y en reste-t-il sur pied trois ou quatre, les autressont ou entièrement ou à demi ruinés.»
Bien que Sauval ne nous dise pas à quelles sources il a puisé sesrenseignements, divers documents569 établissent l'existence d'un gibetà Montfaucon, au moins dès le XIIIe siècle.--Un acte d'accommodement dumois de septembre 1233 entre le prieur de Saint-Martin-des-Champs et lechapitre de Notre-Dame contient le passage suivant:... «Quatuor arpentaet dimidium quarterium juxta pressorium combustum, duo arpenta etdimidium quarterium circa gibetum, quatuordecim, arpenta...»--Un actede vente du mois de juin 1249:... «Super tribus arpentis vince sitejuxta pressorium sancti Martini prope gybetum, in censiva ejusdemcapituli...570» Il résulte de ces deux actes que, dans les années1233 et 1249, ajoute M. de Lavillegille, il existait un gibet sur leterritoire du Cens commun: or le gibet de Montfaucon se trouvantprécisément dans cette censive, c'est évidemment de lui dont il estparlé. Dans le roman deBerthe aux grans piés, qui date de 1270environ, il est question d'un certain Tibot pendu aux fourches deMontfaucon. Il y a donc lieu de croire que Pierre de Brosse ouEnguerrand de Marigny, auxquels on attribue la construction des fourchesde Montfaucon, n'ont fait que les réparer ou les reconstruire. L'ouvrageen pierres de taille à bossages dont parle Sauval ferait croire que cetédifice avait été entièrement refait au commencement du XIVe siècle ou àla fin du XIIIe, ce genre d'appareil étant fort usité alors pour lesbâtisses civiles. Ce gibet monumental était situé à côté de l'ancienchemin de Meaux, non loin de la barrière du Combat571. Comme le faitobserver M. de Lavillegille, les seize piliers de l'édifice deMontfaucon étaient encore réunis (ce que Sauval n'explique pas et nepouvait indiquer clairement, puisque de son temps le gibet était ruiné)par des traverses en bois intermédiaires. Louis X «... commanda pendreet étrangler Enguerrant à la plushaulte traverse de boys du gibet deParis. Paviot fut puny de pareille punition, excepté qu'il fut attachéau-dessous de Enguerrant572.» La tapisserie de l'Hôtel de ville deParis (plan de Paris) indique le gibet de Montfaucon avec troistraverses de bois. De plus, Sauval, dans lesComptes et ordinaires dela prévôté de Paris (t. III, p. 278), donne la pièce suivante, qui estimportante (1425, Charles VII):
«OEuvres et réparations faites en la grande Justice de Paris. À... pouravoir fait en ladite Justice les besognes cy-après: c'est à sçavoir,avoir pellée et découverte la terre au pourtour des murs qui fontclosture de ladite Justice, quarante pieds loing d'iceux murs: et si ontdécouverte et blanchie la place qui est dedans icelle closture, et aussiont blanchi tous lesdits murs et les pilliers et poultres d'icelleJustice, tant dehors comme dedans, à chaux et colle et... chaux, colle,croye (craie), et eschafaux, peines d'ouvriers pour ce faire, etc.
«À... tailleurs de pierres et maçons, pour avoir fait arracher plusieursvieux carreaux (de pierre) qui estoient rompus et froissés, tant èspilliers cormiers (d'angle), comme ès pilliers estraiefs(intermédiaires), et ès murs qui font closture au pourtour de laclosture d'icelle Justice; et en lieu d'iceux y avoir mis et assisquarante carreaux doubles (boutisses) et un cartron de parpaings de lapierre du blanc caillou, et rétabli plusieurs trous qui estoient esditsmurs par dehors oeuvre, et empli de plastre tous les joints desditsmurs, et pour avoir désassis et rassis tous les entablemens de pierrequi sont sur lesdits murs au pourtour de ladite Justice, et fait deuxeschiffes de mur qui sont d'un côte et d'autre de l'entrée d'icelleJustice, et désassises et rassises les marches de taille qui sont enicelle entrée, de dessellées quarante-huit vieilles poultres qui ont étéotées et descendues d'icelle Justice, et en scellées quarante-huitautres qui y ont été mises neuves, et mis deux coings de pierre en l'undes pilliers estraiefs, au lieu de deux autres qui estoient usés etmangés d'eau et de gelée, dont pour ce avoir fait, ils doivent avoir,etc.»
En 1466, nous lisons dans les mêmesComptes (p. 389) ce passage: «À lagrant Justice de Paris furent attachées et clouées cinquante deuxchaînes de fer pour servir à pendre et étrangler les malfaiteurs qui enicelle ont été et seront mis par ordonnance de justice.» En 1485, legibet de Montfaucon menaçait ruine, car lesComptes de la prévôtécontiennent cet article (p. 476): «et fut fait aussi un gibet joignantle grand gibet, qui est en danger de choir et tomber de jour en jour.»
Les condamnés étaient suspendus aux traverses au moyen d'échellesauxquelles ils devaient monter, précédés du bourreau. «Huit grandeséchelles neuves mises en la Justice patibulaire de Montfaucon573.» Ceséchelles dépassaient chaque traverse de manière à ce que le patient eûtla tête à la hauteur voulue; le bourreau, monté sur le haut del'échelle, lui passait la chaîne autour du cou, et, descendant, retiraitl'échelle.
Voici donc, d'après la description de Sauval et les documentsgraphiques574, le plan (1) en A des fourches patibulaires deMontfaucon. Vu leur hauteur (10m,00 au moins), les piliers ne pouvaientpas avoir moins d'un mètre de diamètre; les seize piliers, rangés «endeux files sur la largeur et une sur la longueur,» devaient laisserquinze intervalles entre eux de 1m,50 sur le grand côté et de 1m,20 surles deux petits. Il ne pouvait donc y avoir qu'une chaîne à chaquetraverse des petits côtés et deux au plus entre celles du grand. Lestraverses étant au nombre de trois, cela faisait soixante chaînes. Ainsis'explique le nombre de cinquante-deux chaînes neuves fournies en 1466;peut-être en restait-il quelques-unes anciennes pouvant servir. Lestraverses étaient nécessairement doublées, tant pour fixer les chaînesque pour permettre au bourreau de se tenir dessus, et pour étrésillonnerconvenablement des piles aussi hautes. Il fallait donc quatre-vingt-dixtraverses ou soixante seulement, si les traverses basses étaientsimples. La fourniture de quarante-huit traverses neuves faite en 1425n'a donc rien qui puisse surprendre.
La hauteur des piles (en admettant que la tapisserie de l'Hôtel de villeindique une traverse de trop) ne peut laisser de doutes sur le nombre deces traverses. On n'aurait pas élevé des piles de plus de dix mètres dehauteur pour ne poser qu'une traverse supérieure et une seuleintermédiaire, car il y aurait eu ainsi des places perdues en hauteur;or il est certain qu'on tenait à en avoir le plus grand nombre possible.
On voit, en B, sur le plan A, le caveau indiqué en pointillé, avec sonorifice C, destiné à jeter les corps et débris, et sa porte de vidangeD. En E est tracée la coupe faite surab montrant le degré, avec lesmurs d'échiffre réparés en 1425, et la porte, munie de vantaux, dontparle Sauval. On dressait les échelles au moment des exécutions, etcelles-ci étaient vraisemblablement déposées sur la plate-forme.
Parfois la cave destinée à servir de dépôt pour les restes dessuppliciés se trouvait tellement encombrée, la plate-forme jonchée dedébris, les chaînes garnies d'ossements, qu'il fallait faire une vidangegénérale et enterrer ces restes corrompus ou desséchés. Cette opérationétait nécessaire, par exemple, lorsqu'il fallait remplacer les poutres,ce qui avait lieu assez fréquemment.
Au bas de l'éminence sur laquelle s'élevait le gibet de Montfaucon versle couchant, une croix de pierre avait été dressée, disent quelquesauteurs, par Pierre de Craon, en mémoire de l'ordonnance que ce seigneuravait obtenue de Charles VI en 1396, et par laquelle des confesseursétaient accordés aux condamnés. Mais cette croix semblerait plutôt avoirété placée là, en 1403, à la suite de l'exécution de deux écoliers del'Université ordonnée par le prévôt de Paris. En effet, Monstrelet575rapporte ainsi le fait: «...Messire Guillaume de Tigouville, prévost deParis, feit exécuter deux des clercs de l'Université: Est à sçavoir: unnommé Legier de Monthilhier, qui estoit Normant; et l'autre nomméOlivier Bourgeois, qui estoit Breton: lesquels estoient chargez d'avoircommis plusieurs larcins en divers cas. Et pour ceste cause nonobstantqu'ils fussent clercs, et qu'en les menant à la justice criassent haultet clair,clergie, affin d'estre recoux; neantmoins (comme il est dit)furent exécutez et mis au gibet; et depuis par les pourchats del'Université, fut iceluy prévost privé de tout office royal. Et avec cefut condamné de faire une croix de pierre de taille, grande et eslevée,assez près du gibet, sur le chemin de Paris; où estoient les imagesd'iceux deux clercs, entaillées. Et outre les feit despendre d'iceluygibet, et mettre sur une charrete couverte de noir drap: et ainsiaccompaigné de ses sergens et autres gens portant torches de cire,allumées; furent menez à S. Mathurin et là rendus par le prévost aurecteur de l'Université...»
Nous donnons (2) une vue de cet édifice du côté de l'arrivée faisantface au sud-ouest. Le degré étant placé, bien entendu, par derrière, lescondamnés étaient amenés sur la plate-forme après avoir fait le tour dumassif de maçonnerie. En bas de notre figure est placée la croix deGuiliaume de Tigouville, indiquée d'ailleurs dans la tapisserie del'Hôtel de ville.
La figure 3 présente le gibet du côté de l'entrée.
Il ne paraît pas qu'il ait existé sur le territoire de la Franced'autres fourches patibulaires d'un aspect aussi monumental. À Paris,elles n'étaient pas les seules: il existait un gibet hors de la porteSaint-Antoine, un sur le terrain de la Cité derrière l'Évêché, un surl'emplacement occupé aujourd'hui par l'extrémité occidentale de la placeDauphine, un aux Champeaux, un derrière les jardins desPetits-Augustins, à peu près à la hauteur de la rue Saint-Benoît, et quise trouvait sur les terrains de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Cedernier gibet, comme beaucoup d'autres, se composait de quatre piliersde pierre avec quatre traverses de bois. Il est figuré dans latapisserie de l'Hôtel de ville et dans le grand plan de Mérian. D'autresencore se composaient de deux piles avec une seule traverse, ou de troisposées aux angles d'un triangle équilatéral avec trois traverses decouronnement. L'aspect hideux de ces édifices, l'odeur empestée qui s'enexhalait n'empêchaient pas l'établissement de cabarets, de courtilles etde lieux de débauche dans leur voisinage.
«Pour passer temps joyeusement,
Raconter vueil une repeue
Qui fut faicte subtillement
Près Montfaulcon, c'est chose sçeüe,
...
Tant parlèrent dn bas mestier,
Que fut conclud, par leur façon,
Qu'ilz yroyent, ce soir-là, coucher
Près le gibet de Montfaulcon,
Et auroyent, pour provision,
Ung pasté de façon subtile,
Et menroyent, en conclusion,
Avec eulx chascun une fille.
...»576
«Non loin de Montfaucon, dit M. de Lavillegille577, se trouvait unautre gibet, plus petit, et qui portait le nom de Montigny. Construit etdémoli à plusieurs reprises, il semble n'avoir été destiné qu'à suppléermomentanément au grand gibet, lorsque celui-ci avait besoin de quelquesréparations. La première mention du gibet de Montigny remonte à l'année1328. Il n'existait plus au commencement du XVe siècle, puisqu'en 1416il fallut construire un gibet provisoire, en attendant les travaux quel'on faisait à Montfaucon.» Ce gibet consistait en quatre poteaux debois d'un pied d'équarrissage et de vingt pieds environ de hauteur,engagés à leur pied dans un mur d'appui de deux pieds d'épaisseur etd'autant de hauteur environ. Quatre traverses réunissaient la tête desquatre poteaux578.
Les fourches patibulaires servaient de lieu d'exposition pour lescondamnés exécutés en d'autres lieux et qui même n'avaient point étépendus. Les corps des décapités étaient enfermés dans un sac; onexposait aussi aux gibets les suicidés, des mannequins figurant descondamnés par contumace. Le cadavre de l'amiral de Coligny fut suspenduau gibet de Montfaucon par les pieds. L'Étoile rapporte que Catherine deMédicis, «pour repaître ses yeux, l'alla voir un soir et y mena sesfils, sa fille et son gendre.» Depuis lors ces fourches patibulaires neservirent guère aux exécutions ou expositions. Sauval cependant dit yavoir encore vu des cadavres, bien qu'alors cet édifice fût en ruines.
Les fourches patibulaires ne servaient pas seulement à pendre deshumains, on y suspendait aussi des animaux, et notamment des porcs,condamnés à ce genre de supplice à la suite de jugements et arrêtsrendus pour avoir dévoré des enfants. (Voy. à ce sujet la brochure de M.E. Agnel,Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Paris,1858. Dumoulin.) En cas pareil, les formalités judiciaires du tempsétaient scrupuleusement suivies, et, comme il était d'usage de pendreles condamnés vêtus de leurs habits, on habillait les animaux que l'onmenait au gibet. «En 1386, une sentence du juge de Falaise condamna unetruie à être pendue pour avoir tué un enfant. Cette truie fut exécutéesur la place de la ville, en habit d'homme...579»
En 1314580, un taureau qui avait tué un homme fut jugé et pendu auxfourches patibulaires de Moisy-le-Temple. Il y eut appel de la sentence.Le jugement fut trouvé équitable; mais il fut décidé que le comte deValois n'avait aucun droit de justice sur le territoire de Moisy, et queles officiers n'auraient pas dû y instrumenter581.
FRISE, s. f. Ornement courant, remplissant une assise horizontale sousun bandeau, sous une corniche. Dans l'architecture romaine, on entendparfrise l'assise unie ou décorée qui se trouve comprise entrel'architrave et la corniche. L'architecture du moyen âge, n'employantplus l'entablement des ordres antiques, ne possède pas, à proprementparler, de frises. Toutefois on donne le nom defrises, dansl'architecture romane ou l'architecture gothique, à des bandeaux,lorsque ceux-ci sont décorés de sculptures (voy. BANDEAU, CORNICHE,SCULPTURE).
FÛT, s. m. Partie de la colonne comprise entre la base et le chapiteau(voy. COLONNE, COLONNETTE, CONSTRUCTION).
FIN DU TOME CINQUIÈME.
Dais Dallage ![]() Dalles Damier Dauphin Décoration Délit Dent-de-scie | Devis Diable Dieu Dôme Donjon Dormant Dortoir Dosseret Douelle |
FIN DE LA TABLE PROVISOIRE DU TOME CINQUIÈME.
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