Shkodra[1],[2], enalbanais :Shkodër ouScutari en italien (Scodra enillyrien) est une municipalité du nord-ouest de l'Albanie, la ville principale de la région et au bord dulac du même nom, le plus grand lac desBalkans.
Le nom Scutari provient de l'italien à l'époque de larépublique de Venise. Les formes locales sontShkodër ou sous sa formedéfinieShkodra, plus conforme à l'usage des spécialistes occidentaux, qui désignent lestoponymes fémininsalbanais par leur forme définie et les masculins par leur forme indéfinie : d'oùShkodra, etVlora plutôt queVlorë,Peja et nonPejë (le « ë » fonctionne comme le « e » muet dufrançais : il n'est donc pas prononcé en position finale) ; alors qu'on ditElbasan plutôt qu'Elbasani etPrizren au lieu dePrizreni.
La ville est située à proximité immédiate dulac de Shkodër (enalbanais :Liqeni i Shkodrës), aussi connu sous son nom serbe de « lac de Skadar » (enserbe :Skadarsko jezero), sous son nom italien de « lac de Scutari » (enitalien :Lago di Scutari). C'est le lac le plus grand de lapéninsule balkanique (d'une superficie de 370 km2), près des fleuvesDrin, Kir etBuna, où passe la frontière actuelle de l'Albanie avec leMonténégro.
Elle abrite lechâteau de Rozafa, qui se trouve à une hauteur de 130 mètres. Scutari est entourée également d'unmassif montagneux, incluant les montagnes de Cukal (1 722 mètres), de Maranaj (1 576 mètres), de Tarabosh et de Sheldi.
La zone autour de l'emplacement actuel de Scutari a été habitée depuis laPréhistoire. Des traces de l'époque duPaléolithique moyen y ont été retrouvées. Les fouilles ont mis en évidence une présence humaine continue duNéolithique jusqu'à nos jours. Cela vient du fait que cette zone connaît une combinaison de facteurs climatiques rares et très favorables. Au pied de la colline de Tepe, au sud de la ville actuelle, les fouillesarchéologiques ont révélé des objets de l'âge du bronze (2000 av. J.-C.).
Scutari devient, avec les réformes deDioclétien, le chef-lieu de laPrévalitaine et un centre régional de l'Empire romain. La ville est traversée par des routes commerciales importantes allant vers lacôte dalmate au nord et à travers le fleuveDrin vers l'est duKosovo.
Undiocèse catholique existe déjà à Scutari (Shkodër) auIVe siècle, dont on connait le premierévêque, un certain Bassus (385). Avec l'arrivée desSlaves dans lesBalkans (VIe et VIIe siècles), Scutari fut à nouveau occupée brièvement par les slaves (centre deZeta auXIe siècle), et les bulgares. AuXIVe siècle, elle devint un centre important autonome possédant des institutions développées. Elle sera dirigée en1360 par la familleBalšić de Scutari, avant de passer en1396, sous la domination de larépublique de Venise. Cette dernière reconstruisit lechâteau de Rozafa et appela la villeScutari[3].
Scutari possédait alors des institutions et des lois comme tous les autres centres vénitiens développés autour de l'Adriatique. LesVénitiens se retirèrent après deux révolutions populaires, en1474 et1478-1479, et après avoir longtemps résisté[4] aux diverses tentatives de conquête ottomane, la cédèrent par traité à l'Empire ottoman en1479, juste après la mort du héros national albanaisGjergj Kastrioti dit Skanderbeg.
La ville, tenue par les Vénitiens avec une garnison d'environ 1 600 personnes, estassiégée en 1474puis en 1479 par le sultanMehmet II avec plus de 100 000 soldats. Il s'agissait alors de la dernière ville non occupée de l'Albanie : elle est finalement cédée par traité. Le siège, qui dura sept mois, est décrit par le premier historien albanais, témoin de ces événements, originaire de Scutari,Marin Barleti, qui immigra en Italie. Son livre,Le Siège de Scutari, est édité en Europe en1504.
Perdant d'abord de son importance durant les premières années de l'occupation ottomane, la ville se dégrade peu à peu, mais se développe à nouveau auXVIIe siècle, devenant le chef-lieu dusandjak de Shkodër. À cette époque, la ville compte plus de 1 800 maisons et commence à s'établir dans la plaine où elle se trouve actuellement. Le commerce, la production d'armes, le travail de lasoie, du cuivre, et de l'argenterie se développent particulièrement.
AuXVIIIe siècle, la ville est chef-lieu d'unsandjak comprenant la partie nord de l’Albanie, administrée conjointement par les Ottomans et par les riches familles albanaises. En1718 sont ouverts à Scutari les premiers consulats et en1730 est fondée la Chambre de Commerce. La ville est administrée à partir du milieu du siècle par la famille desBushatllinj (1757-1831). Sous le règne des Bushatllinj, le vilayet devient lepachalik de Scutari, et en1787, cette famille tente pour la première fois de créer une principauté indépendante albanaise, tentative qui est écrasée par l'Empire Ottoman. Le dernier souverain de la famille est finalement déposé en 1831, et la région revient à son ancien statut de sandjak.
La ville connaît sa plus grande période de développement économique au milieu duXIXe siècle. En1867, elle devient le chef-lieu duvilayet de Shkodra. En1870, la ville compte 50 000 habitants. Elle devient un grand centre commercial pour la région balkanique occidentale avec environ 3 500 commerces. Les industries detannerie,textile, dutabac et de lapoudre à canon s’y développent. En1865 lechâteau de Rozafa est abandonné du fait du déplacement du lit du fleuveDrin. La ville se transforme en port fluvial et continue son commerce avec l'extérieur à travers les liaisons avecOboti (Ana e Malit),Ulqin et plus tardShengjini et Tivar. Une écolejésuite et un monastèrefranciscain y sont fondés.
En1878, est créée laLigue de Prizren, mouvement pour l'autonomie du pays albanais : l'écrivain et homme politiquePashko Vasa, natif de Scutari, y joue un rôle important. Elle est un foyer de résistance pour la défense des terres albanaises dePlavë et Guci (actuellement auMonténégro), Hot (partiellement actuellement au Monténégro et au nord de l'Albanie),Ulqin et Tivar (au Monténégro actuellement). Ledéclin de l'Empire ottoman correspond à une période trouble qui a pour conséquence une diminution rapide de la population. La ville prend une part active à la revendication d'indépendance de l'Albanie, notamment à travers la figure éminente deLuigj Gurakuqi.
En 1882, la foudre tombe sur la forteresse de Scudari et fait sauter une poudrière : l'explosion fit près de 200 morts[5]. La ville compte à l'époque environ 38 000 habitants dont 25 400 musulmans, 12 100 catholiques et 500 orthodoxes[6].
Drapeaux des forces internationales sur la forteresse de Scutari en mai 1913.
Le soulèvement de 1911 de la région du nord, secoua l'occupation ottomane en Albanie. Pendant lesguerres balkaniques et laPremière Guerre mondiale, Scutari/Shkodra[7], qui donne sur l'Adriatique, devient un objectif pour laSerbie et leMonténégro, appuyés par la Russie, à cause de sa position stratégique sur le plan international.
Après la proclamation de l'indépendance en 1912 au cours de laPremière Guerre balkanique, la ville signa un acte contre les décisions des grandes puissances occidentales qui, par letraité de Londres (1913), laissaient en dehors de l'Albanie plus de 40% des terres de peuplement albanais. Les habitants de Scutari organisés dans la Ligue de Scutari prirent part à la lutte contre l’annexion par les Serbes et les Monténégrins des régions dePlava,Gucia,Hoti etGrudes.
En 1912-1913, pendant laPremière Guerre balkanique, la ville résiste aux armées serbe et monténégrine pendant sept mois lors dusiège de Shkodër(en). Elle capitule finalement en avril 1913, après un accord entre les assiégeants et le commandant de la garnison,Essad Pacha Toptani, qui négocia leur soutien en échange de sa reddition. Les armées serbes et monténégrines entrèrent dans Scutari/Shkodra et brûlèrent une grande partie de la ville. Une flotte internationale commandée par l'amiral britannique Burtney organisa un blocus le long des côtes monténégrines. Les armées serbe et monténégrine durent en conséquence se retirer le 14 mai 1913, laConférence des Ambassadeurs àLondres ayant attribué la ville à la futureprincipauté d’Albanie, et fut alors sous la surveillance des forces internationales. LeKorvettenkapitän von Klitzing, commandant de bord duSMSBreslau, fut nommé gouverneur de la ville et commanda un bataillon de fusiliers marins allemands.l'armée austro-hongroise, lesarmées autrichiennes, mais avec la fin de la Première Guerre mondiale, la ville fut placée sous administration internationale, et ce n'est qu'après lecongrès de Lushnja qu'elle fut gouvernée par le gouvernement albanais issu de ce Congrès.
Dans les années 1924 à 1939, Scutari connut un développement industriel avec quelques petites fabriques principalement dans l'alimentation et le ciment. En 1939, elle comptait environ 70 fabriques et durant cette période demonarchie albanaise, la ville fut administrée par les puissances européennes, possédant ainsi des institutions et subissant des réformes progressistes. En 1939, l'Albanie est occupée par l'armée de l'Italie fasciste.
En 1945, la résistance communiste prend le pouvoir et met en place un régime communiste. Le régime tente de supprimer les spécificités religieuses et culturelles de la ville, notamment ses liens avec l'Italie et leSaint-Siège,Venise etMilan et l'ancienEmpire austro-hongrois. Des personnalités éminentes et importantes duclergé catholique de Scutari sont alors poursuivies etexécutées, les institutions culturelles et religieuses sont transformées selon la nouvelle idéologie. Tout est mis en œuvre pour gommer les traits propres à Scutari. Néanmoins, Scutari est la première ville albanaise à demander la fin du régime communiste albanais et la mise en place d'un régime démocratique dès janvier 1990, juste après lachute du mur de Berlin.
La résistance est perçue à la fois comme une valeur, mais aussi comme une nécessité face à un monde extérieur hostile. La vision Scutarine de l'histoire en matière de lutte perpétuelle implique cette nécessité de défendre en permanence, et parfois jusqu'au fanatisme sanglant, l'identité Scutarine contre les tentatives d'assimilation En ce sens, l'hymne des loup de Shkoder exalte courage, fierté et dignité qui s'incarnent dans la figure du loup :
…
« La nuit où les loups sont nés,
À l'approche de l'aube, les lions rugissaient. Nous sommes alors arrivés, Du fond des âges, dans ce monde hostile. Depuis, nous ne plaisons à personne, Mais nous avons conservé notre dignité. Des siècles durant, nous nous sommes assurés Par la lutte, la liberté ou la mort. Et même si les montagnes de pierre Brûlent dans le feu des batailles Aucune horde au monde
Ne nous mettra à genoux. »
Photographie du père Georges Fishta,franciscain, surnommé le père de la NationRevueL'Étoile de la lumière.Vue d'une rue de la ville.
Les premières revues albanaises diffusées à l’intérieur des frontières de l’Albanie sont imprimées à Scutari. En 1878, on y fabriqua la première bande musicale, et les photographes albanais de la familleMarubi y travaillèrent; laphotothèque de ces photographes était très riche. C’est aussi à Scutari que laFête du Travail du1er mai est fêtée pour la première fois en Albanie.
Gjon Buzuku (date de naissance inconnue), auteur du premier écrit édité en langue albanaise, Le missel ("MESHARI"), contenant la formule dite de baptême, en 1555.
Marin Barleti [Marinus Barletius – en latin / Marino Barlezio – en italien] (1450-1513), humaniste, prêtre catholique, le premier historien albanais.
Pjeter Budi (1566-1622), prêtre, évêque de Sapa et Sarda, vice-administrateur des diocèses de Serbie.
Frang Bardhi [Franciscus Blancus – en latin, Francesco Bianchi – en italien] (1606-1643), évêque de Sapa et Sarda.
Pjetër Bogdani [Pietro Bogdano – en italien, Petro Bogdano - en latin] (1625-1689), prêtre, évêque, archevêque, théologien, et écrivain albanais, auteur du traité théologiqueCuneus Prophetarum (La cohorte des prophètes), 1685, premier livre en prose écrit essentiellement en albanais et en italien.
Vaso Pacha (1825-1892), un des premiers leaders les plus connus du mouvement national albanais, gouverneur général duLiban, àBeyrouth, de 1883 à 1892.