Les termespremier monde,second monde et tiers monde ont été employés pour regrouper les nations de la Terre en trois grandes catégories. Ces trois termes ne sont pas apparus simultanément. Après laSeconde Guerre mondiale, l’OTAN et lePacte de Varsovie ont été considérés comme les deux grands blocs. Le nombre de pays faisant partie de ces deux blocs n’étant pas fixé de manière précise, on s’est finalement aperçu qu’un grand nombre de pays ne rentraient dans aucune de ces deux catégories.
En 1952, ledémographe françaisAlfred Sauvy et lesociologueGeorges Balandier inventent le terme « tiers monde » pour désigner ces pays[4]. La fameuse expression « Tiers Monde », est initialement publiée dans un article dansL'Obs écrit en 1952 par Sauvy[5] :« Nous parlons volontiers des deux mondes en présence, de leur guerre possible, de leur coexistence, etc. oubliant trop souvent qu'il en existe un troisième, le plus important […] C'est l'ensemble de ceux que l'on appelle […] les pays sous-développés […]. Ce Tiers Monde ignoré, exploité, méprisé […] veut, lui aussi, être quelque chose ». L'expression « le tiers monde », du fait de son caractère générique ne doit toutefois pas occulter les spécificités historiques et le contexte socio-politique de chacun des pays censés y correspondre.
L'idéologie anti-tiers-mondiste insiste sur le fait qu'il s'agit d'une réalité très hétérogène, et conclut à l'existence de « plusieurs » tiers mondes[6]. Cela en fonction des perspectives envisagées.
Dans l'inégalité économique, l'expression correspond à l'ensemble des payspauvres, soit lespays les moins avancés et lespays en développement. Dans cet esprit, lequart monde (proposé parJoseph Wresinski en 1969) fait référence à cette couche de population la plus défavorisée, ne disposant pas des mêmes droits que les autres, et existant dans tous les pays, qu'ils soient riches ou pauvres.
« Car enfin ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut lui aussi, être quelque chose. »
— « Trois mondes, une planète »,L'Observateur, 14 août 1952.
L'auteur de l'expression la désavoue cependant en 1988 dans un article duMonde :« Que l'on permette au créateur de l'expression tiers-monde, il y a déjà près de quarante ans, de la répudier, tant elle fait oublier la diversité croissante des cas. Englober dans le même terme les pays d'Afrique noire et « lesquatre dragons » ne peut mener bien loin. »
Le terme est à nouveau très discuté après sa reprise parGeorges Balandier en 1956, dans leur publication à l'INED (voir en bibliographie). Il désigne les pays du globe considérés alors comme « sous-développés ».
En 2003, dans sa réponse à une question de Jean-Marc Biais « Peut-on encore parler de « tiers-monde », mot que vous avez inventé, en 1956, avec Alfred Sauvy ? », Balandier maintient son terme :
« Cette expression a connu un succès planétaire. Mais, souvent, elle a suscité des malentendus. Pour nous, il ne s'agissait pas de définir un troisième ensemble de nations, à côté des deux blocs (capitaliste et soviétique) en guerre froide. Non, c'était une référence au tiers état de l'Ancien Régime, cette partie de la société qui refusait de « n'être rien », selon le pamphlet de l'abbé Sieyès. Cette notion désigne donc la revendication des tierces nations qui veulent s'inscrire dans l'Histoire. Après une longue éclipse, l'initiative est reprise aujourd'hui par quelques pays en cours de modernisation : le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud. Lors de la récenteconférence de Cancun, ils ont affirmé une forte identité face aux puissances occidentales. N'est-ce pas le début d'une renaissance du tiers-monde ?[12] »
Cependant, dans le cadre des sciences géographiques, démographiques, sociales ou économiques, l'expression « Tiers-Monde » est désuète depuis 1997 : on parle depays les moins avancés (PMA).
Certains hommes et femmes politiques[14] et économistes[15] s'interrogent sur « la fin du tiers monde » dans la perspective d'unmonde multipolaire où la pauvreté serait « combattue » (Robert Zoellick).
Effectivement, l'expression tiers monde est de plus en plus rarement utilisée en économie (voir latypologie économique des pays), bien que l'on parle toujours de ladette du tiers monde[16]. Cependant, son usage perdure dans divers contextes (politiques, historiques, anthropologiques, sociologiques, idéologiques), mais y est critiquée comme étant, alternativement,idéaliste[17],révolutionnaire[18] ounéo-impérialiste[19].
Jacques Veron, « L'INED et le Tiers Monde »,Population, Paris,no 6,,p. 1565-1578(DOI10.2307/1534468, www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1995_num_50_6_5885).
Résumé en en-tête : « À partir d’une analyse des polémiques qui se développèrent à la fin des années 1970, en France, autour de la « crise du tiers-mondisme », cet article vise à décrire les processus de construction et les usages d’une catégorie politique stigmatisée. Partant de la production discursive autour du tiers-mondisme, ce texte repère et analyse en premier lieu le travail définitionnel opéré par les différents commentateurs afin de dresser l’« arbre généalogique » du tiers-mondisme. Revenant ensuite sur l’un des épisodes centraux de la « crise », en 1985, il s’attarde sur les trajectoires de certains de ses protagonistes, avant d’étudier comment des « tiers-mondistes » tentèrent, sans succès, de s’emparer de l’étiquette et de retourner le stigmate. In fine, l’analyse de cette catégorie renseigne peut-être plus sur ceux qui l’utilisent que sur ceux qu’elle entend désigner. Plus généralement, ses usages illustrent la manière dont les « crises » intellectuelles contribuent pour partie à rassembler, à homogénéiser puis à durcir, sous la forme consacrée de l’« idéologie », des courants de pensée et des modalités d’action perçus a priori comme hétérogènes. »
Benjamin Buclet,Le Marché international de la solidarité : les organisations non gouvernementales en Amazonie brésilienne (Thèse sous la dir. Afrânio Garcia), Paris,(présentation en ligne).
↑Le Petit Larousse illustré 1991, p. 964, écrit« tiers-monde ».Le Petit Robert 2004, p. 2613, écrit« tiers-monde », mais cite un auteur qui écrit« Tiers-Monde ».Le Petit Robert 2014 écrit aussi« tiers-monde ». LeTLFi écrit« tiers monde » et« tiers-monde »[1], mais cite un auteur qui écrit« Tiers Monde ».
↑L'Express du9 octobre 2003, cité plus bas. Voir aussi,Georges Balandier, « Images, images, images »,Cahiers internationaux de sociologie,no 82,,p. 7-22(lire en ligne) :« L'expression « société decommunication » est une forme presque pléonastique. Toutes les sociétés, de tout temps, sont des espaces de communication, d'information et de communication ; c'est, avec la double production matérielle et symbolique, ce qui caractérise leur mode d'exister et leur inscription dans l'histoire. »