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The Project Gutenberg eBook ofL'art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou

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Title: L'art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou

Author: Emile Marco de Saint-Hilaire

Release date: August 30, 2008 [eBook #26488]
Most recently updated: January 4, 2021

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Hélène de Mink and the Online
Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ART DE PAYER SES DETTES ET DE SATISFAIRE SES CRÉANCIERS SANS DÉBOURSER UN SOU ***

Notes au lecteur de ce fichier électronique:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographed'origine a été conservée.
Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris dans ce livre électronique.
La Table des Matières simplifiée au début de ce livre a été ajoutée.

(p. 001)

L'ART

DE

PAYER SES DETTES

ET

DE SATISFAIRE SES CRÉANCIERS,

SANS DÉBOURSER UN SOU.

(p. 002)

IMPRIMERIE DE H. BALZAC,
RUE DES MARAIS S.-G., N 17.(p. 003)

L'ART

DE

PAYER SES DETTES

ET

DE SATISFAIRE SES CRÉANCIERS,

SANS DÉBOURSER UN SOU;

ENSEIGNÉ

EN DIX LEÇONS.

OU

Manuel du Droit Commercial,

A L'USAGE DES GENS RUINÉS, DES SOLLICITEURS, DES SURNUMÉRAIRES,
DES EMPLOYÉS RÉFORMÉS ET DE TOUS LES CONSOMMATEURS SANS ARGENT.

Par FEU MON ONCLE,

Professeur Émérite.

PRÉCÉDÉ D'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR ET ORNÉ
DE SON PORTRAIT.

LE TOUT PUBLIÉ

PAR SON NEVEU,

AUTEUR DE L'ART DE METTRE SA CRAVATE.

«Plus on doit, plus on a de crédit.»
Pens. inéd. du Professeur.

A Paris,

A LA LIBRAIRIE UNIVERSELLE,

RUE VIVIENNE, N. 2 BIS, AU COIN DU PASSAGE COLBERT.


1827.

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS
NOTICE BIOGRAPHIQUE DE MON ONCLE
APHORISMES,
PREMIÈRE LEÇON.
DEUXIÈME LEÇON.
TROISIÈME LEÇON.
QUATRIÈME LEÇON.
CINQUIÈME LEÇON.
SIXIÈME LEÇON.
SEPTIÈME LEÇON.
HUITIÈME LEÇON.
NEUVIÈME LEÇON.
DIXIÈME ET DERNIÈRE LEÇON.
CONCLUSION.
TABLE

AVANT-PROPOS (p. 005)

De l'Éditeur.

L'auteur del'Art de mettre sa cravate lance dans le monde unouvrage qui, bien qu'il ne soit pas de lui, va trouver bien desdétracteurs, et lui attirer peut-être bien des persécutions.Comment! vont s'écrier une foule d'esprits étroits,ce baron del'Empésé prétend ériger en science l'art affreux de donner à uncréancier honnête de belles paroles pour de l'argent comptant? Maisc'est une infamie, une abomination! Il faut pendre un homme commecelui-là!...

Déjà d'inquiètes clameurs s'échappent des comptoirs de tous lesnégocians, fabricans, marchands et débitans; car il y en aquelques-uns qui ne voient pas(p. 006)plus loin que leur patente,et quelques autres dont la philosophie n'a guère plus de longueur quele parquet de leur établissement.

A la seule annonce de ce livre la peur va gagner le propriétaire, lerestaurateur, le limonadier, le tailleur, la lingère, le bottier, lechapelier, le bonnetier, le marchand de vin, le boulanger, le boucher,l'épicier, etc., etc., et jusqu'au libraire même; tous les petitsmémoires qui dormaient d'un profond sommeil vont aller éveiller ensursaut le modeste employé, l'inutile fashionable, l'artisan laborieuxet l'égoïste rentier.

C'est un malheur; mais comme l'ont dit de grands écrivains du XIXesiècle:Le foyer des lumières s'étend de jour en jour[1].... Le genrehumain est en marche[2].... La nation française ne(p. 007)peutrétrograder[3]... Les uns ont trop, les autres n'ont pas assez[4],etc., etc. Mettez-vous bien dans la tête que tant que l'on ne raisonnera que sur desspécialités pareilles,bêtises; il faut embrasser les grands intérêts sociaux et raisonnersur lesgénéralités: le reste marchera tout seul, et ceci ne sera uncontre-sens que pour l'épicier!... Mais qu'est-ce qu'un individu encomparaison de la masse?

Il est reconnu qu'il existe en France, et principalement à Paris, unequantité innombrable d'individus à qui la société ne doit rien, parcequ'ils ne font rien pour elle, et qui ne s'imaginent pas moins avoirle droit de frapper des réquisitions de toute nature, par cette seuleraison que «il est évident queles uns(p. 008)ont trop et queles autres n'ont pas assez[5]

Or, quels sont les individus dont je veux parler? des hommes qui seclassent bénévolement dans la catégoriedes autres, en n'ayant pourtoute industrie que celle d'exploiter, pour ainsi dire de force, lacatégorie dont se composentles uns. Je dois donc prévenir lelecteur que cet ouvrage n'a été écrit ni pour eux, ni pour

«Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de nos lois les ordres légitimes,
Et qui, désespérant de les plus éviter,
Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister.»

En un mot, pour ces êtres paresseux, improductifs et déhontés qui,pour la plupart gens de sac et de cordes, ne méritent que le mépris etl'abandon, allant partout étaler aux yeux d'un public généreux(p. 009)brevetd'incapacité, et ne se bornent qu'au triste rôle deconsommateur à charge!....

Je le répète, ce n'est pas pour cette engence que cet ouvrage a étépublié, mais bien pour cette classe d'infortunés, déshérités de leurpart de la fortune nationale par une force majeure et indépendante deleur volonté; individus estimables sous tous les rapports, possédanttoutes les qualités physiques et morales, tous les talens qui font lecharme de la société, hommes éminemmentproducteurs, en un mot,hommes industriels, mais qui n'ayant pas une obole de revenu annuel,sont bien forcés de faire des dettes pour vivre honorablement. Hommesrangés et ayant des principes, ils n'en veulent pas moins satisfaireleurs créanciers d'une manière ou d'une autre, et pour cela ils sontobligés d'avoir recours à des moyens inventifs, à des(p. 010)efforts d'imagination qui laissent bien loin derrière eux lestravaux, les découvertes et les opérations de toutes les classesréunies de l'Institut de France...

O vous!producteurs etconsommateurs de toutes classes sansargent; vous qui aviez une place et qui n'en avez plus; vous qui encherchez une et qui ne l'obtiendrez pas; vous qui en avez une qui n'enest pas une; vous qui écrivez dans les journaux libéraux; vous quifaites des brochures politiques et des petits livres in-32; vous quicommencez des maisons sans savoir comment vous les finirez; vous quifaites les beaux bras et des dettes à Paris, vous enfin qui faitestout comme a fait l'auteur de cet ouvrage, que de titres neréunissez-vous pas pour qu'il vous offre le fruit de ses veilles et deses méditations!

Par le temps qui court je vous vois exposé à aller à Sainte-Pélagiepasser un,(p. 011)deux, trois et quatre termes, ou mieux encore,faire un bail de cinq ans!....... Ayez donc constamment sur vous cepetit Manuel du Droit commercial; avec un tel guide vous pourreznarguer les mandats d'arrêts, les mandats de dépôts, les mandatsd'amener, les mandats que vous aurez souscrits au profit d'un tiersporteur, etc., etc., etc., voyager hardiment, tout seul et à la barbedes créanciers, dans les nombreux et brillans passages dont lacapitale abonde.

Tandis que vous êtes encore libres, achetez l'ouvrage de l'oncle de M.le baron de l'Empésé, lisez-le, méditez-le, raisonnez-le, apprenez-lepar cœur, afin de perfectionner votre éducation, si déjà elle estachevée: la pratique est jointe à la théorie.

L'Éditeur.

(p. 012)

NOTICE BIOGRAPHIQUE(p. 013)

SUR

Mon Oncle.

L'homme vraiment étonnant dont je vais entretenir un instant meslecteurs, mon oncle enfin, fut un de ces individus privilégiés de lanature, et pour lesquels la fortune se plaît à opérer des miracles.

Dès l'âge le plus tendre il sut se mettre au-dessus de ces préjugésimpérieux qui gouvernent la société et qui ne sont, philosophiquementparlant, quede grandes infirmités morales, en vivantde fait surle pied d'un homme qui a 50,000 livres de rentes, bien qu'il n'eûtjamais possédéde droit un sou de revenu.

Après avoir usé pendant soixante années consécutives de toutes lesjouissances qu'il soit permis à l'homme de désirer et d'user, il fitune fin digne de lui en rendant le dernier soupir chez un restaurateurfameux, qui souvent avait été à même d'apprécier ses brillantesqualités et la puissance de son génie.(p. 014)

Mon oncle naquit à Saint-Germain-en-Laye le 1er avril 1761. Je neparlerai pas des premières années de son enfance qui s'écoulèrentpaisiblement comme celles de tous les enfans gâtés par leur mère. Magrand'maman désirait depuis long-temps un gage de tendresse de mongrand-père; elle venait de l'obtenir après dix années d'union, et mononcle en était le premier fruit (mon père ne vint au monde que dixautres années après). Mon grand-père, aussi aveuglé par sa tendressepour son fils que l'était sa femme, ne sut pas distinguer toutes lespassions qui viendraient un jour assaillir le cœur deson trésor,et quoique ce fût un homme d'esprit, il ne sut pas donner à sonéducation la marche qu'elle semblait nécessiter.

Absent pendant neuf mois de l'année qu'il passait à son régiment deRoyal-Cravate, où il avait obtenu le grade de major, il ne pouvaitguère surveiller son fils, et était obligé de s'en rapporter à lasagesse de sa femme. Doué de toutes les dispositions nécessaires pourfaire parler de lui un jour, le trésor de ma grand'maman avait aussitous les petits défauts voulus pour en faire parler dans un genreopposé.

On lui avait donné des maîtres qu'il n'écoutait pas; il dansait avecson maître de latin, tirait des pétards au nez du maître de danse,mettait des bouts de bougie dans les poches du maître de(p. 015)dessinet des bouchons dans la flûte de son maître de musique.Dans les courts voyages que mon grand-père faisait à St.-Germain, mononcle prenait son épée qu'il mettait à la place de la broche après yavoir passé son plumet en guise de rôti; il arrachait les poils duchat et faisait des moustaches au serin avec de l'encre. Magrand'maman trouvait cela charmant; mon grand-père ne pouvaits'empêcher de rire en traitant toutes ses espiégleries de bagatelles,et disant que l'âge le corrigerait plus tard. L'âge vint et mon onclene se corrigea pas. Enfin, les choses devinrent telles, que personnene pouvant plus tenir dans la maison, on prit le parti de sedébarrasser dutrésor. Mon oncle avait alors 10 ans.

Il entra au collégeLouis-le-Grand à Paris, où, pendant les quatrepremières années, il fit des progrès sensibles et mit à profit lesprécieux avantages qu'il avait reçus de la nature. S'il n'était pas leplus fort de sa classe en version, il était le plus fort à la balle;il se battait régulièrement deux fois par jours, se faisait mettre aupain sec cinq fois par semaine, recevait vingt-cinq férules à la findu mois, et remportait deux prix et une demi-douzaine d'accessit àla fin de l'année; ma grand'maman était enchantée.

Au mois d'août 1777, mon grand-père étant à St.-Germain, vint à Parisavec l'intention d'emmener(p. 016)son fils passer une partie desvacances avec lui à son régiment. Il arrive au collége, se faisant unefête de le voir; il le demande........ Le visage du principals'allonge......., sa physionomie se rembrunit....., il balbutie......,enfin mon grand-père apprend que depuis quinze jours son cher fils adisparu ainsi que la fille de la blanchisseuse de la lingerie, etqu'on ne sait où ils sont allés. Mon oncle venait d'atteindre saseizième année.

Mon grand-père se garde bien d'apprendre à sa femme cette escapade. Ilalla trouver M. de Sartines qui lui dit de revenir le soir. Pendant cetemps mon oncle fut déniché avec sa petite blanchisseuse dans uncabinet garni de la rue Fromenteau où il s'était réfugié. Son père leramena à St.-Germain, sans lui faire aucun reproche; et, dès cemoment, il fut convenu qu'étant assez avancé dans ses études pourpouvoir se passer du collége, il les terminerait dans la maisonpaternelle.

Le cours d'études que mon oncle entreprit était assez agréable. Tousles matins il jouait à la paume ou au billard, allait le soir au bal,y faisait de nombreuses connaissances qu'il amenait chez sa mère boirele meilleur vin de son père, crevait des chevaux, brisait les voituresde ceux qui voulaient bien lui en prêter, et devait à tout le monde.

Dans la belle saison il allait à la campagne, tirait sur les chiens etmême quelquefois sur les gardes(p. 017)de chasse après avoir faitdes enfans à leurs femmes, tuait tout le gibier et empruntait del'argent à tous les propriétaires des environs. L'hiver, il avait unduel par semaine et une prise de corps tous les mois.

Ce fut alors que mon grand-père résolut de le faire voyager pourtâcher de calmer une tête qui, disait-il, n'avait besoin que deréfléchir. Or, les voyages prêtant beaucoup à la réflexion, mon onclefut envoyé aux Eaux de Bagnères qui étaient alors le rendez-vous detout ce qu'il y avait de plus distingué.

Là, il devint l'ordonnateur de toutes les fêtes, l'âme de tous lesplaisirs. Ceux qui y étaient à cette époque (1784) se rappellerontencore la salle de spectacle qu'il construisit en deux heures de tempsà Lourdes, où était arrivée, depuis quelques jours, une troupe decomédiens de province dans l'intention de continuer leur route pour laCapitale, au moyen de quelques recettes qu'ils comptaient prélever surles rustiques habitans, en les gratifiant de deux on trois de leursreprésentations.

A défaut d'autre local pour y établir son théâtre, mon oncle avaitjeté son dévolu sur le vaste hangard d'un sellier qui permit qu'on endisposât, mais à condition de ne point faire déménager ses voitures.Il trouva le moyen de tout concilier: il fit démonter les caisses dedessus leurs trains, les fit ranger en demi-cercle(p. 018)les unesà côté des autres, et composa de cette manière un rang de loges d'ungenre tout-à-fait nouveau. Un grand carrosse à portières ouvertes quiavait appartenu autrefois à l'archevêque de Toulouse formait la loged'honneur, et deux belles diligences, aux extrémités de l'orchestre,figuraient les loges d'avant-scène. Un second rang de loges de la mêmeespèce s'élevait sur leurs trains, et toutes les selles, disposées surde longues perches perpendiculaires au théâtre, composaient unparterre où les spectateurs étaient à califourchon. Jamais spectacleplus grotesque n'excita des ris plus immodérés.

Mon oncle revint l'année suivante à Saint-Germain avec un sensiblechangement opéré dans toute sa personne. S'il avait gagné d'un côté,il avait perdu de l'autre; car il rapporta de ce voyage un goûtprononcé pour le jeu auquel il se livra d'une manière telle, que mongrand-père aliéna sa petite fortune pour acquitter les dettesnombreuses que son fils contracta.

Ce fut à cette époque (1787) que mon oncle perdit son père. Il mourutdes suites d'une chute de cheval: ma grand'maman suivit de près sonmari. Mon père, quoique plus jeune de 10 ans que son frère, maisbeaucoup plus sage, fut chargé par le conseil de famille d'arrangerles affaires de la succession, bien qu'il ne fût pas majeur. Mesgrands parens ne laissèrent que très-peu de chose à leurs(p. 019)enfans,et quoique mon oncle eût déjà reçu six fois la valeur dece qui pouvait lui revenir, mon père n'en partagea pas moins avec luiles 12,000 fr., montant de la succession.

La révolution venait d'éclater, et mon oncle qui s'était déjà faitremarquer par la violence de ses opinions monarchiques, crut devoirs'expatrier dans un moment où tout ce qui était considéré commeappartenant auparti de la cour, avait à craindre pour sa vie. Uneraison qui n'était pas moins forte encore, c'est qu'il ne lui restaitplus rien, et qu'étant habitué à vivre grandement, ayant usé soncrédit, il n'aurait pu trouver un sou à emprunter.

Il prit le parti de retourner aux Eaux, où il espérait mettre enpratique les nombreuses ressources que le jeu pouvait lui offrir. Ilquitta donc Paris au mois de mai 1789, et arriva à Bagnères, où il sefit modestement passer pour un jeune banquier de Hambourg, bien qu'iln'eût jamais trouvé un écu sur sa signature; mais personne neparaissait s'entendre mieux que lui aux grandes spéculationscommerciales; à l'entendre il était en relation avec toutes les placesde l'Europe, ayant sans cesse à la bouche le nom des plus fameuxnégocians. C'était toujours sans affectation qu'il parlait desopérations immenses qu'il avait faites aux dernières foires deFrancfort et de Leipsick, et la seule chose qu'on ne pouvait concevoiraprès l'avoir bien écouté, c'était(p. 020)qu'aucun souverain del'Europe ne lui ait encore confié l'administration de ses finances, etqu'il vînt perdre aux Eaux un temps qu'il aurait pu employer siutilement à la prospérité de ses concitoyens.

Une autre fois, il trouva le moyen de persuader à un prince russequ'il possédait, dans une de ses terres en Sibérie, des carrières demarbres dont l'exploitation devait rapporter plusieurs millions. Ilspassèrent ensemble un marché que mon oncle céda peu de temps aprèspour la somme de cinquante mille écus, à un négociant de Florence,lequel se transporta en Russie, et dépensa six cent mille francs àfouiller une prétendue carrière, dont il ne retira même pas de quoifaire un dessus de table de nuit.

En 1796, mon oncle revint à Paris où il se lança dans les affaires. Ilobtint un emploi dans les fournitures de l'armée d'Italie, et en 1799,il était un des munitionnaires généraux de l'année de Pichegru enHollande.

Dans l'espace de huit ans, il fit, perdit, refit et mangea quatre foissa fortune; enfin, un jour il avoua à mon père qu'il ne possédait pas,pour le moment, un louis, tout en lui proposant d'en parier mille,qu'il reviendrait de Spa, où il comptait aller passer la saison desEaux, avec cinquante mille francs dans son portefeuille; mon pèreaurait perdu son pari, et mon oncle l'aurait gagné.(p. 021)

Pendant quinze ans, mon oncle n'eut d'autre existence que celle qu'iltirait de son talent au billard, au piquet, et à d'autres jeux qu'iln'exerçait jamais qu'au rendez-vous des Eaux les plus fréquentées, ouà Paris, au pavillon d'Hanovre et dans d'autres établissemens de cegenre. Son bonheur était si constant qu'on était tenté quelquefois decroire qu'il y entrait beaucoup d'adresse; mais la preuve de sa bonnefoi était à la pointe d'une épée où dans le canon d'un pistolet, etmon oncle l'avait tant de fois administré avec succès qu'il avait finipar convaincre tout le monde sans persuader personne.

Cependant le moment était arrivé où il allait voir s'évanouir le rêvede bonheur qui durait depuis plus de quarante ans. C'était en 1821, ilétait revenu des Eaux de Plombières où il avait passé la saisonprécédente, et cette fois il en était revenu sans un sou vaillant.Forcé de se loger dans un petit hôtel garni de la rueSaint-Nicolasd'Antin, il avait voulu recommencer le genre d'industrie qu'il avaitsi bien exploité à Paris, et ailleurs. Mais hélas! il n'avait plus aubillard cette justesse de coup d'œil, qui ne lui avait jamais faitmanquer au bloc, même unebille de longueur; à l'écarté il neretournait plus le roi aussi souvent; à l'impérial ses adversairesdonnaient mieux que lui, et au piquet les mains lui tremblaientlorsqu'il fallaitbattre les cartes. Si l'étoile de mon oncle(p. 022)avaitcommencé à pâlir à Plombières, elle s'était totalementéclipsée à Paris.

Il me serait impossible de peindre le profond chagrin qui s'emparatout à coup de l'homme qui avait toujours vu en riant les événemensles plus tristes de la vie. A la suite d'une partie d'écarté où ilavait perdu tout; ayant étépiqué sur quatre trois fois de suite, lafièvre s'empara de sa personne le lendemain matin, et le maître del'hôtel s'empara de sa malle qui contenait tout ce qu'il possédait enlinge et vêtement, et jusqu'à une magnifique queue de billard qu'ilavait gagnée à un fameux ébéniste de la capitale, comme pour avoirentre les mains une hypothèque de ce qui lui était dû, tant enlogement qu'en nourriture.

Mon oncle ne put supporter ce dernier coup, et dès ce moment samaladie qui n'était autre chez lui qu'un épuisement total de lamachine humaine tant au physique qu'au moral, empira d'une manièrevraiment alarmante pour lui et ses créanciers. Ayant épuisé touteespèce de ressources, il se fit conduire bravement en fiacre àl'hospice de la Charité où il prétendit devoir être traité d'unemanière privilégiée, attendu que le huitième de tout ce qui se perdaitau jeu devant retourner aux hospices, ainsi que le cinquième du prixde tous les billets pris au spectacle, depuis quarante ans il avaitbien payé sa place à l'hôpital, et que ce n'était qu'unrendu pourunprêté.(p. 023)

Il y entra, en effet, le 3 janvier 1822, ses poches pleines depatience et de philosophie; quant à son amour-propre, il le déposaprudemment à la porte, au risque de ne le plus retrouver en sortant.Pendant un an que dura sa maladie, je lui prodiguai toutes lesconsolations et tous les adoucissemens qui furent en mon pouvoir.J'allais le voir souvent, et les jours où je ne pouvais absolument medéranger de mes occupations, il passait son temps à m'écrire, et (medisait-il)à mettre en ordre ses écritures, sentant bien qu'il étaitarrivé au bout de sa carrière. Je me réserve de publier un jour cettecorrespondance qui ne sera pas moins piquante qu'instructive à causede l'originalité, et des observations de tous genres dont elle estfarcie.

Ce fut àla Charité que mon oncle composa le savant traité que jedonne aujourd'hui au public.

Sur la fin de cette année (commencement de décembre) étant en état desortir, il quitta son hospice pour venir partager avec moi matrès-modeste demeure. Là, il se livra tout entier à cette tristepensée, qu'il allait être incessamment forcé de faire une banqueroutedéfinitive à ce bas-monde et à ses créanciers. Au fait mon onclepouvait-il se faire un scrupule de la dépense d'une cinquantaine demille francs (plus ou moins)[6]qu'il avait prélevés(p. 024)chaqueannée sur ses concitoyens? Non sans doute, aussi vit-il approcher sanseffroi le moment fatal. Mais comme il voulait mourir tranquillement,et la conscience pure, il employa les derniers jours de sa viecosmopolite, à rechercher ses nombreux créanciers, son intention étantde leur déclarer lui-même sa pénible faillite. Ils étaient au nombrede deux cent vingt-deux. Il les convoqua définitivement pour le 19mai, et le rendez-vous fut indiqué chez Gillet, restaurateur, à laporte Maillot, dans le salon de quatre cents couverts. La plupartignoraient ce que mon oncle leur voulait; mais telle avait toujoursété leur estime et leur admiration pour le génie inventif dont il leuravait si souvent donné des preuves palpables aux jours de sa brillantefortune, qu'aucun d'eux ne manqua au rendez-vous.

Mon respectable oncle se fit conduire en fiacre, car n'ayant pas mêmela force de marcher, il lui aurait été de toute impossibilité de fairecette course. Arrivé au lieu de la séance, il fit préparer une espèced'estrade avec une bergère, dans laquelle il devait s'asseoir pourharanguer son monde, puis un premier rang de chaises tout autour, etun second rang placé sur les tables qu'il avait fait disposer à ceteffet, se rappelant sans doute la salle de spectacle qu'il avaitimprovisée à Bagnères, il y avait quarante ans: et lorsque tous cescréanciers furent réunis et(p. 025)placés il s'assit au milieud'eux, avec calme et dignité, puis commençant par s'excuser sur lafaiblesse de sa voix, qui depuis sa sortie de l'hôpital ne luipermettait guère de se faire entendre très-distinctement, et s'êtrerecueilli comme pour rappeler à sa mémoire de vieux et importanssouvenirs, il leur tint à peu près ce discours:

«Messieurs,.....

(Grand mouvement d'attention suivi d'un profond silence.)

«Le grand livre de la vie va se fermer pour moi: Voilà tout à l'heuresoixante et un ans que mon compte y est ouvert. Il n'appartient ni àvous ni à moi de faire la balance de celui-ci, ce soin n'est réservéqu'à Dieu seul, qui a tenu jusqu'à ce jour le livre journal de toutesmes pensées et actions: (Un vieil usurier fait ici un signe decroix.) Je le vois déjà prêt à entreprendre les terribles additionsde cet immense compte courant, et je tremblerais d'apprendre decombien elles me constitueront son débiteur, si son crédit comme sabonté n'étaient infinis.»

A ce touchant exorde les mouchoirs des deux cent vingt-deux créanciersde mon oncle sortirent de leurs poches et se portèrent à leurs yeux oùsemblaient rouler quelques larmes d'attendrissement. Mon oncle respiraune prise de tabac et continua.

«S'il ne m'est point donné de compter avec le(p. 026)Créateur, ilm'a du moins laissé la force et le courage nécessaire pour réglerdéfinitivement avec chacun de vous avant ma mort; car je le sens monheure dernière a sonné (quelques sanglots se font entendre). Voicimon journal, mon grand-livre, mon carnet d'échéances, mon répertoireétabli par ordre alphabétique; ils sont visés, cotés et paraphés selonl'usage établi chez un homme qui, ne faisant que des affaires enrègle, doit se rendre compte, depuis le premier jour de sa gestionjusqu'au dernier, de ses moindres opérations.»

Tous les yeux des créanciers se fixent alors sur un amas de paperassesque mon oncle se serait bien gardé de leur montrer de près.

«Chacun de vous y trouvera couché le solde de ce qui lui revient entotalité, intérêt et capital réunis (ici nouvelles larmesd'attendrissement.) Mais, Messieurs, vous auriez tort de penser que,comme dans les balances ordinaires des négocians patentés, il setrouve ici unactif et unpassif (grand mouvement d'attention).Non, Messieurs, non. Je n'ai à vous présenter que dupassif(mouvement en sens divers).

»Cependant ne craignez pas de recevoir ni 10 p. 100; ni 20 p. 100; nimême 40 p. 100 de ce qui vous est si légitimement dû (l'attentionredouble). Je suis incapable d'une telle bassesse, cela serait unevéritable friponnerie; et j'aimerais mieux ne vous(p. 027)riendonner, aussi est-ce ce que j'ai résolu, et vous ne recevrez pas unsou.»

(Ébahissement général suivi d'un murmure improbateur.)

Quelques voix:Écoutez! écoutez!

Ici mon oncle se mouche, boit une gorgée d'eau sucrée, et reprendaussitôt avec calme et confiance:

«Oui, Messieurs, écoutez!..... Mon père en mourant ne me laissa pourtoute fortune que quelques brochures manuscrites indiquant un grandnombre d'améliorations à faire dans le système financier établi enFrance.....; pouvaient-elles me faire vivre, je vous le demande?

(Approbation au centre, un marchand de comestibles:C'est trèsjuste.)

»Je conçus donc la grande pensée ducrédit, et j'ai découvert qu'ilne se fondait et ne s'établissait d'une manière solide que d'après lafidélité qu'on apportait à ne jamais payer ses dettes. (Oh! oh!) Jevous ai tous fait servir de preuve à cette importante découverte.(Agitation.) Si elle vous laissait le moindre doute à cet égard, jevous engagerais à jeter les yeux sur vos écritures, où je vous défiede trouver note le plus léger à compte de ma part.

(L'agitation redouble.) J'ignore encore si vous aurez dans la suiteà vous louer de ma découverte.

(Hésitation marquée.) Mais je me suis toujours fait un devoir,jusqu'aux derniers momens de mon(p. 028)existence politique etsociale, de manœuvrer mes emprunts quelquefois forcés, et ce, je necrains pas de l'avouer, de manière qu'au jour de mon décès, les sommesque j'ai perçues se trouvassent réparties sur un grand nombre detêtes, et toujours de préférence sur les plus riches.

(Approbation générale, à l'exception du vieil usurier.)

»Mais, Messieurs, qu'est-ce que cette perte, en comparaison de cellesque vous fera éprouver immanquablement le misérable système definance, qui vous a été dernièrement présenté. (Silence au centre,hilarité à gauche et à l'extrême droite), une véritable bagatelle encomparaison des immenses avantages dont le nouveau système de crédit,d'emprunt et d'amortissement que je viens de vous dévoiler, pourravous faire jouir à l'avenir. J'ai chargé mon neveu de le développer,de le rédiger et de le faire imprimer pour le bien commun de tous etcomme devant apporter à l'État une nouvelle source de prospéritédécouverte par mon exemple[7].

(Marques bruyantes d'improbation.)

»Hé! Messieurs, si je voulais m'étendre sur le bien que je vous aifait et que je suis encore à même de vous faire, il me serait facilede prouver que(p. 029)vous êtes encore mes débiteurs, mais jepréfère ne séparer de vous avec la consolante idée que nous sommesensemble parfaitement quittes.»

«Une voix:Celui-là est trop fort!»

«Je termine, Messieurs, veuillez me prêter pour cela toute votreattention. (Profond silence.) J'ai servi d'exemple au riche; j'aiaidé le pauvre; je n'ai fait, en quelque sorte, que déplacerquelques-uns de vos immenses capitaux pour les reporter vers despoints où ils trouvaient un bon emploi. J'ai commencé à opérer lenivellement des montagnes d'or que la fortune s'est plu à éleverautour de vous: elle était aveugle jusqu'alors, je l'ai, pour ainsidire, opérée de la cataracte, mes Mémoires feront le reste.....(Bourdonnement général.

Mon oncle, après ces mots, se laissa aller sur la bergère, accablé parles efforts qu'il venait de faire pour prouver à ses créanciers d'unemanière si non victorieuse, du moins positive, qu'ils devaient encores'estimer heureux qu'il ne leur dût pas davantage.

Il est vrai que la fin, si inattendue, de ce discours, produisit dansl'assemblée un mélange de sentimens opposés. Les uns voulaientl'étrangler, les autres n'étaient mus que par des sentimens d'extaseet d'admiration.

Peu à peu, cette masse de créanciers ne partagea plus que les mêmesidées de générosité, et chacun(p. 030)d'eux alla déposer au bas del'estrade, sur laquelle deux des demoiselles de salle de M. Gilletétaient occupées à faire revenir mon oncle de son évanouissement, lesbillets,lettres de changes,délégations,bons payables avecarrêtés de compte, etc., etc.; que ce digne citoyen avait souscritsà leur profit depuis plus de quarante ans.

Après qu'il eut repris ses sens, et qu'il eut aperçu le faisceau debillets et de papiers timbrés qu'on venait de déposer d'un communaccord à ses pieds, il ne put résister au saisissement que la joie deles revoir amassés lui causa tout-à-coup. Faisant un nouvel effort surlui-même, il souleva ce trophée de ses mains défaillantes, comme pourle montrer à l'univers, et rassemblant toutes ses forces, il s'écria:«Je ne vous demande plus qu'une seule chose en grâce!.. Messieurs,promettez-moi d'acheter mon ouvrage aussitôt qu'il sera imprimé.» Tousle lui jurèrent, et il rendit le dernier soupir dans mes bras.

La perte inattendue d'un homme de bien est un des plus tristesévénemens qui puisse affliger la société et ses créanciers lorsqu'ilen a. Celle de mon oncle fut principalement appréciée par un marbrierentrepreneur de monument funèbres. Aussi, avec une éloquence qui nepart que du cœur, s'empressa-t-il d'émettre un vœu, celui defaire une petite souscription pour lui élever un modeste tombeau etperpétuer ainsi le souvenir d'un homme(p. 031)de génie. L'un etl'autre furent à l'instant réalisés, et mon bien bon oncle fut enterréau cimetière du Mont-Parnasse, que pour ainsi dire il étrenna de sapersonne le 22 de mai 1823. Tous ses créanciers l'accompagnèrentjusqu'à sa dernière demeure.

Peu de jours après, une pierre tumulaire couvrit sa dépouillemortelle, sur laquelle on est tous les jours à même de lire cettesimple mais touchante inscription, inspirée autant par lareconnaissance que par une juste admiration, elle fut gravée encaractères lapidaires par la main même du vertueux marbrier:

CI-GÎT
L'INVENTEUR
DE
L'ART
DE PAYER SES DETTES
ET
DE SATISFAIRE SES CRÉANCIERS
SANS DÉBOURSER UN SOL.
22 MAI 1823.

REQUIESCAT IN PACE.

deco

(p. 032)

APHORISMES,(p. 033)

Axiomes et Pensées neuves

Dont on ne saurait trop se pénétrer avant que d'étudier les diversesthéories enseignées par mon Oncle.

I.

Plus on doit, plus on a de crédit; moins on a de créanciers, moins ona de ressources.

II.

Quiconque ne fait pas de crédit doit infailliblement fairebanqueroute, parce que plus on fait de crédit plus on débite, plus ondébite plus on fait d'affaires, plus on fait d'affaires plus on gagned'argent.

III.

Faire des dettes chez les gens qui n'ont pas assez, c'est accroître ledésordre, multiplier(p. 034)les infortunes. Devoir aux gens qui onttrop, c'est, au contraire, compenser les misères, et tendre aurétablissement de l'équilibre social.

IV.

Quiconque a des principes doit payer ses dettes lorsqu'il en a, soitd'une manière ou d'une autre, c'est-à-dire avec de l'argent ou sansargent.

V.

Un créancier mal élevé, féroce même, qui ne répond que des sottisesaux raisons que vous lui alléguez lorsqu'elles sont bonnes, tout en nelui donnant que cela, vous remet, sans s'en douter, une quittance enbonne forme de la somme dont vous pouvez lui être redevable.

VI.

Dans le meilleur des gouvernemens possible, une nation, quelque grandequ'elle soit, quelqu'unie qu'elle puisse être, se(p. 035)partagetoujours en deuxpartis opposés chacun.

Savoir:

1º Parti: Individuslésans. C'est le plus fort.

2º Parti: Individuslésés. C'est le plus nombreux.

Je laisse au lecteur le choix d'embrasser celui qui lui paraîtrapréférable, ne pouvant opter pour un parti neutre ou mixte (comme enpolitique), parce que, dans notre acception, il ne peut en exister.

VII.

La population d'un empire ou d'un royaume ne se compose également quede deux classes: celle desproducteurs et celle desconsommateurs.

Lesproducteurs ne sont autres que lescréanciers, lesconsommateurs sont lesdébiteurs.

Or, s'il n'y avait pas deconsommateurs, lesproducteursdeviendraient inutiles. Ce sont donc lesconsommateurs qui fontvivre(p. 036)lesproducteurs. Il en résulte qu'unproducteur(uncréancier) doit encore avoir obligation auconsommateur (ledébiteur) de ne pas lui payer ce qu'il lui doit, puisque si celui-cine lui devait rien, celui-là mourrait de faim.

VIII.

La splendeur d'un état étant toujours en proportion de la masse de sesdettes (voyez l'Angleterre) relativement aux individus, raisonnez paranalogie?

IX.

Si lapropriété n'existe que par le fait dupropriétaire,quiconque vient au monde a droit à une propriété quelconque.

X.

Il est évident que le monde ne se compose que de gens qui ont trop etde gens qui n'ont pas assez; c'est à vous de tâcher de rétablirl'équilibre en ce qui vous concerne.(p. 037)

XI.

Il vaut mieux devoir 100,000 fr. à-la-fois à une seule et mêmepersonne que 1,000 fr. à mille personnes à-la-fois.

XII.

Le nombre d'individus embarrassés parce qu'ils ont trop d'argent, dontils ne savent que faire, est égal au nombre d'individus embarrassésparce qu'ils ne savent que faire pour avoir un peu d'argent.

XIII.

Parmi ceux qui ont dû, il n'y a que ceux qui ont commencé de payer quel'on ait mis à Sainte-Pélagie; on se garderait bien d'y mettre celuiqui, devant depuis long-temps, n'a encore rien payé.

XIV.

Quiconque abon pied etbon œil ne peut être privé de saliberté que parce qu'il le veut bien.(p. 038)

XV.

Il n'existe au monde que deux fléaux, dont toutes les puissances de laterre ne sauraient vous garantir, ce sont la peste et les huissiers.

XVI.

Se donner la mort parce qu'on ne peut payer ses dettes, et qu'on en acependant l'intention, est, de tous les moyens à employer, le plussot. S'il est vrai qu'on se doive à ses créanciers, on doit vivre poureux, et non pas mourir.

XVII.

.....Ce qui est dans la poche des autres serait bien mieux dans lamienne! ....Ote-toi de là que je m'y mette!.... Tel est, en peu demots, le fond de la morale universelle.

PREMIÈRE LEÇON.(p. 039)

Des Dettes.

Impossibilité de n'avoir pas de dettes.—Qu'est-ce que l'on entendpar le motdettes.—Leurs diverses natures.—Leur nombre, leurqualification et leurs significations enseignées par mononcle.—Mont-de-Piété.

«Quel est l'heureux du siècle (disait habituellement mon oncle), qui,depuis trente ans, au travers et à la suite des assignats, desmandats, de la déroute politique et de la banqueroute (dont l'État adonné le premier l'exemple), des émigrations, des confiscations, desréquisitions, des appréhensions, des épurations et des invasions quiont renversé toutes les fortunes, a toujours pu dire:Je ne doisrien?....... Quelle nation, assise sur des monceaux d'or aujourd'hui,pourrait dire:Nous ne serons jamais débiteurs?..... Je l'ai(p. 040)ditet j'aurai souvent l'occasion de le répéter, la Franceelle-même, toute riche qu'elle est, ne se compose que de deux classes:celle desdébiteurs, et celle descréanciers, autrement dit desproducteurs et desconsommateurs.» Mais revenons au sujetprincipal qui doit m'occuper, en donnant d'une manière claire etprécise l'explication de ce qu'on entend pardettes, en examinant cemot dans toutes ses acceptions.

Ce terme, pris dans son véritable sens, signifie ce que l'on doit àquelqu'un. Néanmoins, on entend aussi quelquefois pardettes ce quinous est dû, c'est alors unecréance. Pour éviter cette confusion,on distingue une infinité de natures de dettes, et je donnerail'explication de leurs termes ci-après.

Tous ceux qui peuvent s'obliger peuvent contracter des dettes; d'où ilsuit que, par un argument en sens contraire, ceux qui ne peuvent pass'obliger valablement ne peuvent contracter des dettes. Ainsi lesmineurs non émancipés, les fils qui n'ont(p. 041)point atteint leurmajorité, les femmes en puissance de maris ne peuvent contracteraucunes dettes, sans l'autorisation de ceux sous la puissance desquelsils sont, c'est-à-dire de leurs curateurs ou tuteurs, de leurs pèresou de leurs maris.

On peut contracter des dettes verbalement et par toutes sortesd'actes, comme par billets ou obligations, sentence ou jugement.

Les causes pour lesquelles on peut contracter des dettes sont tous lesobjets pour lesquels on peut s'obliger, comme logement, nourriture,habillement, location, prêt, avances, etc., etc.

Notre jurisprudence reconnaît vingt-six natures de dettes qu'elle aqualifiées comme ci-dessous, et que mon oncle interprète ou expliquede cette manière.

Savoir:

Dette active. Elle est considérée, par rapport au créancier, oupour mieux dire c'est la créance elle-même. Ainsi la créance d'unrestaurateur chez lequel on mange depuis(p. 042)long-temps etauquel on doit, depuis lamême époque, doit être considérée commedette active.

Le terme dedette active doit être opposé à celui dedette passivequi est, à peu de chose près, la même, avec cette différence cependantqu'il faut entendre pardette active celle de la somme qu'on doitpour avoir mangé chez lui sans payer jusqu'au jour présent, et pardette passive l'argent qu'on lui devra par la suite, en continuant demanger chez lui de préférence et de ne le pas payer comme par lepassé.

Dette ancienne, en matières d'hypothèque, est celle qui précède lesautres. C'est de toutes les natures de dettes la plus difficile àcontracter, parce qu'elle est la première, mais c'est aussi cellequ'il est le plus aisé d'éteindre, par la raison qu'il existe huitmanières de l'amortir sans bourse délier, comme nous le prouveronsplus bas.

Dette annuelle, est celle qui se renouvelle chaque année comme unerente, une pension, un legs d'une somme payable(p. 043)chaqueannée, et que l'on ne paye pas au renouvellement de l'année ou l'annéeexpirée, promettant d'en payer le double l'année suivante, et toujoursde la même manière progressivement; c'est ce qu'on appelle en droitdebitum quot annis.

Dette caduque; est celle qui n'est de nulle valeur pour lecréancier et pour laquelle il n'a aucune espérance: il faut tâcher den'en avoir que de cette nature, et de préférence aux autres.

Dette claire, est celle dont l'objet est certain et qui signifie quele montant de la créance est fixe, connu et arrêté.

Par exemple devoir trois termes à son propriétaire est contracterenvers lui unedette claire. Si vous parvenez à lui devoir lequatrième, le propriétaire estclairement payé aux termes de la loi.

Dette conditionnelle. C'est celle qui est due sous condition. Parexemple:Je vous payerai si je reçois de l'argent; on n'a rien àtoucher, donc on n'a rien à payer. En terme de jurisprudence:Sinavis ex Asiâ(p. 044)venerit.Ce qui signifie:à l'arrivée du bateau à vapeur.

Dette confuse, est celle dont le droit réside en quelqu'un qui setrouve tout à-la-fois créancier et débiteur du même objet, et parconséquent débiteur et créancier du même individu, de façon que nil'un ni l'autre ne connaissant rien à cette nature de dette, si l'undes deux vient àembrouiller un peu les titres ou même les raisonssur lesquelles cette dette est basée, il opère l'amortissement.

Dette douteuse, est celle qui n'est pas positivementcaduque,mais dont le remboursement n'en est pas plus certain. C'est une espècede promessepériodique mixte de la part du débiteur.

Dette éteinte, est celle que l'on ne peut plus exiger, soit qu'elleait été amortie ou que l'on ne puisse plus intenter d'action pour lepaiement, c'est ce qu'on appelle en terme de jurisprudenceprescription.

10ºDette exigible, est celle dont on peut poursuivre le paiementdevant les tribunaux(p. 045)compétens, sans attendre aucun délai nil'événement d'aucune condition.

Les billets à ordre, les lettres de change, les délégations et touteespèce d'obligations souscrites par écrit, peuvent être classées dansla catégorie desdettes exigibles.

Quiconque contracte une dette diteexigible, bouleverse de fond encomble l'échafaudage sur lequel est basé son crédit.

11ºDette légale, est celle au remboursement de laquelle on estobligé, puis forcé par la loi. Le cas prévu dans la huitième manièred'acquitter ses dettes est à peu près la seule praticable pour opérerl'amortissement.

12ºDette légitime. Elle s'entend d'une dette qui a une cause juste etn'est point usuraire.

Par exemple j'emprunte un billet de mille francs à un intime ami queje ne connais que de la veille, sous promesse de le lui rendre lelendemain; il me le prête sansintérêt de sa part comme sans reçu dela mienne; je ne le lui rends pas, quoiqu'il me l'ait fait(p. 046)demanderplusieurs fois, quoique je n'aie contracté envers cetami qu'une dette légitime de reconnaissance, j'acquitte ma dette enreconnaissance, quoique cette monnaie n'ait point cours sur la place:il est bien forcé de s'en contenter.

13ºDette illégitime. Je n'en reconnais pas de réelle.

14ºDette liquide. C'est celle dont le prix de l'objet est fixéd'avance. Par exemple toutes les dettes de café sont desdettesliquides.

15ºDette non-liquide oudette solide, c'est celle dont l'objet n'estpoint fixé irrévocablement; par exemple vous avez l'intention departager une somme de 3,000 fr. entre trois créanciers, mais vousignorez à quelle somme nette se montera le mémoire de chacun d'eux, etvous êtes obligé, pour que ce partage se fasse proportionnellement,d'attendre qu'ils vous aient remis leurs factures. Eh bien, cettedette est unedette non-liquide. Les dettes contractées avec untailleur doivent toujours être classées(p. 047)dans cettecatégorie, parce que vous ne savez réellement ce que vous lui devezque souvent long-temps après qu'il vous a fait sa fourniture. Voilà ladette non-liquide ousolide proprement dite.

16ºDette litigieuse, est celle qui est sujette à contestation: unmarchand de drap vous vend de l'Elbeuf pour du Louviers, bien que vousne payez pas plus l'un que l'autre, ce n'en est pas moins une dettelitigieuse.

17ºDette personnelle Elles le sont toutes lorsqu'on peut les payeravec de l'argent. Sinon, il n'en existe pas une seule.

18ºDettes privilégiées sont celles que l'on doit payer de préférence,lorsqu'on en est réduit à cette extrémité.

19ºDette propre, est une dette particulière de 100,000 fr. au moinset de 2,000,000 au plus. Passé cette quotité, cette dette rentre dansle domaine desdettes nationales. Unedette propre comme unedette nationale n'engagent à rien le débiteur.

20ºDette pure et simple, c'est tout simplement(p. 048)acheter,prendre, louer, emprunter ou consommer sans payer. Cette nature dedettes est le véritable pont aux ânes.

21ºDette réelle. C'est celle qui n'a rien de simulé, une lettre dechange, par exemple.

22ºDettes sales. Ce sont les dettes de savetier. Cette dette, pourconserver sa qualification, ne doit jamais dépasser 2 fr. 25 c., prixd'une paire de becquais.

23ºDette simulée. Est celle que l'on contracte enapparence, maisqui cependant finit presque toujours par devenirréalité, comme, parexemple, de prêter sa signature à un ami, sous promesse de sa partqu'il fera les fonds à l'échéance.

24ºDette de société. C'est emprunter à son voisin, après avoir perduà l'écarté, 10, 15, 20 ou 25 napoléons pour continuer de jouer contrelui.

25ºDette surannée. C'est une dette contractée avant sa majorité. Onpeut ne les payer qu'après sa mort, si cela convient mieux.(p. 049)

26ºDettes usuraires. Est celle où le créancier a prêté son argent à48 pour %, ou tout autre taux plus fort que celui voulu par la loi.

Un homme qui a des principes ne peut décemment accepter un argentqu'on lui prêterait, sur sa signature, à plus de 48 pour % par an,par la raison que l'administration toute philantropique duMont-de-Piété, qui ne prête que sur un gage valant au moins cinq foisla valeur de ce qu'elle vous avance, se contente de moitié,c'est-à-dire 24 pour % par an; à la vérité tous frais compris, etsans avoir à craindre la prise de corps, ce qui n'est pas peu dechose. J'en parlerai dans ma neuvième leçon.

DEUXIÈME LEÇON.(p. 050)

De l'Amortissement.

Principe.—Vérité.—Préjugé.—Manières diverses de payer oud'éteindre les dettes de quelque nature qu'elles soient.—De laprescription.—Moyen légal enseigné par le Code.—Danger des àcomptes.—Lettre de Mon Oncle.—Mauvais effet des remboursemens enargent.—Satisfaction des créanciers.

En principe, vous devez tâcher de vous faire, de tous vos créanciers,des amis qui vous aiment véritablement, et vous le prouvent encontinuant de vous faire crédit. Faites en sorte qu'ils soient plusque tous autres intéressés à la conservation de vos jours, qu'ilss'inquiètent si vous avez un rhume, ne serait-il que de cerveau, etqu'ils tremblent s'il vous arrive une fluxion de poitrine.

Si par hasard vous vous avisiez de les(p. 051)payer, ou seulementde leur donner un à compte en argent, vous les désintéresseriezcomplètement, et vous les verriez changer leur tendre sollicitudecontre une profonde indifférence. S'il vous arrivait de leur faire unrèglement, un billet, un engagement quelconque, rencontrant un de vosintimes amis, ou se trouvant dans un endroit où il serait question devous, ils ne demanderaient pas seulement de vos nouvelles. L'argentque vous pourriez leur donner en fait tout à coup des êtres froids ouindifférens. Tout ce que je puis vous passer dans cette circonstance,c'est de leur promettre purement et simplement, sans désignation determe fixe; de cette manière vous entretiendrez chez eux cesaffections douces qui font le charme de la vie, et augmentent encorele crédit qu'on peut avoir.

Il est une vérité incontestable que mon oncle a omise dans ses penséesdétachées; c'est qu'il vaut mieux être sans le sou que sanscrédit.(p. 052)

Cependant il existe un préjugé fortement enraciné,c'est que tôt ou tard il faut finir par payer, voilà ce qui perd lesconsommateurs; car du moment où vous payez vous n'avez plus decrédit. Commencez donc par ne jamais payer, et finissez de même, vousm'en direz de bonnes nouvelles. Si à vingt ans vous jouissez d'uncrédit de 20,000 fr., et que vous suiviez toujours cette méthode, vousêtes sûr d'en avoir un de 100,000 fr., lorsque vous aurez atteintvotre quarantième année.

Quoi qu'il en soit, les dettes peuvent s'acquitter ou s'amortir dehuit manières différentes,

Savoir:

1º Par le paiement.

C'est sans contredit la façon la plus simple de les acquitter; mais ensuivant cette méthode, l'ouvrage de mon oncle devient inutile.

2º Par compensation d'une, ou plusieurs dettes, avec une, ou plusieursautres.(p. 053)

Cette espèce d'amortissement, assez avantageuse au débiteur quiraisonne, s'appelleembrouillage.

3º Par la remisevolontaire que fait le créancier.

Je ferai seulement observer que ce n'est presque jamaisvolontairement.

4º Par la confusion qui se fait des qualités decréancier avec cellededébiteur en une même personne.

Le temps et la patience sont les seules monnaies avec lesquelles cettenature de dette doive s'acquitter.

5º Par une consignation valable.

Même réflexion qu'à ma première manière.

6º Parune fin de non-recevoir ouprescription[8]. (p. 054)

Cette méthode est tellement excellente, que nous lui consacrerons plusbas quelques réflexions.

7º Par la décharge que le débiteur obtient en justice.

Mauvais moyens qu'on ne doit même jamais tenter, parce qu'en supposantque vous n'obteniez pas gain de cause, la justice s'institue votrecréancière, et vous êtes bien forcé d'en passer par où elle veut, ouà(p. 055)peu près, à moins cependant que les choses se passent enNormandie.

8º Enfin, par la mort du débiteur, toutefois après avoir été reconnuet déclaré insolvable, ou encore par celle du créancier, s'il nepossède aucun titre écrit.

Il est à remarquer que les sept-huitièmes de dettes contractéess'éteignent naturellement de cette manière, par la raison plusnaturelle encore que le débiteur ou le créancier s'éteignent à leurtour après un laps de temps voulu; cela dépend beaucoup de l'âge desuns, et de la patience des autres.

J'ai dit tout-à-l'heure que laprescription était un des moyenslégaux et les plus efficaces pour payer ses créanciers et s'acquitterenvers eux de toutes manièressans leur donner un sou. Cetteassertion est facile à prouver par l'article 2271 du Code civil, livreIII, titre 20, qui est la seule monnaie que vous puissiez leur offrir,et dont ils sont forcés de se contenter.

Ainsi, vous voulez vous loger, vous nourrir,(p. 056)vous instruire,et de plus, par une sollicitude toute philantropique, donner del'occupation aux artistes et aux gens de lettres qui n'en ont guèredans ce moment, le tout, je le répète,sans débourser un sou? Ehbien, ne vous en faites pas faute, le propriétaire, le restaurateur,l'instituteur, le peintre et le poëte se sont payés eux-mêmeslorsqu'ils ont attendu six mois.

Vous pouvez donc aller loger à l'hôtel Meurice, déjeûner et dîner tousles jours au Palais-Royal, chez Châtelin, apprendre l'anglais oul'allemand, faire faire votre portrait par Millet ou madameSalvator-Callaut, et adresser des vers à votre maîtresse parl'entremise d'un de nos premiers versificateurs, si vous ne savez pasles faire vous-mêmes; tout cela pour la somme de 2 fr. que coûtent lescinq Codes, que vous achèterez et payerez de la même manière aulibraire, afin d'y étudier et d'y approfondir, à votre aise, cesublime article 2271, qui est à lui tout seul une mine d'or, unevéritable source de prospérités.(p. 057)

J'ai dit, au commencement de cette leçon, qu'il fallait bien se garderde jamais donner le plus léger à compte à ses créanciers, sous peinede se voir retirer tout-à-coup son crédit; mon oncle prouve cetteassertion d'une manière si victorieuse, que je crois devoir, pour endonner un exemple frappant, le laisser parler lui-même.

«A mon retour des eaux de Plombière (m'écrivait-il), je vécus duranttoute une année chez un vertueux restaurateur du faubourgSaint-Germain, qui se contentait de porter tous mes repas en compte.Après plus de trois cent soixante-cinq jours d'assiduité, étant déjàson débiteur de près de 1,400 fr., je tombai malade tout-à-coup. Maiscombien fut grande mon émotion lorsque je vis cet honnête traiteurentrer chez moi le lendemain matin, accompagné de son médecin,avantageusement connu dans la capitale par les cures merveilleusesqu'il y avait opérées sans sangsues ni lavemens! Mon Amphytrion meserre affectueusement la main....... Une(p. 058)tendre inquiétudese peignait dans tous ses regards.

»Je me laisse tâter le pouls. Il demande à son esculape si ma maladiedevait être sérieuse, et, sur sa réponse négative, il eut beaucoup depeine à le tranquilliser. Pour m'acquitter envers le restaurateur,autant que je le pouvais, et toujours d'après la méthode dont j'aitâché de lui faire entrer les premiers principes dans la tête, jeconsentis à lui montrer ma langue qui, n'étant pas mauvaise, annonçaitun estomac sain.

»Le docteur ayant déclaré que la diette prolongerait ma faiblesse, etque j'avais, au contraire, besoin de suivre un régime réconfortant,quelle fut ma reconnaissance, lorsque le soir du même jour on vint meprésenter, de la part de mon sensible restaurateur, un bouillon, ouplutôt une quintessence de jus de viande; et pendant huit mortelsjours que dura ma maladie, il me destina tous les matins les prémicesde son vaste pot-au-feu; du moins, si j'en dois croire les yeux d'orqui se balançaient(p. 059)àsa surface. Il accompagnait cela d'unepaire de côtelettes panées, qui n'auraient pas été indignes d'unemâchoire éligible, et d'un flacon d'un bordeaux généreux.

»Ce régime me remit bientôt sur pieds: aussi ma reconnaissance meconduisit-elle d'abord au restaurant de mon second père nourricier,qui fut enchanté de me voir attablé. Là, et en sa présence, je fis lepremier essai de mes forces sur unfilet de chevreuil, sauté au vinde Madère, et je les éprouvai tout-à-fait sur unemoitié de poulet àla marengo; une bouteille deMercuray me donna du courage, entre lechester et le moka; ma victoire fut complète, et je la couronnai parun verre demaraskin.

»Si tu avais vu avec quelle satisfaction ce véritable ami admirait cesmouvemens répétés du poignet et du coude, comme il applaudissait àl'élasticité de la mâchoire inférieure, à cette longue haleine, gagede son unique sécurité....

»Dès ce moment mon crédit fut illimité,(p. 060)et monproducteuraux anges!.... Impossible d'être plus enchanté.»

Ce fragment de lettre de mon oncle prouve assez le résultat d'unedette constamment entretenue. Le plus léger à compte aurait tout gâté.

Mais s'il fallait enfin citer un exemple fameux du mauvais effet desremboursemens, je rappellerais ici le projet de loi que la chambre desdéputés avait adopté, et que la chambre des pairs, dans la hautesagesse dont elle a donné des preuves si éclatantes depuis, rejeta auxacclamations de toute la France. Elle n'ignorait pas combien lesremboursemens, de quelque nature qu'ils soient, sont désastreux.Rembourser un créancier, c'est en faire une statue, c'est paralysertous ces moyens, c'est tuer le commerce.

TROISIÈME LEÇON.(p. 061)

Des Créanciers.

Différentes sortes de Créanciers.—Tous ne se ressemblent pas.—A quiappartient-il de prendre le titre de créancier?—En vertu de quelsdroits?—Permission dont peuvent user les créanciers.—Ce qui leur estdéfendu.—Coutumes diverses.—Terre classique des créanciers.

Parmi les créanciers que l'on peut avoir, il s'en trouve toujoursquelques-uns, gens débonnaires et sensibles, qui finissent quelquefoispar s'attacher au débiteur qui ne les a jamais payés. On en a vudevenir son ami intime, s'affecter des embarras et des soucis où il levoyait plongé, et pleurer de tendresse aux témoignages dereconnaissance qu'il lui prodiguait. C'est un genre d'hommesexcellens. Une fois qu'ils vous ont pris en affection, il n'y a pasmoyen de(p. 062)vous en débarrasser; c'est un changement quis'opère dans le moral: ces sortes de créanciers, fort raresd'ailleurs, ont pris, de vous recevoir chez eux, ou d'aller vous voir,une telle habitude, qu'il manquerait quelque chose à leur bien être,s'ils restaient vingt-quatre heures sans pouvoir vous parler: votrefigure semble leur faire nécessité; mais ne vous y fiez pas, tous nesont pas de même, et, pour ma part, j'en connais bon nombre qui n'ontpas des idées toutes aussi philantropiques.

Avant tout, apprenez donc ce que c'est qu'un créancier proprement dit,et sachez, comme un naturaliste, distinguer les classes, les genres etles espèces.

On appellecréancier l'individu auquel il est dû quelque chose parun autre, comme une somme d'argent, une rente, des denrées, et engénéral, toutes pièces de fournitures que ce puisse être, à quelquetitre et pour quelque cause que ce soit. Cependant, pour pouvoir sedire véritablement créancier de quelqu'un, il faut que celui qu'on (p. 063)prétend être son débiteur, ait été réellement obligé, et ce,naturellement.

On devient créancier en vertu d'un contrat, d'un billet, d'unereconnaissance, d'un jugement, d'un délit, etc., etc.:Creditorumappellatione (dit la loi 11, ff.de vers. oblig.)non hi tantumaccipientur qui pecuniam crediderunt, sedamus quibus ex quâlibet causâdebetur.

Touscréanciers sontchirographaires[9],et les uns ou les autressontordinaires ouprivilégiés.

Uncréancier peut avoir plusieurs actions pour la même créance,savoir: une action personnelle contre l'obligé ou ses héritiers; uneaction réelle, s'il s'agit d'une créance foncière; une actionhypothécaire contre les tiers détenteurs d'héritage hypothéqué, à ladette.

Il est permis au créancier, pour se procurer son paiement, de cumulertoutes les poursuites qu'il a droit d'exercer, comme(p. 064)defaire des saisies-oppositions, etc., etc, pourvu qu'il s'agisse aumoins d'une somme de plus de 100 fr., et d'user aussi de la contraintepar corps si le titre de sa créance l'y autorise[10].

Mais il n'est point permis au créancier de se mettre de sa propreautorité en possession des biens, meubles ou immeubles, de sondébiteur; il faut qu'il les fasse saisir d'abord, puis vendre après,le toutpar autorité de justice. La raison en est que le créanciern'a aucun droit dans la chose qui appartient à son débiteur; il n'apas sur cette chose, ce que les jurisconsultes appellentjus in re,il n'a droit qu'à la chosejus ad rem; c'est-à-dire qu'il n'a que lapuissance de poursuivre son débiteur ou ses successeurs à le payer ouà lui restituer la dite chose.

On ne peut contraindre un créancier à morceler sa dette, c'est-à-direà recevoir(p. 065)une partie de ce qui lui est dû, ni de recevoiren paiement une chose pour une autre, ni d'accepter une délégation etde recevoir son paiement dans un autre lieu que celui où il doit êtrefait.

Lorsque plusieurs prêtent conjointement quelque chose, chacun d'euxn'est censé créancier que de sa part personnelle, à moins qu'on n'aitexpressément stipulé qu'ils seront tous créanciers solidaires, et quechacun d'eux pourra seul, pour tous les autres, exiger la totalité dela dette.

La qualité de créancier est un moyen de reproche contre la dépositiond'un témoin: ce serait aussi un moyen de récusation contre un arbitreet contre un juge.

Il faut encore remarquer ici quelques usages singuliers qui sepratiquaient autrefois par rapport au créancier.

A Bourges un créancier pouvait se saisir des effets de sa caution etles retenir pour gages sans la permission duprévôt ou duvoyer[11]. (p. 066)

Tous les bourgeois de Chartres jouissaient des mêmes priviléges.

En poursuivant le paiement de sa dette à Orléans, le créancier nepayait aucun droit, se considérant comme étranger.

En Normandie c'était tout le contraire; mais il était en quelque sorteplus difficile à la justice de se faire payer de ses droits par uncréancier que de faire payer un créancier par son débiteur. On sait ausurplus que de tout temps la Normandie a été la terre natale etclassique et des débiteurs et des créanciers.

QUATRIÈME LEÇON.(p. 067)

Des Débiteurs.

L'Alexandre des Débiteurs.—Qu'est-ce qu'un débiteur?—Droits etprérogatives accordés aux débiteurs.—Coutumes juives, indiennes,orientales et françaises.—Lois diverses concernant lesdébiteurs.—Usages reçus.

Mon oncle a été très-lié avec un débiteur célèbre que nous connaissonstous, qui a dû et doit encore plusieurs millions. C'est un de cesgaillards dont aucun créancier ne peut se vanter d'avoir su jamaistirer un sou; lui tout au contraire roule sur l'or et l'argent; il afait des fournitures aux divers gouvernemens de l'Europe, a avancé descapitaux aux monarques qui n'en avaient pas; car la classe deshonnêtes gens sans argent est immense, et dans ce dernier temps il agagné, dans une seule campagne, jusqu'à 1200 francs(p. 068)parheure. Il est malheureux pour lui que cet état de choses n'ait duréque trois mois.

Cet individu est parvenu à s'isoler tellement des lois et ordonnancesde commerce, qu'il est insaisissable dans sa personne comme dans sesécus. Il a à son service des mannequins et des hommes de paille, etn'a pris une femme que pour en faire un prête-nom. Faut-il recevoir,prendre, accaparer, soumissionner même? Le gouvernement le trouvetoujours sous sa main en chair et en os. Faut-il payer? Il n'est plusqu'une vapeur ou une chimère du genre de celles que poursuivent bonnombre de romantiques qui n'ont rien de commun avec ce type desdébiteurs.

Cependant il n'est pas sans avoir été visiter l'utile établissement sihonorablement mentionné dans ma dixième leçon; mais on a prétendu quec'était simplement pour la forme et pour prendre connaissance deslieux.

Malheureusement il n'existe que peu de débiteurs de cette trempe, ettous les malheureux(p. 069)consommateurs, pour lesquels j'écris,sont loin d'avoir les moyens nécessaires pour pouvoir opérer de même.

Or, il faut ici que j'explique ce que c'est qu'undébiteur, et quelssont les cas où l'on peut être considéré comme tel.

L'on appelle débiteur celui qui doit quelque chose à un autre.

Ledébiteur est appelé dans les lois romainesdebitor oureusdebendi,reus promittendi et quelquefoisreus simplement; mais ilfaut prendre garde que ce motreus, quand il est seul ou isolé,signifie quelquefois le coupable ou l'accusé, c'est-à-dire ledébiteur ou lecréancier.

L'Écriture défend aucréancier de vexer sondébiteur et del'opprimer soit par desusures, soit par demauvaises paroles[12].

Ce précepte a cependant été constamment mal pratiqué chez les nationstant anciennes que modernes; chez les Juifs par exemple lecréancierpouvait, faute(p. 070)de paiement, faire emprisonner sondébiteuret même faire vendre, lui, sa femme et ses enfans.

Le débiteur devenait en ce cas l'esclave de son créancier. En Turquieles choses étaient encore pires: un créancier musulman avait le droitde faire empaler son débiteur quoique musulman comme lui, après letemps de la promesse de paiement expiré; si le débiteur était ou Grec,ou Juif; Chrétien, catholique Romain; à plus fortes raisons, ilpouvait le faire empalersans savon, en ayant soin toutefois d'enfaire sa déclaration aux autorités compétentes[13].

La loi desdouze tables était encore plus sévère, car ellepermettait de déchirer en pièces lesdébiteurs, et d'en distribuerles membres aux créanciers, par forme de remboursement au marc lefranc. Mais s'il n'y avait qu'un créancier, il ne pouvait ôter la vieà son débiteur; il pouvait seulement le(p. 071)faire vendre auxenchères sur le marché public.

Dans l'Inde les créanciers n'étaient pas si mal élevés; ils secontentaient de coucher avec la femme ou une des filles de sondébiteur (à son choix); mais il ne pouvait le faire qu'une seulefois[14]. Un coup de tête de cette nature coûtait souvent fort cheraux créanciers amoureux. C'est sans doute de cet usage que nous estvenu le proverbe:se payer sur la bête.

Le pouvoir de rendre son débiteur insolvable, et celui de le reteniren servitude dans sa maison, fut ôté aux créanciers par le tribunPetilius, qui fit ordonner que le débiteur ne pourrait plus êtreadjugé comme esclave au créancier. Cette loi fut renouvelée etamplifiée 700 ans après, par l'empereur Dioclétien, qui prohibatotalement ce genre de servitude temporelle appeléenexus, et dontil est parlé dans la loiob æs(p. 072)alienum, codice deobligat. Les créanciers depuis l'an 428 de Rome ont seulement eu lafaculté de retenir leursdébiteurs dans une prison publique, jusqu'àce qu'ils eussent payé. Tout ceci vient à l'appui de l'assertion demon respectable oncle, qui prétendait que les créanciers étaient aussianciens que le monde, et que du moment où il y eut deux hommes sur laterre, l'un des deux devint nécessairement créancier de l'autre.

Jules César, touché de commisération pour les débiteurs malheureux,leur accorda le bénéfice de cession, afin qu'ils pussent se tirer decaptivité en abandonnant tous leurs biens, et qu'ils ne perdissent pastoute espérance de se rétablir à l'avenir. Ainsi la peine de mort etde servitude étant abolie, il ne resta plus contre le débiteur que lacontrainte par corps, et dieu sait si depuis, les créanciers de cetemps là, jusqu'aux créanciers de ce temps-ci, ces Messieurs ontlargement usé de la loi de Jules César, qui paraîtrait encore être envigueur aujourd'hui plus que jamais, et voilà comme(p. 073)lesbonnes institutions s'éteignent promptement, tandis que les mauvaisessemblent ressusciter.

Cependant chez les Gaulois, les gens du peuple qui ne pouvaient pointpayer leurs dettes se donnaient en servitude, c'est ce que les Latinsappelaientaddicti homines. Tandis qu'à Rome le débiteur qui setrouvait hors d'état de payer, obtenait facilement un délai de deuxans, et même jusqu'à un terme de cinq années. En France, suivantl'ordonnance de 1669, les juges, même souverains, ne pouvaient donnerni répit, ni délai de payer, si ce n'était en vertu de lettre du grandsceau, appeléeslettres de répit. A Rome encore, les qualités decréancier et de débiteur réunies dans une même personne, opéraient uneconfusion d'action qui amortissait la dette de quelque côté qu'elle setrouvât exister, ce que mon oncle définit si bien sous laqualificationd'embrouillage.

Enfin l'on trouve dans l'Histoire générale des voyages, quantitéd'usages singuliers(p. 074)sur la manière dont on traite lesdébiteurs dans plusieurs gouvernemens. On rapporte que dans la Corée,le créancier a droit de donner chaque jour quinze coups de bâton surles os des jambes du débiteur qui n'a pas payé à l'échéance, et queles parens sont tenus de payer les dettes de leurs alliés. En Franceles choses se passent à l'inverse, car il n'est pas rare de voir lescréanciers recevoir des coups de bâton de la part des débiteurs, etles parens renier les dettes, et par conséquent ne les pas payer, mêmede leurs plus proches alliés.

CINQUIÈME LEÇON.(p. 075)

Qualités nécessaires

au consommateur quel qu'il soit et sans argent, pour mettre a profitles préceptes enseignés par mon oncle, et s'acquitter avec sescréanciers.

Qualités physiques et morales.—Leur nombre et leur nature.—De lasanté et de l'aplomb.—Réflexions.—Exemples faciles à mettre enpratique.

Un consommateur sans argent, qui a des dettes et des sentimens, et,par-dessus tout cela, le vif désir de satisfaire ses créanciers, doit,avant tout, être richement doté par la nature, puisqu'il ne l'a pasété de même par la fortune.

Avant que de rien entreprendre, il devra se soumettre à un examensévère de toute sa personne. Cet examen devra rouler sur deux pointsprincipaux qui sont:

1º La connaissance parfaite de ses qualités physiques.(p. 076)

Idem de ses qualités morales.

Cet examen de la plus grande importance exigera, de sa part, la plussévère impartialité, car, s'il n'y prend garde, la moindre indulgencepourrait le conduire à de funestes conséquences, ou, qui pis serait,lui faire prendre la route de Sainte-Pélagie, où il irait tout à sonaise repasser ses premiers examens. Ainsi donc, qu'il ne se délivrepas trop légèrement un diplôme.

Je crois donc devoir lui indiquer, pour lesqualités physiques,dix-huit de ces mêmes qualités sur lesquelles il ne saurait trops'appesantir; et, pour lesqualités morales, huitseulement qu'ilne saurait jamais trop perfectionner, si déjà elles ne sont arrivéesau degré voulu.

Les qualités physiques se composent de

Savoir:

1. Une santé de fer, (c'est une des plus importantes, et j'en diraiquelques mots ci-après).

2. De vingt-cinq à quarante-cinq ans d'âge, (terme moyen 36 ans).(p. 077)

3. Taille de cinq pieds cinq à sept pouces.

4. Tête régulière.

5. Yeux vifs et perçans, (noirs ou bleus).

6. Nez fin.

7. Bouche grande et ornée de ses trente-deux dents (toujours bienentretenues).

8. Cheveux courts, (noirs, châtains ou blonds, mais noirs depréférence si l'on peut).

9. Favoris épais.

10. Les épaules de dix-huit pouces de diamètre.

11. Reins solides.

12. Bras longs et vigoureux.

13. Poigne d'airain, (les ongles toujours courts).

14. Cuisses rebondies.

15. Jarrets de cerf.

16. Mollets de quatorze pouces de circonférence.

17. Pieds légers.

18. Enfin une force d'Hercule.

J'ai dit tout-à-l'heure que la santé était une des qualités physiquesles plus nécessaires: c'est la vérité; car, si vous pouvez(p. 078)atteindre l'âge de soixante-dix ou quatre-vingts, ou ce qui estlenec plus ultra de quatre-vingt dix ans, il y a quarante-cinq (quiest le terme moyen) à parier contre un, que vous enterrerez lesquarante-quatre quarante-cinquièmes de vos créanciers. Or, j'ai dit etprouvé que la mort d'un créancier était un des moyens d'amortissementnaturels indiqués par mon oncle, et certes, votre créance ainsiacquittée, le créancier ne peut vous en vouloir; car de même que Dieune veut pas la mort du pécheur, un débiteur ne peut désirer celle deson créancier, attendu que d'après le principe «moins on a decréanciers, moins on a de ressources.»

Ce sont là, j'espère, de bonnes et solides qualités, des qualitéstout-à-faitprivilégiées, et je dis privilégiées parce que, pouvantles acquérir facilement par l'exercice et un régime y relatif, on peuts'en défaire de même. Je défie M. le ministre des finances de vousassujettir à un droit d'enregistrement. En un mot ces avantages quisont de véritables propriétés sont de natureinsaisissable(p. 079)par les créanciers, la nature seule pourrait mettre opposition àleur revenu.

Quant aux qualités morales, elles peuvent se ranger à peu de choseprès dans la même catégorie. J'en reconnais huit indispensables et quidoivent se classer ainsi;

Savoir:

1. De l'aplomb (c'est la plus importante de toutes: je le prouveraici-après).

2. Une présence d'esprit continuelle.

3. Une mémoire de créancier.

4. Le sang-froid d'un de nos anciens grenadiers.

5. Un courage à toutes épreuves (ce qui est à peu de chose près lamême chose sauf les nuances).

6. Une patience de garde-malade.

7. Une adresse sans exemple à tous les jeux ou à tous les exercices;(qualité extrêmement importante et pour la possession de laquelle ilest bon de prendre des leçons des grands maîtres pour pouvoir endonner à son tour lorsque l'occasion s'en présente).(p. 080)

8. Enfin, une faim de loup (cette dernière qualité morale n'estréputée telle que depuis très-peu de temps; mais enfin, les autoritésqui l'ont prouvée journellement ne laissent à cet égard aucun doute,surtout depuis qu'une d'elles a démontré, clair comme le jour, que:les grandes pensées viennent de l'estomac).

J'ai dit tout-à-l'heure que l'aplomb était, de toutes les qualitésmorales, la plus importante: c'est plus qu'une qualité, c'en est dix,vingt, cent, mille, etc., c'est même une vertu. Avec de l'aplomb seul,on peut facilement remplacer les six qualités morales indiquées.

En effet, qu'est-ce que la présence d'esprit? de l'aplomb dans lesidées. Qu'est-ce que la mémoire? de l'aplomb dans les souvenirs.Qu'est-ce que le sang-froid? de l'aplomb avant le danger. Qu'est-ceque le courage? de l'aplomb pendant l'action. Qu'est-ce que lapatience? de l'aplomb dans les désirs. Qu'est-ce que de l'adresse?encore une espèce d'aplomb dans les gestes et les mouvemens.(p. 081)Iln'y a donc que la huitième qualité morale qui ne puisse seremplacer par de l'aplomb, c'estla faim. Au fait, un estomac videne peut entreprendre ni soutenir de grandes choses.

L'aplomb consiste principalement à laisser sans réplique tout ce quiressemble à un raisonnement ou à une question, à nier l'évidence, àsoutenir l'impossible, en un mot à donner à tous les faits et à toutce qui a le caractère de preuve un démenti robuste et laconique.Non,si;cela est, cela n'est pas;c'est impossible, c'est possible;tel est le court glossaire du langage de l'homme qui a de l'aplomb.

Exemples.

Un premier créancier va vous soutenir que vous n'avez pas le sou pourle payer; n'allez pas vous époumoner pour lui prouver le contraire?répondez tout simplement:c'est possible......, et votre homme restemuet...... Il est content.

Un second créancier, auquel vous avez(p. 082)promis de rendre unesomme de..... qu'il vous a prêtée, se hasarde à vous dire que vous luiavez manqué de parole; n'allez pas lui raconter pourquoi ou commentvous vous trouvez embarrassé? répliquez-lui tout bonnement:cela sepeut... Il n'hésite pas... donc qu'il est satisfait.

Un troisième créancier, (votre propriétaire, par exemple,) vient vousfaire une visite, en profitant de la circonstance pour vous apportersa quittance; regardez-le avec un air indécis, accompagné d'unc'estimpossible! Il vous soutient le contraire, sa boîte à tabac et àalmanach à la main. Un homme sans aplomb querellerait sur le taux duloyer ou les jours de grâce, un homme qui en a, répond hardiment:Mais non! Si le propriétaire est mal élevé, il se fâche et menace defaire vendre les meubles, vous lui objectez unje ne le crois pas!il se vexe et instrumente; mais les meubles ne sont pas en votre nom,il l'apprend, se vexe de nouveau, et cette fois vous avez doublementraison en lui répondant:C'est possible.....(p. 083)Iln'a plus rien à dire, et s'en va; mais la question de savoir si dans cettecirconstance il est satisfait ou non, est encore indécise, cela dépendde l'acabit du propriétaire.

Enfin, avec de l'aplomb, vous commandez la confiance, vous passez pourun garçon ferme et prudent. Cependant n'allez pas croire que cettesublime qualité puisse vous empêcher d'aller à Sainte-Pélagie, parceque si l'aplomb est permis aux débiteurs, il n'est pas défendu auxcréanciers; fussiez-vous logérue de la Clef, il est de votredignité et de votre politique de ne répondre à celui qui vousmontrerait les verroux et les grilles de votre modeste cellule,que.....C'est possible.

Telles sont lesdix-huit qualités physiques et leshuit qualitésmorales, en tout vingt-six qualités, qui vous sont absolumentnécessaires pour pouvoir vous acquitter avec vos créanciers d'unemanière satisfaisante sans leur donner un sou; si vous ne lespossédiez pas toutes les vingt-six intégralement,(p. 084)vousauriez tort de suivre ce système financier, et feriez encore mieux den'avoir ni dettes ni créanciers.

SIXIÈME LEÇON.(p. 085)

Dispositions générales.

Vérité incontestable.—Choix d'un quartier.—Du logement.—DesPortiers.—Du Propriétaire.—Du mobilier.—Connaissances qu'il fautavoir en physique.—Des Domestiques.—D'une Femme de ménage.—Conseilsà suivre.

Quiconque n'a pas d'argent est bien forcé de vivre à crédit; s'il n'ena pas il faut qu'il s'en fasse, et quand il s'en sera fait, il en aurabeaucoup plus qu'il ne lui en faudra pour ses consommationshabituelles.

Voilà une idée qui sans doute va étonner un grand nombre de meslecteurs déjà endettés, ou auxquels on doit beaucoup depuislong-temps, mais ce n'est pas ma faute s'ils n'entendent rien à laprofession deproducteurs et deconsommateurs.

Pour arriver parfaitement au but que mon oncle a proposé, il faut,suivant son(p. 086)dicton,savoir raisonner son affaire. Or,qu'est-ce que savoir raisonner son affaire, c'est savoir se loger, senourrir, se vêtir, se divertir, en un mots'entretenir sans riendevoir ni sans débourser un sou.

Parmi ces choses il en est de plus ou moins nécessaires, de plus oumoins indispensables; en suivant l'ordre de leur nécessité, nouscommencerons donc par la première de toutes, qui est le logement.

Le choix du quartier de la capitale, que vous devez prendre pour yélire domicile, n'est pas une chose de peu d'importance, et vous devezle choisir à un point tel que sa situation établisse entre vous et voscréanciers une distance de deux lieues au moins; or, comme voscréanciers peuvent se trouver disséminés dans chacun des douzearrondissemens de Paris, vous ferez bien de vous loger (si cela vousest possible)extra muros, c'est-à-dire au-delà de la barrière,en choisissant celle qui aboutit au quartier où vous avez le moins decréanciers.(p. 087)

Vous devrez faire connaissance avec le portier chargé de la garde dela maison que vous avez l'intention d'occuper, même avant d'y avoirarrêté un appartement. Peu de consommateurs pourraient se faire uneidée précise de l'énorme influence que les portiers exercent sur nosdestinées, puisqu'ils peuvent nous nuire ou nous servir, selon leurcaprice ou le degré de capacité dont ils sont doués, de huit manièresdifférentes et de cette manière.

1º Dire que nous sommes chez nous, lorsque nous n'y sommes pas.

2º Dire que nous ne sommes pas chez nous lorsque nous y sommes; (cequi est quelquefois pis.)

3º Refuser les lettres et paquets qui peuvent nous être adressés.

4º Recevoir les assignations et autres correspondances de même genre,lorsqu'ils pourraient s'en dispenser.

5º Inspecter notre conduite et en tirer des conséquences.

6º Faire manquer une affaire majeure,(p. 088)par la manière dontils auront répondu lorsqu'on se sera présenté chez eux, relativementauchapitre des renseignemens.

7º Ne pas vouloir se réveiller le matin pour tirer le cordon, lorsquenos affaires ou l'état de notre santé nous forcent à prendre l'aircinq minutes avant le jour.

8º Enfin ne pas ouvrir le soir lorsque l'on rentre un peu trop tard,quoiqu'on ait frappé dix fois et qu'il vous ait parfaitement entendu,ce qui entraîne une suite d'inconvéniens incalculables.

En effet, de quels contre-sens ne voyons-nous pas chaque jour unportier se rendre coupable! ses propos peuvent changer une réputationdu tout au tout. Seriez-vous, dans le monde, un modèle animé del'Apollon du Belvéder; chez le portier, vous êtes un nouvel Ésope. Sile nom de quelque locataire finit par une terminaison semblable auvôtre, il envoie à celui-ci l'argent que vous avez emprunté et quel'on a déposé chez lui pour vous; il envoie à celui-là un billet douxqui vous était destiné,(p. 089)et le voisin va au rendez-vous àvotre place. Vient-il un créancier, il se gardera bien de dire quevous venez de sortir à l'instant. Votre maîtresse est-elle parvenue às'échapper un moment pour venir vous trouver, le portier prétend quevous n'êtes pas rentré la veille; enfin la négationnon au lieu del'affirmationoui, etvice versa vous êtes un homme perdu.

Sachez donc plaire au portier avant même d'avoir fait votre premièrevisite au propriétaire, tâchez surtout de vous en faire un ami, et devous mettre bien avec sa femme, s'il en a une qui ne soit ni tropvieille, ni trop sale, ni trop bavarde, ni trop curieuse, ce qui esttrès-rare, je l'avoue.

Mon oncle, qui avait prévu tous ces cas, conseille de prendre, depréférence, un logement dans une maison qui n'a pas de portier. Cettecirconstance offre souvent de grands avantages, mais aussi elle n'estpas sans inconvénient. C'est à vous d'examiner attentivement votreposition et de(p. 090)voir quel est celui de ces deux cas qui peutvous offrir le plus de ressources.

Quant au choix du logement, c'est encore une partie non moinsessentielle. Jamais d'appartement au-dessous du quatrième au-dessus del'entresol, et toujours sur le devant; de là, vous pouvez, en vousmettant à la fenêtre, dominer sur tout ce qui vous entoure. Uncréancier s'est-il décidé à s'acheminer vers votre demeure, il vousapparaît d'un demi quart de lieue, comme un point sur l'horizon, déjàvous savez à qui vous avez affaire, bientôt il grossit en s'avançant,vous l'avez reconnu, vous avez encore cinq minutes pour décider dequelle manière vous devez en agir à son égard. Une bonne lorgnette,une longue vue deviennent, dans cette circonstance, un meuble de lapremière utilité, puisqu'il vous fait gagner du temps en mettant àvotre disposition dix minutes de plus pour réfléchir.

Mon oncle avoue qu'il faillit une seule fois être conduit àSainte-Pélagie (encore était-ce à la place d'un autre) parce qu'il (p. 091)avait commis la fatale imprudence de se loger, au premier,sur le derrière, dans une maison du quartier du Palais-Royal; ilajoute très-judicieusement qu'une lieue et demie de chemin, et centtrente-huit marches à monter affaiblissent prodigieusement les forceset la mauvaise humeur d'un créancier. En effet, arrivé à votre porte,épuisé, rendu, ce n'est plus de l'argent qu'il vous demande, c'est unechaise et un verre d'eau. On sait que l'un et l'autre sont faciles àprocurer même coup sur coup.

Quant au mobilier, il est un préjugé généralement répandu parmi laplupart des consommateurs, c'est qu'il faut qu'ils aient un entouragesomptueux pour en imposer à leursproducteurs et leur inspirer de laconfiance.

Cette idée était bonne du temps de Charles-Martel et de Pépin-le-Bref,où un siège sur lequel on pouvait s'asseoir passait pour unchef-d'œuvre d'industrie; mais maintenant que l'on fait des litssur lesquels(p. 092)on peut dormir debout sans se coucher, toutcela n'en impose plus, et ce luxe n'est propre qu'à étonner lesenfans.

Ainsi donc votre mobilier ne doit être composé que de très-peu dechoses, mais de choses originales et propres à fixer l'attention deceux qui seraient à même de l'examiner en attendant mieux.

Meublez-vous par la mécanique, éclairez-vous par le gaz hydrogène, etdéfendez-vous de l'approche de l'ennemi par la physique.

Mon oncle a fait cet essai avec un rare bonheur sur ses créanciers. Ilavait une machine électrique d'une assez jolie dimension, et observaittoujours de la tenir abondamment chargée du mystérieux fluide; ill'avait mise en communication avec la clef de sa porte d'entrée par unfil conducteur; de l'aspect de cette clef constamment sur sa porte, ilen retirait un sentiment de confiance sans bornes, parce que lorsqu'uncréancier impatient venait à mettre la main dessus pour entrer chezlui, il recevait une commotion violente qui le livrait en proie à dessentimens(p. 093)confus d'engourdissement et de sorcellerie; ilétait rare qu'un créancier, quelque brave ou quelqu'entêté qu'il fût,se frottât une seconde fois à venir prendre une leçon de physiqueexpérimentale, bien qu'il lui eût expliqué très-clairement les effetsrésultant des causes, et les causes résultant des effets, en physique.

Quant au choix d'un domestique, c'est une affaire trop délicate dansune position semblable en tout point à celle où je souhaite que vousvous trouviez, pour parvenir sûrement à votre but; il vaut infinimentmieux se servir soi-même. Je ne vous engagerai donc pas non plus àprendre une femme de ménage, la portière ne la verrait que d'untrès-mauvais œil, et on sait ce que c'est que l'œil d'uneportière mécontente; vous vous ressentiriez nécessairement ducontre-coup de sa mauvaise humeur. Si vous ne pouvez vous astreindre àces soins du ménage, dont un consommateur habitué à toutes ses aisesne peut se passer, faites d'une pierre deux coups, et choisissez depréférence votre(p. 094)portière ou sa fille si elle est jeune etadepte, parce que son père et sa mère se ressentiront, à leur tour, ducontre-coup de vos générosités et de vos bonnes grâces à l'égard deleur fille. En elle, vous trouverez un défenseur officieux et unpuissant auxiliaire pour repousser les invasions de la gentcréancière.

SEPTIÈME LEÇON.(p. 095)

Manière de vivre.

Dicton de mon Oncle.—Cas que l'on doit toujours prévoir.—Principeinvariable.—Fournisseurs de tous genres auxquels on doit accorder lapréférence.—Craintes mal fondées.—Emploi de la journée d'unconsommateur qui saitraisonner son affaire.—Biens immensesoccasionnés au commerce.—Résultats.

J'ai souvent entendu dire à mon oncle qu'il fallait bien se garder dedépenser la veille tout l'argent qu'on pouvait avoir en sa possession,quelque certitude que l'on ait d'en avoir le lendemain, parce qu'ilarrivait presque toujours, par descauses fortuites et indépendantesde la volonté du consommateur, causes que l'on ne pouvait ni prévoirni empêcher, que ces rentrées étaient ajournées, ou ne rentraient pasdu(p. 096)tout; or personne ne sait mieux que moi combien mon oncleavait raison.

Supposons donc que ce cas arrive, et voyons quels sont les moyens desalut à y opposer: ils reposent sur un seul principe dont vous nedevez, dans aucun cas, comme sous aucun prétexte vous écarter; cegrand principe, le voilà!

Vous devrez toujours vous fournir de préférence chez les pourvoyeursriches. 1º Parce qu'ils ont tout de première qualité. 2º Parce quevous devez mettre en pratique le principe tant de fois répété, que cesindividus ayant trop, et vous pas assez, c'est un véritable service àleur rendre, et à vous aussi, que de chercher à rétablir l'équilibre,et personne plus que vous ne doit y être intéressé. 3º Parce que levide que vous opèrerez dans leurs magasins, restera presqu'inaperçu;et quand même ce vide sera bientôt comblé par la clientelle payante,que votre consommation saura y amener.

En conséquence, vous ferez choix d'un propriétaire chez lequel toutpuisse abonder(p. 097)et qui n'attende pas après vos cent écus deloyer pour pouvoir aller payer ses impositions. Il est à laconnaissance de tous les locataires qu'il existe des propriétairesriches dans tous les quartiers de Paris, ainsi donc cela vous seratrès-facile.

Vous déjeûnerez au Palais-Royal, et dînerez sur le boulevard desItaliens. Vous allez croire peut-être qu'il faut payer dans cesmaisons-là; point du tout, leur prospérité ne se fonde que sur lescouverts ou plutôt sur les convives qui ne payent pas, parce qu'ilssavent choisir leurs mets, parce qu'ils savent allécher ceux qui nesavent pas se commander un dîner, mais qui savent le payer, parcequ'enfin ils consomment beaucoup plus que les autres. Chez lesrestaurateurs à 21 ou 32 s. on ne fait pas de crédit parce que tout lemonde paye; mais dans les grands établissemens dont je vous parle, ona senti tout ce qu'un consommateur qui peut ne pas payer un dîner de20 fr. qui en rapporte trente de 10 fr. qui sont payés, vaut à sonproducteur.

Je connais de grands restaurateurs qui(p. 098)vous payeraientvolontiers pour que vous vous tinssiez à leur table toute la journée,appelant les garçons (toujours par leurs noms de baptême pour sedonner un air d'habitué), demandant du champagne, faisant mousser leurvin et leur réputation. Votre figure opère, sur l'appétit paresseux ouéconomique des passans, l'effet d'une glace avant le dîner, et ilssont saisis d'une faimengloutissante.

Quant à vous, après avoir pris tout ce qu'il est possible de prendre,vous vous levez, et portant négligemment votre main au bouton doré devotre habit, comme pour chercher votre bourse dans la poche de votregilet, vous en tirez un cure-dents; aussitôt le maître de la maisonvous fait un signe de tête respectueux et reconnaissant tout à lafois, pour vous épargner un soin qu'il considérerait comme un affront;vous adressez en passant un petit salut et un coup-d'œil à la damedu comptoir, et la grâce de ceux qu'elle vous rend, indique assezqu'elle se croit encore trop payée par l'excellent(p. 099)appétitdont vous avez donné un exemple, aussi bien soutenu qu'imité.

Plaisanterie à part, il est de fait que les premiers restaurateurs dela capitale comptent par jour une demi douzaine de consommateurs decette force sur les principes.

Vous ne vous habillerez pas autre part que chez Bardes, parce que cegaillard-là, qui habillerait toute l'armée française, en vingt-quatreheures, sur la parole de M. le ministre de la guerre, peut bien vousfaire un habit, deux pantalons, quatre gilets, sans que vous luidonniez la vôtre que vous le payerez aussitôt leur confection. Notezque, si par hasard il va chez vous, ce ne sera que pour vous demandersi vous voulez qu'il vous fasse une polonaise ou un manteau, au mêmeprix.

Vous vous chausserez chez Sakoski. Il chausse tous les fashionables etM. le ministre des finances; jugez s'il hésitera à vous prendre mesureet à vous ouvrir un compte courant sur son grand-livre.

Quant à votre linge, vous vous fournirez(p. 100)chez la lingère dela Cour; mieux que personne elle connaît les avantages du crédit, etlorsqu'on en fait, un de plus ou un de moins n'occasionne que peu defrais de différence; quand même vous vous perdrez facilement dans lafoule des consommateurs de ce genre.

Tels sont les producteurs que vous devrez rechercher; parce que cesont là les seuls que vous pourrez payer sans débourser un sou,attendu que de belles paroles pour eux équivalent à de l'argentcomptant.

N'allez pas croire qu'un consommateur tel que celui dont je veuxparler, pour pouvoir payer les dettes que lui feront contracter sesconsommations journalières, soit forcé de se courber tristement sur lemétier d'une manufacture, ou débarquer quotidiennement desmarchandises sur les ports Saint-Paul ou Saint-Nicolas. Il n'ira pas,par une chaleur du mois de juillet, rentrer ses récoltes, ou aucœur de l'hiver accélérer des semences; il ne se creusera pas latête pour améliorer les produits divers que nous offrent généreusement (p. 101)toutes les bêtes à cornes ou sans cornes qui sont en Franceet autres lieux. Il ne passera pas son temps à enrichir d'un schall,d'un fourneau économique ou d'un rasoir à l'épreuve, l'exposition denos produits; il n'emploiera même pas la journée à reproduire sur unetoile que sa main saura rendre vivante, les traits d'un des défenseursde nos libertés, ou la nature prise sur le fait, soit dans les bois deMeudon ou dans celui de Montmorency; il ne passera pas sa soirée àaccompagner, de son violon, de sa basse, de sa flûte ou de son cor,les artistes de nos royaux théâtres qui chantent faux ou ne dansentpas en mesure. Enfin, il n'usera pas les trois quarts de sa vie,ruede Rivoli, à additionner de longs bordereaux; il ne fera rien de toutcela; mais, parce qu'il ne plantera pas, ne fabriquera pas, ne peindrapas, ne fera pas de musique et n'additionnera pas, ce serait uneerreur de croire qu'il ne travaillera pas, qu'il ne produira pas,qu'il ne consommera pas et qu'il ne payera pas, mais toujours à lamanière de mon oncle.(p. 102)

Voici au surplus, pour arriver au résultat désirable par tous lesconsommateurs pour lesquels il a rassemblé les matériaux de sonouvrage, la conduite et le genre de vie qu'ils devront tenir etsuivre, et le tableau desbiens généraux qu'ils opèreront par saméthode:

1º Le consommateur quel qu'il soit, ne se lèvera pas avant 10 heures,et par cette heureuse indolence il diminuera l'encombrement descommis, blanchisseuses, commissionnaires, cabriolets, oisifs, etc.,etc., qui obstruent chaque matin les rues les plus fréquentées, et parconséquent les plus sales de notre belle capitale. Premier bien.

2º Il donnera audience à tous ses créanciers indistinctement de 10 à11 heures, les écoutera et mettra en pratique les préceptes enseignésdans ce manuel.

Pendant ce temps les créanciers qui feront chez lui antichambre enattendant son lever, ne seront pas chez d'autres consommateurségalement débiteurs, et cet avantage retombera sur la masse. Secondbien.

3º Il recevra tous ses fournisseurs de(p. 103)onze heures à midi,gardera par devers lui ce que les uns lui apporteront, commanderaquelque chose de nouveau à ceux qui n'auraient rien apporté.

De cette manière il les tiendra en haleine, augmentera son crédit, etpoussera à la consommation; troisième bien.

4º Il s'habillera de midi à une heure, entendra sa cravate comme unange, au moyen de ma théorie raisonnée de cette importante partie denotre habillement.

Il poussera ainsi au débit de cet ouvrage, chez le libraire, et àl'écoulement des mousselines, du jaconin, de la perkale et de labatiste de nos manufactures; quatrième bien.

5º A deux heures il ira déjeûner au café du Perron, où, par ladélicatesse du choix qu'il fera sur la carte, il provoquera encore àla consommation en mettant à la mode lesœufs en coquille et lesomelettes à l'oseille, qu'il mangera avec une grâce contagieuse pourtous ceux qui, sans connaître ces mets, auront envie d'en manger.(p. 104)

Suivant son système, il ne payera pas son déjeûner, mais il en feraconsommer vingt par des habitués qui ne prennent ordinairement qu'unetasse de café sans beurre, et qui insensiblement se laisseront allerau déjeûner à la fourchette, entraînés par son exemple. Le maître ducafé sera très-content des vingt déjeûners payés, et très-satisfait duconsommateur qui lui aura ainsi payé le sien, quoique sans argent:cinquième bien.

6º Il ira aux Tuileries attendre nonchalamment l'heure du dîner; lesdeux ou trois chaises dont il se servira, sans les payer, pour étendresa paresse, seront très-fructueuses à la loueuse qui en al'entreprise. Par la manière dont il sera assis, il invitera lespromeneurs au repos. En un instant toutes les chaises seront occupéeset payées, la loueuse fera recette, et le remerciera; sixième bien.

7º Une beauté suspecte ou non, soupirant dans une contre-allée aprèsl'espoir d'un dîner, viendra à passer près de lui; il s'extasiera(p. 105)sur sa taille, sa démarche etson genre qu'il trouverabon;un Anglais qui ne s'y connaîtra pas fera la même remarque et sedétachera pour lui offrir son bras, un dîner et sa bourse qui serontacceptés.

Il aura répandu le numéraire de l'Anglais dans le commerce de France.Septième bien.

8º A six heures, il emmènera quelques amis dont il ne sait pas le nomdîner chez son restaurateur d'habitude. Il le met en vogue d'un seulmot. Garçon!des huîtres vertes, de latisane de Champagnefrappée, desperdrix aux truffes, etc., etc. Il mangera commequatre, boira comme six pendant deux heures.... Quel fécond résultatn'aura pas sa digestion après que les amis auront payé leurs cartes.Le restaurateur sera enchanté en se décidant bien à ne jamais demanderun sou à un si précieux consommateur. Les huîtres qu'il aura faitenlever de chez les factrices de larue Montorgueil feront fairequeue, le lendemain, chez elles pour en avoir; les marchands de vinsde(p. 106)Reims et d'Épernay ne pourront suffire aux demandes detisane qui leur seront adressées de toutes parts. La population duPérigord, si occupée à la recherche de la truffe, redoublerad'activité; la Vallée se garnira comme aux approches des élections; lemarché de Poissy sera mieux fourni; la chandelle diminuera, la bougieaugmentera et les taneurs n'attendront plus après la peau des bêtes,pour faire des cuirs..... Huitième bien. Mais que de biens en un seul!C'est parce qu'il est opéré par un individu qui a étudié à fond toutesles théories de mon oncle et qui sait parfaitement les mettre enpratique.

HUITIÈME LEÇON.(p. 107)

De la Contrainte par Corps.

Réflexions morales et philosophiques.—Trois petits pâtés ma chemisebrûle!—Sainte-Foix et mon Oncle.—Histoire dela Contrainte parcorps, depuis son origine jusqu'à nos jours.—Causes pour lesquelleson peut êtreappréhendé au corps.—Anecdotes.—Avertissement.

L'emprisonnement pour dettes est, selon mon oncle, une suitenécessaire des progrès de la civilisation. En France, sous les deuxpremières races et même au commencement de la troisième, le créanciern'avait de prise que sur les biens immeubles de son débiteur. Leprésident Hénault cite en preuve Bouchard le Barbu de Montmorency,lequel faisait la chasse au moine de Saint-Denis, dans sonîleSaint-Denis, comme on(p. 108)fait la chasse aux sangliers etautres gibiers de la même espèce. Or, cet honnêteconsommateur devaitune somme considérable à Adam, abbé de Saint-Denis. «On ne l'arrêtapas, dit l'abbé Suger, parce qu'alors ce n'était pas l'usage; mais onalla par ordre du bon roi Robert ravager ses terres, jusqu'à ce qu'ileût payé.»

Dans ces temps de barbarie, la loi frappait de ridicule celui quicontractait des dettes qu'il ne pouvait payer. Les choses ont bienchangé depuis!

La cession de biens à laquelle un débiteur se voyait contraint, étaitaccompagnée d'une singulière cérémonie. Le débiteur, gentilhomme ouroturier, était obligé de frapper trois fois sur la terre avec sonderrière (Nudis clunibus), en criant:Je cède mes biens!Sainte-Foix prétend que l'on voit encore à Padoue la pierre de blâme(Lapis vituperii), où s'infligeait cette punition.

Je ne serais pas éloigné de croire que c'est là l'origine d'unepénitence toute semblable que l'on s'imposeaux petits jeuxinnocens,(p. 109)à celui qui ne peut payer autrement sa dette dugage touché. Je ne sais s'il faut, sur la seule autorité de l'auteurdesEssais sur Paris, admettre comme prouvé, qu'antérieurement aurègne de Louis-le-jeune, on pouvait se dispenser de payer ses dettesen se battant avec ses créanciers; en pareil cas, Sainte-Foix étaithomme à confondre son histoire particulière avec celle des mœurs denos ancêtres. Comme il payait fort mal et se battait souvent, il étaitintéressé à faire croire que l'un pouvait aller pour l'autre: quandmême il était l'ami intime avec mon oncle. Je reviens à mon sujet, queje vais traiter avec tout le sérieux dont il est digne.

On appellecontrainte par corps, un acte signé, enregistré et émanéd'un tribunal quelconque, mais cependant compétent; qui se prendtantôt pour un jugement, l'ordonnance ou la commission; qui permet àun créancier de faire incarcérer son débiteur en matière civile,tantôt pour le droit que le créancier a d'user de cette voie contreson(p. 110)débiteur, tantôt enfin pour l'arrêt et emprisonnementqui est fait en conséquence de la personne du débiteur;Potestascogendi alicujus ad faciendum aliquid per sententiam judiciis data.

Il n'était pas permis chez les Égyptiens de s'obliger par corps;Boccoris en a fait une loi que Sésostris renouvela. Les Grecs aucontraire, permettaient d'abord l'obligation par lacontrainte parcorps; c'est pourquoi Diodore dit qu'ils étaient blâmables, tandisqu'ils défendaient de prendre en gage les armes et la charrue d'unhomme, de permettre de prendre l'homme même; aussi Solon ordonna-t-ilà Athènes qu'on n'obligerait plus le corps pour dettes, loi qu'il tirade celles de l'Égypte.

Lacontrainte par corps avait lieu chez les Romains contre ceux quis'y étaient soumis ou qui y étaient condamnés pour stellionat ou dol;mais si le débiteur faisait cession, on ne pouvait plus l'emprisonner;on ne pouvait pas non plus arrêter les femmes pour dettes civiles,n'auraient-elles(p. 111)pas payé leurs impositions, soit de porteset fenêtres, soit personnelles, soit locatives, soit mobilières ouimmobilières, directes ou indirectes; car il y avait autrefois à Romede toutes ces jolies choses, comme aujourd'hui à Paris, avec cettedifférence que le nom était différent, que l'on ne payait pas si cheret qu'on n'inquiétait même pas les citoyennes Romaines pour depareilles bagatelles; à Paris, au contraire, on arrête tout le monde,de quelque genre et de quelque sexe que l'on soit: masculin, fémininet même neutre, cela ne fait rien à l'affaire.

En France autrefois il était permis de stipuler la contrainte parcorps dans toutes sortes d'actes; elle avait lieu de plein droit pourdettes fiscales, et il y avait aussi certain cas où elle pouvait êtreprononcée par le juge, quoiqu'elle n'eût pas été stipulée.

L'édit du mois de février 1535, concernant la conservation de la villede Lyon, ordonne que les sentences de ce tribunal(p. 112)serontexécutées parprise de corps et de biens dans tout le royaume, sansvisa nipareatis, ce qui s'observe encore aujourd'hui.

Charles IX en établissant la juridiction consulaire de Paris par sonédit de 1563, ordonna que les sentences des consuls, provisoires oudéfinitives, qui n'excéderaient pas la somme de 500 liv. tournois,seraient exécutéespar corps.

La contrainte par corps n'avait point encore lieu pour l'exécutiondes autres condamnations; mais par l'ordonnance de Moulins, art. 48,il fut dit: «Que pour faire cesser les subterfuges, délais ettergiversations des débiteurs, tous jugemens et condamnations desommes pécuniaires pour quelque chose que ce fût, seraient promptementexécutés par toutes contraintes et cumulations d'icelles, jusqu'àl'entier paiement et satisfaction; que si les condamnés n'ysatisfaisaient pas dans les quatre mois après la condamnation à euxsignifiée, à personne ou domicile, ils pourraient(p. 113)êtreprisau corps et tenus prisonniers jusqu'à la cession, et abandonnement deleurs biens, et que si le débiteur ne pouvait pas être pris ou que lecréancier le demandât, il serait procédé par le juge pour la contumacedu condamné, au doublement et tiercement des sommes déjà adjugées.»

Les prêtres ne pouvaient cependant être contraints par corps en vertude cette ordonnance, ainsi que cela fut déclaré par l'art. 57 del'ordonnance de Blois.

L'usage des contraintes par corps après les quatre mois, qui avait étéétabli par l'ordonnance de Moulins, a été abrogé pour les dettespurement civiles par l'ordonnance de 1667,tit. 34,art. 1er,qui défend aux cours et à tous les juges de les ordonner, à peine denullité, et à tous huissiers ou recors de les exécuter à peine dedépens, dommages et intérêts.

Pour obtenir la contrainte par corps après tous les cas prévus par lecode, le créancier doit primitivement faire signifier(p. 114)lejugement à la personne ou domicile de la partie, distribuer aveccommandement de payer, et déclaration qu'elle y seracontrainte parcorps, après les délais soufferts par la loi.

Ces délais expirés, et à compter du jour de la signification, lecréancier lève au greffe un jugement portant que dans la quinzaine, lapartie seracontrainte par corps, et il fait signifier, au moyen dequoi la quinzaine étant expirée, la contrainte par corps peut êtreexécutée sans autres procédures; il faut seulement observer que toutesles significations dont on a parlé doivent être faites avec toutes lesformalités ordonnées pour les ajournemens.

Si le débiteur appelle de la sentence, s'oppose à l'exécution del'arrêt ou jugement portant condamnationpar corps, la contraintedoit être sursise jusqu'à ce que l'appel ou l'opposition ait été jugé;mais si avant la signification de l'appel ou opposition, les huissiersou gardes de commerce, s'étaient saisis de la personne(p. 115)ducondamné, il ne serait pas sursis à la contrainte; c'est-à-dire qu'iln'aurait plus droit à mettre opposition.

Les poursuites et contraintes par corps n'empêchent pas les saisies,exécutions et ventes des biens, meubles ou immeubles de ceux qui sontcondamnés.

Quoi qu'il en soit, la dernière loi sur la contrainte par corps (celledu 15 germinal anvi), n'a établi aucune différence entre le véritablenégociant patenté, et celui qui, sans être commerçant, fait un acte decommerce. Je veux parler des consommateurs de toutes classes auxquelsle tribunal de commerce fait l'honneur de les qualifier du titre denégocians.

Il suffit d'avoir signé une lettre de change en bonne forme, pour êtreréputénégociant, et devenir justiciable du tribunal de commerce. Sila lettre de change n'est pas acquittée à l'échéance, ce tribunal nemanque jamais de décernerla contrainte par corps, et il esttellement expéditif qu'il rend,(p. 116)dit-on, années communes,environ dix-huit mille jugemens de cette nature.

Mon oncle croit qu'on ferait très-bien d'abolir lacontrainte parcorps, ou de la réserver seulement pour les créanciers. Ce sont engénéral des prêteurs sur gage, des intrigans, des usuriers, de cesmisérables entremetteurs d'affaires qui se décorent du titre deproducteur, qui exploitent à leur profit la contrainte par corps.Son abolition ferait disparaître une foule de piéges tendus sous lespas des jeunes consommateurs passionnés et sans expérience, quirisquent souvent leur avenir pour un moment d'ivresse et dedissipation, et qui par malheur ont la manie de donner des à comptes àleurs créanciers: ce serait donc un avantage réel pour la moralepublique et la consommation habituelle.

Il est prouvé que la contrainte par corps favorise les mauvaisesmœurs de plus d'une manière. Mon oncle a connu une femme sensible,aujourd'hui duchesse, qui se trouvant jadis gênée par la présence d'unmari(p. 117)d'humeur jalouse, apprend qu'il a souscrit une lettrede change, que l'état de ses affaires ne lui permet pas de payer aujour de l'échéance; elle fait aussitôt acheter sous main la fatalecréance, et retient son époux sous les verroux de Sainte-Pélagiependant cinq ans. Cet honnête homme n'apprit que dans la suite dequelle manœuvre il avait été victime, sa tendre épouse venantquelquefois pleurer avec lui d'une séparation aussi cruelle, et seconsoler avec son crésus de son infortune conjugale.

Mon oncle m'a également assuré qu'un pareil moyen avait été employépour éviter les importunités d'un amant qui avait pris au pied de lalettre des protestations d'une éternelle fidélité.

La durée de la détention est de cinq ans pour un Français: ce termeexpiré, il est libre, et ses créanciers perdent sur lui lerecourspar corps; quant aux étrangers, la durée de leur détention estillimitée.

L'âge, quelqu'avancé qu'il soit, n'exempte point de lacontrainte parcorps. On a vu(p. 118)des vieillards de quatre-vingt-dix ansdétenus à Sainte-Pélagie, pour dettes. Avis aux consommateurs de toutâge!........

NEUVIÈME LEÇON.(p. 119)

Des Huissiers.

Qu'est-ce qu'un Huissier.—Des Huissiers Grecs et Romains.—DesSergens.—Droits et prérogatives d'iceux.—Petites anecdotes quidémontrent les avantages attachés àla charge d'Huissier ou deSergent.—Refuges et inviolabilité.—Conséquences.

«Hé! ne devrait-on pas à des signes certains,
Reconnaître le cœur des perfides humains!»

C'est ce que Racine nous souhaite dans ces deux vers relativement à lareconnaissance des huissiers. Car tant que le soleil est surl'horizon, tremblez malheureux consommateurs qui vivez sans principes,ou plutôt qui n'en avez pas du tout; à la faveur de l'astre éclatant,bien quele soleil luise pour tout le monde, les huissiers ont droitde vous arrêter ou de vous faire arrêter, ce qui est à peu près lamême chose,(p. 120)excepté cependant les dimanches et fêtes chôméespar l'église.

Mais, me direz-vous, qu'est-ce dont qu'un huissier?..... Je vais vousle dire.

Un huissier est une espèce de ministre de la justice, habillé commevous et moi, qui fait tous les exploits nécessaires pour contraindreles parties tant au jugement qu'à l'exécution de toutes commissions,droits et ordonnances émanés de juges légaux.

Les huissiers ont été ainsi nommés parce que ce sont eux qui gardentl'huis ou porte du tribunal. Le principal objet de cette fonctionest de tenir la porte close lorsque l'on délibère au tribunal, etd'empêcher qu'aucun étranger n'y entre sans permission du président,d'empêcher même que l'on écoute auprès du lieu où se tient ladélibération, qui doit être tenue secrète; de faire entrer ceux quisont mandés au tribunal; d'en expulser ceux qui troublent les séances,en un mot, d'agir en tout selon la volonté du président.

Chez les Romains, ceux qui faisaient les(p. 121)fonctionsd'huissiers étaient appelésapparitores,cohortales,executores,hatores,cornicularii,officiales. Ils remplissaient en mêmetemps les fonctions de ce qu'on appelait encore, avant la révolution,dessergens.

En France, on les appela desserviantes, d'où l'on a faitsergens.On les appelait encore, aux XIIIe, XIVe, XVe et XVIesiècles, desbedels oubedeaux, ce qui, dans cette occasion,signifiaitsemonceurs publics.

En 1317, ceux qui faisaient le service au parlement étaient appelésvateli curiæ; mais dans une lettre du 2 janvier 1365, le roi lesappelanos amés varlets. Au reste, on sait que le terme devarletne signifiait pas comme aujourd'huivalet, des fonctions viles etabjectes, puisque les plus puissans vassaux, tels que les comtes, lesducs et les barons se qualifiaient eux-mêmes du titre depremiervarlet du roi, quoiqu'ils fussent bien loin de se considérer commetrès-humbles serviteurs de Sa Majesté. Du reste, les placesd'huissiers au parlement étaient regardées(p. 122)commedescharges, et s'achetaient à cause des gages et des émolumens quiétaient attachés à cette place.

Le nom d'huissier fut donc donné à ceux qui étaient chargés de lagarde des portes des tribunaux. On en trouve un exemple pour ceux duparlement, dans un mandement de l'archevêque de Paris, en 1388,adressé:primo parlementi nostri hostiario seu servienti nostro.

Plus tard, la plupart des sergens (que l'on appelait aussi avant larévolution despousse-culs), ambitionnèrent le titre d'huissier,quoiqu'ils ne fissent nullement de service auprès des juges ni destribunaux; de sorte que les premiers furent appeléshuissiersaudienciers, pour les distinguer des autreshuissiers, qui, dans lefait, n'étaient de droit que des sergens ou pousse-culs.

Il était défendu aux huissiers, même du parlement, de se qualifier demaître; ce titre n'était alors réservé qu'aux magistrats; maisdepuis que ceux-ci se sont fait appelermonsieur,monseigneur,sagrâce,sa seigneurie,(p. 123)leshuissiers se sont attribué letitre demaître.

Ils doivent marcher devant les membres du tribunal assemblés, afin deleur faire porter honneur et respect, et empêcher qu'on ne les arrêtedans leur passage; faire faire silence au commencement de l'audience,et frapper de leur baguette pour faire tenir le public en repos et àsa place.

C'est un huissier qui appelle les causes à l'audience, d'après le rôlequi lui est remis. Il doit toujours être couvert en remplissant sesfonctions. Les anciennes ordonnances leur défendaient, sous peine deblâme et d'amende, de ne rien prendre, recevoir, accepter ni exigerdes parties pour appeler leurs causes; mais on sait qu'en France lesvieilles ordonnances sont à-peu-près comme de nouvelles que jepourrais citer, tombées tout-à-fait en désuétude.

Ce sont les huissiers qui donnent les assignations et ajournemens, quiprocèdent aux publications de ventes de meubles, qui exécutent (à ladiligence de M. le procureur(p. 124)du roi) les décrets rendus enmatières criminelles, qui font les procès-verbaux de perquisitions,les emprisonnemens, les saisies et annotations de biens. En cas derésistance ou de rébellion, ils peuvent appeler à leur secours laforce armée et les habitans des lieux, qui sont tenus, arbitrairement,à leur prêter appui, secours et assistance, dans le ressort duquel ilsexploitent.

François Ier ayant appris qu'un de ses huissiers avait reçu descoups de bâton, se mit un bras en écharpe, voulant marquer par-làqu'il regardait ce traitement fait à son huissier comme l'ayant reçului-même, et que la justice, dont il se regardait comme le premierorgane, était blessée en sa personne.

L'édit d'Amboise, les ordonnances de Moulins et de Blois défendent,sous peine de mort et sans aucune espèce de grâce, d'outrager ouexcéder des huissiers ou sergens lorsqu'ils font quelques exploits dejustice.

Jourdain-de-Lille, fameux par ses brigandages(p. 125)sous CharlesIV, fut pendu en 1322, pour avoir éventré un huissier qui l'ajournaitau parlement.

Édouard, comte de Beaujeu, fut décrété de prise de corps et emprisonnéà la Conciergerie, pour avoir fait jeter par la fenêtre un huissierqui lui vint signifier un décret.

Le prince de Galles, en 1367, ayant empêché un huissier qui venaitpour l'ajourner de faire son ministère, fut déclaré contumax etrebelle par le parlement, et les terres qu'il tenait en Aquitainefurent confisquées.

Anciennement un huissier assignait verbalement les parties, et ensuiteen faisait son rapport au juge du lieu en ces termes:A vous,Monseigneur le Bailly........ mon très-douté ou redouté Maître......plaise vous savoir que le....... j'ai intimé....... à comparoître,etc., etc. Ce rapport s'appelaitrelatio. L'huissier ne signifiaitpas, il mettait seulement son sceau, parce que la plupart ne savaientni lire ni écrire; mais maintenant tous les huissiers sont forcés, parles(p. 126)nouvelles ordonnances, et obligés de savoir au moinslire et écrire: tous s'y conforment maintenant.

Ils peuvent porter sur eux des armes offensives et défensives, pour lasûreté de leur personne, et se faire assister d'une force civile oumilitaire.

Vous ne sauriez donc trop étudier les abris que vous indique mon onclepar ma voix, et ceux que vous présentent les articles du Code, quidisent en beaucoup de mots ce que je vais vous dire en très-peud'articles:

1º Vous ne pouvez pas être arrêté par eux pour une somme moindre de100 fr.; ainsi donc, si vous avez la faiblesse de souscrire un ouplusieurs engagemens, ne les faites jamais de plus de 99 fr. 99 cent.,et d'après cette latitude vous pouvez doubler, tripler, quadrupler lamasse de vos engagemens.

2º Vous ne pouvez être arrêté ni avant ni après le coucher du soleil;de cette façon la lune devient votre protectrice. Invoquez-la(p. 127)donc,ô vous consommateurs romantiques!

3º Vous ne pouvez être arrêté dans les édifices consacrés au culte,mais seulementpendant le service divin. Belle occasion pour seremettre au courant du répertoire..... profitez-en en ne manquant pasun office.

4º Les résidences royales sont également inviolables pour vous, tellesque le Jardin des Plantes, le Louvre, les Tuileries, le Luxembourg, lePalais Royal (le jardin seulement, les galeries exceptées).

5º Chez soi, tant qu'on n'en sort pas; pourvu que ce ne soit pas enhôtel garni, et que vous n'ayez donné votre adresse à qui que ce soit.

6º Enfin dans les lieux où se tiennent les séances des autorités quiforment un des principaux corps de l'État; mais il faut qu'il y aittenue de séance. Allez donc à la Chambre des députés entendrediscuter les honorables défenseurs de nos libertés avec lesquelles lavôtre n'a rien de commun.

Tels sont les refuges que vous a réservés(p. 128)le Code contre lespoursuites des huissiers. Hors de là, vous courrez le risque à chaquepas d'être appelé, saisi par le bras, si vous n'avez pas de jambes, etconduit au lieu dont le nom va vous sauter aux yeux à la pagesuivante....... Voilà!

DIXIÈME ET DERNIÈRE LEÇON.(p. 129)

Sainte-Pélagie.

Aveu tardif.—Itinéraire.—Connaissance des lieux.—Portraitsdivers.—Nouveau régime à suivre.—Les Visiteurs.—Consolations.—Dernièresréflexions.

Malheureux consommateurs, c'est en vain que mon oncle a cherché à vousle dissimuler; mais moi je vous l'avoue, vous courez toujours lerisque de finir par-là.

Dès qu'un débiteur est en prison, s'il ne peut pas payer et que soncréancier soit devenu son ennemi, ainsi que cela arrive presquetoujours, il faut qu'il se résigne à y passer cinq mortelles années;les seules chances qui lui restent, pour en sortir sans les secours duComité de Bienfaisance ou l'oubli de la part duproducteur de verserd'avance le montant des alimens auquel a droit leconsommateur. Dansce cas, une(p. 130)heure de retard lui rend la liberté. Mais enattendant il n'en faut pas moins aller en prison, et je vais mecharger du soin de vous en montrer le chemin; car mon oncle ne s'étantjamais mis dans le cas de le parcourir, serait fort embarrassé pourvous l'indiquer lui-même.

Apercevez-vous dans cette ruelle presque déserte, qu'on nomme laruede la Clef (que l'on prononceclé, même devant une voyelle, à ceque nous apprend le Dictionnaire de l'Académie), ce grand bâtimententouré de hautes murailles, de bornes enchaînées, et dont la façadesemble n'être qu'à moitié sortie des antres de la terre? Voyez-vous cecorps-de-garde, cette guérite et ce factionnaire? Distinguez-vouscette porte, haute de quatre pieds, avec un judas de huit poucescarrés? Frappez deux coups, baissez la tête et courbez-vous de manièreà ce que vos jambes et votre corps ne fassent qu'un angle droit... Onvous a ouvert, vous pouvez entrer!....

Maintenant vous voilà dans cet ancien(p. 131)couvent (réparé et misà neuf aujourd'hui) qui servait d'asile à des nonnes timides, et quisert aujourd'hui de prison aux consommateurs de toutes classes qui, neconnaissant pas la méthode de mon oncle, ont pour payer leurs dettessouscrit une ou plusieurs lettres de change qu'ils n'ont pasacquittées, ou bien encore à des gens distraits qui ont contractél'habitude de prendre dans la poche de leurs voisins ce qu'ils ontprobablement oublié de mettre dans la leur.

Ce seuil que vous venez de franchir vous a séparé du séjour desallans etvenans; au milieu de Paris, vous êtes presque dansl'autre monde.

Ce grand Cerbère de six pieds deux pouces, cette espèce d'homme grisdont la main qui ferait envie au plus brave des claqueurs de nosthéâtres royaux, semble être identifiée avec cette clé énorme qu'onprendrait pour la masse d'armes d'un évêque du XIIe siècle, a devinéque vous étiez unconsommateur qui veniez de passer bail avec un desproducteurs ordinaires de l'endroit.(p. 132)Dès ce moment votresignalement est gravé dans sa mémoire, et ce n'est qu'après cinq ansrévolus qu'il lui est permis de vous effacer de son souvenir.

Nouvel Hartentirkof, il est incorruptible; rien ne l'émeut, rien nesaurait l'attendrir. Il ouvre et ferme la susdite porte avec la mêmeimpassibilité, tant à l'infortune qu'à la beauté qui va la consolerquelquefois. Jamais il ne sourit, si ce n'est lorsqu'il voit passersous ses yeux un panier de Chambertin ou de Mercuray. Ah! s'il pouvaitle confisquer à son profit!......... mais je ne dois pas m'arrêteravec vous aux bagatelles de la porte, et vais vous conduire tout droitau greffe.

Il est placé à l'extrémité droite du petit corridor où vous êtes; vousvous présentez à un modeste employé, à cheveux blancs et culottecourte, assez bon enfant, mais à califourchon sur les ordonnancesémanées de M. le Préfet de police: vous voilà enregistré, et dès cemoment vous pouvez(p. 133)vous considérer comme un des commensauxde l'établissement.

Cependant lorsque leconsommateur locataire a des principes, lesconvenances exigent qu'avant de passer outre, il fasse une courtevisite au maître de la maison. Il se tient ordinairement dans unepièce de fond voisine, avec deux greffiers qui lui serventd'aides-de-camp. Vous serez étonné de l'amabilité de ses formes, de lapolitesse de ses manières; c'est le type de M. Jovial. Quoique nevivant qu'entouré de chiens, de gardiens et de tristes murailles,qu'il sache l'argot mieux que l'auteur qui vient de publier un ouvrageimportant sur cette langue mère des voleurs et escrocs, échappés desbagnes, et autres fashionables de la même trempe, comme l'auteur dudictionnaire dont nous parlons, M. le greffier-concierge deSainte-Pélagie (car tel est son titre officiel) ne s'en exprime pasmoins d'une manière très distinguée, ce qui prouve que Sainte-Pélagiene renferme pas que des gens mal élevés.(p. 134)Vous ferez bien defaire sa connaissance, d'autant plus qu'il est souverain absolu dansl'intérieur du gouvernement qui lui est confié, et que ses actes etjugemens sont sans appel.

Après avoir rendu vos hommages respectueux au maître de la maison,vous revenez tant soit peu sur vos pas, afin de traverser le chemin deronde et pénétrer dans l'hôtel; vous vous trouvez en face de deuxportes. Celle de droite est la porte qui aboutit à la détention pouropinion politique ou opinion de poche; ce n'est pas celle-là, maisc'est celle qui est à gauche, et qui aboutit à la dette. Vous frappez,on vous ouvre; vous exhibez votre écrou et cette fois-ci vous êtesdedans.

Un député[15] a dit à la tribune nationale que le sort des détenuspour dettes n'était pas aussi à plaindre qu'on le publiait, puisqu'ilsdonnaient tous les jours des fêtes et(p. 135)des dîners. Cetteassertion peut avoir quelque chose de vrai, quoique manquantentièrement de générosité de la part de celui qui l'avait émise. Jesais qu'on trouve à Sainte-Pélagie quelques consommateurs aisés quicherchent à s'étourdir à table avec d'autres consommateurs leurs amisqui viennent les voir; mais la masse des dettiers est dans la plusgrande misère, et plusieurs périraient sans le secours de leurscompagnons d'infortune.

Ce que je dis là est exact, et plus d'un de mes lecteurs seraient àmême d'en juger bientôt, s'ils n'avaient déjà mis en pratique lesthéories variées, enseignées par mon oncle.

La loi oblige le créancierincarcérateur à avancer au débiteurincarcéré, une somme de 20 fr. par mois; sur cette avance leconsommateur doit d'abord payer le loyer de son lit et de sonameublement; quelque modeste qu'il soit, il lui coûte la moitié de cequ'il reçoit par mois (10 fr., c'est prix fait comme pour les petitspâtés); il lui reste(p. 136)donc 10 fr. pour se nourrir; or, 10 fr.ou 1,000 cent. à partager en trente jours (terme moyen), font bien 33cent. 2/3 par jour ou 6 sols et deux liards à-peu-près, avec lesquelsil est tenu de faire deux repas par jour; reste 10 cent. par mois ou24 sols par an pour s'habiller, se blanchir, se chauffer, jouer, lire,donner des étrennes, etc., etc. Certes ce n'est pas trop, et je doutequ'un économiste, serait-il de la même trempe que celle dont était mononcle sur la fin de sa carrière, pût jamais faire honneur à sesaffaires sans même payer ses dettes, avec un semblable revenu.

M. le ministre de l'intérieur vient, il est vrai, au secours desdettierspauvres, en leur faisant distribuer ce qu'on appellelapitence, c'est-à-dire, une écuelle de bouillon maigre et quelqueslégumes secs, remplacés les jeudis, dimanches et fêtes chômées, par unbouillon appelégras et une petite portion de vache à laquelle onest convenu d'appliquer la qualification masculine.(p. 137)Lorsquele consommateur pauvre a une famille, et que cette famille se trouvedans l'abandon, il faut encore qu'il partage le peu qu'on lui donneavec sa femme et ses enfans.

Quel tableau que celui d'un malheureux privé de sa liberté, qui n'adevant lui, le jour de Pâque ou de Noël, que lapitence, et qui voitarriver sa femme et ses enfans affamés!.... Mon oncle, qui n'a jamaisconnu ses enfans, parce qu'on ne lui a jamais connu de femme, bienqu'il n'ait mis de sa vie le pied à Sainte-Pélagie, par superstition,n'en a pas moins laissé un tableau frappant des misères qui s'yengendrent, tout en raisonnant par analogie.

Cependant, il faut le dire, cet état de souffrance n'est pastout-à-fait général: les consommateurs dettiers trouvent àSainte-Pélagie une table d'hôte et trois ou quatre restaurans,fréquentés par la classe aisée, et qui (chose étonnante), ne font pasmoins de crédit que les restaurateurs les plus aisés de la capitale.Ceci vient sans doute à l'appui(p. 138)de l'assertion de mon oncle:«quiconque ne fait pas de crédit doit infailliblement fairebanqueroute.» Quant à moi, il me semble que s'il est au monde unrestaurateur qui ne doive pas faire de crédit, ce doit être celui deSainte-Pélagie. Eh bien c'est tout le contraire!

On trouve encore dans cette douce retraite des cafés-tabagies, unbillard, un cercle où l'on joue à la bouillotte et à l'écarté, et uncabinet de lecture où on lit tous les journaux, excepté leMoniteur,laGazette de France, laQuotidienne; on ne lisait pas davantageleJournal de Paris, l'Étoile et lePilote, lorsqu'ils étaientencore de ce monde.

L'intérieur de Sainte-Pélagie ressemble à un caravansérail, reçoit deshommes de tous les pays et de toutes les professions. On y comptetoujours vingt officiers, parmi lesquels se trouvent une demi-douzainede colonels et un lieutenant-général; les marquis, les comtes, lesbarons et les chevaliers s'y trouvent toujours en grand nombre;(p. 139)on y voit même de temps en temps des abbés; le reste de lapopulation se compose d'hommes de lettres, de musiciens, de peintres,d'ouvriers, de restaurateurs, de porteurs d'eau, de tailleurs et devoleurs de toutes les classes; ce qui est le plus rare àSainte-Pélagie, c'est un négociant ou un gendarme.

Comme il y entre journellement de soixante-quinze à cent cinquantevisiteurs par jour (terme moyen cent), et que cesvisiteurs neviennent pas pour être à la charge des consommateurs dettiers, lesrestaurateurs et les cafés y gagnent quelque chose. Sans ces puissansauxiliaires étrangers, il est probable que la plupart de cesétablissemens ne pourraient tenir long-temps; car en général lesconsommateurs à postes fixes consomment peu et ne payent pas du tout;aussi les restaurateurs et les cafés n'y sont-ils pas fameux. Leshabitués semblent posséder toutes les pratiques enseignées par mononcle, sans en pratiquer la théorie raisonnée. C'est un grand service (p. 140)que rendra son ouvrage à ceux qui ne sont pas encore allés àSainte-Pélagie et à ceux qui en sont sortis.

Lorsque l'on veut aller visiter un malheureux consommateurdettier àSainte-Pélagie, il ne suffit pas de se présenter à la préfecture depolice et d'y demanderune permission; il faut préalablement semunir d'une autorisation par écrit émanée du dettier que l'on veutvoir; ce n'est que sur cette autorisation, dûment visée au greffe del'établissement, par le respectable employé dont j'ai parlé aucommencement de cette leçon, que MM. de la préfecture de policedélivrent ladite permission.

Cette mesure qui paraîtra au premier abord une entrave à la liberté deceux qui sont en prison, est non-seulement nécessaire, mais encoretoute philantropique. Sans elle, les malheureuxconsommateursdébiteurs seraient journellement harcelés par leurs créanciersproducteurs, quoique les premiers fussent sous les verroux. Ce(p. 141)modede communication établi laisse aussi au détenu la faculté dene recevoir dans sa prison que les individus qui peuvent adoucirl'ennui de sa captivité: quant aux créanciers, ils n'ont d'autresmoyens de voir leurs débiteurs, qu'en les faisant appeler au greffe oùils sont même libres de ne point se rendre, s'ils soupçonnent quecelui qui vient les tracasser ne voudra, en aucune façon, entrer enarrangement en suivant la méthode du professeur.

Au surplus, il n'existe à Sainte-Pélagie comme dans la vie, que deuxgrandes époques: l'entrée et la sortie. Les premiers jours de l'une,comme les premières années de l'autre, paraissent interminables; maislorsque vous êtes arrivés à une certaine période, ils se précipitentavec une vitesse extrême. La dernière semaine de la prison, comme ladernière saison de la vie, s'écoule rapidement et ne laisse dans lamémoire que des traces fugitives; alors on ne compte pas plus lesjours que le vieillard ne compte les années.... Je voudrais(p. 142)qu'onm'expliquât clairement ce phénomène.

Il est prouvé d'ailleurs que les grands espaces nuisent au bonheur: entoutes choses on a besoin de voir et de sentir des limites. Milton netravaillait à son Éden que dans une cave; Rousseau écrivit ses plusbelles pages dans un grenier; Cervantes fit son chef-d'œuvre dansun cachot, et mon oncle composa ce savant traité à l'hôpital. Mais quesont Milton, Rousseau, Cervantes et une quantité d'autres, que jepourrais facilement nommer, en comparaison de mon oncle.... Tous cesgrands génies n'eurent jamais un sou de dettes!

CONCLUSION.(p. 143)

Morale

qui n'a rien de commun avec celle que prêche mon oncle dans sonouvrage, et que par cette seule raison, j'engagerai le lecteur asuivre de préférence a la sienne.

Grâce à Dieu, nous ne sommes plus au temps où il était du bon tond'avoir des dettes, et où des créanciers dans une antichambre étaientplus honorables que des laquais.

Le travers de quelques jeunes seigneurs de l'ancienne cour avaitinsensiblement gagné toutes les classes, mais il était réservé à montrès-remarquable oncle d'en faire un principe de droit civil,politique et commercial, en un mot d'en faire un livre pour prouvertout exprès que des dettes non-payées sont une preuve incontestable dela prospérité de celui qui les a contractées.(p. 144)

Je lui en demande pardon; mais tout en donnant mes soins à larédaction de sonart de payer ses dettes et de satisfaire sescréanciers sans débourser un sou, je n'ai jamais apprécié sa moraleet encore moins senti le sel de ses plaisanteries sur les moyens qu'ilconseille d'employer pour ne pas payer ses dettes, quandmalheureusement on a été forcé d'en faire, et lorsqu'on trouve lapossibilité de n'en plus avoir en les payant, bien entendu avec del'argent. Il me semble que des dettes, de quelque nature qu'ellespuissent être, sont des engagemens tout aussi sérieux que d'autres, etqu'il n'y a pas plus d'esprit que d'honneur à y manquer.

Je sais, et tout le monde sait comme moi que, par une de cesinconséquences dont il me serait facile de trouver dans nos mœursune foule d'exemples, la loi condamne, sur ce point, ce que la sociétépermet. Je sais encore que, pendant que les tribunaux frappent lematin les débiteurs, les théâtres se moquent le soir des créanciers,et qu'on est convenu, dans le monde et sur la scène,(p. 145)de riredes tours qu'on leur joue tous les jours. Mais ceux-ci se fatiguent deleurs courses inutiles, s'ennuyent des remises éternelles qu'on leurpropose, et finissent enfin, à force de persévérance, par obtenir unarrêté de compte que le débiteur, pour obtenir un crédit nouveau,solde au moins en partie souvent avec le secours des usuriers.

Ces honnêtes trafiquans, toujours au fait des besoins et desressources de ceux qui ont recours à eux, connaissent mieux quepersonne la valeur d'une acceptation faite sur papier timbré.L'étourdi qui tombe entre leurs pattes a beau répéter avec mon oncle:des billets tant qu'on veut, mais point de lettres de change! Cen'est qu'à ce prix qu'on obtient de l'argent, emprunté à des intérêtsénormes. Les jours s'écoulent, l'échéance arrive, la lettre de changeest protestée, le jugement rendu, signifié; M. Legrip et consors vousquittent, et le lendemain, à son retourdu bois, en entrant aucaféde Paris, notre élégant, sans respect ni pour(p. 146)la mode nipour son appétit, est invité, par sentence du tribunal de commerceséant à la Bourse, à se rendrerue de la clef pour y séjourner entrequatre murailles, jusqu'à ce qu'un père complaisant, une mère tendre,une maîtresse compatissante, un ami généreux, ou enfin un oncle d'uneautre trempe que celle dont était le mien, le rende à ses douceshabitudes, et lui donne, en payant ses dettes, le moyen d'encontracter de nouvelles.

Cependant il est une idée consolante, c'est qu'il devient chaque jourplus difficile de se faire à Paris, comme autrefois, un revenu de sesdettes; les marchands sont moins crédules, les ouvriers moins patiens,les usuriers moins nombreux, les parens, les maîtresses, les amis,moins généreux et les tribunaux plus sévères qu'à l'époque où vivaitmon original d'oncle..... à qui Dieu fasse paix et miséricorde!

FIN.


TABLE(p. 147)

DES MATIÈRES

CONTENUES DANS CET OUVRAGE.

Avant-propos de l'éditeur.5

Notice biographique sur mon oncle.13

Aphorismes, axiomes, et pensées neuves dont on ne sauraittrop se pénétrer avant que d'étudier les diversesthéories enseignées par mon oncle.33

PREMIÈRE LEÇON.

Des Dettes.

Impossibilité de n'avoir pas de dettes.—Qu'est-ceque l'on entend par le motdettes?—Leursdiverses natures.—Leur nombre, leurs qualifications,et leurs significations enseignéespar mon oncle.—Mont-de-Piété.39

DEUXIÈME LEÇON.

De l'Amortissement.

Principe.—Vérité.—Préjugé.—Manières(p. 148)diversesde payer ou d'éteindre les dettes de quelquenature qu'elles soient.—De la prescription.—Moyenlégal enseigné par le Code.—Dangers des à comptes.—Mauvaiseffets des remboursemens en argent.—Satisfactiondes créanciers.50

TROISIÈME LEÇON.

Des Créanciers.

Différentes sortes de créanciers.—Tous ne se ressemblentpas.—A qui appartient-il de prendre le titre de créancier.—Envertu de quels droits.—Permissions dont peuvent user lescréanciers.—Ce qui leur est défendu.—Coutumesdiverses.—Terre classique des créanciers.62

QUATRIÈME LEÇON.

Des Débiteurs.

L'Alexandre des débiteurs.—Qu'est-ce qu'un débiteur.—Droitset prérogatives accordés aux débiteurs.—Coutumes juives,indiennes, orientales et françaises.—Lois diverses concernantles débiteurs.—Usages reçus.67

CINQUIÈME LEÇON.

Qualités nécessaires au consommateur quel qu'il soit, et sans argent,pour mettre a profit les préceptes(p. 149)enseignés par mon oncle,et s'acquitter avec ses créanciers.

Qualités physiques et morales.—Leur nombre et leur nature.—Dela santé et de l'aplomb.—Réflexions.—Exemples faciles à mettreen pratique.75

SIXIÈME LEÇON.

Dispositions générales.

Vérité incontestable.—Choix d'un quartier.—Du logement.—Desportiers.—Du propriétaire.—Du mobilier.—Connaissancesqu'il faut avoir en physique.—Des domestiques.—D'une femmede ménage.—Conseils à suivre.85

SEPTIÈME LEÇON.

Manière de vivre.

Dicton de mon oncle.—Cas que l'on doit toujours prévoir.—Principeinvariable.—Fournisseurs de tous genres auxquels on doit accorderla préférence.—Craintes mal fondées.—Emploi de la journée d'unconsommateur quisait raisonner son affaire.—Biens immensesoccasionnés au commerce.—Résultats.95

HUITIÈME LEÇON.

De la Contrainte par corps.

Réflexions morales et philosophiques.—Trois(p. 150)petitspâtés, ma chemise brûle!—Sainte-Foix et mononcle.—Histoire dela contrainte par corps, depuisson origine jusqu'à nos jours.—Causes pour lesquelles onpeut êtreappréhendé au corps.—Anecdotes.—Avertissement.107

NEUVIÈME LEÇON.

Des Huissiers.

Qu'est-ce qu'un huissier.—Des huissiers Grecs et Romains.—Dessergens.—Droits et prérogatives d'iceux.—Petites anecdotesqui démontrent les avantages attachés à lacharge d'huissierou de sergent.—Refuges et inviolabilité.—Conséquences.119

DIXIÈME LEÇON.

Sainte-Pélagie.

Aveu tardif.—Itinéraire.—Connaissance des lieux.—Portraitsdivers.—Nouveau régime à suivre.—Les visiteurs.—Consolations.—Dernières réflexions.129

Conclusion.

Morale qui n'a rien de commun avec celle que prêche mon oncledans son ouvrage, et que par cette seule raison, j'engageraile lecteur a suivre de préférence a la sienne.143

FIN DE LA TABLE


NOTES:

[1] M. de Chateaubriant.

[2] M. de Pradt.

[3] Le général Foy.

[4] L'oncle de l'auteur.

[5] Aphorisme de l'oncle de l'auteur.

[6] Ces 50.000 fr. sont ici pris comme terme moyen.

[7] M. le Baron de l'Empésé a scrupuleusement rempli lesdernières volontés de son Oncle.

[8]Fin de non-recevoirdans cette acception signifie qu'undébiteur n'est pas recevable à intenter une action à soncréancier.

La prescription est un moyen d'acquérir la propriété d'une chose parla possession, non interrompue pendant le temps accordé par la loi.(Dict. de l'Acad.)

Par exemple, votre propriétaire néglige de réclamer de vous pendanttrois termes la somme que vous pouvez lui devoir, ou plutôt vousoubliez de remplir vis-à-vis de lui, et à chaque fin de terme, cetteformalité usitée. Le quatrième terme commencé, il n'a rien à vousréclamer aux termes de la loi, parce que vous le remboursez aveclaprescription, c'est-à-dire, sans qu'il vous en coûte un sou.

Dans les hôtels garnis il y aprescription au bout de six mois;c'est-à-dire, que le septième commencé vous avez de droit votrequittance, et souvent votre congé en même temps; ce qui fait un doubleavantage.

[9] C'est-à-dire, hypothécaires. [Voir[i]]

[10]Voyez ma Leçon, qui traite exclusivement delacontrainte par corps.

[11] Le prévôt était autrefois un juge royal qui connaissaitdes causes entre les habitans privilégiés, et ceux qui ne l'étaientpas, et jugeait s'il fallait qu'elles fussent appelées au parlement,ou non.

Lesvoyers étaient des officiers préposés à la police des chemises àla campagne et à la ville; cette charge existe toujours sous la mêmequalification; mais ils ont chacun des attributions spéciales.

[12]Exod. 22, vers. 25.

[13] Voyez l'Histoire de l'Empire ottoman.

[14]Hist. civil et commerc. des Indes; par le traducteurdes Voyages d'Arthur-Youngh.

[15] M. Bazre.

[i]Note au lecteur:
Il faut probablement lire: "non hypothécaire", compte tenu qu'uncréancier est chirographaire en vertu d'un acte sous seing privé, quidès lors ne peut emporter hypothèque et ne donne au créancier qu'uneaction personnelle contre le débiteur. Cf. leDictionnaire del'Académie française de 1762, qui n'a pas varié depuis.

*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ART DE PAYER SES DETTES ET DE SATISFAIRE SES CRÉANCIERS SANS DÉBOURSER UN SOU ***
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Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit501(c)(3) educational corporation organized under the laws of thestate of Mississippi and granted tax exempt status by the InternalRevenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identificationnumber is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation are tax deductible to the full extent permitted byU.S. federal laws and your state’s laws.
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