Title: Le Tour du Monde; Perse
Author: Various
Editor: Édouard Charton
Release date: May 8, 2008 [eBook #25394]
Most recently updated: January 3, 2021
Language: French
Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris
PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTON
ET ILLUSTRÉ PAR NOS PLUS CÉLÈBRES ARTISTES
1860
DEUXIÈME SEMESTRE
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
PARIS, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77
LONDRES, KING WILLIAM STREET, STRAND
LEIPZIG, 15, POST-STRASSE
1860
Un mois en Sicile (1843.—Inédit.), parM. Félix Bourquelot.
Arrivée en Sicile. — Palerme et ses habitants. — Les monuments de Palerme. — La cathédrale de Monreale. — De Palerme à Trapani. — Partenico. — Alcamo. — Calatafimi. — Ruines de Ségeste. — Trapani. — La sépulture du couvent des capucins. — Le mont Éryx. — De Trapani à Girgenti. — La Lettica. — Castelvetrano. — Ruines de Sélinonte. — Sciacca. — Girgenti (Agrigente). — De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l'enlèvement de Proserpine. — De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini. — Syracuse. — De Syracuse à Catane. — Lentini. — Catane. — Ascension de l'Etna. — Taormine. — Messine. — Retour à Naples.
Voyage en Perse, fragments par M. le comteA. de Gobineau (1855-1858),dessins inédits deM. Jules Laurens.
Voyages aux Indes Occidentales, parM. Anthony Trollope(1858-1859); dessins inédits deM. A. de Bérard.
L'île Saint-Thomas. — La Jamaïque: Kingston; Spanish-Town; lesréserves; la végétation. — Les planteurs et les nègres. — Plaintes d'une Ariane noire. — La toilette des négresses. — Avenir des mulâtres. — Les petites Antilles. — La Martinique. — La Guadeloupe. — Grenada. — La Guyane anglaise. — Une sucrerie. — Barbados. — La Trinidad. — La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama. — Costa Rica: San José; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.
Voyage dans les États scandinaves, parM. Paul Riant. (LeTélémark et l'évêché de Bergen.) (1858.—Inédit.)
Le Télémark. — Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen. — De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères. — Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité desgaards et dessæters. — Une sorcière. — Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute du Rjukan. — Légende de la belle Marie. — Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvége. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.
—Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.
L'évêché de Bergen. — La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord. — Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord. — De Vikoër à Sammanger et à Bergen.
Voyage de M. Guillaume Lejean dans l'Afrique orientale(1860.—Texte et dessins inédits.)—Lettre au Directeur duTourdu monde (Khartoum, 10 mai 1860).
D'Alexandrie à Souakin. — L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddah.
Voyage au mont Athos, parM. A. Proust (1858.—Inédit.)
Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas. — Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos. — Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon. — Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.
Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes. — Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroukolakas. — Les bibliothèques. — Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'Indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.
La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le Jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares: Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos. — Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.
Voyage d'un naturaliste (Charles Darwin).—L'archipel Galapagoset les attoles ou îles de coraux.—(1838).
L'Archipel Galapagos. — Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L'île Chatam. — Colonie de l'île Charles. — L'île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d'îles. — Mammifères; souris indigène. — Ornithologie; familiarité des oiseaux; terreur de l'homme; instinct acquis. — Reptiles; tortues de terre; leurs habitudes.
Encore les tortues de terre; lézard aquatique se nourrissant de plantes marines; lézard terrestre herbivore, se creusant un terrier. — Importance des reptiles dans cet archipel où ils remplacent les mammifères. — Différences entre les espèces qui habitent les diverses îles. — Aspect général américain.
Les attoles ou îles de coraux. — Île Keeling. — Aspect merveilleux. — Flore exiguë. — Voyage des graines. — Oiseaux. — Insectes. — Sources à flux et reflux. — Chasse aux tortues. — Champs de coraux morts. — Pierres transportées par les racines des arbres. — Grand crabe. — Corail piquant. — Poissons se nourrissant de coraux. — Formation des attoles. — Profondeur à laquelle le corail peut vivre. — Vastes espaces parsemés d'îles de corail. — Abaissement de leurs fondations. — Barrières. — Franges de récifs. — Changement des franges en barrières et des barrières en attoles.
Biographie.—Brun-Rollet.
Voyage au pays des Yakoutes (Russie asiatique), parOuvarovski(1830-1839).
Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine. — Mon premier voyage. — Killæm et ses environs. — Malheurs. — Les Yakoutes. — La chasse et la pêche. — Yakoutsk. — Mon premier emploi. — J'avance. — Dernières recommandations de ma mère. — Irkoutsk. — Voyage. — Oudskoï. — Mes bagages. — Campement. — Le froid. — La rivière Outchour. — L'Aldan. — Voyage dans la neige et dans la glace. — L'Ægnæ. — Un Tongouse qui pleure son chien. — Obstacles et fatigues. — Les guides. — Ascension du Diougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d'Oudskoï. — La pêche à l'embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible. — Boroukan. — Une halte dans la neige. — Les rennes. — Le mont Byraya. — Retour à Oudskoï et à Yakoutsk.
Viliouisk. — Sel tricolore. — Bois pétrifié. — Le Sountar. — Nouveau voyage. — Description du pays des Yakoutes. — Climat. — Population. — Caractères. — Aptitudes. — Les femmes yakoutes.
De Sydney à Adélaïde (Australie du Sud), notes extraites d'unecorrespondance particulière (1860).
Les Alpes australiennes. — Le bassin du Murray. — Ce qui reste des anciens maîtres du sol. — Navigation sur le Murray. — Frontières de l'Australie du Sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge. — La colonie de l'Australie du Sud. — Adélaïde. — Culture et mines.
Voyages et découvertes au centre de l'Afrique, journal du docteurBarth (1849-1855).
Henry Barth. — But de l'expédition de Richardson. — Départ. — Le Fezzan. — Mourzouk. — Le désert. — Le palais des démons. — Barth s'égare; torture et agonie. — Oasis. — Les Touaregs. — Dunes. — Afalesselez. — Bubales et moufflons. — Ouragan. — Frontières de l'Asben. — Extorsions. — Déluge à une latitude où il ne doit pas pleuvoir. — La Suisse du désert. — Sombre vallée de Taghist. — Riante vallée d'Auderas. — Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d'œil sur les mœurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan; le Damergou. — Architecture. — Katchéna; Barth est prisonnier. — Pénurie d'argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson. — Arrivée à Kouka. — Difficultés croissantes. — L'énergie du voyageur en triomphe. — Ses visiteurs. — Un vieux courtisan. — Le vizir et ses quatre cents femmes. — Description de la ville, son marché, ses habitants. — Le Dendal. — Excursion. — Angornou. — Le lac Tchad.
Départ. — Aspect désolé du pays. — Les Ghouas. — Mabani. — Le mont Délabéda. — Forgeron en plein vent. — Dévastation. — Orage. — Baobab. — Le Mendif. — Les Marghis. — L'Adamaoua. — Mboutoudi. — Proposition de mariage. — Installation de vive force chez le fils du gouverneur de Soulleri. — Le Bénoué. — Yola. — Mauvais accueil. — Renvoi subit. — Les Ouélad-Sliman. — Situation politique du Bornou. — La ville de Yo. — Ngégimi ou Ingégimi. — Chute dans un bourbier. — Territoire ennemi. — Razzia. — Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l'armée. — Dikoua. — Marche de l'armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l'homme. — Erreur des Européens sur le centre de l'Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin. — Entrée dans le Baghirmi. — Refus de passage. — Traversée du Chari. — À travers champs. — Défense d'aller plus loin. — Hospitalité de Bou-Bakr-Sadik. — Barth est arrêté. — On lui met les fers aux pieds. — Délivré par Sadik. — Maséna. — Un savant. — Les femmes de Baghirmi. — Combat avec des fourmis. — Cortége du sultan. — Dépêches de Londres.
De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L'émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d'une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d'industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger. — La ville de Say. — Région mystérieuse. — Orage. — Passage de la Sirba. — Fin du rhamadan à Sebba. — Bijoux en cuivre. — De l'eau partout. — Barth déguisé en schérif. — Horreur des chiens. — Montagnes du Hombori. — Protection des Touaregs. — Bambara. — Prières pour la pluie. — Sur l'eau. — Kabara. — Visites importunes. — Dangereux passage. — Tinboctoue, Tomboctou ou Tembouctou. — El Bakay. — Menaces. — Le camp du cheik. — Irritation croissante. — Sus au chrétien! — Les Foullanes veulent assiéger la ville. — Départ. — Un preux chez les Touaregs. — Zone rocheuse. — Lenteurs désespérantes. — Gogo. — Gando. — Kano. — Retour.
Voyages et aventures du baron de Wogan en Californie(1850-1852.—Inédit).
Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception. — La solitude. — Mineur et chasseur. — Départ pour l'intérieur. — L'ours gris. — Reconnaissance des sauvages. — Captivité. — Jugement. — Le poteau de la guerre. — L'Anglais chef de tribu. — Délivrance.
Voyage dans le royaume d'Ava (empire des Birmans), par lecapitaineHenri Yule, du corps du génie bengalais (1855).
Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords. — La ville de Magwé. — Musique, concert et drames birmans. — Sources de naphte; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants. — La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura. — Paysage. — Arrivée à Amarapoura.
Amarapoura; ses palais, ses temples. — L'éléphant blanc. — Population de la ville. — Recensement suspect. — Audience du roi. — Présents offerts et reçus. — Le prince héritier présomptif et la princesse royale. — Incident diplomatique. — Religion bouddhique. — Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.
Comment on dompte les éléphants en Birmanie. — Excursions autour d'Amarapoura. — Géologie de la vallée de l'Irawady. — Les poissons familiers. — Le serpent hamadryade. — Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d'Ava. — Les femmes chez les Birmans et chez les Karens. — Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d'Amarapoura et retour à Rangoun. — Coup d'œil rétrospectif sur la Birmanie.
Voyage aux grands lacs de l'Afrique orientale, par le capitaineBurton (1857-1859).
But de l'expédition. — Le capitaine Burton. — Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite. — Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée. — Coup d'œil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.
Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse. — Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. — Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi. — Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie. — Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. — Ravissements. — Kaouélé.
Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji; leur cérémonial. — Autres riverains du lac. — Ouatata, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité. — Installation à Kaouélé. — Visite de Kannéna. — Tribulations. — Maladies. — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya. — Le chef Kanoni. — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. — Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.
Fragment d'un voyage au Saubat (affluent du Nil Blanc), parM.Andrea Debono (1855).
Voyage à l'île de Cuba, parM. Richard Dana (1859).
Départ de New-York. — Une nuit en mer. — Première vue de Cuba. — Le Morro. — Aspect de la Havane. — Les rues. — La volante. — La place d'Armes. — La promenade d'Isabelle II. — L'hôtel Le Grand. — Bains dans les rochers. — Coolies chinois. — Quartier pauvre à la Havane. — La promenade de Tacon. — Les surnoms à la Havane. — Matanzas. — La Plaza. — Limossar. — L'intérieur de l'île. — La végétation. — Les champs de canne à sucre. — Une plantation. — Le café. — La vie dans une plantation de sucre. — Le Cumbre. — Le passage. — Retour à la Havane. — La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l'esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.
Excursions dans le Dauphiné, parM. Adolphe Joanne (1850-1860).
Le pic de Belledon. — Le Dauphiné. — Les Goulets.
Les gorges d'Omblèze. — Die. — La vallée de Roumeyer. — La forêt de Saou. — Le col de la Cochette.
Excursions dans le Dauphiné, parM. Élisée Reclus (1850-1860).
La Grave. — L'Aiguille du midi. — Le clapier de Saint-Christophe. — Le pont du Diable. — La Bérarde. — Le col de la Tempe. — La Vallouise. — Le Pertuis-Rostan. — Le village des Claux. — Le mont Pelvoux. — La Balme-Chapelu. — Mœurs des habitants.
Pigeonnier près d'Ispahan.—Dessin de M. JulesLaurens.
PAR M. LE CTE DE GOBINEAU[1].
1855-1858
DESSINS INÉDITS DE M. JULES LAURENS[2].
Arrivée à Ispahan. — Le gouverneur. — Aspect de la ville. — Le Tchéar-Bâgh. — Le collége de la Mère du roi. — La mosquée du roi Les quarante colonnes. — Présentations. — Le pont du Zend-è-Roud.
..... À une heure de la ville, nous vîmes de loin apparaître legouverneur, Tchéragh-Aly-Khan, sur un cheval turcoman blanc,superbement harnaché. Lui-même était vêtu d'un djubbèh ou robecouverte de cachemire, et à sa ceinture brillait un poignard enrichide pierreries. Il s'arrêta d'abord pour faire ses compliments auxdames[3], ce qui nous parut extrêmement civilisé, et s'informa de leursanté avec beaucoup de(p. 018) grâce, puis, continuant sa route,arriva jusqu'à nous. Il y avait devant nous un état-major nombreuxd'employés militaires et civils, beaucoup d'artilleurs, beaucoup deghoulams (cavaliers d'escorte), bref, toute une cavalerie quis'étendait à perte de vue sur deux ou trois lignes, et formaitvéritablement un spectacle d'une variété et d'une richessemerveilleuses.
Tchéragh-Aly-Khan est un fort bel homme, d'une figure intelligente etdistinguée, et de la plus noble politesse. Après avoir rendu sesdevoirs au ministre, il commença la conversation avec aisance etfacilité, ce qui ne l'empêchait pas, tout le long du chemin, de voirce qui se passait, et de donner de temps en temps des ordres quis'exécutaient immédiatement sans cris et sans trouble. Par sonorigine, il appartient à une tribu nomade des environs de Kermanschah,et comme cette tribu est ancienne, il est bien né. Mais la fortune nel'avait pas traité d'abord aussi bien que la naissance, de sorte qu'ilse trouva lancé dans la vie avec beaucoup d'intelligence, d'esprit,d'ambition, et pas un sou. Il prit le parti que prennent tous sescompatriotes dans d'aussi graves conjonctures, il quitta son pays pourvoyager, et devint domestique. Sa bonne étoile le fit entrer en cettequalité au service de Mirza-Taghy-Khan, alors membre persan de lacommission de délimitation des frontières turco-persanes. Il remplitauprès de ce personnage les fonctions de sa charge, qui consistaientprincipalement à tenir le kalian (pipe d'eau); mais il trouva moyen dese faire connaître comme valant mieux que son emploi, et rendit desservices qui appelèrent sur lui l'attention de son maître. Quandcelui-ci devint premier ministre à l'avènement du roi actuel,Tchéragh-Aly-Khan fut élevé à une charge publique, et s'en acquittaavec beaucoup de distinction. Après la chute de son protecteur, ilresta au service du roi, et nous le trouvions gouverneur d'Ispahan,c'est-à-dire à la tête d'une des plus grandes provinces de l'empire.
Tout en marchant de la sorte en grande ordonnance, nous sortîmes de lamontagne et nous aperçûmes la ville au fond d'un amphithéâtre ouvertdu côté du nord et de l'est, mais entouré de hautes montagnes versl'ouest et le sud: ce premier coup d'œil est très-beau. Ispahan seprésente environné de jardins et tout rempli de bouquets d'arbres quedominent les dômes d'un assez grand nombre de monuments. Mais au lieude regarder en l'air, nous eûmes bientôt assez à faire de regarder ànos pieds. La foule devenait énorme; toute la population était sortieà notre rencontre; elle avait infiniment meilleure mine, et paraissaitbeaucoup moins frondeuse et moins triste qu'à Schyraz. Nous marchionsdans des chemins abominables, ou plutôt dans un réseau de sentiers,les uns bas, les autres élevés, tous défoncés. Un lièvre partit dansnos jambes, à la grande satisfaction des gens du peuple et desghoulams, dont plusieurs, malgré la gravité de la circonstance, nerésistèrent pas à la tentation, et coururent après.
Puis, nous franchîmes la porte, et là nous nous trouvâmes dans leschamps cultivés, car cette porte s'ouvre sur un quartier qui n'existeplus que par ses ruines, au milieu desquelles poussent maintenant deslégumes et des fruits. Nous arrivâmes au Zend-è-Roud, fleuve fameux oùil y a, je crois, un peu plus d'eau l'été que dans le Manzanarès, maisguère davantage. Seulement il a la gloire de déborder en hiver et dese permettre quelquefois d'assez grands dégâts. Nous le passâmes surun pont d'une architecture curieuse, et pas en trop mauvais état (voy.p.21), puis nous entrâmes dans une longue avenue de platanes, avenuecélèbre qui conduit au Tchéhar-Bâgh, et c'est dans cette réunion depalais que nous mîmes pied à terre. Nous étions logés dans un des plusbeaux et des plus commodes, l'Imarêt-è-Sadr.
Ispahan est sans doute assez délabré. De six à sept cent millehabitants qu'il avait au dix-septième siècle, il n'en comptemaintenant, dit-on, que cinquante à soixante mille; partant, lesruines y abondent, et des quartiers tout entiers ne montrent que desmaisons et des bazars écroulés, où à peine quelques chiens errants sepromènent. Tout a frappé cette ville depuis l'époque qui a mis fin àsa splendeur. Être prise d'assaut par une armée afghane est assurémentune calamité au premier chef, et traverser toutes les phases del'anarchie et de la guerre civile est peu propre à rien réparer.Malgré de telles destinées, Ispahan est encore une merveille. Cetteréunion de palais, qu'on nomme le Tchéhar-Bâgh, et où nous étionslogés, est probablement un lieu unique dans le monde; il n'est que laChine dont les résidences impériales, avec leurs vastes jardins etleurs constructions multipliées, doivent peut-être beaucoup yressembler. Je ne fais pas cette comparaison au hasard. Le style desplus anciens monuments d'Ispahan, l'ornementation, les peintures,portent le cachet évident du goût chinois, et rappellent les relationsétroites que la conquête mongole et ensuite le commerce avaient crééesentre les deux empires. Les longues avenues de platanes que décritChardin ont beaucoup souffert certainement, mais ce qui en reste portetémoignage de la beauté parfaite de ce qui a disparu. Le Tchéhar-Bâghen contient encore de belles rangées qui sont comme un boulevardmagnifique bordé de monuments dignes des arbres, et interrompues dedistance en distance par de grands bassins d'eau formant autant deronds-points. Le milieu des avenues est dallé, et, suivant l'usage desjardins persans, s'élève d'un pied environ au-dessus du sol, couvertde grandes herbes et de rares fleurs. Où l'on aperçoit bien que cettemagnificence n'est plus que l'ombre du passé, c'est d'abord dans lasolitude profonde de ces avenues que la population actuelle adésertées, et que d'ailleurs elle ne suffirait pas à remplir. Puis leseaux sont stagnantes dans les bassins où jadis elles couraient viveset fraîches; enfin, au lieu des jardins qui longeaient des deux côtésla chaussée principale et la séparaient des deux petites chausséesétablies le long des bâtiments, on ne voit presque plus que desherbes, comme je l'ai dit, poussant désordonnées, et laissant encoreapparaître ça et là quelques têtes de vieux(p. 019) arbustes à demimorts. Enfin les dalles de la chaussée sont en grande partie briséesou ont disparu. Malgré cette désolation, il y a bien de la grandeur etde l'élégance dans ces restes du Tchéhar-Bâgh.
CARTE de la PERSE
pour servir à l'intelligence duvoyage fait de 1855 à 1858
par le Cte. DE GOBINEAU.—Dressée par A.Vuillemin.
Plusieurs des édifices qui longent ce boulevard sont cependant en bonétat. Ils ont échappé à la destruction et on les voit aussi jeunes quejamais. Il en est ainsi du collége appelécollége de la Mère du roiet fondé par une princesse Séfévy. Ce monument merveilleux a mêmeconservé, et c'est presque un miracle, sa porte couverte de lamesd'argent ciselées. Autant que je me le rappelle, celui qui a accomplice beau travail a écrit son nom dans un coin, et il était de Tébryz.On ne peut rien admirer de plus élégant que cette orfévreriegrandiose. Les dessins se composent d'enroulements de feuillages etd'inscriptions arrangées à la façon arabe, c'est-à-dire de manière àfournir le principal motif d'ornementation. Je regrette de ne pas mesouvenir du nom de l'auteur de cette œuvre pleine de goût et detalent. Il faut dire aussi que l'artiste travaillait pour une personnequi voulait témoigner grandement de son respect pour la science.
La princesse qui fit faire cette porte et le collége où nous allonsentrer, se proposa de créer pour l'étude et la méditation un lieud'asile où rien ne pût les troubler. Elle voulut que les yeuxsatisfaits laissassent à l'âme une pleine liberté et tinssentl'intelligence en joie. Par la splendeur de la porte qui devaitconduire dans le sanctuaire, elle indiquait dès l'abord quel lieucharmant son collége devait être.
En effet l'entrée n'annonce rien de trop; quand on l'a franchie, on setrouve dans un petit préau dallé, où se tiennent des marchands defruits et des kalians, toujours(p. 020) à la disposition des maîtreset des étudiants. De grands arbres projettent leur ombre sur l'arcadede la porte et sur les amoncellements de pêches, d'abricots, demelons, de pastèques et les monceaux de glace qui remplissent cevestibule ouvert. De là on pénètre dans un grand jardin carré, forméde quatre massifs où dominent d'immenses platanes entourés de rosierset de jasmins non moins énormes dans leur espèce. À l'extrémité desallées se présentent trois portes colossales qui donnent accès dans devastes salles couvertes d'un dôme. Elles sont flanquées chacune dedeux petits minarets terminés aussi en dôme, et le tout est revêtud'émail bleu, brodé d'inscriptions koufiques et d'arabesques noires,blanches et jaunes. Pour se faire quelque idée de ses portes, il fautsavoir que leur hauteur égale celle de nos plus hauts portails. Lesquatre angles qui les réunissent sont formés de quatre corps de logiségalement revêtus d'émaux, mais beaucoup plus bas que les portes, etpercés, comme des ruches d'une infinité de cellules. C'était là que,sans rétribution aucune, on logeait les étudiants accourus de toutesles parties du monde musulman pour entendre les savants professeurs;et une fois par semaine, la fondatrice venait, accompagnée de sesfemmes, prendre le linge des habitants du collége et en apporterd'autre. Elle avait soin aussi de se faire rendre compte de tous lesbesoins de ses hôtes, voulant expressément qu'aucun souci, aucun ennuine pût les distraire du but qu'ils avaient assigné à leur vie; et elles'était donné pour tâche de leur en faciliter la poursuite autantqu'il était en elle. On ne peut s'imaginer, sans l'avoir vu, quelbijou est ce collége de laMère du roi (voy. p.24). C'est un vased'émail, c'est un joyau au milieu des fleurs. Je comprends à merveillequ'on puisse s'y livrer avec passion à la vie contemplative; maisc'est bien le plus mauvais endroit du monde pour se convaincre que lesbiens terrestres ne sont rien; on dirait qu'il a été bâti pour prouverle contraire. Dans tous les cas, c'étaient et ce sont encore d'heureuxsavants que ceux dont l'existence s'écoule dans cet aimable séjour.Comme je l'ai dit en commençant, ce collége est en son entier, il n'ymanque pas une brique; et quand on songe que tous les monumentsd'Ispahan ont été un jour dans cet état parfait, on est comme éblouid'une telle idée.
Il ne faut cependant pas s'imaginer qu'il y ait jamais eu un moment oùcette grande capitale ne renfermât pas de ruines. Ce n'est pas unechose possible en Asie. Dans les contes qui nous parlent de Bagdad autemps des khalifes abbassides, à l'époque d'Haroun Arraschyd lui-même,il est question de quartiers ruinés, compris dans les limites d'unecité qui n'avait pas alors d'égale dans le monde musulman ni chrétien,à l'exception de Constantinople et d'Alexandrie. Shah-Abbas le Grandlui-même, si jaloux de la beauté de sa grande ville et qui l'embellitde tant de merveilles, s'il fut un infatigable constructeur de palais,de caravansérails, de mosquées et de colléges, se soucia peu derelever les édifices de ses prédécesseurs. Seulement il est clair que,de son temps, les monuments debout dépassaient en nombre ceux qui sedégradaient, et que les maisons en construction ou nouvellementconstruites l'emportaient sur celles qu'on laissait s'écrouler.
Il ne faut pas non plus se plaindre trop amèrement des ruines, quandtoutefois elles sont contenues dans de certaines limites. Leurprésence fait partie nécessaire de la physionomie d'une cité persane,et je n'ai pas, au point de vue du goût, un culte si passionné pour larégularité, la symétrie et la belle ordonnance, pour les alignementscorrects, les trottoirs bien raccordés et les coins de rueirréprochables, que je sois en droit de pousser des soupirs bienprofonds à la vue de quelques bâtiments écroulés.
La mosquée du roi est grande et noble. Son dôme d'émail bleu travailléd'arabesques jaunes à grands ramages est d'une rare magnificence.Cependant le voisinage de la place ou meydan lui fait du tort. Cegrand quadrilatère est si étendu, que tous les monuments qui lebordent, et la mosquée du roi comme les autres, semblent petits. C'estlà que se donnaient, sous les Séfévys, et que se donnent encoreaujourd'hui, mais avec beaucoup moins de splendeur, les fêtespubliques. Les rois, comme Shah-Abbas, assistaient aux solennités duhaut d'une porte immense, appelée Aly-Kapy. C'est un belvédère dedimensions colossales, où pouvaient tenir toute la cour, les grandsofficiers, les grands moullahs, les envoyés étrangers, les chefs destribus nomades.
De cette vaste tribune on découvre non-seulement la cité, mais toutela campagne aux environs. C'est d'un aspect grandiose. Rien nem'étonna autant, parmi les tableaux et les objets variés quis'étendaient de toutes parts, que de voir, autour du dôme de lamosquée royale, certains grands échafaudages qui y avaient étéattachés. L'explication qu'on m'en fit acheva de me confondre. Le roia ordonné, il y a plusieurs années, de réparer cette mosquée et de luirendre sa magnificence première. C'était la seule fois où l'on eûtparlé de restaurer des monuments, et c'est une pensée qui faitd'autant plus d'honneur au roi, qu'elle est tout à fait nouvelle dansson pays. Mais malheureusement l'exécution rentrait un peu trop dansles habitudes nationales. Les mandataires royaux avaient bien faitélever des échafaudages, mais on ne travaillait pas; seulement ontouchait régulièrement les sommes allouées. Probablement on les toucheencore et on les touchera longtemps après que la mosquée n'existeraplus.
Pont d'Allah-Yerdi-Khan sur le Zend-è-Roud,
àIspahan.—Dessin de M. Jules Laurens.
Les palais d'Ispahan ont été décrits trop de fois pour que j'yrevienne. Je remarquerais seulement que le Tchéhèl-Soutoun, ou lesQuarante-Colonnes, un des plus anciens et des plus splendides, estdoublement intéressant comme offrant les exemples les plus frappantsde l'appropriation du goût chinois à l'ornementation persane, etcontenant les peintures les plus remarquables qu'on puisse voir enPerse (voy. p.25). Sur le premier point, il y a beaucoup d'intérêtpour l'histoire de l'art à observer comment les artistes des Séfévyss'y sont pris pour associer des motifs d'architecture et un certainstyle d'arabesques empruntés au palais de Nanking, avec ce que lahaute antiquité leur avait traditionnellement livré de sujetsassyriens et perses. L'effet est extrêmement riche(p. 022) etheureux, et c'est là qu'on peut s'assurer plus pleinement qu'ailleursde cette grande vérité, qu'en fait d'art, les Persans d'aucun tempsn'ont jamais rien inventé, mais qu'ils ont su tout prendre, toutgarder, ne rien oublier, et fondre leurs acquisitions dans un ensemblesi heureusement lié, qu'il a l'air de leur appartenir, et qu'on enjurerait, si l'analyse ne venait démontrer le contraire. Ce que lesPersans ont possédé au plus haut degré, c'est l'esprit decompréhension, la puissance de comparaison, et une sorte de critiquequi leur a permis de combiner avec bonheur des éléments parfaitementétrangers les uns aux autres. Je suis persuadé que c'est en étudiantles procédés de l'art persan que l'on arrivera à comprendre beaucoupde choses encore aujourd'hui parfaitement inconnues en ces matières.En se plaçant sur ce terrain, on pourrait pénétrer bien des mystèresde l'origine de l'art byzantin et de l'art sarrasin. La Perse estcomme un foyer où les idées et les inventions des pays et des penséesles plus lointains sont venues se confondre. À lui seul, leTchéhèl-Soutoun me paraît fournir bien des révélations.
Pour ce qui est de la peinture, les grandes fresques murales qu'on yremarque, et qui représentent surtout des batailles, sont d'une beautéincontestable comme couleur. Pour le dessin de l'agencement desfigures, c'est à peu près complètement le style de nos plus anciennestapisseries, ou, pour mieux dire, nos plus anciennes tapisseries sesont faites d'après ce style-là. J'en verrais volontiers la sourcedans les œuvres de la basse époque sassanide. Ce temps a encore undroit de paternité sur ce travail maigre et sec, mais de paternitémalheureusement éloignée, et jamais, depuis le troisième siècle denotre ère, on n'a revu dans l'Asie centrale les œuvres grandioseset magnifiques qui ont illustré le règne des premiers descendantsd'Ardeschyr. Telles qu'elles sont, cependant, les peintures duTchéhèl-Soutoun ne sont pas méprisables, et on en tiendra grand comptelorsqu'on aura compris à quel point l'histoire de l'art asiatique, etje dis l'histoire moderne tout autant que l'histoire antique, estindispensable et de première nécessité pour l'histoire de l'arteuropéen.
Toujours au point de vue critique, je signalerai encore à Ispahan unpetit palais qui emprunte à la date de sa construction un intérêtparticulier. Ce palais est moderne. Il existe dans le Tchéhar-Bâghdepuis une quinzaine d'années environ, et c'est un vrai bijou. Ilcontient une salle carrée, éclairée par en haut, formée d'une galeriecirculaire soutenue par des colonnes plaquées de miroirs ajustés enlosanges, ayant au centre un bassin d'albâtre oriental garni d'unequantité de jets d'eau à filets très-minces, et le tout orné despeintures, des sculptures en bois, des émaux ordinaires. Dans le plan,cet édifice est irréprochable. Il reproduit les meilleurs modèles duseizième et du dix-septième siècle, qui sont restés les prototypes del'art national. Seulement, dans l'exécution des détails, on sentpartout que les constructeurs du palais n'ont eu à leur dispositionque des ouvriers adroits, et point d'artistes véritables. La faute enest à la pauvreté actuelle du pays, qui ne permet pas souventd'entreprendre rien de semblable. Il en résulte que peu de genshabiles peuvent se former, faute d'occasions. Mais le seul fait que denos jours on a pu imaginer et créer cette jolie résidence, prouvesuffisamment que le goût n'est pas mort, et que si la situationprésente se soutient et que les fortunes puissent suivre le mouvementascendant qu'on remarque en toutes choses, dans une cinquantained'années les bons artistes auront reparu, si toutefois la rage del'imitation européenne et d'avoir des appartements soi-disant à notremode ne vient pas tout gâter, ce dont il ne faudrait pas jurer.
Nous ne fûmes pas tellement absorbés par l'admiration du Tchéhar-Bâghque nous ne prissions aussi le temps d'aller à Djoulfâ. Nous avionsdes raisons de premier ordre pour visiter ce faubourg où Schah-Abbasle Grand avait établi les Arméniens attirés par lui en Perse etauxquels il accorda de grands priviléges. Nous devions rendre nosdevoirs à Mgr Tylkyan et également au délégué du patriarcheschismatique.
Nous passâmes donc le pont du Zend-è-Roud, avec lequel nous avionsdéjà fait connaissance à notre arrivée, et nous nous rendîmes dansl'ancien couvent des jésuites français. Le gouvernement des Séfévysavait été très-généreux à l'égard de ces missionnaires. Il leur avaitaccordé des maisons et des jardins où les bons pères pratiquaient,avec leur intelligence ordinaire, d'excellentes méthodes de culture.Quand les malheurs qui ont accablé la Perse pendant le siècle dernierse furent déchaînés sur Ispahan, la mission en souffrit naturellement.Son influence fut perdue. Le désordre du temps rendait sa situationdifficile; elle cessa de se recruter. D'autre part, la populationchrétienne qui l'entourait et qui était uniquement composéed'Arméniens, fut dispersée. Tout périt. L'établissement fondé avectant de peine disparut. Mais l'équité veut aussi qu'on remarque bienque les musulmans ne souffraient pas moins que les chrétiens au milieude cette épouvantable anarchie, et, si Djoulfâ était frappé, Ispahann'était pas en meilleur état. Enfin, la dynastie actuelle rétablit lapaix, et, avec la paix, les envoyés de la propagande revinrent. Ilsretrouvèrent les biens des jésuites. On les leur laissa prendre sansdifficulté. Un petit troupeau assez faible se reforma autour d'eux, etaujourd'hui ils végètent, fort pauvres, mais tout à fait libres. Cesont, comme je l'ai dit, des Arméniens catholiques ne sachant aucunelangue européenne. Ils ignorent même le persan, et communiquent avecles autorités locales au moyen du turc. J'ai vu, entre leurs mains,l'ancienne bibliothèque des pères jésuites, qui m'a sembléintéressante, et j'ai regretté que le temps m'ait manqué pour lavisiter en détail. Je dois avouer, à ma honte, que mes vénérablesconducteurs ne paraissaient pas fort tranquilles sur mes intentions,et désiraient visiblement que j'abrégeasse mon séjour dans cesanctuaire mystérieux. Ils ne savaient pas ce que contenaient cesvolumes rangés sur deux tablettes depuis tant d'années sans quepersonne les eût jamais ouverts, mais ils se considéraient commeresponsables du dépôt et n'aimaient pas à le laisser voir.
(p. 023) Un dîner à Ispahan. — La danse et la comédie.
Tchéragh-Aly-Khan et notre Mehmandar[4] nous annoncèrent qu'ilsvoulaient nous donner un dîner; mais, pour nous éviter la gêne deshabitudes persanes, trop nouvelles pour nous, ils avaient l'intentionde se régler sur notre mode. La chose convenue ainsi, on dressa lecouvert au milieu du talar de notre palais. Bien qu'il dût y avoir unevingtaine de convives, la longue table se perdait dans l'immenseespace. Comme d'ordinaire, le devant du théâtre était ouvert, soutenupar deux hautes colonnes peintes de couleurs vives; le grand voiled'usage, blanc, à dessins noirs, s'étendait en abat-jour sur la partiedu jardin la plus rapprochée; nous avions vue sur un grand bassind'eau courante et sur des massifs de platanes; de nombreux serviteursbigarrés, vêtus, armés chacun suivant son caprice, et quelques-unsportant un arsenal complet, se tenaient par groupes au bas de laterrasse, ou circulaient dans le talar avec les plats, les kalians, oubien servant.
La table avait été arrangée, avec l'aide de nos domestiques européens,un peu à la mode d'Europe, beaucoup à la façon persane: la ligne dumilieu était occupée par une forêt de vases, de coupes, de bols decristal bleu, blanc, jaune, rouge, remplis de fleurs; il y avait desfleurs partout; il y en avait à profusion. Pour nous, cetamoncellement de couleurs variées et désordonnées était un peunouveau, mais non sans élégance; pour nos hôtes, la nouveautéconsistait dans les cuillers et les fourchettes qui les attendaient etdont ils allaient faire l'épreuve. Ce dîner fut très-amusant: j'avaisà côté de moi deux Persans, un frère d'Aly-Khan et un Ispahany; ilss'escrimaient de leur mieux à saisir quelque chose dans leur assietteavec les instruments inconnus dont on les avait gratifiés, et secomplimentaient mutuellement lorsqu'ils avaient réussi à porter unmorceau à leur bouche sans se piquer, ou même en se piquant. Ainsi quele prescrivaient les lois de la politesse, ils s'exclamaient à quimieux mieux sur les avantages de notre méthode, sur ses méritesinfinis, et sur la facilité avec laquelle ils la pratiquaient.Certains mets leur paraissaient surtout excellents, et parmi ceux-ciils remarquèrent la moutarde: l'un d'eux en remplit son assiette etdéclara qu'il n'avait jamais rien mangé de si bon. Comme, en somme,leur dîner se passait en une sorte de gymnastique qui ne devait pasles nourrir beaucoup, je les engageai tout bas à ne pas pousser lapolitesse plus loin et à se servir à leur guise, pour ne pas sortir detable affamés; ils firent beaucoup de façons, mais enfin ilsadoptèrent un moyen terme: tenant de la main gauche leur fourchette enl'air, ils saisirent les morceaux avec la main droite, et remarquèrentque de même que la France et la Perse ne pouvaient que gagner à leurmutuelle amitié et à leur union, de même, en combinant les deuxmanières de procéder, on arrivait à la perfection. Ce qui est certain,c'est qu'ils dînèrent.
Au milieu du repas, on entendit un bruit argentin comme celui depetites sonnettes, et l'on vit entrer quatre jeunes garçons, habillésen femmes, avec des robes roses et bleues semées d'oripeaux; c'étaientdes danseurs: ils portaient les cheveux longs, tombant sur les épauleset couverts de ces petites calottes dorées, appeléesaraktjyns,qu'on peut voir sur toutes les peintures persanes à sujets féminins.Ces danseurs n'étaient pas très-habiles, sans doute; mais je n'avaispas de point de comparaison, et ce spectacle me parut très-intéressant.On peut dire des Asiatiques, en général, qu'ils sont gracieux dansleurs mouvements. Pour les Persans surtout, c'est vrai, etparticulièrement chez les enfants. Une des danses qu'on exécutas'appelle lahératy, et s'accompagne d'un air portant le même nom etqui a beaucoup d'agrément; les musiciens, suivant l'usage, s'étaientassis par terre, dans un coin; l'un jouait d'une espèce de mandolineappeléetâr, l'autre du dombeck, ou petit tambour à main, enfin untroisième du centour, instrument qui consiste en une série de cordesajustées sur une table, et d'où l'on tire avec de petites baguettesdes sons assez semblables à ceux de la harpe. Après lahératy, ceque nous vîmes de mieux, c'est une sorte de pantomime rhythmée, qu'onpourrait intitulerla Journée d'une élégante. La jeune femme débutepar se quereller avec son mari, puis elle a de l'humeur, puis elleboude, puis elle s'habille pour sortir, puis elle entre chez une deses amies, à qui elle rend visite. On peut deviner que c'était unthème à déployer beaucoup de coquetterie d'allures et de gentillesse.Le jeune danseur chargé de ce rôle, ne s'en tira pas trop mal.
Après les danseurs vinrent les farces. Une troupe de comédiens jouades scènes populaires en patois d'Ispahan. On fut obligé de corrigeret d'abréger beaucoup, car ces espèces de saynètes, qui représententd'ordinaire les ruses des moullahs, les concussions des juges, lesperfidies des femmes, les coquineries des marchands et les querellesde la canaille, sont composées avec une verve qui ne ménage rien etque rien n'arrête. Je doute que les tréteaux de Tabarin aient approchéde cette liberté, et les plus virulents chapitres de Rabelais sont del'eau de rose en comparaison. Cette fois, Tchéragh-Aly-Khan ne permitpas à la vivacité des acteurs de se donner carrière, et lorsqu'il lesvoyait s'échauffer et s'animer un peu, il intervenait; de sorte quetout resta dans les limites de la convenance. En somme, la soirée futcharmante, et nous fûmes très-satisfaits du dîner et du divertissementpersans.
Collége de la Mère du roi, à Ispahan
(voy. p.20).—Dessin de M. Jules Laurens.
Les habitants d'Ispahan.
Les habitants d'Ispahan, sans être tout à fait aussi mal famés que lesSchyrazys, ne jouissent pas non plus d'une réputation très-brillante.On dit la lie du peuple de cette ville une des plus mauvaises del'empire. Elle fournit à toutes les autres cités les plus rusés et lesplus voleurs des courtiers. Pour exprimer leur opinion sur ce sujet,les Persans rapportent unhadys, une tradition(p. 025) sacréedont l'authenticité n'est pas d'ailleurs à l'abri de toute critique.Son Altesse le Prophète, racontent-ils (Que le salut de Dieu soit enlui et qu'il soit exalté!), dit un jour: «O Seigneur du monde, faitesque Bahreyn soit ruinée et qu'Ispahan prospère!» Il indiquait par làque Bahreyn étant une ville habitée par des gens bons et vertueux, ilétait à souhaiter qu'elle disparût pour que sa population se répandîtdans le reste de l'univers et y portât l'exemple et la contagion deses mérites. Mais Ispahan, au contraire, laissant beaucoup à désirer,quant aux qualités de ses habitants, il était bon que ceux-ci seconfinassent chez eux, et, contents de leur prospérité, n'allassentpas troubler le monde.
Il y a à Ispahan beaucoup de gens instruits dans tous les genres, desmarchands riches ou aisés, des propriétaires qui vivent en rentiers etne recherchent pas les emplois publics, enfin tout un fondsd'existences calmes, tranquilles et honnêtes, qui est comme le refletde l'ancienne splendeur de la capitale des Séfévys. À beaucoupd'égards, mais en plus grand, je crois que l'on pourrait comparerIspahan à Versailles.
Je garde à cette cité déchue un très-tendre souvenir. Elle n'est pasbelle comme le Caire, mais délicieuse comme un rêve, et si elle n'apas le sérieux et la majesté grave d'une ville construite en pierresde taille, il faut convenir que ces immenses édifices peints, dorés,couverts d'émaux, ses murs bleus ou à grands ramages, qui reflètentles rayons du soleil, ses vastes bazars, ses jardins immenses, sesplatanes, ses roses, en font le triomphe de l'élégant et le modèle dujoli. Ispahan n'a pu être conçu et exécuté que par des rois et desarchitectes qui passaient leurs jours et leurs nuits à entendreraconter de merveilleux contes de fées.
Une peinture indienne dans le palais desQuarante-Colonnes, à Ispahan
(voy. p.20).—Dessin de M. JulesLaurens.
Il n'est jamais agréable de laisser un lieu où l'on est bien, mais ilest plus désagréable encore de passer de ce bon logis dans un autreplus mauvais. En quittant Ispahan, nous allions constater parnous-mêmes la distance qui sépare les monuments de sa grandeur desruines de sa décadence.
D'Ispahan à Kaschan.
Le jour de notre départ nous ne fîmes que trois heures de marche,d'après le principe immuable qu'on ne doit jamais s'éloigner beaucoupau premier début d'un voyage.
La marche du lendemain fut aussi peu attrayante que celle de laveille. Jamais je n'ai vu désert si laid. Le ciel était couvert et levent du sud-est, qui nous poursuivait, ne nous laissait ni la libertéde parler sans étouffer, ni la possibilité de nous entendre. Nouseûmes donc cinq heures de route fort désagréables. La nuit le fut plusencore. L'air était si singulièrement rafraîchi sur les hauteurs oùnous nous trouvions, qu'enveloppés dans des couvertures de laine etdes vêtements ouatés, nous étions transis de froid; pour combled'agrément, le vent, ayant redoublé de furie, faisait un vacarme telsous les tentes, que nous nous attendions à chaque instant à les voiremportées. Ce qui ne se réalisa pas pour nous arriva à nos Kavasarabes. Au petit jour, leur abri leur tomba sur la tête et on les tiraavec peine de dessous l'amas de toile qui les étouffait. Pours'habiller, il fallut poursuivre dans la plaine les vêtements dont levent s'était emparé. Un des membres de la caravane fit le bonheurgénéral par son obstination à rattraper à la course un faux-col quel'aquilon ne voulait pas lui rendre.
Décidément, il faisait moins que chaud, même de jour. Nous étionstransportés soudainement dans un climat du Nord. Il n'y avait pasd'ailleurs trop à s'en plaindre. Les chevaux n'en marchaient quemieux. Après six heures, nous arrivâmes à Soôu et nous nous aperçûmestout d'abord que notre veine d'infortune était épuisée pour quelquetemps. C'est une charmante petite ville avec des constructions àplusieurs étages et un beau caravansérail. Le pays est très cultivétrès-boisé.
(p. 026) Presque au sortir de Soôu, nous rencontrâmes la grandecaravane d'Ispahan à Téhéran qui, changeant ses allures ordinaires,celles d'une sage lenteur, se mit à notre pas et ne nous quitta plus.Tout cela était irrégulier et avait besoin d'explications. Voici cequi arrivait.
Le gouverneur d'Ispahan, Tchéragh-Aly-Khan, avait reçu l'annonce deson rappel. Il allait quitter sa ville, et ses bagages, confiés à lacaravane, avaient été expédiés sur Téhéran. Mais, à peine parvenu àGyat, cette caravane avait appris que deux cents cavaliers bakthyaryss'étaient réunis dans la montagne pour fêter les bonnes prises que leciel leur adressait: d'une part, un envoyé européen avec des caissesde cadeaux destinés au roi.... et l'imagination, Dieu merci, pouvaitse donner carrière sur la richesse de ce contenu! et de l'autre, lesdépouilles du gouverneur d'Ispahan, sans compter les menus suffragesreprésentés par les biens des marchands de la caravane. NotreMehmandar, heureusement, avait été également prévenu; et c'était là lemotif de ses préparatifs militaires. À Soôu, on avait craint d'êtreattaqué la nuit, et l'on avait retenu le matériel des tentes afin detout escorter ensemble; sur la route, même de jour, on redoutait uneembuscade. Enfin nous arrivâmes à Kohroud sans avoir vu l'ennemi. LesBakthyarys, informés de la bonne tenue de notre monde, reconnurent quel'affaire pourrait être plus chaude que fructueuse, et s'enretournèrent chez eux. Une fois à Kohroud, il n'y avait plus derisques à courir; on se trouvait hors du rayon de leurs courses.
Le pays que nous traversâmes avait été réellement créé par la naturepour les expéditions du genre de celle dont nous avions été menacés.Ce n'est que défilés, descentes, montées, passages rudes et étroits.Plusieurs fois, nous nous trouvâmes mêlés aux gens de la caravane, quicroyaient ne pouvoir se tenir trop près de nous. On y voyait desmoullahs sur des ânes, des femmes voilées dans des paniers, desmarchands, des gens de toute sorte sur leurs chevaux. Pendant cetemps, et malgré la gravité des circonstances, Aly-Khan chassait aufaucon, ce qui était aussi une manière d'observer le terrain. Il pritquelques perdrix. Nous mîmes pied à terre et nous fîmes une partie duchemin en marchant, remarquant et cueillant au milieu des rochers etdes pierres de la route toutes sortes d'herbes et de plantesaromatiques. Nous avions avec nous un enfant arabe d'une dizained'années, Azoub, joli et bien élevé, fils d'un négociant de Bagdad. Ildonnait la main à ma fille, l'aidait dans les petites difficultés duchemin, en cherchant à causer avec elle. C'étaient des mots françaiscoupant des phrases arabes, et des rires d'oiseaux connus des enfantsde tous les pays. Ainsi nous arrivâmes à Kohroud.
Toute cette journée avait été très-fraîche. Les Persans, avec leuramour immodéré pour le froid, étaient enchantés et nous vantaientKohroud. Sans nous insurger contre cette opinion, nous en tirions despronostics douteux pour le repos de la nuit, et nous eûmesmalheureusement assez raison, car toutes les précautions possiblesfurent impuissantes contre la rigueur de la température. Aussi lesignal du départ ne nous trouva pas récalcitrants, et, tout transis,nous montâmes à cheval, enchantés de nous éloigner de cette zoneglaciale.
Après trois heures de marche employées à tourner dans une espèce delabyrinthe descendant qui nous conduisait hors des montagnes, nousdébouchâmes à l'entrée d'une plaine sans limites, vaste désert couvertde cailloux, où nous fûmes pris à partie par un soleil des tropiques.L'air était pour ainsi dire enflammé. On voyait miroiter l'atmosphère,comme il arrive vers la fin d'un bal, quand les bougies brûlent sansque la flamme remue. Mais il n'y avait pas à se plaindre, tout sepassait suivant la règle: nous étions dans la plaine de Kaschan, undes lieux les plus brûlés et les plus brûlants de l'Asie. Pourdistraction, nous avions à chercher des yeux la grande production dupays, les scorpions, et, en effet, on en voyait quelques-uns sepromenant entre les pierres qui leur servaient de domicile.
Ainsi éprouvés par un changement de température beaucoup plus completque nous ne l'avions désiré, nous sûmes d'abord un gré très-médiocreau Mehmandar et au gouverneur de Kaschan, Mirza-Ibrahim-Kan, d'uneattention délicate dont le premier acte consista à nous faire faireneuf heures de marche sous l'œil de ce soleil. À la vérité, ce futune marche triomphale. Tout ce qui possédait un cheval à Kaschan étaitvenu au-devant de nous, et entre autres le fils du gouverneur,Mirza-Taghy-Khan, jeune administrateur de la plus belle espérance,mais peu chargé d'années: il n'avait que six ans.
Malgré la vue de tout le peuple de Kaschan, venu au-devant de nous, ycompris la communauté juive, l'impatience nous prenait un peu d'uneroute aussi longue, quand, à la fin, nous arrivâmes, et la premièrevue de notre logis dissipa comme une fumée notre mécontentement. Desmurmures nous passâmes à des sentiments de gratitude très-mérités. Onnous avait fait éviter l'air brûlant de la ville et on nous mettait àune demi-heure de là dans un palais nommé Fyn et appartenant au roi.
Peu de jardins sont comparables à ceux de ce délicieux séjour. Lesplus belles eaux, les plus limpides, les plus fraîches, y courent dansdes bassins et à travers des canaux d'émail bleu. Il ne se peut rienvoir de plus gai. Un de ces bassins est petit, profond de quatre àcinq pieds, peuplé de poissons rouges et encadré dans un pavillon depeinture. L'autre, carré, a bien cinquante pas de chaque côté et lamême profondeur. Le tout avec les immenses platanes ordinaires et desfleurs à profusion. Au milieu du parc, une de ces constructions à jourque les Persans appellent koulah-é-ferenghy,un chapeau européen,parce que la toiture est en effet bombée et à larges rebords, nousdonnait la fraîcheur de son ombre. Auprès, s'étendaient les vastesbâtiments du harem.
Kaschan. — Ses fabriques. — Son imprimerie, lithographique. — Ses scorpions. — Une légende. — Les bazars. — Le collége.
Le gouverneur nous avait fort engagés à voir Kaschan. En effet, nousn'y pouvions manquer, car Kaschan est une des grandes villes del'empire.
(p. 027) Sa réputation est très-mélangée de bien et de mal, et il y abeaucoup de choses à en dire. C'est une des cités les plusmanufacturières de la Perse. On y fabrique, à un bon marchéextraordinaire, des soieries légères d'une si bonne teinture qu'on leslave sans inconvénient. On y fait aussi beaucoup de chaudronnerie, et,sous ce rapport, Kaschan partage avec Ispahan l'avantage de fournir laPerse occidentale de vases de cuivre de toutes les formes et de toutesles grandeurs, étamés ou non, simples ou gravés de figures et defleurs. On y remarque entre autres des tasses et des plats couverts,de formes très-jolies, très-variées, et ornés de peintures bleues,rouges, vertes, simulant l'émail. L'inconvénient de ce genre detravail est de ne pas supporter l'eau. Mais l'effet en est agréable.Tout ce commerce est bien loin d'être aujourd'hui ce qu'il était il ya cent cinquante ans. Alors ce n'étaient pas seulement des soierieslégères qu'on fabriquait à Kaschan, mais des damas, des étoffesbrochées d'or et d'argent, surtout des velours d'une grande beauté. Cequi ajoutait au singulier mérite de toute cette fabrication, c'étaitle bon marché extraordinaire des produits. Aujourd'hui il ne resteguère que l'échantillon de ce que les Kâschys ont su faire etpourraient faire encore.
S'ils ont une réputation de bons manufacturiers et d'ouvriers adroits,ils y ajoutent aussi celle d'être très-aptes à la littérature. Ils ontfourni beaucoup d'hommes remarquables dans la poésie, la philosophie,et surtout les sciences théologiques. Il y a à Kaschan une imprimerielithographique qui produit d'assez bons ouvrages, et le nombre deshommes qui s'y occupent de cultiver leur esprit ne laisse pas qued'être considérable. Enfin, les Kâschys sont essentiellement gens debonne compagnie. Mais, comme toute chose en ce monde a un revers, onles accuse d'être des guerriers plus que médiocres, et les anecdotesne tarissent pas sur leur peu de vocation pour le maniement des armes.Jamais, dit-on, homme de guerre n'est sorti de leurs murs, et legouvernement n'oserait pas composer un régiment de Kâschys. Kaschanest la ville favorite et comme la capitale des scorpions. En aucunpays de la Perse il ne s'en trouve autant. Ces insectes venimeuxhabitent dans tous les murs, y sortent de dessous toutes les pierres,à moins qu'on n'emploie des moyens particuliers pour s'en débarrasser.Ainsi, le gouverneur nous montra une maison qu'il venait de faireconstruire. Elle était fort belle, très-élégante et très-bienentendue; mais son principal mérite consistait en ce que les quatrecoins avaient été soumis à un enchantement d'une telle force quejamais les scorpions ne pourraient y pénétrer sans qu'on le voulût.C'était assurément un avantage incontestable.
Il y a presque aux portes de la ville un vaste monticule formé par lesdécombres d'un édifice écroulé, qui est loin de jouir d'une siheureuse prérogative. Il a, tout au contraire, le privilége opposé,les scorpions y pullulent en telle abondance que si l'on y répand unegoutte d'eau, à l'instant même on les voit accourir sortant de leurstrous par milliers. On raconte à ce sujet qu'un des anciens roisarabes, Schedad, célèbre dans la légende par sa puissance, sa richesseet surtout son orgueil, avait imaginé de faire un jardin qui effaçâtles magnificences et les délices du paradis. Le jardin d'Irem, qu'ilcréa, fut, en effet, si beau que depuis des siècles il sert de pointde comparaison aux poëtes et a donné lieu à des amplifications sansfin. Avoir un paradis, c'était un grand pas vers la qualité de Dieu;cependant cela ne suffisait point encore: pour faire bien les choses,pour les avoir complètes, il fallait un enfer. Qu'est-ce qu'unepuissance qui ne peut pas châtier? Schedad ordonna donc aux génies,soumis à son obéissance de lui composer un enfer si parfait, sicomplet dans toutes ses parties, que l'imagination la plus exagérée nepût y apercevoir ni défaut ni oubli. Tous les instruments de torture yfurent collectionnés, la poix et le bitume y coulèrent en fleuves defeu, on y organisa des amas d'eaux bourbeuses pour les noyades et desprécipices sans fond pour les chutes. Dans des ronces accumulées defaçon à écorcher les pieds des passants, on lâcha toute la famille desserpents grands ou petits, n'importe, pourvu qu'ils fussent reconnuspour bien venimeux, et l'on commença à se féliciter d'avoir fait uneœuvre au-dessus de toute critique, quand quelqu'un fit observerqu'il n'y avait pas de scorpions. Un enfer sans scorpions ne pouvantse tolérer, on envoya un grand diable courir le monde pour enrapporter une cargaison. Il fit de son mieux. Il en remplit ses sacsen Syrie, en Afrique, dans l'Asie Mineure, partout où cette gentpullule, et fier de s'être bien tiré de sa mission, il s'en revenait àtire-d'aile, quand il apprit que Schedad venait de mourir, et que lestravaux de l'enfer étaient abandonnés. Les scorpions, si précieux unmoment auparavant, devenaient pour le génie un fardeau inutile. Il necrut donc pas devoir les porter plus loin. Il secoua ses sacs àl'endroit où il était alors, et s'en alla. C'était la butte de terreplacée aux portes de Kaschan, et voilà pourquoi il y a tant descorpions dans ce lieu. Tout s'explique.
Il faut dire aussi que le mal appelle le remède. Ce fut un homme utileà son pays, sans aucun doute, celui qui combina un charme capable dedéfendre l'accès d'un logis à ces bêtes hideuses; mais il a étédépassé par l'inventeur du moyen de rendre inoffensif leur mortelvenin. On nous amena un de ces sorciers. Il avait très-mauvaise mine,soit dit en passant, et plutôt l'air d'un grand coquin que d'unbienfaiteur de l'humanité; mais enfin, le ciel l'ayant fait ainsi,peut-être n'en valait-il ni mieux ni pis. On lui apporta des scorpionsnoirs et des scorpions blancs. Il se mit à jouer avec eux et nous lesmontra suspendus en grappes à ses doigts. Ensuite, il se fit piquer auvisage. Puis, passant à quelque chose de mieux, il tira d'une boîteune phalange: c'est une énorme et horrible araignée qu'on nomme dansla langue du paysRotayl, et dont la piqûre est toujourstrès-mauvaise et quelquefois mortelle, et il se fit mordre encore parcette bête. Nous levâmes la séance, enchantés de ses talents, maisrassasiés de tout ce monde-là.
Pour changer le cours de nos idées, nous allâmes visiter les bazars,que nous trouvâmes très-actifs et très-vivants. Ce n'est pas un desmoindres charmes des villes(p. 028) d'Asie que ces longues galeriescouvertes, bordées de boutiques où toute la population se porte depuisle matin jusqu'au soir. Les boutiques de marchands d'étoffes toujoursassiégées par des troupes de femmes, les ateliers de chaudronniersavec leur tapage étourdissant, les armuriers avec leur public decavaliers, les libraires entourés de graves moullahs, lesrestaurateurs occupés du soir au matin à faire griller sur descharbons leurs appétissantes brochettes dekébab ou mouton rôti, età cuire, dans des myriades de petits pots noirs, les soupes à laviande que les gens du peuple idolâtrent, tous ces attraits diversamènent un monde fou, au milieu duquel circulent lentement les hommesà cheval, les mulets et les chameaux chargés. Les Persans sepasseraient de tout au monde plutôt que de cesser d'aller au bazar. Jen'en suis pas surpris, et, si j'étais à leur place, je penserais demême. C'est le domaine souverain de la conversation, de l'anecdote, dupropos bon ou mauvais, et le grand réceptacle de tout ce qui se dit.Enfin c'est un lieu qui respire le désœuvrement et la bonne humeurd'un peuple heureux de n'avoir à faire que ce qu'il veut, et que lanature a cependant créé remuant.
Entrée de Kaschan.—Dessin de M. Jules Laurens.
Nous admirâmes beaucoup aussi le collége. Je lui trouve le mérited'être construit tout nouvellement. L'architecture en est bonne etcurieuse. Les jardins (car, en Perse, la science est assezpéripatéticienne et ne se passe pas de beaux ombrages) sont biendessinés et bien entretenus. On nous dit que les professeurs étaientsavants; sans avoir pu en juger, je n'ai pas de peine à le croire, vula réputation littéraire de la ville.
De Kaschan à la plaine de Téhéran. — Koum. — Feux d'artifice. — Le pont du Barbier. — Le désert du Khavèr. — Houzé-Sultan. — La plaine de Téhéran.
Nous regrettâmes notre jardin de Fyn plus encore que l'Imarêt-è-Sadrd'Ispahan. Mais comme les regrets ne changent rien au train du monde,nous n'en partîmes pas moins de ce joli séjour, et nous fîmes dans ledésert une journée que la sévérité des lieux et une chaleurraisonnable rendirent suffisamment austère. Nous marchâmes quatreheures, et nous arrivâmes à Schourab, très-triste endroit.
Le lendemain on ne fit que trois heures et demie jusqu'à Pamyngan.
Une caravane persane au repos.—Dessin de M. JulesLaurens.
À Koum, tout nous parut fort bien. Les bazars sont vastes, et il y ade belles maisons avec de grands jardins. La ville a un certain airprovincial qui ne déplaît pas. Koum est une ville sainte. Sa mosquée,fort grande, est ornée d'un dôme tout doré et de construction modernetrès-élégante. C'est là qu'est enterré Feth-Aly-Schah, en compagnie deSon Altesse Fathmèh, sainte très-vénérée des Persans. À ce titre, Koumjouit d'une bonne réputation dévote. Nous avions nos tentes préparéesdans un(p. 030) jardin assez délabré, rempli de chacals, maisagréable. Ce qui nous amusa infiniment, ce fut le feu d'artifice donton nous régala le soir.
En Europe, un feu d'artifice est une espèce de représentationthéâtrale que l'on trouve plus ou moins jolie, mais qui ne produitguère dans les assistants d'émotion bien vive. En Perse, où il s'enfaut de beaucoup que l'art des artificiers soit poussé aussi loin quechez nous, un feu d'artifice passionne autant le public que lescourses de taureaux en Espagne. On ne se tient pas à distancerespectueuse. La foule veut être au beau milieu. Chacun s'empresse deprendre en mains un pétard, une chandelle romaine ou un soleil; j'aivu des personnages graves, avec l'air d'hommes sages etles pluslarges barbes au milieu du visage, se jeter avec frénésie dansl'entraînement universel et courir de côté et d'autre en secouant unepluie de feu qui les ravissait en extase. Il y a bien des moustachesroussies, des robes brûlées dans ces délicieuses parties; mais on n'yprend pas garde, et le souverain bonheur est là.
Les Persans tirent des feux d'artifice à propos de tout, et souvent àpropos de rien. Les grands seigneurs les font très-compliqués; lespauvres se contentent de beaucoup moins, mais encore en veulent-ils.J'ai connu tel de nos gens qui portait toujours des fusées dans sespoches. Aussitôt qu'il avait un moment de loisir, il lançait sa fusée,et se pâmait d'aise.
À partir de Koum, le désert change d'aspect. Il a l'air plusrébarbatif de beaucoup que du côté d'Ispahan. De grandes rochesapparaissant çà et là dans le paysage, lui donnent quelque faux air deressemblance avec les environs du Mokkattam en Égypte. Nous allâmescoucher à Poul-è-Delak, ou lepont du Barbier.
C'est un pont d'une longueur assez considérable, jeté sur un coursd'eau saumâtre suffisamment large, mais peu profond. À l'autre rive seprésente un caravansérail ruiné, et autour quelques masures; en face,un mamelon sur lequel étaient nos tentes. Le pays est triste, mais ila quelque chose de solennel et d'imposant.
Le lendemain, nous entrâmes dans ce qu'on appelle le désert de Khavèr,autrefois la mer de Khavèr ou d'Orient. La tradition veut qu'elle aitdisparu le jour de la naissance du Prophète, et c'était une desmarques qui devaient annoncer au monde ce grand événement. Il paraîtcertain qu'à une époque reculée, cette mer était en communication avecd'autres vastes amas d'eau qui s'étendaient dans l'ouest jusqu'au lacZarèh, et tenaient la place occupée par les déserts de Yezd et deKerman. L'hiver, c'est un marécage impraticable aux caravanes, quilongent alors le pied des montagnes à l'ouest pour gagner Ispahan. Àla fin de juin, le terrain était complétement sec, c'était une boueraboteuse. Il y restait des flaques d'eau, baignant çà et là quelquesbuissons d'épines de chameau d'un vert pâle, et dans cette misèrecouraient de gros lézards gris, très-laids, mais se rendant encoreplus ridicules par leur façon de porter la queue en l'air etlégèrement penchée de côté.
Nous mîmes pied à terre à Houzé-Sultan. On n'y voit pas autre chosequ'un caravansérail en ruines, la maison de poste, et un grand puitsdans une espèce de pyramide. La pyramide n'est pas mal et ne manquepas de caractère; mais l'eau ne vaut absolument rien. Du reste, pas unarbuste, pas un brin d'herbe, de la boue desséchée d'un côté, du sablede l'autre. Pour animer le paysage, il y avait une caravane au repos.Elle était presque uniquement composée de femmes et de moullahs. Toutce monde s'en allait à Koum, non pas précisément en pèlerinage, maispour y porter une quantité de grands coffres longs, étendus par terreau soleil et d'où s'exhalait une odeur fort étrange. C'étaient desmorts. Les Persans ont une telle passion pour les Imans que, riches oupauvres, dévots ou incrédules, ils ne se tiennent pas de se faireenterrer près des tombeaux de ces saints. Les plus riches aspirent àêtre envoyés à Kerbela pour avoir une demeure sur le fameux champ debataille où furent massacrés les fils d'Aly par les partisans deYésyd; d'autres se contentent de Mesched et y restent sous laprotection de l'Iman Riza; enfin, les gens à fortune médiocre dunord-ouest vont à Koum, près de Baby Fathmèh ou Mme Fathmèh. C'est unepassion universelle et, qui plus est, une mode; peu de personnesrésistent à la fantaisie de stipuler dans leur testament que leurshéritiers les feront enterrer dans un des lieux sacrés.
Depuis peu, je pouvais remarquer la grande différence qui existe entrele début et la fin d'un voyage. Nous allions entrer dans deux jours àTéhéran, et on ne vivait plus comme naguère dans ce complet oubli del'avenir, dans cette appréciation délicate et absolue du présent, quiest le commencement de la sagesse et le seul moyen d'être heureux.Entre Schiraz et Ispahan, le terme du voyage était si éloigné qu'on ysongeait à peine et on n'en parlait pas. Toute la question était desavoir ce qui arriverait ou ce qui était arrivé dans la journée. Auplus on portait sa pensée sur le lendemain. Désormais, tout étaitgâté. On s'occupait bien moins de ce qu'on faisait que de ce qu'onferait dans huit jours, et on ne jouissait plus de la vie présente. Ilétait donc temps d'en finir.
Nous eûmes bientôt un avant-goût de la sensation au-devant de laquellese précipitaient tous les esprits.
Nous rencontrâmes le docteur Cloquet avec un secrétaire de la missionottomane. Il nous sembla retrouver l'Europe dans la conversation d'unhomme profondément attaché à son pays et dévoué au service du roi dePerse, dont il était, du reste, on ne peut plus apprécié. Cesmessieurs avaient apporté leurs tentes, de sorte que notre camp futencore augmenté cette nuit-là. Le pays n'était pas beaucoup plus beauque la veille, et il était tout aussi sévère. Kenarégherd a une granderéputation comme terrain de chasse, et c'est à bon droit, car son solsaturé de nitre est particulièrement bon à attirer le gibier; mais iln'a pas d'autre mérite. Les cours d'eau qui le traversent de manière àen faire, à certains moments de l'année, un grand marécage, sontsaumâtres, et l'air y est étouffant.
Nous partîmes le lendemain matin de bonne heure. Différents membres dela mission avaient pris les devants.(p. 031) Je fis le cheminpresque seul avec mon kaliandji et deux autres domestiques. Noschameaux n'en pouvaient plus: tout marchait lentement.
Je traversai assez indifféremment une série de vallons et de collinesqui se succédaient les unes aux autres, comme la veille, en serassemblant, offrant toujours les mêmes caractères de stérilité etd'abandon; mais à un tournant, j'aperçus tout à coup une plaineimmense, une vallée d'une largeur grandiose courant de l'est àl'ouest: c'était la plaine de Téhéran.
Au nord s'étendait une chaîne de montagnes dont les sommetsétincelants de neige se relevaient à une hauteur majestueuse: c'étaitl'Elbourz, cette immense arête qui unit l'Hindou-Kousch aux montagnesde la Géorgie, le Caucase indien au Caucase de Prométhée; et au-dessusde cette chaîne, la dominant comme un géant, s'élançait dans les airsl'énorme cône pointu du mont Démavend, blanc de la tête aux pieds. Onne saurait rien imaginer de plus vaste ni de plus beau. À l'est, unsoulèvement du sol, indépendant du reste, jeté dans la même direction,coupait en deux cette grande arène et venait expirer non loin dusentier que j'avais à suivre. À l'est encore et par derrière,commençaient, dans un lointain bleuâtre, ces plaines interminables quitouchent au Khorassan, conduisant à l'Indus, au Turkestan, à la Chine,à tout ce que l'imagination rêve et voudrait voir. Pas de détails quiarrêtent la pensée, c'est infini comme la mer, c'est un horizon d'unecouleur merveilleuse, un ciel dont rien, ni parole ni palette, ne peutexprimer la transparence et l'éclat, une plaine qui, d'ondulations enondulations, gagne graduellement les pieds de l'Elbourz, se relie etse confond avec ces grandeurs. De temps en temps, des trombes depoussière se forment, s'arrondissent, s'élèvent, montent vers l'azur,semblent le toucher de leur faîte tourbillonnant, courent au hasard etretombent. On n'oublie pas un pareil tableau.
J'avais beau chercher Téhéran, je ne l'apercevais nulle part. Enavançant, mes yeux démêlèrent au loin l'emplacement de Rey, l'ancienneRhagès de la Bible, et le sol tourmenté que couvrent les ruinesimmenses de cette ville célèbre; je vis ensuite Schahbdoulasym, dontle dôme doré brillait au soleil au travers des massifs de verdure quientourent cette jolie bourgade; mais Téhéran se cachait. C'est que lacapitale persane est comme enterrée dans un pli de terrain qui nepermet de la découvrir que lorsqu'on y arrive.
Téhéran. — Notre entrée dans la ville. — Notre habitation.
Cependant, à mesure que j'avançais, les détails que l'éloignementavait d'abord dissimulés se révélaient les uns après les autres. Unemultitude de grands jardins apparaissaient de toutes parts; descultures variaient l'aspect du désert; des kanats, grands aqueducssouterrains, traversaient au loin la plaine; des ruines de villages etde tours s'accroupissaient çà et là; des arbres isolés s'élevaient surles bords de quelques cours d'eau perdus. Enfin, j'arrivai le dernierà notre station.
On nous avait assigné pour demeure un kiosque appartenant à un desprinces du sang et qu'entourait un jardin très-soigné et tout enfleurs. Comme, à dater de ce moment, nous n'étions plus en voyage, unegrande tente dressée devant la porte nous servait de salon deréception pour les visites qui allaient se succéder. Nous devionsfaire le lendemain notre entrée solennelle dans la capitale, et noussavions que le roi, très-désireux de voir la mission, avait renoncé,pour ne pas retarder ce plaisir, à un voyage projeté dans leKhorassan. Toutes les attentions que l'on avait eues pour nous sur laroute nous répondaient d'avance que nous serions accueillis avec toutela pompe imaginable.
Afin de ne pas être pris au dépourvu, dès le point du jour nous étionsen uniforme et prêts à recevoir nos hôtes. Nous vîmes bientôt arriverà la file la légation ottomane, les quelques Européens résidant àTéhéran, puis des officiers militaires ou civils qui venaientcomplimenter le ministre de la part du roi, du premier ministre et duministre des affaires étrangères. La tente était pleine de Persans enrobes de cérémonie, les uns arrivant, les autres partant. Leskaliandjis circulaient au milieu de la foule, portant ou emportantleurs pipes, et c'est un spectacle qui ne manque pas d'éclat que devoir en bon ordre, dans un talar, une douzaine de ces serviteurs ayantentre les mains de beaux kalians, à la carafe de cristal et à la têted'or simple ou d'or émaillé. Les pischkhedmets avec le thé entraientquand ceux-là sortaient, ou plutôt les précédaient; c'était unva-et-vient continuel. Quant à la conversation, elle se composait desouhaits de bienvenue, de compliments sans fin, de remarques sur notrevoyage, de plaisanteries et de beaucoup de rires. Rien n'était plusdifférent de ce qu'on suppose en Europe au sujet de la gravitéorientale. Mais c'est en Turquie et dans le contact avec les Turcsqu'on prend de telles idées, et la nation ottomane n'est pas un miroirqui montre l'Asie, c'est un rideau qui la cache.
Vers midi on nous informa que tout était prêt; nous montâmes à cheval.Nous formions un véritable corps de cavalerie. Après une demi-heure demarche, nous arrivâmes à une vaste tente en soie où différents grandspersonnages de la maison du roi nous attendaient. Nous mîmes pied àterre pour recevoir les compliments dont ils étaient porteurs, et onnous fit asseoir en face d'une grande table couverte de fleurs et desucreries. Autour de la tente étaient rangés les coureurs du roi avecleurs bonnets pailletés de forme bizarre, les yessaouls en robesrouges, des ferrachs sans nombre; plus loin, un corps de cavalerierégulière, le seul qui existe en Perse, et qu'on appelle les ghoulamsde la garde. Il est composé de deux escadrons de lanciers; venaientensuite des bataillons d'infanterie et une foule de curieux. Dans cessortes d'occasions, les spectateurs ne sont pas tous volontaires;c'est le gouvernement qui les invite à venir, en donnant avis auxmarchands du bazar et au corps des métiers d'avoir à honorer les hôtesqui lui arrivent en se portant à leur rencontre. En somme, lamultitude officielle et non officielle était très-grande.
(p. 032) Quand les kalians eurent été de nouveau apportés etremportés, et le thé de même, on se remit en route. Le roi ayantenvoyé des chevaux richement caparaçonnés pour le ministre et lesprincipaux membres de la mission, avec les djélodars portant comme decoutume la couverture brodée sur l'épaule gauche, tout ce trains'ébranla, et au bout de trois quarts d'heure, allant d'ailleurs avecune lenteur extrême, nous entrâmes dans Téhéran par la porte Neuve.Nous aperçûmes tout d'abord, sur la place qui précède la porte, lepiquet ou mât destiné à la haute justice. Ordinairement les têtes ysont attachées en plus ou moins grand nombre; mais ce jour-là il n'yen avait pas. Un fou, bien connu de Téhéran, était monté sur laplate-forme et criait de toutes ses forces: «Ali! Ali!» Pendant troisans, j'ai rencontré journellement cet homme dans les rues, qu'ilparcourt en hurlant le même mot sans jamais se reposer. Il est del'espèce la plus inoffensive, et ne prend garde à personne. C'est unpauvre diable qui a perdu, jadis, une petite fille qu'il aimaittendrement, et sa raison n'a pas résisté à l'excès du chagrin. Lafoule était grande et compacte sur le Marché-Vert, que noustraversâmes ensuite. La baguette des ferrachs n'était pas de trop pournous frayer un passage. C'étaient des cris, des rires, un mouvement àne pas s'entendre, et cependant il était bien nécessaire de garder sonsang-froid, vu l'état habituel des rues persanes: huit pieds de large,une ravine au milieu, et des trous profonds irrégulièrement semés tousles trois pas. En Europe, on se tuerait; en Perse, on n'en éprouveaucun inconvénient. Seulement, il faut avoir expérimenté cette vérité,qui, au premier abord, semble paradoxale, pour faire de gaieté decœur une telle promenade avec tant de chevaux autour de soi et descavaliers pareils pour les conduire.
Louty.Kurde pasteur.Derviche nomade.Bakthyary[5].
TYPES PERSANS.—Dessin de M. Jules Laurens.
La ville est longue; notre résidence est fort éloignée de la porteNeuve, de sorte que la cavalcade mit bien trois quarts d'heure, sinonune heure pour sortir de ce dédale. Une fois arrivés chez nous, onapporta de nouveau les kalians et de nouveau le thé, puis nosintroducteurs prirent congé. Nous étions livrés à nous-mêmes.
Cte A.de Gobineau.
(La fin à la prochaine livraison.)
VOYAGE EN PERSE—Faubourg de Téhéran.—Dessinde M. Jules Laurens.
PAR M. LE CTE A. DE GOBINEAU,
(1855-1858)
DESSINS INÉDITS DE M. JULES LAURENS[6].
Une audience du roi de Perse.
Notre demeure, à Téhéran, est grande et belle. Assurément, ce n'estpas un monument de marbre. Il ne s'en fait pas en Perse. Mais elle estbien construite en briques crues avec des chaînes de briques cuites.Après avoir passé sous une voûte dans laquelle est pratiquée unechambre servant de corps de garde aux soldats qu'entretient chaquelégation, on suit un corridor qui aboutit à une grande cour formant uncarré long d'une assez belle étendue. Au milieu est une pièce d'eau enforme de T, le haut de la lettre longeant la façade; des deux côtés,une rangée de platanes et des massifs d'arbrisseaux et de fleurs. Leterrain est dallé de grandes briques carrées. Les bâtiments quientourent la cour sont exhaussés de trois ou quatre pieds et composésd'un rez-de-chaussée seulement; c'est une série de chambres destinéespour la plupart aux gens de service. Au fond se présente le talar (lasalle principale, le salon), percé de trois fenêtres à l'européenne etplacé entre deux pavillons qui font saillie de chaque côté et sontornés de niches garnies de stalactites dans le goût oriental. Lesrebords des toits sont peints de couleurs brillantes et dentelés à lachinoise. De vastes terrasses en terre battue font le tour de la couret recouvrent tous les bâtiments. Près du corps de logis principal,l'endéroun ou appartement intérieur, s'étend autour d'une cour séparéeet longue un grand jardin, qui n'avait que le défaut de manquerd'arbres; mais on en pouvait mettre, et c'est ce que nous fîmesbientôt. Enfin, pour terminer la description de notre demeure, elleoccupe un vaste emplacement dans le quartier le plus salubre de laville. Elle possède de l'eau en abondance et est tout au plus à cinqminutes de la porte de Schymyran, qui conduit aux montagnes. Nousétions donc très-bien partagés.
La plus importante affaire était désormais d'obtenir l'audience du roiet de voir le premier ministre. Le souverain ne nous fit pas attendre.Le troisième jour de notre arrivée, ayant reçu ses ordres, nous nousrendîmes en gala au palais, précédés des coureurs et des ferrachsroyaux. Nous fûmes d'abord introduits dans un salon où se trouvaientle ministre des affaires étrangères, Mirza-Say-Khan, le général enchef de l'armée persane, Azyr-Khan, le beau-frère du premier ministre,ancien ambassadeur à Pétersbourg, et deux ou trois autres personnes demarque. On nous offrit le kalian (pipe d'eau) et le thé. Après uninstant de conversation, le grand maître des cérémonies, tenant unlong bâton couvert d'émail et incrusté de pierreries, vint nouschercher. Il portait, comme le ministre des affaires étrangères, nonpas le bonnet noir ordinaire, qui n'est pas d'étiquette pour lesgrands fonctionnaires lorsqu'ils paraissent devant le roi, mais unturban à forme haute et bombée, jadis en usage à la cour de Séfévys.Il avait aussi de longs bas rouges en mémoire de ce que, du temps deDjenghyz, une des marques distinctives des khans mogols de premierrang était de paraître devant le Khaghan sans ôter leurs chaussures;or, ces chaussures étaient des bottes rouges.
Après avoir traversé plusieurs cours et couloirs, nous arrivâmes à laporte d'un vaste jardin rempli de platanes, de fleurs et de bassinsd'eau vive. Les bâtiments du palais, dont ce jardin est entouré, ontdeux ou trois étages et sont ornés au rez-de-chaussée d'une série depeintures de grandeur naturelle, représentant des soldats réguliers,en uniforme rose, au port d'armes et le sourire sur les lèvres. Cegenre d'ornementation, qui rappelle beaucoup, par le style et lesqualités de la peinture, les boutiques de la foire, n'est pas à l'abride toute critique. On nous fit mettre là des galoches par-dessus nosbottes; c'est toujours le traité de Turkmantchay qui le veut, et audétour d'une allée, le grand maître des cérémonies s'arrêta; il setourna vers un talar dont les colonnes étaient très-richement doréeset peintes, et s'inclina profondément en appuyant ses deux mains surses genoux et en les faisant glisser jusqu'aux pieds. Nous saluâmes àla manière européenne, et on nous fit quitter nos galoches, tandis quenos introducteurs quittaient leurs souliers pour marcher simplementsur leurs bas rouges.
Puis, élevant la voix au milieu de ce jardin, que nous vîmes alorsbordé d'une haie de soldats, tandis qu'au pied du talar se tenaientdes pages, des officiers, des domestiques de tous rangs, dans le plusprofond silence, le grand maître des cérémonies proclama que SonExcellence le ministre de France demandait la faveur de s'approcher duroi. Bien entendu, cette requête fut beaucoup plus fleurie que je nela donne ici, mais je ne me rappelle pas les termes exacts, et je meborne à en reproduire le sens.
Le roi, à ce qu'il paraît, car je ne voyais rien, fit un(p. 035)signe, et nous avançâmes; à quinze pas plus loin, nouveau salut, etalors j'aperçus Sa Majesté. Elle était assise sur un trône fort élevé,qui me parut très-brillant. Le monarque lui-même était richementhabillé, mais j'eus à peine le temps de faire cette observation, carsur un nouveau signe, nous approchâmes davantage et nous montâmes lesdegrés d'un escalier bordé de serviteurs du palais, qui nousintroduisirent d'abord sur un petit palier bas et orné de glaces, puisdans le talar même, en présence du roi.
Sa Majesté avait alors vingt-cinq à vingt-six ans. La figure deNasreddyn-Schah est belle et noble. Il porte la barbe coupéetrès-court, et de longues moustaches qui rappellent celles du roi deSardaigne. Il a de beaux yeux intelligents. Il parle vite etbrusquement pour dissimuler, dit-on, une timidité très-réelle. Leministre de France prit place sur un fauteuil en face du roi, à unedouzaine de pas. Le reste de la mission se tint debout. Au milieu dusalon étaient aussi debout trois ou quatre princes du sang, oncles duroi. L'un tenait le sabre orné de pierreries, l'autre le bouclier,l'autre la masse d'armes. Ces divers ornements du trône étincelaientde diamants, d'émeraudes et de rubis. Le roi lui-même, couvert depierres précieuses, était vêtu d'un koulydjêh, espèce de tuniquecourte en soie de couleur claire bordée de perles. Il portait delarges bracelets de diamants; la boucle de son ceinturon était demême, son sabre en avait encore, et encore l'agrafe de l'aigretteépanouie sur son bonnet.
Sa Majesté parla beaucoup de l'Empereur et de la France, et montra unegrande connaissance de la géographie de notre pays. En sortant de sonaudience, nous saluâmes aux mêmes places où nous avions salué enarrivant, et nous nous rendîmes chez le premier ministre, qui nousattendait dans une autre cour du palais.
Nouvelles constructions à Téhéran. — Température. — Longévité.
Autrefois, c'est-à-dire il y a trente ans, il était pour ainsi direimpossible de rester, même au printemps, dans la capitale. La fièvrene manquait pas de saisir les résidents obstinés et en faisait promptejustice. L'air était empesté, l'eau mauvaise, et, quand on sortait desautres villes de Perse pour venir dans ces lieux décriés, on croyaitaller à la mort. Tout s'est beaucoup amélioré. La ville, naguère saleet en décombres, s'est nettoyée et relevée; on y construit beaucoup,et de belles et grandes maisons; les bazars y deviennent magnifiqueset nombreux. Il y a un an à peine que s'est élevé le caravanséraild'Hadjeb-Eddoouleh, que l'on peut appeler un des beaux monuments de laPerse, et qui pourrait être cité avec honneur à côté des plusélégantes constructions d'Ispahan. Enfin, le roi a fait bâtir autourdu Marché-Vert,Meydân-ê-Sebz, au centre de la ville, d'élégantesgaleries; cette place même, bien pavée, ornée d'un grand bassin carré,est rendue plus remarquable par la porte de la forteresse flanquée dedeux tourelles couvertes du haut en bas de mosaïques en émail. Il nese passe pas une année qui ne voie s'élever de toutes parts, au dedanset au dehors de la ville, de beaux édifices. Les ruines existeronttoujours, puisqu'une ville persane sans ruines n'est pas possible,mais le terrain se déblaye, et la quantité d'eaux courantes et sainesque le roi a fait venir de la montagne, a singulièrement amélioré leschemins. Les descriptions de Téhéran, publiées jusqu'à 1845, ne sontplus vraies.
Mais, comme pour lutter contre toutes les améliorations très-grandeset très-réelles qui se sont introduites sous le nouveau règne, lecholéra, depuis huit ou neuf ans, fait de terribles ravages dans laPerse septentrionale, et principalement pendant l'été. Ce nous fut uneraison de plus pour gagner la campagne.
Nous allâmes nous établir à Roustamabad, assez joli village à deuxlieues au nord, très-voisin du palais de Niavérân, où le roi étaitfixé.
La Perse n'est pas cependant un pays malsain en lui-même. Le choléraest malheureusement un fléau qui se montre sous toutes les latitudes.Cependant, en Perse, il ne pénètre pas dans les montagnes, et commeles montagnes ne sont jamais bien loin, on peut le fuir en s'yréfugiant. La fièvre, il est vrai, est la souveraine de l'Asie; elleexiste en Perse, et existe partout. Les indigènes la prennent aussibien que les étrangers, et on ne peut trop deviner la cause del'intensité de ce fléau. Il est seulement à observer que, comme lecholéra, il se guérit généralement sur les hauts lieux. Mais si on aété touché une fois, on garde une grande disposition à retomber sousson empire. Les variétés de ce mal sont très-nombreuses, et depuis lafièvre du Ghylan, qui emporte le malade au troisième accès, jusqu'auxfièvres intermittentes qui durent pendant des années, il existe desnuances infinies, mais toutes détestables. Ceci mis à part, lesaffections d'autre nature sont rares, et la population présente descas très-nombreux de longévité. J'ai vu souvent, dans les villages,des paysans qui n'avaient guère moins de quatre-vingts àquatre-vingt-dix ans. Les centenaires ne passent pas non plus pourintrouvables. Je ne puis que répéter ici ce que j'ai déjà dit du sudde la Perse; tous les gens que j'ai observés dans les villes et dansles champs m'ont paru forts, bien portants et alertes.
Les nomades.
Les Persans aiment la locomotion. Les paysans eux-mêmes passentvolontiers d'une province dans une autre. Il suffit qu'un villageoisse trouve trop chargé de contributions pour qu'un beau soir ildéménage. Il met son argent dans sa ceinture, sa femme sur un âne; lebœuf et le cheval portent le mobilier. On rencontre souvent desfamilles rustiques circulant ainsi dans l'empire. Elles sont bienaccueillies par les nouveaux concitoyens qu'elles viennent chercher,et qui sont bien aises du secours de ces bras pour la culture d'uneterre toujours trop vaste.
Mais ces hommes en quête d'une résidence ne sont que des voyageurstemporaires. Il existe une classe d'êtres qui fait d'un déplacementconstant à peu près le but de sa vie. Ce sont les derviches, qui,n'ayant le plus souvent(p. 036) d'autre occupation, ne se bornentpas à parcourir la Perse, et vont, sans hésiter, à Calcutta, àConstantinople, au Caire, et cela d'autant plus aisément que leurspérégrinations ne leur coûtent absolument rien. J'en ai vu et pratiquébeaucoup, et je les tiens, en général, pour très-intéressants àconnaître. Il y a sans doute, parmi eux, bon nombre de vagabonds purset simples; mais çà et là on rencontre une perle, et c'est assez pourleur donner de la valeur.
La porte de Schab-Abdoulazim.—Dessin de M. JulesLaurens.
À pied, ou monté sur un âne, le philosophe nomade se met en route,s'arrêtant où il veut pendant des mois, des années, ou traversant lesvilles, sans que rien ni personne l'arrête; dans les déserts, il sejoint aux caravanes; dans les pays où il croit n'avoir pas besoin deprotection, il va seul, et personne ne lui demande pourquoi. Unruisseau coulant entre deux pierres, avec un saule au dessus, luiparaît offrir un repos agréable: il s'y assied et y demeure tant quece séjour lui convient. J'ai rencontré ainsi, dans une masure enruine, aux environs de Reï, l'ancienne Rhagès, un derviche venu deLahore, qui passa là plusieurs jours. Le lieu lui avait sembléagréable. Un matin il disparut et je ne le revis jamais. Le but finalde son voyage était, disait-il, Kerbela. C'était un homme d'une rareinstruction, d'un langage recherché et fleuri, connaissant beaucouples livres, ayant au moins soixante ans et l'expérience de beaucoup decatastrophes qu'il avait heureusement traversées. Son élégance étaittout intellectuelle. Il était vêtu d'une robe de coton blanc tombanten lambeaux, les pieds et la tête nus, les cheveux flamboyants, labarbe grise en désordre, la peau calcinée et sillonnée de rides, maisl'air souriant et les yeux pleins de feu. Dans quelque lieu que cesgens s'arrêtent, ils racontent aux habitants, qui bientôt lesentourent, ce qu'ils ont vu dans leurs pérégrinations, et lesconclusions qu'ils ont tirées de toutes choses. Souvent ils fontgrande impression sur les esprits; et comme la religion est un desthèmes favoris de leurs entretiens et qu'ils y sont très-hardis, c'està ces religieux errants qu'il faut attribuer ce mouvement continueld'hérésies dont le monde musulman est tourmenté, surtout en Perse, etqui, à chaque moment, ranime, réveille, renouvelle ou apporte lesnotions de la théologie indienne au milieu de la loi du Koran.
Il est aussi d'autres voyageurs qui, d'après les idées européennes,paraissent plus dignes d'intérêt; ceux-là parcourent le monde orientalpour s'instruire. Ils sont assez nombreux. Rien ne les distingueextérieurement des derviches, si ce n'est qu'ils ne vont point la têtenue et ne portent point de longs cheveux. Ils sont peu curieuxd'opinions théologiques ou de méditations sur les chosessurnaturelles, ne s'occupent que des mœurs des pays qu'ilsparcourent et des curiosités de l'art ou de la nature qu'ils peuvent ytrouver. Mais les pèlerins les plus curieux que j'aie jamaisrencontrés sont les derniers dont je parlerai ici.
Dans une cour, à Téhéran.—Dessin de M. Jules Laurens.
Deux pèlerins. — Le culte du feu.
Je fus abordé un jour par deux hommes de taille médiocre, d'un noirbleuâtre, maigres, et ayant, comme tous les gens du sud de l'Asie, quin'appartiennent pas aux races militaires, l'air riant, doux et soumis.Ils me parurent, au premier abord, être des Beloutches. Mais je metrompais, car l'un d'entre eux se réclama auprès de moi de la qualitéde Français, qu'il attribua aussi à son compagnon. L'aspect de cessoi-disant compatriotes n'était pas propre à soutenir la validité deleurs prétentions, je fus bien vite convaincu de leur sincérité. Ilsportaient de longs bonnets pointus en feutre, semblables à ceux desOuzbeks. Bien qu'on fût au mois(p. 038) de juillet, ils étaientvêtus des lambeaux graisseux de ces longues robes fourrées en peau demouton que l'on fabrique à Bokhara, et leur saleté dépassaitnon-seulement tout ce qu'on peut voir, mais même tout ce qu'on peutimaginer. Explications faites, j'appris enfin que ces deux hommes,appelés l'un Kakscha et l'autre Mostanscha, étaient des Tamouls dePondichéry. Ils prétendaient appartenir à la caste brahmanique et sedonnaient pour agriculteurs. Dans leur opinion, le feu ayant créétoutes choses et ne pouvant dès lors être trop vénéré, ils avaientvoulu faire acte de dévotion envers cet élément. Or, c'était uneopinion courante parmi leurs compatriotes du pays de Pondichéry, qu'ilexistait quelque part dans le Turkestan unAtesch-Kédèh ou temple duFeu, d'une sainteté extraordinaire. De temps immémorial, l'usage d'yaller porter ses prières s'était maintenu, mais aucun de ceux quiavaient fait la route ne s'étant occupé de donner en détaill'itinéraire des pays traversés pour y arriver, personne ne savaitautre chose de ce voyage, sinon que l'Atesch-Kédèh existait dans leNord. Il paraît que ce renseignement suffisait aux fidèles; car, aprèsbien d'autres, Kakscha et Mostanscha s'étaient mis en chemin.
Ils commencèrent par aller à Bombay, par terre, et de là, traversantle Kotch, ils arrivèrent aux bords de l'Indus. Ils remontèrent lefleuve, tantôt en cheminant sur ses rives, tantôt dans lesembarcations là où ils en trouvèrent et où on voulut bien leur donnerle passage gratis. Ils parvinrent ainsi jusqu'à Peschawer et, s'étantinformés, ils apprirent qu'on ne connaissait pas d'Atesch-Kédèh dansle pays, mais qu'il n'était pas impossible qu'il y en eût à Kaschemyr.Ils partirent pour Kaschemyr. Dans cette ville, on leur dit que leculte du feu était inconnu ou du moins n'avait point de sanctuairedans la vallée; mais qu'il était de notoriété publique que Balkh étantla mère des villes et ayant été fondée par Zerdescht ou Zoroastre, siun Atesch-Kédèh pouvait exister quelque part, ce devait êtreincontestablement là. Ils en tombèrent d'accord et partirent pourBalkh. Point d'Atesch-Kédèh; c'était à Bokhara qu'il fallait se rendrepour s'en éclaircir. Ils y allèrent et trouvèrent enfin, non pas cequ'ils cherchaient, mais des renseignements positifs. On leur affirmaque le sanctuaire de leur croyance existait à Bakou, sur la riveoccidentale de la Caspienne, dans le pays des Russes (voy. notrepremier volume, p. 125); et, en effet, les feux perpétuels que lanature y entretient sont un objet constant d'adoration de la part dessectaires.
Kakscha et Mostanscha reprirent leur route, sans avoir le moins dumonde pensé à perdre patience, et s'acheminèrent vers Asterabad; maisc'était justement dans le temps que le gouverneur actuel de cetteville, Djafèr-Kouly-Khan, faisait une campagne longtemps différée, etdevenue indispensable, contre les maraudeurs turcomans; de peur detomber dans ce conflit et d'être faits esclaves d'un côté ou décapitésde l'autre, les deux Tamouls se dirigèrent vers Mesched, et de làpassèrent par Téhéran, où j'entendis leur histoire.
Je ne relève pas ce qu'il y a de singulier à voir le culte du feu etles Atesch-Kédèhs de la Perse en vénération sur la côte du Malabar etauprès de gens qui se prétendent de caste brahmanique; je constateseulement que cela est, et c'est une des marques les plus fortes quej'aie jamais rencontrées de la diffusion, et je puis ajouter de laconfusion des idées persanes avec les idées hindoues. Pour achever cerécit, les deux pèlerins voyageaient avec une petite tente basse entoile blanche où l'on pouvait s'asseoir deux, mais non se tenir deboutni se coucher. Ils possédaient deux vases de cuivre pour faire cuireleurs aliments; car, circonstance particulièrement gênante dans unetelle entreprise, il ne leur paraissait pas conforme à leurs devoirsreligieux de rien manger qui eût été préparé par d'autres mains queles leurs, ce qui les privait naturellement des bénéfices del'hospitalité commune. Leur mobilier était complété par un de ces jeuxautrefois assez en vogue dans nos salons, et que l'on appelle unbaguenaudier. Ils y paraissaient fort habiles, et les Persansprenaient plaisir à les voir faire. Ils avaient mis quatre ans pourarriver à Téhéran et prévoyaient, sans nul ennui, qu'à leur retour deBakou, ils auraient à refaire exactement le même chemin et à voirs'écouler le même espace de temps avant d'arriver chez eux. Lorsqu'onleur eut expliqué qu'en passant par Ispahan et Schyraz pours'embarquer à Bouschyr, leur voyage serait beaucoup plus rapide, ilsne parurent nullement touchés de cet avantage: un Asiatique comprenddifficilement l'utilité de se hâter. Enfin, lorsqu'ils eurent passéune journée à répondre aux questions des gens de la maison joyeusementassis en cercle autour d'eux, et avec lesquels ils s'étaient mis toutd'abord sur le pied le plus amical, ils témoignèrent le désir decontinuer leur route. On leur demanda quelle aumône pourrait leur êtreagréable et leur paraître généreuse, puisqu'ils avaient refusé toutenourriture, le kalian et même une tasse d'eau; ils se firent un peuprier et enfin répondirent que si, par l'effet d'une générositésurhumaine, dont leur cœur conserverait à jamais la mémoire, onvoulait bien leur donner trente schahys, ils se considéreraient commecomblés. Trente schahys ne représentent pas tout à fait quarante sous.
C'est avec cette facilité, mais aussi cette patience, cette gaietécontinuelle, cette curiosité douce, toujours portée à satisfaire celled'autrui en se satisfaisant elle-même, que les Asiatiques circulentdans les pays les uns des autres, sans même savoir bien positivementoù ils vont, ni souvent où ils sont. Les longs entretiens de tous lesjours, de toutes les heures, où toutes les idées s'expriment, où toutse dit, où rien n'est considéré comme scandaleux quand la forme nechoque pas, exercent naturellement une influence irrésistible etdonnent lieu à cette facilité de mœurs, à cette toléranceuniverselle dont l'Européen seul, avec ses opinions arrêtées, sesdécisions tranchantes ou ironiques, est rigoureusement exclu, mais quipermet aux brahmanistes, aux musulmans, aux chrétiens, aux juifsarméniens de vivre pêle-mêle sans se choquer jamais, sauf les jours decrise politique.
(p. 039) La police. — Les ponts. — Le laisser aller administratif.
L'État persan n'existe pas en réalité, l'individu est tout. L'État?comment pourrait-il être, lorsque personne n'en prend aucun souci? Lapopulation, assez semblable, sous ce rapport comme sous beaucoupd'autres, à celle de l'empire romain, méprise ses gouvernants, quelsqu'ils soient, bons ou mauvais, déprédateurs ou bien intentionnés.Incapable de fidélité politique et de dévouement, pleine d'adorationpour le pays en lui-même, elle ne croit à aucun moyen de le conduire.Aussi tout le monde pillant sans honte comme sans scrupule, etprofitant à qui mieux mieux des deniers publics, il n'existe en faitque peu ou point d'administration. La police qui se fait dans lesvilles est assez bien entendue, il faut le reconnaître, ne serait-ceque pour la singularité du fait. De toute antiquité, les villes d'Asieconnaissent et pratiquent l'excellent système de surveillance quiconsiste à entretenir des gardiens de nuit dans chaque rue. Onn'entend pas de tapages nocturnes; il n'y a pas de désordres publics.Mais, en dehors de ce point-là, tous les autres sont réduits à néant.Une partie de la population urbaine ne paye jamais d'impôt, soit quedes priviléges abusifs que rien ne justifie, sinon le long usage,aient légitimé un prétendu droit, ou que, par de fausses mesures,l'autorité royale l'ait consacré, ou enfin que simplement lescontribuables, n'étant pas en humeur de payer, chassent lespercepteurs ou ne consentent pas à les recevoir. J'ai vu des villes sedonner cette position commode, et les gouverneurs n'y pouvaient rien,faute de troupes, de ressources ou de bonne volonté. Mais personne n'yprend garde.
Autrefois, la viabilité était très-perfectionnée en Perse. Les roissassanides avaient créé, dans les provinces du Sud principalement, demagnifiques routes, des ponts, des caravansérails en grand nombre. Lesdifférentes dynasties musulmanes continuèrent ce système, et jusqu'àla fin des Séfévys, dans le premier tiers du siècle précédent, lestravaux existants furent conservés avec soin, et çà et là augmentés.Mais, depuis lors, tout est détruit, tout a disparu. Dans l'empireentier il n'existe plus un chemin, pas même pour aller de Téhéran à larésidence d'été du souverain, qui en est à deux lieues. À la vérité,tant que dure la belle saison, la nature du sol et la sécheressesoutenue du climat permettent de s'en passer en beaucoup d'endroits.L'habitude et l'adresse font le reste.
Il y a encore quelques ponts, la plupart construits par desparticuliers. Comme on ne les répare point, il est d'usage de leséconomiser, en ne passant dessus qu'en cas de nécessité absolue. Unhonnête voyageur me disait que c'était pécher que d'user les pontssans besoin. Un homme consciencieux traverse à gué, et les caravanesn'y manquent jamais.
Il n'y a pas de forteresses; il n'y a pas d'arsenaux sérieux; il n'y apas un magasin public; l'administration, quant à son personnel,n'existe que pour fournir à une partie nombreuse, il est vrai, de lapopulation, des prétextes pour vivre aux dépens de l'autre; l'arméecause plus de concussions qu'elle ne rend de services. Cependant elleest utile encore, car elle peut, dans bien des cas, maintenir l'ordre,et surtout elle a puissamment contribué à tenir en échec d'abord, àruiner ensuite la puissance des tribus nomades. Mais, en somme, endisant du gouvernement de la Perse qu'il n'existe pas, on n'exagèreque de bien peu.
Les amusements d'un bazar persan.
Je ne crois pas qu'il y ait de lieu au monde où l'on s'amuse pluscontinuellement que dans un bazar de Téhéran, d'Ispahan ou de Schyraz.C'est une conversation qui dure toute la journée sous ces grandesarcades voûtées, où la foule se presse perpétuellement aussi bigarréeque possible. Les marchands sont assis sur le rebord des boutiques, oùles marchandises s'étalent avec un art d'exposition que nous avonsimité et perfectionné. Les loutys coudoient la foule, le bonnet detravers, la poitrine débraillée, la main sur le gâmâ. Les aveugleschantent. Un raconteur d'histoire s'est emparé du chemin et hurle àpleins poumons les douleurs ou les attendrissements, ou les parolesédifiantes d'un roman. Là, passent des Kurdes avec leur turban énormeet leur physionomie sombre et sérieuse. Au milieu d'eux se glissent,semblables à des anguilles, des mirzas, l'encrier à la ceinture,gesticulant comme des possédés et riant à grands éclats; dans leurmarche précipitée, ils tombent sur une file de mulets chargés demarchandises, qui sont arrêtés à leur tour par de longs chameauxvenant en sens inverse. La question pour la foule est de passer aumilieu de ce conflit; ce qui est certain, c'est qu'elle y passe. Underviche avec ses cheveux épars, son bonnet rouge brodé en soie decouleur de maximes édifiantes, le corps à demi nu, la hache sur ledos, et faisant sonner une grosse chaîne de fer, s'entretientfamilièrement avec un moullah, marchand de livres, ou un tourneur quilui fabrique un tuyau pour son kalyan. Là-dessus passe un gentilhommeafghan à cheval, suivi d'une troupe de ses stipendiés. C'est la figuredure, sauvage, intrépide des lansquenets, et c'est aussi leur airdébraillé. Turbans bleus collés sur la tête, habits de couleur sombredéguenillés, de grands sabres, de grands couteaux, de longs fusils etde petits boucliers sur l'épaule, de vrais pandours, et dans toutecette cohue des troupeaux de femmes. Elles errent deux à deux, quatreà quatre, très-souvent seules, toutes uniformément couvertes d'unvoile de coton, rarement de soie, gros bleu, qui les entoure depuis lesommet de la tête jusqu'aux pieds. Le visage est étroitement caché parune bande de toile blanche qui s'attache derrière la tête, par-dessusle voile bleu, et retombant devant jusqu'à terre, rend impossibled'apercevoir ni de deviner les traits. Un carré brodé à jour à lahauteur des yeux, leur permet de voir très-bien et de respirer àtravers cerou-bend oulien de visage. Sous le voile bleu appelétchader, qui est surtout destiné à envelopper depuis la têtejusqu'aux genoux de la personne, se met encore un vaste pantalon(p. 040) à pied qui contient les jupes et qu'on ne revêt que poursortir (voy. p.44). Ainsi calfeutrées, enfermées, les femmescheminent en traînant leurs petites pantoufles à talons avec unbalancement qui n'a rien de gracieux, et viennent s'accroupir au basde la boutique des marchands d'étoffes, faisant déplier des monceauxde pièces de toile, des soieries, des cotonnades, discutant,comparant, ne se décidant pas, et enfin se levant et s'en allantmaintes fois sans avoir rien acheté, comme cela se pratique dansd'autres pays encore, et tout cela sans avoir soulevé le moindre boutde leurs voiles.
Persane.Guerrier kadjar.Guerrier.Paysan.Bourgeoisepersane.Portrait d'un peintre.Moullah (prêtre, professeur).Chefwahabite.
TYPES ET PORTRAITS PERSANS.—Dessin de M. Jules Laurens.
Et tandis que les marchands font assaut d'éloquence et de persuasionpour arrêter ces goûts si incertains et si changeants, tous les proposet les cancans de la ville débordent de boutique en boutique. Ici onparle politique et on blâme telle mesure récente du gouvernement outelle résolution qu'on dit imminente. On raconte ce qui s'est passé laveille au soir ou le jour même dans le harem du roi et le point exactoù en est la discussion de telle klanum avec son mari. La chroniquescandaleuse court de bouche en bouche, peu voilée et s'exagérant tousles quarts d'heure. On emprunte de l'argent et on en prête. On retiretelle pièce de vêtement qui était en gage depuis six mois et on vaengager telle autre. On se querelle, on se menace, mais on ne sefrappe pas, à moins de circonstances rares. C'est un tapage, des cris,des rires, des gémissements, des poussées à faire tomber les voûtes,et souvent aussi elles ne résistent pas. Car, bâties en briques cruesen beaucoup d'endroits et cimentées à la grosse, elles s'écroulentavec fracas, surtout aux approches du printemps, et on ne peut nierqu'elles n'écrasent çà et là quelques causeurs.
Les fiançailles. — Le divorce. — La journée d'une Persane.
Les Persans, extrêmement réservés sur la partie féminine de leurpropre famille, sont on ne peut plus goguenards à l'endroit des femmesqui ne leur sont pas parentes. Ils s'en donnent alors à cœur joie,et à les entendre on croirait qu'il n'y a de dames respectables dansl'Iran qu'autant qu'ils ont encore une mère, une femme et dessœurs.
Ferach (homme de police publique ou privée).Kaliandji(porteur de pipe).Soldat à l'européenne.Pichkadmeth (page).
GROUPE DE PERSANS.—Dessin de M. Jules Laurens.
Sans m'arrêter à ces rapports, probablement empreints de beaucoupd'exagération, je dois dire que les femmes persanes se marienttrès-jeunes. Dans les familles aisées, le père exige ordinairement dufiancé trente tomans pour le prix de l'épouse, c'est-à-dire 360 fr.,ce qui n'est pas énorme, et le plus souvent cette somme est employéepar les parents à l'usage de la jeune femme. Il n'y a donc pas lieu dedépenser d'éloquence pour plaindre le sort(p. 042) d'une victimevendue par un père barbare. Avant la cérémonie nuptiale, il s'écoulesouvent plusieurs mois pendant lesquels le fiancé n'est pas censé êtreadmis à voir sa future à visage découvert; mais, pour concilier sur cepoint l'attitude que la coutume impose au père de famille et lalégitime impatience du jeune homme, il est à peu près convenu que lamère de la jeune fille veut à celui-ci tout le bien possible, et parfaiblesse lui fournit des occasions d'aller et venir dans la maison.Il en abuse et se livre à ce qu'on appelle lenamzêd-bazy, oulavie de fiancé,le jeu de fiancé. C'est-à-dire qu'il pénètre dansl'endéroun, saute par-dessus les terrasses, et entre et sort par lesfenêtres à son gré.
D'ordinaire, les promis sont très-jeunes; l'homme a de quinze à seizeans; la fille de dix à onze. Mariés sur ce pied, on serait porté àcroire qu'ils n'ont pas assez de raison pour conduire un ménage; maisla raison entrant peu en ligne de compte dans les affaires persanes,on admettra, sans trop d'indulgence, qu'ils sont déjà, sous cerapport, à peu près aussi avancés qu'ils le seront jamais: de ce côté,il n'y a donc rien à dire. J'ai vu un ménage composé du père, de lamère, de la femme et du mari, livré à des angoisses extrêmes et toutle monde pleurant, parce que la jeune femme, âgée de quatorze ans,allait mettre au monde son premier-né. Le père déclamait contre safemme, qui l'avait porté à exposer sa fille à un aussi grand danger.La mère perdait la tête d'inquiétude et courait çà et là, horsd'elle-même. Quant au mari, il s'était enfui dans un coin obscur pouréchapper aux reproches qui pleuvaient sur lui de toutes parts et ilpleurait à chaudes larmes. Quand les choses furent venues à bien parl'intervention des commères, il resta huit jours sans oser se montrer.
Dans les hautes classes, cette sorte d'enfantillage existe moins enréalité, mais on l'affecte. Car, à sept ou huit ans, un garçon épouseune femme pour avoir soin de lui. Elle lui appartient par un lienlégal. Si, plus tard, elle ne lui plaît pas, il la répudie. C'est doncl'intérêt de celle-ci de tâcher de se l'attacher de bonne heure par lareconnaissance qui se forme très-vite, et qui néanmoins n'en est pasun lien plus solide.
Arrivée à vingt-trois ou vingt-quatre ans, il est assez rare qu'unefemme n'ait pas eu déjà au moins deux maris et souvent bien davantage,car les divorces se font avec une excessive facilité; pas plusfacilement toutefois que les mariages, car non-seulement on lesconduit sans beaucoup de cérémonie, mais on a encore imaginé de lesfaire à terme, pour un an, six mois, trois mois et beaucoup moins; jen'ai pas besoin de dire que la considération publique n'a rien à voiravec ces sortes d'unions, qui sont jugées absolument comme on lesjugerait en Europe. La différence est que rien ne fait scandale dansce genre: la moralité asiatique ne blâme que ce qui s'affiche enpublic, et rien de ce qui se cache derrière les murailles del'endéroun, où tout est permis.
Cette extrême facilité de faire et de défaire les alliances ne portepersonne à avoir plusieurs épouses à la fois. On peut dire que lesexemples de polygamie sont rares, et constituent presque desexceptions. Il y a telle ville, comme Démavend, par exemple, quicompte trois ou quatre mille âmes, où je n'ai trouvé que deux hommesayant chacun deux femmes, et je dois dire qu'on ne leur en savait pasgré. Je parle des musulmans; car les nossayrys (ou Aly-Illays,sectaires) sont monogames. Ainsi, en admettant, comme on l'a dit, quela polygamie soit nuisible à la population, ce qui est un peudifficile à croire quand on voit les enfants de Feth-Aly-Schah donnerà la troisième génération une tribu d'au moins cinq mille personnes,encore faut-il avouer que la polygamie ne saurait être comptable de ladépopulation de la Perse, puisqu'on peut dire presque à la rigueurqu'elle n'y existe pas. Il arrive quelquefois qu'un Persan, changeantde ville de temps à autre, aura une femme dans chacune de cesrésidences, mais ces cas sont aussi des exceptions.
Les femmes sont très-rigoureusement cloîtrées dans l'endéroun, en cesens que personne du dehors, aucun étranger à la famille n'y estadmis. Mais, d'autre part, elles sont parfaitement libres de sortirdepuis le matin jusqu'au soir et même depuis le soir jusqu'au matindans beaucoup de circonstances. D'abord, elles ont le bain; elles yvont avec une servante qui porte sous son bras un coffret rempli desobjets de toilette et des parures nécessaires, et elles en reviennentau plus tôt quatre ou cinq heures après. Ensuite, elles ont lesvisites qu'elles se font entre elles et qui ne durent pas moinslongtemps. Puis elles ont leurs invitations pour les naissances, lesmariages, les anniversaires, les fêtes publiques et particulières quise renouvellent incessamment, sans compter les simples réunions plusfréquentes encore. Elles ont aussi les pèlerinages à des tombeauxsitués à peu de distance dans de jolis paysages, auxquels elles sontfort exactes, et qu'elles ne voudraient pas négliger pour rien aumonde.
J'ai rencontré des caravanes de pénitentes montées sur des mulets,sous la conduite d'un ou deux domestiques, et qui arrivaient duMazenderan, c'est-à-dire de plus de quarante lieues. Ellesparaissaient s'amuser beaucoup.
Il ne faut pas oublier que toutes ces femmes sont si exactementvoilées et si semblables dans leurs vêtements extérieurs, qu'il estimpossible à l'œil le plus exercé d'en reconnaître une seule.L'usage de prendre un mari pour faire un voyage en pèlerinage àKerbela ou à la Mecque, lorsque le vrai mari ne peut accompagner safemme, existe encore en Perse; mais, au retour, le mari par occasioncesse de rien être dans la famille.
Enfin, en mettant même à l'écart les invitations, le bain, lespèlerinages, les visites au bazar, les femmes sortent quand ellesveulent, d'autant plus que les hommes restent très-peu au logis, etelles paraissent vouloir toujours sortir, car elles encombrent lesrues en toute saison. À Dieu ne plaise que j'en conclue rien dedéfavorable et que je pense que cette perpétuelle locomotion,l'éducation très-libérale qu'elles reçoivent en certaines matières, lapersuasion où elles sont qu'étant des êtres imparfaits elles nesauraient être responsables de rien, enfin, l'incognito impénétrablequi les suit partout, les induisent à rien de fâcheux. Les Persans leprétendent,(p. 043) mais ils sont si médisants! et je n'en croisrien. Je me borne à trouver que cette licence sans liberté, cetteabsence complète d'éducation morale est d'un fâcheux effet pour lesmaris plus encore que pour les femmes, et leur ôte complétement, dèsla jeunesse, le goût de la vie de famille et d'intérieur.
Les femmes sont absolument maîtresses dans ces maisons où ellesrestent si peu. Elles y sont servies par des domestiques des deuxsexes, et on admet libéralement que l'endéroun peut rester accessibleaux visiteurs qui n'ont pas plus de dix-huit à vingt ans. Aucuneinconséquence ne choque dans ce pays, et lorsque en particulier onfait remarquer celle-ci aux Persans, ils en rient de tout leur cœuret vous font là-dessus deux mille contes plaisants; mais ils concluentbientôt sérieusement en disant que c'est l'usage.
Les femmes n'étant, comme je viens de le dire, responsables de rien,sont extrêmement colères et violentes. Le Prophète avait découvertqu'il leur manquait quelque chose dans l'entendement, et il s'empressad'en conclure, comme elles l'ont trop bien retenu, que leurs faits etgestes n'avaient pas de conséquence. Plein de cette idée, il déclaramême que le manquement le plus grave qu'on peut avoir à leur reprocherdevrait être prouvé par quatre témoins oculaires. C'était à peu prèsdonner l'impunité au sexe faible et lui montrer beaucoup d'indulgence.
Les femmes persanes ont pris le jugement du Prophète au pied de lalettre: il y a plus de maris à plaindre qu'il n'y a de femmesvictimes. Elles ont surtout une tendance marquée à faire usage de leurpantoufle, et cette pantoufle, toute petite qu'elle soit, estconstruite en cuir très-dur et armée au talon d'un petit fer à chevald'un demi-pouce d'épaisseur. C'est une arme terrible, dont j'ai vu lesdéplorables effets sur la figure labourée d'un malheureux mari quis'était attiré la colère d'une petite dame de treize ans.
La journée d'un Persan. — Les visites. — Formules de politesses.
Les heures qui ne sont pas données au bazar sont absorbées par lesvisites. Comme partout ailleurs, il y en a de toutes sortes d'espèces,les visites de cérémonie, de convenance, d'affaires, de plaisir.
Quand on veut aller voir quelqu'un, on commence, le plus souvent, parlui envoyer un domestique pour s'informer de ses nouvelles et luifaire demander si tel jour, à telle heure, on pourra venir le voirsans le déranger. Dans le cas où la réponse est favorable, on se meten route et l'on arrive au moment indiqué, qui n'est jamaistrès-rigoureusement défini et qui ne peut pas l'être, vu la manièredont les Persans calculent le temps. Une heure après le lever dusoleil est une bonne heure pour aller voir quelqu'un, parce qu'il nefait pas encore trop chaud; ou bien encore à l'asr, c'est-à-diretout le temps de la troisième prière, dont, par parenthèse, lesPersans se dispensent très-souvent. Quand quelqu'un doit venir àl'asr, on peut l'attendre depuis trois heures de l'après-midi jusqu'àsix heures, et il ne se trouve pas en retard. Comme le temps ne comptepour rien, être en retard ne serait d'ailleurs pas un tort, ou bienc'en est un que tout le monde partage.
On se met donc en route avec le plus de serviteurs possible, ledjelodâr marchant devant la tête du cheval, la couverture brodée surl'épaule; derrière le maître vient le kalyandjy avec son instrument.On chemine ainsi, au pas dans les rues et les bazars, salué par lesgens de sa connaissance, donnant aux pauvres. Parmi ceux-ci il en estquelquefois d'espèce singulière. Ainsi un de mes amis se vit un jouraccosté par une femme dont le voile tout neuf et le rou-bend d'unegrande propreté indiquaient l'aisance. Elle lui demandait un schahy(un sou) d'une voix lamentable. Sur l'observation qu'il lui fit,qu'elle ne semblait pas en avoir besoin, elle lui répondit qu'en effetelle était riche, mais qu'ayant un enfant malade, elle s'était réduitepour ce jour-là à vivre de charités, afin d'obtenir par son humilitéla miséricorde céleste. D'autres mendiants, d'espèce plus réelle, selèvent tout droit sur votre passage, criant à tue-tête: «Que lessaints martyrs de Kerbela et Son Altesse le Prophète et le Prince descroyants (Aly) élèvent Votre Excellence jusqu'au comble de laprospérité et de la gloire!» Quelquefois Son Excellence est untrès-simple bourgeois, qui n'en donne pas moins son aumône, et qui enest remercié par une prosopopée digne de l'exorde. Si le passant estun chrétien, le mendiant ne souffle pas mot du Prophète ni de sonmonde, mais invoque à grands cris les bénédictions de Son Altesse Issa(Jésus) et de Son Altesse Mériêm (Marie), sur le magnifique seigneur,la splendeur de la chrétienté, qui viendra sans nul doute au secoursdu plus petit de ses serviteurs.
On arrive enfin à la porte où l'on doit s'arrêter et l'on met pied àterre. Les domestiques marchant en avant, on pénètre par différentscouloirs toujours bas et obscurs, et souvent on traverse une ou deuxcours jusqu'à la maison. Êtes-vous d'un rang supérieur, le maître dulogis vient lui-même vous recevoir à la première porte. En casd'égalité, il vous envoie son fils ou l'un de ses jeunes parents.Alors a lieu un premier échange de politesses: «Comment VotreExcellence ou Votre Seigneurie a-t-elle conçu la penséemiséricordieuse de visiter cet humble logis?» De son côté, on répond,en s'exclamant sur l'excès d'honneur qui vous est fait: «Commentdaignez-vous ainsi venir au-devant de votre esclave? Me voici dans uneconfusion inexprimable; je suis couvert de honte par ces excès debonté.»
En devisant ainsi, on arrive jusqu'à la porte du salon où l'on doitentrer. Ici on fait assaut de civilités pour ne pas passer le premier.Le maître vous affirme que vous êtes chez vous, que tout doit vousobéir dans cette pauvre demeure; vous vous défendez avec modestie,vous jurez d'être résolu à n'en rien faire, puis vous quittez voschaussures, votre hôte en fait de même, et vous entrez.
Vous trouvez généralement réunis tous les hommes de la famille, quisont là pour vous faire honneur. Ils se tiennent debout, rangés contrele mur. Ils s'inclinent à(p. 044) votre arrivée et vous répondentpar un salut général. Puis le maître vous mène dans un coin de lasalle, où il veut vous faire asseoir au haut bout, ce dont vousrecommencez à vous défendre avec un surcroît de protestations.L'assistance sourit à cet aimable combat, qui prouve, de la part desdeux acteurs, une excellente éducation. Enfin, vous prenez place etvotre hôte également. Sur votre prière, ce dernier fait un signe à sonmonde, qui remercie et s'assoit de même. Quand chacun est casé, vousvous tournez d'un air aimable vers votre hôte et vous lui demandez si,grâce à Dieu, son nez est gras. Il vous répond: «Gloire à Dieu, ill'est, par l'effet de votre bonté!—Gloire à Dieu!» répliquez-vous.
Dansl'Endéroun (appartement intérieur).
Costumesd'intérieur et de sortie.—Dessin de M. Jules Laurens.
Ensuite, vous vous inclinez vers le plus proche voisin, dont le rangd'ordre indique assez les droits particuliers à la considération, et,de la même manière, vous vous enquérez si, grâce à Dieu, sa santé estbonne. Sur une réponse qui est toujours affirmative et accompagnéed'ungloire à Dieu, d'unpar l'effet de votre faveur, vous passezà un troisième, et ainsi de suite, tant qu'il y a d'assistants, ayantsoin toutefois de nuancer votre question de manière à marquer unedifférence décroissante d'empressement, à mesure que vous descendezvers ceux qui sont placés le plus près de la porte. Là, vous ne faitesplus guère de question, et une inclination aimable suffit.
Cette cérémonie ne laisse pas que de durer quelque temps. Quand elleest finie, vous revenez à votre hôte, et il n'est pas mal de luiredire avec un air de tête tout à fait caressant, et comme si vous nel'aviez pas vu depuis quinze jours: «Votre nez est-il gras, s'il plaîtà Dieu?» Ce à quoi il réplique du même ton: «Il l'est, grâce à Dieu,par l'effet de votre miséricorde!» J'ai vu répéter la même questiontrois et quatre fois de suite par des gens très-polis, et j'ai entenduciter avec éloge l'exemple du feu Iman Djumé, ou chef de la religion àTéhéran, qui, lorsqu'il allait chez quelques grands seigneurs, nemanquait jamais de demander des nouvelles de leur nez, non-seulementau maître du logis, mais encore à tous les domestiques, et neremontait pas à cheval sans s'être assuré de la façon la plus aimableque le nez du soldat en faction à la porte était tel qu'on pouvait ledésirer. Pour ce motif, ce grand dignitaire ecclésiastique était sipopulaire et si chéri de tout le monde, que sa mémoire est encorevénérée.
1. Vase à rafraîchir.—2. Debeh (poudrière)—3. Vase àrafraîchir.—4. Petit couteau.—5. Agrafe.—6. Kamah (petit sabre).—7et 9. Negare (baguettes et tambour).—8. Kandjar.—10. Debeh(poudrière).—11. Gâteau.—12. Cuiller.—13. Vase.—14. Verre.—15.Vase et plat.
CHOIX D'ARMES, D'INSTRUMENTS ET OBJETS DIVERSPERSANS.—Dessin de M. Jules Laurens.
Enfin, après l'épuisement de cette question, il y a un moment desilence, et le maître de la maison y met fin en observant d'une façongénérale qu'il est à remarquer que le temps médiocrement beau laveille est subitement devenu admirable, ce qui ne saurait s'attribuerqu'à la fortune étonnante de Votre Excellence. Les assistants nemanquent pas de relever la profonde vérité de cette observation, etquelqu'un se trouvera là pour dire que ce qui est excellent rendexcellent tout ce qui l'approche ou l'entoure; que l'homme éminent enperfection doit être(p. 046) également entouré de perfectionséminentes, et que partout où paraît Votre Excellence on ne sauraits'étonner de voir aussitôt régner l'équilibre complet des choses et ledernier degré du bien. Cette proposition soulève encore plusd'assentiments, et ce serait malheur qu'elle ne fût pas appuyée parune citation de quelque poëte.
On peut se confondre en démonstrations d'humilité, et il n'y a pasd'inconvénient à le faire. Mais il est mieux de répliquer que le tempsne s'est vraiment mis au beau que du moment où votre hôte a acceptévotre visite, que ce n'est donc pas votre fortune, mais bien la siennequi montre ici son ascendant, et, d'autant mieux, qu'un peu souffranten montant à cheval, vous ne l'avez pas plutôt aperçu que vous vousêtes trouvé admirablement bien. Là-dessus, profitant du brouhaha quis'élève pour applaudir au tour que vous avez donné à la conversation,vous amenez une anecdote qui ne manque jamais de porter les heureusesdispositions de l'assemblée à son comble. Votre hôte vous serre lamain avec gratitude, vous lui serrez les mains avec tendresse, puis lekalian, le thé, le café, les sorbets circulent.
Je ne veux pas absolument faire l'éloge de cette manière excessive decomprendre la politesse; mais j'ai cru m'apercevoir que, spirituelscomme sont les Persans, ils savaient facilement donner à tous cescompliments un peu exubérants une tournure qui allait à laplaisanterie; que de proche en proche, de ce terrain d'exagération, ilsortait assez souvent des saillies et des mots qui ne manquaient ni definesse ni d'agrément, qu'à force de subtiliser sur des absurdités, onrencontrait parfois des choses très-spirituelles, et enfin que, dansles occasions et avec des gens qui rendaient difficile ou impossibleun entretien raisonnable, toutes ces occasions-là étaient, endéfinitive, moins plates, beaucoup plus animées et plus gaies que laconversation qu'on appelle chez nous de la pluie et du beau temps,bien que le fond en soit le même. Le plus grand mérite consiste doncdans la broderie, toute extravagante qu'elle soit, et peut-être parcequ'elle l'est.
Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'entre personnes qui ont quelque choseà se dire, ces formules se simplifient tout de suite; cependant, mêmed'ami à ami l'extrême courtoisie subsiste toujours, et cela danstoutes les classes de la société. J'ai vu des portefaix et des paysansse parler avec des égards qui semblaient bizarres pour nous. Lesnomades seuls s'en dispensent. Aussi les Tadjyks les considèrent-ilscomme des gens grossiers et indignes de vivre. Mais, je le répète, si,dans une réunion d'amis qui s'assemblent pour se réjouir, on ne sefait pas de ces interminables compliments, celui qui vous parle esttoujoursvotre esclave; s'il a un bel habit ce jour-là, c'esttoujours par l'effet de votre bonté, et s'il dit quelque chose quiplaise à la société, c'est par suite de votre miséricorde.
La peinture et la calligraphie persanes. — Les chansons royales. Les conteurs d'histoires. — Les spectacles: drames historiques.
La peinture est extrêmement déchue en Perse. Le roi Mohammed-Schahavait envoyé à Rome un artiste pour qu'il s'introduisît dans lessecrets et les procédés de l'art européen, que les Persansreconnaissent volontiers comme très-supérieur au leur. Malheureusementle choix de l'étudiant ne paraît pas avoir été heureux. Le peintre n'aété frappé de rien et n'a rien compris. Le seul résultat de son voyagea été de rapporter une copie de «la Vierge à la chaise» qui a faitfortune, et est aujourd'hui reproduite partout.
Depuis longtemps on copie des gravures et des lithographieseuropéennes.
Les Persans ont un goût singulier qui tient en quelque sorte aux artsdu dessin, et qu'ils poussent jusqu'à la frénésie: c'est celui desbeaux modèles de calligraphie. On donne cinq cents francs et au delàpour une ligne de la main d'un maître ancien, comme Émyry le dervicheou d'autres. Mais Émyry est le plus célèbre. Les maîtres modernes sepayent naturellement moins cher, et sont cependant fort admirés. Toutle monde, d'ailleurs, tombe d'accord qu'on n'écrit plus aujourd'huiavec la même perfection et la même élégance que dans les sièclespassés. Le style a changé. J'ai vu faire des folies pour des oeuvresanciennes, qui, en effet, étaient fort belles.
Les chansons jouissent d'une grande faveur, mais il faut qu'ellessoient nouvelles, et les dernières connues ont surtout la vogue.Beaucoup sont satiriques et souvent politiques. Parmi celles qui netraitent que des charmes de l'amour et du vin, un grand nombre a laplus auguste origine. Le roi, sa mère et les dames de l'endéroun royalen produisent sans cesse, qui sont aussitôt répétées dans le bazar etdans les autres endérouns. Mais si l'on change les paroles, il estrare que l'on fasse de nouveaux airs, et c'est pourquoi, au dire despersonnes compétentes, la musique est entrée dans une phase dedécadence. Peu de gens en savent la théorie, et on se contented'apprendre par cœur certaines séries de chants qui permettentpleinement de se tenir au courant des nouveautés.
Dans toutes les rues, on rencontre des conteurs d'histoires ambulants.Autrefois, les cafés leur servaient surtout de théâtre, comme enTurquie. Mais les cafés, invention toute récente en Perse, ont étésupprimés par l'Emyr-Nyzam, parce qu'on y parlait politique et qu'on yfaisait trop d'opposition. Ils n'ont pas été rétablis depuis. Dans unemplacement assez vaste, près du Marché-Vert, on a construit une sortede hangar en planches, ouvert de tous côtés et garni de gradins, defaçon à pouvoir contenir deux ou trois cents personnes accroupies surleurs talons. Au fond du hangar, s'étend une estrade. C'est là quedepuis le matin jusqu'au soir se succèdent et les conteurs et lesauditeurs. LesMille et une Nuits sont considérées comme un recueilclassique, fort beau assurément, mais vieilli. On leur préfère lesSecrets de Hame, vaste collection en sept volumes in-folio,contenant les récits les plus bariolés, tous à la gloire des Imans.C'est la source où l'on puise de préférence. Mais on recherche aussibeaucoup les anecdotes plaisantes, les répliques ingénieuses, lesrécits qui contiennent quelques mauvais propos sur les moullahs et lesfemmes, le tout entremêlé de vers et quelquefois de chant. Lapopulation(p. 047) passe en grande partie sa vie à entendre cesrécitations, qui ne coûtent pas cher aux oisifs, quand elles leurcoûtent quelque chose.
Toutefois le charme qu'elles peuvent avoir, si grand qu'il soit, lecède complétement à celui des représentations théâtrales, avec lequelrien ne peut rivaliser. C'est une furie dans toute la nation; hommes,femmes et enfants ont les mêmes entraînements sous ce rapport, et unspectacle fait courir toute la ville. Dans tous les quartiers et surtoutes les places, se trouve une sorte d'auvent plus ou moins vastedestiné à cet usage. C'est là que se mettent certains personnages dudrame, mais l'action se passe sur la place même, de plain-pied avecles spectateurs. Les femmes sont réunies en foule d'un côté et leshommes de l'autre, sans que ces deux parties de l'assemblée soientcependant très-rigoureusement séparées. Le spectacle est toujours undrame emprunté à la vie des Persans, l'histoire d'une persécution descalifes abbassides. La plus célèbre de ces compositions est celle quel'on représente au mois de Moharrem et qui a pour sujet la mort desfils d'Aly et de leurs familles dans les plaines de Kerbela. Cettedéclamation dure dix jours, et pendant trois ou quatre heures chaquefois. Ce sont des morceaux lyriques souvent fort beaux ettrès-pathétiques, ajustés les uns au bout des autres et récités avecpassion. On n'y craint pas les longueurs, et les Persans n'ont jamaisassez de la peinture détaillée des souffrances, des malheurs, desangoisses, des terreurs de leurs saints favoris. Toute l'assembléesanglote à qui mieux mieux et pousse des cris de désolation. Chez leplus grand nombre ces démonstrations sont sincères, car il estdifficile, en effet, de ne pas être ému, et j'ai vu des Européenssaisis de tristesse; mais, pour quelques-uns, il y a affectationévidente, et ce ne sont pas ceux qui gémissent le moins haut.
De temps en temps, le moullah, qui est assis en face sur un siégeélevé, prend la parole pour faire mieux comprendre à la foule combienles Imans ont souffert. Il entre dans les détails de leurs tourments,il paraphrase le drame, il maudit les califes oppresseurs et ilentonne des prières. Aussitôt les auditeurs, et principalement lesfemmes, commencent à se frapper violemment la poitrine en cadence enchantant une sorte d'antienne et en répétant sans fin, avec des crisfurieux: «Husseyn, Hassan!» Puis, l'entr'acte terminé, la piècereprend. Bien que le fond soit le même depuis bien des années, on ychange toujours quelque chose, et généralement on amplifie etdéveloppe les morceaux les plus pathétiques. Il n'est pas mal que lesacteurs qui remplissent les rôles odieux fondent en larmes comme lesspectateurs à l'idée de leur propre scélératesse. J'en ai vu un quiremplissait le rôle abominable du calife Yézyd et qui était tellementindigné de lui-même, qu'en proférant les menaces les plus atrocescontre les saints Hassan et Husseyn, il pleurait au point de pouvoir àpeine parler, ce qui portait à son comble l'émotion de la foule. Je nesais si ces gens-là traitent une œuvre d'après les principes deLongin et autres critiques, mais il n'est pas possible de nier qu'ilsproduisent sur le public des effets dont nos plus beauxchefs-d'œuvre tragiques n'approchent pas. C'est le théâtre comprisun peu à la manière des anciens Grecs.
Nous avons l'honneur, nous autres Français, de jouer un très-beau rôledans la représentation de la mort des Imans, fils d'Aly. Unambassadeur du roi Jean (quel roi Jean[7]? C'est ce qu'il n'est pastrès-facile d'expliquer) se trouvait à la cour du calife Yézyd quandon lui annonça la famille sainte faite prisonnière à Kerbela. Ilchercha à émouvoir le tyran en faveur de ces femmes et de ces enfants.N'ayant pu y réussir, et transporté d'indignation et de douleur, il sedéclara musulman et schyyte et fut martyrisé.
J'ai parlé ailleurs des farces, ou saynètes. Je n'y reviendrai doncpas.
Épilogue. — Le Démavend. — L'enfant qui cherche un trésor.
J'ai passé quatre mois campé dans le désert au pied du volcan duDémavend. Nos tentes s'appuyaient à la jolie rivière de Lâr. Un tapisde hautes herbes et de fleurs agrestes s'étendait sous nos pieds. Despics élancés touchaient le ciel de toutes parts. Nous n'avionsd'autres visiteurs dans cette solitude profonde que des nomades qui,de temps en temps, passaient près de nous, dressaient leurs camps loindu nôtre et demeuraient là une ou deux semaines. Un jour des Alavends,tribu turque, vinrent planter trois ou quatre de leurs tentes noiresde l'autre côté du ruisseau. Tandis que les hommes allaient chasser etque les femmes s'occupaient des travaux domestiques, un enfant de dixà douze ans, maigre, noirci par le soleil, à demi nu, ayant la figurela plus intéressante et la plus triste, s'approchait de la riveopposée à la nôtre. Il ne nous regardait pas, et tous les jours ilrevenait de même et ne nous regarda jamais. Il ramassait des pierressur le bord, les tenait dans la main, et les considérait avecattention, puis les rejetait dans l'eau loin de lui. Quelquefois ilexaminait plus longtemps un de ces cailloux et, le mettant à part, ilreprenait son travail et continuait à chercher. Le soleil torride, lapluie, le vent, le froid, rien ne le chassait, rien n'arrêtait sonardeur fiévreuse, et tant que le jour durait il ne se reposait pas. Iln'aurait pas cessé même la nuit, si une femme, sa mère sans doute, ousi son père n'était venu le chercher. On l'emmenait avec un peu decontrainte et il suivait à regret. Ce petit infortuné avait été frappédu soleil, et il avait perdu la raison; cet accident arrivefréquemment chez les nomades. Il ne songeait plus qu'à chercher untrésor de la nature duquel il ne pouvait rendre compte, mais pourlequel il oubliait tout ce qui au monde est réel.
Le Démavend.—Dessin de M. Jules Laurens.
J'oserai dire que cet enfant me représente un peu le génie dominant del'Asie; dès l'aurore des âges, moins occupé de la vie positive et deschoses matérielles que(p. 048) d'obéir à un élan qui le pousse d'uneforce merveilleuse vers l'inconnu. Il a sans doute ramassé dans lecours des ruisseaux bien des cailloux sans valeur, quelques-uns parhasard d'une merveilleuse beauté, mais plus souvent encore il aramassé des monceaux de pierres auxquels il sentait qu'il ne devaitpas s'attacher. Il a persévéré toujours, et toujours il persévère, etc'est là une puissance dont le reste du monde devrait êtrereconnaissant, puisqu'il lui doit, en somme, tout ce qu'il possède eta possédé jamais du haut domaine intellectuel[8],
Cte A.de Gobineau.
I. Sous le titreVoyage d'un naturaliste, pages 139 et 146, ona imprimé: (1858.—INÉDIT).—Cette date et cette qualification nepeuvent s'appliquer qu'à la traduction.
La note qui commence la page 139 donne la date du voyage (1838)et avertit les lecteurs que le texte a été publié en anglais.
II. Dans un certain nombre d'exemplaires, le voyage du capitaineBurtonaux grands lacs de l'Afrique orientale, 1re partie,46e livraison, le motORIENTALE se trouve remplacé par celuid'OCCIDENTALE.
III. On a omis, sous les titres deJuif etJuive deSalonique, dessins de Bida, pages 108 et 109, la mentionsuivante: d'après M. A. Proust.
IV. On a également omis de donner, à la page 146, la descriptiondes oiseaux et du reptile de l'archipel des Galapagos représentéssur la page 145. Nous réparons cette omission:
1ºTanagra Darwinii, variété du genre desTanagras très-nombreux en Amérique. Ces oiseaux ne diffèrent denos moineaux, dont ils ont à peu près les habitudes, que par labrillante diversité des couleurs et par les échancrures de lamandibule supérieure de leur bec.
2ºCactornis assimilis: Darwin le nommeTisseim desGalapagos, où l'on peut le voir souvent grimper autour desfleurs du grand cactus. Il appartient particulièrement à l'îleSaint-Charles. Des treize espèces du genrepinson, que lenaturaliste trouva dans cet archipel, chacune semble affectée àune île en particulier.
3ºPyrocephalus nanus, très-joli petit oiseau dusous-genremuscicapa, gobe-mouches, tyrans ou moucherolles. Lemâle de cette variété a une tête de feu. Il hante à la fois lesbois humides des plus hautes parties des îlesGalapagos et lesdistricts arides et rocailleux.
4ºSylvicola aureola. Ce charmant oiseau, d'un jauned'or, appartient aux îles Galapagos.
5º LeLeiocephalus grayii est l'une des nombreusesnouveautés rapportées par les navigateurs duBeagle. Dans lepays on le nommeholotropis, et moins curieux peut-être quel'amblyrhinchus, il est cependant remarquable en ce que c'estun des plus beaux sauriens, sinon le plus beau saurien quiexiste.
Le saurienamblyrhinchus cristatus, que nous reproduisons ici,est décrit dans le texte, page 147.
Amblyrhinchus cristatus, iguane des îles Galapagos.
IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris
Note 1: M. le Cte A. de Gobineau, premier secrétaire de ladernière ambassade française en Perse, est auteur d'un volumeintitulé:Trois ans en Asie (de 1855 à 1858) (Paris, Hachette).C'est à cet ouvrage estimé que nous empruntons, avec l'autorisation deM. de Gobineau, les pages qui suivent.—Nous croyons devoir rappelerque MM. Eugène Flandin et Pascal Coste ont publié depuis 1851: unVoyage en Perse (fait en 1840 et 1841); lesMonuments de la Perseancienne et lesVues pittoresques de la Perse moderne (Paris, Gideet Baudry).[Retour au Texte Principale]
Note 2: M. Jules Laurens, attaché par les ministères del'intérieur et de l'instruction publique, comme peintre, à la missionen Orient de feu X. Hommaire de Hell, est parti de France pourl'Italie, la Grèce, la Turquie, les principautés danubiennes, et laRussie méridionale, en mai 1846; il a voyagé en Perse depuis le 6novembre 1847 jusqu'au 15 mars 1849, et est rentré en France enjuillet 1849.[Retour au Texte Principale]
Note 3: M. de Gobineau dit ailleurs que le groupe européen secomposait, sans parler de sa famille et de lui, «du ministre, de deuxsecrétaires de la mission, d'un attaché, de deux drogmans, d'unpeintre, d'une femme de chambre tourangelle, de cinq domestiques.»[Retour au Texte Principale]
Note 4: Personnage chargé par le gouvernement persan d'escorterambassade pour lui faire honneur.[Retour au Texte Principale]
Note 5: Louty, Baktyary, noms de tribus; ils désignenthabituellement des espèces de nomades assez mal famés.[Retour au Texte Principale]
Note 6: Suite et fin.—Voy. p.17.[Retour au Texte Principale]
Note 7: Il est probable qu'il s'agit, non d'un roi français, maisdu fameuxprêtre Jean, prince tartare, suivant quelques auteurs, legrand lama suivant d'autres. On trouve une discussion remarquable surce mystérieux personnage dans l'introduction que le savant M. d'Avezaca mise en tête de larelation des Mongols et des Tartares, par lefrère Jean du Plan de Carpin.[Retour au Texte Principale]
Note 8: «La Perse n'a fourni, en 1859, qu'un faible contingent derelations et de notices. C'est un pays qui a déjà été trop explorépour donner lieu à des voyages de découvertes proprement dits, mais iln'est pas encore assez connu pour qu'il ne reste pas à en étudier latopographie, l'état économique, les institutions et les ressources.Une expédition russe, qui le parcourt en ce moment, promet une moissonplus riche que celle qu'avaient recueillie les précédents voyageurs.La grande échelle sur laquelle elle a été organisée, le mérite deshommes qui la composent ont permis un ensemble d'investigationsauxquelles ne pouvait suffire un voyageur isolé. À la fin de septembre1858, l'expédition avait atteint Hérat; elle avait jusqu'alors trouvéprès du gouvernement persan le plus favorable accueil. À Hérat et auxenvirons, les voyageurs ont rencontré de nombreux restes d'antiquités.Partout se présentaient sur leur route des fragments de marbre et deserpentine travaillés, des briques émaillées et des vestigesd'inscriptions. Pendant le séjour de M. de Khanikoff à Téhéran,quelques-uns de ses compagnons avaient été faire dans les environsd'Astérabad une course qui n'a pas été sans profit pour l'histoirenaturelle. Une partie de Mazandéran fut explorée, tant sous le rapporttopographique que sous le rapport botanique et zoologique. On dressa,par des opérations géodésiques, un itinéraire détaillé d'Astérabad àTéhéran, en passant par Scharoud. Pendant leur séjour à Mechhed, lesmembres de l'expédition en étudièrent avec soin les monuments etexplorèrent la riche bibliothèque de manuscrits que Iman Riza y aréunis. Tout le monde a entendu parler des célèbres mines deturquoises du Khoraçan. M. Gœbel y est descendu et s'y est livré àune exploration attentive du minerai qui fournit ces pierresprécieuses. Le même naturaliste a visité Turbet, Cheïdari, Turmis,Kuchimisch, Sebswar et Kudjan ou Kabujan. Nous ne connaissons encoreque d'une manière sommaire les richesses recueillies par l'expédition,mais ce qu'on nous en rapporte ne permet pas de douter que l'histoirenaturelle n'ait beaucoup à gagner du voyage de M. de Khanikoff.»(Rapport de M. Alfred Maure sur le progrès des sciences géographiquespendant l'année 1859, lu à la grande assemblée générale annuelle de laSociété de géographie de Paris.)[Retour au Texte Principale]
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