Lesvins des papes d'Avignon sont ceux choisis par lesneuf pontifes de cette cité pour approvisionner leur table et celles de la Cour pontificale. En effet, au début duXIVe siècle, pour fuir la lutte entreGuelfes etGibelins, la papauté délaissaRome et s’installa sur les rives du Rhône àAvignon. Pour certains, commePétrarque, commença dès lorsl’exil de Babylone et le poète vauclusien n’eut pas de termes assez vifs pour décrireAvignon, sentine de tous les vices.
Quant aux cardinaux et à la Curie, nul n’avait l’intention d’abandonnerla splendide cité etla douce Provence, terre qui est la beauté du monde ! Il faut dire que beaucoup craignaient de ne pas retrouver en Italie les vins tant appréciés en Avignon. Depuis la remarquable étude d’Yves Renouard, surLa consommation des grands vins du Bourbonnais et de Bourgogne à la Cour pontificale d’Avignon, il est de bon ton de dire, écrire et affirmer que les pontifes avignonnais se régalèrent uniquement de vins de Saint-Pourçain et de Beaune[1].
Ce que n’a jamais expliqué ni laissé entendre ce savant universitaire. En fait, durant tout un siècle, de1309 à1404[N 1], les neuf papes d’Avignon ont eu des goûts bien précis en matière de vins et privilégièrent la culture des vignobles qu’ils appréciaient le plus.
Il suffit d’ailleurs de se plonger dans les comptes de laRévérende Chambre Apostolique (le ministère des finances pontificales) pour s’en persuader. Ils démontrent d’abord que la consommation des vins à la Cour pontificale était d’importance. Elle atteignait environ deux litres et demi par jour et par personne. À titre de comparaison celle des ordres monastiques plafonnait, si l’on peut dire, à quatre-tiers de litres tandis que le populaire se contentait de trois-quarts de litre.
Originaire de la région deBordeaux dont il avait été l’archevêque,Bertrand de Got, vers1300, avait fait planter àPessac une vigne qui depuis est devenu leChâteau Pape Clément[2],[3].
Élu par le Sacré Collège réuni àPérouse, il quitta laGuyenne pour se faire couronner àLyon en. Derrière lui suivaient vingt tonneaux[N 2]de vin nouveau, don du roi d’Angleterre[2]. Clément resta longtemps fidèle au claret d’Aquitaine, région qu’il abandonna en 1309 pour s’établir dans leComtat Venaissin, territoire pontifical depuis trente-cinq ans[4].
Il s’installa au pied duVentoux, àMalaucène, près de la fontaine du Groseau, où il fit planter le premier vignoble pontifical[5].
Après deux années de siège vacant,Jacques Duèze, natif deCahors, cardinal de Porto, fut élu pape lors d’un conclave réuni à Lyon. Il établit la Cour pontificale à Avignon, dont il avait été évêque, et l’approvisionna de vins du Rhône et de toute la région[4].
Il fit venir sonvin nouveau deTournon (Hermitage), desCostières (Saint-Gilles,Nîmes,Beaucaire avec son cru renommé deCante-Perdrix), de la Provence (Aix,Saint-Rémy,Noves), de laCôte du Rhône (Roquemaure,Saint-Laurent-des-Arbres), du Comtat Venaissin (Carpentras), de l’État d’Avignon (Bédarrides) et de l’Enclave des Papes (Valréas)[4].
Sonvin vieux provenait de Malaucène dont le vignoble fournissait chaque année sept saumées[N 3] de vin liquoreux[4].
Le pape Jean fut à l’origine du vignoble deChâteauneuf-du-Pape[N 4](nommé Calcernier à l’époque), où en1317 fut planté le premier vignoble pontifical par ses compatriotes deCahors[4].
Surnommé lecardinal blanc, le cistercienJacques Fournier étaitévêque de Pamiers etde Mirepoix avant de devenir Prince de l’Église. Élu pape, il fit connaître, le, son intention de retourner en Italie, àBologne, mais la tiède réaction de cette cité le fit renoncer[4].
Le Souverain Pontife se le tint pour dit et ancra encore plus radicalement la papauté en Avignon en faisant venir les archives duLatran et en décidant la construction du premierpalais des papes dominé par laTour du Trouillas (du pressoir)[4].
Homme austère et sévère, il garnit sa table uniquement des vins de la rive droite du Rhône[4].Pétrarque – qui ne l’aimait pas – le définit comme univrogne invétéré et, dépité, se retira à lafontaine de Vaucluse. Là, le chantre deLaure de Sade ne dédaigna pas le vin[6].
Nous savons par l'une de ses lettres, adressée à son ami Jacques Colonna,évêque de Lombez, que le poète y avait consacréun jardin à Apollon, pour cultiver sa muse, et un autre à Bacchus, pour cultiver sa vigne[6].
Pierre Roger, le conseiller dePhilippe VI de Valois, étaitarchevêque de Rouen quand il reçut, en1339, le chapeau de cardinal au titre des saints Nérée et Achillée[6].
Trois années plus tard, monté sur le trône de saint Pierre, il fit venir pour les festivités de son couronnement quinze tonneaux de vin muscat du Languedoc (Lunel,Mauguio) et de Provence (Toulon)[N 5]ainsi que vingt-quatre de vin deBeaune et deSaint-Pourçain[N 6],[6].
Éclectique, ce pontife appréciait aussi les vins deProvence, de la Rochelle (Poitou), du Rhin ou encore laVernaccia desCinque Terre, enLigurie, sans toutefois négliger les vins aimés de ces prédécesseurs[N 7],[6].
Surnommé leMagnifique, il vécut en prince et décéda, à la suite de ses excès, d’une crise degravelle[6].
Un des premiers actes d’Étienne Aubert, quand il monta sur le trône pontifical, fut de changer la date d’une procession, fixée au, pour la mettre au1er mai afin de protéger, lors du pèlerinage de sainte Praxède, les vignes de Montfavet, aux portes d'Avignon[6].
Tout au cours de son pontificat, il eut à lutter contre lesRoutiers attirés par les richesses de la cité papale lors des trêves de laguerre de Cent Ans. Ceux-ci ayant fait prisonnier un de ses clercs dans leLuberon, le pontife paya une rançon de cinquante-quatre saumées de vin pour le faire libérer[6].
Ce pape apprécia fort le Châteauneuf autant blanc que rouge comme en témoignent les comptes de la Révérende Chambre Apostolique[N 8]. On sait qu’en1360, le pape fit venir de ce vignoble pontifical du vin blanc puis un an plus tard du vin vermeil. Aux vins de ses prédécesseurs, il ajouta ceux dePont-Saint-Esprit,Bellegarde,Rochefort-du-Gard,Villeneuve-lès-Avignon etTavel (Prieuré de Montézargues)[7].
Ce fut sous son pontificat que les vins de Saint-Pourçain disparurent de la table pontificale[7].
Guillaume de Grimoard, abbé deSaint-Victor de Marseille, dès son élection afficha clairement son intention de ramener la papauté à Rome face aux dangers que représentaient lesGrandes Compagnies[7].
Pour préparer les cardinaux à ce retour, il menaça d’excommunicationJean de Bussières, abbé deCîteaux, si celui-ci continuait à faire parvenir du Clos Vougeot en Avignon. Pétrarque en a donné l’explication : les cardinaux refusaient de revenir en Italie pour ne pas se priver de vin de Beaune[N 9],[7].
Ce qui n’empêcha point le pontife et sa Cour de découvrir et d’apprécier le vin et lesfruits confits d’Apt lors du concile qui s’y tint en juin1365[N 10]. De plus il donna une nouvelle impulsion au vignoble de Châteauneuf en ordonnant qu’y fut planté du raisin muscat[7].
Afin de préparer son départ, il fit passer un accord avecMarco Cornaro, leDoge de Venise, pour le libre passage des vins pontificaux dans les ports vénitiens[N 11]. Ce qui lui permit, lors de son séjour italien, de 1367 à 1369, d’approvisionner la Cour romaine de vin de Beaune et de Saint-Gilles[N 12],[8].
Mais lassé des guerres menées par lesVisconti dans sesÉtats, il retourna en Avignon, et put assister, avant de mourir, à ses dernières vendanges à Châteauneuf[8].
À l’occasion du couronnement dePierre Roger de Beaufort, neveu de Clément VI,Philippe le Hardi, duc deBourgogne, fit parvenir à Avignon du vin de Beaunepour les donner et présenter à nostre Saint Père le Pape et à d’aucuns cardinaux d’icelui. Le nouveau pape, qui l’appréciait, leva la menace d’excommunication contre Jean de Bussières. Et l’abbé de Cîteaux fit aussitôt livrer trente queues de Clos Vougeot[N 13]. Ce noble geste fut récompensé par la pourpre cardinalice[8].
Nonobstant, Grégoire XI resta fidèle aux muscats deBeaumes-de-Venise,Velorgues etCarpentras, dans leComtat Venaissin, continua à commander des vins d’Apt, de Saint-Gilles et de laCôte du Rhône (Laudun,Bagnols-sur-Cèze)[8].
Et lors de son retour à RomeLes vins paraissent avoir tenu une grande place et, à la veille du départ, on s’occupa tant d’assurer le service de la bouteillerie durant le voyage, que de garnir, en prévision de l’arrivée, les caves du Vatican[9]. Le retour de la papauté à Rome n’empêcha point les différents pontifes qui se succédèrent sur le trône de Saint-Pierre de conserver l’habitude de se fournir en vins de Provence et du Comtat Venaissin. Son décès rapide, à la suite d’une crise degravelle, fut à l’origine duGrand Schisme d’Occident[10].
Tandis qu’à Rome l’irascibleUrbain VI s’installait sur le trône pontifical, le Sacré Collège des cardinaux élisait àFondi un autre pape plus amène,Robert de Genève, qui prit le nom de Clément VII. Il préféra rejoindre Avignon[10].
Durant tout son pontificat, il fut en butte àRaymond de Turenne, neveu de Grégoire XI et fils deGuillaume III Roger de Beaufort. Il le menaça même d’un siège dans sa résidence deChâteauneuf[10].
Clément VII avait une particulière affection pour ce cru au point qu’en1390, il condamna un vigneron châteauneuvois qui n’était pas en état de lui fournir vingt-deuxsaumées de vin muscat à lui procurer, aux prochaines vendanges, le double en vin clairet[11].
On sait aussi, grâce aux archives deFrancesco di Marco Datini, conservées àPrato, queJuan Fernandez de Heredia, grand maître des hospitaliers, en juin1393, fit livrer à la Cour pontificale d’Avignon quatre-vingt-quinze tonneaux devin grec (doux) en provenance de l’île deRhodes[12].
D’origine catalane,Pedro de Luna fut, quant à lui, grand amateur de vin muscat deClaira, paroisse située sur le terroir deRivesaltes[13].
En1395, il reçut en Avignon, le frère et les oncles du roiCharles VI. Les ducs d’Orléans, de Berri et de Bourgogne venaient dans l’intention de mettre fin au schisme. Pour faciliter les transactions,Philippe le Hardi fit descendre par le Rhône neuf queues de vin deVolnay. Mais lors de sa dégustation, ce vin révélaune aspreté horrible[13].
Ce fut en cette occasion que le duc de Bourgogne publia le fameux décret interdisantl’infâme gamay dans tous ses vignobles[13].
Benoît XIII se considérant comme le seul pape légitime, lepalais des papes fut assiégé par deux fois. Le pontife avignonnais préféra alors s’installer àPeniscola. Il ne devait jamais revenir en Avignon[13].
Pour se procurer des liquidités, la Révérende Chambre Apostolique d’Avignon fit alors vendre, en1414, quelques muscadières, dont celle de Beaumes-de-Venise[13].
Le retour à Rome n'impliqua pas l'abandon des vins qu'avaient appréciés lespapes d'Avignon. Ils continuèrent à honorer la table des pontifes romains puisqu'en1654,Honoré Bouche, dans saChorographie ou description de la Provence et Histoire chronologique du même pays signalait que parmi les vins bus auVatican :Il y en a de blancs, de rouges, de paillets, de clairets, de muscat, de malvoisie, et tous extrêmement bons, forts et généreux, dont les uns sont portés en divers endroits de France et d’Italie, et j’ai vu à Rome qu’on conservait quelques pièces de vin provençal, comme le meilleur pour la table du Saint-Père[2]. Pierre-Joseph Garidel a pu situer quels étaient ces vins de Provence servis à la table pontificale. Parmi eux, il y avait des crus aujourd'hui disparus dont lesvins muscats deSaint-Laurent-du-Var, dela Ciotat, desQuatre-Tours, près deMirabeau, et dela Margue deToulon. Levin blanc deRiez, qui était, alors, l'un des plus délicats de cette province[14].
Sont indiqués d'autres crus qui ont gardé leur renommée dont les vins blancs deCassis et deMarignane, les blanc et rouge deCagnes, deRoquevaire, d’Aubagne, deCucuron et deManosque (Pierrevert). Ainsi que levin rouge deGémenos, d'Orgon, deBarbentane, d'Aix-en-Provence et deLa Crau. Pour ce dernier, il est indiqué que c'était le vin le plus fort de Provence et qu'il enivrait très facilement. Enfin, il existait une production très spéciale faite à base de raisins passerillés, les vins paillets (ouvin de paille) deBrignoles et deMaubec[14].