Sa famille est aisée, et sa mère très autoritaire. Il vit de 1838 à 1841 àBerlin avant de retourner àSaint-Pétersbourg puis de partir pourLondres et de s'installer àParis. Son roman le plus célèbre estPères et Fils, qui met notamment en scène desnihilistes — dénomination qu'il popularise —, auxquels il oppose le « héros positif ».
Ivan Tourgueniev naît àOrel (à 350 km au sud de Moscou) en 1818, de Serge Nicolaïévitch (1793-1834) et Varvara Petrovna Loutovinova (1787-1850)[4]. Son père, officier supérieur, est issu d'une grande famille aristocratique[5] d'originetatare, établie àToula ; sa mère, d'une famille de noblesse de service d'Orel, d'originelituanienne, orpheline à 16 ans, est une riche propriétaire terrienne, « possédant » 5 000 âmes[6]. Tout oppose le père de l'écrivain, bel officier, élégant, effacé en famille, de sa mère, plus âgée, brutalepomiéchtchitsa (propriétaire), tyrannique jusque dans sa propre famille, aux traits grossiers : c'est un mariage d'intérêt pour le descendant des khans de laHorde d'or.
Les trois enfants du couple, Nikolaï (1816-1879), Ivan et Sergueï (1821-1837), vivent dans la propriété maternelle,Spasskoïe-Loutovinovo, à dix kilomètres au nord deMtsensk. C’est là qu’Ivan s'initie à la chasse, échappant provisoirement à la tyrannie de sa mère. La nature joue d’ailleurs un grand rôle dans ses romans. Il est confié à des précepteurs russes et étrangers dont il reçoit une excellente éducation. Il apprend le français, l’allemand, l’anglais, le grec et le latin. Avec un serf, il commence à écrire ses premiers poèmes. Très tôt, il se rend compte de l’injustice des hommes des classes supérieures envers les serfs, injustice contre laquelle il se révoltera et se battra toute sa vie.
En 1827, il s’installe àMoscou. Pendant deux ans, il se prépare à entrer à l’université. En 1833, il s’inscrit à la faculté des Lettres à l’université de Moscou. En 1834, il fréquente la faculté de philosophie à Saint-Pétersbourg et rencontreNicolas Gogol, qui est professeur d’histoire l'année suivante. Il termine ses études en 1836 et assiste en 1851 à la lecture par Gogol de sonRevizor.
En 1837, après la mort d'Alexandre Pouchkine, il édite la correspondance de ce dernier et traduit plusieurs de ses poèmes avecMérimée. L’année suivante, son fameux poèmeLe soir est publié dans une revue progressiste. Il part alors pour Berlin afin d'y poursuivre ses études et de voyager en Europe. Il revient en 1841 passer l’été chez sa mère. Il a une liaison avec une lingère, de laquelle naîtra sa fille Pélagie. Il devient fonctionnaire en 1843 et rencontre le critiqueVissarion Belinski. Tourgueniev, admiratif, lui dédieraPères et Fils.
Dès l'hiver 1843, Tourgueniev s’intéresse au théâtre italien auquel il s'abonne àSaint-Pétersbourg. Il y rencontre la célèbremezzo-sopranoPauline Viardot avec laquelle il entretiendra une liaison jusqu’à sa mort. Cette période marque aussi le début de ses idées progressistes et le début de la censure de ses œuvres, notamment de ses pièces de théâtre, qui ne seront souvent jouées en Russie qu'après 1861.
Deux courants de pensée s’affrontaient alors parmi les intellectuels russes, - dans un contexte de dictature conservatrice - : lesslavophiles, qui refusaient toute influence extérieure et étaient attachés aux coutumes russes, et lesoccidentalistes, favorables à une modernisation à l'occidentale.Boris Zaïtsev note dans sa biographie que « Tourgueniev était un occidentaliste, dans sa jeunesse il s'était quelque peu éloigné de la Russie et dans les débats avec les slavophiles, il critiquait régulièrement la Russie dans un esprit “libéral”. Mais au fond de lui-même, là d'où procédait son art, il était profondément russe… »[7].
Tourgueniev, libéral, réformiste, a dès lors vécu une grande partie de sa vie hors de Russie. Il s'en explique dans ses mémoires en 1868 :« Presque tout ce que je voyais autour de moi suscitait en moi malaise, indignation - rejet... Je ne pouvais respirer le même air, demeurer à côté de ce que je haïssais... Il me fallait absolument m'éloigner de mon ennemi, pour mieux le combattre à distance. À mes yeux cet ennemi avait un visage bien défini, un nom : c'était le servage »[8]. Parfois critiqué par les slavophiles pour son éloignement et sa proximité avec l'Occident, - une caricature acerbe de Tourgueniev, figure dans le roman deDostoievsky "Les possédés/les démons"[9] , où il est présenté comme un bel esprit occidentalisé et ne croyant pas en la Russie, - il affirmait être resté profondément attaché à son pays auquel il revenait régulièrement :« Je ne crois pas que mon occidentalisme me privait en rien de toute sympathie pour la vie russe, ni de toute compréhension de ses particularités et de ses besoins. »
De 1847 à 1850, Tourgueniev vit enFrance et publie beaucoup, dont le recueilMémoires d’un chasseur et la pièceUn mois à la campagne. En 1850, il vit près de Paris dans le château deCourtavenel, propriété des Viardot, où résideCharles Gounod, l'auteur de l'opéraFaust. Il fréquenteGeorge Sand. La même année,NicolasIer exige le retour des Russes expatriés. Tourgueniev quitte la France et se voit retenu en Russie pendant laguerre de Crimée. Il récupère sa fille et l’envoie chezPauline Viardot, en France. Celle-ci l’élève comme sa propre enfant.
En 1852, lesMémoires d'un chasseur sont publiées. Cette œuvre échappe à la censure malgré son caractère subversif, car elle relate la vie des paysans russes. Par la suite, Tourgueniev écope d'un mois de prison, mais continue d’écrire ce qu'il pense duservage. Il est alors assigné à résidence. En 1853, Pauline Viardot revient faire une tournée de scène en Russie. Tourgueniev prend alors un faux passeport, part pourMoscou afin de la voir et lui remettre des manuscrits à publier en France. À la fin de l’année 1855, il reçoit le jeuneLéon Tolstoï, alors officier, auquel il explique qu’il devrait écrire et non se battre. Il l’encourage dans ce sens. C'est l'année où il termineRoudine, son premier roman, le type littéraire de l'idéaliste russe des années 40, « à l'origine de tous les “hommes de trop” et des médecins désabusés de Tchékhov », selon Zaïtsev[10].
Pendant cette période (1856-1862),Tourgueniev entretient une amitié avec la comtesse Lambert, membre de l'aristocratie de Saint-Pétersbourg, dont témoigne une riche correspondance à l'accent très personnel[11].
En 1857, de retour à Paris où il rencontreProsper Mérimée,Alexandre Dumas, il écrit les préfaces dePères et Fils et deFumée et traduit plusieurs récits. Il lance le Fonds littéraire à la fin desannées 1850. En 1860, il publie "À la veille", « son premier roman social » (Troyat). La critique est sévère : Tourgueniev, qui a toujours défendu un progrès pacifique en Russie, paraît dépassé aux jeunes progressistes plus intransigeants tels queTchernychevski ouDobrolioubov[12]. Suit un de ses chefs-d'œuvre,Premier amour, une nouvelle autobiographique(« Cette nouvelle, je ne l'ai pas inventée, elle est le produit de toute mon existence. »[13]). Tourgueniev partage ses terres avec ses paysans et devient membre de l’académie des sciences. Le, leservage est aboli. Tourgueniev publiePères et Fils, ce qui peut symboliser le passage de l’ancienne à la nouvelle Russie.
Comme le note un critique russe : « C'était alors pour la littérature russe et mondiale un temps de transition entre romantisme et réalisme, le temps de l'affirmation et de l'épanouissement du réalisme »[14].
Ivan Tourgueniev
Il rencontreFlaubert pour la première fois, le, d'après le journal desFrères Goncourt, et lui écrit dès le lendemain pour lui annoncer l'envoi de ses livres. Une amitié commence, dont la première trace apparaît dans la correspondance de Flaubert à la date du, après lecture desdits romans. Elle ne cessera qu'à la mort de Flaubert, le. Il traduit en russeLa Légende de saint Julien l’Hospitalier et collecte de l’argent pour faire ériger un monument à la mémoire de l'auteur.
Ecrivain d’une prose limpide, évocateur des subtilité de l’âme feminine et des incertitudes du sentiment amoureux, Tougueniev avait aussi un côté sombre, évoqué parBoris Zaïtsev: Incroyant,«il avait le sentiment d’une puissance suprême aveugle et sans pitié »[17]. Avec les années, ce sentiment devait s’accentuer, susciter un attrait pour le fantastique perceptible dans ses nouvelles des années 70 comme Un rêve, ou Relique vivante.
En 1875, Tourgueniev est élu vice-président au Congrès International de Littérature, aux côtés deVictor Hugo qu'il rencontre pour la première fois. À la fin desannées 1870, Tourgueniev se fait construire unedatcha àBougival sur le même terrain que lapropriété des Viardot, dans les environs de Paris[18]. Il obtient en 1879 le titre dedoctor àOxford et l'on commence à jouer ses pièces en Europe. Il tombe gravement malade au début desannées 1880, est opéré à Paris et retourne à Bougival en convalescence[19]. Là, il dicte à PaulineUn incendie en mer et prophétise les événements de Russie.
Boris Zaïtsev, Vie de Tourgueniev, YMCA-Press, Paris, 1932 et 1949 (en russe), édition française YMCA-Press, 2018.
André Maurois, Tourgueniev, Grasset, Cahiers verts, 1931.
Henri Troyat, Tourgueniev, biographie, Flammarion, Paris, 1985.
William Trevor, En lisant Tourgueniev (roman), Phébus, 1991.
François Mauricette,Tourgueniev / Flaubert, une franche amitié, Coll. Scènes Intempestives à Grignan, correspondance adaptée à la scène, TriArtis, Paris,(ISBN978-2-916724-26-3).
↑ÉcritureTourguénieff, telle qu'il l'écrivait lui-même en français, suivant sa correspondance.
↑ÉcritureTourguéneff telle que pratiquée parles Goncourt, que l'on retrouve également dans la correspondance de Tourgueniev.
↑Noms de ses père et mère selon son acte de décès.
↑Parmi les ancêtres Tourguéniev, on compte Pierre, exécuté par lefaux Dimitri en 1604, qu'il avait refusé de reconnaître commetsar, et Jacques, attaché à la cour dePierre le Grand.
↑Alors que son époux, Serge Nicolaïévitch n'hérite qu'un domaine de 140 âmes…