Un ghulum (préposé aux bains) du varnashudra s'occupant d'un client dans une maison de bains d'inspiration moghole
LesShudra,çûdras,çudras ousudras (ensanskrit :शूद्र,śūdra, « serviteur ») sont, dans lesystème des castes indiennes, un des quatrevarnas. Ils exercent principalement des activités agricoles et artisanales, et se situent hiérarchiquement en dessous des trois autres varnas, qui constituent les deux fois nés (dvija)[1]. Ils s'apparentent auxserfs européens du Moyen Âge[2].
SelonLouis Dumont, les trois premières castes apparaissent dans les premiers livres duRig-Véda mais les shudra seulement dans un hymne tardif ; ils pourraient être des aborigènes intégrés dans la société sous forme de servitude[3].
Les enfants debrâhmanes sont considérés commeShudra tant qu'ils n'ont pas assimilé les textes sacrés, reçu l'initiation védique, qui permet d'êtredvija, « deux fois né »[4].
Selon la tradition hindoue, la qualité principale duShudra est le dévouement[5].
Le termeshudra est issu dusanskritshud signifiant « pur ». Très employé, il peut désigner une personne ayant n'importe quellejati. Vāyu-purāṇa 70.68 mentionne que Shudra est le nom d'une des dix épouses deRishi Atri et est également le nom de la fille de Bhadrāśva et Gḥṛtācī selon Brahmāṇḍa-purāṇa III. 8.75. D'après Harivamsa, Shudrā est également le nom d'une des dix filles de Raudrāśva[réf. souhaitée].
Leslois de Manu codifient et rigidifient le système de castes ; la notion dejati se superpose à celle devarna.
Tout comme celle desbrâhmanes, deskshatriyas, et desvaishyas, la classe des shudras, est considérée comme « noble » (ârya). Les quatre doivent aussi respecter l'Ahimsâ (« non-violence ») pour prouver leur noblesse « dharmique » (il s'agit là d'impératifthéorique, d'unâge d'or) ; lesshudra sont donc aussi des représentants dudharma, du « devoir » denon-violence par leur service rétribué incarnant le minimum social, mais sans avoir la volonté d'acquérir une connaissance sacrée (auquel cas, il serait commeVyasa, le compilateur desVédas, unbrâhmane né d'une mère hors-caste). LesDalits, Intouchables, nommés ensanskritchandalas, « mangeurs de chien », sont les hors-castes, d'une condition associant celle duchasseur, dupêcheur, dubourreau, ducirconciseur et de l'exciseur, tout ce qui a un lien avec laviolence (selon lesLois de Manu).
Le Rigveda date probablement de 1500 avant notre ère[10],[11]. Cependant, en 1868, John Muir suggère que le verset traitant desvarnas a« tout caractère de modernité à la fois dans sa diction et ses idées »[12]. Il est admis que le verset duPurusha Sukta fut inséré à une date ultérieure dans le texte védique[13],[14].
Selon Stephanie Jamison et Joel Brereton, professeur de sanskrit et d'études religieuses,« il n'y a aucune preuve dans le Rigveda d'un système de castes élaboré, très subdivisé et global », et« le système de varna semble être embryonnaire dans le Rigveda et, tant à l'époque que plus tard, un idéal social plutôt qu'une réalité sociale ». D'après l'historienR.S.Sharma,« la société védique du Rigveda n'était organisée ni sur la base de la division sociale du travail ni sur celle des différences de richesse… [elle] était principalement organisée sur la base de la parenté, de la tribu et de la lignée »[15].
Selon Romila Thapar, la mention des Shudras et d'autres varnas dans le texte védique est à l'origine de ce phénomène, et que« dans l'ordre des varnas de la société, les notions de pureté et de pollution étaient centrales et les activités étaient élaborées dans ce contexte » et qu'il est« formulé et ordonné, divisant la société en quatre groupes disposés de manière hiérarchique »[16].
Dans la mythologie hindoue, le termepusan renvoie au conducteur du soleil, qui connaît les chemins, apportant ainsi la lumière, la connaissance et la vie à tout le monde[17]. Or, dans uneUpanishad de l'ère védique, le pusan est associé aux shoudras[18],[19], alors qu'un autre texte l'associe aux autres varnas, deBrahmane àVaishya[19].
Sharma écrit que, dans les textes védiques, mention n'est jamais faite de restrictions alimentaires ou liées au mariage, que ce soit entre Shudras et autres varnas ou entre Dasa et aryens (nobles). De plus, à la fin de l'Atharva Veda,« Shudra n'est pas mentionné, probablement parce que son varna n'existait pas à ce stade »[20].
Dans l'Arthashâstra, les aryens sont considérés comme libres et ne pouvant jamais être esclaves[21]. Or, dans ce texte, les shudras sont pas considérés comme aryens. Cela ne signifie cependant pas que les shudras sont esclaves ou issus d'une caste fermée (cette dernière interprétation étant ultérieure au texte). Selon Rangarajan, les lois sur l'emploi présentées dans l'Arthashastra sont sujettes à diverses interprétations de traducteurs et commentateurs, et l'opinion admise est que« l'esclavage, tel qu'il était pratiqué dans laGrèce contemporaine, n'existait pas dans l'Inde deKautilya »[22].
Kautilya défend les droits de toute la population, y compris des Shudras, à participer aux guerres. Le politologueRoger Boesche(en) estime que cela relève de l'intérêt du dirigeant« d'avoir une armée populaire qui lui soit farouchement loyale, précisément parce que le peuple a été traité avec justice »[23].
LesLois de Manu sont principalement consacrées aux classes desBrahmanes et desKshatriyas, énonçant un code de conduite (règle du dharma)[24]. Les deux autres classes,Vaishyas et Shudras, sont évoquées dans une courte partie : les sections 9.326 - 9.335 des lois de Manu indiquent huit règles pour les Vaishyas et deux pour les Shudras.
Dans la section 10.43 - 10.44, le texte donne une liste de tribus Kshatriya qui, par négligence des prêtres et de leurs rites, sont tombées au statut de Shudras. Ce sont : Pundrakas, Codas, Dravidas, Kambojas, Yavanas, Sakas, Paradas, Pahlavas, Chinas, Kiratas et Daradas[25],[26].
D'aprèsLaurie L. Patton(en), professeure de religion spécialisée dans l'Inde antique, les droits des Shudras varient selon les textes antiques[27]. Ainsi, il y a contradiction au sujet d'un rite de passage, l'upanayana : alors que la section 9.15 de l'Atharva-Véda l'autorise aux shudras, l'Apastamba Grhysutra le leur interdit, ainsi que l'éducation religieuse (apprentissage des Védas)[27]. LeYājñavalkya Smṛti(en), en revanche, mentionne des étudiants shudras, et leMahabharata indique que les quatre varnas (et donc les shudras) peuvent entendre les védas. D'autres textes hindous vont plus loin, affirmant que les Brahmanes, Kshatriyas et Vaishyas peuvent recevoir un enseignement d'un shudra et que leYajña peut être accompli par un shudra[28]. Ces droits et cette mobilité sociale ont pu naître à une époque de prospérité économique, qui voit également une amélioration du droit des femmes[29].
Desupanishads de l'époque médiévale, tels leVajrasuchi Upanishad(en), traitent des varna et le termeshudra y est mentionné[30],[31]. Selon Ashwani Peetush, professeur de philosophie à l'université Wilfrid Laurier, le Vajrasuchi Upanishad est un texte significatif car il affirme que tout être humain, quel que soit son milieu social, peut atteindre l'état spirituel le plus élevé de l'existence[32].
Outre les contradictions des textes hindous, les textes non-hindous donnent une image différente des shudras : par exemple, un textebouddhiste mentionne des shudras connaissant les Vedas, lagrammaire, laMimamsa, leSâmkhya, leVaisheshika et lelagna[27].
Selon Johannes Bronkhorst, professeur d'indologie spécialisé dans les débuts du bouddhisme et de l'hindouisme, les anciens textes bouddhistes traitent peu de varna[33]. A la place, ils évoquent des ménages (enpali : gahapati), sans distinction interne[33]. Même les brahmanes sont nommés ainsi (Brāhmaṇa-gahapati)[34]. Dans les textes bouddhistes, le terme "varna" est employé dans une perspective théorique, mais peu en rapport avec la pratique réelle[35].
D'après l'historien R.S. Sharma, lesDharmaśāstras ne permettent pas aux shudras d'accéder à une « éducation alphabétisée ». En revanche, ils sont éduqués à d'autres métiers, comme le dressage d'éléphants. Selon lui, la croyance selon laquelleagriculture et savoir religieux se gâteraient s'ils entraient en contact explique que les textes leur refusent l'éducation védique. Si les autres varnas présentaient des degrés variables d'alphabétisations, les shoudras étaient analphabètes.Mahatma Jyotirao Phule, intellectuel militant issu du varna shudra, attribue la détérioration de sa classe à l'analphabétisme et insiste sur l'éducation[36],[37],[38],[39]. Il déclare :« Par manque d'éducation, l'intellect s'est détérioré, par manque d'intellect, la moralité a décliné, par manque de moralité, le progrès s'est arrêté, par manque de progrès, la richesse a disparu, par manque de richesse, la Shudra a péri et tous ces chagrins sont nés de l'analphabétisme[39] »
De gauche à droite : un Gurkha, un Brahmane et un Shudra (1868).
Traditionnellement, les Shudras sontpaysans etartisans. Décrits comme des paysans dans les textes anciens, ils sont qualifiés de donneurs de blé et, d'après les textes, sont rémunérés « par lafaucille et les épis de maïs ». Le précepte ancien, « les védas sont destructeurs de l'agriculture et l'agriculture est destructrice des védas », est présenté comme l'une des raisons pour lesquelles les Shudras n'étaient pas autorisés à apprendre les Védas. AuVIIe siècle,Xuanzang, voyageur chinois, documente également le fait que les paysans sont shudras. De plus, unparia devenu agriculteur devient également shudra[40],[41],[42],[43],[44],[45],[46],[47].
Pour l'auteur Marvin Davis, les Shudras n'ont pas l'obligation d'apprendre les Védas. Ils ne sont pas considérés comme deux fois nés (djiva), et, selon le système de castes, sont destinés au service (seda) des trois autres varnas[48],[16]. Pourtant, le terme "djiva" est absent de la littérature antique : il ne se trouve pas dans les Vedas, ni les Upanishad, ni les Shrauta-sutras ou les Grihya-sutras[49]. Ainsi, le termedjiva indique que cette situation des shudras date duMoyen Âge.
Les métiers traditionnels des Shudras relèvent, selon Ghurye, de l'agriculture, de l'artisanat et du commerce[50]. Cependant, cette classification varie dans la recherche[51]. D'après Drekmeyer, Shudras et Vaishyas partagent de nombreuses occupations et se regroupent souvent[52],[53].
A l'inverse, d'autres sources montrent que les shudras effectuent d'autres activités, d'après lesociologue Naheem Jabar. Ainsi, des textes, dont des épopées, présentent des shudras rois ou ministres[55]. Selon Ghurye, la notion d'hérédité dans le métier (qui contribue à fonder le système de caste) était fausse pour plusieurs régions indiennes. Selon les circonstances, les membres des quatre varnas exerçaient plusieurs types de métiers[56],[57]. Ghurye affirme :
« Bien que, théoriquement, la positionn sociale des Shudras soit très basse, des preuves montrent que nombre d'entre eux étaient aisés. Certains réussirent à marier leurs filles dans des familles royales. Sumitra, une des trois épouses du roi Dasharatha, était Shudra. Certains parvirent même à monter sur le trône. Le célèbreChandragupta est traditionnellement réputé pour être Shudra. »
Parmi les communautés hindoues deBali, enIndonésie, les shudras (appelés localement soedras), sont souvent prêtres de temple (bien que les prêtres de temple puissent appartenir à tout varna). Dans la plupart des régions, ce sont les Shudra qui font des offrandes aux dieux au nom des fidèles hindous, chantent des prières, récitent les meweda (Vedas) et fixent le déroulement des fêtes des temples balinais[59].
Des chercheurs, en quête de preuves historiques de l'existence de varna etjati dans l'Indemédiévale, en ont trouvé difficilement et de contradictoires[60],[61].
D'après Johannes Bronkhorst, aucune des inscriptions d'Ashoka ne mentionne les shudras (ni les kshatryas et vaishya) : seuls sont évoqués Brahmanes etShramanas[63].
Au Moyen Âge, plusieurs membres du mouvement populairebhakti (poètes-saints, chefs religieux…) étaient shudras, commeToukaram etNamdev[64],[65]. Les compositions de Namdev étaient reconnues non seulement dans la communauté hindoue duMaharashtra, mais aussi dans la communauté sikh. Les gourous sikhs de la région du Pendjab inclurent ces compositions dans leur compilation des écritures sikh[66],[67].
D'aprèsBhimrao Ramji Ambedkar, réformateur social, les varnas étaient originellement trois : brahmane, kshatrya et vaishya. Les shudras étaient des kshatryas à qui les brahmanes refusaient l'Upanayana, rituel d'initiation[69]. Cette affirmation est critiquée par l'historien Sharma, selon qui elle ne se fonde que sur des traductions et sur la croyance, alors répandue parmi les membres éduqués des basses castes, que les shudras ont des origines plus nobles[70].
Sri Aurobindo déclare que les varnas existent, dans des proportions différentes, dans toutes les sociétés humaines. Selon lui, ce système s'est transformé en quelque chose de différent de ce qui était initialement prévu[71].
Les principes de l’hindouisme védique du nord de l'Inde ont moins d'influence dans le sud, où seuls existent les varnas de Brahmane et Shudra. Certains non-brahmanes se nommaient Sat Shudra (shudra propre), par opposition aux non-brahmanes des autres communautés[72].
Louis Dumont, anthropologue français qui a porté une reflexion profonde sur le système de caste en Inde.
Mahatma Jyotirao Phule, shudra engagé contre le système de castes, ayant comparé, dans son ouvrageSlavery (1873), la situation des shudras à celle des Noirs Américains.
↑Madeleine Biardeau,L'hindouisme, anthropologie d'une civilisation, Flammarion
↑La légende immémoriale du Dieu Shiva, Le Shiva-purâna, traduit du sanskrit et annoté par Tara Michaël, éditions Gallimard, connaissance de l'Orient(ISBN978-2-07-072008-8)
↑JohnMuir,Original Sanskrit Texts on the Origin and History of the People of India : Their Religion and Institutions, Volume 1, Londres, Trubner and Co,,2eéd.(lire en ligne),p. 12
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« Thus the dharmashastras sought to establish a divorce between literate education, which was confined to the members of the twice born varnas, and technical training which lay in the sphere of the shudras. It was also stated that Vedic study impedes pursuit of pursuit of agriculture and vice versa. »
↑J. S. Rajput et National Council of Educational Research and Training (India),Encyclopaedia of Indian Education : A-K, NCERT,, 1908 p.(ISBN978-81-7450-303-9,lire en ligne),p. 22
« His emphasis on the education of the Shudras is well explained in his own words: For want of education intellect deteriorated, For want of intellect morality decayed, For want of morality progress stopped, For want of progress wealth vanished, For want of wealth Shudra perished and all these sorrows sprang from illiteracy. »
« Among the most vocal of these supporters was Dr. Shastri, a professor of Ayurvedic medicine at a well-known university, who associated the Caraka Samhita use of shudra for lesser conditions with the shudra (peasant) castes, linking both »
« The ancient texts designate the sudra as a peasant. The distinction between the all-India category of varna and the local and omnipresent category of jati is well brought out by M. N. Srinivas in his famous bookThe Remembered Village, ... »
↑Ram Sharan Sharma,Sudras in Ancient India : A Social History of the Lower Order Down to Circa A.D. 600, Motilal Banarsidass Publ.,, 102–(ISBN978-81-208-0706-8,lire en ligne)
« The mass of Shudra population seems to be employed in agricultural operations. [according to the Majjhima Nikaya] the Shudra [lives on] on the use of sickle and the carriage of crops on the pole held over his shoulder. »
« an extract from Pali work Majjima Nikaya tell us ... shudras [live] by the sickle and ears of corn. A large number of Shudras appear to be agricultural laborers. Shudras were not entitled to learn Vedas and a precept says 'Vedas are destroyer of agriculture and agiculture is destroyer of vedas. »
↑Ram Sharan Sharma,Śūdras in Ancient India : A Social History of the Lower Order Down to Circa A.D. 600, Motilal Banarsidass,, 263–269, 342–345(ISBN978-81-208-0706-8,lire en ligne)
↑Ram SharanSharma,Śūdras in Ancient India : A Social History of the Lower Order Down to Circa A.D. 600, New Delhi, Motilal Banarsidass Publishers,, 384 p.(ISBN978-81-208-0706-8,lire en ligne),p. 5
↑RaviVaitheespara,Ritual, Caste, and Religion in Colonial South India, Primus Books,, 386 p.(ISBN978-93-80607-21-4,lire en ligne), « Forging a Tamil Caste: Maraimalai Adigal (1876-1950) and the discourse of caste in colonial Tamilnadu »,p. 96