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Libération
Critique

Desplechin, déroulez jeunesse

«Trois Souvenirs de ma jeunesse», superbe nouvel épisode de la vie de Paul Dédalus.

Jeunes et pas jaunis.(Photo Jean-Claude Lother. Why not prod)
Publié le 15/05/2015 à 21h46

François Truffaut avait Antoine Doinel, Arnaud Desplechin a Paul Dédalus. Ce personnage, au patronyme emprunté à James Joyce, on l'a rencontré en 1996 avecComment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) où il était un prof de philo trentenaire, normalien et sur-psychanalysé, empêtré dans ses histoires d'amour. Et puis, il est apparu en adolescent confus dansUn conte de Noël en 2008. Desplechin n'est pas Truffaut, et son héros incarne bien son cinéma sinueux et complexe, parfois volubile. Il n'y a, comme chez Hugo Pratt, aucune trajectoire biographique figée, ni parcours qui défilerait avec logique comme tombent des dominos. Paul Dédalus est le personnage principal deTrois Souvenirs de ma jeunesse. Adulte, il est joué, comme dansComment je me suis disputé par Mathieu Amalric. Jeune homme, c'est le velouté Quentin Dolmaire qui endosse le rôle(lire son portrait dans Libération de vendredi) et à qui le cinéaste a demandé de regarderBaisers volés avant le tournage.

Prête-nom. A quoi correspond le «ma» du titre ? A qui appartient cette jeunesse, à Paul Dédalus ou à Arnaud Desplechin ? Qui sait ? Au fil de sa filmographie, la biographie du cinéaste nous est devenue familière, quasi intime. On en connaît le décor, l'ancrage roubaisien, les rues de brique orange ou le lycée Baudelaire, les personnages (la mère honnie, la tante adorée, la bande de potes-cousins), les mystères (les garçons qui s'échangent les filles, le judaïsme fantasmé). Paul Dédalus pourrait être une anagramme d'Arnaud Desplechin, c'est son prête-nom.

C’est justement une question de nom qui donne au film son souffle premier, le démarrage de cette haletante péripétie dans l’intime. Après des années passées au Tadjikistan - pour y faire quoi ? on ne sait pas vraiment - , le héros revient en France et, arrêté par la police des frontières, se voit informer qu’un autre Paul Dédalus existe quelque part, un Russe réfugié en Israël et mort en Australie. Face au constat d’une identité parallèle, il se met à sonder la sienne, se penche sur ses souvenirs. Trois chapitres, qui graduellement montent en ampleur et en durée, façonnent le personnage, depuis sa petite enfance où il s’oppose à une mère folle et incohérente qui meurt vite et laisse la fratrie Dédalus avec un père (l’intrigant Olivier Rabourdin) incapable d’exprimer la moindre émotion. Le film suit la trajectoire brouillée du garçon qui devient homme.

AvecTrois Souvenirs de ma jeunesse,se profile la volonté d'Arnaud Desplechin de fabriquer, si ce n'est un chef-d'œuvre, une somme, un monument à son héros (donc lui-même) mais aussi à son cinéma. S'entrecroisent des fragments de ses films passés, des décors, bribes de dialogues, atmosphères ou intonations dela Sentinelle,Rois et Reineoul'Aimée… Mais dans ce vaste corpus, la vie fictionnelle de Dédalus imbriquée à sa filmographie, Desplechin trace une ligne incroyablement claire. Il fait de ce Roubaix grisâtre un Moulinsart d'où partir à l'aventure.

Passeport.Le cinéaste n'est jamais aussi juste que dans son traitement de l'adolescence. Plutôt que de la décrire, façon documentariste, il la réinvente, offre à ses héros un romanesque que l'on aurait adoré vivre. A l'occasion d'un voyage scolaire en URSS, Paul cache de l'argent dans ses valises et le livre à des juifs qui rêvent de fuir en Israël. Lors de cette mission de petit agent secret, il donne son passeport à un jeune homme partant pour l'exil. Ce dédoublement initial, qui intrigue les douaniers des décennies plus tard, l'accompagne secrètement dans sa formation, lui offre un «ailleurs» intime. DansComment je me suis disputé…, Paul adulte se souvenait d'un roman d'aventures de pirates, entamé dans sa chambre. Même si les amarres sont vissées au port d'attache nordiste (un personnage lance d'ailleurs«Roubaix est ma malédiction»), Desplechin ose faire du Stevenson. Il fait étudier l'ethnologie à son héros, envoie son film à la découverte des derniers mondes inconnus, dans les cafés tapissés de cette Asie centrale, l'un des derniers pôles d'exotisme d'un monde mondialisé.

Passion. Les déplacements géographiques queTrois Souvenirs de ma jeunesse met en place ou imagine ne sont rien à côté d'un encore plus grand voyage. Ça peut paraître niais, trop simple, déjà traité dans tous les sens, mais cette envolée-là, c'est celle du premier amour : Esther, une jeune femme belle et légère. Une annonce publiée dansNord éclair au moment du casting en mai 2014 définissait le rôle ainsi :«Arrogante, voluptueuse. Elle a son franc-parler et une belle assurance.» Lou Roy-Lecollinet (autre merveille révélée par Desplechin) est cette fille-là, obsédant Paul et affolant son entourage. Pendant plusieurs années, le couple s'aime passionnément, se déchire, se rabiboche, se trompe, ne s'oublie jamais. Est filmée la passion adolescente dans ce qu'elle a de plus grandiose et de tragique. A la fois une liberté, qui aide à se construire, à devenir sujet, et un poids dont on ne sait que faire une fois adulte. La jeunesse chez Desplechin consiste moins en la nostalgie de ce qui a été qu'en un regard déchirant sur un passé parallèle, sur des vies non avenues. Esther (illuminée par la chef op Irina Lubtchansky) a les cheveux blonds qui scintillent, son visage charnu avale le cadre. Elle est magnifique, mais sa beauté n'est pas celle d'une vie réelle, c'est celle, imbattable et indépassable, d'un souvenir.

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