Saccharomyces cerevisiae est uneespèce delevures employée notamment dans la fermentation de labière. Elle occupe une place particulière parmi lesferments,levains etlevures utilisés depuis la HauteAntiquité : de nombreux peuples, tels que les Égyptiens, Babyloniens ou Celtes, l’utilisaient pour la fabrication de boissons fermentées, dupain, dukéfir, duvin et de labière defermentation haute. Cette espèce a été découverte, isolée et identifiée au milieu duXIXe siècle par des brasseurs hollandais à la demande de la corporation desboulangers parisiens qui commençaient à industrialiser leur production et cherchaient pour leur pain un procédé de fermentation plus fiable et plus rapide que leurlevain traditionnel. Ainsi dans ces domaines, certains mélanges de ses différentes souches sont appelées « levure de boulanger » et « levure de bière ».
Par analogie avec son mode de reproduction, elle est également nommée « levure à bourgeon » (ou « levure bourgeonnante »,budding yeast enanglais). L'addition deSaccharomyces cerevisiae est admise comme levure depanification par le décretno 93-1074 en France[1].
Saccharomyces cerevisiae est construit sur les racines grecquesσάκχαρις, saccharo (sucre),μύκης, myces (champignon) et le mot latincerevisia -ae,cervoise (mot d'origine gauloise désignant la bière)[2].
AuXIXe siècle, les boulangers obtenaient leur levure auprès des brasseurs de bière, et cela leur permettaient de faire leur pain grâce à la « fermentation sucrée » comme pour leKaisersemmel[3], aussi nommé le petit pain de l’empereur, qui ne possède généralement pas l’aigreur produite par l’acidification typique deslactobacilles. Cependant, les brasseurs de bière sont progressivement passés de la levure de fermentation haute (S. cerevisiae) à la levure de fermentation basse (S. pastorianus), ce qui a entraîné une pénurie de levures boulangères. L’innovation duprocédé de Vienne, créé en 1846[4], est souvent présentée comme l’utilisation de vapeur dans les fours de cuissons, ce qui a donné de nouvelles croûtes. Il convient également de noter l'inclusion de procédés permettant une mouture fine des grains (voir legruau de Vienne)[3]. La fissuration progressive des grains remplaçant un écrasement en un seul passage, ainsi que l'amélioration des procédés de culture et de récolte des levures à fermentation haute (appelées levures de pression) sont alors mis en place.
Les progrès de la microbiologie à la suite des travaux deLouis Pasteur ont conduit à améliorer la culture de souches pures. En effet, en 1879, la Grande-Bretagne a introduit des cuves spécialisées pour la production deS. cerevisiae et les États-Unis, au tournant du siècle, utilisaient des centrifugeuses pour la production de levures[5], rendant ainsi possible la commercialisation de la levure moderne, et faisant de la production de levure une branche industrielle majeure. Les levures en suspension créées par les petits boulangers ou épiciers sont devenues de la levure de crème, une suspension de cellules de levure vivante en milieu de croissance. Puis les levures compressées sont devenues de la levure fraîche à gâteau qui est devenue le levain standard des boulangers dans une grande partie du monde occidental au début du20e siècle.
Pendant laSeconde Guerre mondiale,Fleischmann a développé pour les forces américaines une levure sèche active sous forme de granules, qui ne nécessitait pas de réfrigération et possédait une plus longue conservation et une meilleure tolérance à la température que la levure fraîche. C’est encore aujourd’hui la levure standard pour la cuisine militaire américaine.
Une entreprise a créé une levure qui montait deux fois plus vite et réduisait le temps de cuisson. Plus tard, dans les années 1970, leGroupe Lesaffre créa la levure instantanée, qui a gagné en utilisation et pris une part de marché considérable au détriment des levures fraîche ou sèche pour diverses applications.
Il a été démontré que les princesses desguêpes sociales (leFrelon européen et lesPolistes notamment) constituaient un réservoir naturel deSaccharomyces cerevisiae. En effet, celles-ci abritent des cellules de levure dans leur intestin pendant l’hivernation (de l'automne au printemps) et les transmettent à leur progéniture lors de la fondation de leur nid. Ces guêpes permettent alors la survie des souches de levures pendant les saisons défavorables et servent de vecteurs disséminant les levures vers des cibles appropriées telles que des fruits mûrs à la fin de l’été[6].
Saccharomyces cerevisiae est capable de se multiplier sous deux formes : une formediploïde (2n = 32 chromosomes) et une formehaploïde (n = 16 chromosomes).
Le cycle cellulaire deSaccharomyces cerevisiae est très stéréotypé et peut s’accomplir de deux manières : par reproduction asexuée ou par reproduction sexuée. Les celluleshaploïdes se multiplient en bourgeonnant : la cellule mère bourgeonne une cellule fille plus petite (mitose), mais possédant la même information génétique. Il existe des cellules haploïdes « a » et des cellules haploïdes « α » qui correspondent à des signes sexuels distincts[7]. Ces deux types de cellules ne se distinguent pas morphologiquement mais par laphéromone qu'elles produisent : MATa ou MATα. Lesphéromones libérées permettent l'amorce du processus defécondation en se liant à un récepteur spécifique. Ensuite c'est la fusion entre une cellule « a » et une « α » qui donne naissance à une cellule diploïde « a/α ». Tant que l'environnement est favorable, le diploïde se multiplie par bourgeonnement. Si lesnutriments viennent à manquer, la cellule repasse en phase haploïde par un processus deméiose. On obtient finalement quatre noyaux haploïdes qui sont inclus dans lesspores (ascospores) contenues dans un sac appeléasque. L'enveloppe de l'asque se rompt à maturité et libère alors deux cellules « a » et deux cellules « α » qui peuvent recommencer le cycle.
Les souches industrielles sont souventpolyploïdes (3, 4, 5n chromosomes) et donc possèdent plusieurs gènes pour un même caractère. Elles sont donc plus stables génétiquement car difficiles à faire muter. La plupart de ces souches sont incapables desporuler dans les conditions de culture industrielle et se reproduisent par bourgeonnement.
Saccharomyces peut produire l'énergie nécessaire à sa survie et à sa reproduction de deux manières différentes, en fonction du milieu ambiant. Ces deux modes de production d'énergie sont :
la voie aérobie :respiration, transformation duglucose endioxyde de carbone et ATP à l'aide de l'oxygène ou utilisation de l'éthanol avec consommation d'O2 (transition diauxique) ;
Le premier est utilisé en cuisine, tandis que la fermentation est privilégiée pour la production d'alcool tel que le vin, la bière, le cidre et bien d'autres.
À l’état naturel, Saccharomyces cerevisiae est retrouvée principalement à la surface de certains fruits, comme le raisin ou les dattes, ainsi que sur les plantes. Ici, on choisira le raisin comme source de prélèvement car il joue un rôle crucial dans la fermentation alcoolique du vin. De plus, le raisin est riche en sucres fermentescibles, favorisant la croissance de Saccharomyces cerevisiae, faisant d'elle une candidate idéale pour l'isolement de la levure. Et bien que les sources de prélèvement de la levure puissent varier, les techniques de prélèvement restent relativement les mêmes[9].
Cette technique repose sur la variabilité au niveau des séquences de l’ADN mitochondrial (ADNmt) entre les souches deS. cerevisiae. À l’aide d’enzymes de restrictions, on coupe l’ADNmt à des séquences spécifiques, on obtient ainsi des fragments de longueur différenteselon les souches. Puis on sépare ces fragments par électrophorèse en fonction de leur taille. Enfin, le motif obtenu (longueur et nombre des fragments), est spécifique à chaque souche, permettant leur identification . Cette méthode est l’une des plus utilisées pour caractériser des isolats de vin lors de la fermentation alcoolique[10].
L’ADN deS. cerevisiae possède desrétrotransposons Ty1, qui sont eux-mêmes entourées de séquences appelées delta. Ces séquences delta varient en nombre et en position selon les souches. On peut utiliser la PCR pour cibler et amplifier les rétrotransposons Ty1 contenant les séquences delta. Des amorces spécifiques (delta 1 et delta 2) sont utilisées pour identifier les séquences qui nous intéressent. Les fragments amplifiés sont séparés par électrophorèse, permettant ainsi la différenciation des souches selon la longueur et le nombre de ces fragments[10].
Par définition, les marqueurs microsatellites sont des séquences courtes de l’ADN répétées dont le nombre de répétitions varie beaucoup selon les espèces, les individus et même selon l’allèle. Ils peuvent alors représenter une source de différenciation entre les souches de S.cerevisiae. On peut amplifier ces séquences à l’aide de la PCR et ensuite par électrophorèse, on détermine la longueur de chaque marqueur microsatellite (figure 3). Les profils obtenus (nombre et taille des fragments amplifiés) pour au moins six microsatellites permettent unedifférenciation sûre des souches deS. cerevisiae[10].
On cultiveS. cerevisiae dans des milieux contenant chacun des glucides différents qu’elle est capable de fermenter (glucose, galactose, maltose et saccharose) et on observe les indicateurs de la fermentation : la production de CO2 et/ou l’acidification du milieu. Il faudra donc également ajouter un indicateur de pH, par exemple le pourpre de bromocrésol, pour observer le changement de couleur du milieu ou une cloche de Durham pour piéger le gaz, uniquement si le milieu est liquide. Ensuite on incube généralement de 24 à 72 heures dans des conditions de pH et températures optimales. Si le milieu devient acide et/ou il y a production de gaz, on a un résultat positif, cela signifie qu’on a bien identifié S. cerevisiae dans le milieu.On peut également faire l'expérience inverse et cultiver la levure dans un milieu contenant un glucide qu’elle ne fermente pas, tel que le lactose. On s’attend alors à un résultat négatif, c'est-à-dire pas d'indicateurs de la fermentation[11].
Test de d’assimilation des sources de carbone ou d’azote
Similaire au test de fermentation, on peut cultiverS. cerevisiae avec, comme seule source de carbone ou d’azote, un composé qu’elle est capable d’assimiler (glucose, saccharose, maltose, galactose, tréhalose) ou avec un composé qu’elle n’est pas capable d’assimiler(lactose, inositol). Cette fois-ci, la lecture sera basée sur la croissance visible ou non de la levure. On peut évaluer la croissance à l'œil nu ou de manière quantitative avec la spectrophotométrie[12].
On souhaite déterminer si le microorganisme produit l'enzyme catalase qui décompose du peroxyde d’hydrogène en O2 et H2O. Cette réaction produit des bulles de gaz visibles. On place une petite quantité de culture sur une lame au microscope, on ajoute une goutte du H2O2 et on attend de voir si des bulles apparaissent ou pas. PourS. cerevisiae, le résultat attendu est positif, il y a productionde gaz et cela signifie que la levure produit bien la catalase pour se protéger des effets toxiques du H2O2[13].
il est facile à manipuler en laboratoire (pousse sur des boîtes d'agar-agar ou en culture) ;
son temps de génération est rapide (1 à 2 h dans un environnement optimal) ;
il est non pathogène : on trouveSaccharomyces cerevisiae dans notre microbiote, sur la peau, les cavités orales, l'oropharinx, le vagin et le tube digestif[14] ;
il peut vivre sous forme diploïde et haploïde : croisements faciles et manifestation directe des phénotypes ;
conservation des processus de biologie cellulaire fondamentaux qui permet des études sur les fonctions ancestrales ;
son génome est petit.
En1996, ce fut le premiereucaryote dont legénome d'une de sessouches, S288C[15] a été séquencé[16]. Entreprise considérable pour l'époque, le séquençage du génome de la levure nécessita la collaboration de 641 scientifiques répartis dans 96 laboratoires dans le monde[17]. Leur travail fut coordonné par seize généticiens sous la supervision d’André Goffeau, alors professeur à la Faculté d’ingénierie biologique, agronomique et environnementale de l'université Catholique de Louvain. Son génome nucléaire, composé de 16chromosomes linéaires, fait 12 millions depaires de bases et contient de 5 800 à 6 572 gènes[18]. On estime que l'Homme partage 23 % de sesgènes avec cette levure.
En 2011 est initié le programmeFungal Genomes Project, afin de séquencer le génome d'espèces plus ou moins proches de la levure (800 génomes décryptés en 2018). À partir de 2013, plusieurs équipes de recherche se concentrent surSaccharomyces cerevisiae, avec l'objectif de séquencer le génome de 1 011 levures de toutes origines. Leurs travaux permettent de construire unarbre phylogénétique, dans lequel 813 des 1 011 souches se regroupent en 26 lignées. Cet arbre indique que l'espèce la plus proche deS. cerevisiae estS. paradoxus (une levure des arbresdécidus) et que les souches deS. cerevisiae les plus proches deS. paradoxus viennent deChine :S. cerevisiae a très certainement son origine en Chine[19],[20].
L'ensemble des données génomiques concernantSaccharomyces cerevisiae sont rassemblées surSaccharomyces Genome Database
Certaines études ont montré la possibilité d'utiliser une souche appeléeSaccharomyces cerevisiae var. boulardii comme médicament pour plusieurs maladies gastro-intestinales[21] ou encore pour réduire le risque de diarrhées associé aux antibiotiques[22].
En laboratoire de recherche, cette levure est utilisée pour induire une fièvre (pyrexie) chez le rat ou lasouris de laboratoire[23].
Saccharomyces cerevisiae est aussi un champ de recherche sur l'intégration d'ADN synthétique. En 2014, il y est implanté avec succès une synthèse fonctionnelle d'unchromosome, et en 2024, c'est plus de la moitié de sonmatériel génétique qui a été recréé en laboratoire, ces réalisations étant des premières pour descellules eucaryotes[24],[25].
Valorisation économique d'un sous-produit brassicole
leplomb (Pb)[26] ; L'orge qui sert à produire le malt est une graminéehyperaccumulatrice desmétaux lourds et en particulier du plomb[27]. Et par ailleurs, la levure de bière a été étudiée et proposée (2021) comme un puissant agent defongoremédiation : elle peut être utilisée pour décontaminer des eaux polluées par certaines encres (basiques) et par certains métaux lourds (plomb notamment, source desaturnisme) par exemple pour des eaux acides dedrainage minier (source majeure de pollution de l’eau dans les régions minières) ;« un seul gramme de cellules de levure inactives et séchées peut éliminer jusqu'à 12 milligrammes de plomb dans des solutions aqueuses dont la concentration initiale en plomb est inférieure à 1 partie par million. Ils ont également montré que le processus est très rapide, puisqu'il prend moins de cinq minutes. ». Une étude (2020) a analysé 15 échantillons de levure de bière venant de différents pays (teneur moyenne : 0,24 microgramme/gramme de levure)[28]. Une autre (2018) en avait trouvé (pour 10 échantillons) en moyenne 0,16 microgramme/g par gramme pour la levure de bière, et 0,12 pour la levure nutritionnelle[29]. Une troisième (2017) sur neuf échantillons traités à différentes températures en avait trouvé en moyenne 0,18 microgramme/gramme, et cette teneur n’était pas affectée par le traitement thermique[30].
des résidus de pesticides issus des cultures d'orge et/ou de houblon. Par exemple, des résidus deglyphosate (désherbant) étaient retrouvés en Allemagne dans 6 bières sur 14 en 2020[31] alors qu'en 2007, 9,5 % des céréales testées en Europe par l'EFSA en contenaient[32] et dans l'étude EAT 2 l'ANSES en a retrouvé dans tous les échantillons de céréales infantiles analysés[33].
À condition de gérer ces indésirables, la levure de bière peut devenir une source « verte » depeptides bioactifs[34].
Une suspension de levure résiduelle de bière contient pour plus de 50 % de sa composition (en matière sèche) des protéines, ainsi que des polysaccharides et en quantité moindre des acides ribonucléiques (ARN), des minéraux et fibres et des lipides[34].
On peut, après maturation et via des traitements de rupture de la paroi cellulaire tels que l'autolyse, broyage par billes de verre, l'hydrolyse enzymatique produire unhydrolysat et en extraire des protéinesantioxydantes et autres (le fractionnement de l’hydrolysat protéique, via l'ultrafiltration sur membranes, membranes céramiques éventuellement, permet de récupérer des molécules d'intérêt pour l'Industrie (agroalimentaire,biotechnologique etpharmaceutique)[34].
↑Thais M, Guimarães, et al.Isolation and Characterization of Saccharomyces Cerevisiae Strains of Winery Interest. RCBF, mars 2006, https://www.scielo.br/j/rbcf/a/W8C97GgskQKdYw499rc7Ztq/?format=pdf.
↑ab etcGabriela Vollet Marson. Concentration and fractionation by membranes of spent brewer’s yeast protein hydrolysate. Chemical and Process Engineering. Université Montpellier; Universidade estadual de Campinas (Brésil), 2020. English. NNT : 2020MONTG015. tel-03847839 |url=https://theses.hal.science/tel-03847839/preview/2020_VOLLET_MARSON_archivage.pdf.