Le royaume séleucide, « fusion » de l'Orient et du monde grec, semble au départ fidèle au projet d'Alexandre. Il comprend une multiplicité de groupes ethniques, de langues et de religions. Dans ce contexte, plus encore que pour les autres monarchieshellénistiques, le roi est supposé être le garant de l'unité de l'empire, l'armée apparaissant comme le meilleur soutien du pouvoir. Les Séleucides ont promu par ailleurs l'hellénisation en développant l'urbanisme, comme le montrent latétrapole de Syrie et les nombreuses fondations ou refondations de cités et de villes-garnisons. Parallèlement, ils s'appuient sur les élites religieuses en honorant les divinités indigènes, comme celles de Babylonie.
L'immensité et la diversité du royaume séleucide l'ont fragilisé face aux forces centrifuges, obligeant les souverains à reconquérir périodiquement leurs possessions. Le royaume, qui souffrirait d'une fragilité intrinsèque, a donc été souvent opposé par les historiens aux autres grands États hellénistiques : la monarchie « nationale » desAntigonides deMacédoine, l'Égypte desLagides, héritière despharaons et dotée d'une administration centralisée, la monarchie desAttalides bâtie autour de la cité-État dePergame. Mais il s'avère que les Séleucides ont su faire fructifier l'héritage des Achéménides et d'Alexandre en accordant une autonomie certaine aux cités et aux différentes communautés, tout en luttant contre de puissants adversaires à leurs frontières.
Les Séleucides, ainsi que d'autres entités de l'époque hellénistique, ont utilisé une nouvelle ère calendaire, l’ère séleucide, aussi appeléeère des Grecs, qui démarre en Babylonie à la date de la reconquête du pouvoir par Séleucos en311 av. J.-C. ; elle marque une étape fondamentale dans l'histoire des calendriers car elle est le précurseur direct des systèmes calendaireshébraïque,hégirien,zoroastrien et de l'ère chrétienne ouère commune.
Finalement, la période de consolidation du royaume, allant du règne d'AntiochosIer au début du règne d'AntiochosIII (281-223), est peu abordée par les sources littéraires.Phylarque a traité de cette période, mais son œuvre est perdue ; n'en subsistent que quelques fragments qui évoquent, négativement,AntiochosII, et des meurtres dynastiques.Démétrios de Byzance a écritSur l’expédition des Galates d'Europe en Asie etSur Antiochos, Ptolémée, et la Libye sous leur gouvernement, mais son œuvre a elle aussi disparu[4]. Les sources littéraires abondent concernant la partie méditerranéenne du royaume, marquant le désintérêt des auteurs grecs et latins pour les régions orientales. Cette perception déséquilibrée exerce encore une influence sur la façon de concevoir le royaume séleucide[5].
EnBabylonie, les tablettes cunéiformes écrites enakkadien délivrent quelques renseignements sur cette région qui est restée dans le giron du royaume séleucide jusqu'au milieu duIIe siècle av. J.-C.. Ces documents, parfois de grandes œuvres littéraires ou scientifiques, émanent des temples qui sont à la source d'un renouveau culturel à l'époque hellénistique[9]. On trouve aussi des documents établis entre des particuliers : contrats notariés, de ventes, de locations, de donations, de divisions ou d'échanges de propriété[10]. Les documents chronographiques sont les mieux connus. Il s'agit de chroniques et de calendriers astronomiques, souvent fragmentaires, qui permettent de renseigner sur l'histoire événementielle et la présence des rois à Babylone[11]. Il existe enfin des cylindres de fondation commémorant l'édification ou la restauration de temples par le pouvoir royal, le plus connu étant le « cylindre d'Antiochos », en l'honneur d'AntiochosIer, retrouvé dans le temple deBorsippa[12],[13]. La langue courante enMésopotamie est l'araméen, mais elle est écrite sur des parchemins ou sur des papyrus qui n'ont pas été conservés faute de conditions climatiques propices. La fouille deSéleucie du Tigre a permis la découverte d'environ 30 000 empreintes de sceaux qui accompagnaient des papyrus ou des parchemins dont il ne reste rien. Les effigies royales visibles sur certains sceaux constituent une précieuse documentation. D'autres sceaux renseignent sur la fiscalité séleucide[14].
Les monnaies royales séleucides sont abondantes quelles que soient les régions et les époques, en partie parce que des ateliers monétaires ont été installés dans tout le royaume[15]. De nombreuses publications numismatiques sont disponibles[16],[17].
Les vestiges archéologiques en rapport avec la royauté sont peu nombreux. On ne connaît par exemple aucun palais séleucide ou de grands monuments équivalents à ceux desAchéménides (àPasargades, àPersépolis ou àSuse) ou desLagides (àAlexandrie). Par ailleurs les quatre grandes cités de latétrapole deSyrie (Antioche,Séleucie de Piérie,Laodicée etApamée) sont très mal connues pour l'époque hellénistique[18],[19]. Le niveau séleucide a été fouillé àSéleucie du Tigre mais de manière épisodique. Construite essentiellement en briques, matériau très érodable, la cité n’a pas laissé de vestiges à la hauteur de sa magnificence passée, jusqu'à ses murailles vantées parStrabon dont il ne reste aucune trace[20].
La politique de colonisation des Séleucides a laissé une trace plus visible sur le terrain[21],[22]. Les informations sont conséquentes sur les grandes implantations du Proche-Orient (Israël etLiban). Mais les sites deSyrie, d'Irak, d'Iran et d'Afghanistan restent inaccessibles à l'heure actuelle (2017), même siDoura Europos,Jebel Khalid etAï Khanoum ont déjà été largement explorés. LaTurquie continue d'offrir de nouvelles découvertes. Les sites deSéleucie de l'Euphrate et d'Apamée n'ont pas été explorés entièrement car ils ont été engloutis avec la construction d'un barrage en 2000[23]. EnOuzbékistan, la fouille des sites deTermez[24] et deSamarcande[25] enOuzbékistan actuel ont permis d'atteindre les niveaux de l'époque séleucide.
Les fouilles archéologiques de plusieurs sites de l'époque séleucide en Syrie ont permis de mieux connaître les fondations royales, qui prennent souvent forme à partir de sites déjà occupés, tandis que les cités de la tétrapole syrienne n'ont pu être approchées que superficiellement (surtout leurs murailles et des quartiers d'habitation) car situées sur des sites toujours habités[19].Apamée sur l'Euphrate, construite à l'époque deSéleucos Ier, est ainsi une cité fortifiée de40 hectares, au plan de type orthogonal, entourée par une puissante muraille, qui n'a pas empêchée sa destruction dans la seconde moitié duIIe siècle av. J.-C. sous les coups desParthes. Située plus bas sur le fleuve, le site de Jebel Khalid (nom antique inconnu), construit au début duIIIe siècle av. J.-C., s'étend sur plus de50 hectares, eux aussi défendus par une solide fortification ; il comprend uneacropole également fortifiée, où a été dégagé un palais, sans doute occupé par un gouverneur. Il n'a pas livré de traces importantes pour l'époque postérieure aux Séleucides, ce qui en fait un des meilleurs endroits pour étudier une fondation séleucide. C'est moins le cas deDoura Europos, certes une fondation séleucide, mais dont les ruines dégagées datent surtout des périodes postérieures. On y distingue là aussi une muraille qui signale le rôle défensif de ces fondations, ainsi que des rues à angle droit, et des bâtiments à finalité politique (palais,stratégion). La fonction de garnison du site a sans doute été renforcée après la conquête de la Mésopotamie par les Parthes et la transformation de la rive gauche de l'Euphrate en espace frontalier, l'archéologue Pierre Leriche considérant que cette période voit une re-fondation de la ville[22]. Des fondations séleucides se retrouvent également aux marges de l'empire.Aï Khanoum enBactriane est également un site fortifié disposant d'éléments architecturaux caractéristiques des fondations grecques de l'époque hellénistique (gymnase, théâtre), mais la culture matérielle est clairement hybride, présentant de nombreuses caractéristiques iraniennes ; elle constitue surtout la meilleure source de connaissance sur leroyaume gréco-bactrien. Un autre site fouillé dans la périphérie de l'empire est situé sur l'île de Failaka, auKoweït, où un sanctuaire grec auquel succède un fortin ont été mis au jour pour la période séleucide ; une inscription en grec duIIIe siècle av. J.-C. indique que l'île, alors nommée Ikaros, dispose d'un administrateur grec[26].
Finalement, les sources littéraires, épigraphiques et archéologiques sont très déséquilibrées car elles renseignent essentiellement sur la partie méditerranéenne du royaume, laissant des pans entiers hors du champ de la recherche. Ceci explique la tendance actuelle des historiens à étudier le royaume sous un angle régional[27].
Souvent considéré comme l'« homme malade » du monde hellénistique[28], le royaume séleucide a longtemps été occulté par leroyaume lagide du fait du prestige de la traditionpharaonique et de l'abondante documentation papyrologique et archéologique trouvée en Égypte[28]. Le royaume souffre aussi de la comparaison avec l'Empire romain, comparaison qui trouve son origine chezPolybe pour qui le système politique des monarchies hellénistiques pâtirait d'une faiblesse structurelle[29]. Les Séleucides seraient aussi considérés comme l'incarnation d'une forme de « despotisme oriental »[30], notamment par les sourcesjuives (livres des Maccabées), tandis que les incessantes querelles dynastiques apparues à la fin duIIe siècle av. J.-C. jettent le discrédit sur la capacité politique des souverains. Il est remarquable qu'AntiochosIII soit considéré par lavulgate comme le seul roi digne de sa fonction.
L'étude des Séleucides a traditionnellement été le domaine des seuls hellénistes.Johann Gustav Droysen, le fondateur du concept d'époque hellénistique (Geschichte des Hellenismus, 1836-1843), voit au contraire des historiens de son temps la période qui s'ouvre après la mort d'Alexandre le Grand comme celle d'un renouveau politique, moral et artistique. Le royaume séleucide incarne alors cette formidable expansion de la culture hellénique jusqu'aux confins de l'Asie, bien que, d'après lui, les Séleucides souffriraient d'un manque d'unité à l'instar desHabsbourg de l'époque moderne[31].
AvecThe House of Seleucus (1902), Edwyn Robert Bevan est le premier historien de l'époque contemporaine à proposer une monographie relative aux Séleucides, mais il se voit confronté aux lacunes dans les sources littéraires entre le règne d'AntiochosIer et celui d'Antiochos III, tandis que les derniers rois de ladynastie s'avèrent peu étudiés. Les institutions restent encore mal connues et le système financier n'est même pas traité, faute de documentation[32].
La première monographie en langue française consacrée aux Séleucides (Histoire des Séleucides par Auguste Bouché-Leclercq, 1913) fait partie d'une « histoire de l'hellénisme »[33]. La première place revient aux rois : un seul chapitre sur les seize de l'ouvrage est consacré aux modes de gouvernement[34]. L'auteur émet un jugement défavorable à l'encontre de la politique des rois séleucides, coupables d'une « dégénérescence progressive », en reprenant à son compte les sources antiques. Par ailleurs, l'état des recherches empêche à l'époque de distinguer les différents Séleucos et Antiochos parmi les sources épigraphiques et littéraires[35].
William Woodthorpe Tarn, dansSeleucid-Parthian Studies (1930), est le premier historien à s'intéresser spécifiquement aux sorts des provinces (ou anciennes provinces) orientales du royaume séleucide. Il étudie l'administration dessatrapies en tâchant d'y déceler la persistance de l'héritageachéménide[36].
Au début duXXe siècle, l'étude de l'histoire du royaume séleucide s'insère dans une histoire générale de l'époque hellénistique à travers l'exploitation des sources littéraires grecques[37]. L'ouvrage d'Élias Bikerman (Institutions des Séleucides, 1938), qui fait encore autorité de nos jours, est le premier à mettre en perspective des documents provenant des différentes régions du royaume. Les Séleucides sont aussi traités dans la fondamentaleHistoire économique et sociale du monde hellénistique deMichel Rostovtzeff, parue en 1941. L'œuvre d'Édouard Will (Histoire politique du monde hellénistique, 1966-1967) ouvre le champ à une analyse globale, mais l'époque hellénistique reste alors considérée comme une période de déclin pour les cités grecques. Après lui, desépigraphistes ont démontré que cette conception est erronée[N 6] ; mais les recherches restent toujours centrées sur les cités grecques d'Anatolie. Dans les années 1980-1990, l'histoire du royaume séleucide profite des avancées de la recherche sur l'empire perse desAchéménides, avec de nombreux colloques rassemblées parPierre Briant[38]. Depuis, de nombreux colloques ont été organisés auCollège de France par le Réseau international d’études et de recherches achéménides. Il est depuis démontré que les Séleucides s'inscrivent dans la continuité desGrands Rois perses pour le contrôle des territoires[39].
Les historiennes Susan Sherwin-White et Amélie Kuhrt publient en 1993From Samarkhand to Sardis : A New Approach to the Seleucid Empire. Cet ouvrage, parfois contesté[40], a le mérite d'analyser les structures administratives et l'idéologie royale, avec comme indiqué dans le sous-titre l'ambition de prendre en compte l'insertion de l'empire (terme employé à dessein) dans le monde oriental. En 1999, John Ma publieAntiochos III et les cités de l’Asie Mineure occidentale[N 7]. Même s'il porte uniquement sur le règne d'Antiochos le Grand, son ouvrage fait date pour son analyse des relations entre pouvoir royal et communautés civiques. Ces deux ouvrages ont servi de base de réflexion à Laurent Capdetrey dansLe Pouvoir séleucide. Territoire, administration, finances d’un royaume hellénistique, paru en 2007, où il parvient à démontrer que les Séleucides ont su créer un mode de gouvernement adapté aux territoires et aux communautés[41]. En 2004, Georges G. Aperghis publieThe Seleukid Royal Economy en s'appuyant sur la documentation grecque mais aussimésopotamienne. Diversement accueilli par la communauté scientifique, cet ouvrage se veut résolument moderniste en soutenant que les Séleucides, dont la fiscalité et les affaires financières seraient au cœur des préoccupations, ont élaboré une politique économique comparable à celle des États contemporains. Il propose aussi une estimation de différentes données : taille de la population, superficies habitées et cultivables, rendements, etc.[42].
D'autres publications ont permis d'amorcer ce renouveau, notamment celles recensant les inscriptions provenant des régions iraniennes qui ont été publiées par Georges Rougemont dans les « Inscriptions grecques d'Iran et d'Asie centrale »,Journal des Savants, 2002[43]. L'histoire séleucide a également profité des études régionales, dont celles principalement deMaurice Sartre,D’Alexandre à Zénobie : Histoire du Levant antique (2001) etL’Anatolie hellénistique (2003)[N 8]. Arthur Houghton et Catharine Lorber dansSeleucid Coins : A Comprehensive Catalogue (2002-2008) ont su renouveler l'étude numismatique en analysant la politique monétaire de chaque souverain. Enfin l'ouvrage coécrit par Philippe Clancier, Omar Coloru et Gilles Gorre,Les Mondes hellénistiques : du Nil à L'Indus, publié en 2017, s'appuie sur des sources non grecques, notamment babyloniennes, achevant de renouveler l'étude du royaume séleucide.
Depuis le début des années 2000, la recherche s'est donc étendue à l'étude des sources non-grecques, dont celles, relativement abondantes, deBabylonie (tablettes enakkadien), même si la région sort du royaume vers130 av. J.-C. Le fait que le royaume séleucide ne soit pas un ensemble homogène en termes ethniques, politiques et linguistiques ajoute à la difficulté d'une étude globale[N 9]. On remarque en effet à l'heure actuelle une spécialisation des historiens à propos d'aspects politiques, économiques, culturels ou militaires du royaume séleucide, souvent vu sous l'angle de la cité qui reste l'échelon privilégié, au détriment d'une étude plus générale qui permettrait d'envisager son unité. Ce phénomène tient aussi du fait que les sources restent déséquilibrées entre les régions ou les époques[44].
Séleucos est proclamé roi de Babylone vers305, consécutivement à la proclamation royale d'Antigone et de son filsDémétriosPoliorcète, avec pour volonté d'intégrer l'héritage politiqueachéménide[49]. Les Séleucides sont d'ailleurs la seule des dynasties hellénistiques à posséder une ascendance iranienne. Séleucos a en effet épouséApama, la fille d'un noble perse ou sogdien, de laquelle naît son héritierAntiochosIer.
Séleucos rejoint en304 la coalition réunissantPtolémée,Lysimaque etCassandre contreAntigone qui manifeste une ambition impériale entre Europe et Asie[50]. En301, Séleucos parvient à regrouper ses forces avec celles de Lysimaque enPhrygie. Antigone est vaincu à labataille d'Ipsos. DevenuNikatôr (« le Victorieux »), Séleucos reçoit la partie orientale de l'Anatolie, la majeure partie en revenant à Lysimaque, et la façade méditerranéenne de laSyrie, dont Ptolémée occupe la partie méridionale :Judée etPhénicie, soit la futureCœlé-Syrie[51]. Ce partage est à l'origine desguerres de Syrie contre lesLagides. Il s'empare des places fortes du Poliorcète enPhénicie et en Anatolie, puis il entre en guerre contreLysimaque qu'il défait à labataille de Couroupédion en281, récupérant l'ensemble de ses possessions anatoliennes[52]. Il marche enfin contre laMacédoine, mais il périt assassiné, léguant àAntiochosIer un immense empire[53].
Le fait de posséder désormais une partie de la Syrie et de l'Anatolie implique une redéfinition des moyens de contrôle du territoire. Séleucos fondeSéleucie du Tigre, sa première capitale, enBabylonie entre311 et306, démontrant qu'il entend faire à cette époque de la région le cœur de son royaume[54]. Puis, après Ispos, il transfère un temps sa capitale àSéleucie de Piérie, sur le littoral syrien[55]. La capitale est définitivement installée àAntioche vers240[56],[N 10].
Le terme habituellement employé pour qualifier l'espace séleucide est « royaume » oubasileia, conformément aux usages des auteurs antiques, sachant que les rois hellénistiques portent uniquement le titre debasileus. Le terme d'« empire » (archè)[N 11] parait moins adapté selon certains historiens[57] ; il rend néanmoins compte de l'immensité du territoire et de la pluralité des populations soumises aux Séleucides[58].
Le royaume séleucide, de par ses frontières étendues et la rivalité avec les autres États hellénistiques, a connu de nombreuses guerres. LaSyrie-Phénicie, appelée aussiCœlé-Syrie ou « Syrie creuse », est au centre des conflits avec lesLagides durant les sixguerres de Syrie (274 à168 av. J.-C.), sachant que les Ptolémées profitent souvent des changements de règne pour passer à l'offensive.
AntiochosIer doit d'abord faire face, au tout début de son règne, aux ambitions dePtoléméeII qui parvient à s'étendre sur le littoral méridional d'Anatolie[59]. Il combat par ailleurs lesCeltes (bientôt appelésGalates) qui ont été poussés à piller le littoral anatolien par le roi deBithynie,NicomèdeIer. Sa victoire, vers275, contre lesbarbares lui confère assez de prestige pour qu'il s'adjuge l'épithète de Sauveur (Sôter) des Grecs[60]. Puis de274 à271 se déroule la premièreguerre de Syrie, dont les responsabilités et le déroulement restent méconnus[61]. Il est probable que le souverain lagide ait mené une expédition préventive enBabylonie, en passant par legolfe Persique, afin de contrecarrer l'expansion séleucide enCœlé-Syrie et Phénicie. Antiochos aurait lancé une contre-offensive contre la Syrie, obligeant PtoléméeII à défendre l'Égypte. En 271, le traité de paix aboutit à unstatu quo : laCœlé-Syrie reste lagide mais Antiochos, après un début de règne marqué par de nombreux conflits, voit son autorité renforcée[62]. Enfin,Pergame devient indépendante avecEumèneIer vers262[63]. Antiochos conclut tout de même un traité avecAntigoneII Gonatas vers278, prélude à une alliance durable avec lesAntigonides deMacédoine[64].
Vers253,AntiochosII remporte la deuxièmeguerre de Syrie, dont les événements déclencheurs et les opérations restent obscurs[65]. Il obtient laCilicie, laPamphylie ainsi que l'Ionie et rend leurs libertés civiles aux cités grecques d'Anatolie, dontÉphèse etMilet[66]. Le traité de paix aboutit à un mariage entre AntiochosII etBérénice Syra, fille dePtoléméeII, sa première épouse,Laodicé, étant répudiée. Peut-être faut-il y voir une tentative d'alliance qui se voudrait durable, ou alors une tentative de déstabilisation dynastique ourdie par le Lagide[67]. AntiochosII intervient ensuite enThrace et dans les détroitshellespontiques[68]. Mais au même moment, laBactriane etParthie commencent à faire sécession[69].
Peuplée par diverses communautés indigènes (Lydiens,Lyciens,Cariens,Lycaoniens,Isauriens, etc.) et jalonnée decités grecques jalouses de leur indépendance, l'Anatolie est un territoire très hétérogène[74], et jamais les Séleucides (dont la puissance réside enSyrie) ne sont parvenus à la soumettre complètement. Les plus puissantes cités anatoliennes conservent leurs institutions et sont quasi autonomes. D'autres cités sont par contre placées sous tutelle séleucide et doivent payer tribut. Les cités faisant preuve de loyalisme sont récompensées, en retour elles délivrent des honneurs et des cultes aux souverains séleucides. Des sanctuaires (comme ceux deDidymes près deMilet ou deClaros près deColophon) possèdent de vastes domaines exploitées par des communautés paysannes[75].
Au milieu duIIIe siècle av. J.-C., sous le règne d'AntiochosII, la Bactriane fait sécession sous l'impulsion du satrapeDiodote. Pour autant, les liens restent étroits entre les colons gréco-macédoniens et les Séleucides ; des monnaies sont d'ailleurs émises au nom du roi.Diodote II prend le titre royal vers235 et fonde leroyaume gréco-bactrien ; mais il est renversé parEuthydème en225. Son successeur,Démétrios, réalise la conquête des marges nord-occidentales de l'Inde (Paropamisades, Arachosie et Drangiane) entre206 et environ200, profitant de la retraite de l'armée séleucide après l'Anabase d'Antiochos III. Il s'étend ensuite vers les bouches de l'Indus et les royaumes indiens de la côte. À sa mort, le royaume est morcelé en trois parties. Il est réunifié parEucratide autour d'une « Grande Bactriane » ; mais celui-ci est attaqué par lesParthes deMithridate et par un autre roi grec,Ménandre, qui règne autour deSagala. Ces royaumes d'au-delà l'Hindou Kouch sont à l'origine desroyaumes indo-grecs qui perdurent pour certains jusqu'à la fin duIer siècleapr. J.-C. Entre150 et130, la Bactriane subit l'avancée du peuple nomade desYuezhi, assimilés auxTokhariens[80].
Le règne d'Antiochos III (222-187 av. J.-C.) marque la restauration de l'autorité royale dans les provincesanatoliennes et orientales. Pourtant le début de son règne est difficile[83]. Il doit d'abord faire face à la révolte deMolon, gouverneur des satrapies orientales, qui a pris le titre royal comme l'attestent les monnaies frappées à son nom[84]. Il élimine également son ambitieuxvizir,Hermias, et lutte contreAchaïosII, gouverneur d'Anatolie qu'il a reconquise aux dépens desAttalides dePergame. La suite de son règne montre sa volonté de restaurer l'empire originel des Séleucides. Il est défait à labataille de Raphia parPtoléméeIV en217 durant la quatrièmeguerre de Syrie, ce qui ne l'empêche pas de reprendreSéleucie de Piérie[85]. Il parvient finalement en200 à prendre laCœlé-Syrie lors de la cinquième guerre de Syrie[86]. Entre-temps, il a mené une véritableanabase en Asie (212-205), marchant sur les pas d'Alexandre le Grand, avec pour objectif de faire face à l'expansion desParthes et à la sécession duroyaume gréco-bactrien[87]. La reconquête des Hautes satrapies reste sans lendemain, mais Antiochos, devenu « Le Grand », est parvenu à rétablir l'influence séleucide jusqu'augolfe Persique[88]. Il marche enfin contre laThrace, conquise en196, s'étendant aux dépens des Attalides[89]. Il entend par ailleurs renforcer l'autorité royale en centralisant le culte royal et en réformant l'administration[88].
Son filsAntiochosIV, considéré comme le dernier grand roi séleucide[94], entend restaurer la grandeur du royaume. Il défait les Lagides lors de la sixièmeguerre de Syrie[N 14], mais doit quitterAlexandrie face à l'ultimatum des Romains[95],[N 15]. Dans le même temps, il échoue à réprimer larévolte des Maccabées enJudée (169-165)[96]. Il meurt alors qu'il mène campagne dans les Hautes satrapies durant une nouvelle tentative d'anabase.
Les dernières années de ladynastie séleucide sont marquées par d'incessantes querelles entre frères, neveux et oncles ou cousins, d'autant plus complexes qu'elles impliquent souvent des princesseslagides[101]. LaSyrie, dernier reliquat du royaume séleucide, sombre bientôt dans l'anarchie, chaque cité avançant son prétendant. LesJuifs, sous la direction desHasmonéens, obtiennent par ailleurs leur indépendance vers104[82]. Les cinq fils d'AntiochosVIII se livrent en effet une compétition pour le pouvoir. AinsiDémétrios III règne autour deDamas, et finit par être vaincu par lesParthes en88, tandis quePhilippeIer règne lui autour d'Antioche.AntiochosXII, installé à Damas, se rebelle bientôt contre son frère Philippe ; mais il est vaincu par lesNabatéens qui occupent la Syrie méridionale[101].
La suppression des Séleucides et la création de la province romaine de Syrie, produits de l'impérialisme romain, répondent à des mobiles complexes[106] : les motifs de Pompée, outre l'ambition de faire de la Syriesa province, pourraient être de contenir l'expansionparthe, de faire face à la piraterie en Méditerranée orientale ou de sécuriser le commerce caravanier[107].
Si la Syrie proprement dite devient une province romaine, la plus grande partie des régions orientales qui a constitué le royaume séleucide à l'époque deSéleucos Ier appartient désormais aux Parthes[108].
La situation change au début du règne d'AntiochosIII qui restaure l'autorité séleucide sur les Hautes satrapies par sonAnabase, avant de se concentrer sur la partie occidentale du royaume. Il mène une série de campagnes victorieuses en Syrie et en Anatolie. En192, lesRomains et leurs alliéspergamiens, inquiets de cette réussite, l'affrontent lors laguerre antiochique et, après leur victoire, lui imposent àApamée de sévères conditions financières et territoriales[88]. Malgré la perte définitive de l'Anatolie, les Séleucides dominent encore un immense territoire. Mais les Parthes occupent définitivement les satrapies iraniennes (Perside,Médie,Susiane) à partir de148 puis laMésopotamie à partir de141.TigraneII d'Arménie soumet enfin laCilicie, laPhénicie et la Syrie en obtenant qui plus est la couronne séleucide en83[82].
Contrairement à l'Égyptelagide et à laMacédoineantigonide qui possèdent une logique culturelle et territoriale bien déterminée, le royaume séleucide se distingue par un territoire immense et fragmenté, dont les frontières ne sont pas clairement définies, tandis que les modes de contrôle des territoires varient fortement d'une région à l'autre. La figure royale est dès lors cruciale pour assurer la cohérence au sein de l'empire[109]. Le culte royal, héritage duculte héroïque d'Alexandre le Grand, y participe en imposant la figure du roi « libérateur » et « bienfaiteur » auprès des cités et des différentes communautés.
Le roi séleucide est souvent appelé « roi de Syrie » aussi bien par les sources anciennes[A 1] que les historiens modernes[110], même si à l'origineSéleucosIer Nicator est roi deBabylonie[A 2]. Cette dénomination serait apparue après la perte de la Babylonie et de laMésopotamie au milieu duIIe siècle av. J.-C. Pourtant, il est probable qu'en tant que successeurs desAchéménides et d'Alexandre, les Séleucides se considèrent plutôt comme « roi d'Asie », titre que leur donne d'ailleurs les sources juives[110]. Ces considérations faites, il convient de noter que le royaume ne porte aucune dénomination officielle. Dans les actes écrits en grec, les souverains séleucides sont seulement connus sous le titre de « roi Séleucos » ou de « roi Antiochos » ; quant au royaume, il est le « royaume de Séleucos » ou le « royaume d'Antiochos ». En Babylonie, néanmoins, le souverain est nommé « roi de Babylone » dans les tablettes enakkadien[110]. À titre de comparaison, lesLagides sontpharaons d'Égypte[N 17], lesAntigonides rois desMacédoniens, lesAttalides rois dePergame. Enfin, contrairement au royaume de Macédoine et à sonassemblée des Macédoniens, l'armée ne possède officiellement aucun pouvoir pour désigner, ou destituer, un roi, même si elle joue un rôle important dans les périodes de vacances du pouvoir. Les rébellions contre la royauté restent marginales[111]. Tout au plus, peut-on citer la révolte contreAlexandre Balas ou celle contreDémétriosII.
La royauté séleucide n'est donc ni nationale, ni territoriale ; elle est personnelle, sachant que le roi est l'incarnation vivante de la « Loi »[111]. La royauté repose sur deux principes du droit grec : le pouvoir et le droit de propriété délivrés par la victoire et leur transmission héréditaire[112]. Polybe fait dire àAntiochosIV à propos de la conquête de laCœlé-Syrie[A 3] : « L’acquisition par la guerre c'est le titre de propriété le plus juste et le plus fort ». Le roi possède son royaume « par la lance » en vertu dudroit de conquête inspiré du geste d'Alexandre à son arrivée en Asie[113],[N 18]. Il utilise donc la guerre comme source de son autorité[111] car la victoire est génératrice de prestige et de butin. Il commande personnellement l'armée et doit montrer du courage physique : sur les quatorze rois que ladynastie a donnés entreSéleucos Ier etAntiochos VII, dix sont morts à la bataille ou en campagne[111].
Les rois pratiquent la monogamie conformément aux Grecs, et contrairement auxArgéades. Les mariages entre frères et sœurs sont, à une seule exception, inexistants. Le seul cas d'union consanguine est celui des enfants d'AntiochosIII : sa filleLaodicéIV épouse successivement trois de ses frères. Après le règne d'Alexandre Balas au milieu duIIe siècle av. J.-C., les Séleucides épousent des princesseslagides, manière de garantir le contrôle sur laCœlé-Syrie par une alliance matrimoniale[115]. Les reines séleucides n'ont pas joué un grand rôle sur la scène politique, exception faite deLaodicé III à qui AntiochosIII confie la régence des régions occidentales durant sonAnabase[116], contrairement aux reines lagides qui sont souvent sœur et épouse à la fois. Seules quatre d'entre elles figurent sur les monnaies, soit en qualité de régentes de manière légale ou abusive, soit en qualité de tutrice de leurs enfants[117] :LaodicéIV,LaodicéV,Cléopâtre Théa etCléopâtreSéléné. Les autres membres de la famille royale ne portent aucun titre officiel, même l'héritier au trône qui n'est que « fils ainé »[118]. Néanmoins,AntiochosIer reçoit le titre de corégent du royaume[119] etAntiochos le Jeune, alors âgé de 11 ans, reçoit le titre de vice-roi des provinces occidentales en210 de la part d'AntiochosIII[A 4].
Le royaume séleucide, immense à l'origine, n'existe qu'à travers les relations que l'administration royale noue avec les communautés qui le composent. La terre royale (ougê basilikê) s’étend partout où le roi est reconnu, ce qui exclut les vastes territoires désertiques à l'intérieur de l'espace séleucide[120].
Séleucos Ier a fondé latétrapole syrienne, un ensemble planifié de quatre cités (Antioche,Séleucie de Piérie,Laodicée etApamée), avec pour volonté de s'établir durablement en Syrie et de faire concurrence à l'Égyptelagide en Méditerranée orientale[55]. Ces cités sont toutes bâties selon unplan hippodamien[121]. Séleucos fait aussi bâtir à travers son empire une quinzaine d'autres Antioche, du nom de son pèreAntiochos, suivi en cela parAntiochosIer qui poursuit l'œuvre de son père. Les fondations urbaines se multiplient et portent des noms relatifs à ladynastie : il y a des dizaines de Séleucie, Antioche, Laodicée, Apamée[122]. La création de ces villes a été facilitée par le fait que la Grèce continentale est alors surpeuplée. Une première vague d'immigration grecque se déroule en effet du temps desDiadoques. Les premiers habitants d'Antioche sont par exemple des colons athéniens, au nombre de 5 300, qu'Antigone le Borgne a préalablement installés àAntigonie ; 6 000 colonsmacédoniens peuplentSéleucie de Piérie sous Séleucos. On trouve aussi des colonsthraces installés dans les provinces iraniennes. Une seconde vague de colonisation débute sousAntiochosIV qui fait construire quinze cités. Toutes ces cités sont étroitement liées au pouvoir central[123]. Les cités grecques d'Anatolie, à l'histoire séculaire, bénéficient quant à elles d'une autonomie institutionnelle et parfois d'exemptions fiscales.
Pour asseoir leur domination, les Séleucides s'appuient également sur des garnisons militaires, avec à leur tête unphrourarque, surtout dans les régions densément peuplées du littoral d'Anatolie, de Syrie et deMésopotamie. Séleucos établit également des cités-forteresses dans des régions plus reculées, comme celle deDoura Europos colonisée par des vétérans gréco-macédoniens[121]. Des colonies (leskatoikiai) sont aussi fondées, comparables dans une certaine mesure auclérouquies d'Égypte : des colons reçoivent un lot de terre contre un service militaire ; elles ne disposent pas du statut de cité et dépendent directement de l'autorité royale[124]. Mais à la différence des clérouques d'Égypte, ces colons-paysans ne sont pas organisés militairement, et tous ne sont pas destinés à servir dans l'armée[125]. Il existe par ailleurs des colonies strictement agricoles, notamment en Anatolie[126]. Ces colons ne sont pas non plus semblables auxlimitanei (« soldats de la frontière ») duBas-Empire romain ; en effet il ne s'agit pas de soldats-cultivateurs établis pour faire face auxAttalides ou auxGalates dans le cas des établissements anatoliens, mais de colons établis de manière « pacifique », en plaine et parfois loin des frontières[125]. Par ailleurs, ces colons ne sont pas forcément gréco-macédoniens :AntiochosIII confie le soin àZeuxis, gouverneur d'Anatolie, d'installer 3 000Juifs dans des colonies agricoles dePhrygie et deLydie après que ces satrapies se soient révoltées[124].
Étant donné l'immensité de l'empire, la cour royale est itinérante, sans qu'une capitale n'apparaisse vraiment, du moins auIIIe siècle av. J.-C. Le roi voyage ainsi au gré des événements et des ambassades entreSardes,Éphèse et latétrapole syrienne[123]. Au fil du temps, le pouvoir a eu tendance à se centraliser autour d'Antioche, devenue capitale royale probablement vers240 av. J.-C. Le roi a besoin de s'appuyer sur un maillage administratif qui peut lui servir de relais dans les territoires lointains[127] : satrapie, stratégie, cités, communautés indigènes ouethnè. Le termeethnos, traduit en « nation » ou « peuple »[N 19], s'applique à certains peuples dirigés par des dynastes et dont le territoire n'est pas structuré par des cités :Pisidiens,Lycaoniens,Élyméens,Kassites et nomadesscythes, etc.[128]. Le cas de l'ethnos desJuifs deJudée est particulier en cela qu'il est dirigé par uneethnarque à partir deSimon Maccabée en140. Lesethnè bénéficient d'une forme d'autonomie, aussi du fait de leur situation géographique périphérique[N 20].
Le roi séleucide possède son royaume « par la lance » en vertu du droit de conquête et fonde son autorité sur le prestige de la victoire. Certains souverains ont donc cherché à affirmer leur autorité en réalisant des anabases vers les Hautes satrapies d'Asie. C'est le cas pour AntiochosIII, devenu « le Grand », et dans une moindre mesure pourAntiochosIV. Le roi devient dès lors un chef de guerre avec pour mission de soumettre à son pouvoir les communautés récalcitrantes. Mais ces manifestations de puissance internes restent rares. Le royaume est donc constitué d'un ensemble de communautés liées à la royauté par des administrateurs. Cette royauté parait lointaine pour les individus, les rois n'ayant pas à proprement parler de « sujets ».
Si le roi possède un pouvoir quasi absolu, son entourage exerce une influence directe, plus ou moins importante, sur ses décisions. En effet, à l'image d'Alexandre le Grand et de tous les souverainshellénistiques, le roi s'entoure d'un cercle de proches, les Amis (philoi), composés de l'élitegréco-macédonienne[127]. La présence d'indigènes dans ce cercle semble marginale contrairement au dessein oriental d'Alexandre[129]. Il s'agit souvent d'ambassadeurs, d'officiers, de diplomates ou de conseillers. Certains occupent des fonctions régionales de gouverneurs ou de stratèges. Les Amis forment le Conseil (synédrion), documenté grâce àPolybe pour le règne d'AntiochosIII. Il semble particulièrement consulté concernant les affaires militaires[127]. Une hiérarchie aulique (« de cour ») se créé bientôt entre les Parents, les Premiers Amis et les Amis honorés. Ils sont récompensés par des dons (dôrea) ou la concession de domaines[130].
Parmi les principaux dignitaires entourant le roi, dont les fonctions sont connues, on distingue[131] :
L'épistolographe : attesté pour le règne d'AntiochosIV, il dirige la chancellerie royale comme l'archigrammate desArgéades) ; il est donc chargé des relations épistolaires entre la royauté et les différentes communautés. Vu l'immensité du royaume et le nombre très important de communautés y vivant, ce poste s'avère stratégique.
Le préposé aux affaires (epi tôn pragmatôn) : traduite parfois en « vizir » ou « ministre », cette fonction, attestée à partir deSéleucosIII, confère à son titulaire la gouvernance de laSyrie-Mésopotamie en l'absence du roi et la gestion des finances. Le cas le mieux documenté est celui d'Hermias sousAntiochosIII qu'il finit par faire assassiner. La fonction est aussi connue auIIe siècle av. J.-C. avecHéliodore[N 21],Lysias etBacchidès qui ont été successivement chargés de réprimer larévolte des Maccabées, prouvant que le « ministre » peut aussi bénéficier de prérogatives militaires ou diplomatiques[132].
Contrairement auroyaume lagide pour lequel il existe une documentation qui atteste d'une administration très développée dont le cœur se trouve àAlexandrie, le royaume séleucide n'est pas doté d'une administration centralisée en dehors dusynédrion (Conseil). La royauté séleucide a délégué, comme avant eux lesAchéménides, de grandes responsabilités auxsatrapes. Ils sont souvent désignés sous le nom destratèges par les sources, même si ces derniers peuvent aussi occuper des fonctions militaires ou diriger des regroupements de plusieurs satrapies comme enAnatolie[133]. Il est probable qu'AntiochosIII ait institué une séparation entre pouvoir administratif des satrapes et pouvoir militaire des stratèges au sein d'un même territoire[134].
Il est difficile d'avoir une idée exacte du nombre précis de satrapies.Appien estime à soixante-douze le nombre de satrapies sous Séleucos[A 5] ; mais ce chiffre parait exagéré, l'auteur ayant pu confondre les satrapies et leurs subdivisions[133]. Chaque satrapie est en effet subdivisée en circonscriptions dont l’appellation et la nature varient selon les traditions locales : hyparchies,chiliarchies, toparchies, etc.[130],[N 22]. Les satrapes (ou stratèges) sont les représentants du roi dans leurs provinces au titre de gouverneur civil et parfois militaire. Les cités et les communautés locales doivent lui rendre des comptes. Les structures achéménides semblent avoir été réformées (déjà parAlexandre etAntigone le Borgne) avec le renforcement de l'autonomie accordée aux cités (poleis) qui sont dotées de leurs institutions[135]. Les territoires isolés d'Asie sont gouvernés de manière plus personnelle par les gouverneurs locaux, la domination séleucide étant alors consentie grâce à des exonérations fiscales ou à la concession d'une relative autonomie.
Ceci explique en partie la difficulté à maintenir une autorité continue sur tous les territoires, puisque certaines régions possèdent une large autonomie, accentuée par les velléités d'indépendance des gouverneurs mis en place par le roi, comme c'est le cas enBactriane ou àPergame[130]. D'une manière générale, les satrapies sont plus vastes en Asie centrale et dans les régions iraniennes qu'enAnatolie, région très fragmentée. Certains souverains ont confié à des officiers des commandements supra-régionaux. Déjà sousSéleucos Ier, un gouvernement général des satrapies orientales est confié à son filsAntiochos, qu'il nomme vice-roi. Ce partage du pouvoir est attesté par des inscriptions deDidymes, des documents cunéiformes et des émissions monétaires[136]. C'est aussi le cas pour l'Anatolie sousAntiochosIII qui est sous la tutelle d'AchaïosII puis deZeuxis au titre de stratège.
La poliadisation désigne la transformation d'une ville préexistante en cité (polis) ou la fondation d'une colonie selon le modèle grec, c'est-à-dire un système politique reposant sur des assemblées (boulè,ecclésia, conseil des Anciens oupéliganès) et des magistrats (archontes,épistates) issus de la communauté des citoyens (politai)[137]. Ce phénomène, qui participe à l'hellénisation de l'Orient, a été marqué enAnatolie ainsi qu'enMésopotamie et enBabylonie. Il convient donc ici d'exclure les cités grecques d'Ionie, à la longue tradition civique qui possèdent souvent un régime démocratique, ou les cités des rives duPont-Euxin restées indépendantes.
EnSyrie, les cités nouvellement fondées de latétrapole deSyria Séleukis possèdent des institutions propres tout en étant placées sous la tutelle royale par l’intermédiaire d'unépistate, choisi par le roi parmi les citoyens[138]. Cette région, déjà fortement urbanisée, connait aussi un phénomène de poliadisation avec l'implantation de colons et l'instauration d'institutions civiques dans des villes préexistantes, comme c'est le cas deBéroia (l'antique Alep)[139]. Plus à l'Est vers l'Euphrate, la colonie deDoura Europos, peuplée de colons macédoniens, bénéficie du statut de cité[139].
De nombreuses colonies nouvellement fondées enMésopotamie reçoivent le statut de cité, la plupart sous le nom de Séleucie, Antioche, Laodicée, etc. La plus importante de ces fondations estSéleucie du Tigre, siège de la royauté[143]. Les cités fondées en Mésopotamie conservent un lien avec l'administration royale avec la désignation d'unépistate, comme dans la plupart des fondations de Syrie[138].Babylone, qui au commencement de ladynastie séleucide a conservé ses institutions traditionnelles et s'avère d'abord un centre religieux, est élevée au rang de cité soit sousAntiochosIII, soit plus vraisemblablement sousAntiochosIV[144]. Une chronique babylonienne datée de166 mentionne que sous le règne d'AntiochosIV de nombreux Grecs ont été installés à Babylone avec le statut de citoyens[A 6],[N 24]. Ces « Grecs » sont peut-être des soldats vétérans de différentes origines qui utilisent la langue grecque. Il pourrait aussi s'agir de Grecs originaires du monde grec voire de Babyloniens autochtones qui auraient pris un nom grec et seraient devenus membres de cette communauté. Quoi qu'il en soit, il existe une ségrégation entre lespolitai et le reste des habitants dont certains ont été expropriés de leurs terres par les colons. Même si la cité est dirigée par une assemblée des Anciens (oupéliganès), les Babyloniens et les Grecs possèdent leurs propres institutions, et le gouvernement central communique distinctement avec les deux communautés, pratiques qui ont perduré jusqu'à l'époqueparthe[145]. La cité comprend enfin des monuments typiquement grecs : un théâtre, qui a été mis au jour, et un gymnase.
EnJudée, le cas deJérusalem est particulier. Ce sont les élites hellénisées qui demandent en effet àAntiochosIV de transformer la ville enpolis, renommée en Jérusalem Antioche, suscitant des tensions avec les juifs traditionalistes, leshassidim ou « pieux » ; tensions qui sont à l'origine de larévolte des Maccabées[146]. La cité comprend alors un gymnase et unéphébéion qui forme leséphèbes à devenir citoyens[147].
Les historiens modernes ont longtemps sous-estimé l'importance de laBabylonie au sein du royaume séleucide en consultant davantage les sources grecques que les documents écrits enaraméen. La chancellerie royale, selon la traditionachéménide, rédige en effet des documents en araméen et pas seulement engrec. Les chroniques babyloniennes intituléesChronique des Diadoques, écrites enakkadien[N 25], font par ailleurs démarrer l'ère séleucide à la date de311 av. J.-C. au moment de laguerre babylonienne entreSéleucos Ier etAntigone le Borgne[A 7], même si Séleucos n'est alors mentionné qu'au titre destratège du souverain légitime, et hypothétique,AlexandreIV[149]. L'ère royale prend fin dans lesannées 140 av. J.-C. avec l'invasionparthe. De nombreuses sources en akkadien (chroniques, journaux astronomiques,Cylindre d'Antiochos trouvé dans le temple deNabû àBorsippa) attestent de contacts directs entre les élites babyloniennes etAntiochosIer, qui a d'ailleurs été chargé de gouverner la Babylonie à partir de294 au titre de vice-roi[150].
Avec laSyrie, la Babylonie, région riche et densément peuplée depuis des millénaires, est l'une des bases du pouvoir séleucide qui reçoit le soutien des élites politiques et sacerdotales avec lesquelles les correspondances se font en grec[151]. Les souverains séleucides assument des fonctions religieuses comme le montrent lescalendriers astronomiques et se font les protecteurs des sanctuaires[123]. Enfin, Séleucos a fondéSéleucie du Tigre vers 310-305 sur un carrefour de communication entre laMésopotamie, legolfe Persique et leplateau Iranien afin de supplanter une Babylone sur le déclin. Elle devient rapidement un grand centre de commerce et l'un des premiers ateliers monétaires du royaume en produisant notamment des monnaies de bronze.Uruk connait un renouveau en devenant le lieu de perpétuation de la culture babylonienne[123].
La région n'est pas exempte de crise sociale. Ainsi en273[N 26],AntiochosIer a eu recours à une forte pression fiscale afin de financer la premièreguerre de Syrie ; cette politique a engendré des famines (et son cortège d'épidémies), renforcées par l'usage d'une monnaie de bronze dont la valeur est surévaluée par rapport aux anciennes monnaies pesées[152].
Le culte royal séleucide est un héritage d'Alexandre le Grand qui, en plus de son statut d'héritier deZeus Ammon, bénéficie après sa mort d'unculte héroïque entretenus par lesDiadoques. Il est à différencier de celui desLagides qui bénéficient d'un cultepharaonique de la part des Égyptiens autochtones[153]. Une distinction est traditionnellement opérée entre les cultes rendus par les cités et le culte organisé par la royauté[154], même s'il existe des interactions subtiles entre ces deux formes de « religions » comme en témoignent des découvertes épigraphiques[155].
Le culte d'État est lui beaucoup moins documenté. On note en effet l'absence de sources sur ce culte organisé à l’échelle du royaume. Ce culte émane du roi seul et n'implique que lachôra royale et les cités sujettes.AntiochosIer a fondé à la cour et dans certaines cités deSyria Séleukis un culte divin en l'honneur de son père,Séleucos Ier : un temple doté d'untéménos est par exemple érigé àSéleucie de Piérie[A 8]. Sous AntiochosIer, une inscription d'Ilion conseille aux prêtres de sacrifier àApollon, ancêtre des Séleucides selon la légende familiale[A 9]. Ce culte est aussi attesté par les symboles frappés sur les monnaies : l'ancre ou la figure d'Apollon.
Le culte royal, initialement rendu à Séleucos et aux souverains défunts, est réorganisé et renforcé par Antiochos III à partir de209 qui l'étend aux rois de leur vivant et à leur famille. Ce culte d’État, qui assimile le roi à une divinité protectrice, est dès lors célébré dans tout le royaume par des grands-prêtres[88], probablement à l'échelon d'une ou plusieurs satrapies[160]. Seules deux grandes prêtresses, qui appartiennent à la haute aristocratie, sont connues : Bérénice, fille dePtolémée de Telmessos, et une Laodicé, probablementLaodicé IV, fille d'Antiochos III[161]. Les grands-prêtres n'auraient pas exercé de contrôle sur les prêtres civiques du culte royal. Par ailleurs, Antiochos III a instauré en193 un culte à son épouseLaodicéIII, culte provisoire car elle est bientôt répudiée[161]. Il existe trois inscriptions qui attestent que ce culte est établi à travers tout le royaume[N 28].
Enfin, certains souverains portent des épithètes d'essence divine. AinsiAntiochosII reçoit l'épithète deThéos (« Dieu ») après avoir libéréMilet de son tyran et rendu leur liberté aux cités grecques d'Anatolie.AntiochosIV porte l'épithète d’Épiphane (« Manifestation divine »), habituellement réservé aux dieux[N 29]. Cette épithète a été transmise par la tradition littéraire, par les monnaies ainsi que par des dédicaces extérieures au royaume, comme àDélos et à Milet. Il est le premier roi séleucide à utiliser des épithètes divines sur des pièces de monnaie, peut-être inspiré par les rois grecs deBactriane ou par le culte royal que son père a codifié. Cette titulature aurait pu servir à renforcer l'autorité royale au sein d'un empire disparate[162].
Comme toutes les armées des grands royaumes hellénistiques, l'armée séleucide est fondée sur le modèle de l'armée macédonienne forgé parPhilippe II et amplifié parAlexandre le Grand. La force principale réside dans laphalange desarissophores qui est divisée enargyraspides ou « boucliers d'argent», chalcaspides ou « boucliers de bronze » et en chrysaspides ou « boucliers d'or »[163],[N 30]. Les argyraspides, qui forment la Garde royale, sont des troupes permanentes[N 31], au contraire des autres contingents de la phalange levés le temps d'une campagne. Les Séleucides ont eu tendance, comme lesAntigonides durant lesguerres de Macédoine, à alourdir l'équipement des phalangites, au détriment de la mobilité chère à Alexandre. Ainsi leslégions romaines, bien plus flexibles, ont fini par prendre le dessus en attaquant leurs flancs ou leurs arrières. AuxThermopyles (191 av. J.-C.) puis àMagnésie (190)[A 10], les phalanges séleucides sont ainsi restées immobiles derrière leur palissade de pointes dans un rôle purement défensif.
La cavalerie lourde, équipée à l'origine comme lesCompagnons macédoniens, joue aussi un grand rôle sur le champ de bataille sans pour autant toujours donner la victoire, comme le montrent les défaites deRaphia et deMagnésie : par deux foisAntiochosIII l'emporte sur son aile à la tête de sa cavalerie mais se voit entraîner dans une longue poursuite qui l'empêche de se rabattre sur l'infanterie adverse. Un escadron de cavaliers forme la Garde royale ouagéma. Il existe aussi descataphractaires, à partir d'Antiochos III, et des archers montés, tous deux inspirés par les cavaliersscythes etparthes. L'armée compte enfin des contingents d'éléphants de guerre asiatiques et des chars scythes au moins jusqu'au milieu duIIe siècle av. J.-C.
L'armée est formée de colons (katoikoi), majoritairementgréco-macédoniens bien qu'on trouve aussi desThraces ou desAgrianes, qui forment la réserve opérationnelle. Ils accomplissent un service militaire en échange de la cession d'une terre[165]. Comme en témoignent les effectifs alignés àRaphia[A 12] et àMagnésie[A 13], l'armée compte aussi de nombreux mercenaires, recrutés de manière permanente ou le temps d'une campagne. Mais il convient de distinguer les mercenaires indigènes (Lydiens,Phrygiens,Ciliciens,Perses,Mèdes,Carmaniens, etc.) et ceux originaires d'autres pays (archers crétois,thuréophoresgrecs,Galates,Scythes, etc.). Certains États alliés peuvent également fournir des troupes. On peut en effet trouver desCappadociens, desArméniens, desPontiques et desArabes.
L'intendance de l'armée est dirigée par lelogistérion stratiôtikon qui siège àApamée[N 32]. Institution essentielle de l’administration militaire, elle s'occupe des aspects matériels et techniques : approvisionnement, remonte, fourniture d’armes, logement des soldats, etc.[166]. Enfin des haras royaux (hippotropheia) sont attestés, les plus renommés étant celui d'Apamée[A 14] et de Médie.
Contrairement à lathalassocratielagide, les Séleucides ne disposent pas d'une flotte de guerre conséquente. Au début de l'ère séleucide, la façade maritime occidentale s'avère relativement réduite, alors que la lutte contre les Lagides se déroulent d'abord dans de grandes batailles terrestres. La flotte des premiers séleucides est donc formée de navires locaux de taille modeste. Ainsi, dans les grandes cités portuaires des rives orientales de la Méditerranée,Séleucie de Piérie etLaodicée, sont stationnés seulement quelques navires de guerre. Il existe également une flottille dans legolfe Persique, où des bases séleucides ont été retrouvées et dont le port principal estAntioche en Susiane[167]. L'essor dePergame au milieu duIIIe siècle av. J.-C. oblige les Séleucides à entretenir une flotte permanente sur le modèle des autres grands États hellénistiques[168]. La flotte compte dès lors destrières, des tétrères (ou quadrirèmes) construites àRhodes, et des pentères (ou quinquérèmes). Elle tire avantage des forêts de cèdres enSyrie et enPhénicie. Néanmoins, elle n'a jamais possédé de grosses unités comme lesAntigonides et les Lagides qui se sont livrés une course au gigantisme. La flotte séleucide est réorganisée parHannibal Barca en personne, peu avant le déclenchement de laguerre antiochique[168]. Elle aligne à cette époque une centaine de navires dont quelques-uns sont gigantesques. Pour autantAntiochos III doit se replier après ses défaites face aux flottes conjointes dePergame, deRhodes et de Rome à partir de190 le long du littoral méridional d'Asie Mineure[169]. L'espace maritime séleucide se limite alors de nouveau aux eaux syriennes et phéniciennes. Par letraité d'Apamée, AntiochosIII voit sa flotte réduite à dix « navires cataphractes » (lourds)[A 15]. La dernière grande flotte a été formée parAntiochosIV pour occuperChypre en168 durant la sixièmeguerre syrienne[170].
Le royaume ne comprend aucune administration centrale qui organiserait et planifierait une politique économique globale, comme c'est le cas dans une certaine mesure pour le royaumelagide. La fiscalité n'est pas homogène, s'exerçant différemment en fonction de la nature de la domination. Par exemple enAnatolie, l'exploitation des terres agricoles, surveillée par des garnisons, requiert un tribut ouphoros. Les cités paient annuellement des taxes (syntaxis) sur leurs productions et leurs activités[171]. Dans les Hautessatrapies, les prélèvements sont ponctuels et variables : il peut s'agir du prélèvement en nature comme à l'époque desAchéménides (métaux, céréales,éléphants, chevaux, etc.) ou en argent. Mais dans ces régions il s'avère que l'on connait davantage les modalités du prélèvement en temps de guerre qu'en temps de paix[172].
Les satrapes se trouvent à la tête d'une armée de fonctionnaires chargés des affaires fiscales et financières. Les impôts, une fois prélevés, sont placés dans des trésoreries (gazophylaquies) pour éviter les longs et périlleux trajets. Les finances des cités soumises à la royauté sont placées sous le contrôle d'unépistate. Les finances de certains sanctuaires, quand ils ne sont pas autonomes, sont elles aussi étroitement surveillées par le pouvoir royal[173].
L'essentiel de la terre royale (ouchôra basiliké) est répartie en grands domaines fonciers. Héritages des Achéménides, ces domaines sont exploités par des paysans, leslaoi, sous la direction d'intendants. Mais certaines communautés peuvent jouir de leur territoire en l'exploitant tout en restant sujets aux impôts royaux. Quelques cités grecques d'Anatolie obtiennent par ailleurs des exemptions fiscales afin que leur loyauté soit assurée[123].
La fondation de cités enSyria Séleukis, enAnatolie intérieure, enMésopotamie ou enBactriane a un impact économique important, car elle permet la mise en valeur de ces territoires et de modifier les modes de production. Les souverains politiques ont certainement mené une politique fiscale, certes héritée desAchéménides, mais qui montre une adaptation aux modèles civiques[174]. L'organisation économique suit donc davantage une logique territoriale qu'une logique centralisée.
Le territoire royal est soumis à une taxation sur la richesse produite qui pèse en premier lieu sur les cités[175]. Comme sous lesAchéménides puisAlexandre, les cités, principalement celles d'Anatolie, sont soumises à des prélèvements fiscaux. Selon une distinction opérée par le conquérant macédonien, la terre royale (ougê basiliké) est soumise au tribut (ouphoros) tandis que les cités paient une taxe (ousyntaxis)[176],[N 33]. Lessyntaxeis, terme euphémique, évoqueraient l'idée d'une taxe payée « volontairement » dans le cadre d'une alliance[177].
Le trésor royal (oubasilikon) intervient donc pour la taxation des cités mais aussi pour les exemptions fiscales ou la redistribution des fonds à ces mêmes cités[178]. Les exemptions totales de tribut (ouaphorologesia) restent rarement évoquées par les sources. On connait celle qu'Antiochos III a accordé en203 av. J.-C. à la cité deTéos enIonie après qu'elle a été prise auxAttalides. Les exemptions partielles sont connues à travers le cas d'Héraclée du Latmos qui reçoit des privilèges de la part d'Antiochos III et son stratègeZeuxis[179]. Ces exemptions peuvent être motivées par les difficultés économiques qui découlent de la guerre. C'est le cas àSardes lorsque la cité est reprise àAchaïos II en213[180]. Elles peuvent également être accordées à desethnè comme celui desJuifs deJudée[181].
Par ailleurs le trésor royal peut participer directement au financement de constructions monumentales ou d'aménagements urbains, manière pour les souverains de démontrer leurévergétisme envers les cités[182]. Il peut s'agir de dons en argent, c'est par exemple le cas àHéraclée du Latmos, dans une région disputée aux Attalides, où AntiochosIII, par l'intermédiaire de Zeuxis, s'engage à financer la construction d'un aqueduc[183]. Il peut aussi s'agir de dons en nature, du blé ou de l'huile d'olive, comme c'est aussi le cas pour Héraclée. Le blé provient des greniers royaux et permet de mettre fin à une crise alimentaire. Le don de blé opéré à la même époque parLaodicé III àIasos répond à une autre volonté : celle de transformer le blé en valeur monétaire[184]. Quant au don d'huile, il répond à une difficulté commune à nombre de cités en termes d’approvisionnement.Sardes se voit aussi par exemple fournir de l'huile en 213[184].
Finalement ces redistributions effectués par lebasilikon permettent de renforcer la loyauté des cités en s'inscrivant dans la durée, à la différence d'actes d'évergétisme plus ponctuels. Les cités deviennent dès lors dépendantes de la royauté en cela qu'elles se voient garantir leur statut même depolis grâce à ces dons[185].
La monnaie numéraire n'est pas utilisée enMésopotamie et dans les provinces iraniennes avant la période hellénistique. Alexandre fonde ainsi deux ateliers monétaires àBabylone, l'un servant au niveau de lasatrapie à la production du numéraire pour les dépenses de la royauté, l'autre servant à produire des monnaies d'argent d'étalonattique pour payer les soldats[188]. Les premiers Séleucides mettent en place une politique monétaire cohérente en établissant des ateliers àSéleucie du Tigre, àEcbatane et àBactres, l'atelier de Babylone et les émissions mixtes étant bientôt abandonnés[189]. Le système est basé sur l'étalon attique, permettant à toutes les monnaies de même étalon produites en dehors du royaume d'avoir cours. L'usage de cet étalon semble répondre à l'expansion séleucide enAnatolie où il a déjà cours[152]. Ce système dit « ouvert » se différencie fondamentalement de celui desLagides qui auraient interdit l'usage de toutes autres monnaies que celles émises par les ateliers royaux[190]. Enfin, les Séleucides imposent l'usage d'une monnaie fiduciaire en bronze produite dans les ateliers du Séleucie du Tigre. Elle sert pour les petits achats du quotidien et se répand dans les garnisons et les cités, mais son usage rencontre au départ des résistances en Babylonie d'autant plus que la région connait une grave crise sociale sousAntiochosIer[152]. Le cas de la Babylonie montre en tout cas une poursuite de l'utilisation de métal pesé comme instrument et étalon des échanges, suivant les traditions de la région.
Certains historiens modernes considèrent que les Séleucides ont mené une véritable politique monétaire à l'échelle du royaume, et pas simplement de manière bilatérale entre le royaume et les communautés[191]. Ainsi des monnaies d'argent, émises àSéleucie du Tigre, ont été retrouvées en grand nombre enAnatolie. Ce qui tendrait à prouver que les rois ont une vision globale car les monnaies auraient servi à honorer les dépenses royales (paiement des soldats,évergétisme, aménagements urbains, etc.) là où elles apparaissent[192].
Le commerce des produits de luxe en provenance d'Orient et d'Arabie connait donc un essor sous les Séleucides : gemmes, textiles précieux (soie, coton), essences rares (myrrhe, costum), épices (cannelle de Chine,curcuma,gingembre), ivoire, orfèvrerie, etc. De nouveaux produits arrivent en Europe en provenance des mondes indiens et chinois : coton, citron, sésame, noix d'Orient, datte, figue, canard et bœuf d'Asie[199]. Certaines régions du royaume séleucide possèdent des matières premières ou produisent des biens manufacturés qui sont échangés dans tout le monde hellénistique et au-delà, enItalie notamment[200] :
Les volumes ainsi que les prix des produits échangés demeurent mal connus[201]. Les précisions sont plus nombreuses au sujet du commerce du blé, vitale pour les populations. Le royaume est en effet parfois contraint d'importer du blé pour faire face à des pénuries depuis des pays voisins :royaume du Bosphore en premier lieu,Thrace etÉgypte[201]. Ces achats sont connus par des décrets de cités grecques et quelques témoignages littéraires[202]. Le commerce de produits manufacturés entre États hellénistiques reste relativement modeste, car il concerne d'abord les articles de luxe dont la demande est, par définition, faible et irrégulière[203].
L'esclavage parait avoir été bien établi dans certains régions du royaume[204]. C'est une institution ancienne enBabylonie, la royauté y prélevant un impôt spécifique (ouandrapodiké) sur la vente des esclaves ; c'est probablement aussi le cas en Phénicie. Dans les cités grecques d'Anatolie, la main d’œuvre servile est largement employée. Mais dans le reste du royaume, comme d'ailleurs en Égypte ptolémaïque, l'importance de la main d’œuvre paysanne indigène (leslaoi) ne rend pas indispensable l'emploi d'une main d’œuvre servile. Pour autant les colons gréco-macédoniens possèdent des esclaves pour assurer les tâches domestiques[204]. Ils proviennent des prises de guerre, de la piraterie, du brigandage et principalement du trafic régulier avec les peuples voisins :Scythes,Sarmates,Arméniens,Celtes. Il existe aussi des esclaves d'origine locale : orphelins et anciens serfs vendus par leurs maîtres[205].
L'immensité géographique du royaume séleucide a créé un agrégat de peuples divers, tels que lesGrecs, lesLydiens, lesArméniens, lesJuifs, lesPhéniciens, lesBabyloniens, lesPerses, lesMèdes, etc. La nature impériale de ces territoires a encouragé les souverains séleucides à mettre en œuvre une politique d'unité linguistique, déjà initiée parAlexandre, même si legrec est d'abord une langue administrative[206]. L'hellénisation a été rendue possible par la fondation de cités bâties sur le modèle grec, ou la refondation de cités désignées par des noms grecs plus appropriés : Antioche, Séleucie, Apamée, Laodicée[207]. La synthèse des idées culturelles, religieuses et philosophiques entre Gréco-Macédoniens et indigènes a connu divers degrés de succès, ce qui s'est traduit par des périodes de paix mais aussi des rébellions dans les différents territoires de l'empire.
La colonisation permet de favoriser l'hellénisation tout en facilitant l'assimilation des communautés autochtones. Socialement, cela conduit à l'adoption des pratiques et des coutumes grecques par les classes indigènes instruites désireuses de faire carrière dans la vie publique[208]. Dans le même temps, la classe gréco-macédonienne dominante a progressivement adopté certaines traditions locales. Beaucoup de cités existantes ont commencé, parfois par obligation, à adopter la culture, la religion et le fonctionnement politique hellénique, même si les souverains séleucides ont par exemple incorporé les principes de lareligion mésopotamienne afin d'obtenir le soutien des populations locales[209].
Le site d'Uruk enBabylonie constitue un cas intéressant d'étude des relations entre élites grecques et élites indigènes. Le site connaît dans la seconde moitié duIIIe siècle av. J.-C. une importante activité de construction, avec l'érection de nouveaux sanctuaires dans la plus pure tradition mésopotamienne[210]. Certains notables locaux adoptent un nom grec à côté de leur nom babylonien, à l'image d'Anu-uballit qui reçoit le nom grec de Nikarchos, apparemment octroyé parAntiochosIII, et d'un autre Anu-uballit légèrement plus tardif, qui reçoit aussi le nom grec de Kephalon[211]. Deux tombes riches exhumées au voisinage de la ville indiquent là encore que les élites locales ont adopté des éléments grecs, puisqu'on y a trouvé notamment une amphore à vin grecque, desstrigiles ou encore une couronne composée de feuilles d'olivier en or[212]. Cependant les savants de Babylonie, issus de la classe sacerdotale, sont surtout connus pour leurs activités intellectuelles, couchées sur des tablettes d'argile inscrites de signescunéiformes, qui s'inspirent des traditions babyloniennes ; il les renouvèlent parfois comme dans le cas de l'astronomie[213]. Une pénétration de la langue hellénique est attestée dans la région, au moins à partir duIIe siècle av. J.-C. Un corpus composé d'une vingtaine de tablettes, leGraeco-Babyloniaca, avec une face en grec ancien et une autre ensumérien, pourrait en effet signifier, entre autres interprétations, que les scribes babyloniens apprennent le sumérien[N 35] en utilisant l'alphabet grec plutôt que l'araméen[214]. L'usage du grec par les élites dirigeantes de Babylonie n'a pas altéré le dynamisme de l'araméen, la langue de la chancellerieachéménide[206]. La majorité de la population deMésopotamie, et même déjà deJudée, parle alors l'araméen. Il convient d'y ajouter l'élyméen et les diverses langues anatoliennes (lydien,carien,lycien, etc.)[208].
De nombreuses religions sont pratiquées dans le royaume séleucide :polythéisme grec,cultes mésopotamiens,mazdéisme,judaïsme, culte deCybèle et desBaalssyriens, etc.Apollon étant considéré comme l'ancêtre légendaire de ladynastie séleucide, ses sanctuaires ont été soutenus par le trésor royal, comme ceux deDelphes,Délos,Claros (près deColophon) et surtout deDidymes (près deMilet), dont le temple qui a été détruit par lesPerses en479 av. J.-C. est refondé à partir deSéleucos Ier, probablement sous l'influence deDémodamas de Milet[215]. Ce sanctuaire, dédié aussi àArtémis, fait partie avec Delphes des sitesoraculaires grecs les plus importants[A 17] : après qu'une prophétesse ait cherché l'inspiration à la source de l'adyton, les prophéties sont formulées en vershexamètres par un prêtre. ÀDaphnè, le « faubourg » d'Antioche,Séleucos Ier fait ériger un sanctuaire (leDaphneion) dédié à Apollon et à Artémis[A 18] ; il abrite une célèbre statue du dieu sculptée à sa demande parBryaxis. Ces sanctuaires possèdent tous de vastes domaines exploités par des communautés paysannes et sont soumis à des taxes royales[75].
Unsyncrétisme religieux s'opère entre les divinités grecques et lemazdéisme pratiqué dans le monde iranien.Zeus est ainsi assimilé àAhura Mazda,Artémis àAnahita etHéraclès àVerethragna. Le culte d'Héraclès se répand particulièrement en Iran grâce à l'image de puissance associée au héros et à la parenté spirituelle avec la déification des roi-héros[216]. Ce culte est attesté par un relief rupestre situé dans un lieu déjà hautement symbolique sous lesAchéménides. Le relief, typiquement grec, est sculpté au pied d'une falaise du mont Behistun dans la province deKermanshah. Il représente Héraclès nu reposant sur une peau de lion, une coupe à la main, au pied d'un olivier. Les armes du héros sont à proximité immédiate : arc et carquois suspendus à l'arbre, massue posée à ses pieds. Une inscription en grec révèle que la statue a été achevée en153 en l'honneur du gouverneur séleucide de lasatrapie[217].
Lareligion mésopotamienne reste très vivace et connait une forme de syncrétisme avec le panthéon grec :Marduk (Baal-Marduk) est ainsi assimilé àZeus,Nabû àApollon[218]. Les nouveaux sanctuaires d'Uruk érigés à cette époque[210] ainsi que celui deBabylone, l'Esagil dédié àMarduk, sont d'importants lieux sacrés et des centres de savoirs, proches en cela duMouseîon d'Alexandrie. Ils ont livré de nombreuses tablettes enakkadien. Il est attesté que les rois séleucides ont honoré le culte babylonien. AinsiAntiochosIII, durant son séjour à Babylone en187, effectue des rituels et sacrifices notamment dans le temple de l'Ésagil[219],[N 36]. Dans laSusiane voisine, un corpus d'inscriptions indique que les membres de l'importante communauté grecque locale affranchissent des esclaves en les vouant à la déesseNanaya, une autre figure de la tradition religieuse mésopotamienne[220].
Le judaïsme connaît quant à lui une profonde querelle entre les tenants de la tradition et ceux de l’hellénisation. Elle aboutit à larévolte des Maccabées auIIe siècle av. J.-C., déclenchée sous le règne d'AntiochosIV[146]. LeTemple de Jérusalem est à cette époque consacré àBaalshamin, une divinitéphénicienne, et placé sous l'autorité mixte de Juifs, de Grecs et d'Orientaux hellénisés. Les Juifs « modernistes » continuent à vénérerYahweh dont un autel subsiste dans le temple[221]. Cette politique religieuse fait dire aux textes qu'AntiochosIV a conduit une « hellénisation forcée » de la Judée, au contraire desLagides, plus tolérants. Il est vrai que cette transformation du temple répond à une volonté syncrétiste favorable aux colons militaires de la citadelle de Jérusalem, alors majoritairement syro-phéniciens. Mais elle suscite une forte agitation chez les Juifs, exacerbée par le poids de la fiscalité et la résistance aux mœurs grecques[221]. C'est dans ce contexte qu'Antiochos promulgue un édit en167, appeléédit de persécution, qui ordonne d'abolir laTorah dans le sens le plus large : foi, traditions, mœurs[221]. Cette persécution ne semble pas motivée par un fanatisme anti-judaïque qu’exclurait sonépicurisme, ni par la volonté d'imposer les cultes grecs. Il agirait d'abord de mettre fin à une révolte locale : l'édit ne concerne en effet ni laSamarie, ni les Juifs de ladiaspora[221]. Là où Antiochos commet une grave maladresse, c’est lorsqu'il ne comprend pas qu’abolir la Torah ne prive pas seulement les Juifs de leurs lois civils, mais conduit aussi à l’abolition du judaïsme[222]. La révolte des Maccabées que cela provoque aboutit à la quasi-indépendance de la Judée : en140,Simon Maccabée est proclamé « grand prêtre, stratège etethnarque » à titre héréditaire, marquant le début de la dynastie desHasmonéens, fondateurs d'un nouvel État juif hellénisé[223].
L'œuvre artistique la plus célèbre de l'époque séleucide est la statue en bronze deTyché sculptée parEutychidès, un élève deLysippe, sous le règne deSéleucos Ier. La statue, aujourd'hui disparue mais dont il reste des répliques, s'est tenue àAntioche comme symbole de la cité. La divinité tutélaire de la Fortune évoque aussi les conditions favorables qui ont permis à Séleucos de bâtir un immense empire dans les temps troublés desDiadoques. La statue représente la déesse assise sur une pierre et portant une couronne surmontée de tours. La déesse est donc à la fois une représentation de Tyché et l'allégorie de la cité d'Antioche ; à ses pieds est couché un personnage masculin qui est la personnification du fleuveOronte[224]. La statue a ensuite été imitée par plusieurs cités du royaume pour leurs représentations de Tyché. Par ailleurs,Bryaxis, un sculpteur grec renommé au service des Diadoques, s'est vu commandé par Séleucos une statue colossale d'Apollon, représentée sur une monnaie d'AntiochosIV, pour le temple deDaphnè près d'Antioche[225], ainsi qu'une statue en bronze le représentant[A 19].
Contrairement à l'Égypte ptolémaïque dont la capitaleAlexandrie fait figure de « nouvelle Athènes », le royaume séleucide ne dispose pas d'un centre culturel unique. Cela est dû en partie au fait que la cour royale est itinérante en raison de l'immensité de l'empire. Il manque donc une grande institution du savoir, comme l'a été laBibliothèque d'Alexandrie, même s'il existe une bibliothèque royale àAntioche à partir d'AntiochosIII. Cette bibliothèque a été fondée sous la responsabilité du poèteEuphorion de Chalcis, invité à la cour séleucide autour de221[226]. D'autres sages et penseurs séjournent à la cour. Les rois gardent notamment auprès d'eux de grands médecins, commeÉrasistrate, médecin personnel deSéleucos Ier, et ses disciples dontApollophane, médecin d'AntiochosIII. Le prêtre et astrologuechaldéenBérose a écrit au nom d'AntiochosIer uneHistoire de Babylone engrec. Cette œuvre, à la chronologie fantaisiste, mentionne l'existence desjardins suspendus de Babylone dont la description détaillée est notamment connue grâce àFlavius Josèphe. L'historicité de cettemerveille du monde antique demeure sujette à débat[227].
Souverains d'ascendance européenne régnant sur l'Asie, les Séleucides occupent une place originale dans l'histoire antique. Dominant un territoire immense à l'origine, doté d'une forte diversité ethnique, linguistique[N 37] et religieuse, la royauté doit régler des problèmes administratifs mais aussi civilisationnels, avec notamment la question de l'hellénisation, imposée ou consentie par les élites indigènes. Face à la fragmentation politique, entre terre royale, principautés dynastiques et sacerdotales ou cités (polis), la figure du roi est la seule garante de l'unité de l'empire. Les relations entre la royauté et les différentes communautés revêtent donc une importance toute particulière[228].
En plus de l'expansionparthe etromaine, le royaume a été aux prises avec des révoltes de gouverneurs et à des rébellions sécessionnistes enPerside, enSusiane et enBactriane notamment. Pour autant, ce phénomène n'aurait pas directement participé à la désintégration de l'empire. Certains historiens estiment d'ailleurs que ce phénomène, structurel et non conjoncturel, participe à la revitalisation des empires et à la légitimation du souverain par la reconquête militaire[229]. Mais il est vrai que la domination séleucide s'exerce de manière inégale à l'intérieur même des frontières du royaume[230].
Une tradition veut que les Romains aient réussi là où ont échoué les Séleucides[29]. Dans sonÉloge de Rome,Aelius Aristide, un Grec deBithynie vivant auIIe siècleapr. J.-C., explique que l'Empire romain se fonde sur un ensemble unique et cohérent grâce à la diffusion de lacitoyenneté romaine[A 20]. Les élites locales trouveraient un intérêt à collaborer avec le pouvoir romain grâce aux privilèges accordés par l'acquisition de la citoyenneté, alors que l'Empire est lui aussi confronté à l'immensité de son territoire et à la faiblesse numérique du personnel administratif[231]. Dans le royaume séleucide, les autochtones s'inscrivent plutôt dans une collaboration, quand elle est consentie, avec l'autorité royale ousatrapique dans le cadre de la poliadisation. L'armée séleucide, qui comprend de nombreux contingents indigènes[166], apparait comme un autre vecteur d'intégration et d'hellénisation.
L'état des recherches actuelles (2011) permet d'envisager l'impact de la domination séleucide dans les différents territoires du royaume avec l'étude de la poliadisation, de l'intégration économique, des structures de production et de la monétarisation des échanges[232]. Finalement, les modes d'occupation des territoires ont été transformées par rapport à l'époqueachéménide avec la fondation de colonies agricoles, de villes nouvelles et une nouvelle hiérarchisation des centres urbains dans la continuité de la politique initiée parAlexandre le Grand[233].
Certains historiens modernes considèrent que les Séleucides auraient fondé un véritable empire en s'inscrivant dans les pas tracés par lesAchéménides etAlexandre le Grand[234]. La notion même d'« empire » suscite encore de nos jours des appréciations différentes. Certains historiens définissent l'empire comme « un appareil décentralisé et déterritorialisé de gouvernement qui intègre progressivement l'espace du monde entier »[235] ; définition qui pourrait donc s'appliquer, à son échelle, à l'empire (archè) séleucide[58]. Une autre définition d'« empire » est possible au regard d'une analyse comparée à travers l'Antiquité et le Moyen Âge qui fait apparaître cinq caractéristiques communes : continuité historique ; pouvoir central issu du commandement militaire ; mise en relation de(s) centre(s) avec les périphéries ; prétention à l'universalisme ; domination d'espaces étendus marqués par une diversité ethnique, politique et culturelle[58]. Là aussi cette définition pourrait caractériser l'empire séleucide. D'autres historiens considèrent que le « centre » de l'empire séleucide serait enMésopotamie, avec laBabylonie pour cœur politique, alors que l'Anatolie serait une « périphérie » à l'image de l'Asie centrale[236]. On peut rétorquer que jusqu'au règne d'AntiochosIV, le royaume ne possède pas de centre politique fixe et que la cour est itinérante[234], et que si le royaume possède bien un « centre » il s'agirait plutôt de laSyria Séleukis, devenue une « nouvelleMacédoine »[231].
Selon l'historiographie traditionnelle, l'empire séleucide serait marqué par une faiblesse structurelle inhérente à l'immensité de son territoire et à son manque d'unité politique ou culturelle. Mais ces deux principes sont parmi les critères qui caractérisent les empires à travers l'histoire. D'autres puissants empires n'ont pas exercé d'autorité uniforme sur tout leur territoire comme les empiresnéo-assyrien etcarolingien, où là aussi certaines régions sont contrôlées de manière directe et d'autres de manière indirecte[237]. Les Séleucides n'auraient pas disposé de moyens humains et techniques suffisants pour administrer un royaume aussi vaste, expliquant qu'il se soit inexorablement démantelé. Mais il faudrait peut-être considérer le royaume comme un structure déterritorialisé dont l'unité reposerait sur un rapport original entre le roi et les communautés[238]. Finalement, le royaume séleucide peut être comparé à un empire colonial[239], mais sans l'influence exercée par unemétropole[231].
Plutarque[A 21], ainsi que d'autres auteurs antiques[A 22], racontent une histoire sentimentale se déroulant à la cour séleucide :AntiochosIer serait tombé fou amoureux deStratonice, fille deDémétriosPoliorcète et seconde épouse deSéleucos. C'est le médecin personnel du roi,Érasistrate, qui lui apprend que son fils se meurt littéralement d'amour pour sa jeune épouse. Antiochos finit par l'épouser avec le consentement de son père. Cette union arrive opportunément au moment où Antiochos reçoit le titre de corégent du royaume et la gouvernance des Hautessatrapies[119]. Cet épisode, plus ou moins légendaire, a inspiré plusieurs générations de peintres.
Antiochus et Stratonice, Michele Campiati, finXVe siècle
↑Les historiens restent confrontés à la perte de l’œuvre deHiéronymos de Cardia, contemporain desDiadoques, auteur d'uneHistoire des successeurs d'Alexandre, dont s'inspire ici Diodore.
↑Sortes de tables des matières plus ou moins détaillées, lesAbrégés ouPeriochae sont à distinguer d'éventuels résumés ouepitomae qui ont peut-être existé.
↑Date précisément connue grâce au journal astronomique babylonien.
↑À noter qu'entre 175 et 168, les Téiens émettent un décret pour la reine attalide Apollonis dans des termes quasi identiques à celui de Laodicé, montrant une forme de sujétion des cités aux royaumes.
↑La plus complète est celle d'« Ériza » trouvée àDodurga enAnatolie, à l'époque peut-être en Phrygie. Les autres ont été trouvées enMédie et enKermanshah (Iran actuel).
↑Plusieurs traductions ont été proposées : « ministère de la guerre », « bureau de vérifications des comptes de l’armée » ou « intendance générale de l’armée », dernière traduction qui semble la plus satisfaisante.
↑Polybe (XXI, 46, 2) confond les deux termes lorsqu'il évoque lapaix d'Apamée, comme de nombreuses autres sources dont leI Macc.
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