Movatterモバイル変換


[0]ホーム

URL:


level - not in
or */ text-align: justify; /* or left?? */ text-indent: 1em; /* first-line indent */ }/* suppress indentation on paragraphs following heads */h2 + p, h3 + p, h4 + p { text-indent: 0 }/* tighter spacing for list item paragraphs */dd, li { margin-top: 0.25em; margin-bottom: 0; line-height: 1.2em; /* a bit closer than p's */ }/* ************************************************************************ * Head 2 is for chapter heads. * ********************************************************************** */h2 { /* text-align:center; left-aligned by default. */ margin-top: 3em; /* extra space above.. */ margin-bottom: 2em; /* ..and below */ clear: both; /* don't let sidebars overlap */ }/* ************************************************************************ * Head 3 is for main-topic heads. * ********************************************************************** */h3 { /* text-align:center; left-aligned by default. */ margin-top: 2em; /* extra space above but not below */ font-weight: normal; /* override default of bold */ clear: both; /* don't let sidebars overlap */ }/* ************************************************************************ * Styling the default HR and some special-purpose ones. * Default rule centered and clear of floats; sized for thought-breaks * ********************************************************************** */hr { width: 45%; /* adjust to ape original work */ margin-top: 1em; /* space above & below */ margin-bottom: 1em; margin-left: auto; /* these two ensure a.. */ margin-right: auto; /* ..centered rule */ clear: both; /* don't let sidebars & floats overlap rule */ }/* ************************************************************************ * Images and captions * ********************************************************************** */img { /* the default inline image has */ border: 1px solid black; /* a thin black line border.. */ padding: 6px; /* ..spaced a bit out from the graphic */ }

The Project Gutenberg eBook ofLégendes rustiques

This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States andmost other parts of the world at no cost and with almost no restrictionswhatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the termsof the Project Gutenberg License included with this ebook or onlineatwww.gutenberg.org. If you are not located in the United States,you will have to check the laws of the country where you are locatedbefore using this eBook.

Title: Légendes rustiques

Author: George Sand

Release date: March 4, 2006 [eBook #17911]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreading Team at DP-EU. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LÉGENDES RUSTIQUES ***

Produced by Carlo Traverso, Eric Vautier and the Online

Distributed Proofreading Team at DP-EU. This file wasproduced from images generously made available by theBibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)

George SAND

LÉGENDES RUSTIQUES

A Maurice SAND

_Mon cher fils,

Tu as recueilli diverses traditions, chansons et légendes, que tu asbien fait, selon moi, d'illustrer; car ces choses se perdent à mesureque le paysan s'éclaire, et il est bon de sauver de l'oubli qui marchevite, quelques versions de ce grand poème dumerveilleux, dontl'humanité s'est nourrie si longtemps et dont les gens de campagne sontaujourd'hui, à leur insu, les derniers bardes.

Je veux donc t'aider à rassembler quelques fragments épars de ceslégendes rustiques, dont le fond se retrouve à peu près dans toute laFrance, mais auxquelles chaque localité a donné sa couleur particulièreet le cachet de sa fantaisie._

George SAND.

Avant-propos

_Il faudrait trouver un nom à ce poème sans nom de lafabulosité oumerveillosité universelle, dont les origines remontent à l'apparitionde l'homme sur la terre et dont les versions, multipliées à l'infini,sont l'expression de l'imagination poétique de tous les temps et de tousles peuples.

Le chapitre des légendes rustiques sur les esprits et les visions de lanuit serait, à lui seul, un ouvrage immense. En quel coin de la terrepourrait-on se réfugier pour trouver l'imagination populaire (qui n'estjamais qu'une forme effacée ou altérée de quelque souvenir collectif) àl'abri de ces noires apparitions d'esprits malfaisants qui chassentdevant eux les larves éplorées d'innombrables victimes? Là où règne lapaix, la guerre, la peste ou le désespoir ont passé, terribles, à uneépoque quelconque de l'histoire des hommes. Le blé qui pousse a le pieddans la chair humaine dont la poussière a engraissé nos sillons. Toutest ruine, sang et débris sous nos pas, et le monde fantastique quienflamme ou stupéfie la cervelle du paysan est une histoire inédite destemps passés. Quand on veut remonter à la cause première des formes desa fiction, on la trouve dans quelque récit tronqué et défiguré, oùrarement on peut découvrir un fait avéré et consacré par l'histoireofficielle. Le paysan est donc, si l'on peut ainsi dire, le seulhistorien qui nous reste des temps anté-historiques. Honneur et profitintellectuel à qui se consacrerait à la recherche de ces traditionsmerveilleuses de chaque hameau qui, rassemblées ou groupées, comparéesentre elles et minutieusement disséquées, jetteraient peut-être degrandes lueurs sur la nuit profonde des âges primitifs.

Mais ceci serait l'ouvrage et le voyage de toute une vie, rien que pourexplorer la France. Le paysan se souvient encore des récits de sonaïeule, mais le faire parler devient chaque jour plus difficile. Il saitque celui qui l'interroge ne croit plus, et il commence à sentir unesorte de fierté, à coup sûr estimable, qui se refuse à servir de jouet àla curiosité. D'ailleurs, on ne saurait trop avertir les faiseurs derecherches que les versions d'une même légende sont innombrables, et quechaque clocher, chaque famille, chaque chaumière a la sienne. C'est lepropre de la littérature orale que cette diversité. La poésie rustique,comme la musique rustique, compte autant d'arrangeurs que d'individus.

J'aime trop le merveilleux pour être autre chose qu'un ignorant deprofession. D'ailleurs, je ne dois pas oublier que j'écris le texte d'unalbum consacré à un choix de légendes recueillies sur place, et jem'efforcerai de rassembler, parmi mes souvenirs du jeune âge,quelques-uns des récits qui complètent la définition de certains typesfantastiques communs à toute la France. C'est dans un coin du Berry, oùj'ai passé ma vie, que je serai forcé de localiser mes légendes, puisquec'est là, et non ailleurs, que je les ai trouvées. Elles n'ont pas lagrande poésie de chants bretons, où le génie et la foi de la vieilleGaule ont laissé des empreintes plus nettes que partout ailleurs. Cheznous, ces réminiscences sont plus vagues plus voilées. Le merveilleux denos provinces centrales a plus d'analogie avec celui de la Normandie,dont une femme érudite, patiente et consciencieuse a tracé un tableaucomplet[1].

Cependant l'esprit gaulois a légué à toutes nos traditions rustiques degrands traits et une couleur qui se rencontrent dans toute la France, unmélange de terreur et d'ironie, une bizarrerie d'inventionextraordinaire jointe à un symbolisme naïf qui atteste le besoin du vraimoral au sein de la fantaisie délirante.

Le Berry, couvert d'antiques débris des âges mystérieux, de tombelles,de dolmens, de menhirs, et demardelles[2], semble avoir conservé dansses légendes, des souvenirs antérieurs au culte des Druides: peut-êtrecelui des Dieux Kabyres que nos antiquaires placent avant l'apparitiondes Kimris sur notre sol. Les sacrifices de victimes humaines semblentplaner, comme une horrible réminiscence, dans certaines visions. Lescadavres ambulants, les fantômes mutilés, les hommes sans tête, les brasou les jambes sans corps, peuplent nos landes et nos vieux cheminsabandonnés.

Puis viennent les superstitions plus arrangées du moyen-âge, encorehideuses, mais tournant volontiers au burlesque; les animaux impossiblesdont les grimaçantes figures se tordent dans la sculpture romane ougothique des églises, ont continué d'errer vivantes et hurlantes autourdes cimetières ou le long des ruines. Les âmes des morts frappent à laporte des maisons. Le sabbat des vices personnifiés, des diablotinsétranges, passe, en sifflant, dans la nuée d'orage. Tout le passé seranime, tous les êtres que la mort a dissous, les animaux mêmes,retrouvent la voix, le mouvement et l'apparence; les meubles, façonnéspar l'homme et détruits violemment, se redressent et grincent sur leurspieds vermoulus. Les pierres mêmes se lèvent et parlent au passanteffrayé; les oiseaux de nuit lui chantent, d'une voix affreuse, l'heurede la mort qui toujours fauche et toujours passe, mais qui ne semblejamais définitive sur la face de la terre, grâce à cette croyance envertu de laquelle tout être et toute chose protestent contre le néantet, réfugiés dans la région du merveilleux, illuminent la nuit desinistres clartés ou peuplent la solitude de figures flottantes et deparoles mystérieuses._

George SAND.

Quiconque voudra faire un travail sérieux et savant sur le centre de laGaule, devra consulter les excellents travaux de M. Raynal, l'historiendu Berry, le texte desEsquisses pittoresques de MM. de La Tremblayset de La Villegille, les recherches de M. Laisnel de La Salle surquelques locutions curieuses, etc.

G.S.

Les Pierres-Sottes ou Pierres-Caillasses

«Quand nous vînmes à passer au long des pierres, dit Germain, il étaitenviron la minuit. Tout d'un coup, voilà qu'elles nous regardentavecdes yeux. Jamais, de jour, nous n'avions vu ça, et pourtant, nousavions passé là plus de cent fois. Nous en avons eu la fièvre de peur,plus de trois mois encore après moisson.»

Maurice SAND.

Au beau milieu des plaines calcaires de la vallée Noire, on voit secreuser brusquement une zone jonchée de magnifiques blocs de granit.Sont-ils de ceux que l'on doit appelererratiques, à cause de leurapparition fortuite dans des régions où ils n'ont pu être amenés que parles eaux diluviennes des âges primitifs? Se sont-ils, au contraire,formés dans les terrains où on les trouve accumulés? Cette dernièrehypothèse semble être démentie par leur forme; ils sont presque tousarrondis, du moins sur une de leurs faces, et ils présentent l'aspect degigantesques galets roulés par les flots.

Il n'y a pourtant là maintenant que de charmants petits ruisseaux,pressés et tordus en méandres infinis par la masse de ces blocs; cesriantes et fuyardes petites naïades murmurent, à demi-voix et parbizarres intervalles, des phrases mystérieuses dans une langue inconnue.Ailleurs, les eaux rugissent, chantent ou gazouillent. Là elles parlent,mais si discrètement que l'oreille attentive des sylvains peut seule lescomprendre. Dans les creux où leurs minces filets s'amassent, il y aquelquefois des silences; puis quand la petite cave est remplie, le tropplein s'élance et révèle, en quelques paroles précipitées, je ne saisquel secret que les fleurs et les herbes, agitées par l'air qu'ellesrefoulent, semblent saisir et saluer au passage.

Plus loin, ces eaux s'engouffrent et se perdent sous les blocs entassés:

Et là, profonde,
Murmure une onde
Qu'on en voit pas.

Sur ces roches humides, croissent les plantes également étrangères ausol de la contrée. La ményanthe, cette blanche petite hyacinthe friséeet dentelée, dont la feuille est celle du trèfle; la digitale pourprée,tachetée de noir et de blanc, comme les granits où elle se plaît; larosée du soleil (rosea solis); de charmants saxifrages, et une variétéde lierre à petites feuilles, qui trace sur les blocs gris, degracieuses arabesques où l'on croit lire des chiffres mystérieux.

Autour de ce sanctuaire croissent des arbres magnifiques, des hêtresélancés et des châtaigniers monstrueux. C'est dans un de ces boisondulés et semés de roches libres, comme celles de la forêt deFontainebleau, que je trouvai, une année, la végétation splendide etl'ombre épaisse au point que le soleil, en plein midi, tamisé par lefeuillage, ne faisait plus pénétrer sur les tiges des arbres et sur lesterrains moussus que des tons froids semblables à la lumière verdâtre dela lune.

Il n'est pas un coin de la France où les grosses pierres ne frappentvivement l'imagination du paysan, et quand de certaines légendes s'yattachent, vous pouvez être certain, quelle que soit l'hésitation desantiquaires, que le lieu a été consacré par le culte de l'ancienneGaule.

Il y a aussi des noms qui, en dépit de la corruption amenée par letemps, sont assez significatifs pour détruire les doutes. Dans unecertaine localité de la Brenne on trouve le nom très bien conservé desDruiders. Ailleurs, on trouve lesdurders, à Crevant lesDorderins. C'est un semis de ces énormes galets granitiques au sommetd'un monticule conique. Le plus élevé est un champignon dressé sur depetits supports. Ce pourrait être un jeu de la nature, mais ce ne seraitpas une raison pour que cette pierre n'eût pas été consacrée par lessacrifices. D'ailleurs elle s'appelle legrand Dorderin. C'est commesi l'on disait, le grand autel des Druides.

Un peu plus loin, sur le revers d'un ravin inculte et envahi par leseaux, s'élèvent lesparelles. Cela signifie-t-ilpareilles,jumelles, ou le mot vient-il depatres, comme celui demarses oumartes vient dematres selon nos antiquaires[3]? Cesparelles oupatrelles sont deux masses à peu près identiques de volume et dehauteur, qui se dressent, comme deux tours, au bord d'une terrassenaturelle d'un assez vaste développement. Leur base repose sur desassises plus petites. J'y ai trouvé une scorie de mâche-fer, qui m'adonné beaucoup à penser. Ce lieu est loin de toute habitation et n'ajamais pu en voir asseoir aucune sur ses aspérités aux fonds inondés.Qu'est-ce qu'une scorie de forge venait faire sous les herbes, dans cedésert où ne vont pas même les troupeaux? Il y avait donc eu là un foyerintense, peut-être une habitude de sacrifices?

J'ai parlé de ce lieu parce qu'il est à peu près inconnu. Nos histoiresdu Berry n'en font mention que pour le nommer et le rangerhypothétiquement et d'une manière vague parmi les monuments celtiques.Il est cependant d'un grand intérêt aux points de vue minéralogique,historique, pittoresque et botanique.

A une demi-lieue de là on voyait encore, il y a quelques années, letrou aux Fades (lagrotte aux Fées), que le propriétaire d'un champvoisin a jugé à propos d'ensevelir sous les terres, pour se préserverapparemment des malignes influences de cesmartes. C'était unehabitation visiblement taillée dans le roc et composée de deux chambres,séparées par une sorte de cloison à jour. Les paysans croyaient voir,dans un enfoncement arrondi, le four où ces anachorètes faisaient cuireleur pain. Toutefois, cet ermitage n'avait pas été consacré par leséjour de bonnes âmes chrétiennes. Autrement la dévotion s'en futemparée comme partout ailleurs, pour y établir des pèlerinages et yposer, tout au moins, une image bénite. Loin de là; c'était unmauvaisendroit, où l'on se gardait bien de passer. Aucun sentier n'était tracédans les ronces; les paysans vous disaient que les fades étaient desfemmes sauvages de l'ancien temps, et qu'elles faisaient manger lesenfants par des louves blanches.

Pourquoi l'antique renommée des prêtresses gauloises est-elle, selon leslocalités, tantôt funeste, et tantôt bénigne? On sait qu'il y a eudifférents cultes successivement vainqueurs les uns des autres, avant etl'on dit même l'occupation romaine. Là où les antiques prêtresses sontrestées des génies tutélaires, on peut être bien sûr que la croyanceétait sublime; là où elles ne sont plus que des goules féroces, le cultea dû être sanguinaire. Lesmartes, que nous avons nommées à propos desfades, sont des esprits mâles et femelles. Dans les rochers où seprécipite le torrent de laPorte-feuille, près deSaint-Benoît-de-Sault, elles apparaissent sous les deux formes et, àquelque sexe qu'elles appartiennent, elles sont également redoutables.Mâles, elles sont encore occupées à relever les dolmens et menhirs éparssur les collines environnantes; femelles, elles courent, les cheveuxflottants jusqu'aux talons, les seins pendants jusqu'à terre, après leslaboureurs qui refusent d'aider à leurs travaux mystérieux. Elles lesfrappent et les torturent jusqu'à leur faire abandonner en plein jour lacharrue et l'attelage. Une cascade très pittoresque au milieu de rochersd'une forme bizarre, s'appelle l'Aire aux Martes[4]. Quand les eauxsont basses, on voit les ustensiles de pierre qui servent à leurcuisine. Leurshommes mettent la table, c'est-à-dire la pierre dudolmen sur ses assises. Quant à elles, elles essaient follement, vainset fantasques esprits qu'elles sont, d'allumer du feu dans la cascade deMontgarnaud et d'y faire bouillir leur marmite de granit. Furieusesd'échouer sans cesse, elles font retentir les échos de cris etd'imprécations. N'est-ce pas là l'histoire figurée d'un culte renversé,qui a fait de vains efforts pour se relever?

Dans la plaine de notreFromental, rien n'est resté de ces traditionssymboliques. Seulement quelques pierres isolées dans la régionintermédiaire du calcaire au granit, sont regardées de travers par lespassants attardés. Ces pierres prennent figure et font des grimaces plusou moins menaçantes, selon que les regards curieux des profanes leurdéplaisent plus ou moins. On dit qu'elles parleraient bien si ellespouvaient, et que même lessorciers fins, c'est-à-dire très savants,peuvent les forcer à direbonsoir. Mais elles sont si têtues et sibornées qu'on n'a jamais pu leur en apprendre davantage. Quelquefois onpasse auprès d'elles sans les voir; c'est qu'en réalité, dit-on, ellesn'y sont plus. Elles ont été faire un tour de promenade, et il faut vites'éloigner le plus possible du chemin qu'elles doivent prendre pourrevenir à leur place accoutumée. On ne dit pas si, comme les peulvansbretons, elles vont boire à quelque eau du voisinage. Tant il y aquelles sont aussi bêtes que méchantes, car elles se trompentquelquefois de gîte, et des gens qui les ont vues un soir couchées surune lande aride les revoient le lendemain, à la même heure, debout dansun champ ensemencé. Elles y font du dommage et crèvent brutalement lesclôtures. Mais le plus prudent est de ne pas avertir le propriétairecar, outre qu'il lui serait bien impossible d'enlever ces massesinertes, «quand même il y mettrait douze paires de bœufs», il sepourrait bien qu'elles prissent fantaisie de l'écraser. D'ailleurs ellessont condamnées à retourner dans leur endroit; si elles n'ont pas assezde mémoire pour le retrouver tout de suite, c'est tant pis pour elles:elles erreront un an, s'il le faut, en courantsur leur tranche, cequi les fatigue beaucoup, et il leur est défendu de se reposer autrementque debout, tant qu'elles n'ont pas regagné le lieu où elles ontpermission de se coucher.

Nous avons vu quelquefois de ces pierres appeléespierres-caillassesoupierres-sottes. Ce sont de vraies pierres de calcaire caverneux,dont les trous nombreux et irréguliers donnent facilement l'idée defigures monstrueuses. Quand les inspecteurs des routes les rencontrent àleur portée, ils les font briser etelles n'ont que ce qu'ellesméritent.

Nous le voulons bien, quoique ces pauvres pierres ne nous aient jamaisfait de mal. Cependant on assure que si on ne se dépêche de les briseret de les employer, elles quittent le bord du chemin où on les a rangéeset se mettent, de nuit, tout en travers du passage, pour faire abattreles chevaux et verser les voitures. Moralité: le voiturier ne doit passe coucher et s'endormir sur sa charrette.

Quant à vous, esprits forts, qui demandez pourquoi cette grosse pierrese trouve dans telle haie ou sur le bord de tel fossé, si l'on vousrépond d'un air mystérieux:Oh! elle n'est pas pour rester là! Sachezce que parler veut dire, et ne vous amusez pas à la regarder: vouspourriez la mettre de mauvaise humeur contre vous et la retrouver, lelendemain, dans votre jardin, tout au beau milieu de vos cloches àmelons ou de vos plates-bandes de fleurs.

Les Demoiselles

J'en viyons[5] une, j'en viyons deux,
Que n'aviant ni bouches ni z'yeux;
J'en viyons trois, j'en viyons quatre,
Je les ârions bien voulu battre.
J'en viyons cinq, j'en viyons six
Qui n'aviant pas les reins bourdis[6]
Darrier s'en venait la septième,
J'avons jamais vu la huitième.

Ancien couplet recueilli par Maurice SAND.

LesDemoiselles du Berry nous paraissent cousines desMilloraines deNormandie, que l'auteur de laNormandie merveilleuse décrit comme desêtres d'une taille gigantesque. Elles se tiennent immobiles et leurforme, trop peu distincte, ne laisse reconnaître ni leurs membres nileur visage. Lorsqu'on s'approche, elles prennent la fuite par unesuccession de bonds irréguliers très rapides.

Lesdemoiselles oufilles blanches sont de tous les pays. Je ne lescrois pas d'origine gauloise, mais plutôt française du moyen-âge. Quoiqu'il en soit, je rapporterai une des légendes les plus complètes quej'aie pu recueillir sur leur compte.

Un gentilhomme du Berry, nommé Jean de La Selle, vivait, au siècledernier, dans un castel situé au fond des bois de Villemort. Le pays,triste et sauvage, s'égaye un peu à la lisière des forêts, là où leterrain sec, plat et planté de chênes, s'abaisse vers des prairies quenoient une suite de petits étangs assez mal entretenus aujourd'hui.

Déjà, au temps dont nous parlons, les eaux séjournaient dans les prés deM. de La Selle, le bon gentilhomme n'ayant pas grand bien pour faireassainir ses terres. Il en avait une assez grande étendue, mais dechétive qualité et de petit rapport.

Néanmoins, il vivait content, grâce à des goûts modestes et à uncaractère sage et enjoué. Ses voisins le recherchaient pour sa bonnehumeur, son grand sens et sa patience à la chasse. Les paysans de sondomaine et des environs le tenaient pour un homme d'une bontéextraordinaire et d'une rare délicatesse. On disait de lui que plutôtque de faire tort d'un fétu à un voisin, quel qu'il fût, il selaisserait prendre sa chemise sur le corps et son cheval entre lesjambes.

Or, il advint qu'un soir, M. de La Selle ayant été à la foire de laBerthenoux pour vendre une paire de bœufs, revenait par la lisière dubois, escorté par son métayer, le grand Luneau, qui était un homme finet entendu, et portant, sur la croupe maigre de sa jument grise, lasomme de six cents livres en grands écus plats à l'effigie de Louis XIV.C'était le prix des bestiaux vendus.

En bon seigneur de campagne qu'il était, M. de La Selle avait dîné sousla ramée, et comme il n'aimait point à boire seul, il avait fait asseoirdevant lui le grand Luneau et lui avait versé le vin de crû sanss'épargner lui-même, afin de le mettre à l'aise en lui donnantl'exemple. Si bien que le vin, la chaleur et la fatigue de la journéeet, par-dessus tout cela, le trot cadencé de la grise avaient endormi M.de La Selle, et qu'il arriva chez lui sans trop savoir le temps qu'ilavait marché ni le chemin qu'il avait suivi. C'était l'affaire de Luneaude le conduire, et Luneau l'avait bien conduit, car ils arrivaient sainset saufs; leurs chevaux n'avaient pas un poil mouillé. Ivre, M. de LaSelle ne l'était point. De sa vie, on ne l'avait vu hors de sens. Aussidès qu'il se fut débotté, il dit à son valet de porter sa valise dans sachambre, puis il s'entretint fort raisonnablement avec le grand Luneau,lui donna le bonsoir et s'alla coucher sans chercher son lit. Mais lelendemain, lorsqu'il ouvrit sa valise pour y prendre son argent, il n'ytrouva que de gros cailloux et, après de vaines recherches, force luifut de constater qu'il avait été volé.

Le grand Luneau, appelé et consulté, jurasur son chrême et sonbaptême, qu'il avait vu l'argent bien compté dans la valise, laquelleil avait chargée et attachée lui-même sur la croupe de la jument. Iljura aussi sursa foi et sa loi, qu'il n'avait pas quitté son maîtredel'épaisseur d'un cheval, tant qu'ils avaient suivi la grand'route.Mais il confessa qu'une fois entré dans le bois, il s'était senti un peulourd, et qu'il avait pu dormir sur sa bête environ l'espace d'un quartd'heure. Il s'était vu tout d'un coup auprès de laGâgne-aux-Demoiselles et, depuis ce moment, il n'avait plus dormi etn'avait pas rencontré figure de chrétien.

—Allons, dit M. de La Selle, quelque voleur se sera moqué de nous.C'est ma faute encore plus que la tienne, mon pauvre Luneau, et le plussage est de ne point se vanter. Le dommage n'est que pour moi, puisquetu ne partages point dans la vente du bétail. J'en saurai prendre monparti, encore que la chose me gêne un peu. Cela m'apprendra à ne plusm'endormir à cheval.

Luneau voulut en vain porter ses soupçons sur quelques braconniersbesogneux de l'endroit.—Non pas, non pas, répondit le brave hobereau;je ne veux accuser personne. Tous les gens du voisinage sont d'honnêtesgens. N'en parlons plus. J'ai ce que je mérite.

—Mais peut-être bien que vous m'en voulez un peu, notre maître…

—Pour avoir dormi? Non, mon ami; si je t'eusse confié la valise, jesuis sur que tu te serais tenu éveillé. Je ne m'en prends qu'à moi, etma foi, je ne compte pas m'en punir par trop de chagrin. C'est assezd'avoir perdu l'argent, sauvons la bonne humeur et l'appétit.

—Si vous m'en croyez, pourtant, notre maître, vous feriez fouiller laGâgne-aux-Demoiselles.

—LaGâgne-aux-Demoiselles est une fosse herbue qui a bien undemi-quart de lieue de long; ce ne serait pas une petite affaire deremuer toute cette vase, et d'ailleurs qu'y trouverait-on? Mon voleurn'aura pas été si sot que d'y semer mes écus!

—Vous direz ce que vous voudrez, notre maître, mais le voleur n'estpeut-être pas fait comme vous penser!

—Ah! Ah! mon grand Luneau, toi aussi tu crois que lesdemoisellessont des esprits malins qui se plaisent à jouer de mauvais tours!

—Je n'en sais rien, notre maître, mais je sais bien qu'étant là unmatin,devant jour, avec mon père, nous les vîmes comme je vous vois;mêmement que, rentrant à la maison bien épeurés, nous n'avions plus nichapeaux, ni bonnets sur nos têtes, ni chaussures à nos pieds, nicouteaux dans nos poches. Elles sont malignes, allez! Elles ont l'air dese sauver, mais, sans vous toucher, elles vous font perdre tout cequ'elles peuvent et en profitent, car on ne le retrouve jamais. Sij'étais de vous, je ferais assécher tout ce marécage. Votre pré envaudra mieux et lesdemoiselles auraient bientôt délogé; car il est àla connaissance de tout homme de bon sens qu'elles n'aiment point le secet qu'elles s'envolent de mare en mare et d'étang en étang, à mesurequ'on leur ôte le brouillard dont elles se nourrissent.

—Mon ami Luneau, répondit M. de La Selle, dessécher le marécage serait,à coup sûr, une bonne affaire pour le pré. Mais, outre qu'il y faudraitles six cents livres que j'ai perdues, j'y regarderais encore à deuxfois avant de déloger lesdemoiselles. Ce n'est pas que j'y croieprécisément, ne les ayant jamais vues, non plus qu'aucun autre farfadetde même étoffe; mais mon père y croyait un peu, et ma grand-mère ycroyait tout à fait. Quand on en parlait, mon père disait: «Laissez lesdemoiselles tranquilles; elles n'ont jamais fait de mal à moi ni àpersonne.» et ma grand-mère disait: «Ne tourmentez et ne conjurez jamaislesdemoiselles; leur présence est un bien dans une terre, et leurprotection est un porte-bonheur pour une famille.»

—Pas moins, reprit le grand Luneau en hochant la tête, elles ne vousont point garé des voleurs!

Environ dix ans après cette aventure, M. de La Selle revenait de la mêmefoire de la Berthenoux, rapportant sur la même jument grise, devenuebien vieille, mais trottant encore sans broncher, une somme équivalenteà celle qui lui avait été si singulièrement dérobée. Cette fois, ilétait seul, le grand Luneau étant mort depuis quelques mois; et notregentilhomme ne dormait pas à cheval, ayant abjuré et définitivementperdu cette fâcheuse habitude.

Lorsqu'il fut à la lisière du bois, le long de laGâgne-aux-Demoiselles, qui est située au bas d'un talus assez élevé ettout couvert de buissons, de vieux arbres et de grandes herbes sauvages,M. de La Selle fut pris de tristesse en se rappelant son pauvre métayer,qui lui faisait bien faute, quoique son fils Jacques, grand et mincecomme lui, comme lui fin et avisé, parût faire son possible pour leremplacer. Mais on ne remplace pas les vieux amis, et M. de La Selle sefaisait vieux lui-même.

Il eut des idées noires; mais sa bonne conscience les eut bientôtdissipées, et il se mit à siffler un air de chasse, en se disant que, desa vie et de sa mort, il en serait ce que Dieu voudrait.

Comme il était à peu près au milieu de la longueur du marécage, il futsurpris de voir une forme blanche, que jusque-là il avait prise pour unflocon de ces vapeurs dont se couvrent les eaux dormantes, changer deplace, puis bondir et s'envoler en se déchirant à travers les branches.Une seconde forme plus solide sortit des joncs et suivit la première ens'allongeant comme une toile flottante; puis une troisième, puis uneautre et encore une autre; et, à mesure qu'elles passaient devantMonsieur de La Selle, elles devenaient si visiblement des personnagesénormes, vêtus de longues jupes, pâles, avec des cheveux blanchâtrestraînant plutôt que voltigeant derrière elles, qu'il ne put s'ôter del'esprit que c'étaient là les fantômes dont on lui avait parlé dans sonenfance. Alors, oubliant que sa grand-mère lui avait recommandé, s'illes rencontrait jamais, de faire comme s'il ne les voyait pas, il se mità les saluer, en homme bien appris qu'il était. Il les salua toutes, etquand ce vint à la septième, qui était la plus grande et la plusapparente, il ne put s'empêcher de lui dire:Demoiselle, je suis votreserviteur.

Il n'eut pas plutôt lâché cette parole, que la grande demoiselle setrouva en croupe derrière lui, l'enlaçant de deux bras froids commel'aube, et que la vieille grise, épouvantée, prit le galop, emportant M.de La Selle à travers le marécage.

Bien que fort surpris, le bon gentilhomme ne perdit point la tête. «Parl'âme de mon père, pensa-t-il, je n'ai jamais fait de mal, et nul espritne peut m'en faire,» Il soutint sa monture et la força de se dépêtrer dela boue où elle se débattait, tandis que lagrand'demoiselleparaissait essayer de la retenir et de l'envaser.

M. de La Selle avait des pistolets dans ses fontes, et l'idée lui vintde s'en servir; mais, jugeant qu'il avait affaire à un être surnaturelet se rappelant d'ailleurs que ses parents lui avaient recommandé de nepoint offenser lesdemoiselles de l'eau, il se contenta de dire avecdouceur à celle-ci: «Vraiment, belle dame, vous devriez me laisserpasser mon chemin, car je n'ai point traversé le vôtre pour vouscontrarier, et si je vous ai saluée, c'est par politesse et non pardérision. Si vous souhaitez des prières ou des messes, faites connaîtrevotre désir, et, foi de gentilhomme, vous en aurez!»

Alors, M. de La Selle entendit au-dessus de sa tête une voix étrange quidisait: «Fais dire trois messes pour l'âme du grand Luneau et va enpaix!»

Aussitôt la figure du fantôme s'évanouit, la grise redevint docile et M.de La Selle rentra chez lui sans obstacle.

Il pensa alors qu'il avait eu une vision; il n'en commanda pas moins lestrois messes. Mais quelle fut sa surprise lorsqu'en ouvrant sa valise,il y trouva, outre l'argent qu'il avait reçu à la foire, les six centslivres tournois en écus plats, à l'effigie du feu roi.

On voulut bien dire que le grand Luneau, repentant à l'heure de la mort,avait chargé son fils Jacques de cette restitution, et que celui-ci,pour ne pas entacher la mémoire de son père, en avait chargé lesdemoiselles… M. de La Selle ne permit jamais un mot contre la probitédu défunt, et quand on parlait de ces choses sans respect en saprésence, il avait coutume de dire: «L'homme ne peut pas tout expliquer.Peut-être vaut-il mieux pour ici être sans reproche que sans croyance.»

Les Laveuses de nuit ou Lavandières

A la pleine lune, on voit, dans le chemin de laFont de Fonts(Fontaine des Fontaines), d'étranges laveuses; ce sont les spectres desmauvaises mères qui ont été condamnées à laver, jusqu'au jugementdernier, les langes et les cadavres de leurs victimes.

Maurice SAND.

Voici, selon nous, la plus sinistre des visions de la peur. C'est aussila plus répandue; je crois qu'on la retrouve en tous pays.

Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyèrescomme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous lesvieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend, durant lanuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandièresfantastiques. Dans certaines provinces, on croit qu'elles évoquent lapluie et attirent l'orage en faisant voler jusqu'aux nues, avec leurbattoir agile, l'eau des sources et des marécages. Il y a ici confusion.L'évocation des tempêtes est le monopole des sorciers connus sous le nomdemeneux de nuées. Les véritables lavandières sont les âmes des mèresinfanticides. Elles battent et tordent incessamment quelque objet quiressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de près, n'est qu'un cadavred'enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs foiscriminelle. Il faut se bien garder de les observer ou de les dérangercar, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, ellesvous saisiraient, vous battraient dans l'eau et vous tordraient ni plusni moins qu'une paire de bas.

Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner dansle silence autour des mares désertes. C'est à s'y tromper. C'est uneespèce de grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c'est bientriste d'avoir fait cette puérile découverte et de ne plus pouvoirespérer l'apparition des terribles sorcières, tordant leurs haillonsimmondes, dans la brume des nuits de novembre, à la pâle clarté d'uncroissant blafard reflété par les eaux.

Cependant, j'ai eu l'émotion d'un récit sincère et assez effrayant surce sujet.

Un mien ami, homme de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, etpourtant d'un esprit éclairé et cultivé, mais je dois encore l'avouer,enclin à laisser sa raisondans les pots; très brave en face deschoses réelles, mais facile à impressionner et nourri, dès l'enfance,des légendes du pays, fit deux rencontres de lavandières qu'il neracontait qu'avec répugnance et avec une expression de visage quifaisait passer un frisson dans son auditoire.

Un soir, vers onze heures, dans unetraîne charmante qui court enserpentant et en bondissant, pour ainsi dire, sur le flanc ondulé duravin d'Urmont, il vit, au bord d'une source, une vieille qui lavait ettordait en silence.

Quoique cette jolie fontaine soit mal famée, il ne vit rien là desurnaturel et dit à cette vieille: «Vous lavez bien tard, la mère!»

Elle en répondit point. Il la crut sourde et approcha. La lune étaitbrillante et la source éclairait comme un miroir. Il vit alorsdistinctement les traits de la vieille: elle lui était complètementinconnue, et il en fut étonné, parce qu'avec sa vie de cultivateur, dechasseur et de flâneur dans la campagne, il n'y avait pas pour lui devisage inconnu, à plusieurs lieues à la ronde. Voici comme il me racontalui-même ses impressions en face de cette laveuse singulièrementattardée:

«Je ne pensai à la légende que lorsque j'eus perdu cette femme de vue.Je n'y pensais pas avant de la rencontrer. Je n'y croyais pas et jen'éprouvais aucune méfiance en l'abordant. Mais, dès que je fus auprèsd'elle, son silence, son indifférence à l'approche d'un passant, luidonnèrent l'aspect d'un être absolument étranger à notre espèce. Si lavieillesse la privait de l'ouïe et de la vue, comment était-elle venuede loin toute seule laver, à cette heure insolite, à cette source glacéeoù elle travaillait avec tant de force et d'activité? Cela était aumoins digne de remarque; mais ce qui m'étonna encore plus, c'est ce quej'éprouvai en moi-même. Je n'eus aucun sentiment de peur, mais unerépugnance, un dégoût invincibles. Je passai mon chemin sans qu'elledétournât la tête. Ce ne fut qu'en arrivant chez moi que je pensai auxsorcières des lavoirs, et alors j'eus très peur, j'en conviensfranchement, et rien au monde ne m'eut décidé à revenir sur mes pas.»

Une autre fois, le même ami passait auprès des étangs de Thevet, versdeux heures du matin. Il venait de Linières, où il assure qu'il n'avaitni mangé ni bu, circonstance que je ne saurais garantir. Il était seul,en cabriolet, suivi de son chien. Son cheval étant fatigué, il mit piedà terre à une montée, et se trouva au bord de la route, près d'un fosséoù trois femmes lavaient, battaient et tordaient avec une grandevigueur, sans rien dire. Son chien se serra tout à coup contre lui sansaboyer. Il passa lui-même sans trop regarder. Mais à peine eut-il faitquelques pas, qu'il entendit marcher derrière lui, et que la lunedessina à ses pieds une ombre très allongée. Il se retourna et vit unedes femmes qui le suivait. Les deux autres venaient à quelque distancecomme pour appuyer la première.

«Cette fois, dit-il, je pensai bien aux lavandières maudites, mais j'eusune autre émotion que la première fois. Ces femmes étaient d'une taillesi élevée, et celle qui me suivait de près avait tellement lesproportions, la figure et la démarche d'un homme, que je ne doutai pasun instant d'avoir affaire à de mauvais plaisants de village, malintentionnés peut-être. J'avais une bonne trique à la main, je meretournai en disant: Que voulez-vous?

Je ne reçus point de réponse, et ne me voyant pas attaqué, n'ayant pasde prétexte pour attaquer moi-même, je fus forcé de regagner moncabriolet, qui était assez loin devant moi, avec cet être désagréablesur les talons. Il ne me disait rien et semblait se faire un malinplaisir de me tenir sous le coup d'une provocation. Je tenais toujoursmon bâton, prêt à lui casser la mâchoire au moindre attouchement, etj'arrivai ainsi à mon cabriolet avec mon poltron de chien qui ne disaitmot et qui y sauta avec moi. Je me retournai alors et, quoique j'eusseentendu, jusque-là, des pas sur les miens et vu une ombre marcher à côtéde la mienne, je ne vis personne. Seulement je distinguai, à trente pasenviron en arrière, à la place où je les avais vues laver, les troisgrandes diablesses sautant, dansant et se tordant comme des folles surle bord du fossé. Leur silence, contrastant avec ces bonds échevelés,les rendait encore plus singulières et pénibles à voir.

Si l'on essayait, après ce récit, d'adresser au narrateur quelquequestion de détail, ou de lui faire entendre qu'il avait été le jouetd'une hallucination, il secouait la tête et disait: «Parlons d'autrechose. J'aime autant croire que je ne suis pas fou.» Et ces mots, jetésd'un air triste, imposaient silence à tout le monde.

Il n'est point de mare ou de fontaine qui ne soit hantée, soit par leslavandières de nuit, soit par d'autres esprits plus ou moins fâcheux.Quelques-uns de ces hôtes sont seulement bizarres. Dans mon enfance, jecraignais beaucoup de passer devant un certain fossé où l'on voyait lespieds blancs. Les histoires fantastiques qui ne s'expliquent pas surla nature des êtres qu'elles mettent en scène, et qui restent vagues etincomplètes, sont celles qui frappent le plus l'imagination. Ces piedsblancs marchaient, dit-on, le long du fossé à certaines heures de lanuit; c'était des pieds de femme, maigres et nus, avec un bout de robeblanche ou de chemise longue qui flottait et s'agitait sans cesse. Celamarchait vite et en zigzag, et si l'on disait: «Je te vois! veux-tu tesauver!»cela courait si vitequ'on ne savait plus où ça avaitpassé. Quand on ne disait rien,cela marchait devant vous; maisquelque effort que l'on fit pour voir plus haut que la cheville, c'étaitchose impossible. Ça n'avait ni jambes, ni corps, ni tête, rien que despieds. Je ne saurais dire ce que ces pieds avaient de terrifiants; mais,pour rien au monde, je n'eusse voulu les voir.

Il y a, en d'autres lieux, des fileuses de nuit dont on entend le rouetdans la chambre que l'on habite et dont on aperçoit quelquefois lesmains. Chez nous, j'ai ouï parler d'unebrayeuse de nuit, qui broyaitle chanvre devant la porte de certaines maisons et faisait entendre lebruit régulier de labraye d'une manière quin'était pas naturelle.Il fallait la laisser tranquille, et si elle s'obstinait à revenirplusieurs nuits de suite, mettre une vieille lame de faux en travers del'instrument dont elle avait coutume de s'emparer pour faire sonvacarme, elle s'amusait un moment à vouloir broyer cette lame, puis elles'en dégoûtait, la jetait en travers de la porte et ne revenait plus.

Il y avait encore lapeillerouse de nuit qui se tenait sous laguenillière de l'église.Peille est un vieux mot français quisignifie haillon; c'est pourquoi le porche de l'église, où se tiennent,pendant les offices les mendiants porteurs de peilles, s'appelle d'unnom analogue.

Cettepeillerouse accostait les passants et leur demandait l'aumône.Il fallait se bien garder de lui rien donner; autrement elle devenaitgrande et forte, de cacochyme qu'elle vous avez semblé, et elle vousrouait de coups. Un nommé Simon Richard, qui demeurant dans l'anciennecure et qui soupçonnait quelque espièglerie des filles du bourg à sonintention particulière, voulut batifoler avec elle. Il fut laissé pourmort. Je le vis sur le flanc, le lendemain, très rossé et trèségratigné, en effet. Il jurait n'avoir eu affaire qu'à une petitevieille «qui paraissait cent ans, mais qui avait la poigne comme troishommes et demi.»

On voulut en vain lui faire supposer qu'il avait eu affaire à unplus fort que lui, qui, sous un déguisement, s'est vengé de quelquemauvais tour de sa façon. Il était fort et hardi, même querelleur etvindicatif. Pourtant, il quitta la paroisse aussitôt qu'il fut debout etn'y revint jamais, disant qu'il ne craignait ni homme ni femme. Maisbien les gens qui ne sont pas de ce monde et qui n'ont pas le corps faiten chrétiens.

La Grand'bête

Les enfants du père Germain revenaient chargés de fagots qu'ils avaientdérobés. Au sortir des tailles de Champeaux, ils entendirent tous lesoiseaux du bois crier à la fois, et virent une bêtequi était faitecomme un veau, tout comme un lièvre aussi. C'était la grand'bête.

Maurice SAND.

Sous les noms debigorne, de chien blanc, de bête navette, de vache audiable, de piterne, de taranne, etc., etc., un animal fabuleux sepromène, de temps immémorial, dans les campagnes et pénètre même dansles habitations, on ne sait plus dans quel dessein, tant on lui faitbonne guerre pour le repousser, dès que sa présence est signalée dansune localité.

Dans nos provinces du centre, ce que l'on raconte de laGrand'bêtes'accorde particulièrement avec ce qui est dit de laTaranne dans lesprovinces du nord. C'est le plus souvent une chienne de la taille d'unegénisse. Les enfants et les femmes, qui ont l'imagination vive, lui ontbien vu des cornes, des yeux de feu, et l'assemblage hétérogène desformes de divers animaux; mais les gens calmes et clairvoyants ontdécidé, en dernier ressort, que c'est unelevrette, et tant de cespersonnes sages l'on vue, qu'il faut bien adopter cette version la plusaccréditée.

De toutes les antiques superstitions, celle-ci est la moins effacée. LaGrand'bête a fait sa dernière apparition dans nos environs, il n'y apas plus de cinq ou six ans, et il n'est pas prouvé qu'elle soit décidéeà ne plus reparaître.

Dans mon enfance, j'allais souvent me promener, les soirs d'été, à unemétairie appartenant à ma grand'mère et située dans les terres, à unedemi-lieue de chez nous. Cette métairie a été longtemps le théâtre desgrandssorcelages et des apparitions les mieux conditionnés. Jen'oublierai jamais une soirée où l'orage nous avait retenus, mon frèreet moi, jusqu'à lagrand'nuit, c'est-à-dire entre neuf et dix heuresdu soir. J'avais une dizaine d'années, mon frère avait quinze ans etfaisait le brave. Quant à moi, je le confesse, j'avais grand'peur: labête avait paru la veille, disait-on, autour de la ferme, etmanquablement, c'est-à-dire infailliblement, elle allait reparaîtredès que je jour aurait pris fin.

Je crois toujours voir les apprêts du combat. Les hommes s'armant defourches de fer et de bâtons; le métayer prenant, au manteau de lacheminée, et chargeant de balles bénites son long fusil à un seul canon;sa vieille mère faisant ranger les enfants au fond de la chambre, entreles deux lits de serge jaune, et se mettant elle-même en prières avecses brus et ses servantes, devant une image coloriée qui représentait jene sais plus quel général de l'Empire que l'on prenait là pour unbonsaint, les colporteurs de cette époque vendant n'importe quoi, commefigures de dévotion aux paysans.

Et puis, on ferma les portes et fenêtres, eton accota les battants;et, comme les petits enfants criaient, on les gourmanda et on les menaçade les mettre dehors s'ils ne se taisaient. Il fallait écouterl'approche de la bête. Les chiens qu'on laissait dehors ne manqueraientpas de hurler et les bœufs debremer (de mugir) dans l'étable. Enfait, les chiens aboyaient et se démenaient déjà à la vue de tous cespréparatifs. Les animaux comprennent très bien les sentiments intérieursqui agitent une famille; les voix effrayées, les physionomies troublées,semblent leur révéler la cause du mouvement insolite qui se fait dans lamaison.

Les gens de la ferme prétendaient que les animaux se rappelaient trèsbien, d'une année à l'autre, l'apparition des années précédentes etqu'ils avaient la révélation instinctive du mal que la bête pouvait leurfaire. Aussi ne se jetaient-ils jamais sur elle et refusaient-ils de lapoursuivre. De son côté, il était sans exemple qu'elle les eût mordus.Mais son souffle ou son influence les faisait périr, et jamais ellen'avait visité la métairie sans qu'il ne se déclarât, à la suite, unemortalité de bestiaux[7].

Il semblait donc que les personnes fussent à l'abri de tout danger, carla bête n'attaque pas et fuit à la moindre hostilité. Mais tout ce quise présente avec un caractère surnaturel, ébranle l'imagination despaysans et des enfants, plus que le danger palpable. Certes, l'attaqued'une bande de loups affamés nous eût moins épouvantés que l'éventualitéde la visite de ce fantôme.

Pourtant j'eus comme un regret et une déception quand, au lieu de labête, arriva notre précepteur qui, s'inquiétant pour mon frère et moi,de la nuit et de l'orage, venait nous chercher, sans autre arme qu'unparapluie. Il se moqua beaucoup de la bête blanche et des préparatifs ducombat. Il nous emmena en riant, et nous n'eûmes plus, hélas, ni peur niespoir de voir cette fameuse bête, à laquelle nous avions cru pendantune heure.

J'ai à mon service un bon et honnête paysan, de trente-cinq ans environ,c'est-à-dire né sur le déclin de ces croyances dans le pays. Sincère,robuste et courageux, il a été laboureur dans cette métairie del'Aunière, hantée, de temps immémorial, par tous les diables deslégendes rustiques. Je lui demande s'il y a jamais vu quelque chosed'extraordinaire. Il commence par dire que non. Mais, comme il ne saitpas mentir, je vois bien qu'il craint d'être rallié et qu'il lui encoûte de répondre. J'insiste sans affectation et, peu à peu, il meraconte ce qui va suivre.

«J'ai vu, dit-il, bien des choses dont je n'ai pas étéépeuré, maisque personne ne peut m'ôter de la mémoire. J'avais une vingtaine d'annéequand je fus en moisson pour la première fois à l'Aunière. Nous étionsdix-huit à moissonner et nous soupions dehors devant la porte, du logisà cause de lagrand'chaud. Après souper, nous nous en allions coucherà la paille, quand un de nous s'en retourneau devant de la maison,pour chercher son couteau qu'il avait perdu. Il s'en revint,toujourscriant, et étant tous sortis de la grange, tous les dix-huit, et moicomme les autres, avons vu lalevrette couchée tout au long sur latable où nous avions soupé. Sitôt qu'elle nous vit, elle fit un saut deplus de vingt pieds en l'air et se sauva à travers champs. Et nous de lagaloper et de la voir courir et sauter tout le long des buissons, oùelle disparut tout d'un coup, et où personne ne trouva ni elle ni marquede son corps. Les chiens ne voulurent jamais nous suivre ni seulementflairer du côté. Ils ne firent que trembler et hurler dans la cour. Aprésent, ajoute-t-il, si vous me demandez comment la bête était faite,je vous dirai que je ne l'ai vue qu'à la brune et qu'elle m'a paru touteblanche. Vous dire que c'était une levrette, je ne saurais; mais çaressemblait à une levrette plus qu'à toute autre bête que j'aie jamaisvue et, pour la grandeur, ça paraissait long, long, avec des jambesfines qui sautaient comme jamais je n'aurais cru qu'une bête pûtsauter.»

Ce qu'il y a de sûr, c'est que le fermier de l'Aunière, le grosMartinet, perdit tant debestiau, cette année-là, qu'il se mit dansl'idée de devenirmédecin, afin de les guérir lui-même et de conjurerles sorts qu'on lui faisait, par d'autres sorts plus savants, et il s'enfut consulter legrand médecin qu'on appelle le sabotier duBourg-Dieu, à plus de huit lieues d'ici. Quand il parla au sabotier pourla première fois, celui-ci lui dit: "Vous me venez quérir pour un bœufmalade qui s'appelleChauvet, et vous avez en votre étable quatrepaires de bœufs dont je vas vous dire tous les noms, tous les âges,toutes les couleurs."

Qui fut bien étonné? Ce fut Martinet qui s'entendit raconter et nommertout ce qu'il avait de bestiaux, encore que jamais le grand sabotier nefut venu au pays de chez nous.

—Allez-vous en à votre logis,qu'il lui dit, vous trouverez le bœufChauvet debout et sauvé. Mais, par malheur, son camaradeRacinieux,que vous avez laissé en bonne santé, sera crevé quand vous rentrerez àla maison.

—Et ne pouvez-vous l'empêcher? dit Martinet.

—Non, il est trop tard. La mauvaise bête aura passé chez vous?

—C'est la vérité: ne pouvez-vous m'enseigner le moyen de purger monbestiau de samauvaise air?

—Voire! fit le sorcier; mais il faudra que j'aille chez vous.

Ils vinrent à cheval, tous les deux et comme, dans ce temps-là, j'étaisvalet à la maison, j'entendis Martinet dire en arrivant:

—Vous avez doncencavé Racinieux à ce matin?

—Par malheur, oui, notre maître, que je lui dis: comment donc que voussavez ça?

—Et Chauvet mange de bon appétit, à cette heure?

C'était la vérité, tout comme le sabotier l'avaitconnaissu. Le bœufmalade était guéri; son camarade qui, au départ du maître, ne se sentaitde rien, était crevé et encavé.

Alors Martinet voyant le grand talent du sabotier, le retint à la maisonhuit jours durant, et apprit de lui lesorcelage. Ils ne se couchaientpoint de toute la nuit, et s'en allaient dans les champs et sur leschemins, et on entendait des voix qu'on ne connaissait point et un sabatabominable.

Et le sabotier nous mena tous de jour dans le patural des bœufs et nousfit voir la chose qui leur donnait des maladies. C'était un crapaud quecelui que l'on avait vu en levrette blanche avait arrangé avec descharmes et des empoisonnements sous une motte de gazon. Et quand lesbœufs passaient à côté, ils commençaient de souffler et de maigrir.

Alors Martinet devint grand savant, comme chacun sait. Il eut les plusbeaux élèves du pays et fut appelé commemédecin dans tout le canton.C'est comme ça et non autrement qu'il a pu vous payer sa ferme et seretirer du grand dommage où lesmauvaises choses l'avaient mis.

Seulement, Martinet eut des ennuis de sa femme qui ne voulait pointqu'il se donnât au sorcelage et qui faisait mauvaise mine au grandsabotier. Un jour, il quitta la maison en disant à Martinet: "Sil'affaire que nous avons ensemble tourne bien, je vous le ferai assavoirdemain matin, d'une manière que vous comprendrez, vous tout seul." Et,de vrai, le lendemain matin, comme nous étions à manger la soupe, il sefit ungrand air de vent qui donna une bouffée dont la maison trembla,et un coq noir entra dans la chambre et se jeta dans le feu où il futtout brûlé en un instant. La femme du logis voulait sauver le coq, maisMartinet la retint par le bras en lui disant: "N'y touché pas!" etelle en resta toute apeurée. De même qu'une autrefois, comme le sabotierétait là, et qu'elle venait de tirer ses vaches, son lait devint toutnoir et on fut obligé de le jeter.Dont elle pleura, maudissant lesabotier. Mais son mari lui dit: "Rends-toi à lui, et une autre fois,offre-lui de ton lait, de ton fromage et de tout ce qui est ici." Cequ'elle fit par la suite avec grande crainte et honnêteté.

Voilà comment lagrand'bête a été chassée de la métairie et aussil'homme sans tête, qui se promenait à côté sur le vieux chemin deVerneuil, et lachasse à baudet qui passait si souvent au-dessus de lamaison. Seulement, Martinet a eu bien des peines dans son corps poursoumettre toutes ces mauvaises choses. Il a été souvent battu par lesfollets et ils lui ont enlevé de la tête et fait perdre plus de dixchapeaux et bonnets. Et, enfin, il a eu le mal d'yeux bien souvent, àcause de la boule de feu qui se mettait devant lui en voyage sur le coude sa jument[8].»

Les trois hommes de pierre

On prétend que certains individus de cette race stupide, crient auxpassants attardés:Veux-tu des bras? veux-tu des bras? Si on al'imprudence de leur répondre:Oui, ils reprennent:Donne-nous tesjambes! Et comme ils sont charmeurs, on reste là tant qu'il leur plaît.Un malin que la frayeur avait jeté à la renverse, eut l'esprit de leurdire:Prenez mes jambes, si vous voulez; elles sont mortes.—Ils nesurent point répliquer, et l'homme put se sauver de leur charme.

Maurice SAND.

Dans la région de l'Indre qui touche à la Creuse, la nature changed'aspect, les vallons s'enfouissent, les plateaux s'élèvent, lavégétation prend de l'essor, les eaux se précipitent, les talus profondsse hérissent de rochers. Les traditions et les légendes sont pourtantplus rares dans cette région pittoresque que dans nos plaines; maiselles sont généralement tristes, et, sauf ce qui se rapporte àGargantua, je n'ai pas trouvé par là ce fonds d'humour berrichonne quimêle souvent l'ironie aux terreurs du monde fantastique.

J'ai nommé Gargantua, et, à ce propos, je demanderai aux érudits si,avant la publicationdu livre (c'est ainsi, je crois, qu'on disait dutemps de Rabelais pour désigner le grand, le seul, le délirant succèslittéraire de l'époque), il n'y avait pas, dans les provinces, unelégende populaire de Gargantua, dont le grand satirique se seraitemparé, comme Goethe de la légende de Faust, et comme Molière de lalégende de la Statue du Commandeur. Cette locution des enthousiastescontemporains de Rabelais,le livre, était-elle uniquement une formuled'admiration exclusive? Ne signifiait-elle pas aussi une distinction àétablir entre le poème éclatant et la légende obscure? Les ogres remis àla mode par Perrault sont bien les mêmes géants que la chevaleriepourfendait au moyen-âge. Gargantua ne serait-il pas de la même famille,et son nom n'aurait-il pas été ramassé par l'auteur dePantagruelparmi d'autres types populaires aujourd'hui oubliés pour n'avoir existéque dans les contes de la veillée, de nos ancêtres?

En Berry, où aucune tradition historique n'est restée dans la mémoiredes paysans, sinon à l'état de mythe, on est très surpris de retrouverune sorte d'histoire locale très précise de Gargantua tout à fait endehors du poème de Rabelais, bien que dans la même couleur. A Montlevic,une petite éminence isolée dans la plaine a été formée par le pied deGargantua. Fourvoyé dans nos terres argileuses, le géant secouasonsabot en ce lieu, et y laissa une colline.

Sur la Creuse, aux limites du Berry, on retrouve Gargantua[9] enjambantle vaste et magnifique ravin où la rivière s'engouffre, entre le clocherdu Pin et celui de Ceaulmont, planté sur les bords escarpés de l'abîme.Un bac rempli de moines vint à passer entre les jambes du géant. Il crutvoir filer une truite, se baissa, prit l'embarcation entre deux doigts,avala le tout, trouva les moines gros et gras, mais rejeta le bateau ense plaignant de l'arête du poisson.

Ceux qui vous racontent ces choses n'ont certes jamais lule livre, etpas plus qu'eux leurs aïeux n'ont su son existence. Le nom de Rabelaisleur est aussi inconnu que ceux de Pantagruel et de Panurge. Le frèreJean des Entomeures, ce type si populaire par sa nature et son langage,n'est pas arrivé davantage à la popularité de fait. Ces personnages sontl'œuvre du poète; mais je croirais que Gargantua est l'œuvre du peupleet que, comme tous les grands créateurs, Rabelais a pris son bien où ill'a trouvé.

Les superstitions des villages et des chaumières de la Creuse, dans lebas Berry, admettent donc les géants, qui, par opposition, tiennent peude place dans les chroniques du haut pays. Le haut pays est découvert etondulé; le bas pays, raviné et encaissé, est assis sur la roche qui sertde contre-forts aux escarpements du terrain. Ces roches micaschisteuses,de formes bizarres, prennent volontiers l'aspect de figuresgigantesques; mais il s'en faut de beaucoup qu'elles paraissent risiblesau pêcheur de mauvaise foi qui va, durant la nuit, lever les nasses deses confrères. Ce n'est pas le joyeux Gargantua qui lui apparaît: cesontles trois hommes de pierre, que dans le jour, il appelait lesrochers du moine, et qu'il voyait sans frayeur se mirer debout etimmobiles sur le bord de l'eau transparente.

Une nuit, Chauvat, du moulind'en bas, les vit remuer, descendre deleur immense piédestal et se promener sur le rivage en gesticulant; maisquels horribles gestes, et quelle marche terrifiante! Ils neparaissaient avoir ni pieds ni jambes, et pourtant ils allaient plusvite que les eaux de la Creuse, et les cailloux broyés criaient sousleur poids. Il s'enfuit jusqu'à sa maison et s'y barricada de son mieux;mais les hommes de pierre l'avaient suivi, et comme c'était un mécréantqui ne songea point à se recommander à Dieu, le plus petit de cescolosses appuya son coude sur le pignon de la maison qui s'écrasa commeune motte de beurre.

Chauvat épouvanté, se sauva dans sa grange; mais le second des hommes depierre y posa la main et la fendit en quatre comme si c'eût été unevieillehuguenote en terre de Bazaiges.

Chauvat eut le temps de se sauver et il se réfugia sur la grande éclusequi coupe la rivière en biais d'un bord à l'autre. Là il se crut sauvé;mais les trois hommes de pierre prirent ce chemin pour s'en retourner àleur place ordinaire sur l'autre rive, et il se vit forcé de rester là,ou de se jeter dans la rivière qui est très profonde de chaque côté del'écluse; car de courir plus vite que les géants n'avançaient, il n'yfallait point songer.

Il se rangea et se fit tout petit, n'osant souffler, couché de son longau ras de la chaussée, espérant que ces méchants blocs nel'apercevraient point. Le premier passa; puis vint le second qui passaaussi. Chauvat commençait à respirer. Enfin vint le troisième, quiétait, de beaucoup, le plus grand et le plus lourd, et qui fit mine depasser de même que les autres. Mais la chaussée était glissante etl'homme de pierre glissa.

Par bonheur, Chauvatse ressouvint enfin de son baptême, et fit lesigne de la croix en demandant l'assistance du ciel. L'homme de pierretrébucha et ne tomba point, sans quoi le pauvre pêcheur eût été écrasécomme une coquille d'œuf.

Lesretournants sont, dans cette même partie du Berry, des hôtes trèsnombreux. Il est peu de maison qui ne soit hantée de quelque âme enpeine. La Creuse, noire et rapide en certains endroits profonds, où ellecoule sans obstacle, entraîne et charrie les esprits plaintifs des gensqui ont trouvé la mort dans ses flots. La nuit, on entend des crisdéchirants; ce sont les noyés qui se lamentent et demandent des prières.Ailleurs, elle écume et gronde dans les rochers; on entend là lesimprécations de ceux qui sont damnés sans rémission.

Le mot deretournant est bien l'équivalent de celui derevenant.Cependant quelques vieilles femmes vous diront que les âmes des suicidés(les noyés volontaires) sont condamnées à l'éternel travail deretourner les grosses pierres qui encombrent le lit des torrents. Aumilieu d'une cascade de la Creuse, une de ces roches noires offretellement la figure d'une barque échouée, que de loin, on s'y trompe.C'est une pierreretournée: on vous assure qu'elle est blancheen-dessous, et qu'elle a été amenée là de bien loin,par ceux quiretournent.

Ces légendes se rattachent, sans doute, au lugubre souvenir desdésastres causés par les crues subites et terribles de la rivière. En1845, une trombe de pluie gonfla si subitement les affluents torrentueuxde la Creuse qui est, elle-même, en cet endroit, un torrent redoutable,que l'eau monta, dit-on, de plus de cent pieds, apportant toute uneforêt récemment abattue sur ses rives. Aux approches de l'unique pont dela contrée, la forêt voyageuse s'arrêta deux heures, prise et serréeentre les deux rives à pic, et, à cette masse, vinrent se joindred'autres masses de toits, de bateaux, de barrières et de débris de toutesorte, si bien que les enfants, qui ne doutent de rien, passaient d'unerive à l'autre, à pied sec sur cette montagne flottante, au-dessus desvagues en fureur. Tout-à-coup la montagne se précipita, emportant lepont qui l'avait retenue et balayant tout sur son passage, maisons,troupeaux, cultures et passants.

Pourtant le souvenir de ce désastre n'a pas suffi à peupler d'âmes enpeine les bords et les îlots de la terrible rivière. Il s'y joint latradition vague d'un combat de faux-saulniers contre les gens de lagabelle, au temps où les seigneurs et les bourgeois conduisaient, dansles sentiers escarpés, leurs mulets chargés de sel de contrebande.L'histoire du Berry ne dit rien de cette bataille. Les vieux paysansl'ont entendue raconter à leurs pères, qui la tenaient de leursgrands-pères. Beaucoup de gens, disent-ils, y périrent, et furentprécipités des rochers dans la Creuse. C'est pourquoi l'on entend, danslesmauvaises nuits, des voix que personne ne connaît et qui crientsans relâche:Au sel! au sel! A ce cri, tous les mulets des pâturagesvoisins s'enfuient, les oreilles couchées et la queue entre les jambes,comme si le diable était après eux.

Dans cette même région, la croyance augrand serpent se réveille detemps à autre. On se soucie peu des milliers de vipères qui vivent dansles rochers et qui, dit-on, n'ont jamais fait de mal à personne; mais leserpent de quarante pieds de longueur et qui a la tête faite comme unhomme, est celui dont on se préoccupe. C'est probablement le même qui,dans les temps anciens, mangea trois prisonniers dans le cachot de lagrosse tour de Châteaubrun. Depuis, il s'est montré plusieurs fois, etl'année dernière, 1857, tout le pays était en émoi, parce qu'une bergèrel'avait vu dans un buisson. Plus de cinquante chasseurs étaient sur piedpour le chercher; mais, comme de coutume, on ne le trouva point.

Le follet d'Ep-nell

Sous la pierre d'Ep-nell, un follet de mauvaise race se tient blotti.C'est un follet à queue: ce sont les pires. Au lieu de soigner et depromener les chevaux, ils les effraient, les maltraitent et les rendentpoussifs.

Maurice SAND.

Georgeon était le diable de la partie du Berry que l'on appelle lavallée Noire. Je disétait, parce qu'il est fort oublié aujourd'hui etqu'il faut remonter au souvenir des vieillards morts depuis unetrentaine d'années, pour repêcher dans le fleuve d'oubli qui passe sivite aujourd'hui, le nom mystérieux qui ne devait jamais être écrit, «nisur papier, ni sur bois, ni sur ardoise, ni sur pierre quelconque, nisur étoffe, ni sur terre, ni sur poussière ou sable, ni même sur neigetombée du ciel.» Ce nom terrible, qui présidait aux formules les plusefficaces et les plus secrètes, ne devait être confié aux adeptes de lasorcellerie que dans lepertuis de l'oreille, et il n'était pas permisde le leur dire plus de trois fois. S'ils l'oubliaient, c'était tant pispour eux. Il fallait financer de nouveau pour obtenir de l'entendreencore.

Ce nom devait, en aucune circonstance, être révélé aux profanes etjamais prononcé tout haut, sinon dans la nuit noire et l'entièresolitude. Celui qui me les confia l'avait surpris etn'y croyaitpoint. Pourtant il se repentit de me l'avoir dit et revint me prier dene pas le répéter. «J'ai mal rêvé cette nuit, disait-il; par trois foisma fenêtre s'est ouverte toute grande, sans que personne autre que moifût entré dans ma chambre.»

Quel était le rang et le titre deGeorgeon dans la hiérarchie desesprits de malice? C'est ce que je n'ai pu savoir. C'est lui qu'ilfallait appeler auxcarrois ou carrefours des chemins, ou souscertains vieux arbres mal famés, pour faire apparaître l'espritmystérieux. Avait-il pouvoir par lui-même sur certaines choses de lanature, ou n'était-il qu'un messager intermédiaire entre l'enfer etl'adepte? Je le croirais: un homme du nom de Georgeon avait été jadisemporté à Montgivray par le diable. C'est peut-être cette mauvaise âmequi faisait dès lors le métier de conduire les autres âmes à laperdition.

Georgeon était à moitié invisible, en ce sens qu'il n'apparaissait quedans les nuits sans lune ou à travers d'épais brouillards. On voyaitalors une forme humaine plus grande que nature; mais l'habit, lestraits, les détails de cette forme restaient toujours insaisissables, outellement vagues qu'il était impossible d'en conserver la mémoire aussibien que de le reconnaître, même à la voix, quand on avait plusieursentrevues avec lui. Il fallait chaque fois l'appeler par son nom, et luidire: «Est-ce toi avec qui j'ai parlé telle nuit et en tel lieu?» S'ilne répondait pasc'est moi, il fallait se défier et ne rien luiraconter de ce qui s'était passé dans les précédents entretiens avec lediable, soit que Georgeon cachât son identité pour éprouver ladiscrétion et la prudence de son adepte, soit que le paysan pousse laprudence jusqu'à se méfier du diable, même après s'être donné à lui.

Il est certain, tout au moins, que le paysan a la prétention d'êtreaussi rusé que Satan et qu'en tout pays ses légendes merveilleuses sontpleines de malices attribuées à de bons gars qui ont su berner le démonet le prendre dans ses propres pièges. Parmi les plus jolies, il fautciter celle du féamoureux que rapporte l'auteur de laNormandiemerveilleuse et qui a toute la grâce du langage rustique. Les'était épris d'une belle femme de campagne; chaque soir, pendantqu'elle filait auprès de son feu, il venait s'asseoir sur un escabeau, àl'autre coin de la cheminée. La femme s'étant aperçue de sa présence etde ses regards de convoitise, avertit son mari, qui prit ses vêtements,sa place et sa quenouille, et faisant mine de filer, attendit le lutin.Celui-ci arrive, regarde de travers l'étrange filandière et lui dit: «Oùdonc est la belle, belle, d'hier au soir, qui file, file, etatouroletoujours, car toi, tu tournes, tournes, et tu n'atourole pas?» Le marine répond rien et attend que le se soit assis sur l'escabeau d'oùil avait coutume de dévorer des yeux la femme du logis, et où l'on avaittraîteusement placé la galetière[10] rougie au feu. Le s'assied, eneffet, brûle outrageusement sa queue et fait un grand cri, en disant:«Qui m'a fait cette mauvaise mauvaiseté? Est-ce la belle, belle, quiatourole toujours?—Non, répond le mari; c'estmoi, moi-même, quin'atourole jamais!» Le exaspéré s'envole par la cheminée pourappeler ses compagnons qui prenaient leurs ébats sur le toit. «Qu'as-tudonc à crier, crier? lui disent-ils.—Je me brûle, brûle!—Et qui t'aainsi brûlé, brûlé?—C'estmoi, moi-même, qui n'atourole jamais[11].»

Cette réponse parut si stupide aux autres fés, qui sont des esprits trèsrailleurs, que le mari de la belle fileuse les entendit rire comme desfous, huer, berner et chasser le pauvre amoureux, de quoi il fut fortaise, car il avait eu bien peur d'attirer contre lui toute la bande deslutins, et jamais plus l'amoureux de sa femme n'osa se présenterderechef en sa maison.

Cette légende normande a une sorte de pendant en Berry, ou plutôt c'estla même légende, avec des variantes qui caractérisent l'esprit local.

Ici le follet, ou fadet, l'histoire ne dit pas précisément à quel typed'esprits malins il appartenait, n'avait nullement l'amour en tête.Positif comme un diable berrichon, il ne songeait qu'à faire enrager lafilandière, laquelle n'atourolait pas le lin sur son fuseau, maisfilait en faisantvirer de la laine sur un rouet, et, au lieu de lacontempler avec des yeux tendres, il embrouillait et cassait méchammentson brin, afin de pouvoir, pendant qu'elle le raccommodait, se glisserdans l'arche (la huche au pain) et d'y voler les galettes que laménagère avait mises en réserve pour ses enfants.

S'étant aperçue de ce manège la bonne femme ne fit semblant de rien etfeignant de se baisser, elle ramassa subtilement le fin bout de lalongue queue du personnage, l'attacha avec son brin de laine et se mit àlavironner,vironner sur son rouet, comme si ce fût un écheveau.

Le fadet ne s'en aperçut pas tout de suite, occupé qu'il était à sevautrer dans la galette au fromage. Mais quand le rouet eut roulé cinqou six brassés de queue, il le sentit fort bien et se prit à crier:Maqueue, ma queue. La dévideuse n'en tint pas compte, et, toujoursvironnant, se mit à chanter:Pelotte, pelotte, ma roulotte! d'une sibonne voix et menant si grand bruit avec sa roue, que les autresdiables, embusqués sur le toit, n'entendirent pas les gémissements etles imprécations de leur camarade, lequel fut bien forcé de se rendre,et de jurer par le nom du grand diable d'enfer qu'il ne remettraitjamais les pieds dans la maison.

D'après certaines versions, le lutin qui s'amuse àjouiller(embrouiller et mêler) les fils des dévideuses est un esprit femelle,une mauvaisefade. J'ai entendu, dans mon enfance, une vieille quiavait coutume de dire en pareille occasion, lajouillarde s'y estmise! et elle faisait une croix dans la main pour conjurer et chasserla diablesse.

Ce qu'ailleurs on appelle legobelin, le, lelutin, lefarfadet, lekobbold, l'orco, l'elfe, letroll, etc., etc., enBerry, on l'appelle le plus souvent le follet. Il en est de bons et demauvais. Ceux qui pansent les chevaux à l'écurie et dont tous les valetsde ferme entendent le fouet et l'appel de langue, de même que ceux qui,la nuit, font galoper la chevaline au pâturage, et qui leurjouillentle crin pour s'en faire des étriers (vu qu'ils sont trop petits pour setenir sur la croupe de l'animal et qu'ils chevauchent toujours surl'encolure), sont d'assez bons enfants et fuient à l'approche del'homme. Toute leur malice consiste à faire mourir ou avorter lesjuments dont on se permet de couper la crinière quand il leur a plu dela tresser et de la nouer pour leur usage. On appelle les monturesfavorites du folletchevaux bouclés, et autrefois on les estimaitcomme les meilleurs et les plus ardents. Les jumentspansées du folletétaient recherchées en foire comme bonnes poulinières.

Ce follet des écuries existe encore chez nous dans la croyance debeaucoup de gens. Tous les paysans de quarante ans, qui se sont adonnésà l'élevage des chevaux, l'ont vu et en font serment avec une candeurimpossible à révoquer en doute. Ils n'en ont jamais eu peur, sachantqu'il n'est pas méchant. Ils le décrivent tous de la même manière. Ilest gros comme un petit coq et il en a la crête d'un rouge vif. Ses yeuxsont de feu, son corps est celui d'un petit homme assez bien fait, saufqu'il a des griffes au lieu d'ongles. On varie quant à la queue; selonles uns elle est en plumes, selon les autres, c'est une queue de ratd'une longueur démesurée, et dont il se sert, comme d'un fouet, pourfaire courir sa monture.

Dans le nord de la France, certains de ces nains sont forts méchants etse plaisent à égarer les voyageurs. Dans la Marche, autour des dolmens,tout esprit est dangereux et hostile à l'homme parce qu'il est préposé àla garde des trésors cachés sous les grosses pierres. Malheur auxcurieux et surtout aux ambitieux qui vont rôder la nuit autour de cesmonuments où règne l'éternel mystère de la tradition. Ils sautent sur lecou du cheval, font tomber le cavalier et le rouent de coups. Pourtanton peut s'en préserver de plusieurs manières, quand on a été assez hardipour étudier, à tout risque, leurs habitudes et leurs fantaisies. Engénéral, ils ne sont pas intelligents et parlent avec difficulté lalangue de l'homme. Comme ceux de la Normandie et comme les Korigans dela Bretagne, ils ont la manie ou plutôt l'infirmité de répéter deux foisle même mot, sans pouvoir arriver jusqu'à trois, ou s'ils dépassent cenombre en le doublant, ils ne peuvent pas le dire une septième fois.

Un chercheur de trésors, qui voyait le nain sauter devant lui enl'entraînant dans une ronde magnétique et en lui disant sans cesse d'unepetite voix aigre:Tourne, tourne, l'arrêta court en lui répondant: Jetourne, je retourne et je détourne. Le lutin ne comprit pas, et, pensantque c'était là une formule au-dessus de son savoir, il lâcha l'homme,sauta sur la pierre et la fit danser si fort et tourner si vite qu'il ensortait du feu. L'homme n'osa pas en approcher, mais il put se retirersans être suivi. Seulement, le nain lui avait imprimé un tel mouvementde rotation, en le faisant valser avec lui autour de la pierreendiablée, qu'il rentra chez lui toujours tournant sur lui-même commeune toupie lancée, et alla tomber de fatigue à la porte de sa maison.

Le casseu' de bois

Malheur à la ramasseuse de bois qui rencontre sur son chemin l'homme defer rouge! Ravageant les arbres de la forêt, il ne permet pas que leshumains profitent de ses dégâts.

Maurice SAND.

Le pauvre paysan est quelquefois un charmant poète, témoin cette fableoù il plaisante sa propre misère avec une si douce mélancolie:

«Au mois d'avril, laruiche (le rouge-gorge) et leroi-Berthault (leroitelet) se rencontrèrent aux bois et se demandèrentleursportements.—Ça va très bien, Dieu merci, dit la ruiche; j'ai passé unbon hiver.—Et moi de même, dit le roi-Berthault; j'ai passé l'hiverchez le bûcheron et je me suis diantrement chauffé! Ces gens-là font desfeux, si vous saviez, ma chère! Ils vous font brûler des bûches aussigrosses que ma jambe!—Vrai? dit la ruiche émerveillée. Eh bien! moi,j'ai mangé mon saoul chez le laboureur! Il avait du blé dans songrenier, oh! mais du blé! Debout sur le plancher, j'en avais jusqu'auventre!»

Les hallucinations du paysan qui, aussi bien que ses traditions, donnentsouvent lieu à des croyances et à des légendes, prouvent que s'il estgénéralement privé du sens d'une clairvoyante observation, il a lafaculté extraordinairement poétique de personnifier l'apparence deschoses et d'en saisir le côté merveilleux. Les reflets embrasés dusoleil couchant sous les grands ombrages ont donné naissance à l'hommede feu ou de fer rouge, ou tout simplement debois de vergne[12], quicourt de tige en tige, brisant ou embrasant. C'est lui qui, dans lanuit, allume ces terribles incendies où sont dévorées des forêtsentières et dont la cause, trop souvent attribuée à la malveillance,reste toujours très mystérieuse. Disons, en passant, que la chute desaérolites peut expliquer bien des choses et que le paysan de nos jourscommence à s'en rendre compte. L'an dernier, une femme de la Berthenouxtricotait devant sa porte, quand elle vit une lumière à rendre aveugleet entendit un bruit à rendre sourd. En une minute, sa maison fut enfeu; elle n'eut que le temps de sortir son enfant qui dormait, et vitbrûler sa pauvre demeure avec une rapidité qui tenait du prodige. «Cen'était pas, dit-elle, un feu comme un autre; j'ai bien vu quelque chosetomber du ciel; mais ce n'était pas le feu ordinaire du ciel; l'airétait tranquille et il n'y avait pas d'orage du tout.» Le fait futconstaté par de nombreux témoins et personne ne songea à accuser lapauvre femme de s'être vouée au diable ou d'avoir encouru la colère duciel. Il y a cent ans, les choses se fussent passées autrement. Lamalheureuse eût été maudite et repoussée de tous, ou bien ses voisinseussent été accusés de sortilège. Il y a deux cents ans, quelqu'un, àcoup sûr, eût été brûlé pour ce fait, soit la victime de l'incendie,soit le premier passant qui eût éternué de travers au moment dusinistre.

L'homme de feu est aussi nommécasseu' de bois. Il prend diversesapparences et joue divers rôles, selon les localités. Il n'est pastoujours flamboyant et incendiaire et se fait entendre plus souventqu'il ne se montre. Dans les nuits brumeuses, il frappe à coupsredoublés sur les arbres, et les gardes-forestiers, convaincus qu'ilsont affaire à d'audacieux voleurs de bois, courent au bruit etaperçoivent quelquefois le pâle éclair de sa puissante cognée. Mais,chose étrange, ces grands arbres que l'on entendait crier sous ses coupset qu'on s'attendait à trouver profondément entaillés, n'en portaientpas la moindre trace. Lecasseu', ou lecoupeu', ou lebatteu',car le fantôme porte tous ces noms, est quelquefois le génie protecteurde la forêt qu'il a prise en affection. Il faut se garder de toucher auxarbres sur lesquels il a frappé pour avertir de sa prédilection.

On sait que des troncs pourris émane quelquefois une lueurphosphorescente. Cette lueur, bien réelle et bien visible, a donné lieuà une foule de prétendues apparitions. J'en ai vu une du plus belaspect, et le paysan qui m'accompagnait me raconta l'histoire suivante:

«Un bon curé, qui n'avait crainte d'aucune chose, passait souvent, lesoir, dans les bois, en revenant d'une paroisse voisine où il allaitsouper et faire la partie de cartes avec un confrère.

Il voyait toujours, au même endroit, une lueur blanche à laquelle il nedonnait pas grande attention, bien que son cheval fit, chaque fois, unpetit écart et dressât les oreilles comme s'il eût vu ou senti quelquechose d'extraordinaire.

Un soir que la lueur lui parut plus vive que de coutume et que soncheval se montra plus inquiet, le curé résolut d'en avoir le cœur net etvoulut entrer sous bois du côté où la clarté paraissait; mais son chevals'en défendit si bien, qu'il y renonça et résolut d'aller voir, au jour,s'il y avait par là quelque charbonnière mal couverte qui menaçât demettre le feu à la futaie.

Il y alla donc le lendemain matin, et ne trouva, à plus d'un quart delieue à la ronde, aucune charbonnière allumée ou éteinte, aucune hutte,aucune trace de feu ni cause de lumière. Il n'y songea plus.

Mais une semaine plus tard, repassant là sur le minuit, il vit un grandrond de feu blanc qui flambait en travers de son chemin, et son chevalse cabra et refusa tout-à-fait d'avancer.

Le curé mit pied à terre, prit sa bête par la bride et avança résolumentjusqu'au milieu du feu qui, non-seulement ne le brûla pas, mais ne luifit sentir aucune chaleur.

Il en fut si étonné que, parvenu au milieu du cercle, il ne puts'empêcher d'en rire et de s'écrier: «Ah! par tous les diables, voici lapremière fois de ma vie que je rencontre du feu froid.»

Ce bon curé, ayant autrefois servi dans les armées, avait la mauvaisehabitude de mêler quelques jurons à ses paroles, mais sans aucunementpenser à mal.

Il n'eut pas plutôt lâché cette imprudente réflexion, qu'il entendit unevoixsifflante comme la graisse qui grésille dans une poêle, et cettevoix, qui semblait venir de dessous terre, disait: «Si tu veux du feuchaud, on t'en donnera

A ce coup, le curé sentit la peur lui courir dans les cheveux; mais ilne perdit pas la tête et répondit fort à propos: «Merci, mon camaraded'en bas, je n'ai besoin de rien.»

Le feu cessa tout-à-coup et la voix parut se renfoncer sous terre enmurmurant: «Poltron de curé, va te coucher, va, poltron de curé!»

Ce défi irrita l'ancien aumônier de régiment. «Poltron de curé! fit-ilavec sa plus grosse voix, poltron de curé! Eh bien! viens donc un peutt'y frotter, toi, le beau flambeur qui te caches sous la terre?» Et dubout de son bâton, il fit un grand cercle autour de lui à l'endroit oùil avait vu le cercle de feu blanc, riant toujours en disant: «Tu vois,je ne veux pas sortir de là, c'est là que je t'attends de pied ferme,homme ou diable!»

Et comme rien ne paraissait ni ne bougeait, il s'escrima de son bâton,frappant devant lui, à droite, à gauche, derrière, partout, et, chaquefois qu'il frappait, il entendait gémir et crier comme si trente diablesinvisibles eussent reçu la bonnetrempée qu'il leur administrait.

Or, comme ce jeu plaisait à son humeur courageuse, il yprit goût etrage et battit ainsi le diable une heure durant, jusqu'à ce que lescris et les plaintes, qui allaient toujours s'amoindrissant, fissentplace à de faibles soupirs et enfin au plus profond silence. Alors lecuré, qui s'était mis tout en sueur, sortit du cercle et alla reprendreson cheval qui s'était sauvé non loin de là.

Quand il se fut essuyé le front et remis en selle, il reprit le cheminde son presbytère et jamais plus ne revit la lueur dans le bois.

Mais la veille de la fête des trépassés de la même année, il entendit,sur le minuit, frapper à sa porte. Il appela son sacristain, qui luiservait de domestique, et lui dit: On frappe en bas mon garçon. Va doncvoir ce que c'est!

Le sacristain alla ouvrir et revint, disant: Foi d'homme, monsieur lecuré, vous avez rêvé ça, il n'y a personne à la porte.

Le curé se rendormit; mais, entendant frapper pour la seconde fois, ilse réveilla de nouveau. Il appela encore son valet, qui ne faisait quede se remettre au lit et qui lui jura qu'il se trompait. Pour soncompte, il n'avait rien entendu.

Le curé retournait à son lit, lorsqu'on frappa encore. Jean, dit-il,es-tu devenus sourd ou si c'est un bruit que j'ai dans les oreilles?

—Vous l'avez au moins dans la tête, monsieur le curé, répondit Jean; jen'entends rien que l'horloge de l'église qui dittic-toc, et lachouette qui dithou hou dans le clocher.

Le curé se figura que c'était peut-être un avertissement du ciel pourqu'il eût à se mettre en état de grâce avant de mourir. Mais, commec'était un homme à vouloir être sûr de son fait, il alluma une lanterneet descendit ouvrir lui-même.—Bonne nuit, monsieur le curé, lui ditune voix qu'il connaissait, sans qu'il pût voir aucune figure.

—Bonne nuit, père Cadet, répondit le curé sans se déconcerter, et ilreferma sa porte,s'imaginant beaucoup en lui-même, car il avait portéen terre le père Cadet il y avait environ une année.

Il allait remonter l'escalier de sa chambre, quand on frappa encore.Bon, dit-il, ce pauvre défunt aura oublier de me demander des prières;il ne faut pas lui en refuser; et il rouvrit la porte, disant: Est-ceencore vous, père Cadet?

—Non, monsieur le curé, c'est moi, fit une voix de femme; je viens voussouhaiter une bonne nuit.

—Et à vous pareillement, mère Guite, répondit-il, refermant sa porte;or, la mère Guite avait été enterrée chrétiennement environ six moisauparavant.

Mais on frappa encore, et, cette fois, le curé entendit une jeune voixdouce qui lui disait: C'est moi, le petit enfant à la Jeanne Bonnine,que vous avez baptisé et enterré le même jour de l'été dernier. Je viensvous souhaiter la bonne nuit, monsieur le curé.

—Par ma foi, dit le curé, vous me la souhaiterez tant, qu'elle seranuit blanche. Si vous avez des honnêtetés à me faire, ne pouvez-vousvenir tous ensemble? ce sera plus tôt fini!

Aussitôt le curé vit clairement, devant sa porte, une douzaine de gensqu'il avait enterrés dans l'année, hommes, femmes, vieux et jeunes: lepère Chaudy, qui était mort en moisson et qui tenait encore sa faucille;la Jeanne Bonnine, qui était morte en couches et qui tenait son pauvrenourrisson sur son bras; et ainsi des autres, voir la vieille Guite, quiétait morte de lagrand'peur pour avoir vul'homme de feu rouge luifaire reproche et menace, un soir qu'elle ramassait du bois mort dans lataille.

—Ça, mes chers paroissiens, dit le hardi curé, je suis aise de vousvoir debout; êtes-vous toutes en paradis, mes bonnes âmes?

—Nous nous mettons en route sur l'heure, monsieur le curé, répondit laJeanne; nous étions en peine et en souffrance pour nos péchés, sous lagarde d'un esprit méchant qui nous faisait danser toutes les nuits sousles arbres; mais vous nous avez si bien battus dans le bois du Chassin,que notre compte a été acquitté. Ah! que vous frappez rude, monsieur lecuré! Dieu vous le rende, pour le bien que vous avez fait à nos âmes!

—C'est bien, mes enfants, répondit le curé, Bon voyage et priez pourmoi!

Il s'en alla dormir et jamais n'avait si bien dormi,» dit le narrateuren finissant.

Le meuneu' de loups

«Cent agneaux vous aurez,
Courant dedans la brande[13];
Belle, avec moi venez,
Cent agneaux vous aurez.

—Les agneaux qu'ous avez
Ont la gueule trop grande;
Sans moi vous garderez
Les agneaux qu'ous avez.»

Recueilli par Maurice SAND.

«Paunay, Saunay, Rosnay, Villiers
Quatre paroisses de sorciers.»

C'est là un dicton du pays de Brenne, et les historiens du Berrydésignent cette région marécageuse comme le pays privilégié desmeneuxde loups et jeteux de sorts.

La croyance aux meneux de loups est répandue dans toute la France. C'estle dernier vestige de la légende si longtemps accréditée deslycanthropes. En Berry, où déjà les contes que l'on fait à nos petitsenfants ne sont plus aussi merveilleux ni aussi terribles que ceux quenous faisaient nos grand'mères, je ne me souviens pas que l'on m'aitjamais parlé des hommes-loups de l'antiquité et du moyen-âge. Cependanton s'y sert encore du mot degarou qui signifie bien, à lui tout seul,homme-loup; mais on en a perdu le vrai sens. Le loup-garou est un loupensorcelé, et lesmeneux de loups ne sont plus les capitaines de cesbandes de sorciers qui se changeaient en loups pour dévorer les enfants;ce sont des hommes savants et mystérieux, de vieux bûcherons ou demalins gardes-chasse, qui possèdent lesecret pour charmer, soumettre,apprivoiser et conduire les loups véritables.

Je connais plusieurs personnes qui ont rencontré, aux premières clartésde la lune, au carroi de la Croix-Blanche, le père Soupison, surnomméDémonnet, s'en allant tout seul, à grands pas, et suivi de plus detrente loups.

Une nuit, dans la forêt de Châteauroux, deux hommes, qui me l'ontraconté, virent passer sous bois, une grande bande de loups. Ils enfurent très effrayés et montèrent sur un arbre, d'où ils virent cesanimaux s'arrêter à la porte de la hutte d'un bûcheron. Ilsl'entourèrent en poussant des hurlements effroyables. Le bûcheronsortit, leur parla dans une langue inconnue, se promena au milieu d'eux,après quoi ils se dispersèrent sans lui faire aucun mal.

Ceci est une histoire de paysan. Mais deux personnes riches, ayant reçude l'éducation, gens de beaucoup de sens et d'habileté dans lesaffaires, vivant dans le voisinage d'une forêt où elles chassaient fortsouvent, m'ont juré,sur l'honneur, avoir vu, étant ensemble, un vieuxgarde-forestier, de leur connaissance, s'arrêter à un carrefour écartéet faire des gestes bizarres. Ces deux personnes se cachèrent pourl'observer et virent treize loups, dont un énorme alla droit aucharmeur et lui fit des caresses; celui-ci siffla les autres, comme onsiffle des chiens, et s'enfonça avec eux dans l'épaisseur du bois. Lesdeux témoins de cette scène étrange n'osèrent l'y suivre et seretirèrent aussi surpris qu'effrayés.

Ceci me fut raconté si sérieusement que je déclare n'avoir pas d'opinionsur le fait. J'ai été élevé aux champs et j'ai cru si longtemps àcertaines visions que je n'ai pas eues, mais que j'ai vu subir autour demoi, que, même aujourd'hui, je ne saurais trop dire où la réalité finitet où l'hallucination commence. Je sais qu'il y a des dompteursd'animaux féroces. Y a-t-il des charmeurs d'animaux sauvages en liberté?Les deux personnes qui m'ont raconté le fait ci-dessus l'ont-elles rêvésimultanément, ou le prétendu sorcier avait-il apprivoisé treize loupspour son plaisir? Ce que je crois fermement, c'est que les deuxnarrateurs avaient vu identiquement la même chose et qu'ilsl'affirmaient avec sincérité.

Dans le Morvan, les ménétriers sont meneux de loups. Ils ne peuventapprendre la musique qu'en se vouant au diable, et souventleur maîtreles bat et leur casse leurs instruments sur le dos, quand ils luidésobéissent. Les loups de ce pays-là sont aussi les sujets de Satan; cene sont pas de vrais loups. La tradition de la lycanthropie se seraitmieux conservée là que dans le Berry.

Il y a une cinquantaine d'années, lessonneurs de musette et de vielleétaient encore sorciers dans la vallée Noire. Ils ont perdu cettemauvaise réputation; mais on raconte encore l'histoire d'un maîtresonneur qui avait tant de talent et menait une conduite si chrétienne,que le curé de sa paroisse le faisait jouer à la grand'messe durantl'élévation. Il jouait des airs d'église, ce qui entrait bien dansl'éducation musicale des ménétriers de ce temps-là, mais ce qui leurétait rarement permis par les curés, à cause de leurs pratiquessecrètes, qui n'étaient pas, disait-on les plus catholiques du monde.

Le grand Julien, de Saint-Août, avait donc ce privilège d'exception, et«quand ilsonnait à la messe, c'était merveille de l'ouïe.», et laparoisse se faisait honneur de lui.

«Une nuit, comme il revenait de jouer, trois jours durant, à une noce decampagne, il rencontra, dans la brande,une musette qui jouait touteseule; d'autres disent quec'était le vent qui en jouait.

Etonné de voir cette musette toute reluisante d'argent, qui venait à luisans qu'aucune personne la fit aller, il s'arrêta et eut peur. Lamusette passa à côté de lui,comme si elle ne le voyait pas, etcontinua de sonner d'une si belle manière que jamais Julien n'avait rienentendu de pareil, et qu'il se sentit, du coup, tout affolé de jalousie.

Voilà donc qu'au lieu de passer, comme un homme raisonnable, il seretourne et suit cette cornemuse pour l'écouter et pour tâcher deretenir l'air qu'elle disait et qu'il était dépité de ne pas savoir.

Il la suivit d'abord d'un peu loin, et puis d'un peu plus près, et puis,enfin, il s'enhardit jusqu'à sauter dessus et la vouloir prendre; car devoir un si beau et si bon instrument sans maître, il y avait de quoitenter un homme qui faisait son métier demusiquer.

Mais la cornemusemonta en l'air et continua de jouer, sans qu'il pûtl'aveindre, et il s'en retourna chez lui en grand souci et même engrand chagrin. Et quand on lui demanda, les jours d'après, pourquoi ilparaissait en peine et malade, il répondait: L'air de la nuit sonnemieux que moi; ce n'était pas la peine d'apprendre!

On ne sut point ce qu'il voulait dire, mais on l'entendit étudier unemusique nouvelle qui ne ressemblait en rien à celle des autres ni àcelle qu'il avait jouée jusque-là; et, la nuit, il s'en allait toutseul,emmy la brande, et revenait au petit jour, bien fatigué, maisjouant de mieux en mieux un air qui paraissait très étrange et quepersonne ne pouvait comprendre.

Ceci fut rapporté au curé, qui le fit venir et lui dit: Julien, je saisque le diable est enragé de poursuivre et de tenter les gens de tonétat; on me dit que tu vas seul, la nuit, dans des endroitsoù tu n'aspas besoin, et que tu parais tourmenté. Fais attention à toi, Julien;si tu commences mal, tu finiras mal!

C'était un samedi. Le lendemain était grande fête, il y avaitgrand'messe carillonnée, et Julien promit de jouer comme il avaitcoutume.

Cependant, le matin, le sacristain vint dire au curé qu'il avaitrencontré Julien dans la brande, jouant d'une manière qui n'était paschrétienne, et menant derrière lui plus de trois cents loups quis'étaient sauvés à son approche.

Le curé fit encore venir Julien et le questionna. Julien leva lesépaules en disant que le sacristain avait bu.

Et comme, de vrai, le sacristain étaitporté sur la boisson, son direne donna pas grand'crainte à M. le Curé, qui commença de dire et chanterla messe.

Quand ce fut à l'élévation, Julien commença aussi de jouer sa chansond'église; mais, encore qu'il eût peut-être bonne intention de la direcomme il faut, il ne put jamaistomber dans l'air, et ce qu'il joua nefut autre que la propre chanson du diable que le vent lui avait apprise.

La chose dérangea M. le Curé, qui, par trois fois, avant de consacrerl'hostie, s'agita et frappa du pied pour faire taire cette mauvaisecomplainte; mais enfin, songeant que Dieu se ferait bien respecterlui-même, il éleva l'hostie et dit les paroles de la consécration.

Au même moment, la musette à Julien se creva dans ses mains, avec unbruit comme si l'âme du diable en fût sortie, et il en reçut un si boncoup dans l'estomac qu'il tomba toutapiâni (tout pâmé) sur le pavé del'église.

On l'emporta à son logis, où il fit une grosse maladie. Mais il s'enretira par la grâce de Dieu et la parole de M. le Curé, qui le fitrenoncer à ses mauvaises pratiques, et à qui il confessa avoir joué pourles loups de la brande. Depuis lors, il joua chrétiennement et laissales loups se promener tout seuls ou en la compagnie des autres sonneursdamnés.

On dit que ceux-ci luifirent des peines pour avoirvendu le secret,et qu'ils le battirent souvent pour se revenger. Mais il supporta leursmauvais traitements par esprit de pénitence et fit une bonne fin,enseignant la musique de cornemuse à ses enfants, et les détournant d'enchercher plus longqu'on n'en doit savoir.

Le lupeux

Charli l'entendait souvent quand il revenait de casser les pierres surla route.—Oui-dà, disait-il à sa femme en rentrant, il me suivaitencore, à ce soir, tout le long du buisson,lupant à la lune; maismoi, je lui disais en moi-même:Lupe donc tant que tu voudras, tu neme feras pas seulement tourner la tête pour te voir.

Maurice SAND.

L'auteur de laNormandie merveilleuse, que nous aimons à citer, parledesbêtes revenantes (c'est ainsi qu'on les appelle en Berry) à proposduchien de Monthulé, qui apparaissait aux habitants de la commune deSainte-Croix-sur-Aizier, ne faisant aucun mal aux hommes, mais ne selaissant jamais approcher ni toucher, et bornant sa malice à tourmentersi fort les jeunes chiens qu'on n'en pouvait élever aucun dans lalocalité. La légende normande dit que ce chien avait appartenu à unvoyageur mystérieux, et qu'il avait été tué par le propriétaire de laferme de Monthulé. Son maître le cherchant partout, vint à la ferme, oùon lui jura que l'animal était venu mourir de sa belle mort.—Si vousne dites vrai, répondit le voyageur,on le saura bien! Et ildisparut.

A partir de ce moment, le chien devint fantôme pour tourmenter sesmeurtriers. L'auteur ajoute: «Observez que dans ce conte, une croyancenouvelle se manifeste; une âme est attribuée à l'animal, puisqu'ilpartage avec l'homme la faculté d'apparaître après sa mort.»

Nous avons constaté la même croyance dans notre province. Une vieillefemme de notre village perdit uneouaille, une brebis noire, qu'ellesoupçonna un méchant voisin d'avoir fait périr par poison ou maléfice.La pauvre bête écorchée et mise en terre, la bonne femme dormait,lorsqu'elle entendit sa chèvre bêler et se démener dans l'étable, commesi elle était aux prises avec quelque chose d'extraordinaire. Elle seleva et, ouvrant sa porte, elle vit son ouaille noire qui essayaitd'entrer dans l'étable où elle avait coutume d'être avec la chèvre. Labonne femme effrayée, rentre chez elle et se barricade; mais la chèvrecontinue à se tourmenter. La femme prend courage et retourne voir. Celaeut lieu par trois fois. Par trois fois elle vit son ouaille essayantd'entrer, et la chèvre venant jusqu'à la barrière de l'étable pourl'appeler et la caresser. Mais ce n'était qu'une ombre; la vieille femmene put la saisir, et quand la porte de l'étable fut ouverte, la chèvresortit, chercha, bêla et rentra, comme si, elle aussi, eût constatél'illusion qu'elle venait de subir.

J'ai ouï raconter l'histoire d'une pie qui avait appartenu à laGrand'Gothe, une des plus fines sorcières de l'endroit. Cette pie avaitappris à parler, et toutes les médisances qu'elle entendait débiter à samaîtresse, elle les répétait aux passants en manière d'insulte. Si bienque des jeunes gens, lassés d'entendre divulguer leurs petits secretspar cette mauvaise bête, lui tordirent le cou. La Grand'Gothe préditqu'on s'en repentirait un jour ou l'autre, et mourut elle-même peu detemps après.

Personne ne la regretta, non plus que son vieux frère, le pèreGrand-Jean, qui n'était pas un mauvais homme, mais qui était si souventalité qu'on le voyait et ne le connaissaitquasiment plus. Les deuxvieillards et la pie partirent dans la même quinzaine.

Or, le père Grand-Jean avait rempli jusqu'à sa fin, tant bien que mal,les fonctions de sacristain, qui se bornaient, dans la paroissesupprimée depuis la Révolution, à tenir chez lui les clefs de l'égliseet à sonner l'Angelus trois fois par jour. Cette pratique n'étaitnullement obligatoire; mais les habitants ayant l'habitude d'entendre leson de leur cloche, qui était pour eux une sorte d'horloge, eussenttrouvé mauvais que le sacristain s'en dispensât. Et, comme il était tropcassé et trop souvent malade pour n'y pas manquer, sa sœur, laGrand'Gothe, qui se conserva ingambe et verte jusqu'à son dernier jour,sonnait l'Angelus à sa place quand il ne pouvait sortir du lit. Onprétend qu'elle était si impie que tout en secouant la vieille cloche,elle débitait et faisait même mille ordures dans l'église, où personnen'osait la suivre.

Tant il y a que, dans l'intervalle de quelques semaines qui s'écoulaentre la mort du vieux sacristain et la nomination de son successeur, lacloche sonna d'elle-même non plus trois fois par jour, mais tous lessoirs après le coucher du soleil, sans qu'on vît personne entrer dansl'église. Seulement, on vit la vieille pie voler dans le clocher, etcomme on doutait que ce fût la même qui avait été tuée et jetée sur lefumier par les gars du village, on entendit sa petite voix rauque quirecommençait à raconter tout les secrets d'un chacun et à insulterhommes et femmes, jeunes et vieux, sans respect ni ménagement. Et l'onsut par elle bien des choses qui divertissaient les uns et fâchaient lesautres. Le pire, c'est que l'on ne savait comment se débarrasser decette mauvaise âme de pie, car de faire dire des messes pour elle, iln'y fallait point songer. La chose dura jusqu'à ce que le nouveausacristain prît possession de l'église, et comme c'était un bonchrétien,priant ferme et sonnant dur, le méchant esprit disparut etla cloche n'obéit plus qu'à celui qui avait le droit de la fairechanter.

Naturellement, le souvenir de cette pie fantastique et médisanteréveille en nous celui dulupeux, qu'il ne faudra confondre ni avec lelupin, ni avec lelubin, ni avec les autres variétés du loup-garou.Le lupeux est un démon dont la nature n'a jamais été bien définie etdontl'apparaissance varie suivant les localités. C'est encore au paysde Brenne qu'il fait sa résidence, dans ces interminables plaines seméesd'étangs immenses qui ont tous leur légende et où vivent les grandsserpents donneurs de fièvres, cousins-germains descocadrilles quel'on aperçoit quand les eaux sont basses, mais que l'on ne peut détruirequ'en desséchant les marécages où ils résident depuis que le monde estmonde.

Un de nos amis, qui parcourait le pays avec un guide, entendit, un soir,dans le crépuscule, une voix presque humaine et très douce qui, d'un tonenjoué ou plutôt goguenard, répétait de place en place, autour de lui:Ah! ah! Il regarda de tous côtés, ne vit rien et dit à son compagnonde route:—Voilà quelqu'un de bien étonné; est-ce à cause de nous?

Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher dans la plainedéserte où les arbrestêteaux, c'est-à-dire étêtés et mutilés parl'ébranchage, prenaient sur l'horizon, blanchi à l'approche de la lune,les formes les plus monstrueuses et les plus bizarres. La petite voixclaire et douce suivait nos voyageurs, et, à chaque mouvement desurprise que faisait notre ami, répétaitah! ah! d'une manière simoqueuse et si gaie, qu'il ne put s'empêcher de rire en luirépondant:—Hé bien, quoi donc?

—Taisez-vous, pour l'amour de Dieu, lui dit son guide en lui serrant lebras et en se signant avec dévotion; ne lui parlez pas, n'ayez pas l'airde l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus!

Notre ami, qui connaît bien les idées du paysan, ne s'obstina pas, etquand ils eurent lassés par leur silence l'invisible persiffleur:—Ahça, dit-il à son guide, c'est un oiseau de nuit, une espèce dechouette?—Ah bien, oui! répondit l'autre, un bel oiseau! c'est lelupeux! Ça commence par plaisanter avec vous, ça rit, ça vous tire devotre chemin, ça vous emmène et puis ça ce fâche, etça vous péritdans quelque fondière.

Telle est, en effet, la spécialité du lupeux, démon aussi spirituel queméchant, que l'on a vu quelquefois perché sur un arbre tortu, vu qu'ilest lui-même detravers, c'est-à-diretraversieux, c'est-à-direenfin pervers et amoureuxde naissance.

Les gens qui ont eu l'imprudence de le suivre et de l'écouter s'en sontmal trouvés. Il n'est sorte de plaisants contes, de méchants propos, decommérages sanglants ou comiques dont il ne vous régale dès que vousavez été assez curieux pour lui dire jusqu'à trois fois:Quoi donc? ouqu'est-ce qu'il y a? Il commence alors à babiller comme uneageasse(une pie), il vous régale d'aventures étranges et scandaleuses, ilpromet de vous faire surprendre des rendez-vous galants qui intéressentvotre malice naturelle ou votre jalousie conjugale. Une fois dans sesgriffes, on ne se lasse pas de l'écouter et de le questionner. Il vousconduit au bord d'une eau trompeuse et vous dit:Regarde! Vous vouspenchez vers ce fantastique miroir où vous apparaissent en effet lesimages qui troublent votre imagination; mais le perfide vous pousse, etquand la mort vous enlace de ses bras glacés, vous entendez le lupeux,perché sur une branche au-dessus de l'eau, dire, de sa jolie scélératede voix:—Ah! ah! Hé bien, voilà ce que c'est!

Dans le canton de La Châtre, ce ne sont pas seulement les animaux quireviennent, ce sont encore les meubles. Du temps que le château deBriantes était encore habité, il s'y passait des scènes de l'autremonde. Un certain paysan régisseur qui voulut approfondir ces mystèreset qui s'y porta en esprit fort, dut y renoncer. Il y avait, dans laplus haute chambre, une oubliette d'où sortaient, la nuit, des clameurseffroyables, des cris d'animaux, des plaintes humaines et de grandesbouffées de vent qui éteignaient les lumières. C'étaient les âmes desgens et des bêtes qui avaient été massacrés en ce domaine par leshuguenots pillards et les reîtres sans merci. Mais il y a plus, lesmeubles ayant été brisés, jetés par les fenêtres et toutes chosesmisesà sac, en ce temps de calamités, on entendait aussi des craquements etdesfracassements d'objets invisibles qui semblaient rouler sur vousle long des escaliers et menacer de vous écraser.

Le susdit régisseur ayant bravé quelque temps ces prodiges sans enrecevoir aucun dommage, s'en croyait quitte; mais un soir qu'il revenaitde la foire et entrait en la cuisine du castel pour se reposer et sechauffer, la chaise sur laquelle il voulut s'asseoir se tourna contrelui, les pieds en l'air, et tandis qu'il en cherchait une de meilleurevolonté, toutes les chaises et tous les bancs de ladite cuisine, seruèrent sur lui et lui donnèrent tant de coups qu'il lui fallut céder etfuir; d'autant plus que les broches et couperets se mettaient de lapartie et lui donnèrent la chasse jusqu'au milieu de la cour.

D'où l'on dut logiquement conclure que les choses inanimées avaient ledroit de se plaindre et de crier à leur manière, comme des âmes enpeine, et qu'il ne fallait pas plus se moquer d'elles que des autresrevenants.

Le moine des Étangs-Brisses

Passants qui, aux derniers rayons du soleil, longez les marécages,prenez garde au moine gigantesque qui se lève tout-à-coup du milieu desroseaux. Fuyez et n'écoutez pas ses discours maudits!

Maurice SAND.

Jeanne et Pierre s'étaient attardés, un dimanche, le long desÉtangs-Brisses. C'est un endroit qui n'est pas gai, surtout le soir.Quand on a passé les bois, on arrive sur un grand plateau tout nu, où iln'y a que joncs et sable et de grandes flaques d'eau qui se rejoignent àla saison des pluies et font comme un lac dont le fond paraît tout noir.

Au temps passé, un méchant moine, pris de vin, y fut noyé avec son âne,pour avoir voulu suivre une petite chaussée bien étroite que l'eaucouvrait. L'âne n'avait point fait de mal, jamais on ne l'entenditbraire; mais le moine libertin fut condamné à sentir les affres de lamort et les angoisses de sa dernière heure tant qu'il y aurait unegoutte d'eau dans les Étangs-Brisses. Or, bien que la culture empiètechaque année sur les bords de ces petits lacs, ils ne font point mine detarir; donc le supplice du moine dure encore et durera Dieu saitcombien!

Jeanne connaissait bien la mauvaise renommée des étangs; mais Pierre n'yvoulait pas croire et s'en moquait. Il l'empêchait d'ailleurs d'ysonger, lui disant toutes sortes de choses que Jeanne trouvait belles etagréables à entendre. Ils étaient fiancés et revenaient de la ville, oùils avaient choisi leurslivrées de noce, c'est-à-dire habits neufs,rubans et dentelles pour le grand jour. Ils marchaient ensemble, setenant par le petit doigt, comme c'est la coutume des accordés,lorsqu'ils se trouvèrent sur la chaussée, les pieds pris dans la vase.La veille, un gros orage avait enflé l'étang qui débordait un peu.

—Tu me mènes mal, dit Jeanne à son amoureux; m'est avis que ce n'estpoint là le bon passage.

—Attends que je m'y reconnaisse, lui répondit Pierre. De vrai, lesoleil est couché, et les roseaux sont tout noirs, tous pareils les unsaux autres. Reste un peu là, je m'en irai voir si on peut en sortir.

Jeanne était lasse; elle s'assit dans les roseaux et regarda le cielrouge toutpigelé, c'est-à-dire tout marbré de jaune et de brun, etson esprit se tourna à la tristesse, sans qu'elle eût pu dire pourquoi.«Si c'était tout-à-fait de nuit, pensa-t-elle, je ne voudrais point metrouver seule en ce mauvais endroit, où,dans le temps, le moines'est péri. Pourvu que Pierre ne marche pas à faux dans ces herbesfolles!» Elle le suivit des yeux tant qu'elle put le voir, et puis ellene le vit plus du tout et commença de trembler de tout son pauvre corps.

Tout d'un coup, elle vit voler une grande bande de canards sauvages quivenait de son côté en menant du bruit; et, se levant sur la pointe deses pieds, elle vit Pierre qui revenait, s'amusant à jeter des caillouxdans l'eau pour faire lever d'autres bandes d'oiseaux dont l'étang seremplissait, à mesure que la nuit descendait du haut du ciel.

Quand Pierre fut à côté d'elle, il lui dit:—Nous sommes dans le vraichemin, et sauf un peu de bourbe, nous passerons bien. Laisse-moisouffler une minute, car j'ai marché vite et, d'ailleurs, l'endroitn'est pas trop vilain pour se reposer.

—Si tu le trouves joli, c'est une drôle d'idée, mon Pierre; moi je m'ydéplais et le temps m'y a duré. Repose-toi vite, car j'en veux sortiravant la grand'nuit.

Quand Pierre se fut assis dans les roseaux à côté de Jeanne, il luidit:—Mon Dieu! Jeanne le temps m'a bien duré aussi en marchant, car ilme semble que je ne t'ai point embrassée depuis deux ans.

Diseu' de riens! reprit-elle, tu m'as embrassée il n'y a pas deuxquarts d'heure.

—Eh bien! ma mie, où est le mal?

—Je ne dis point qu'il y en ait, puisque nous nous marions!

—Or donc, laisse-moi t'embrasser encore une petite fois, ou sept.

Jeanne se laissa embrasser une fois, disant que c'était assez. Elle n'yentendait point malice, mais elle savait que s'il est permis auxaccordés de campagne de s'embrasser en marchant, devant les passants, iln'est point convenable ni honnête de se dire ses amitiés en cachette dumonde, et de s'arrêter dans les endroits où personne ne passe.

Pierre, qui était un garçonbien comme il faut, c'est-à-dire sachantse comporter en tout de la vraie manière, était content de voir Jeannele tenir à distance, et il ne faisait le jeu d'outrepasser un peu sondroit que pour avoir le plaisir de recevoir d'elle une bonne tape detemps en temps, ce qui est, comme chacun sait, une grande marque deconfiance et d'amitié.

Et quand ils se furent ainsi honnêtement chamaillés un petit moment, ilsse mirent à causer de l'avenir, ce qui est encore une granderéjouissance entre gens qui doivent passer leur vie ensemble. Et lesvoilà comptant et recomptant leurs petits apports, se bâtissant unemaison neuve et se plantant un joli petit jardin, comme qui dirait dansla tête, car les pauvres enfants ne possédaient pas gros, et il leurfallait travailler seulement pour entretenir ce qu'ils avaient.

Mais voilà qu'une voix que Pierre n'entendait pas, se mit à parler àJeanne comme si c'était celle de Pierre, tandis qu'une voix se mettait àparler avec Pierre comme si c'était celle de Jeanne, et pourtant ce nel'était point et Jeanne ne l'entendait mie. Et ainsi ils crurent se diredes choses qu'ils ne se disaient point et se trouvèrent en mauvaisaccord sans savoir d'où cela leur venait. Jeanne reprochait à Pierred'être un paresseux et d'aimer le cabaret; Pierre reprochait à Jeanned'être coquette et d'aimer trop la braverie. Si bien que tous deux semirent à pleurer et à bouder, ne se voulant plus rien dire.

Mais une chose étonnante, c'est qu'en ne se disant plus rien, et en nese voyant point remuer les lèvres, ils entendirent, tous deux à la fois,une voix très sourde qui parlait en manière de grenouille ou de cannesauvage, et qui disait les plus méchantes paroles du monde.

—Que faites-vous là, enfants, à vous bouder, au lieu de mettre à profitla nuit et la solitude? Vous attendez sottement la fin de la semainepour vous aimer librement? Voilà une belle fadaise que le mariage! Nesavez-vous point que le mariage c'est la peine, la misère, lesquerelles, le souci des enfants et les jours sans pain? Allons, allons,innocents que vous êtes! Dès le lendemain du mariage, vous pleurerez, sivous ne vous battez point! Vous voyez bien que déjà en voulant parlerd'avenir et d'économie vous n'avez pu vous entendre!

La vie est sotte et misérable, ne vous y trompez pas; il n'y a de bonque l'oubli du devoir et le plaisir sans contrainte. Aimez-vous àprésent, car si vous ne profitez de l'heure qui se présente, vous ne laretrouverez plus, et ne connaîtrez de votre union que les coups et lesinjures, des fleurs de la jeunesse que les piquerons et la folle graine.

Jeanne et Pierre avaient bien peur. Ils se tenaient la main et seserraient l'un contre l'autre sans oser respirer. Jeanne n'entendaitrien de ce que lui disait la méchante voix. Les paroles passaient dansson oreille comme une messe du diable dite au rebours du bon sens; maisPierre qui en savait plus long, écoutait, malgré sa peur, et comprenaitquasiment tout.

—La voix est laide, dit-il, j'en tombe d'accord; mais les mots ne sontpoints bêtes, et si tu m'en croyais, Jeanne, tu l'écouterais aussi.

—Que les paroles soient bêtes ou belles, je ne m'en soucie pas,répondit-elle. Elles me font peur, encore que je n'y comprend goutte;c'est quelqu'un qui se moque de nous parce que nous voilà tout seulsarrêtés en un lieu qui ne convient pas. Allons-nous-en vitement, monPierre. Cette personne là, vivante ou morte, ne nous veut que du mal.

—Non, Jeanne, elle nous veut du bien, car elle plaint le sort qui nousattend et si tu voulais bien comprendre ce qu'elle dit…

Là-dessus Pierre, se sentant poussé du diable, voulut retenir Jeanne quivoulait s'en aller, et le mauvais esprit se crut pour un moment le plusfort.

Mais il n'est pas donné à ces mauvaises engeances de faire aux bonschrétiens tout le mal qu'elles souhaitent. Le moine libertin, voyant quePierre trébuchait dans sa conscience, fut trop pressé de lui prendre sonâme. Il se mit à chanter dans sa voix de marais, disant: «Venez, venez,mes beaux enfants, il n'est pas besoin ici de cierges ni de témoins.S'il vous faut quelqu'un pour vous marier, je sais dire les vraiesparoles qu'il faut. Mettez-vous à genoux devant moi et vous aurez labénédiction de Belzébuth!

Disant cela, voilà le moine qui fait sortir de l'eau sa grosse têtecouverte d'un capuchon vaseux.—Sauvons-nous, dit Jeanne, voilà unegrosse loutre qui veut sauter après nous.—Non pas, dit Pierre, je lavirerai bien de mon bâton. Mais comme il se penchait sur l'eau pourregarder, il vit les yeux de feu du moine et puis sa barbe toute rempliede sangsues et de grenouilles, et puis son corps tout pourri, et puisses jambes desséchées, et puis ses deux grands bras tout ruisselants demousse et de fange qu'il déploya comme deux ailes sur la tête des deuxamoureux, pour les consacrer à Satan.

Mais Pierre, encore qu'il ne fût pas des plus poltrons, eut une si fièrepeur de voir le moine grandir, grandir, comme s'il eût voulu toucher lesnuées, qu'il se sauva, criant comme un essieu, courant comme un lièvreet tirant après lui la pauvre Jeanne, plus morte que vive, mais quipourtant ne se fit point prier pour passer la chaussée, les piedsmouillés et les cheveux au vent.

Et si bien coururent qu'ils arrivèrent au logis de leurs parents sansavoir une seule fois tourné la tête et sans avoir pris le temps de sedire un pauvre mot. Ils se marièrent dévotement huit jours après, sansavoir écouté les conseils du méchant moine qui fut, dit-on, si penaudd'avoir manqué son coup de filet, qu'il resta longtemps sans oserreparaître et tenter de nouveau la pêche aux âmes chrétiennes.

La croyance au moine bourru, qui s'en va, menaçant et plaintif, frapperaux portes des maisons durant la nuit, et qui ne se retire, auxapproches du jour, qu'en poussant des hurlements horribles, étaitproverbiale autrefois.

Elle s'est maintenue longtemps dans presque toutes les provinces deFrance. On a beaucoup de légendes sur les moines débauchés, et même surles curés qui ont manqué à leur vœu. Il est peu de presbytères qui nefussent encore hantés par ces âmes en peine, il y a une vingtained'années, et peu d'églises de campagne où n'ait été surprise cettefameuse messe expiatoire que le prêtre défunt vient essayer de dire àl'aube du jour et qu'il ne peut jamais achever, s'il ne trouve un vivantde bonne volonté qui ait le courage de lui répondreamen.

Les Flambettes

Ce sont des esprits taquins et pernicieux. Dès qu'elles aperçoivent unvoyageur, elles l'entourent, le lutinent et parviennent à l'exaspérer.Elles fuient alors, l'entraînant au fond des bois et disparaissent quandelles l'ont tout-à-fait égaré.

Maurice SAND.

Les flambeaux, ouflambettes, ouflamboires, que l'on appelle aussiles feux fous, sont ces météores bleuâtres que tout le monde arencontrés la nuit ou vu danser sur la surface immobile des eauxdormantes. On dit que ces météores sont inertes par eux-mêmes, mais quela moindre brise les agite, et ils prennent une apparence de mouvementqui amuse ou inquiète l'imagination, selon qu'elle est dépose à latristesse ou à la poésie.

Pour les paysans, ce sont des âmes en peine qui leur demandent desprières ou de méchantes âmes qui les entraînent dans une coursedésespérée et les mènent, après mille détours insidieux, au plus profondde l'étang ou de la rivière. Comme lelupeux et le follet, on lesentend rire toujours plus distinctement à mesure qu'elles s'emparent deleur proie et la voient s'approcher du dénouement funeste et inévitable.

Les croyances varient beaucoup sur la nature et l'intention plus oumoins mauvaises desflambettes. Il en est qui se contentent de vouségarer et qui, pour en venir à leurs fins, ne se gênent nullement pourprendre diverses apparences.

On raconte qu'un berger, qui avait appris à se les rendre favorables,les faisait venir et partir à son gré. Tout allait pour lui, sous leurprotection. Ses bêtes profitaient, et quant à lui, il n'était jamaismalade, dormait et mangeait bien, été comme hiver. Cependant, on le vittout à coup devenir maigre, jaune et mélancolique. Consulté sur la causede son ennui, il raconta ce qui suit.

Une nuit qu'il était couché dans sa cabane roulante, auprès de son parc,il fut éveillé par une grande clarté et par de grands coups frappés surle toit de son habitacle. Qu'est-ce que c'est donc, fit-il, tout surprisque ses chiens ne l'eussent pas averti. Mais, avant qu'il fut venu àbout de se lever, car il se sentait lourd et comme étouffé, il vitdevant lui une femme si petite, si petite, et si menue, et si vieillequ'il en eut peur, car aucune femme ne pouvait avoir une pareille tailleet un pareil âge. Elle n'était habillée que de ses longs cheveux blancsqui la cachaienttout entièrement et ne laissaient passer que sapetite tête ridée et ses petits pieds desséchés.

—Ça, mon garçon, fit-elle, viens avec moi, l'heure est venue.

—Quelle heure donc est venue? dit le berger tout déconfit.

—L'heure de nous marier, reprit-elle; ne m'as-tu pas promis le mariage?

—Oh! Oh; je ne crois pas! d'autant plus que je ne vous connais point etvous vois pour la première fois de ma vie.

—Tu en as menti, beau berger! Tu m'as vue sous ma forme lumineuse. Nereconnais-tu pas la mère des flambettes de la prairie? Et ne m'as-tu pasjuré, en échange des grands services que je t'ai rendus, de faire lapremière chose dont je te viendrais requérir?

—Oui, c'est vrai, mère Flambette; je ne suis pas un homme à reprendrema parole, mais j'ai juré cela à condition que ce ne serait aucune chosecontraire à ma foi de chrétien et aux intérêts de mon âme.

—Eh bien, donc! est-ce que je te viens enjôler comme une coureuse denuit? Est-ce que je ne viens pas chez toi décemment revêtue de ma bellechevelure d'argent fin, et parée comme une fiancée? C'est à la messe dela nuit que je te veux conduire, et rien n'est si salutaire pour l'âmed'un vivant que le mariage avec une belle morte comme je suis. Allons,viens-tu? Je n'ai pas de temps à perdre en paroles. Et elle fit mined'emmener le berger hors de son parc. Mais il recula tout effrayé,disant:—Nenni, ma bonne dame, c'est trop d'honneur pour un pauvre hommecomme moi, et d'ailleurs j'ai fait vœu à saint Ludre, mon patron, d'êtregarçon le restant de mes jours.

Le nom du saint, mêlé au refus du berger, mit la vieille en fureur. Ellese prit à sauter en grondant comme une tempête et à faire tourbillonnersa chevelure qui, en s'écartant, laissa voir son corps noir et velu. Lepauvre Ludre (c'était le nom du berger) recula d'horreur en voyant quec'était le corps d'une chèvre, avec la tête, les pieds et les mainsd'une femme caduque.

—Retourne au diable, la laide sorcière! s'écria-t-il; je te renie et teconjure au nom du…

Il allait faire le signe de la croix, mais il s'arrêta jugeant quec'était inutile, car au seul geste de sa main la diablesse avaitdisparu, et il ne restait d'elle qu'une petite flammette bleue quivoltigeait en dehors du parc.

—C'est bien, dit le berger, faites le flambeau tant qu'il vous plaira,cela m'est fort égal, et je me moque de vos clartés et de vos singeries.

Là-dessus, il se voulut recoucher; mais voilà que ses chiens qui,jusque-là, étaient restés comme charmés, se prirent à venir sur lui engrondant et montrant les dents comme s'ils le voulaient dévorer, ce quile mit fort en colère contre eux et, prenant son bâton ferré, il lesbattit comme ils le méritaient pour leur mauvaise garde et leur méchantehumeur.

Les chiens se couchèrent à ses pieds en tremblant et en pleurant. On eûtdit qu'ils avaient regret de ce que le mauvais esprit les avait forcésde faire. Ludre les voyant apaisés et soumis, se mettait en devoir de serendormir, lorsqu'il les vit se relever comme des bêtes furieuses et sejeter sur son troupeau. Il y avait là deux cents ouailles qui se prirentde peur et de vertige, sautèrent comme des diables par-dessus la clôturedu parc et s'enfuirent à travers champs, courant comme si elles eussentété changées en biches, tandis que les chiens tournés à la rage commedes loups, les poursuivaient en leur mordant les jambes et en leurarrachant la laine qui s'envolait en nuées blanches sur les buissons.

Le berger bien en peine, ne prit pas le temps de remettre ses soulierset sa veste, qu'il avait posés à cause de la grande chaleur. Il se mit àcourir après son troupeau, jurant après ses chiens qui ne l'écoutaientpoint et couraient de plus belle, hurlant comme chiens courants qui ontlevé le lièvre, et chassant devant eux le troupeau effarouché.

Et tant coururent, ouailles, chiens et berger, que le pauvre Ludre fitau moins douze lieues autour de lamare aux flambettes, sans pouvoirrattraper son troupeau, ni arrêter ses chiens qu'il eût tués de bon cœurs'il eût pu les atteindre.

Enfin le jour venant à poindre, il fut bien étonné de voir que lesouailles qu'il croyait poursuivre n'étaient autre chose que des petitesfemmes blanches, longues et menues, qui filaient comme le vent et qui nesemblaient point se fatiguer plus que ne se fatigue le vent lui-même.Quant à ses chiens, il les vitmuées en deux grosses coares (corbeaux)qui volaient de branche en branche en croassant.

Assuré alors qu'il était tombé dans un sabbat, il s'en retourna toutéreinté et tout triste à son parc, où il fut bien étonné de retrouverson troupeau dormant sous la garde de ses chiens, lesquels vinrent audevant de lui pour le caresser.

Il se jeta alors sur son lit et dormit comme une pierre. Mais lelendemain, au soleil levé, il compta ses bêtes à laine et en trouva unede moins qu'il eut beau chercher.

Le soir, un bûcheron qui travaillait autour de la mare aux flambettes,lui rapporta sur son âne la pauvre brebis noyée, en lui demandantcomment il gardait ses bêtes, et en lui conseillant de ne pas dormir sidur s'il voulait garder sa bonne renommée de berger et la confiance deses maîtres.

Le pauvre Ludre eut bien du souci d'une affaire à quoi il ne comprenaitrien, et qui, par malheur pour lui, recommença d'une autre manière lanuit suivante.

Cette fois, il rêva qu'une vieille chèvre, à grandes cornes d'argent,parlait à ses ouailles et qu'elles la suivaient, en galopant et sautantcomme des cabris autour de la grand'mare. Il s'imagina que ses chiensétaientmués en bergers, et lui-même en un bouc que ces bergersbattaient et forçaient à courir.

Comme la veille, il s'arrêta à lapiquée du jour, reconnut lesflambettes blanches qui l'avaient déjà abusé, revint, trouva touttranquille dans son parc, dormit tombant de fatigue, puis se leva tard,compta ses bêtes et en trouva encore une de moins.

Cette fois, il courut à la mare et trouva la bête en train de se noyer.Il la retira de l'eau, mais elle n'était plus bonne qu'à écorcher. Ceméchant métier durait depuis huit jours. Il manquait huit bêtes autroupeau et Ludre, soit qu'il courut en rêve comme un somnambule, soitqu'il rêvât dans la fièvre qu'il avait les jambes en mouvement etl'esprit en peine, se sentait si las et si malade qu'il en pensaitmourir.

—Mon pauvre camarade, lui dit un vieux berger très savant, à qui ilcontait ses peines, il te faut épouser la vieille, ou renoncer à tonétat.

Je connais cette bique aux cheveux d'argent pour l'avoir vue lutiner unde nos anciens, qu'elle a fait mourir de fièvre et de chagrin. Voilàpourquoi je n'ai jamais voulu frayer avec les flambettes, encorequ'elles m'aient fait bien des avances, et que je les aie vu danser enbelles jeunes filles autour de mon parc.

—Et sauriez-vous me donner un charme pour m'en débarrasser? dit Ludretout accablé.

—J'ai ouï dire, répondit le vieux, que celui qui pourrait couper labarbe à cette maudite chèvre la gouvernerait à son gré; mais on y risquegros, à ce qu'il paraît, car si on lui en laisse seulement un poil, ellereprend sa force et vous tord le cou.

—Ma foi, j'y tenterai tout de même, reprit Ludre, car autant vaut ypérir que de m'en aller enlanguition comme j'y suis.

La nuit suivante, il vit la vieille en figure de flambette approcher desa cabane, et il lui dit:

—Viens çà, la belle des belles, et marions-nous vitement. Quelle fut lanoce, on ne l'a jamais su; mais sur minuit, la sorcière étant bienendormie, Ludre prit les ciseaux à tondre les moutons et, d'un seulcoup, lui trancha si bien la barbe, qu'elle avait le menton tout à nu etil fut content de voir que ce menton était rose et blanc comme celuid'une jeune fille. Alors l'idée lui vint de tondre ainsi toute sachèvre épousée, pensant qu'elle perdrait peut-être toute sa laideur etsa malice avec sa toison.

Comme elle dormait toujours ou faisait semblant, il n'eut pasgrand'peine à faire cette tondaille. Mais quand ce fut fini, ils'aperçut qu'il avait tondu sa houlette et qu'il se trouvait seul,couché avec ce bâton de cormier.

Il se leva bien inquiet de ce que pouvait signifier cette nouvellediablerie, et son premier soin fût de compter ses bêtes qui setrouvèrent au nombre de deux cents, comme si aucune ne se fût jamaisnoyée.

Alors, il se dépêcha de brûler tout le poil de la chèvre et de remercierle bon saint Ludre, qui ne permit plus aux flambettes de letourmenter[14].

Lubins ou Lupins

Les lupins (ou lubins) sont des animaux fantastiques qui, la nuit, setiennent debout le long des murs et hurlent à la lune. Ils sont trèspeureux, et si quelqu'un vient à passer, ils s'enfuient en criant:Robert est mort, Robert est mort!

Maurice SAND.

Il ne faut pas trop regarder les grands murs blancs au crépuscule,encore moins au clair de la lune. On pourrait y voirla hure. EnNormandie et dans plusieurs autres provinces,la hure se promène lelong des treilles, on ne sait guère à quelle intention, si ce n'est pourempêcher les enfants d'aller voler le raisin. Elle serait donc au nombrede ces esprits gardiens qui descendent en droite ligne, ainsi que lesautres fadets domestiques, des lares vénérés de l'antiquité.

Quoi qu'il en soit,la hure est fort vilaine et il y aurait de quoimourir de peur si on s'obstinait à étudier son profil reflété sur lesmurailles. Les Grecs et les Romains avaient l'imagination riante; ilspeuplaient de charmantes divinités les arbres, les eaux et les prairies.Le moyen-âge a assombri toutes ces bénignes apparitions. Lecatholicisme, ne pouvant extirper la croyance, s'est hâté de lesenlaidir et d'en faire des démons et des bêtes, pour détourner leshommes du culte des représentants de la matière.

Cependant, il n'a pas réussi à les rendre tous haïssables et pernicieux,et bon nombre des esprits de la nuit sont demeurés inoffensifs. C'estbien assez qu'ils aient consenti à revêtir des formes bizarres etrepoussantes qui les empêchent de séduire les humains.

Les lubins sont de cette famille. Esprits chagrins, rêveurs et stupides,ils passent leur vie à causer dans une langue inconnue, le long des mursdes cimetières. En certains endroits on les accuse de s'introduire dansle champ du repos et d'y ronger les ossements. Dans ce dernier cas, ilsappartiennent à la race des lycanthropes et des garous, et doivent êtreappeléslupins. Mais chez leslubins, les mœurs s'adoucissent avecle nom. Ils ne font aucun mal et prennent la fuite au moindre bruit.[15]

Cependant, il ne vaudrait rien de s'aboucher avec eux. Ils ont uncertain mystère à l'endroit de Robert-le-Diable ou de tout autre Robertdont on n'a pu saisir la légende, et ce mystère a peut-être pourchâtiment l'humiliation d'une figure horrible et l'angoisse du perpétueltourment de la peur.

Sont-ils les descendants desfameux frères lubins et loups-garous deRabelais? Qui sera assez épris de ces recherches étymologiques pouraller de leur demander?

Je ne sais si c'est aux lupins que le petit tailleur bossu deSaint-Bault eut affaire. On le croirait, d'après les circonstances deson histoire. La voici telle que j'ai pu la recueillir.

Un soir que notre bossu passait le long du cimetière, il y vit une banded'esprits en forme de laides bêtes qui ressemblaient à des chiens noirsou à des loups et que, pour faciliter notre récit, nous appelleronslupins bien qu'ils ne nous aient été désignés sous aucun nomparticulier. Soit que ces esprits-bêtes fussent d'une race plus hardieque les lubins et lupins ordinaires, soit que le tailleur fût si laid,si laid, qu'il ne leur fit pas l'effet d'un chrétien, ils ne bougèrenttout le temps qu'il passa devant eux. Ils se contentèrent de le regarderavec leurs yeux qui brillaient comme dusang de feu, et à ouvrir leursvilaines gueules qui avaient si mauvaise haleine que le tailleur en futempesté.

Pourtant, comme il avait grand'peur, ne les ayant aperçus que lorsqu'ilétait au milieu de la file, et qu'il avait autant de chemin à faire pourreculer que pour avancer, il n'osa point risquer de les offenser en sebouchant le nez; il passa en faisant le gros dos, encore plus qu'il n'enavait l'habitude.

Ce dos courbé plut aux lupins, qui s'imaginèrent que c'était une manièrede les saluer, et comme ils n'ont pas l'habitude de voir des gens sihonnêtes avec eux, ils en furent fiers et se mirent à tirer tous lalangue et à remuer la queue comme des chiens, ce qui est apparemmentaussi pour eux un signe de contentement et de fierté.

Le tailleur essaya de raconter son aventure; mais tous ses voisins semoquèrent de lui, disant qu'il pouvait bien rencontrer le diable enpersonne et le faire fuir, vu qu'il était encore le plus vilain desdeux.

Comme notre bossu allait en journée à une métairie qui était à troisbonnes portées de fusil du village, et qu'il avait à revenir par lechemin qui longe le cimetière, il se sentit envie de coucher où ilétait. Mais le métayer lui dit en ricanant: «Non pas, non pas, tu es uncompère trop à craindre pour les femmes d'une maison, je ne dormiraispas tranquille, te sachant si près de mes filles. Si tu as peur pourt'en aller, un de mes gars te fera la conduite. Bois un coup enattendant, car quand ton aiguille s'arrête, ta langue trotte d'une façondivertissante et l'on a du plaisir à écouter tababille

En effet, le bossu était beau diseur et plaisant. Le vin du métayerétait bon, et notre homme s'oublia jusqu'à dix heures du soir en sibonne compagnie. Quand il fallut s'en aller, il ne se trouva personnepour le conduire, tous les gars dormaient debout et, quant à lui, il sesentait si bien réconforté par la boisson, qu'il ne craignit plus de semettre seul en route.

Il arriva sans peur jusqu'au grand mur, se persuadant qu'il avait rêvéce qu'il avait vu la veille et regardant de tous ses yeux, avec laconfiance qu'éclaircis par le vin, ils ne verraient plus rien quel'ombre des arbres, jetée sur le mur blanc par la lune et agitée parl'air de la nuit.

Mais il vit les lupins dressés debout devant le mur, absolument comme laveille. Allons! se dit le pauvre bossu, ils y sont encore! Tant pis etcourage! S'ils ne me font pas plus de mal qu'hier, je n'en mourrai pas.Et il se mit à siffler une chanson, pensant que ces bêtes, ravies del'entendre, se mettraient en frais de politesse avec lui, en tirant lalangue et remuant la queue.

Mais ce sifflement, loin de les charmer, paru les inquiéter beaucoup,car l'un d'eux se détacha de la muraille, se mit à quatre pattes et, lesuivant, encore qu'il marchât vite, le flaira à l'endroit où les chiensont coutume de se flairer les uns les autres, pour savoir s'ils doiventêtre ennemis ou compagnons.

Puis vint un second qui en fit autant, et un troisième, et un autre, ettous l'un après l'autre; si bien qu'avant d'avoir dépasser le mur, letailleur avait toutes ces bêtes à ses braies et ne sachant point sielles le voulaient manger ou fêter, il sentait ses jambesdevenirmolles comme des pattes de cousin. On pense bien qu'il n'avait plusenvie de siffler ni chanter. Cependant il avançait toujours, ayant ouïdire que ces bêtes ne quittaient pas la longueur du mur où elles avaientcoutume de faire la veillée, et il n'avait plus qu'environ cinq ou sixpas à franchir, quand elles se mirent toutes devant lui, debout,grondant, puant la rage, et montrant des crocs jaunes à faire lever lecœur.

—Messieurs, Messieurs, laissez-moi passer, dit le pauvre tailleur endétresse. Je ne vous veux point de mal, ne m'en faites donc point.

Mais les lupins grognaient de plus belle et même rugissaient comme deslions. Il semblait que la voix humaine les eût mis en grand émoi et enmauvaise colère.

Tout à coup, le tailleur eut une idée:—Messieurs, fit-il, ne me mangezpoint! Je suis maigre et vilain comme vous voyez! Si vous m'épargnez, jejure de vous apporter ici, demain, un mouton gras dont vous vouslécherez les babines.

Aussitôt les lupins se remirent sur leurs quatre pattes sans mot dire,et le tailleur passa, toujours courant, sans regarder derrière lui.

Il se jeta au lit, tout transi de peur, et eut la fièvre huit joursdurant sans pouvoir sortir du lit, battant la campagne, et toujourss'imaginant de voir des loups ou des chiens enragés après lui, si bienqu'on fit venir Monsieur le Curé, pour tâcher de le tranquilliser.

Mais quand le curé l'eut confessé de sa peine et bien grondé d'avoir étési lâche que de promettre un bon mouton à ces sales diables, on entenditautour de la maison du tailleur des hurlements abominables, et tout levillage put voir sur les murs de cette maison, non pas le corps deslupins, ils n'eussent osé venir si près d'un lieu où était le curé de laparoisse, mais leur ombre si bien dessinée que les cheveux en dressaientsur la tête et que le sang était glacé dans le cœur. On eût dit que celapassait en nuages sur la lune, et on les voyait remuer, sauter, gratterla terre et se mordiller les uns les autres, en figures aussi nettesqu'une image peinte, sur le pignon du tailleur, voire sur les maisonsvoisines.

Et cela revint tous les soirs durant toute la semaine, de quoi tout lemonde, et mêmement M. le Curé, fut très effrayé.

Pourtant le bossu, qui n'était pas bête, voyant qu'il y avait là de ladiablerie et que les exorcismes de Monsieur le Curé ne pouvaient riencontre des apparences qui n'avaient point de corps, résolut d'attirerles lupins en personne au moyen d'un piège, et dès qu'il fut en état dese lever, il se fit prêter un beau mouton gras qu'il attacha le soir,devant sa porte. Puis ayant prévenu le Curé de se tenir là tout prêtavec son goupillon et tous les voisins de se cacher sous le buisson deson jardin, avec leurs fusils bien chargés de balles bénites, ilcommença de faire bêler le mouton en lui montrant de la feuille verte,placée trop loin de lui pour qu'il pût y toucher.

Alors les lupins entendant cela, ne purent se tenir de quitter leur muret de venir, à petits pas de loups, jusqu'en vue de la maison, où ilsfurent si bien reçus qu'ils se sauvèrent tous, sauf une vieille femellequi reçut une balle dans le cœur et tomba par terre en criant d'une voixhumaine:La lune est morte, la lune est morte!

On ne sut jamais ce qu'elle avait voulu dire, sinon qu'elle avait unelune blanche au front et que, dans la bande, elle portait peut-être lenom de lalune. On lui coupa la tête et les pattes qui ont été vueslongtemps clouées sur la porte du cimetière de Saint-Bault, et où jamaisles lupins n'ont osé reparaître depuis[16].

[1:La Normandie romanesque et merveilleuse, par Mlle Amélie Bosquet.]

[2: Voyez pour ces mystérieux vestiques l'Histoire du Berry, par M.Raynal, etc.]

[3: On ne s'accorde pas sur l'étymologie des fameuses pierres jomatres,de Boussac: les uns disentjo-math, celte, les autresjovismatri,latin.]

[4: Près d'Aigurande, une pierre-levée s'appelle la pierre à la marte.Elle est très redoutée.]

[5: Nous en vîmes.]

[6: Fatigués à force de sauter.]

[7: On verra, plus tard, une certaine analogie entre cette croyance etcelle duChien de Monthulé.]

[8: George Sand:Légendes rustiques (A. Morel et Cie, 1858).]

[9: En Normandie, Mlle Amélie Bosquet nous apprend qu'on le retrouve àchaque pas et même sous le nom peut-être celtique deGerguintua.]

[10: Espèce de gril en tôle pour faire cuire les galettes.]

[11: Le paysan bas-normand, auteur de cette légende, dit l'auteur qui larapporte, ne se doutait guère qu'il imitait Homère.]

[12: Le vergne est l'aune des prairies. Quand on le coupe, son bois estd'un rouge de sang.]

[13: La lande.]

[14: George Sand:Légendes rustiques (A. Morel et Cie, Paris, 1858).]

[15: En certaines localités lelubin est un très bon diable quiprotège les laboureurs.]

[16: George Sand:Légendes rustiques (A. Morel et Cie, Paris, 1858).]

*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LÉGENDES RUSTIQUES ***
Updated editions will replace the previous one—the old editions willbe renamed.
Creating the works from print editions not protected by U.S. copyrightlaw means that no one owns a United States copyright in these works,so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the UnitedStates without permission and without paying copyrightroyalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use partof this license, apply to copying and distributing ProjectGutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,and may not be used if you charge for an eBook, except by followingthe terms of the trademark license, including paying royalties for useof the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything forcopies of this eBook, complying with the trademark license is veryeasy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creationof derivative works, reports, performances and research. ProjectGutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you maydo practically ANYTHING in the United States with eBooks not protectedby U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademarklicense, especially commercial redistribution.
START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE

PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the freedistribution of electronic works, by using or distributing this work(or any other work associated in any way with the phrase “ProjectGutenberg”), you agree to comply with all the terms of the FullProject Gutenberg™ License available with this file or online atwww.gutenberg.org/license.
Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™electronic works
1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™electronic work, you indicate that you have read, understand, agree toand accept all the terms of this license and intellectual property(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by allthe terms of this agreement, you must cease using and return ordestroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in yourpossession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to aProject Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be boundby the terms of this agreement, you may obtain a refund from the personor entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only beused on or associated in any way with an electronic work by people whoagree to be bound by the terms of this agreement. There are a fewthings that you can do with most Project Gutenberg™ electronic workseven without complying with the full terms of this agreement. Seeparagraph 1.C below. There are a lot of things you can do with ProjectGutenberg™ electronic works if you follow the terms of thisagreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™electronic works. See paragraph 1.E below.
1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“theFoundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collectionof Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individualworks in the collection are in the public domain in the UnitedStates. If an individual work is unprotected by copyright law in theUnited States and you are located in the United States, we do notclaim a right to prevent you from copying, distributing, performing,displaying or creating derivative works based on the work as long asall references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hopethat you will support the Project Gutenberg™ mission of promotingfree access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™works in compliance with the terms of this agreement for keeping theProject Gutenberg™ name associated with the work. You can easilycomply with the terms of this agreement by keeping this work in thesame format with its attached full Project Gutenberg™ License whenyou share it without charge with others.
1.D. The copyright laws of the place where you are located also governwhat you can do with this work. Copyright laws in most countries arein a constant state of change. If you are outside the United States,check the laws of your country in addition to the terms of thisagreement before downloading, copying, displaying, performing,distributing or creating derivative works based on this work or anyother Project Gutenberg™ work. The Foundation makes norepresentations concerning the copyright status of any work in anycountry other than the United States.
1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
1.E.1. The following sentence, with active links to, or otherimmediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appearprominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any workon which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which thephrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,performed, viewed, copied or distributed:
This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online atwww.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work isderived from texts not protected by U.S. copyright law (does notcontain a notice indicating that it is posted with permission of thecopyright holder), the work can be copied and distributed to anyone inthe United States without paying any fees or charges. If you areredistributing or providing access to a work with the phrase “ProjectGutenberg” associated with or appearing on the work, you must complyeither with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 orobtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is postedwith the permission of the copyright holder, your use and distributionmust comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and anyadditional terms imposed by the copyright holder. Additional termswill be linked to the Project Gutenberg™ License for all worksposted with the permission of the copyright holder found at thebeginning of this work.
1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™License terms from this work, or any files containing a part of thiswork or any other work associated with Project Gutenberg™.
1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute thiselectronic work, or any part of this electronic work, withoutprominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 withactive links or immediate access to the full terms of the ProjectGutenberg™ License.
1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, includingany word processing or hypertext form. However, if you provide accessto or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a formatother than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the officialversion posted on the official Project Gutenberg™ website(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expenseto the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a meansof obtaining a copy upon request, of the work in its original “PlainVanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include thefull Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1.
1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ worksunless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providingaccess to or distributing Project Gutenberg™ electronic worksprovided that:
1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a ProjectGutenberg™ electronic work or group of works on different terms thanare set forth in this agreement, you must obtain permission in writingfrom the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager ofthe Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as setforth in Section 3 below.
1.F.
1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerableeffort to identify, do copyright research on, transcribe and proofreadworks not protected by U.S. copyright law in creating the ProjectGutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™electronic works, and the medium on which they may be stored, maycontain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurateor corrupt data, transcription errors, a copyright or otherintellectual property infringement, a defective or damaged disk orother medium, a computer virus, or computer codes that damage orcannot be read by your equipment.
1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Rightof Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the ProjectGutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the ProjectGutenberg™ trademark, and any other party distributing a ProjectGutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim allliability to you for damages, costs and expenses, including legalfees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICTLIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSEPROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THETRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BELIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE ORINCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCHDAMAGE.
1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover adefect in this electronic work within 90 days of receiving it, you canreceive a refund of the money (if any) you paid for it by sending awritten explanation to the person you received the work from. If youreceived the work on a physical medium, you must return the mediumwith your written explanation. The person or entity that provided youwith the defective work may elect to provide a replacement copy inlieu of a refund. If you received the work electronically, the personor entity providing it to you may choose to give you a secondopportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. Ifthe second copy is also defective, you may demand a refund in writingwithout further opportunities to fix the problem.
1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forthin paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NOOTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOTLIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain impliedwarranties or the exclusion or limitation of certain types ofdamages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreementviolates the law of the state applicable to this agreement, theagreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer orlimitation permitted by the applicable state law. The invalidity orunenforceability of any provision of this agreement shall not void theremaining provisions.
1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, thetrademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyoneproviding copies of Project Gutenberg™ electronic works inaccordance with this agreement, and any volunteers associated with theproduction, promotion and distribution of Project Gutenberg™electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,including legal fees, that arise directly or indirectly from any ofthe following which you do or cause to occur: (a) distribution of thisor any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, oradditions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) anyDefect you cause.
Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™
Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution ofelectronic works in formats readable by the widest variety ofcomputers including obsolete, old, middle-aged and new computers. Itexists because of the efforts of hundreds of volunteers and donationsfrom people in all walks of life.
Volunteers and financial support to provide volunteers with theassistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’sgoals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection willremain freely available for generations to come. In 2001, the ProjectGutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secureand permanent future for Project Gutenberg™ and futuregenerations. To learn more about the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation and how your efforts and donations can help, seeSections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit501(c)(3) educational corporation organized under the laws of thestate of Mississippi and granted tax exempt status by the InternalRevenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identificationnumber is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation are tax deductible to the full extent permitted byU.S. federal laws and your state’s laws.
The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and upto date contact information can be found at the Foundation’s websiteand official page at www.gutenberg.org/contact
Section 4. Information about Donations to the Project GutenbergLiterary Archive Foundation
Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespreadpublic support and donations to carry out its mission ofincreasing the number of public domain and licensed works that can befreely distributed in machine-readable form accessible by the widestarray of equipment including outdated equipment. Many small donations($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exemptstatus with the IRS.
The Foundation is committed to complying with the laws regulatingcharities and charitable donations in all 50 states of the UnitedStates. Compliance requirements are not uniform and it takes aconsiderable effort, much paperwork and many fees to meet and keep upwith these requirements. We do not solicit donations in locationswhere we have not received written confirmation of compliance. To SENDDONATIONS or determine the status of compliance for any particular statevisitwww.gutenberg.org/donate.
While we cannot and do not solicit contributions from states where wehave not met the solicitation requirements, we know of no prohibitionagainst accepting unsolicited donations from donors in such states whoapproach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot makeany statements concerning tax treatment of donations received fromoutside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
Please check the Project Gutenberg web pages for current donationmethods and addresses. Donations are accepted in a number of otherways including checks, online payments and credit card donations. Todonate, please visit: www.gutenberg.org/donate.
Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works
Professor Michael S. Hart was the originator of the ProjectGutenberg™ concept of a library of electronic works that could befreely shared with anyone. For forty years, he produced anddistributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network ofvolunteer support.
Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printededitions, all of which are confirmed as not protected by copyright inthe U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do notnecessarily keep eBooks in compliance with any particular paperedition.
Most people start at our website which has the main PG searchfacility:www.gutenberg.org.
This website includes information about Project Gutenberg™,including how to make donations to the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how tosubscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

[8]ページ先頭

©2009-2025 Movatter.jp