À la mort de son père, leducRichard Sans-Peur en, il est, semble-t-il, encore mineur, ce qui laisse le champ libre à une vague de troubles politiques dans le duché normand.
Il y a tout d'abord une graverévolte de paysans en 996, qui, selon le récit deGuillaume de Jumièges, décident de former des assemblées pour se gouverner eux-mêmes. LecomteRaoul d'Ivry, oncle du duc, est envoyé pour la réprimer[2] : c'est un massacre. Ce dernier fait mutiler grand nombre de rebelles, faisant couper les pieds et les mains des principaux chefs de la révolte. Il n'est pas sûr que cette révolte était dirigée contre le duc[3].
« Au cours de la même époque »[note 2], un richardide,Guillaume, demi-frère du duc nommécomte d'Hiémois, refuse de reconnaître son autorité. Raoul d'Ivry mène une expédition qui aboutit à la capture de Guillaume. Cependant, lesvassaux du comte de Hiémois restent agités et vers 1001, l'un d'entre eux réussit à faire évader le prisonnier mais ce dernier vient implorer ensuite le pardon de son demi-frère. Le duc accepte la réconciliation mais vu l'agitation latente du comté, Richard ne lui restitue pas le Hiémois. À la place, il lui confie lecomté d'Eu, car le comteGodefroi d'Eu, frère de Guillaume vient de décéder.
Tout comme la révolte des paysans, ces événements sont mal connus. D'où des interprétations historiques divergentes. Quelques historiens britanniques placent la rébellion de Guillaume plus tard (un peu avant 1012-1015) et refusent à celui-ci le titre de comte d'Hiémois[4].
Grâce à une nouvelle source, Mathieu Arnoux a récemment déduit que la minorité de Richard est aussi marquée par unerévolte des seigneurs normands contre le jeune duc à la faveur de la succession deRichard Ier de Normandie[5]. La révolte de Guillaume d'Hiémois pourrait d'ailleurs en constituer un avatar.
Quoi qu'il en soit, au cours de cette minorité, l'oncle du duc, Raoul d'Ivry, semble tenir les rênes duduché. Peut-être en collaboration avecGunnor[6]. En 1001, Richard est le seul maître de la Normandie.
Au cours de ses trente ans de règne, le duc procède à une réorganisation intérieure du duché. Une œuvre suffisamment importante pour que l'historienFrançois Neveux écrive : « en 1026, la Normandie était incontestablement laprincipauté la plus puissante et la mieux administrée du royaume »[7].
Richard.
Richard s'appuie sur les membres de sa famille, lesRichardides. Il en installe à la tête des évêchés les plus importants (Bayeux etRouen) et des comtés. Le duc est d'ailleurs le premier de la dynastie à mettre en place des comtes. Ils sont tous placés sur les secteurs frontaliers, à l'exception deBrionne :Ivry,Évreux,Mortain,Hiémois,Eu. Malgré leur haute origine, ils étaient révocables et n'exerçaient que par délégation un pouvoir démembré de celui des ducs[8]. Vers la fin du règne, les Richardides tiennent cinq comtés et deux évêchés. Richard installe aussi des vicomtes dans les régions sans comte. Leur fonction se calque sur celle de ces derniers.
Grâce aux25 actes émanés du duc, on constate l'existence d'un embryon de cour autour de lui. Y figurent aussi bien des Scandinaves que des Francs. Plus précisément, on retrouve les membres de la famille ducale, quelques évêques puis des vicomtes. Notons la présence deDudon de Saint-Quentin, du vicomte de CotentinNéel de Saint-Sauveur et d'Osbern.
À cette époque, la féodalité semble partiellement implantée en Normandie[9]. Il n'y a apparemment aucun châtelain. Par contre, la révolte de 996 a sûrement contribué à l'élaboration de rapport de type féodal entre paysans et seigneurs.
Dans le domaine religieux, le rôle de Richard est encore primordial. C'est vraiment lui qui réimplante lemonachisme en Normandie, après la coupure des invasions vikings. En 1001, Richard invite, àFécamp, une de ses résidences préférées, le réformateur italienGuillaume de Volpiano[2]. Ce dernier accepte de relever l'abbaye de Fécamp, avec douze de ses moines. L'événement est capital car ce monastère contribue ensuite à la restauration ou à la fondation d'autres abbayes (Saint-Taurin d'Évreux,Montivillers,Bernay). LeMont-Saint-Michel reçut en 1024 pour abbé Thierry, un disciple de Guillaume.
Pendant la minorité de Richard, desVikings utilisent, souvent avec l'accord ducal, l'ouest du duché comme base arrière pour mener des expéditions contre l'Angleterreanglo-saxonne. En réaction, vers l'an 1000, le roi anglo-saxonÆthelred monte une expédition contre le duché normand. Débarqués dans leCotentin àRéville, les Anglo-Saxons, pourtant nombreux et bien préparés, sont repoussés parNéel de Saint-Sauveur,vicomte du Cotentin, et taillés en pièces. Cependant, le duc Richard et le comte Raoul d'Ivry entament des négociations qui aboutissent bientôt à une alliance avec l'Angleterre, notamment en 1002, lorsqu'il donne sa sœur, la princesseEmma, au roi Æthelred (de cette union naît plus tard le futur roiÉdouard le Confesseur)[11]. Le, sous l'accusation d'un complot, Æthelred fait massacrer tous les Danois du royaume d'Angleterre : c'est le sanglantmassacre de la Saint-Brice[12]. La réaction danoise est rapide : le roiSven « À-la-Barbe-Fourchue » ravage son royaume en 1003, 1004, 1006, et 1009, et finit par soumettre l'Angleterre. En 1013, Æthelred, Emma et leurs enfants doivent prendre la mer et se réfugier auprès de Richard[12].
À la mort de Sven (1014), le roi exilé regagne l'Angleterre mais meurt peu après. Le fils de Sven,Knut le Grand, s'empare de la veuve Emma, sœur de Richard, puis monte sur le trône d'Angleterre. Les fils d'Æthelred restent en Normandie[12]. L'un d'entre eux,Édouard, attend son heure tandis que le duc doit accepter le nouveau roi d'Angleterre. Mais les relations entre Richard II et le Danois Knut restent globalement tendues.
Dans un premier temps, Richard cherche une relation pacifique avec le comte de Blois en lui offrant, avant 1005, la main de sa sœurMathilde, avec endot la moitié de lachâtellenie deDreux. Or celle-ci décède peu après sans donner d'enfants et selon l'usage, Richard souhaite récupérer cette dot, ce que refuse net Eudes[17]. Appuyé par desBretons, Richard fait construire en 1013 laforteresse de Tillières pour compenser la perte de Dreux. Avec ses alliés les comtesHugues III du Maine etGaleran Ier de Meulan, Eudes vient attaquer la place avant son achèvement. Cette coalition est cependant défaite par la garnison.
Il est possible que dans ce conflit Richard fasse appel à des contingentsscandinaves[18]. On sait qu'en 1014, le futur roi de Norvège en personne,Olaf le Gros[note 3], et Lacman de Suède sont en effet accueillis àRouen avant de repartir en expédition piller les côtes occidentales de la France actuelle jusqu'enEspagne, expédition à laquelle participent des Normands du duché.
Robert le Pieux convoque àCoudres une assemblée de Grands pour que le duc de Normandie et le comte de Blois exposent leurs différends. La paix est finalement conclue : Eudes de Blois conserve Dreux et Richard, Tillières et les bords de l'Avre.
Après la mort de Judith, Richard se marie en 1007 avecPapie (ou Papia) d'Envermeu, « frilla » (concubineà la manière danoise), issue d'une famille puissamment implantée enTalou. Le couple a comme enfants :
↑Mathieu Arnoux, « Classe agricole, pouvoir seigneurial et autorité ducale. L'évolution de la Normandie féodale d'après le témoignage des chroniqueurs (Xe – XIIe siècles) »,Le Moyen Âge,t. XCVIII, 1992.
Dudon de Saint-Quentin,De Gestis Normanniae ducum seu de moribus et actis primorum Normanniae ducum, J. Lair (éd.),Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie,tomeXXIII, 1865.